L'impératif cosmique - tome 1 - Rudolph Biérent - E-Book

L'impératif cosmique - tome 1 E-Book

Rudolph Biérent

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Beschreibung

La volonté de l'homme d'explorer le cosmos est plus ancienne qu'on ne le pense... Une nécessité qui n'est désormais plus seulement prophétique !

L’humanité doit aller dans l’espace, comme les poissons ont dû sortir hors de l’eau. Dans un passé très reculé, cet impératif fut exprimé par un discours religieux. À l’aube du XIXe siècle, alors que la connaissance scientifique et les moyens techniques explosent, cet impératif n’est plus seulement prophétique, mais exige une réalisation ici et maintenant. C’est tout du moins ce que certains intellectuels pensèrent dans la Russie tsariste. Enjeux religieux, politiques et techniques se croisent sur ce territoire, qui hésite encore entre l’industrialisme occidental et la recherche d’une voie propre, eurasiatique.

Plongez-vous dans les enjeux religieux, politique et techniques de la Russie tsariste, avec ce livre d'histoire scientifique éclairant sur l'avant-garde russe du XIXe siècle. Le premier volume d'une trilogie fascinante sur la conquête de l'espace !

EXTRAIT

En quoi l’impératif cosmique peut-il être considéré comme spécifiquement russe ? La France, à travers la science-fiction de Jules Verne ou de Camille Flammarion, ne pourrait-elle pas être considérée comme un précurseur ? Certes, dans son article fondateur de l’astronautique, Tsiolkovski répond à Jules Verne et il avait Flammarion dans sa bibliothèque. Cependant, tant dans ses articles scientifiques que dans la science-fiction qu’il écrivit, Tsiolkovski était empreint de réalisme. L’ensemble des solutions scientifiques qu’il proposa sont toujours utilisées à ce jour pour propulser une fusée et les premiers cosmonautes russes qui lurent la science-fiction de Tsiolkovski après leur expérience de vol furent tous fascinés par la justesse de ses descriptions. Il n’y a rien de fictif dans la production de Tsiolkovski. Mais son réalisme va encore au-delà. La conquête spatiale joue pour lui un rôle indispensable pour le développement harmonieux de l’humanité. C’est même une exigence pour ici et maintenant, et ce dès la fin du xixe siècle après qu’il fut instruit de la philosophie de son mentor Nikolaï Fiodorov (1839–1903). L’impact de Fiodorov sur Tsiolkovski fut manifestement très important. D’une part, Fiodorov s’était attaché à l’étudiant Tsiolkovski devenu quasiment sourd à la suite d’une scarlatine contractée dans son enfance, ce qui l’empêcha de mener à bien des études classiques. D’autre part, Tsiolkovski reconnaissait Fiodorov comme son professeur et la bibliothèque comme son université. Il se réunissait alors régulièrement avec d’autres enthousiastes à un club de discussion animé par Fiodorov après les horaires de fermeture de la bibliothèque. Fiodorov aurait explicitement mandaté Tsiolkovski de trouver les solutions physiques et mathématiques permettant à l’homme de voyager dans l’espace, afin de découvrir de nouvelles planètes et remédier au problème de la surpopulation.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir étudié la physique et l'ingénierie aérospatiale en France et en Russie, Rudolph Biérent a travaillé dans des observatoires astronomiques et à l’Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales, où il obtint le grade de docteur en physique. Il se propose aujourd’hui de restaurer l'amitié franco-russe grâce à une passion commune à nos deux civilisations : l'amour des espaces cosmiques.

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Rudolph Biérent

L’impératif cosmique

Livre 1 L’avant-garde russe du 19e siècle

Mes plus grands remerciements vont à Marie Starynkevitch et à Jérémie Duluc pour leur si précieuse relecture.

Avant-propos

Vous avez entre les mains le premier volume d’une trilogie. L’humanité doit aller dans l’espace, comme les poissons ont dû sortir hors de l’eau. Dans un passé très reculé, cet impératif fut exprimé par un discours religieux. À l’aube du xixe siècle, alors que la connaissance scientifique et les moyens techniques explosent, cet impératif n’est plus seulement prophétique, mais exige une réalisation ici et maintenant. C’est tout du moins ce que certains intellectuels pensèrent dans la Russie tsariste. Enjeux religieux, politiques et techniques se croisent sur ce territoire, qui hésite encore entre l’industrialisme occidental et la recherche d’une voie propre, eurasiatique. L’appel du cosmos incarnera cette voie propre, mais la Russie entend néanmoins y emmener l’Occident, et, à sa suite, le monde entier.

Dans ce premier volume, il ne sera question que de cet élan russe. Dans un deuxième volume à paraître, il sera montré comment celui-ci s’est réalisé, en Russie puis en Union soviétique, mais aussi au-delà. Le monde occidental s’élance lui aussi à la conquête de l’espace, mais les motivations profondes de cette entreprise lui échappent. Même l’Union soviétique ne comprit pas le rêve russe initial. C’est alors que l’espace fut réduit à des enjeux militaires, et la fascination qu’il suscita naguère auprès du grand public en ressortit très affaiblie en fin de xxe siècle. Ainsi, dans un troisième et dernier volume, nous exposerons comment mais surtout pourquoi revitaliser l’intérêt pour la conquête spatiale. L’humanité a sombré dans un terrible pessimisme après les deux guerres mondiales du xxe siècle, à tel point qu’elle aurait désormais honte de coloniser d’autres mondes. Ce qui ne l’empêcha pas de s’abîmer dans un consumérisme destructeur de notre planète. Dans de telles dispositions morales, il vaut mieux en effet prévenir l’humanité de conquérir d’autres planètes, si elle n’est capable de rien d’autre que d’exploiter.

Mais ce n’est pas ce à quoi nous enjoint la philosophie de la conquête spatiale, telle qu’elle fut formulée dès la fin du xixe siècle russe par les tenants de ce que l’on appelle le « cosmisme russe ». Pour des penseurs comme Nikolaï Fiodorov ou Vladimir Odoïevski, il s’agit bien plutôt de donner un nouvel objectif aux sciences, celui de faire grandir l’humanité en lui donnant accès à l’infini. Nous souffrons sur Terre de misère morale, la misère économique n’en étant que la conséquence. L’espace infini doit nous donner un nouveau souffle optimiste en proposant quelques solutions aux grands défis de notre siècle : protéger l’environnement, rompre avec les concentrations urbaines, ou faire triompher la démocratie en prise avec une technocratie imbue de sa science. Il s’agit exactement des mêmes défis que ceux auxquels firent face les intellectuels du xixe siècle, en Russie ou ailleurs, à la différence près que ces derniers avaient confiance en l’homme. Si nous pouvions allier l’amour de l’humanité à nos moyens techniques actuels, il naîtrait une nouvelle science, un nouveau rapport au monde et à la nature, une nouvelle place donnée à l’homme dans la nature, à la fois morale et sans limite.

Il ne s’agit pas de démesure. Au contraire, il s’agit de s’accorder avec la véritable nature illimitée de l’homme, pour qui toute frontière est mesquine. Par humanisme, certains combattirent le nationalisme. Toujours par humanisme, la philosophie de la conquête spatiale exige d’abolir toutes frontières. Nous vous proposons de le découvrir en poursuivant la lecture : répondre à l’appel des espaces cosmiques est le seul humanisme répondant aux défis nouveaux de notre temps.

Chapitre1 L’impératif cosmiquerusse

1 Introduction

1.1 Voyager dans l’espace cosmique en 1903 ?

Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.

Mark Twain

Commençons par un fait intrigant. En mai 1903, Konstantin Tsiolkovski (1857 - 1935) publie dans le mensuel Nauchnoe obozrenie1, un article intitulé L’exploration de l’espace cosmique par des engins à réaction. Pourquoi vouloir construire un engin à réaction pour voyager dans l’espace intersidéral alors que le premier vol motorisé dans les airs (17 décembre 1903) n’a même pas encore eu lieu ? Ne paraît-il en effet pas insensé dans ce contexte historique d’appeler à construire un immense « instrument de musique à vent » expulsant à très haute vitesse par ses tuyères un mélange de propergols en combustion (mélange par ailleurs toujours utilisé aujourd’hui) ? L’expulsion du gaz permet en effet de produire par réaction une poussée progressive arrachant « l’instrument » à l’attraction terrestre tout en assurant la survie d’un équipage, ce que ne permet pas par exemple le tir de canon imaginé par Jules Verne. Tsiolkovski ne semble pas douter un seul instant que l’organisme humain puisse résister aux conditions d’apesanteur, ce qui était loin de faire l’unanimité à son époque. Seuls les premiers animaux envoyés dans l’espace (des chiens côté soviétique, des singes côté étasunien) confirmeront cette intuition. En plus du problème de la propulsion, Tsiolkovski anticipe toutes les difficultés de guidage de l’appareil, ainsi que le besoin de refroidir les tuyères tout en évitant une condensation des gaz expulsés trop proche de la sortie des tuyères. Compte tenu de la complexité à rééquilibrer manuellement en continu la verticalité de la poussée, Tsiolkovski propose alors un guidage automatique contrôlant le débit massique en sortie de chacune des tuyères. Il s’agit donc du premier véhicule sans volant proposé dans l’histoire ! Ce sont toutes ces questions naïves et touchantes (à quoi ressemblerait une fusée, faut-il y installer un volant ?) qui sont posées dans l’article fondateur de Tsiolkovski. Dans ce premier effort dans l’histoire de concevoir une fusée, on relève à la fois une grande expertise technique, un effort littéraire pour donner à voir au lecteur ce qui n’a jamais été ni dessiné ni imaginé auparavant, et une profonde émotion à se représenter dans un avenir proche la possibilité pour l’espèce humaine d’accéder à un monde infini. Mais n’oublions pas l’élément le plus important caractérisant ce texte de Tsiolkovski, et qui constituera le dénominateur commun à tous les auteurs et théories philosophiques qui seront présentés dans cet ouvrage : le sentiment d’avoir répondu à la plus haute exigence morale en offrant à l’homme la perspective de l’infini. C’est ce qui justifie dans notre titre l’expression d’impératif cosmique.

1.2 Un impératif universel, mais la Russie pionnière

En quoi l’impératif cosmique peut-il être considéré comme spécifiquement russe ? La France, à travers la science-fiction de Jules Verne ou de Camille Flammarion, ne pourrait-elle pas être considérée comme un précurseur ? Certes, dans son article fondateur de l’astronautique, Tsiolkovski répond à Jules Verne et il avait Flammarion dans sa bibliothèque. Cependant, tant dans ses articles scientifiques que dans la science-fiction qu’il écrivit, Tsiolkovski était empreint de réalisme. L’ensemble des solutions scientifiques qu’il proposa sont toujours utilisées à ce jour pour propulser une fusée et les premiers cosmonautes russes qui lurent la science-fiction de Tsiolkovski après leur expérience de vol furent tous fascinés par la justesse de ses descriptions. Il n’y a rien de fictif dans la production de Tsiolkovski. Mais son réalisme va encore au-delà. La conquête spatiale joue pour lui un rôle indispensable pour le développement harmonieux de l’humanité. C’est même une exigence pour ici et maintenant, et ce dès la fin du xixe siècle après qu’il fut instruit de la philosophie de son mentor Nikolaï Fiodorov (1839–1903). L’impact de Fiodorov sur Tsiolkovski fut manifestement très important. D’une part, Fiodorov s’était attaché à l’étudiant Tsiolkovski devenu quasiment sourd à la suite d’une scarlatine contractée dans son enfance, ce qui l’empêcha de mener à bien des études classiques. D’autre part, Tsiolkovski reconnaissait Fiodorov comme son professeur et la bibliothèque comme son université. Il se réunissait alors régulièrement avec d’autres enthousiastes à un club de discussion animé par Fiodorov après les horaires de fermeture de la bibliothèque2. Fiodorov aurait explicitement mandaté Tsiolkovski de trouver les solutions physiques et mathématiques permettant à l’homme de voyager dans l’espace, afin de découvrir de nouvelles planètes et remédier au problème de la surpopulation3. Dans une plus large mesure, Fiodorov appelle l’ensemble de l’humanité à s’unir fraternellement dans l’effort devant lui permettre de s’arracher à son berceau terrestre. Ainsi, la victoire contre le malthusianisme est double : le problème de surpopulation est résolu mais surtout, sans limitation d’espace et de ressources, la concurrence entre les hommes est dissoute, permettant l’établissement d’un nouvel ordre social fraternel. Malgré la portée universelle de cette philosophie dite « cosmiste », Tsiolkovski demeure persuadé que seule la Russie sera capable de montrer le chemin du salut pour l’humanité. Ainsi, tout au long de son vivant il prophétise que le premier homme à aller dans l’espace sera russe.

Un contemporain de Tsiolkovski, Alexandre Bogdanov4, auteur de l’utopie L’étoile rouge (1908), symbole de Mars repris par toute l’iconographie soviétique, fait dire à l’humanité martienne en recherche d’un représentant de l’humanité terrienne capable de comprendre l’organisation sociale martienne qu’il n’y a qu’en Russie qu’il est possible de trouver un tel homme. Les Martiens précisent explicitement qu’il n’y a rien à attendre de la France, ce que nous comprenons comme le deuil de l’amour russe pour la civilisation française, pourtant chérie depuis le début du xviie siècle à un point tel que la noblesse russe savait mieux s’exprimer en français. C’est au peuple russe désormais de faire émerger une nouvelle conscience morale qui ne tolère aucun compromis. S’il n’est plus possible de compter sur la France, seuls ses héritiers culturels russes sont susceptibles d’élever les valeurs morales de l’humanité et, à l’instar de la philosophie chrétienne de Pascal, lui faire accéder aux deux extrêmes limites de la nature, le microcosme et le macrocosme.

Mais il ne s’agit plus cette fois-ci d’y accéder seulement par l’esprit, mais aussi par notre action. Le cosmos doit devenir le terrain de notre action, de même qu’il n’y a aucun sens à circonscrire l’humanité tout entière au territoire d’une seule île parmi toutes les terres émergées. « La Terre est le berceau de l’humanité » nous dit Tsiolkovski, mais « on ne peut pas passer sa vie entière dans son berceau ». C’est l’inconséquence morale de l’humanité encore capable de mener la guerre contre elle-même au lieu de contempler l’immensité de la nature sur laquelle elle n’a encore aucune prise qui nous maintient dans un état d’enfance et d’impuissance à quitter notre berceau. La conquête spatiale provient directement d’une inspiration mystique désireuse de concilier le point de vue scientifique, révélant la majesté cosmique de la nature, avec l’aspiration chrétienne de faire de toute l’humanité un corps uni fraternellement, ou une unique et grande famille5.

Du fait de sa dimension religieuse, l’impératif cosmique est russe aussi au sens où il ne saurait être soviétique. En effet, le cosmisme est incompatible avec l’idéologie soviétique, cette dernière refusant à l’homme toute aspiration mystique pour se concentrer sur l’efficacité de la production industrielle. C’est pourquoi nous parlons d’un impératif cosmique russe.

1.3 Et comment disons-nous espace en russe ?

La langue russe elle-même est restée fidèle à Pascal dans son expression du mot espace, qui se traduit en russe par kosmos. Contrairement au sens qui est donné à ce terme dans les langues occidentales, le kosmos ne s’abîme pas dans une conception exclusivement géométrique de l’espace, dans lequel la physique newtonienne calcule la trajectoire d’un objet. Kant ratifie philosophiquement cette conception abstraite de l’espace en l’érigeant en « a priori de notre sensibilité », ou simple canevas permettant de spatialiser nos perceptions. Mais cette objectivation de l’espace ne rend nul compte de notre rapport sensible à celui-ci, comme par exemple les sentiments de confinement ou d’immensité. Ainsi, espace en français, space en anglais ou Weltraum en allemand (étymologiquement proche de l’anglais room) font chacun principalement référence à un espace volumique vide, absolu, euclidien, découpable en coordonnées mathématiques cartésiennes. Or, la langue russe distingue quant à elle très clairement l’espace volumique euclidien (prostranstvo) de l’espace cosmique (kosmos). Occidentaux et Russes pensent-ils la même chose lorsqu’ils parlent de l’espace cosmique ?

Le mot français espace désigne aussi bien l’espace cosmique qu’un lieu où il y a de la place. Quand on fait le vide dans une pièce, on gagne de l’espace. Sur Terre, cet espace est accueillant. Mais l’espace cosmique est en revanche un espace irrémédiablement coupé de nous, c’est un vide qui nous fait face. On peut certes physiquement occuper l’espace cosmique comme celui d’une pièce dans laquelle on a fait de l’espace, mais cet espace cosmique est inhospitalier et terriblement silencieux comme le fait remarquer Pascal dans l’une de ses pensées. En effet, Pascal a été témoin à son époque d’un changement radical dans la façon d’aborder les sciences physiques, et incidemment l’espace. En recherchant expressément une harmonie musicale à l’origine de la distribution des orbites planétaires autour du Soleil, Kepler découvrit trois relations mathématiques fondamentales décrivant leurs orbites elliptiques. Mais les trois lois keplériennes furent redémontrées et supplantées par la sobre et mathématique physique newtonienne.

Certes, la gravitation universelle de Newton a soulagé l’esprit humain en élargissant le règne harmonieux des lois mathématiques jusqu’à notre environnement direct. Elle anéantit la physique aristotélicienne qui distinguait entre un règne physique sublunaire (en deçà de l’orbite lunaire) s’appliquant à de la matière corruptible et chaotique, et un règne physique supralunaire s’appliquant à de la matière incorruptible et descriptible par des lois mathématiques idéales et immuables. Mais en élevant la physique terrestre à l’incorruptibilité de la physique supralunaire, les newtoniens ont aussi retiré de la physique l’étude de la force vitale présente dans la nature, aussi spontanée que le jaillissement des pensées dans notre âme. Or, c’est éminemment cette force vitale qui passionnait les alchimistes et les cosmistes russes. La nature vue par les newtoniens6 a perdu son caractère anthropocentré, elle peut désormais vivre sans nous, demeurant totalement assujettie aux seules lois mathématiques. L’homme est alors lui-même convié à se laisser décrire comme une pierre qui chute. Et lorsque l’homme se pique d’étudier la nature, il doit s’abstraire d’elle, se considérer à l’extérieur de celle-ci afin que sa connaissance demeure « objective »7. Mais le cosmos n’est nullement accessible à la connaissance objective, il n’est accessible qu’à la vie qui l’éprouve.

Kepler voyait encore dans le cosmos un environnement musical destiné à notre écoute, qui, si elle était bien attentive à la beauté du monde, serait aussi capable d’en extraire ses secrets. Le cosmos est un sujet parlant chez Kepler. Avec Descartes, les newtoniens et finalement Kant, le cosmos a définitivement disparu en Occident pour faire place à l’espace, un objet qui nous fait face et que nous pouvons décider de maintenir à distance. Le sens grec du cosmos ou cette harmonie à préserver dans la philosophie occidentale contemporaine n’a pas pour autant disparu, mais se situe à une autre échelle : le cosmos se réduit à notre planète à chérir et à protéger et rien au-delà.

Or, dans la culture russe, l’espace n’existe pas. Il existe bien le mot prostrantsvo correspondant au mot espace dans nos langues occidentales, mais ce mot est réservé en russe à l’espace géométrique. Il est par exemple utilisé dans la traduction russe d’espace euclidien. Mais, tout comme les Grecs anciens, les Russes ne confondent pas espace géométrique et cosmos. On peut trouver à la rigueur l’expression d’espace cosmique (kosmicheskoe prostranstvo), mais seulement dans un contexte technique, pour désigner l’espace intersidéral ou une zone extrêmement peu dense en matière. Dans le langage courant, on parle tout simplement de cosmos, comme en français on parle tout simplement d’espace. Par exemple, l’agence spatiale russe s’appelle Roskosmos, contraction en un seul mot de Rossiya (Russie) et de kosmos. Néanmoins, relevons dans le titre de l’article fondateur écrit par Tsiolkovski en 1903 l’expression d’exploration de « l’espace mondial par des engins à réaction » (issledovanie mirovykh prostranstv reaktivnymi priborami). Nous ne connaissons aucune autre occurrence de cette expression dans la littérature. Le mot mir signifie en russe à la fois la paix et le monde dans un sens métaphorique, indissociable de la représentation subjective humaine, comme dans l’expression « le monde des enfants ». Si l’on veut un sens objectif du monde, désignant par exemple la planète Terre, on emploiera le mot svet, signifiant aussi par ailleurs la lumière. Le monde désigné par svet est concret, a une existence indépendante de l’homme. Le monde mir dépend de l’appréhension humaine. Ainsi, dans son article fondateur de l’astronautique mondiale, Tsiolkovski dit ouvrir à l’humanité la totalité de l’espace mondial au sens de mir, signifiant implicitement que le le monde dans lequel nous vivions auparavant était tronqué, incomplet. L’astronautique n’ouvre alors pas de nouvel espace, elle rétablit l’intégrité physique de l’espace mondial auparavant inaccessible dans sa totalité. À la suite de Tsiolkovski, le terme plus simple de kosmos s’impose incontestablement dans la langue russe et se comprend comme un espace potentiellement humanisable, en nette opposition avec l’espace géométrique objectif désigné par espace dans les langues occidentales.

Pour conclure sur le rejet de la réduction du cosmos à l’espace géométrique euclidien, soulignons que la culture russe a très tôt combattu également sur le terrain scientifique l’objectivité de la conception d’un cosmos euclidien. En 1837, Nikolaï Lobatchevski publie en français l’article Géométrie imaginaire dans lequel il présente une géométrie non euclidienne, classée aujourd’hui comme géométrie hyperbolique. Ainsi, sur le plan scientifique, géométries euclidienne et non euclidienne deviennent deux systèmes mathématiques mis sur le même plan, mais sans qu’aucun des deux ne soit celui de la réalité. Cela n’a pas échappé à Fiodor Dostoïevski, qui, dans Les frères Karamazov8, fait dire à Ivan Karamazov, athée provocateur, que sa représentation de l’espace ne saurait aller au-delà de la géométrie euclidienne, à l’instar de l’esthétique transcendantale kantienne qui y enferme par essence nos facultés humaines de l’entendement.

Considérons maintenant un terme conceptuellement voisin du cosmos : l’univers ou vselennaya en russe. À nouveau, l’appréhension des deux termes est radicalement différente. En français, l’univers a un sens étroitement objectif de totalité de l’étant ramené à l’unité par l’esprit qui en saisit abstraitement par ce terme tous ses éléments. Mais à quoi pensons-nous exactement lorsque nous employons le terme d’univers ? Apparaît-il dans sa totalité sous forme d’image à notre esprit ? Une galaxie peut être imagée dans notre esprit, mais l’univers évidemment non. Le terme vselennaya n’a en revanche rien d’un concept abstrait impossible à imager dans l’esprit, alors qu’il désigne pourtant lui aussi le monde total. Vselennaya est le participe passé du verbe vselit’ qui signifie « installer dans ». En somme, l’univers est un lieu qui nous accueille et plus largement qui accueille la vie. Ce lieu accueillant qu’est l’univers n’a aucune raison objective de se limiter à la Terre. En d’autres termes, les conditions d’accueil de la vie sur Terre ne sont nullement indépendantes du reste de l’univers. La Terre n’est-elle pas plongée dans un espace cosmique qui nourrit à chaque instant sa surface, ne serait-ce que par le rayonnement cosmique solaire ? Comment nier que les conditions mêmes de la vie, ce qui permet in fine à l’homme de prononcer le mot univers, soient cosmiques et situées bien au-delà de la Terre ?

2 La genèse du mouvement cosmiste

2.1 Genèse du terme « cosmisme »

L’impératif cosmique est une idée phare du mouvement philosophique nommé « cosmisme russe » par les commentateurs dans les années 1980-1990. La première anthologie de textes consacrée à ce mouvement, intitulée Russki kosmizm, est éditée en 1993 par Svetlana Semionova et Anastasia Gacheva. Cette anthologie démarre avec le précurseur du slavophilisme et fondateur du premier cercle philosophique en Russie Vladimir Odoïevski (1803-1869), et se termine avec un logicien russe encore vivant à ce jour. Semionova a également édité pour la première fois en 1982 une collection d’oeuvres de Nikolaï Fiodorov, considéré comme le penseur cosmiste le plus emblématique pour avoir proposé l’exploration spatiale comme cause commune pour rassembler fraternellement toute l’humanité. Saluons l’opiniâtreté de Semionova qui, malgré l’hostilité du régime soviétique, révéla au public russe l’un des piliers de sa culture moderne, ou l’unique philosophie prérévolutionnaire qui sut se frayer un chemin au travers de la tyrannie matérialiste bolchévique. En effet, les récents succès de la conquête spatiale ne permettaient plus d’ignorer la véritable origine culturelle de l’aspiration russe de partir à la conquête du cosmos, que les dirigeants soviétiques ont dû réaliser malgré eux pour ne pas froisser un enthousiasme planétaire qu’ils étaient initialement loin d’imaginer, tout comme leurs homologues politiques américains.

2.2 Le mouvement slavophile

L’idée de conquête spatiale naît des débats slavophiles, recherchant une identité culturelle russe et sa mise à l’écart de l’influence culturelle occidentale suite à l’invasion napoléonienne de 1812. Ainsi, la philosophie cosmiste est tout autant une reprise de la critique slavophile de la philosophie occidentale dominante au xixe siècle, à savoir la philosophie des « Lumières », et une affirmation d’une alternative spécifiquement russe à cette façon de penser, appelant notamment pour la première fois l’humanité à partir à la conquête du cosmos. Il s’agit de comprendre la perception russe du délitement moral de l’Occident. La première grande cause de ce délitement moral est la promotion philosophique de l’autonomie de la raison, prétendant même démontrer la morale, alors que selon le christianisme la morale est connue exclusivement par le cœur et n’exige aucune intelligence. La deuxième grande cause du délitement, qui provient partiellement de la première, est la préférence donnée à la production industrielle, à l’intelligence qui modélise et rationalise la nature, plutôt que de cultiver une âme ascétique et parfaire ses qualités morales. La révolution française, la prise du pouvoir par Napoléon et la provocation militaire pour s’assurer des avantages commerciaux, sont jugées par les slavophiles être des conséquences de deux causes sus-mentionnées. À défaut d’évoquer toute la littérature slavophile, contentons-nous ici de citer Odoïevski et tout particulièrement son œuvre Les nuits russes (publiée en revues dans les années 1830) résumant les causes du déclin moral occidental :

•Le retour amorcé par la Renaissance à la philosophie païenne antique prônant l’autonomie de la raison et engloutissant la loi du cœur (ou nouvelle philosophie dite des « Lumières ») ;

•la justification rationnelle de la suppression de l’homme par l’homme (malthusianisme)9 ;

•la justification rationnelle de la supériorité de forces naturelles aveugles sur nos tentatives conscientes de régulation par la raison (théorie économique du laisser-faire et main invisible d’Adam Smith en économie ou darwinisme social en politique)10 ;

•la substitution du sacré et de la vertu par le travail producteur de biens de consommation (économie libérale, marxisme, bolchevisme ou anarchisme insurrectionnel russe)11 ;

•la suppression délibérée du phénomène du vivant dans l’étude scientifique de la nature pour ne plus se satisfaire que de descriptions mathématiques12.

2.3 Rejet inconditionnel du malthusianisme

La doctrine de Malthus entend pallier le différentiel entre la croissance rapide de la population humaine (progression géométrique) et celle plus lente des ressources (progression arithmétique) en préconisant une restriction volontaire de la natalité. Mais quelle est la réalité de ce formalisme mathématique, perpétuellement démenti par l’ingéniosité de l’espèce humaine trouvant de nouvelles ressources pour assurer la croissance de sa population ? La seule réalité de la théorie de Malthus est le pessimisme et l’ignorance crasse dans le pouvoir de la technique. Que nous propose alors le slavophilisme optimiste et amoureux de l’homme, comme réponse à la raréfaction des ressources et à la concurrence qu’elle suscite entre les hommes ?

Peut-être faut-il commencer par constater que le monde physique lui-même est infini, pour peu que l’on cesse comme Malthus de regarder les ressources à ses pieds et que l’on lève la tête au ciel au sens propre comme au figuré13. Mais c’est aussi une nouvelle dimension que prend l’homme dès lors que l’on accepte sa dimension pascalienne, s’étendant du microcosme au macrocosme. Dans sa nouvelle L’an 4338, Odoïevski présente à travers le regard d’étudiants chinois une Russie qui a été capable de vaincre ses difficiles conditions climatiques en détournant vers elle les vents chauds de la planète et vers l’équateur les vents frais, afin que chaque contrée bénéficie des conditions les plus agréables. Des expéditions sont menées sur la Lune pour y puiser des ressources, la poésie est omniprésente, et un citoyen américain de visite en Russie s’étonne de la gratuité de la vie. Seule la Chine suit la Russie dans la voie d’une humanité fraternelle, alors que l’Occident corrompu a vendu ses propres terres aux spéculateurs et ne dispose plus des ressources morales qui lui permettraient de se rendre compte de sa propre misère. À l’aide de cette régulation de la nature et de la pacification des mœurs humaines, avec qui plus est un possible accès aux ressources cosmiques au-delà du proche environnement terrestre, l’inquiétude malthusienne est dissoute sans coup férir.

Cependant, Nikolaï Fiodorov va porter au-delà l’oeuvre d’Odoïevski en faisant de la conquête spatiale le moyen même d’accéder au sentiment fraternel universel. La conquête spatiale devient alors une « cause commune » (obshchee delo), point cardinal de la pensée de Fiodorov dont l’œuvre unique a été baptisée à titre posthume La philosophie de la cause commune. Tandis que chez Odoïevski, ce sont les mœurs naturellement supérieures du peuple russe qui lui ont permis d’établir, au préalable de tout progrès technique, une société fraternelle qui n’accepte de vérité que celle révélée par le sentiment poétique14. C’est seulement dans un second temps que la société russe parviendrait à une maîtrise rationnelle inégalée de la nature, au-delà de toutes les ambitions dites rationnelles des Lumières, dont l’intelligence est muselée en refusant aux sentiments de collaborer avec, voire de guider la raison. Notre capacité d’accéder à l’espace est pour le peuple russe une évidence, et le problème malthusien ne se pose jamais dans une société authentiquement fraternelle qui n’abandonne pas son prochain.

3 Le cosmisme, révolutionnaire d’une autre révolution

En tant que philosophie qui se revendique chrétienne, le cosmisme ne pouvait nullement s’accommoder avec le bolchevisme. Néanmoins, faut-il penser que le cosmisme était réfractaire à tout mouvement révolutionnaire ? On ne trouve aucune défense du droit divin ni de sympathie avec le tsarisme dans la pensée cosmiste, ce qui laisse ce mouvement de pensée ouvert à de grandes transformations sociales. Mais pas à celles proposées par le bolchevisme, qui ne représente que la contre-révolution d’octobre 1917. Avant cela, la Russie a connu la révolution ratée de 1905 et celle réussie de février 1917. Contrairement à la révolution bolchévique, les deux précédentes avaient l’assentiment populaire et étaient compatibles avec la philosophie cosmiste. Qui plus est, le communisme non corrompu par des finalités de production matérielle n’a en toute logique aucune raison de s’opposer à l’idéal d’une communauté fraternelle, bien au contraire. On pourrait ainsi considérer le christianisme et les premières communautés chrétiennes fondées par Paul, telles qu’elles sont décrites dans les Actes des Apôtres, comme le premier exemple historique de communisme.

Citons donc deux révolutionnaires russes marqués par les idées cosmistes, révolutionnaires d’une autre révolution.

3.1 Bogdanov, révolutionnaire de 1905

Alexandre Bogdanov participa aux manifestations révolutionnaires russes de 1905 et fonda avec Lénine le parti bolchévique. Mais assez rapidement, Lénine accusa sa philosophie de s’éloigner du matérialisme dialectique jusqu’à le mettre à l’écart du parti. Dégoûté de l’action politique, Bogdanov ne prit aucune part à la contre-révolution bolchévique d’octobre 1917.

Dans son utopie L’étoile rouge (1908), déjà critiquée par Lénine, Bogdanov décrit l’organisation sociale d’une humanité martienne s’étant développée indépendamment et plus vite que l’humanité terrienne en direction d’un communisme fraternel planétaire accompli15. Les échanges sanguins entre membres de la société martienne permettent d’améliorer leur santé respective16, et de témoigner de façon presque charnelle leur sentiment fraternel. Si les Terriens ne suivent pas l’exemple martien alors que les transfusions sanguines sont déjà opérantes sur Terre, ce serait justement à cause de la faiblesse de leur sentiment fraternel. En ce qui concerne cette idée, Bogdanov ne se cantonna pas à l’utopie puisqu’il se consacra aussi à la fondation du premier centre de transfusion sanguine au monde, où il tenta de mettre à l’épreuve ses théories médicales sur le bénéfice des échanges sanguins17.

Le développement technologique n’est qu’une question de temps et il n’est pas du tout l’enjeu majeur de l’utopie de Bogdanov. Néanmoins, une société qui a surmonté grâce aux sciences tous les dangers extérieurs menaçant sa survie devra inévitablement faire face à un nouveau défi — un danger interne propre à la pression exercée par la vie (modélisée par Vladimir Vernadski dans La biosphère) — trouver la place nécessaire pour l’accroissement sans limite de l’espèce humaine. Comment réagir face à l’épuisement accéléré des ressources et le manque d’espace auxquels feront inévitablement face les membres de la société grandissante ? La solution est évidente, même si elle consiste en un nouveau et immense défi même pour la société martienne. Lever les yeux et constater que l’espace est en réalité infini. Sans douter de leur capacité à découvrir les solutions techniques nécessaires, les Martiens partent à la conquête de l’espace en vertu de l’impératif moral à venir en aide à son prochain. L’espace cosmique n’est ainsi jamais qu’un moyen de satisfaire à cet impératif.

Mais la lutte avec les forces aveugles de la nature ne s’avère ainsi jamais achevée, toujours transportée plus loin. Le succès lui-même engendre un nouveau défi plus immense encore. En réalité, c’est un trait indispensable et positif caractérisant une véritable utopie que de ne pas se muer en dernière instance en dystopie. C’est un risque permanent par l’entremise du cauchemar malthusien, toujours prompt à jouer les Cassandre et à miner le sentiment sacré de la foi qui déplace les montagnes. Il faut au contraire se réjouir d’être toujours contraint au dynamisme perpétuel, de n’avoir jamais l’opportunité de stagner, d’être durable ou de se reposer sur ses acquis. L’étoile rouge présente une société humaine véritablement utopique puisqu’elle n’est pas condamnée à un marasme bienheureux.

Cependant, le caractère véritablement utopique, original, et qui à notre sens fait toute la valeur de L’étoile rouge, ne se résume pas à une confiance absolue dans la capacité de l’homme à trouver des solutions techniques aux défis qui s’imposent à lui. Dans la société martienne, l’homme s’est enfin décidé à aimer sans aucun compromis son prochain. Il a réussi à progresser techniquement en premier lieu grâce à son génie moral, le conduisant d’une part à ne pas refuser un défi même s’il paraît immense, et d’autre part à être capable de rassembler constructivement toutes les forces de l’humanité. C’est ce dernier aspect qui est authentiquement utopique, le progrès technique étant inévitable si toute l’humanité y participe collectivement. Mais en revanche, mis à part la traditionnelle menace extérieure, par quel miracle l’homme abandonnerait son égoïsme pour se rassembler fraternellement ? Faisons fi du compromis malthusien, ce serpent de mer se manifestant dès que la raréfaction d’une ressource — le bois, puis le charbon, puis le pétrole, puis pourquoi pas l’uranium, l’espace pour poser des panneaux solaires, des éoliennes ou des barrages électriques — se fait sentir. Invariablement, le génie humain met à disposition de nouvelles ressources, comme la fusion nucléaire pour notre société actuelle, ou l’antimatière dans L’étoile rouge. L’histoire le prouve continuellement, la foi dans la capacité des sciences à déplacer les montagnes ne nous a jamais trahis. Une soixantaine d’années après l’écriture de L’étoile rouge, la science nous a permis de marcher sur la Lune. Les cosmistes n’en demandaient finalement pas tant aussi vite. L’histoire est d’une certaine façon allée au-delà de leurs rêves les plus fous. Ainsi, le caractère véritablement utopique de L’étoile rouge consiste à avoir considéré comme déjà acquis le sentiment fraternel planétaire. Comme la science demeurera de toute façon toujours impuissante à établir par elle-même le sentiment fraternel, comment alors l’obtenir ? La science ne peut en être au mieux qu’un catalyseur en améliorant nos conditions de vie. Mais nous voyons bien aujourd’hui, un siècle plus tard, que le confort du monde moderne ne nous a en rien rapprochés du monde fraternel rêvé. Bogdanov avait prévu ce développement. L’étoile rouge ne nous est d’aucun secours tant que ne nous est pas livrée la méthode pour transfigurer notre société en fraternité planétaire. Alors Bogdanov compléta L’étoile rouge par une nouvelle expérience littéraire, le préquel L’ingénieur Menni