L’initiation chrétienne hier et aujourd’hui - Collectif - E-Book

L’initiation chrétienne hier et aujourd’hui E-Book

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EditorialLe 26 septembre dernier, une journée d’études, co-organisée avec la Luxembourg School of Religion & Society, en lien avec le Service du catéchuménat de l’archidiocèse de Luxembourg et l’Amicale des étudiants en théologie de Metz, que nous remercions, a rassemblé un public nombreux de patrologues et d’acteurs de la catéchèse et de la pastorale à Metz. Nous en publions les Actes dans ce numéro. L’initiation chrétienne chez les Pères de l’Église n’est pas sans analogie avec le catéchuménat, qui a été restauré par le concile Vatican II, qui a justement effectué un retour aux Pères de l’Église. Force est, en effet, de noter une double analogie, d’une part quant à l’âge : l’initiation chrétienne et le catéchuménat interviennent à l’âge adulte, ce qui suppose une formation complète, d’autre part, le contexte dans lequel ils s’effectuent : s’il est différent en fonction de l’époque, il n’en est pas moins proche, dans la mesure où le catéchuménat ne se situe plus par rapport au paganisme antique, mais face aux nouvelles religiosités (1), qui, sur certains points, n’en sont pas très différentes, ce qui amène à réfléchir sur la notion d’initiation, comme l’a fait Louis Bouyer (2) et comme le réalise ici Jean-Marie Brauns, qui a consacré sa thèse à la question. Dans ces conditions, nous comprenons qu’il n’est pas inutile de revisiter les textes des Pères, les méthodes qu’ils ont proposées, non pas tant pour les reprendre comme telles, que pour voir leur apport et les mettre en perspectivepour aujourd’hui. Tel est l’objectif du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes que présente Daniel Laliberté. Il est seulement dommage que, mis à part le récit d’Égérie et les découvertes archéologiques, étudiées, en particulier, par Victor Saxer (3), on ne dispose pas d’informations précises sur le déroulement de l’initiation chrétienne, sur les échanges qui sont intervenus entre les catéchumènes et leurs accompagnateurs, si ce n’est dans le De catechizandis rudibus, la grande catéchèse d’Augustin. Si les convergences sont importantes entre hier et aujourd’hui, une différence intervient, cependant, quant au statut des catéchumènes dans la communauté. Si, dans les premiers siècles, les catéchumènes constituaient les communautés naissantes et leur rappelaient chaque année, à Pâques, la création nouvelle qui se réalise par le baptême, aujourd’hui, « ils transforment davantage la communauté établie et lui redisent son incessante démarche de conversion, lui rappelant qu’elle existe par grâce (4) ». À partir de ces quelques remarques préliminaires, qui seront complétées par les différents articles de ce numéro, on remarque déjà que l’initiation chrétienne a non seulement un enjeu personnel qui permet au nouveau converti de trouver son identité chrétienne, mais également un enjeu ecclésiologique, du fait que le nouveau baptisé s’insère dans la communauté et la transforme, comme le montre Bruno Hayet. En lien avec les recherches déjà menées dans le cadre de la catéchèse (CPE n° 91) et de la mystagogie (CPE n° 126), ce numéro donne un aperçu de l’initiation chrétienne dans les premiers siècles. Mgr Job de Telmessos explique à quel point elle est restée vivante dans l’Église d’Orient avec le caractère indissociable des trois sacrements de l’initiation. Mgr Roland Minnerath précise comment, dans le diocèse de Dijon, la confirmation reprend sa véritable place parmi les sacrements de l’initiation. Michel van Parys, Emmanuel Bohler et Philippe Molac rappellent l’apport des Cappadociens, respectivement de Grégoire de Nysse et de Basile de Césarée, Patrick Muller fait ressortir celui de Jean Chrysostome. Il reste un auteur qui a beaucoup apporté dans un style différent, c’est Augustin d’Hippone. Aussi reprendrons- nous les grandes lignes de sa Première catéchèse, qui est originale, mais moderne, et pourrait servir dans le catéchuménat actuel. Nous noterons simplement ici la différence entre les catéchèses baptismales et les catéchèses mystagogiques dans l’initiation chrétienne aux premiers siècles. Si les catéchèses baptismales des Pères constituent à proprement parler l’initiation chrétienne, les catéchèses mystagogiques, qui interviennent après le baptême, ont pour fonction d’expliquer aux nouveaux baptisés les sacrements qu’ils sont en train de vivre : le baptême, la chrismation et l’eucharistie. Aujourd’hui, la mystagogie prend un nouvel essor dans le catéchuménat. Elle est plus répandue que chez les Pères et fait l’objet de différentes expérimentations aujourd’hui, comme l’a expliqué Louis-Marie Chauvet dans le numéro 126 de Connaissance des Pères de l’Église consacré à la mystagogie ou encore, comme le propose Christian Salenson dans son ouvrage intitulé Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui. Habiter l’eucharistie (Bayard, 2008). L’intérêt tient ici à l’immersion immédiate du nouveau baptisé, voire du catéchumène, dans la communauté et à un dialogue, expliquant les différents gestes qui sont posés. Mais je ne voudrais pas anticiper l’article de François-Xavier Amherdt, qui a travaillé sur la catéchèse intergénérationelle et le chemin néo-catéchuménal pour tous dans l’esprit des Pères de l’Église, ni celui de Renée Schmit qui présentera un exemple original et parlant, celui de Nicolas Cabasilas, ce laïc qui au xive siècle a proposé une vie en Christ pour tous.
Marie-Anne VANNIER
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SOMMAIRE
1. Cf. J.-M. Verlinde, Le christianisme au défi des nouvelles religiosités, Paris, Presses de la Renaissance, 2002.2. L. Bouyer, L’initiation chrétienne, Paris, Cerf, 1958.3. V. Saxer, Les rites de l’initiation chrétienne du iie au vie siècle. Esquisse historique et signification d’aprèsleurs principaux témoins, Spolète, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, vol. VII, 1988.4. A. Rouet, Catéchuménat. Un chemin de vie, Paris, Cerf, 2000, p. 1.

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« Le baptême est une splendeur pour les âmes, un changement de vie, le don fait à Dieu d’une conscience bonne. Le baptême est une aide pour notre faiblesse, l’obéissance à l’Esprit, la communion au Verbe, la restauration de la créature, la purification du péché, la participation à la lumière, la destruction des ténèbres ; le baptême est un char qui nous conduit vers Dieu, une mort avec le Christ, l’appui de la foi, la perfection de l’esprit, la clef du royaume des cieux, le changement de vie, la fin de notre servitude, la délivrance de nos liens, la conversion de nos moeurs. Le baptême (pourquoi poursuivre cette énumération ?) est le plus beau et le plus magnifique des dons de Dieu […].

Nous l’appelons don, grâce, baptême, onction, illumination, vêtement d’incorruptibilité, bain de régénération, sceau, et tout ce qu’il y a de plus précieux. Don, parce qu’il est conféré à ceux-là qui n’apportent rien ; grâce, parce qu’il est donné même à des coupables ; baptême, parce que le péché est enseveli dans l’eau ; onction, parce qu’il est sacré et royal (tels sont ceux qui sont oints) ; illumination, parce qu’il est lumière éclatante ; vêtement, parce qu’il voile notre honte ; bain, parce qu’il lave ; sceau, parce qu’il nous garde et qu’il est le signe de la seigneurie de Dieu. Les cieux s’en réjouissent, les anges le glorifient, parce qu’il est comme eux lumineux ; il est l’image du bonheur là-haut ; nous voudrions le chanter par nos hymnes, mais nous ne pouvons pas le faire autant qu’il en est digne. »

S. GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 40, 3-4.

Sommaire

L’initiation chrétienne hier et aujourd’hui

CPE n° 152

Éditorial — Marie-Anne VANNIER

« Initiation » : de la notion païenne au discours chrétien — Jean-Marie BRAUNS

L’initiation chrétienne en Orient — Mgr Job GETCHA

Le sacrement de confirmation dans l’initiation chrétienne — Mgr Roland MINNERATH

L’initiation chrétienne chez Jean Chrysostome — Patrick MULLER

Mystagogie et discipline de l’Arcane dans le traité Sur le Saint-Esprit de Basile de Césarée — Philippe MOLAC

Le Discours catéchétique de Grégoire de Nysse. Une catéchèse à l’usage des catéchètes — Michel VAN PARYS

Une expérience de la beauté de Dieu et une théologie mystique des sacrements de l’initiation chrétienne à travers la 11e homélie du Cantique des Cantiques de Grégoire de Nysse — Emmanuel BOHLER

La Première catéchèse d’Augustin — Marie-Anne VANNIER

L’apport actuel de Nicolas Cabasilas à l’initiation chrétienne — Renée SCHMIT

L’initiation chrétienne : un développement spirituel vers une nouvelle naissance à tout âge / un processus continu — François-Xavier AMHERDT

L’initiation chrétienne aujourd’hui — Bruno HAYET

Apports patristiques et innovations dans le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes — Daniel LALIBERTÉ

Actualité des Pères de l’Église

Éditorial

Le 26 septembre dernier, une journée d’études, co-organisée avec la Luxembourg School of Religion & Society, en lien avec le Service du catéchuménat de l’archidiocèse de Luxembourg et l’Amicale des étudiants en théologie de Metz, que nous remercions, a rassemblé un public nombreux de patrologues et d’acteurs de la catéchèse et de la pastorale à Metz. Nous en publions les Actes dans ce numéro.

L’initiation chrétienne chez les Pères de l’Église n’est pas sans analogie avec le catéchuménat, qui a été restauré par le concile Vatican II, qui a justement effectué un retour aux Pères de l’Église. Force est, en effet, de noter une double analogie, d’une part quant à l’âge : l’initiation chrétienne et le catéchuménat interviennent à l’âge adulte, ce qui suppose une formation complète, d’autre part, le contexte dans lequel ils s’effectuent : s’il est différent en fonction de l’époque, il n’en est pas moins proche, dans la mesure où le catéchuménat ne se situe plus par rapport au paganisme antique, mais face aux nouvelles religiosités[1], qui, sur certains points, n’en sont pas très différentes, ce qui amène à réfléchir sur la notion d’initiation, comme l’a fait Louis Bouyer[2] et comme le réalise ici Jean-Marie Brauns, qui a consacré sa thèse à la question.

Dans ces conditions, nous comprenons qu’il n’est pas inutile de revisiter les textes des Pères, les méthodes qu’ils ont proposées, non pas tant pour les reprendre comme telles, que pour voir leur apport et les mettre en perspective pour aujourd’hui. Tel est l’objectif du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes que présente Daniel Laliberté.

Il est seulement dommage que, mis à part le récit d’Égérie et les découvertes archéologiques, étudiées, en particulier, par Victor Saxer[3], on ne dispose pas d’informations précises sur le déroulement de l’initiation chrétienne, sur les échanges qui sont intervenus entre les catéchumènes et leurs accompagnateurs, si ce n’est dans le De catechizandis rudibus, la grande catéchèse d’Augustin.

Si les convergences sont importantes entre hier et aujourd’hui, une différence intervient, cependant, quant au statut des catéchumènes dans la communauté. Si, dans les premiers siècles, les catéchumènes constituaient les communautés naissantes et leur rappelaient chaque année, à Pâques, la création nouvelle qui se réalise par le baptême, aujourd’hui, « ils transforment davantage la communauté établie et lui redisent son incessante démarche de conversion, lui rappelant qu’elle existe par grâce[4] ».

À partir de ces quelques remarques préliminaires, qui seront complétées par les différents articles de ce numéro, on remarque déjà que l’initiation chrétienne a non seulement un enjeu personnel qui permet au nouveau converti de trouver son identité chrétienne, mais également un enjeu ecclésiologique, du fait que le nouveau baptisé s’insère dans la communauté et la transforme, comme le montre Bruno Hayet.

En lien avec les recherches déjà menées dans le cadre de la catéchèse (CPE n° 91) et de la mystagogie (CPE n° 126), ce numéro donne un aperçu de l’initiation chrétienne dans les premiers siècles. Mgr Job de Telmessos explique à quel point elle est restée vivante dans l’Église d’Orient avec le caractère indissociable des trois sacrements de l’initiation. Mgr Roland Minnerath précise comment, dans le diocèse de Dijon, la confirmation reprend sa véritable place parmi les sacrements de l’initiation. Michel van Parys, Emmanuel Bohler et Philippe Molac rappellent l’apport des Cappadociens, respectivement de Grégoire de Nysse et de Basile de Césarée, Patrick Muller fait ressortir celui de Jean Chrysostome. Il reste un auteur qui a beaucoup apporté dans un style différent, c’est Augustin d’Hippone. Aussi reprendrons-nous les grandes lignes de sa Première catéchèse, qui est originale, mais moderne, et pourrait servir dans le catéchuménat actuel.

Nous noterons simplement ici la différence entre les catéchèses baptismales et les catéchèses mystagogiques dans l’initiation chrétienne aux premiers siècles. Si les catéchèses baptismales des Pères constituent à proprement parler l’initiation chrétienne, les catéchèses mystagogiques, qui interviennent après le baptême, ont pour fonction d’expliquer aux nouveaux baptisés les sacrements qu’ils sont en train de vivre : le baptême, la chrismation et l’eucharistie. Aujourd’hui, la mystagogie prend un nouvel essor dans le catéchuménat.

Elle est plus répandue que chez les Pères et fait l’objet de différentes expérimentations aujourd’hui, comme l’a expliqué Louis-Marie Chauvet dans le numéro 126 de Connaissance des Pères de l’Église consacré à la mystagogie ou encore, comme le propose Christian Salenson dans son ouvrage intitulé Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui. Habiter l’eucharistie (Bayard, 2008). L’intérêt tient ici à l’immersion immédiate du nouveau baptisé, voire du catéchumène, dans la communauté et à un dialogue, expliquant les différents gestes qui sont posés.

Mais je ne voudrais pas anticiper l’article de François-Xavier Amherdt, qui a travaillé sur la catéchèse intergénérationelle et le chemin néo-catéchuménal pour tous dans l’esprit des Pères de l’Église, ni celui de Renée Schmit qui présentera un exemple original et parlant, celui de Nicolas Cabasilas, ce laïc qui au XIVe siècle a proposé une vie en Christ pour tous.

Marie-Anne VANNIER

[1].Cf. J.-M. Verlinde, Le christianisme au défi des nouvelles religiosités, Paris, Presses de la Renaissance, 2002.

[2].L. Bouyer, L’initiation chrétienne, Paris, Cerf, 1958.

[3].V. Saxer, Les rites de l’initiation chrétienne du IIe au VIe siècle. Esquisse historique et signification d’après leurs principaux témoins, Spolète, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, vol. VII, 1988.

[4].A. Rouet, Catéchuménat. Un chemin de vie, Paris, Cerf, 2000, p. 1.

« Initiation » : de la notion païenne au discours chrétien

Une notion polyvalente

La notion d’initiation chrétienne est relativement récente. Dans le monde francophone, Mgr Louis Duchesne semble être le premier à l’avoir employée, au chapitre IX de Origines du culte chrétien (1889). Le XXe siècle l’a retenue, sans examen critique notable, dans le langage ecclésial. Les documents du concile Vatican II l’emploient à plusieurs endroits. Elle figure dans le titre d’un rituel majeur.

D’où Louis Duchesne a-t-il sorti la notion d’initiation, pour l’appliquer aux démarches par lesquelles une personne devient chrétienne ? Elle n’est pas traditionnellement chrétienne ; au cours des dix siècles passés, ses rares emplois dans les textes chrétiens désignaient le noviciat religieux ou l’ordination. Se serait-il inspiré du discours de la franc-maçonnerie, en plein essor au XIXe siècle ? Ou aurait-il emprunté le vocable aux écrits des premières générations d’ethnographes, qui l’attribuent aux processus par lesquels les jeunes deviennent adultes dans les communautés dites primitives ? Nous l’ignorons.

Aujourd’hui, la notion d’initiation est polyvalente. Elle désigne à peu près n’importe quels « premiers pas », ou l’introduction dans une grande variété d’entreprises, pratiques ou intellectuelles. Ce processus s’appelle « antonomase » : les emplois métaphoriques ou analogiques sont à ce point nombreux que l’origine et le sens originel de la notion tombent dans l’oubli.

La notion d’initiation proprement dite a été travaillée par des théoriciens, à partir des pratiques qu’ils étudiaient. Ces efforts ont toutefois fini par réduire l’idée même d’initiation à l’une de ses dimensions possibles. L’ethnologue et folkloriste Arnold van Gennep, dans son étude Les rites de passage (1909), comprend l’initiation à partir de la structure des rites parmi lesquels il compte l’initiation : séparation, mise en marge et intégration. L’historien des religions Mircea Eliade interprète ces rites en fonction d’une thématique – celle de la mort et d’une résurrection, une « nouvelle naissance » – thématique qu’il croit universelle. René Guénon – auteur difficilement qualifiable, mais vénéré dans certains cercles – définit l’authentique initiation par son contenu, présupposé pérenne depuis la nuit des temps dans les traditions dites régulières.

Qu’est-ce donc que l’initiation ? Quel acte spécifiquement humain cette expression désigne-t-elle ? À la lumière des différentes pratiques qualifiées de manière stable d’initiation, ainsi qu’à la lumière de l’éventail des définitions que donnent dictionnaires et encyclopédies, nous sommes autorisés de comprendre par initiation une action rituelle communautaire par laquelle un sujet est agrégé au corps communautaire et ainsi admis à partager la façon de percevoir propre de ce corps communautaire. Notons seulement que selon les traditions, les paramètres définitoires – communauté, ritualité, agrégation et illumination – sont d’importance inégale et entretiennent entre eux des rapports variables.

Les origines

L’origine de la notion remonte à l’époque archaïque de la Grèce, aux Mustèria d’Éleusis, bourgade au nord d’Athènes. Ces Mustèria désignaient le culte dédié aux deux déesses Déméter et Perséphone – culte donc d’origine agraire – présupposé produire la muèsis, l’initiation, littéralement : ce qui laisse stupéfait. Les Mustèria étaient célébrés annuellement à la fin de l’été dans un bâtiment consacré appelé telestèrion. Seuls les Grecs de naissance y étaient initialement admis et y participaient au moins une fois dans leur vie, par coutume, par sunètheia. Le culte s’y déroulait, vraisemblablement, selon trois volets : les legomena (un enseignement), les drômena (une dramatisation) et les deiknumena (une ostension d’un objet sacré – un « épi moissonné dans le silence »). Aux « initiés » d’Éleusis était confié le sunthèma, une sorte de mot de passe[1] résumant l’expérience faite.

Les cultes postérieurs, souvent plus extravagants, s’inspirent des pratiques éleusiennes : le dionysisme, d’origine grecque, d’abord, puis les cultes plus exotiques de Cybèle, d’Attis et de Mithra. Les sunthèmata de ces cultes, reprenant la forme littéraire stéréotypée d’Éleusis, indiquent le prestige de ces premiers « mystères ». Ces cultes plus récents devaient leur succès au fait qu’ils n’étaient pas liés à un lieu ni à une date précise, comme les Mustèria. Ils ont pu se répandre rapidement, répondant à un besoin religieux manifeste.

Le vocabulaire lié à ces cultes – tautologiquement appelés « cultes à mystères » – est varié. Si les Mustèria sont, dans un premier temps, le nom propre de la célébration annuelle à Éleusis, l’antonomase se produit rapidement et le nom devient générique. D’autres termes génériques toutefois, notamment teletai et orgia (au pluriel typique), sont plus fréquemment employés, à part ou en combinaison avec mustèria.

La muèsis, dans quelque culte dit « à mystères », visait l’association intentionnelle ou dévotionnelle à la divinité. D’une réelle union il ne pouvait pas être question : comme le disait Platon, l’homme et les dieux ne se mélangent pas. L’association dévotionnelle à la divinité devait assurer une prospérité surtout pour la vie présente et éventuellement, après la mort, un destin meilleur que les « moites ténèbres » qu’évoque Homère dans son Hymne à Déméter[2].

Jamais, dans l’Antiquité, il n’est question d’un secret (au sens propositionnel) que transmettrait l’initiation. Si l’expérience cultuelle est qualifiée d’arrhèta (encore un pluriel), cela veut simplement dire qu’elle est inexprimable. L’initiation, et son hypothétique secret, ne sont trahis que par voie de parodie des rites ou par leur description trop rapprochée ; c’est ce qui a valu des procès à Alcibiade et à Eschyle. Les mystères ne sont pas connus : ils sont vus. Ils n’apprennent rien : ils sont subis, comme le dit un fragment d’Aristote : οὐ μαθεῖν […] ἀλλὰ παθεῖν[3].

L’idée d’une connaissance liée à l’initiation remonte, sans surprise, à Platon. Sans sortir formellement l’initiation du cadre mythologique, Platon la rattache, dans le Phèdre, à une forme d’intellection – ou l’inverse. Il y présente la réminiscence comme principe de toute véritable contemplation, et la met en rapport dialectique avec une initiation, qui serait à l’origine de la réminiscence, ou qui, du moins, la manifeste[4]. Ce processus atteindra son sommet dans le gnosticisme.

Bible et initiation

Qu’en est-il de l’héritage biblique, compilé à la même époque ? Il a été suggéré bien des fois que les cultes païens aient influencé le milieu biblique et le christianisme naissant. Les rares occurrences d’expressions pouvant appartenir au vocabulaire mystérique se concentrent dans les textes tardifs et essentiellement sapientiaux de la Septante : Sagesse, Siracide et Daniel[5]. Le mot τελεταί (traduit par « initiation ») se trouve uniquement dans le livre de la Sagesse[6], et concerne exclusivement et explicitement les cultes païens.

L’origine de la notion biblique de mustèrion a fait couler beaucoup d’encre, et a amené à des conclusions précipitées. Il est question de mustèrion dans les livres de Daniel, de Tobie, du Siracide (généralement dans une proposition qui est traduite « secret du roi ») ainsi que dans le deuxième livre des Maccabées. Saint Paul emploie le terme dix-huit fois. Dans les évangiles, Jésus évoque le ou les « mystères du Royaume ». Un article de l’exégète Deden, publié en 1936, montre l’enracinement du terme néotestamentaire de mustèrion dans la littérature sapientielle et apocalyptique juive, et donc sa totale autonomie par rapport au vocabulaire païen[7]. Cet article fait toujours autorité.

Il existe d’autres arguments pour montrer l’indépendance du mustèrion biblique, des arguments de type philologique. Tout d’abord, la littérature grecque ne semble pas du tout utiliser le singulier avant la fin du IIe siècle chrétien[8], abstraction faite des occurrences dans la Septante, qui traduisent fidèlement les singuliers du texte original. Paul donne des compléments à la notion de mustèrion : le mystère de Dieu, le mystère de sa volonté, le mystère de l’Évangile – le grec ancien n’admet que des adjectifs ou des précisions de lieu à mustèria. Dans le grec ancien, les mustèria sont tenus, faits ou vus, alors que Paul parle de mystères dits, révélés, publiés, donnés à connaître – des verbes dépourvus de sens dans ce contexte pour le grec ancien. Enfin, Paul, en cohérence avec tous les autres emplois dans la Bible, ne situe jamais le ou les mystères dans le contexte cultuel essentiel à la compréhension païenne.

Est-ce à dire que le mystère chrétien n’entretient aucun rapport avec ce que nous appelons aujourd’hui l’initiation chrétienne ? Si, et ce rapport est essentiel. Pour saint Paul, le mustèrion dénote d’abord la volonté éternelle de Dieu, la volonté de réunir toutes choses sous un seul Chef, le Christ. Le mystère est aussi l’exécution de ce dessein « gardé dans le silence depuis les siècles », et sa révélation « aux saints apôtres et prophètes ». Le mystère paulinien, en dernière instance, est le Christ supplicié et glorifié qui attire à lui toutes choses et les réconcilie dans l’unité et dans la paix. Le mystère, dans le sens biblique, n’a aucun rapport direct avec un culte, malgré l’apparente homonymie, ni avec un quelconque contenu noétique : il est ce que Dieu fait, l’œuvre de Dieu unissant tout dans le Christ. En Jésus Christ, tout se noue et se dénoue : l’histoire et l’avenir, les préfigurations et les magnalia Dei de l’Ancienne Alliance comme les épreuves et les gloires de l’Église sous la Nouvelle. Par conséquent, le mustèrion est ce qui motive et informe l’initiation chrétienne – c’est-à-dire le bain baptismal au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Le Nouveau Testament ne s’étend presque jamais sur des questions rituelles. Les lettres de noblesse scripturaires de l’initiation chrétienne se trouvent dans le récit de la Pentecôte (Ac 2, 1-41) : « ceux qui accueillirent la parole [de Pierre, annonçant la résurrection] reçurent le baptême et il y eut environ trois mille personnes ce jour-là qui se joignirent à eux. » Le Nouveau Testament insiste bien davantage sur les effets de l’initiation baptismale. Or, ces effets sont spirituels : le salut, le pardon des péchés, l’adoption filiale et le don spirituel par excellence : l’Esprit Saint. Paul n’évoque jamais le rite du baptême, mais il en présente les effets dans presque toutes les occurrences de la proposition « nous avons/vous avez été » suivi d’un aoriste[9]. Tout est spirituel, ou a un sens spirituel. La question se pose alors de la convenance d’une initiation rituelle. Pourquoi faudrait-il un rite matériel et de l’eau plate pour recevoir des dons spirituels ? Ici, pareillement, la réponse est dans ce que Paul appelle le mustèrion.

Les trois premiers siècles chrétiens

Les auteurs des IIe et IIIe siècles savent que les cultes païens, en plein bouillonnement, font partie de l’horizon de réception du message chrétien. Comment font-ils pour expliquer l’originalité, l’absolue idiosyncrasie de l’initiation chrétienne ? Le rite baptismal n’avait pas de quoi étonner les païens. Les ablutions étaient un lieu commun dans les cultes, même si elles étaient plus préparatoires que proprement initiatrices. La pratique chrétienne était facilement comprise comme un énième culte nouveau. Le païen Lucien de Samosate (128-180) a pu écrire ceci : « Il faut savoir qu’ils [les christianoi] vénèrent en outre cet homme jadis empalé (sic) en Palestine pour avoir introduit un nouveau culte (τελετὴν) sur terre[10]. »

Irénée et Tertullien dénoncent le côté grotesque et manipulateur des cultes païens, si opposé à la grande simplicité du culte chrétien. Origène défend l’ouverture universelle de l’initiation chrétienne contre l’élitisme cultuel de Celse – qui n’arrive pas à admettre la conversion ni la grâce. Justin, Clément d’Alexandrie et encore Tertullien qualifient les cultes païens comme des caricatures obscènes et abjectes du véritable culte, des contrefaçons diaboliques[11]. Le rejet des cultes païens en ces termes précis suggère que les Pères considèrent le culte chrétien comme le seul culte religieux authentique.

Les Pères d’avant l’édit de Milan évitent assez soigneusement l’emploi du vocabulaire consacré des cultes païens quand ils évoquent les pratiques chrétiennes. Cela semble avoir échappé à la plupart des traducteurs, de Rufin d’Aquilée aux traducteurs contemporains. La proposition « initier aux mystères », que l’on trouve souvent dans les traductions, n’aurait pas de sens déjà pour les auteurs païens (puisqu’il s’agit d’une tautologie dans le meilleur des cas). En aucun cas un auteur chrétien pré-nicéen l’aurait employée à propos du culte de son Église.

Il existe toutefois des textes de la main de certains Pères pré-nicéens qui fourmillent littéralement du vocabulaire cultuel des païens. Que l’on pense au livre III du traité Contre Celse d’Origène (chap. 60) mais surtout au chapitre XII, 120 du Protreptique de Clément d’Alexandrie, un véritable feu d’artifice de barbarismes mystériques caractérisés :

Ô mystères (μυστηρία) vraiment saints ! Ô lumière sans mélange ! Les torches m’éclairent (δᾳδουχοῦμαι) pour contempler (ἐποπτεῦσαι) les cieux et Dieu, je deviens saint par l’initiation (μυούμενος) ; le Seigneur est l’hiérophante (ἱεροφαντεῖ), et il marque l’initié de son sceau en l’illuminant (τὸν μύστην σφραγίζεται φωταγωγῶν), il présente celui qui a cru à son Père pour qu’il le garde (τηρούμενον) éternellement. Telles sont les fêtes bacchiques de mes mystères (τῶν ἐμῶν μυστηρίων βακχεύματα) ; si tu le veux, reçois toi aussi l’initiation (καὶ σὺ μυοῦ), et tu prendras part au chœur des anges autour de Dieu « qui n’a pas eu de naissance et n’aura pas de mort », du seul vrai Dieu, tandis que le Logos de Dieu s’unira à nos hymnes[12].

Il s’agit ici, chez Origène comme chez Clément, d’un artifice apologétique. Quand Clément use du vocabulaire et de l’imagerie des mystères païens, ce n’est aucunement pour suggérer une parenté entre ceux-ci et la religion chrétienne. Il s’en sert exclusivement pour exposer la religion du Logos selon des « images familières » aux adeptes des cultes païens[13], afin qu’ils sortent de la sunètheia, abandonnent leurs sumbola, qu’ils « quittent Thèbes » et reçoivent le hudôr logikon, pour monter purs aux cieux[14].

« Tout est rempli de mystères »

La notion paulinienne de mustèrion reçoit un développement très intéressant au cours des IIe et IIIe siècles. Elle est, chez Ignace d’Antioche déjà, et ensuite chez Justin et Origène, appliquée aux événements de la vie du Christ (mystère de l’incarnation, de la Passion) ainsi qu’aux préfigurations vétérotestamentaires (mystère de l’eau, du rocher, du bois, du linteau des portes, etc.). Ensuite, elle en vient à qualifier, surtout chez Origène et Méliton de Sardes, des éléments de la liturgie, voire la liturgie elle-même : mystère du baptême, mystère de l’onction, mystères eucharistiques.

Le mystère devient exégétique et liturgique. Il désigne le rapport dynamique entre les tupoi, qu’ils soient scripturaires ou rituels, et leur accomplissement dans le Christ. Par ce rapport mystique, cette ratio mystica, le Christ donne au tupos, de quelque nature qu’il soit, d’être tupos. Cette extension de sens ne se laisse pas déduire des textes pauliniens. Elle relève d’une prise de conscience de l’unité de l’opération divine, c’est-à-dire la mise en œuvre du dessein de Dieu de tout unir dans le Christ, qui enrôle le τύπος biblique, le τύπος liturgique et tout autre mystère de la foi dans une seule et même économie. Selon Origène, « tout est rempli de mystères[15] », comme l’univers de Thalès était rempli de dieux.

Après l’édit de Milan

L’édit de Milan de l’empereur Constantin (313) légalise dans l’Empire romain le culte chrétien. Désormais, il peut s’exercer publiquement, au même titre que les autres cultes reconnus. Les cultes dits à mystères avaient connu leur âge d’or au cours des IIe et IIIe siècles. Au IVe siècle, ils continuent d’exister, mais déclinent peu à peu, à l’exception notable du bref « réveil païen » sous Julien (361-363). Ils se sectarisent, tombent en décadence et finissent par disparaître de la scène politique à l’aube du Ve siècle. Emblématique, le telestèrion d’Éleusis est rasé en 395 par des Goths christianisés. Grégoire de Nazianze déclare dans un discours jadis intitulé Invectives contre Julien : « Où sont les sacrifices, les initiations et les mystères (θυσίαι καὶ τελεταὶ καὶ μυστήρια) ? […] Tout cela a disparu[16] ! »

Le IVe siècle montre une assimilation progressive, sélective et sans excès du vocabulaire cultuel païen dans le discours chrétien – processus qui atteindra son sommet avec le Pseudo-Denys. Grégoire de Nazianze emploie équiva lemment les termes autrefois spécifiquement païens pour les pratiques païennes et chrétiennes, au point de qualifier le décès de sa sœur Gorgonie de teletè. C’est aussi l’époque où le baptême est appelé muèsis, « initiation », pour la première fois. Les Constitutions apostoliques, œuvre de compilation composée autour de 380 à Antioche, introduisent le terme huit fois dans les seuls livres VII et VIII, sans la moindre référence à sa signification ou à ses origines en milieu païen[17]. Les baptisés sont ceux qui ont été « initiés selon le Christ (κατὰ Χριστὸν μεμυημένοι)[18] ».

L’adoption du thème de l’imitation est également un développement nouveau. À l’époque antérieure, et notamment chez Justin, Clément d’Alexandrie et Tertullien, ce thème était péjorativement connoté : l’imitation, dans le sens de « contrefaçon », était l’habitude des démons. Au IVe siècle, le terme μίμησις/ imitatio est utilisé en Orient comme en Occident pour expliciter la doctrine orthodoxe du baptême. L’acte liturgique de mimèsis produit dans le récipiendaire l’état de ὁμοίωμα/similitudo. La mimèsis liturgique reprend le schéma de la mimèsis biblique du tupos[19], dont la forme, le sens et la valeur dépendent de l’accomplissement dans l’antitype, l’alètheia. Elle n’est donc pas à comprendre comme une répétition ou une reproduction. Elle n’est pas commandée par un événement du même ordre qu’elle, mais par un accomplissement futur (dans le cas du tupos biblique) ou transcendant l’ordre temporel (dans le cas du tupos liturgique). Que le tupos soit littéraire ou liturgique, la relation téléologique entre lui et l’alètheia, entre la figure donc et la réalité dont elle dépend et qui lui donne d’être sa figure, est traduite par le terme mustèrion. Ainsi, l’idée de mimèsis permet de saisir la communauté de nature du mystère biblique et du mystère liturgique. L’un et l’autre appartiennent à une même économie ou, plus précisément, à la même économie. Pour cette raison, l’initiation chrétienne est une et unique : μία μύησις ; una unius regenerantis baptismi dispensatio ; unum opus, unum mysterium[20].

Pourquoi une initiation chrétienne ?

À la question de la convenance, voire de la nécessité d’un rite matériel pour recevoir des dons spirituels, les Pères donnent plusieurs réponses par ailleurs complémentaires.

Le mystère du Christ, l’œuvre par laquelle le Verbe incarné réconcilie l’humanité avec Dieu, est le fondement et l’ultime détermination de l’initiation baptismale, selon l’argumentation d’Irénée, d’Athanase, de Grégoire de Nysse et de Léon le Grand. Mais il faut aussi un rite parce que l’homme est « double », composé de matière et d’esprit ; les deux Grégoire y insistent. En plus, le corps de l’homme est marqué par le péché ; il est concerné par le salut et doit ressusciter, comme Tertullien, Irénée, Origène et Ambroise le soulignent. Ensuite, l’œuvre du mystère – excusez la tautologie – implique une relation de signification, et il n’y a pas de signe sans forme matérielle ; ici, c’est Augustin qui le signale. Enfin, l’initiation est motivée du fait que la communauté ecclésiale, dans sa manifestation matérielle et visible, est le sujet et le dépositaire des dons surnaturels ; seule une incorporation permet d’y avoir part.

Le terme d’incorporation n’est pas utilisé par les Pères avant l’évêque d’Hippone. Les Pères n’ont guère d’ecclésiologie explicite, ni de théologie de la foi ou de théologie de la liturgie – ces chapitres qui appartiennent à ce qu’on appelle aujourd’hui la théologie fondamentale. Ils ignorent la posture critique. L’Église, la foi et la liturgie appartiennent au conditionnement vital des chrétiens ; ceux des premiers siècles n’étaient pas portés à les objectiver, justement parce qu’elles sont vitales. Un poisson ne se demande pas ce qu’est l’eau. Pour la même raison, Paul ne parle pas d’incorporation, alors qu’il ne craint absolument pas les néologismes. Il évoque et élabore bien l’insertion dans l’édifice spirituel et la greffe sur l’olivier franc – l’oikodomè et l’auxèsis, la fondation et l’enracinement, la construction et la croissance[21] – comme deux modèles jumeaux permettant une approche authentique mais partielle de l’incorporation dont il est question. L’incorporation elle-même n’est pas un modèle : elle est la réalité même du baptême. Elle n’est pas métaphorique.

De nos jours, nous entendons par initiation chrétienne les trois sacrements dits de l’initiation, ainsi que les parcours de préparation et de relecture. C’est là une compréhension étendue de l’initiation au sens strict, qui est le rite communautaire qui produit dans l’instant et au même moment l’agrégation et l’illumination. Matériellement, le moment déterminant de l’initiation chrétienne est le bain baptismal. Le sacrement du baptême agrège et incorpore dans un corps lui-même sacramentel, donc réel. Plusieurs Pères soulignent que c’est l’affaire d’un instant. Écoutons par exemple Clément d’Alexandrie :

Nous sommes entièrement lavés de nos fautes et, d’un seul coup (παρὰ πόδας) nous ne sommes plus mauvais. C’est là l’unique grâce de l’illumination : nous ne sommes plus les mêmes qu’avant le bain baptismal. Or, comme la connaissance survient en même temps (συνανατέλλει) que l’illumination et éclaire l’intelligence (περιαστράπτουσα τὸν νοῦν), c’est tout de suite (εὐθέως), sans avoir rien appris (ἀμαθεῖς), que nous nous entendons appeler disciples […][22].

L’initiation est l’affaire d’un instant. Dans l’instant, le catéchumène entre définitivement dans un corps nouveau, un corps collectif et mystique. Il partage désormais la connaissance propre de ce corps, sa façon de percevoir ce qui lui convient et ce qui ne lui convient pas. L’illumination baptismale ainsi comprise n’est-elle pas le fondement de ce que la Tradition appelle le sensus fidei fidelium ?

L’initiation est aussi l’affaire de toute une vie. Quand Jean Chrysostome parle de la mustagôgia[23], ce n’est pas la relecture spirituelle de l’expérience initiatique qu’il désigne ; la mystagogie, chez lui, est tout le régime de la grâce chrétienne[24]. Nous sommes tous des néophytes ; des vieux néophytes peut-être, mais des néophytes quand même !

* * *

Les premières pratiques historiquement attestées de l’initiation remontent à la Grèce de l’époque archaïque. Elles se sont développées, à travers l’histoire ultérieure et jusque dans nos jours, dans des milieux païens caractérisés : le gnosticisme et ses avatars modernes, les traditions ethniques, les compagnonnages. Il faut toutefois éviter d’en conclure que l’initiation est une pratique païenne caractérisée. L’acte dit « initiation », dans un sens tout à fait général, relève de la nature humaine – politique, artistique, ouverte au religieux – et tout ce qui est authentiquement humain peut trouver son rôle et sa sanctification, fondamentalement dans l’ordre de la création et ultimement dans le mystère de l’Incarnation du Verbe.

Le discours chrétien qualifiant le bain baptismal d’initiation, et par extension le parcours qui y dispose et en découle, est donc tout à fait pertinent. L’initiation chrétienne est une initiation comme les autres : l’action rituelle communautaire qui agrège un nouveau membre et l’illumine par le fait même. En même temps, elle n’est pas une initiation comme les autres dans la mesure où elle n’est ni motivée, ni informée par un mythe, une idéologie, une culture particulière ou un savoir-faire à pérenniser, mais par le mustèrion : le Christ supplicié et glorifié qui réconcilie tout dans l’unité et le soumet au Père.

Jean-Marie BRAUNS pss

Séminaire d’Issy-les-Moulineaux

Jean-Marie Brauns, prêtre de Saint-Sulpice, est docteur en théologie, enseignant au séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Auteur de Réflexions sur la foi pour ceux qui l’ont déjà (Artège, 2013) et de L’initiation des chrétiens : de l’anthropologie à la théologie (Lethielleux, à paraître en 2019).

[1]. Le sunthèma d’Éleusis dit ceci : « J’ai jeûné, j’ai bu le cycéon, j’ai pris dans la corbeille ; après avoir agi, j’ai déposé dans le panier, et du panier dans la corbeille » ; texte rapporté, avec fidélité à ce qu’il paraît, par Clément d’Alexandrie, Protreptique, II, 21, 2 (SC 2 bis, p. 76).

[2]. « Heureux qui, parmi les hommes de la terre, possède la Vision de ces mystères (τάδ’ ὄπωπεν). Au contraire, celui qui n’est pas initié aux saints rites (ἀτελὴς ἱερῶν) et celui qui n’y participe point n’ont pas le semblable destin, même s’ils sont morts dans les moites ténèbres » (Homère, Hymne à Déméter [I], l. 480-483, trad. J. Humbert, Paris, Les Belles Lettres [désormais BL], 1936, p. 57).

[3]. […] τοῦς τελουμένους οὐ μαθεῖν τι δεῖν ἀλλὰ παθεῖν καὶ διατεθῆναι (Aristote, Fragment