L'Union européenne et la promotion de la démocratie - Leila Mouhib - E-Book

L'Union européenne et la promotion de la démocratie E-Book

Leila Mouhib

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Découvrez cet éclairage sur les politiques européennes et de promotion de la démocratie dans le monde arabe.

Dans cet ouvrage, Leila Mouhib décrypte les politiques européennes de promotion de la démocratie dans le monde arabe, à travers les cas de la Tunisie et du Maroc. Les déterminants de telles politiques sont analysés de manière fine en démontant les rouages de la complexité institutionnelle européenne et en donnant la parole aux acteurs, de la conception à la mise en œuvre.

Cette étude vise à montrer la complexité institutionnelle de l'Europe. Pour cela, elle donne la parole aux acteurs et prend les cas de la Tunisie et du Maroc.

EXTRAIT

Janvier 2011. Révolution du jasmin, place Tahrir, printemps arabes, révoltes arabes, révolutions arabes… les termes ne manquent pas pour désigner les protestations populaires dans le monde arabe dès le début de l’année 2011, qui déboucheront, en fonction des pays, sur un changement de régime (Tunisie), une guerre civile (Lybie, Syrie), une ouverture politique mineure (Maroc) ou davantage de répression (Bahreïn). Très vite apparaissent des questionnements sur le soutien apporté jusqu’alors à ces régimes par différents acteurs, dont l’Union européenne. Le discours européen de soutien aux droits de l’homme et à la démocratie est présenté comme peu crédible, voire manquant de sincérité. Depuis un quart de siècle, pourtant, avec la fin de la guerre froide, la démocratie et les droits humains ont acquis une place centrale parmi les principes organisateurs d’un nouvel ordre international. C’est sur la base de ces principes que, de plus en plus, doit se fonder la légitimité des pouvoirs nationaux et internationaux. Tant les institutions internationales que les démocraties libérales industrialisées se donnent pour objectif de promouvoir la démocratie et prétendent en faire une condition de la légitimité des gouvernements et de l’instauration de relations commerciales et de coopération. Dans ce contexte international de globalisation et d’après-guerre froide, l’Union européenne a progressivement mis en place un engagement en faveur de la démocratisation dans ses politiques extérieures et de développement, ainsi que des politiques et des outils au service de cet engagement. Dans le cas des relations avec ses voisins méditerranéens, la démocratie a constitué l’un des éléments présentés comme centraux dès la mise en place du partenariat euro-méditerranéen et du Processus de Barcelone en 1995. Cet ouvrage étudie les pratiques de l’Union européenne dans ses politiques de promotion de la démocratie au Maroc et en Tunisie. Il analyse les déterminants de ces politiques, pour mettre en évidence l’importance de la complexité institutionnelle européenne, à même d’expliquer les pratiques des acteurs tout au long de la chaîne de production et de la mise en œuvre des politiques de promotion de la démocratie.

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S E R I E S « E T U D E S E U R O P E E N N E S »

Jean De Ruyt. L’Acte unique européen. Commentaire. 2e édition. 1989.

Le Parlement européen dans l’évolution institutionnelle. Ed. Jean-Victor Louis et Denis Waelbroeck. 2e tirage. 1989.

Mário Marques Mendes. Antitrust in a World of Interrelated Economies. The Interplay between Antitrust and Trade Policies in the US and the EEC. 1991.

L’espace audiovisuel européen. Ed. Georges Vandersanden. 1991.

Vers une nouvelle Europe ? Towards a New Europe ? Ed. Mario Telò. 1992.

L’Union européenne et les défis de l’élargissement. Ed. Mario Telò. 1994.

La réforme du système juridictionnel communautaire. Ed. Georges Vandersanden. 1994.

Quelle Union sociale européenne ? Acquis institutionnels, acteurs et défis. Ed. Mario Telò et Corinne Gobin. 1994.

Laurence Burgorgue-Larsen. L’Espagne et la Communauté européenne. L’Etat des autonomies et le processus d’intégration européenne. 1995.

Banking Supervision in the European Community. Institutional Aspects. Report of a Working Group of the ECU Institute under the Chairmanship of Jean-Victor Louis. 1995, 304 pages.

Pascal Delwit. Les partis socialistes et l’intégration européenne. France, Grande-Bretagne, Belgique. 1995.

Démocratie et construction européenne. Ed. Mario Telò. 1995.

Jörg Gerkrath. L’émergence d’un droit constitutionnel européen. Modes de formation et sources d’inspiration de la constitution des Communautés et de l’Union européenne. 1997.

L’Europe et les régions. Aspects juridiques. Ed. Georges Vandersanden, 1997.

L’Union européenne et le monde après Amsterdam. Ed. Marianne Dony. 1999.

Olivier Costa. Le Parlement européen, assemblée délibérante. 2001.

La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pénales dans l’Union européenne. Ed. Gilles de Kerchove et Anne Weyembergh. 2001.

L’avenir du système juridictionnel de l’Union européenne. Ed. Marianne Dony et Emmanuelle Bribosia. 2002.

Quelles réformes pour l’espace pénal européen ? Ed. Gilles de Kerchove et Anne Weyembergh. 2003.

Paul Magnette. Contrôler l’Europe. Pouvoirs et responsabilité dans l’Union européenne. 2003.

Sécurité et justice : enjeu de la politique extérieure de l’Union européenne. Ed. Gilles de Kerchove et Anne Weyembergh. 2003.

Anne Weyembergh. L’harmonisation des législations : condition de l’espace pénal européen et révélateur de ses tensions. 2004.

La Grande Europe. Ed. Paul Magnette. 2004.

Vers une société européenne de la connaissance. La stratégie de Lisbonne (2000-2010). Ed. Maria João Rodrigues. 2004.

Commentaire de la Constitution de l’Union européenne. Ed. Marianne Dony et Emmanuelle Bribosia. 2005.

La confiance mutuelle dans l’espace pénal européen/Mutual Trust in the European Criminal Area. Ed. Gilles de Kerchove et Anne Weyembergh. 2005.

The gays’ and lesbians’ rights in an enlarged European Union. Ed. Anne Weyembergh and Sinziana Carstocea. 2006.

Comment évaluer le droit pénal européen ?. Ed. Anne Weyembergh et Serge de Biolley. 2006.

La Constitution européenne. Elites, mobilisations, votes. Ed. Antonin Cohen et Antoine Vauchez. 2007.

Les résistances à l’Europe. Cultures nationales, idéologies et stratégies d’acteurs. Ed. Justine Lacroix et Ramona Coman. 2007.

L’espace public européen à l’épreuve du religieux. Ed. François Foret. 2007.

Démocratie, cohérence et transparence : vers une constitutionnalisation de l’Union européenne ?. Ed. Marianne Dony et Lucia Serena Rossi. 2008.

L’Union européenne et la gestion de crises. Ed. Barbara Delcourt, Marta Martinelli et Emmanuel Klimis. 2008.

Sebastian Santander. Le régionalisme sud-américain, l’Union européenne et les Etats-Unis. 2008.

Denis Duez. L’Union européenne et l’immigration clandestine. De la sécurité intérieure à la construction de la communauté politique. 2008.

L’Union européenne : la fin d’une crise ?. Ed. Paul Magnette et Anne Weyembergh. 2008.

The evaluation of European Criminal Law : the example of the Framework Decision on combating trafficking in human beings. Ed. Anne Weyembergh & Veronica Santamaria. 2009.

Le contrôle juridictionnel dans l’espace pénal européen. Ed. Stefan Braum and Anne Weyembergh. 2009.

Les députés européens et leur rôle. Sociologie interprétative des pratiques parlementaires. Julien Navarro. 2009.

The future of mutual recognition in criminal matters in the European Union/L’avenir de la reconnaissance mutuelle en matière pénale dans l’Union européenne. Ed. Gisèle Vernimmen-Van Tiggelen, Laura Surano and Anne Weyembergh. 2009.

Sophie Heine, Une gauche contre l’Europe ? Les critiques radicales et altermondialistes contre l’Union européenne en France. 2009.

The Others in Europe. Ed. Saskia Bonjour, Andrea Rea and Dirk Jacobs, 2011.

EU counter-terrorism offences: What impact on national legislation and case-law?. Ed. Francesca Galli and Anne Weyembergh. 2012.

La dimension externe de l’espace de liberté, de sécurité et de justice au lendemain de Lisbonne et de Stockholm : un bilan à mi-parcours. Ed. Marianne Dony, 2012.

Approximation of substantive criminal law in the EU: The way forward. Ed. Francesca Galli and Anne Weyembergh, 2013.

Relations internationales. Une perspective européenne. Mario Telò. Préface de Robert O. Keohane, 3e édition revue et augmentée. 2013.

Le traité instituant l’Union européenne: un projet, une méthode un agenda. Francesco Capotorti, Meinhard Hilf, Francis Jacobs, Jean-Paul Jacqué. Préface de Jean-Paul Jacqué et Jean-Victor Louis, Postface de Giorgio Napolitano, 2e édition revue et augmentée sous la coordination de Marianne Dony et Jean-Victor Louis. 2014.

Des illusions perdues? Du compromis au consensus au Parlement européen et à la Chambre des représentants américaine. Selma Bendjaballah. Préface d’Olivier Rozenberg. 2016.

When Europa meets Bismarck. How Europe is used in the Austrian Healthcare System. Thomas Kostera. 2016.

 

L’Union européenne et la promotion de la démocratie

Les pratiques au Maroc et en Tunisie

LEILA MOUHIB PREFACE DE MARIO TELO

 

C O M M E N T A I R E J . M E G R E T

Troisième édition DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA CONCURRENCE Contrôle des aides d’Etat, 2007. Contrôle des concentrations, 2009.

MARCHE INTERIEUR Libre circulation des personnes et capitaux. Rapprochement des législations, 2006. Environnement et marché intérieur, 2010. Politique agricole commune et politique commune de la pêche, 2011. Introduction au marché intérieur. Libre circulation des marchandises, 2015.

ORDRE JURIDIQUE DE L’UNION ET CONTENTIEUX EUROPEEN Les compétences de l’Union européenne, 2017.

POLITIQUES ECONOMIQUES ET SOCIALES Intégration des marchés financiers, 2007. L’Union européenne et sa monnaie, 2009. Politique fiscale, 2012.

RELATIONS EXTERIEURES Politique commerciale commune, 2014. L’Union européenne comme acteur international, 2015.

    EDITIONS DE L’UNIVERSITE DE BRUXELLES

L’Union européenne et la promotion de la démocratie

Les pratiques au Maroc et en Tunisie

LEILA MOUHIB PREFACE DE MARIO TELO

E-ISBN 978-2-8004-1665-6 D/2017/0171/3 © 2017 by Editions de l’Université de Bruxelles Avenue Paul Héger, 26 – 1000 Brussels (Belgique)[email protected]

À propos du livre

Lorsque les « printemps arabes » éclatent en 2011, le rôle de l’Union européenne est mis en question. Quels rapports entretenait-elle avec les gouvernements autoritaires et les sociétés civiles du pourtour méditerranéen ? A-t-elle, par son silence ou ses relations économiques et politiques, cautionné des régimes contestés ? Quel bilan lui attribuer et quelles sont ses perspectives en matière de soutien à la démocratisation ? Dans cet ouvrage, Leila Mouhib décrypte les politiques européennes de promotion de la démocratie dans le monde arabe, à travers les cas de la Tunisie et du Maroc. Les déterminants de telles politiques sont analysés de manière fine en démontant les rouages de la complexité institutionnelle européenne et en donnant la parole aux acteurs, de la conception à la mise en oeuvre. La conclusion suggère que l’action extérieure de l’UE n’a pas connu de changement radical après les « printemps arabes ». La promotion de la démocratie par les institutions européennes est en effet un processus répondant bien moins à des stimuli extérieurs qu’à leurs logiques de fonctionnement internes. Cet ouvrage s’adresse aux praticiens, chercheurs, observateurs et étudiants intéressés par les études européennes et les relations internationales, les relations euro-méditerranéennes, la promotion de la démocratie, la politique en Tunisie et au Maroc.

Pour référencer cet eBook

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Table des matières

PRÉFACE,  par Mario TELÒ

INTRODUCTION

1.  Objectifs et questionnements de l’ouvrage

2.  Questions de méthode

1.  Analyse de documents : une approche qualitative

2.  Les entretiens

3.  Plan de l’ouvrage

CHAPITRE  I. – La promotion de la démocratie par l’Union européenne : les concepts

1.  La promotion de la démocratie, une norme dans un monde d’intérêts ?

1.  Des études de démocratisation aux analyses de promotion de la démocratie

2.  La promotion de la démocratie comme stratégie d’acteurs : stato-centrisme et intérêts

3.  La promotion de la démocratie comme norme : une tension persistante avec la notion d’intérêt

4.  La promotion de la démocratie comme processus : ouvrir la boîte noire institutionnelle

2.  Vers une sociologie de la promotion de la démocratie : groupes institutionnels, normes collectives et pratiques

1.  Au cœur des pratiques collectives : le groupe institutionnel

2.  La construction sociale des groupes institutionnels : les idées comme cadres cognitifs et normatifs

3.  Une identité institutionnelle déterminée par la position sociale et les idées

4.  Etudier les pratiques : normes, ressources, intérêts

CHAPITRE  II. Les politiques de démocratisation de l’Union européenne

1.  La démocratisation comme enjeu des relations internationales et de la politique étrangère : ce que démocratiser veut dire

1.  La démocratie libérale comme seule voie possible ?

2.  Evolutions structurelles et changement de perspective

3.  Les principaux acteurs et instruments des politiques de démocratisation

2.  La démocratisation dans les relations euro-méditerranéennes

1.  L’Union européenne comme acteur international : influence spontanée et politique extérieure

2.  La démocratisation externe comme objectif : une pluralité d’instruments à tous les niveaux de la politique étrangère

3.  La démocratisation dans les relations euro-méditerranéennes : un objectif de second plan ?

3.  La démocratisation au Maroc et en Tunisie : le rôle de l’UE

1.  Une exception démocratique arabe ?

2.  Libéralisation politique et renforcement du pouvoir monarchique au Maroc

3.  La Tunisie : entre modernisation, autoritarisme et révolution

4.  Les politiques européennes de démocratisation au Maroc et en Tunisie

CHAPITRE  III. – Les groupes institutionnels au cœur de la promotion de la démocratie par l’UE

1.  La Commission

1.  La Commission européenne comme groupe social : hiérarchie, diversité, individualités

2.  DevCo, une DG au service de la coopération au développement et de l’assistance extérieure

3.  De Relex au Service européen d’action extérieure : des fonctionnaires aux diplomates ?

4.  Entre Commission et SEAE, les délégations : des coopérants aux diplomates ?

2.  Le Parlement européen : le rôle de la sous-commission DROI

1.  Le Parlement européen : une institution supranationale à l’identité démocratique

2.  Les groupes politiques

3.  Les commissions parlementaires et la sous-commission Droits de l’homme

CHAPITRE  IV. – Produire les politiques de promotion de la démocratie

1.  A la source du processus : la création de l’IEDDH

1.  L’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’homme

2.  En amont : une négociation interinstitutionnelle pour un Instrument à part entière

3.  Des débats interinstitutionnels autour de la nature de l’Instrument

4.  La négociation autour du nouveau règlement financier 2014-2020

2.  Entre politique et gestion (1) : les documents de stratégie

1.  Le processus d’élaboration

2.  Un document à portée politique et stratégique

3.  Les Objectifs 1 et 2 dans les documents de stratégie

4.  Le passage au Service européen d’action extérieure : qui détermine les lignes politiques de l’Instrument ?

3.  Entre politique et gestion (2) : les programmes d’action annuels

1.  Le processus d’élaboration : consultation interne et comitologie

2.  Quand  Bruxelles veut faire face aux « réalités du terrain »

3.  Priorités, sélection, indépendance d’action et complémentarité : les pratiques de DevCo

CHAPITRE  V. – Mettre en œuvre les politiques de promotion de la démocratie

1.  De l’appel au projet : les Objectifs 1 et 2 de l’IEDDH

1.  La rédaction des appels à propositions Objectif 1 : les priorités de DevCo

2.  La sélection des projets Objectif 1 : une gestion centralisée

3.  L’Objectif 2 : diversité des situations nationales

2.  Les projets IEDDH au Maroc

1.  La rédaction des appels à propositions

2.  La sélection des projets

3.  Les projets IEDDH en Tunisie

1.  Le lancement d’appels à propositions par la délégation

2.  La sélection des projets

4.  Des pratiques aux identités institutionnelles : normes, intérêts, ressources

1.  La sous-commission DROI au Parlement européen : les démocrates au sein de l’Union européenne

2.  L’unité IEDDH/DevCo : des démocrates-gestionnaires chargés de la mise en œuvre des politiques

3.  Relex et SEAE : des agents au service d’une politique étrangère européenne

4.  Les délégations de l’UE en Tunisie et au Maroc : les diplomates-coopérants de l’Union européenne

CONCLUSION.  – L’après-printemps arabe et la fragmentation institutionnelle européenne

1.  Rappel du sujet : problématique, questions, hypothèses

2.  Utilité du cadre analytique et conceptuel

3.  Principaux résultats

1.  L’importance de la fragmentation institutionnelle et la définition des groupes impliqués dans les politiques de promotion de la démocratie

2.  Ouvrir la boîte noire de la mise en œuvre : des pratiques multiples et diversifiées

4.  Tirer les leçons du passé. L’UE et la promotion de la démocratie après les printemps arabes

1.  L’absence de « stratégie européenne » de la Méditerranée

2.  Une UE en vase clos et la question du rapport à l’autre

3.  Des pratiques apolitiques ?

Annexe.  Liste des entretiens

Liste  des abréviations et acronymes

Bibliographie

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Préface

La lecture de ce livre s’impose en raison tant de son approche générale de la question que des éléments d’information originaux qu’il fournit au lecteur.

Je voudrais avant tout souligner la maturité de l’approche de Leila Mouhib et la façon équilibrée dont elle aborde un sujet au centre d’une vaste littérature internationale et d’un débat récent, qui s’est encore développé suite aux insurrections de 2011 et à leurs conséquences. Cette maturité apparaît d’autant mieux si l’on prend en compte le fait que la littérature scientifique est très polarisée entre le courant euro-centrique sur l’Europe en tant que « normative power » (I. Manners, R. Youngs), d’une part, et, de l’autre, le revival de la lecture « réaliste », qui souligne l’échec de l’influence des programmes de l’Union européenne en Afrique du Nord, et notamment du Processus euro-méditerranéen lancé à Barcelone en 19961. Leila Mouhib évite les clichés euro-enthousiastes et europhobes et elle se positionne ainsi parmi les meilleurs chercheurs capables d’analyser froidement, avec une sorte de neutralité axiologique wébérienne, les difficultés multiples rencontrées par l’Union européenne dans ses démarches inter-régionales et les quelques résultats obtenus.

Ce n’était pas évident, car focaliser l’attention sur la promotion de la démocratie aurait pu conduire l’auteure à mettre en évidence le côté subjectif de l’effort de l’UE de peser par ses « policies » sur le développement économique et sur la démocratisation des pays arabes de l’Afrique du Nord. Par ailleurs, en publiant le livre en 2017, l’auteure aurait pu adhérer passivement au climat eurosceptique ambiant, confirmé empiriquement par la prestation globalement décevante des institutions de l’UE pendant deux décennies qui contraste avec les espoirs suscités par la conférence ← 7 | 8 → de Barcelone. Leila Mouhib développe en revanche une analyse critique des discours et des pratiques européennes de promotion de la démocratie, un véritable service au lecteur, et fait progresser notre connaissance du sujet. Des représentants prestigieux de l’Ecole britannique comme R. Gillespie2 ont proposé une approche similaire : quels que soient le résultat à court terme, les succès ou les échecs, la relation euro-méditerranéenne aura un grand avenir, en raison de la proximité géographique, historique, économique et des intérêts communs au niveau commercial, de l’énergie ou de l’immigration. En un mot, c’est l’interdépendance complexe entre voisins, l’appartenance à la même macro-région méditerranéenne depuis des millénaires, l’influence réciproque spontanée, qui imposent de rechercher les meilleures solutions pour aboutir à l’institutionnalisation graduelle et à plusieurs niveaux des relations bilatérales et multilatérales, au-delà des hiérarchies postcoloniales et des rejets réciproques.

Bien sûr, cette approche scientifique, froide, axée sur la longue durée, est favorisée par le choix de l’auteure de focaliser l’attention sur les deux pays qui peuvent être considérés, relativement, comme les plus stables de la région, le Maroc et la Tunisie. Leurs parcours historiques, anciens et récents, sont très divers mais ils sont l’un et l’autre à même d’avancer dans le processus de démocratisation et de modernisation et de le faire grâce à deux combinaisons originales de l’alternance au gouvernement (entre différents partis politiques) avec un cadre « consociationnel » partagé, basé sur un large consensus national, permis par la monarchie constitutionnelle du Maroc d’un côté, et, de l’autre, par la nouvelle constitution en Tunisie. L’intérêt des résultats analytiques obtenus par l’auteur vient de la capacité comparative de Leila Mouhib de vérifier l’efficacité respective des relations bilatérales et multilatérales avec l’UE, son rôle de facteur externe de la consolidation démocratique et de sollicitation de la société civile.

Un deuxième résultat empirique est à mettre en évidence : après la lecture de ce volume, on ne pourra plus parler de la politique européenne de promotion de la démocratie sans mettre en exergue ses dimensions et ses manifestations multiples. Cette politique de voisinage est menée de façon différente selon qu’on envisage l’action de la Commission, du Conseil ou du Parlement. La littérature en relations internationales depuis G. Allison et Th. Löwy, par exemple, avait déjà fait un sort à la notion de politiques extérieures monolithiques qui, selon la tradition réaliste, se seraient basées sur un intérêt national considéré comme immuable et prédéfini. Mais dans le cas de la politique d’une entité régionale telle que l’UE, qu’il s’agisse des politiques de voisinage ou des politiques de partenariat avec les pays et les régions plus éloignés, cette fragmentation interne des politiques externes est encore plus évidente. Elle prend la forme d’un manque de cohérence horizontale entre les institutions et d’une faible coordination verticale entre les Etats membres, surtout les grands Etats, et l’Union elle-même. ← 8 | 9 →

Leila Mouhib apporte des éléments d’information très nouveaux et intéressants, surtout à propos de l’hétérogénéité des pratiques au niveau de la coordination horizontale de la politique européenne de promotion de la démocratie, une incohérence qui est dans une certaine mesure inévitable et structurelle. Elle est inévitable car on a assisté à l’émergence en Europe d’un phénomène unique au monde : un Parlement européen, élu au suffrage universel qui revendique à la fois la codécision et un rôle au niveau des relations internationales. Il n’a pas obtenu la codécision en matière de politique étrangère, mais il a développé une activité internationale intense (travail des sous-commissions compétentes ; dialogue interparlementaire dans la Méditerranée par exemple ; délégations parlementaires notamment en ce qui concerne la défense des droits de l’homme et la promotion de la démocratie). Le Parlement développe une diplomatie très idéaliste, faite de déclarations et de pressions normatives sur les partenaires. D’autre part, la Commission, elle, est au centre du dispositif communautaire et gère la mise en œuvre des politiques décidées par les codécideurs qui impliquent un engagement du budget européen. Dans ce cadre, Leila Mouhib a attiré l’attention sur les activités des directions générales DevCo et Relex, l’action des délégations (à double casquette ‒ qui représentent à la fois la Commission et le Service européen d’action extérieure ‒ depuis le traité de Lisbonne de 2009) et, last but not least, sur l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH) et ses interventions dans les deux pays sélectionnés.

Le lecteur et le décideur politique retiendront de ce livre, d’une part, une leçon sur l’importance objective majeure de l’UE comme soutien complexe et différencié de la démocratisation nationale dans ses Etats membres mais aussi chez ses voisins et, d’autre part, une recommandation constructive, en faveur non de l’impossible et mythique unité au niveau de la politique étrangère, mais de la nécessité d’encadrer l’action de l’UE pour la démocratie dans une vision à moyen et long terme plus cohérente et plus clairvoyante.

Mario TELÒ Membre de l’Académie royale de Belgique

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1Voir par exemple George JOFFÉ, « Regionalism, the European Union and the Arab Awakening », in Mario TELÒ (éd.), The EU and New Regionalism. Competing Regionalism and Global Governance in a Post-hegemonic Era, 3e éd., Londres, Ashgate, 2014, p. 279-299.

2Richard GILLESPIE, « The European Neighbourhood Policy and the Challenge of the Mediterranean Southern Rim », in Mario TELÒ, Frederik PONJAERT (éd.), The EU’s Foreign Policy. What Kind of Power and Diplomatic Action ?, Londres, Ashgate, 2013, p. 121-133.

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Il est infiniment plus facile de prendre position pour ou contre une idée, une valeur, une personne, une institution ou une situation, que d’analyser ce qu’elle est en vérité, dans toute sa complexité.

Pierre BOURDIEU, Contre-feux, Paris, Raisons d’Agir, 1998, p. 28.

A la mémoire d’Eric Remacle, 1960-2013. ← 11 | 12 →

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Introduction

Janvier 2011. Révolution du jasmin, place Tahrir, printemps arabes, révoltes arabes, révolutions arabes… les termes ne manquent pas pour désigner les protestations populaires dans le monde arabe dès le début de l’année 2011, qui déboucheront, en fonction des pays, sur un changement de régime (Tunisie), une guerre civile (Lybie, Syrie), une ouverture politique mineure (Maroc) ou davantage de répression (Bahreïn). Très vite apparaissent des questionnements sur le soutien apporté jusqu’alors à ces régimes par différents acteurs, dont l’Union européenne. Le discours européen de soutien aux droits de l’homme et à la démocratie est présenté comme peu crédible, voire manquant de sincérité.

Depuis un quart de siècle, pourtant, avec la fin de la guerre froide, la démocratie et les droits humains ont acquis une place centrale parmi les principes organisateurs d’un nouvel ordre international. C’est sur la base de ces principes que, de plus en plus, doit se fonder la légitimité des pouvoirs nationaux et internationaux. Tant les institutions internationales que les démocraties libérales industrialisées se donnent pour objectif de promouvoir la démocratie et prétendent en faire une condition de la légitimité des gouvernements et de l’instauration de relations commerciales et de coopération.

Dans ce contexte international de globalisation et d’après-guerre froide, l’Union européenne a progressivement mis en place un engagement en faveur de la démocratisation dans ses politiques extérieures et de développement, ainsi que des politiques et des outils au service de cet engagement. Dans le cas des relations avec ses voisins méditerranéens, la démocratie a constitué l’un des éléments présentés comme centraux dès la mise en place du partenariat euro-méditerranéen et du Processus de Barcelone en 1995.

Cet ouvrage étudie les pratiques de l’Union européenne dans ses politiques de promotion de la démocratie au Maroc et en Tunisie. Il analyse les déterminants de ces politiques, pour mettre en évidence l’importance de la complexité institutionnelle européenne, à même d’expliquer les pratiques des acteurs tout au long de la chaîne de production et de la mise en œuvre des politiques de promotion de la démocratie. Il s’interroge sur l’impact de cette complexité institutionnelle sur les relations avec d’autres acteurs, ici le Maroc et la Tunisie. ← 13 | 14 →

1.  Objectifs et questionnements de l’ouvrage

Partant du constat de la constitution de la promotion de la démocratie comme enjeu des relations internationales et de politiques étrangères, l’ouvrage s’interroge sur les politiques menées en la matière par l’Union européenne dans le cadre des relations avec ses voisins méditerranéens, particulièrement le Maroc et la Tunisie.

Le choix du Maroc et de la Tunisie a été motivé par les différences d’application de la promotion de la démocratie dans ces deux pays, avec lesquels l’Union européenne entretient pourtant une coopération bilatérale comparable sur les plans économique, commercial et politique. Nous avons choisi d’analyser la mise en œuvre de l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH) et donc de privilégier une politique qui puisse, a priori et jusqu’à un certain point, être distinguée du contexte des relations régionales.

La mise en œuvre de l’IEDDH se caractérise par la modération et la discrétion dans le cas de la Tunisie (avant 2011, avec un changement de perspective après le départ de Ben Ali en janvier 2011), par l’affirmation des objectifs et le lancement de nombreux projets dans le cas du Maroc. Les pratiques de promotion de la démocratie paraissent, au premier abord, incohérentes : pourquoi agir au Maroc et pas en Tunisie ? Pourquoi créer l’IEDDH, un instrument financier spécifiquement dédié à la promotion de la démocratie, et, parallèlement, évincer cet objectif de la coopération bilatérale avec certains pays, comme la Tunisie ?

L’une des hypothèses susceptibles d’expliquer cette situation est liée à ce que l’on nomme « la stratégie de la transition » : l’Union européenne ne mettrait en œuvre des politiques de démocratisation actives que dans les pays considérés comme en « transition démocratique », où existe déjà un espace d’ouverture suffisant. Cet argument, basé sur des considérations rationalistes et stratégiques, n’est toutefois pas convaincant dans ce cas, pour des raisons qui seront développées dans le premier chapitre de l’ouvrage.

Les politiques européennes de promotion de la démocratie, et plus largement les politiques de l’UE en Méditerranée, ont été vivement critiquées au lendemain des printemps arabes qui ont vu vaciller des gouvernements autoritaires avec lesquels l’UE, comme ses Etats membres, entretenait jusque-là d’excellentes relations. L’accointance avec les régimes autoritaires résulterait-elle d’un positionnement stratégique de l’Union européenne ? Dans ce cas, comment expliquer l’existence, en parallèle, de politiques de promotion de la démocratie dans ces mêmes pays ? Comment expliquer le financement de projets de promotion de la démocratie à contre-courant des intérêts politiques et économiques du moment ? Ici encore, la notion de « stratégie » pose problème, elle a un pouvoir explicatif et analytique très limité.

Il faut donc proposer une explication alternative, consistant à comprendre la promotion de la démocratie comme un processus politique plutôt que comme une stratégie. L’objectif est de comprendre et d’expliquer les pratiques des différents groupes d’acteurs impliqués dans les politiques étudiées. D’un point de vue théorique, cette recherche vise à examiner les déterminants des pratiques dans la mise en œuvre des politiques de la démocratisation (s’il ne s’agit pas d’une démarche stratégique, par quel processus s’expliquent les pratiques ?). D’un point de vue empirique, il s’agit de comprendre plus précisément comment la promotion de la démocratie est mise ← 14 | 15 → en œuvre par le biais de l’instrument thématique IEDDH dans les cas tunisien et marocain.

En lien avec ces objectifs, nous nous efforcerons de répondre aux questions suivantes :

–comment comprendre la dimension structurelle des pratiques des agents dans la mise en œuvre des politiques de promotion de la démocratie ?

–comment les facteurs institutionnels et idéationnels contribuent-ils à déterminer les identités, les normes et les pratiques des agents ?

Deux questions d’ordre empirique complètent ces questions d’ordre théorique :

–qui sont les différents groupes institutionnels impliqués dans la mise en œuvre des politiques de promotion de la démocratie en Tunisie et au Maroc, par le biais de l’IEDDH ?

–quelles sont les pratiques observables et comment sont-elles déterminées par les normes, les intérêts et les ressources visant à défendre et à renforcer l’identité des groupes institutionnels impliqués ?

Notre analyse partira d’une série d’ hypothèses :

–la dimension structurelle des pratiques est indissociable d’un processus co-constitutif entre agents et structure, entre pratiques des agents et détermination des positions sociales et de l’identité institutionnelle des groupes ;

–les pratiques des agents et des groupes sont conformes aux normes et aux intérêts qu’ils perçoivent comme favorisant la protection de leur identité institutionnelle et sont liées aux ressources attachées à leur position institutionnelle ;

–divers types d’identités institutionnelles sont en jeu dans la mise en œuvre des politiques européennes de promotion de la démocratie au Maroc et en Tunisie. Les identités démocratiques, diplomatiques et/ou bureaucratiques des différents groupes contribuent à déterminer leurs pratiques.

L’analyse porte sur l’étude de la mise en œuvre de l’IEDDH en Tunisie et au Maroc entre 2006 et 2014 ; elle s’intéresse aux pratiques des différents groupes d’acteurs impliqués : l’unité IEDDH au sein de la DG DevCo, la DG Relex (puis Service européen d’action extérieure), les délégations de l’Union européenne en Tunisie et au Maroc et la sous-commission Droits de l’homme au Parlement européen (DROI). L’ouvrage met en évidence la diversité des pratiques européennes en matière de promotion de la démocratie ; il propose d’expliquer pourquoi, même après des événements majeurs comme les « printemps arabes », les politiques de l’Union européenne évoluent peu : elles résultent en fait bien plus de conditions endogènes (la complexité institutionnelle) qu’elles ne répondent à des stimuli externes (le printemps arabe).

Afin d’éviter tout malentendu, il est utile de préciser ici les limites, autrement dit, ce sur quoi ce livre ne porte pas. D’abord, il ne s’agit pas d’adopter une démarche prescriptive, de proposer des pistes pour améliorer la promotion de la démocratie par l’Union européenne ou d’en faire une critique normative. Bien que le sujet étudié soit l’objet de nombreux débats normatifs, il ne s’agit pas de prendre position en la matière. En paraphrasant Pierre Bourdieu, on peut affirmer : plutôt que de prendre ← 15 | 16 → position pour ou contre les politiques de promotion de la démocratie par l’Union européenne, il s’agit d’analyser ce qu’elles sont, dans toute leur complexité1.

Ensuite, le livre se consacre à l’analyse de l’Instrument thématique IEDDH dans le cas des relations avec le Maroc et la Tunisie ; il ne s’agit ni d’une analyse générale de la coopération euro-méditerranéenne ou bilatérale en Méditerranée, ni d’une analyse générale de la promotion de la démocratie par l’Union européenne et de tous les instruments qui y sont liés.

Enfin, l’ouvrage se concentre sur l’étude de la promotion de la démocratie comme politique étrangère de l’Union européenne. Il ne s’agit pas d’une étude de l’impact de cette promotion de la démocratie dans les pays choisis, ni d’une analyse des évolutions politiques en cours en Tunisie et au Maroc. En aucun cas ne sont développés dans ce livre des jugements de valeur sur « ce vers quoi » les régimes politiques marocain et tunisien devraient tendre.

2.  Questions de méthode

Afin de retracer les processus analysés, de reconstruire la trame narrative du sujet et de saisir l’essence des pratiques étudiées2, nous utiliserons deux types de sources primaires. D’abord, une analyse de documents écrits produits par les groupes institutionnels étudiés : documents de travail, résolutions, rapports, procès-verbaux de réunions, appels à propositions, programmes d’action, etc. Ensuite, les entretiens permettent de compléter les documents écrits.

1.  Analyse de documents : une approche qualitative

Cet ouvrage propose d’analyser les identités, les normes et les pratiques des différents groupes institutionnels au moyen d’une analyse qualitative de textes (documents et entretiens). Il s’agit d’une analyse de contenu et, à certains égards, d’une analyse de discours. On parle d’analyse de contenu lorsqu’on rapporte et interprète le contenu d’un corpus qui a été lu ou écouté3. L’approche est qualitative : nous avons défini un corpus de textes pertinent au regard de l’objet d’étude et de la question de recherche4. Plus précisément, l’ouvrage analyse le discours véhiculé par les différents textes. Il ne s’agit pas de procéder à une étude linguistique de la structure des textes5, mais de s’interroger sur ce que le discours dit sur le sens des pratiques des acteurs, afin ← 16 | 17 → de mettre en évidence les sens des discours et les systèmes de représentation qu’ils véhiculent6 ; et ce, à partir des hypothèses de recherche.

Au-delà de la lecture du texte, il faut s’interroger sur ce que dit le texte au regard du contexte. Dès lors que le texte cristallise certaines représentations dans le temps et l’espace, il convient de le replacer dans le contexte institutionnel de sa production, de son interprétation et de son utilisation7.

Les textes analysés sont à la fois des documents écrits produits par les institutions et des entretiens avec des acteurs des processus étudiés. En raison des particularités méthodologiques qu’ils impliquent, les entretiens sont abordés plus spécifiquement dans la section suivante. Les documents choisis l’ont été en fonction de leur pertinence quant à la question de recherche : quelles sont les pratiques des différents groupes institutionnels impliqués dans les politiques européennes de démocratisation ? Comment les comprendre ?

Pour chaque groupe institutionnel, nous avons sélectionné les textes liés aux décisions et à la mise en œuvre des politiques de promotion de la démocratie. Nous avons aussi analysé les textes produits par plusieurs groupes institutionnels dans le cadre, par exemple, d’une procédure législative. Les documents utilisés dans l’analyse figurent dans les notes de bas de page.

Groupes institutionnels

Nature des documents

DG DevCo

Programmes d’action annuels, appels à propositions

Délégations de l’Union européenne (Maroc, Tunisie)

Appels à propositions

DG Relex/SEAE

Documents de stratégie

Parlement européen/ Sous-commission droits de l’homme au Parlement européen

Rapports, procès-verbaux des réunions en sous-commission, projets de rapports

Documents conjoints

Règlements

Conseil européen et conseil de l’Union

Résolutions, conclusions, lignes directrices, décisions, positions communes, règlements

Autres DG de la Commission, ou documents de la Commission

Propositions de règlement, communications, documents de travail, plans d’action

Autres acteurs ; autres types de documents

Déclarations, traités, avis, recommandations, rapports, communiqués de presse

Comment avons-nous analysé les documents concrètement ? Il est nécessaire d’en dépasser le sens littéral, pour les interpréter dans leur contexte. La méthode est celle d’une lecture dynamique du texte, à partir de questions clés8. Certaines questions ← 17 | 18 → concernent l’analyse du document par le texte, d’autres l’analyse du document par son contexte :

–l’analyse du document par le texte, d’abord : que dit le document ? Quel(s) argument(s) défend-il, à partir de quelles prémisses ?

–l’analyse du document par son contexte, ensuite : qui a produit le document ? Quelle est la position/ le rôle de celui qui produit le document ? Quel est le contexte relationnel de production du document ? A qui s’adresse le document ? Quel a été son processus de production (y a-t-il eu une première version, un compromis entre différents groupes, etc. ?) ?

Sur la base de cette première analyse, les documents et les entretiens permettent de reconstruire la trame narrative9 du processus étudié.

Dans l’analyse du corpus, deux questionnements émergent. D’abord, comment établir le rapport entre ce qui est dit dans le texte et certaines pratiques qui peuvent être contradictoires par rapport au texte ? Faut-il en conclure que le texte « ment » ? Faut-il se fier au message manifeste transmis par le texte ? D’une part, nous nous fions ici en partie au message manifeste du texte : nous prenons en compte ce que l’auteur a voulu dire sur le thème du texte. D’autre part, nous interprétons ce message au regard du contexte et des pratiques qui lui sont liées. Autrement dit, il s’agit de confronter le message transmis par le texte à son contexte.

Ensuite, et cette question est liée à la première, les documents des institutions européennes ont souvent un caractère général, volontairement peu précis. Ils sont truffés de termes polysémiques et des paragraphes entiers semblent parfois vides de sens, tant le contenu et les mots choisis résultent d’une logique de compromis. Une même phrase (ou un même mot) signifie parfois deux choses différentes, selon qu’elle est utilisée par un groupe institutionnel ou un autre. A titre d’exemple, le mot « complémentarité » est investi d’un sens tout à fait différent par les délégations de l’Union européenne et l’unité IEDDH à Bruxelles. Il est dès lors nécessaire de s’intéresser aux nuances entre les différentes formulations et, surtout, de prendre en compte le contexte de production du document et le système de sens qui lui est inhérent. Ici, les entretiens permettent, par exemple, de mieux comprendre la signification donnée par les agents à l’un ou l’autre terme général.

2.  Les entretiens

Les entretiens viennent compléter l’analyse du corpus de documents écrits et s’inscrivent dans la double démarche adoptée dans cet ouvrage : expliquer et comprendre. Les entretiens sont utilisés afin de récolter des informations sur les processus étudiés. Par ailleurs, il s’agit d’un outil important pour comprendre ← 18 | 19 → comment certains facteurs influencent la prise de décision : idées, culture, normes, éthique, perceptions, cognition, etc.10.

Les entretiens servent ici surtout à mettre en évidence les pratiques discursives subjectives. En effet, l’entretien se révèle utile pour déterminer le rôle des agents et la façon dont ils agissent sur leur environnement11, mais aussi pour saisir le discours des agents sur leurs propres pratiques et les perceptions qu’ils en ont. En donnant une place de choix au point de vue de l’acteur (« à son expérience vécue, à sa logique, à sa rationalité »12), l’entretien permet de recueillir des discours illustrant les pensées des acteurs sur leur comportements sociaux, d’analyser le sens donné par les acteurs à leurs pratiques13. L’entretien est le moyen de mettre en évidence la perception subjective des agents quant à la réalité qui les détermine et qu’ils contribuent à construire. Ces caractéristiques propres aux entretiens justifient leur usage, en complément de l’analyse des documents. Les deux types de sources permettent d’apporter des réponses cohérentes et nuancées aux questions posées dans cet ouvrage, en prenant en compte toute la complexité de la réalité analysée.

Trente-quatre entretiens ont été menés, à Bruxelles, au Maroc et en Tunisie, entre décembre 2009 et mai 2012, soit sur une période de deux ans et demi. Les personnes rencontrées ont été sélectionnées en fonction de leur implication dans le processus étudié :

–des personnes travaillant dans l’un des groupes institutionnels analysés : IEEDH-DevCo à Bruxelles (quatre ; ceux qui travaillent sur les Objectifs 1 et 2 de l’IEDDH), DG Relex et Service européen d’action extérieure (trois ; ceux travaillant sur les questions de démocratie et de droits de l’homme, ou sur la zone géographique Maghreb), délégations de l’Union européenne (six ; ceux qui sont en charge des questions de démocratie et de droits de l’homme, des questions de dialogues politiques, et ceux en charge de la gestion des projets IEDDH), sous-commission Droits de l’homme au Parlement européen (dix ; avec un équilibrage entre les groupes politiques impliqués dans la sous-commission) ;

–des personnes, membres d’associations, impliquées dans des projets financés par l’IEDDH en Tunisie et au Maroc (onze). Dans ce cas, nous avons rencontré, en priorité, la (ou les) personne(s) directement en charge du projet.

Les entretiens sont anonymes, à la demande des interlocuteurs surtout : certains ne voulaient pas être cités car ils n’étaient pas officiellement les porte-parole de leur institution, d’autres parce qu’ils estimaient, sous couvert d’anonymat, être plus libre dans leur parole. L’anonymat est donc apparu comme une condition pour mettre l’interlocuteur en confiance et obtenir des réponses crédibles. ← 19 | 20 →

Les entretiens se composent de questions semi-ouvertes ; cette méthode permet une exploration détaillée des expériences et du vécu des acteurs interrogés, tout en laissant la place aux particularités du contexte14. Les questions ont été formulées sur la base d’un plan d’entretien, relativement souple, pensé pour confronter les données récoltées aux hypothèses de recherche15.

La méthode par entretiens comporte certains risques qui expliquent le scepticisme dont elle peut faire l’objet16. Principalement, comment éviter la « reconstruction stratégique par les acteurs »17 ? Comment faire face à des réponses « tronquées » d’acteurs ? « People tend to see their own actions in the best light. (…) They may use justifications for actions produced in retrospect, or use handily available ideologies no matter what they really think about those justifications »18. Par ailleurs, il faut également prendre en compte les erreurs et oublis éventuels.

Afin d’éviter ces écueils, il est important d’être conscient de la position idéologique et institutionnelle de l’acteur, il faut aussi croiser l’origine des sources et prendre en compte la dimension contextuelle. Nous nous sommes efforcée de trouver plusieurs sources (écrites ou issues des entretiens) pour une même donnée et nous avons pris soin d’inscrire chaque entretien dans le contexte plus large des autres entretiens et documents analysés. Cela nous a permis de confronter les dires d’une personne aux discours des groupes institutionnels, mais aussi de relier les interprétations subjectives à leur contexte de production intersubjectif.

En d’autres termes, il s’agit d’interpréter ce que les acteurs rapportent et disent de leurs pratiques19. Plutôt que de prendre pour argent comptant la justification qu’un acteur donne à sa pratique, il faut se demander en quoi les pratiques des agents et ce qu’ils en disent reflètent une conformité aux normes attendues dans leur groupe institutionnel, ce qui permet de mettre en lumière la fonction intersubjective remplie par la pratique analysée. Par ailleurs, il faut rester conscient qu’une « reconstruction stratégique », une déformation, voire un mensonge, ne sont pas anodins : ils reflètent l’interprétation de l’acteur quant à ce qui peut/doit être dit sur l’un ou l’autre événement, sur l’un ou l’autre comportement. En conclusion, il est nécessaire de débusquer et d’isoler ces moments de déformation, puis de les analyser attentivement et de tenter de découvrir ce qu’ils cachent20. De quelle structure de sens sont-ils porteurs ?

Signalons aussi un obstacle spécifique à notre objet d’étude. Le personnel de l’Union européenne est très mobile. Un agent contractuel peut passer trois ans à la DG DevCo à Bruxelles et trouver ensuite un poste en délégation, ou devenir fonctionnaire et être affecté au Service européen d’action extérieure. La mémoire institutionnelle fait donc souvent défaut, tant au Parlement qu’à la Commission. De nouveau, la nécessité de croiser les sources trouve ici toute sa justification. ← 20 | 21 →

3.  Plan de l’ouvrage

Cet ouvrage est divisé, outre l’introduction et la conclusion, en cinq chapitres. Dans l’introduction, nous avons développé la problématique, nos objectifs, nos questions et nos hypothèses de recherche, ainsi que la méthodologie.

Le premier chapitre présente les concepts mobilisés pour l’analyse, en les situant dans la littérature plus générale sur la promotion de la démocratie. Le chapitre se divise en deux sections, répondant chacune à une question précise :

quel est l’état de la littérature actuelle sur la promotion de la démocratie ?

quels sont les outils conceptuels pertinents pour analyser les politiques européennes de promotion de la démocratie ?

Le deuxième chapitre plante le décor, c’est-à-dire le cadre contextuel dans lequel s’inscrit cette recherche. Nous développerons trois axes :

–la façon dont la promotion de la démocratie s’est constituée en objectif de politique étrangère ;

–le rôle international de l’Union européenne, principalement à travers les relations avec ses voisins méditerranéens, et dans le cadre particulier de la promotion de la démocratie ;

–la situation politique des deux pays étudiés, le Maroc et la Tunisie.

Le troisième chapitre introduit les acteurs, c’est-à-dire les groupes institutionnels impliqués dans la mise en œuvre des politiques européennes de démocratisation : qui sont les différents groupes institutionnels impliqués dans la promotion de la démocratie en Tunisie et au Maroc par le biais de l’IEDDH ? Nous présenterons successivement la Commission (groupes : DevCo, Relex/SEAE, délégations) et le Parlement (groupe : sous-commission DROI) pour mettre en lumière leurs spécificités, leur fonctionnement et leurs prérogatives et en cerner les caractéristiques principales. L’objectif est de comprendre les spécificités institutionnelles de chacun des groupes.

Les chapitres IV et V constituent le cœur de l’analyse ; ils présentent et analysent les pratiques qui apparaissent dans la détermination et la mise en œuvre de l’IEDDH.

Enfin, après un bref rappel de la problématique, des questions et des hypothèses de recherche, la conclusion s’interroge sur l’utilité du cadre analytique et conceptuel et présente une discussion des principaux résultats de cet ouvrage, avant de s’intéresser aux conséquences de la complexité institutionnelle étudiée dans le cadre des bouleversements politiques que connaît le région arabe méditerranéenne depuis 2011. ← 21 | 22 →

1Pierre BOURDIEU, Contre-feux, Paris, Raisons d’Agir, 1998, p. 28.

2Vincent POULIOT, Jérémie CORNUT, « Practice theory and the study of diplomacy : A research agenda », Cooperation and Conflict, 50/3, 2015, p. 297-315 ; Rebecca ADLER-NISSEN, « Towards a Practice Turn in EU Studies : The Everyday of European Integration », Journal of Common Market Studies, 54/1, 2016, p. 87-103.

3Peter BURNHAM, Karin GILLAND, Wyn GRANT, Zig LAYTON-HENRY, Research Methods in Politics, Basingstoke/New York, Palgrave MacMillan, 2004, p. 236.

4Ibid.

5Sur l’analyse de discours, voir Alpha Ousmane Barry, « Les bases théoriques en analyse de discours », Publication de la Chaire Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie, janvier 2002.

6Alain BLANCHET, Anne GOTMAN, L’enquête et ses méthodes. L’entretien, Paris, Armand Colin, 2007, p. 89.

7Gale MILLER, « Contextualizing Texts : Studying Organizational Texts », in Gale MILLER, Robert DINGWALL (éd.), Context and Method in Qualitative Research, Londres/Thousand Oaks/New Delhi, SAGE Publications, 1997, p. 78.

8Clare GINGER, « Interpretive Content Analysis. Stories and Arguments in Analytical Documents », in Dvora YANOW, Peregrine SCHWARTZ-SHEA (éd.), Interpretation and Method. Empirical Research Methods and the Interpretive Turn, Londres/New York, M.E. Sharpe, 2006, p. 346-347.

9Gale MILLER, loc. cit., p. 85 ; Catherine KOHLER RIESSMAN, « Narrative Analysis », in A. Michael HUBERMAN, Matthew B. MILES (éd.), The Qualitative Researcher’s Companion, Thousand Oaks/Londres/New Delhi, SAGE Publications, 2002, p. 217-270.

10Brian C. RATHBUN, « Interviewing and the Qualitative Field Methods : Pragmatism and Practicalities », in Janet M. BOX-STEFFENSMEIER, Henry E. BRADY, David COLLIER (éd.), The Oxford Handbook of Political Methodology, Oxford/New York, Oxford University Press, 2008, p. 690.

11Ibid.

12Alain BLANCHET, Anne GOTMAN, op. cit., p. 20.

13Ibid., p. 22-24.

14Brian C. RATHBUN, loc. cit., p. 686.

15Alain BLANCHET, Anne GOTMAN, op. cit., p. 42.

16Brian C. RATHBUN, loc. cit., p. 687.

17Ibid., p. 694.

18Keith DOWDING, « Interpretation, Truth and Investigation : Comments on Bevir and Rhodes », British Journal of Politics and International Relations, 6/2, 2004, p. 138.

19Ibid.

20Jean-Claude KAUFMANN, L’entretien compréhensif, Paris, Armand Colin, 2004, p. 64.

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CHAPITRE I

La promotion de la démocratie par l’Union européenne : les concepts

1.  La promotion de la démocratie, une norme dans un monde d’intérêts ?

1. Des études de démocratisation aux analyses de promotion de la démocratie

Les analyses des politiques de démocratisation des acteurs externes constituent un champ assez nouveau de la littérature, dont l’essor peut être situé à la fin des années 1990. Elles émergent dans la continuité, principalement, des études de démocratisation et des politiques de démocratisation.

A l’origine, les théories de la démocratisation foisonnent dans le contexte de l’après-seconde guerre mondiale, de la décolonisation et de l’accès à l’indépendance de nombreux Etats. Dans les années 1950 et 1960, les théories de la modernisation sont en vogue et posent comme condition à la démocratie la modernisation des sociétés1. D’autres études adoptent une approche relevant de la sociologie historique, inspirée par des auteurs comme Charles Tilly ou Theda Skocpol2. A partir des années 1970 émergent des analyses basées plutôt sur le rôle des acteurs, au détriment de la structure analysée, par exemple, par la sociologie historique. Il s’agit de la transitologie. Les auteurs s’intéressent ici au rôle des agents dans les processus par ← 23 | 24 → lesquels la démocratisation se met en place ; ils estiment parfois que la démocratie peut éclore indépendamment du contexte structurel3.

Figure 1. Des théories de la démocratisation aux analyses de promotion de la démocratie

La caractéristique commune de ces approches est leur intérêt pour les processus internes au phénomène de démocratisation. Pendant longtemps, les études de démocratisation ont considéré les facteurs internes comme décisifs. Pourtant, la question du rôle des facteurs externes émerge dès le début des années 1990, parallèlement aux évolutions en cours sur la scène internationale. La réflexion autour de l’impact des facteurs internationaux sur les processus internes est développée par exemple par Samuel Huntington dans son ouvrage sur les vagues de démocratisation4, mais aussi par des auteurs comme Laurence Whitehead ou Geoffrey Pridham5. Si, à l’instar de Philippe Schmitter6, de nombreux transitologues continuent à favoriser l’analyse des processus internes, ils n’en viennent pas moins à s’interroger sur les relations entre structure internationale et développements nationaux. Très vite, la dimension structurelle des facteurs internationaux est dépassée et le rôle des acteurs externes dans les processus de démocratisation est mis en question7. ← 24 | 25 →

Dans un article publié en 2011, Jonas Wolff et Iris Wurm s’intéressent à la mise en place d’une approche théorique à même de saisir l’essence de la « promotion de la démocratie » en tant qu’objectif et stratégie de politique étrangère des Etats démocratiques8. Selon eux, la plupart des auteurs qui s’intéressent à la promotion de la démocratie se limitent à une analyse empirique et les quelques tentatives de théoriser le phénomène trouvent leur source dans les théories de la transition et de la consolidation démocratique. Ils se bornent à analyser l’impact des politiques de démocratisation, grâce à la mise en évidence des mécanismes de causalité qui expliquent l’influence des acteurs externes. Les politiques de démocratisation sont considérées comme une des dimensions des processus de démocratisation et l’attention reste focalisée sur les pays destinataires des politiques plutôt que sur les acteurs de promotion de la démocratie9. Selon Wolff et Wurm, les études qui prennent en compte les acteurs externes des politiques de démocratisation seraient purement descriptives et dénuées de cadre théorique explicite10. Sur la base de ce constat, les auteurs proposent de considérer la promotion de la démocratie comme un objectif de politique étrangère. Il convient donc de l’analyser en s’intéressant aux acteurs des politiques, tout en dépassant la dimension descriptive pour établir une structure théorique capable de rendre compte du phénomène. Ils insistent sur la nécessité de se demander pourquoi les acteurs s’efforcent de promouvoir la démocratie, pour ensuite saisir le phénomène dans sa globalité11.

La position défendue par Wolff et Wurm permet de mettre en évidence différents éléments. D’abord, il est nécessaire de différencier l’étude d’impact de l’analyse des politiques, qu’il s’agisse de l’analyse des acteurs, des objectifs, des stratégies ou des processus décisionnels. Les deux auteurs le soulignent à juste titre et en appellent à l’analyse théorique de la promotion de la démocratie comme politique étrangère, en se distanciant des études de transition qui, elles, se concentrent sur les processus en cours dans le pays destinataire et, dès lors, sur la question de l’impact des politiques de promotion de la démocratie dans un pays donné. Toutefois, Wolff et Wurm critiquent la dimension trop exclusivement descriptive des analyses de promotion de la démocratie centrées sur les acteurs de ces politiques. Il convient de nuancer cette affirmation car si les choix théoriques y sont rarement explicites, ils sous-tendent pourtant toute réflexion en la matière.

Ensuite, Wolff et Wurm proposent une analyse théorique basée pour l’essentiel sur la compréhension de la promotion de la démocratie comme objectif de politique étrangère et stratégie des Etats acteurs des politiques. Ils s’interrogent sur les motivations : « Why should democratic states care for and invest in the regime type of other countries ? »12. En d’autres termes, ils s’interrogent sur le « pourquoi » des ← 25 | 26 → politiques de démocratisation. L’idée défendue dans cet ouvrage est que la question du « pourquoi » doit nécessairement être complétée par la question du « comment ». Comment la promotion de la démocratie est-elle rendue possible comme objectif de politique étrangère ? Comment est-elle construite et mise en œuvre ? Il s’agit dès lors de ne plus considérer la promotion de la démocratie comme une « stratégie », mais bien comme un « processus politique ».

Enfin, les deux auteurs défendent une perspective délibérément stato-centrée. Ils avancent deux raisons à ce choix. D’abord, les Etats resteraient les acteurs les plus importants des politiques de démocratisation13. S’il ne s’agit pas de nier l’importance des Etats dans ce type de politiques, le rôle des institutions internationales (voire supranationales) ne peut pas être relégué au second plan. Ensuite, selon Wolff et Wurm, les différences trop importantes entre ces divers types d’acteurs rendraient difficile, voire impossible, la théorisation générale de la promotion de la démocratie : « In any case, given the difference in « actorness » between states, international organizations, and nongovernmental organizations in international politics, the attempt to theorize democracy promotion in general – that is, with an inclusive view on state, multilateral, and non-state actors – seems rather unpromising »14. Pourtant, la raison d’être d’une théorie n’est-elle pas, justement, sa portée générale ? Sans pour autant défendre l’idée de théories « englobantes » visant à expliquer chaque fait ou événement du monde social et politique, la portée générale d’une théorie reste une des conditions de sa pertinence.

Les études de promotion de la démocratie peuvent aujourd’hui se répartir en deux, voire trois, types d’approches. Les approches rationalistes, largement dominantes, se distinguent par un stato-centrisme fréquent et par une analyse en termes de stratégies et d’objectifs, plutôt que de processus. D’autres types d’approches abordent la promotion de la démocratie comme une norme sociale. Une troisième voie peut être mise en évidence : celle des institutions. D’inspirations diverses, les analyses centrées sur les institutions se révèlent précieuses à l’analyse de la promotion de la démocratie comme processus politique.

2.  La promotion de la démocratie comme stratégie d’acteurs : stato-centrisme et intérêts

Dans le champ des études sur les politiques de promotion de la démocratie, le rôle des Etats est souvent mis en évidence, au détriment de celui des institutions internationales. Nombre d’études pionnières en la matière se sont concentrées sur le rôle des Etats, à l’exemple des Etats-Unis15. Les premières études de promotion de ← 26 | 27 → la démocratie s’intéressant aux Etats, les premières conceptualisations sur le sujet ont donc eu lieu sur cette base et sont logiquement stato-centrées.

La plupart des auteurs ont par la suite reconnu le rôle des institutions internationales. Philippe Schmitter et Imco Brouwer, par exemple, mettent en évidence la diversité des acteurs de promotion de la démocratie au niveau international : gouvernements occidentaux, organisations internationales et multilatérales, mais aussi associations, fondations et mouvements sociaux transnationaux16. Toutefois, ce rôle est considéré comme secondaire par certains analystes. Dans son état de la question17, Peter Schraeder met en évidence le rôle croissant des organisations internationales dans la promotion de la démocratie, tout en rappelant que, selon lui, les Etats restent les acteurs centraux de ces politiques. Il en veut pour preuve le cas de l’Union européenne, dont les activités de promotion de la démocratie seraient principalement déterminées par les intérêts et les préoccupations des Etats membres. Il y voit trois raisons : la nécessité de parvenir à un consensus, qui aboutit à un plus petit commun dénominateur quant aux actions entreprises ; l’influence des membres les plus importants lorsqu’il s’agit de la politique étrangère et la domination économique et financière de certains Etats expliquant leur rôle prépondérant. Si la nécessité de parvenir à un consensus est une réalité de la politique étrangère européenne, il convient de nuancer ce facteur dans le cas des politiques de démocratisation. Lorsque l’on s’intéresse à l’assistance financière à la démocratisation (IEDDH), on voit que les politiques communautaires bénéficient d’une certaine autonomie. Federica Bicchi démontre de manière convaincante la large autonomie dont bénéficient certains groupes institutionnels au sein de la Commission dans la mise en œuvre des politiques. Les deux autres facteurs interviennent aussi mais ils n’empêchent pas l’existence d’une autonomie réelle dans les processus de mise en œuvre des politiques, une fois que les grandes lignes politiques ont été arrêtées.

Les politiques de démocratisation menées par l’Union européenne font aujourd’hui l’objet de nombreuses analyses18. Certaines d’entre elles conservent toutefois une perspective stato-centrée. Richard Youngs, par exemple, insiste sur l’importance et la centralité des Etats membres dans les politiques européennes de démocratisation. Ce stato-centrisme dans l’analyse des politiques européennes s’explique entre autres par le fait que ces dernières ne sont que le résultat, selon Youngs, de compromis ← 27 | 28 → entre les Etats membres19. Les différents aspects des politiques européennes de démocratisation, qu’il s’agisse du dialogue politique, de la conditionnalité ou de l’aide à la démocratisation, se caractérisent par une tension transversale entre logiques étatiques et communautaires. Toutefois, cela ne suffit pas à dénier toute forme d’autonomie aux politiques communautaires en matière de démocratisation. Le rôle des Etats membres à lui seul n’explique pas la façon dont les politiques communautaires de démocratisation sont menées. Kotzian, Knodt et Urdze appellent à relativiser l’importance des Etats membres dans la mise en œuvre des programmes d’aide à la démocratisation20. Si leur influence est loin d’être nulle, elle ne suffit pas à comprendre le fonctionnement des politiques communautaires en la matière, et en particulier de l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme. Il est dès lors nécessaire de pouvoir considérer les institutions supranationales comme des acteurs autonomes dans les processus de mise en œuvre.

Il ne s’agit pas dans cet ouvrage de nier l’importance des Etats membres, mais d’affirmer que les politiques de démocratisation de l’Union européenne, dans leur globalité, sont le produit de rapports de force qui ne se limitent pas aux rapports entre Etats membres et institutions européennes. Les relations de pouvoir internes aux institutions permettent de comprendre les processus en cours. L’influence des Etats membres est évidente en amont, dans la définition des politiques. Une fois arrêtées les politiques à mener, une nouvelle série de rapports de force se met en place pour la mise en œuvre, à un niveau intra-institutionnel.

Les approches rationalistes se démarquent également par l’importance qu’elles accordent à l’idée de stratégie dans la promotion de la démocratie : elles se basent sur l’idée d’acteurs rationnels qui agissent selon des intérêts21. Ce type d’analyse, en termes d’acteurs, de choix, de stratégie et d’intérêts aboutit à une tension problématique entre les notions de « norme » et d’« intérêt ». Ces approches témoignent d’une conception ambivalente quant au statut de la promotion de la démocratie. Si elle peut être appréhendée comme un « intérêt stratégique » du donateur, beaucoup ne la réduisent pas à cela et la considèrent aussi comme une norme dans un monde d’intérêts. En effet, selon Peter Schraeder, par exemple, en cas de concurrence avec d’autres intérêts de politique étrangère, c’est la norme démocratique qui est compromise22. ← 28 | 29 → L’article de Schraeder illustre bien l’ambivalence de ce type d’approche. D’une part, la démocratie et sa promotion sur la scène internationale sont présentées comme une « norme » (bien souvent sans réflexion sur la portée conceptuelle de l’utilisation du terme). D’autre part, cette norme serait en concurrence avec les intérêts rationnels des Etats, qui peuvent s’exprimer en termes sécuritaires, économiques ou politiques.

Considérer la promotion de la démocratie comme une norme, en opposition à des intérêts, résulte d’une non-problématisation du concept. En effet, dans de nombreuses études, toutes tendances confondues, il existe un accord tacite sur l’idée que la promotion de la démocratie constitue une activité louable et souhaitable, puisqu’elle participe à la diffusion d’une norme ou d’une valeur universelle. Milja Kurki a mis en évidence cette dimension dans un ouvrage publié en 201323 ; selon elle, la promotion de la démocratie est un élément de la mise en place d’un ordre international libéral. S’appuyant sur les concepts gramscien et foucaldien de sens commun et de gouvernementalité, elle montre comme la promotion de la démocratie constitue, d’une part, un objectif naturel des acteurs internationaux et comment, d’autre part, cette promotion de la démocratie promeut nécessairement un modèle libéral, ou plutôt néolibéral, bien que consensuel.

La promotion de la démocratie est alors considérée comme un objectif « naturel », la seule difficulté résidant dans sa capacité à émerger face à d’autres types d’intérêts politiques, économiques ou stratégiques. A titre d’exemple, de nombreux spécialistes des politiques de démocratisation ont contribué, en 2009, à un ouvrage collectif qui compare les politiques européennes et américaines en la matière et dont l’introduction affirme la nécessité de défendre les valeurs communes aux Etats-Unis et à l’Europe :

Mutual estrangement between Americans and Europeans over the global struggle for democracy is unnecessary as it is pernicious to the fundamental interests of the free world. Against a background of mounting challenges to political freedom in the world – from radical Islam and a resurgent, authoritarian Russia, to the more diffuse dangers of financial crisis and poverty that threaten to unravel vulnerable democracies – the two central pillars of Western democratic power – America and Europe – need to alter the terms of their conversation about democracy promotion. Rather than paint each other’s caricatures, Americans and Europeans need to ask themselves and each other : How can we do this better24 ?