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Lorsqu'on naît fils de roi, n'est-il pas plus réconfortant d'écouter les chants des sirènes de la jeunesse dorée que de suivre le protocole royal, imposé par votre lignage ? C'est ce que Calchas (fils de Soos II, roi de Sparte) pensait durant ses années d'études universitaires, à l'ombre d'une douce insouciance. Mais l'avenir allait l'éprouver, même s'il pénétra la fameuse élite des Boucliers d'argent ; le sort allait s'acharner contre lui : entre des affections chroniques et des problèmes psychologiques issus de l'enfance, Calchas devra à chaque instant faire preuve de discernement et d'engagement, afin de surmonter les épreuves que la vie lui impose. Suite à un conflit entre les cultes dionysiaques, orphiques et de Zeus Labrundos (divinité des Amazones), Calchas se retrouvera précipité dans un conflit où les différents belligérants risquent à chaque instant de bousculer l'ordre du monde hellénique...
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Seitenzahl: 304
Veröffentlichungsjahr: 2021
Du même auteur :
Chroniques de Déméter
1. La revanche d'Ixion
2. La tombe d'Hestia
3. L'univers-dieu de Tau-Thétis
La lettre T représente le mystère du sacrifice, et Thétis, la
Néréide, n'enfante que des mortels : la Création est une révolution sans fin
« L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui
s’il veut parvenir à ce qu’il y a de meilleur ».
Friedrich Nietzsche -
Ainsi parlait Zarathoustra
À mon père,
qui m'a ouvert au sens du beau
Prologue
La déchirure
La fin de l’insouciance
Casus belli
Des retrouvailles
La nouvelle couverture Peltè
Premières âmes vers les Hadès
Zeus Agêtor
D' Artémis la Sanguinaire…
Anamorphose animique
Le coup de Midas
Zeus ex machina
EXPOSANTS
DOCUMENTATION
Durant la 1620e olympiade, les Hellènes et les Perses décidèrent de conclure un traité scientifique concernant le planétoïde Tau-Thétis, dont son atmosphère abritait les ludions, des métazoaires de l’embranchement des cnidaires. Ces mystérieux animaux offraient d’étonnantes facultés morphologiques, dont le génie moléculaire renfermait certaines protéines, des anticorps permettant de renforcer le système immunitaire voire modifier le métabolisme de l’individu, afin de le rendre quasiment immortel. Généticiens, zoologistes et climatologues se succédaient durant de nombreux mois au sein de la station internationale de Tau-Thétis, construite par la grâce de généreux donateurs perses et helléniques, afin de confronter leurs recherches sur le noble animal, mais les Confréries orphiques, dionysiaques, bacchiques ainsi que des écologistes estimèrent que ce traité scientifique portait préjudice à sa faune, et décidèrent en commun de mettre un veto sur les poursuites expérimentales, s’effectuant au-dessus de la planète aux ludions. Un symposion extraordinaire fut donc arrêté sur l’amphithéâtre de l’université de la Nouvelle-Athènes par deux commanditaires de cultes à mystères et un groupe écologiste radical…
Pendant que les dernières images holographiques s’appesantissaient sur la sphéricité du planétoïde Tau-Thétis, l’éclat des projecteurs de la salle s’intensifia progressivement, cassant les trois dimensions de l’image holo en de simples transcriptions linéaires de format d’images 2d, d’une médiocre qualité visuelle. L’amphithéâtre était comble, et il fallut au service de sécurité toute la mesure qui s’impose en pareil cas car un risque d’attentat n’était pas à négliger, d’autant plus que le service de renseignements de l’Attique avait eu connaissance de l’entrée sur le territoire d’agents infectieux, venus majoritairement de Perse…
La Grande Mère du Thyase se redressa et s’approcha du rebord de la scène, où un microphone y était planté. La dadouque du culte d’Éleusis revêtait une robe pourpre et verte, assez ample pour en apprécier les subtiles pigmentations émergeant suivant l’intensité lumineuse de l’amphithéâtre. Du haut de sa vingtaine d’olympiades, elle rejoignit le pied de micro en traversant l’image holographique, corrigée par le technicien, placé dans la petite pièce suspendue au-dessus des sièges à dossier rabattable. Aidée de son thyrse, elle en parcourut l’ère lumineuse, l’image de Tau-Thétis redevenant d’une netteté cristalline, offrant le privilège d’en apprécier sa surface d’un bleu turquoise. À haute altitude, des vents vigoureux entassaient une masse de nuées sur la frange cintrée du planétoïde, jaillissant son arc bleuté du bord de la scène jusqu’au faîte de la salle des congrès. Elle jaillit de l’autre côté de l’holo, la coiffure d’un blanc crayeux rattachée en arrière par des rubans d’un rouge cinabre. Une fibule dorée traversait le chignon. Ses yeux s’enfonçaient dans leurs orbites anguleuses, des yeux d’un bleu aussi limpide que celui de la planète aux ludions. Son caractère acariâtre ne l’empêchait pas d’être estimée du fidèle, du peuple et de la communauté politicienne pour la verve de ses positions, et si elle ne disposait plus d’une forme olympienne, rien ni personne ne pouvait contredire le fait que la vigueur de ses dithyrambes lui offrait le moyen d’aboutir à ses fins : on se devait de rétablir ladite planète en téménos, une aire sacrée qu’aucun laïc ne doit bafouer !
Elle accrocha d’une main puissante le manche extensible du micro, ses doigts exsangues ressemblaient à des serres d’Hyppalectryon, cet animal fabuleux d’un roux provoquant, emblème du dieu Poséidon. Elle jeta un regard sur l’assemblée plongée dans les antiques fauteuils élimés de l’amphithéâtre de l’université. Des clairs-obscurs provoquaient des dislocations optiques, révélant d’un côté le drapé de têtes illustres de chercheurs, climatologues, généticiens, neurobiologistes, scientifiques issus de la recherche en climatologie et des archontes (sénateurs) tout-puissants d’Athènes, d’Éleusis et de quelques satrapes (gouverneurs perses) des provinces de Ionie et de Carie, et de l’autre l’image floue des prêtres d’Éleusis, d’Athènes, de Delphes, de Dodone et d’Éphèse. La tension était palpable, au demeurant personne ne souhaitait céder à l’autre partie la moindre part de marché diplomatique ; un schisme entre la prêtrise et la communauté scientifique ne pouvait qu’émerger de Chaos, au grand dam de l’archonte d’Athènes, mettant cœur et âme à trouver une issue afin de satisfaire les deux parties. Sans compter l’implication de philosophes, d’artistes et d’illustres sportifs, acharnés à épauler l’une ou l’autre fraction à grands coups de clameurs télévisuelles, offertes par les différentes chaînes de télévision.
« Ô Seigneur Iacchos, rhombes, osselets et miroirs ne suffiront pas à méduser les incroyants ! » dit-elle, accompagnée d’un regard sombre balayant la salle des congrès. Elle s’éclaircit la voix, provoquant au sein de l’assemblée quelques éclats de voix hilares. Descendante de l’illustre famille sacerdotale des Kéryces, la raillerie ne l’effrayait plus, elle s’évertuait à accomplir sereinement sa mission protectrice, assujettie aux ordonnances du seigneur Zeus Eubouleus (celui des profonds Hadès). Sa rhétorique n’avait pas la puissance d’un Aristote ou d’un Gorgias, néanmoins elle possédait assez d’envergure pour attirer la foule, émouvoir l’assemblée et poser des trames permettant à l’opposant de disserter pendant des heures, sans que la prêtresse ne perde le fil de la raison et finisse par faire tomber le masque de la fausseté siégeant dans la bouche du vil politicien, corrompu par quelques oboles dégagées de la bourse d’un nanti.
« Dois-je encore éprouver mon gosier jusqu'à l'aphonie, afin de rassembler la communauté et feindre l'omission des faits commis durant le mois de gamélion, où quelques incroyants s'en donnèrent à cœur joie pour mettre le feu au temple d'Artémis d'Éphèse ? Cet acte barbare n'est pas qu'un avertissement envers les confréries religieuses mais un préliminaire à d'autres méfaits tout aussi sordides, forcer la prêtrise au silence et accepter l'ineptie des pédants et autres alchimistes, obnubilés par l'immortalité ? » songea-t-elle, juste avant d'élancer sa rhétorique.
Elle arracha le micro de son support et s’avança jusqu’au rebord de l’estrade, la manche du chiton glissant de son bras efflanqué, d’une blancheur lactescente. Les veines saillaient de sa peau fripée, engendrant des sinuosités reptiliennes d’un bleu charron. Malgré l’âge, elle semblait glisser sur les planches, l’ample tunique accompagnant ses mouvements aériens que seul un Dionysos Zagreus emplit d’enthousiasme en connaissait les tenants et les aboutissants ; c’est un jeu de miroirs où l’âme de la Grande Mère du Thyase vécut des années durant, dans la prière et le recueillement. Elle parcourut du regard les gradins, où des têtes émergeaient des cônes de lumière, émissent depuis la cambrure des cloisons.
« Depuis des lustres, j’officie au sein de la maison de notre sainte Mère, à Éleusis. Bien sûr, vous connaissez déjà ma politique concernant Tau-Thétis, je vous rappelle simplement que le rôle de la prêtrise ne s’arrête pas au sacerdoce… Il officie au rappel de ses brebis, égarées par les mirages du matérialisme… »
— Gardez votre religion, et nous la nôtre ! s’exclama une voix dans l’assemblée.
— Seigneur Cébren, je ne vous permets pas de me couper la parole ! Votre nom est comme le fleuve troyen : d’une platitude déconcertante !... Des éclats de rire fusèrent des gradins. Je disais, que notre sacerdoce ne se réduit pas qu’au recueillement, mais à recomposer une collectivité “battant de l’aile”, lorsqu’elle s’éparpille par trop d’ardeur à s’émouvoir de faits saillants de la recherche scientifique… Comprenez bien que je n’ai rien contre la Recherche, mais uniquement sur l’orientation ostentatoire de certains chercheurs, échoués dans ces instituts pharmaceutiques corrompus par des placements “juteux”, comme les cellules-souches issues de l’embryon ou du génie génétique, dont le mirage de la science corrompt plus d’un nanti, attiré par la prospective faramineuse de ses dividendes…
La Grande Mère du Thyase dressa son bras décharné en direction d’une tête, émergeant de l’assemblée.
— Mon très cher ami Antigone de Béotie, ici présent, n’est-il pas un éminent chercheur, et pourtant athée ? Toujours la soif du savoir, l’esprit prompt à quêter les moindres indices dans ses éprouvettes… À ses côtés, j’aperçois mon ami Clisthène, grand orateur, fervent anthropologue et linguiste d’Athènes. Ces nobles praticiens ont pourtant rejoint ma cause… juste cause, empreinte de philosophie, de rigueur scientifique et de spiritualité. Le regard de la Grande Mère embrassa l’assemblée, dont d’évanescentes causeries feutrées survolaient l’amphithéâtre. Sur la droite, les confréries orphiques et bachiques semblaient taciturnes, sachant pertinemment qu’un schisme inévitable allait survenir au sein de la coalition hellénique. De toutes les contrées des Hellènes, de hauts-commissaires scientifiques et militaires posaient un veto sur les lois et décrets que de fervents magistrats promulguaient en faveur de la protection sur l’environnement. « L’écologie passera après l’emploi et la protection des Hellènes ! » avait annoncé le roi de Corinthe. Le tyran n’était pas le bienvenu sur la Nouvelle-Athènes, en cette cité où demeure une largesse d’esprit prompt à satisfaire les Muses des poètes, des philosophes et des scientifiques. J’ai ouï-dire qu’un complot se tramait sur la dynastie achéménide, que des frères de sang éprouvaient la monarchie perse afin de faire capoter l’alliance avec les Hellènes… dit-elle en jetant un regard avenant sur l’ambassade perse, placé au premier rang. Comment en sommes-nous arrivés là ? En ces temps où nous avons traité de nouvelles alliances avec nos anciens ennemis, des âmes déchues s’évertuent à saper des mois et des années de diplomatie. Je sais ! Oui je sais qu’un groupuscule paramilitaire médo-perse et hellénique s’est formé au grand dam d’une paix émergente. L’ombre du malin n’est pas loin de ternir cette soif inestimable d’apaisement social et international ! Ne vous laissez pas aveugler par les propos de nos adversaires ! Ne laissez pas corrompre votre âme par les séduisants mensonges de certains “soi-disant” Libéraux ! Le totalitarisme n’est pas loin de nous tomber dessus. La planète Tau-Thétis est protégée par la Convention de Thèbes, dont l’état Perse et la coalition hellénique en sont les garants institutionnels. Nous vous rappelons que les signataires de ce traité ont institué une zone de libres-échanges scientifiques et spirituels, et que l’un comme l’autre des protagonistes sont en demeure de protéger la planète Tau-Thétis des groupes de pression mercantiles ainsi que de toutes recherches à des fins stratégiques… Je demande au Congrès que le planétoïde redevienne une terra incognita, un téménos, un territoire sacré qu’aucune des parties ne soit en mesure de souiller, et cela durant au moins une décennie…
Un silence pesant écrasa le Congrès, dont les participants restaient médusés par la demande de la Grande Mère d’Éleusis. Un bourdonnement de voix en diaphonie interférait l’harmonie spatiale de l’amphithéâtre, appelant in situ une cacophonie qu’aucunes fractions des récipiendaires politiques, scientifiques et ecclésiastiques ne semblaient pouvoir arrêter.
«... Nous n’avons plus le choix ! s’exclama-t-elle, au bord de l’aphonie. »
Derrière la dadouque d’Éleusis, le segment bleuté de la planète Tau-Thétis révélait toute sa magnificence en temps réel. De légères écharpes de nuées s’étiraient sur un fond bleu turquoise, images offertes par la grâce de l’observatoire satellitaire perse, placé en orbite géostationnaire au-dessus de la planète aux ludions. Au ponant, une dépression atmosphérique s’y amplifiait, provoquant un état cyclonique d’une extraordinaire ampleur.
«... S’il vous plaît, je demande le silence ! laissez-moi terminer… La sérénité recouvra ses aises. Une foi anime mon âme, reprit-elle : celle de la raison et de l’amitié entre les peuples. Malgré les embûches, malgré des dissensions qui, en somme, sont tout à fait courantes au genre humain, car nos divergences nous poussent au raisonnement, au discernement et à plus d’ouverture d’esprit. En tout cas je l’espère. Mes amis, chers confrères, augustes ecclésiastes de toutes confessions, ainsi que les représentants du Sénat d’Athènes, des anciens de l’aréopage, des ministres et satrapes issus des états helléniques et perses, je tiens à vous remercier de votre att… »
Soudain des cris perçants perturbèrent le colloque ; derrière l’image holo, le rideau se mouvait, issu d’un déchaînement de violence, que seuls les plis du voilage en semblaient perturbés, agités par des rixes que la Grande Mère ne voyait pas, mais qu’elle ressentait au plus profond de sa chair. On entendit des coups de feu, puis le choc d’un corps qui tombe. Un homme armé émergea des replis du rideau, le canon du fusil encore fumant, le visage en sueur et les traits tirés par la frénésie meurtrière. Cet homme fraîchement sorti de l'adolescence, devait avoir cinq ou six olympiades. À la vue de l’amphithéâtre, il se sentit perturbé, hésitant un instant devant l’imposant parterre de politiciens, fonctionnaires, scientifiques et religieux. Des personnalités se levèrent, sachant qu’un drame se jouait. Des hommes de la sécurité dressèrent leurs armes, le temps que le jeune terroriste s’immerge dans le champ holographique puis en ressorte, l’arme au poing, le canon du fusil d’assaut pointé dans le dos de la Grande Mère d’Éleusis.
— Surtout ne tirez pas sur lui ! hurla un homme, placé aux premiers gradins. La Grande Mère est en danger… Les tireurs d’élites se positionnaient, pendant que l’amphithéâtre se vidait dans la précipitation, les cris de terreur se répercutant sur les murs, tels les gémissements des âmes perdues des Hadès. La Grande Mère sentit le souffle trépidant de l’homme, sa bouche plaquée contre sa nuque. Elle discerna son arythmie cardiaque, précipitée par son opération commando et le facteur émotionnel qu’il avait du mal à contenir ; « un novice ! » Elle tenta une approche diplomatique, sûre de sa quinzaine d’olympiades dans les sombres domaines de la psychologie analytique ; la psyché humaine est tel un papillon se mouvant au sein d’Éther : difficile à cerner.
— Que veux-tu ? demanda-t-elle d’un calme olympien, sans bouger d’un cil. Il n’arrivait pas à sortir le moindre verbe, la bouche dégageant une écume abondante. Sa gorge semblait nouée par des émotions trop fortes qu’il avait du mal à dompter ; il risquait, dans sa folle épopée sanglante, faire un carnage dans l’amphithéâtre. Le temps jouait contre elle et il fallait à tout prix apaiser son rythme cardiaque afin de le rendre ouvert au dialogue. Tu pourrais être mon petit-fils, si le destin ne m’avait dirigée vers la prêtrise…
— « Tais-toi, vieille folle ! » hurla-t-il d'une voix tremblotante, la bouche rivée à son oreille, devant une assemblée hétéroclite de personnalités issues de la prêtrise, des sciences de la terre et de la politique. Des personnes étaient restées assises, d’autres allongées à même la moquette de l’amphi, pendant que certains enjambaient les fauteuils, prêts à prendre la poudre d’escampette. Des regards ébahis par la peur restaient prostrés sur le commanditaire de l’attaque terroriste, collé à sa proie, tel un prédateur prêt à commettre d’autres méfaits dès qu’il aurait sustenté son estomac de son précédent repas. « Cette sorcière a décidé de voler un territoire perse ! Tau-Thétis est un territoire perse, et aucun blanc, issu de ce pays tortueux, n’en possède la moindre poussière… Que sa religion se retire de Tau-Thétis, ou je lui balance un pruneau dans la tête !... »
La prêtresse ne bougeait plus, elle régula son rythme cardiaque, puis expulsa des formes- pensées souillant son mental. Elle détendit sa masse musculaire, n’offrant aucune résistance aux flux externes et internes d’ondes négatives essayant de l’agresser. Elle ne devait faire plus qu’ “un” avec le spectacle du monde ; recouvrer les opposés et réunir les membres épars du Dionysos Zagreus qui gisait en elle… Elle devait amadouer l'esprit de ce jeune rebelle, le faire plier sans l’irriter, ouvrir une brèche dans ce champ d’action où le moindre écart risquait d’occasionner un désastre humanitaire. La Grande Mère huma l’air ambiant ― le jeune homme s’était uriné dessus ! Les effluves de transpiration du criminel dégageaient des relents hormonaux qu’elle s’empressa aussitôt d’inhaler. Les molécules olfactives pénétrèrent ses fosses nasales, pour être captées par les fibres nerveuses jusqu’au bulbe olfactif. Elle ferma les yeux et tomba en catharsis, pénétrant l’œuf de vacuité, alors qu’autour d’elle le monde partait à la dérive…
Les agents de sécurité et les forces de l’ordre s’étaient positionnés autour du terroriste, alors que la plupart des personnalités avaient pu fuir sans qu’il n’oppose de résistance. Un stratège du commando d’élites était accompagné de deux magistrats d’Athènes et d’Éleusis. Ils s’entretenaient par phases-codes, et animaient leurs mains dans des positions qu’ils étaient les seuls à déchiffrer. La prêtrise d’Athènes, de Delphes, de Dodone et d’Éphèse s’était rapprochée des autorités militaires et des hauts fonctionnaires de l’État athénien.
— Répondez-moi ! brailla-t-il. Ils le regardèrent sans broncher, sans même lui adresser la parole, rien que des regards profonds ne laissant rien présager de bon. Antigone de Béotie se rapprocha de l’estrade, ne lâchant à aucun moment le regard du jeune terroriste.
— Tu es jeune, plein de fougue et d’audace, ne voudrais-tu pas diriger tes potentialités vers des choix plus constructifs ? tout en le regardant dans les yeux.
— Vieux fou ! Le diable Ahriman t’a perverti. Le mensonge sort de ta bouche, comme le venin sort de la gueule du serpent. Lorsque j’aurai éliminé l’esprit du mal (il enfonça la gueule du canon sur le dos de la Mère) et que mon corps ne sera que poussière, alors je traverserai le pont des Justes afin de rejoindre la Maison des Chants, le paradis des Perses… Gloire à Ahura Mazda ! car la lumière des Justes éclaire ma voie…
Soudain un homme du corps d’élite se glissa des épaisses tentures et pénétra l’estrade. Le jeune activiste n’eut qu’une fraction de seconde pour entrapercevoir le soldat fondre au sein de l’image holographique (dont une partie du planétoïde était dévorée par un puissant cyclone), y émerger à l’autre bord, le fusil d’assaut fermement agrippé dans ses mains. Pointant l’arme à la vitesse de l’éclair…, et une deuxième fraction de seconde pour le voir appuyer sur la détente de son arme, la balle pénétrant sa nuque et ressortant par sa trachée-artère, puis perçant le poumon gauche de la prêtresse du Fixe (Apollon) et du Mutable (Dionysos Zagreus), afin de finir sa course à la troisième rangée des gradins, enchâssée dans le dossier élimé d’un fauteuil.
« Ô Perséphone, Maîtresse des Hadès, ton humble fille vient à Toi ;
J’entends les sons magiques du tambourin, de la syrinx et de la lyre percer la chair de notre mère Gaïa ;
J’entends la voix du grand Orphée alléger mon âme des cycles douloureux du Chemin ;
J’ai pénétré le sein de ma Maîtresse, offrant ce papillon d’âme au filet de la sombre dame d’Éleusis et d’Élysée ;
Rhombes, osselets et miroir ne sont qu’illusions pour m’éloigner de Ta Divine Personne ;
Expir et inspir, jour et nuit, froid et chaud, les opposés se rejoignent afin d’alléger mon fardeau ;
Je deviens fleur d’asphodèle sous Ton regard bienveillant ;
Reine infernale, permet à ta pauvre fille de rassembler ses membres épars et, sous les fumets de la Divine Cuisson, m’en remettre à Toi… »
Le jeune terroriste tomba à la renverse, le corps baignant dans un bain de sang. Le bâton de férule tomba sur le sol dans un timbre mat et dissonant, puis la Grande Mère s’écroula sur les planches de l’amphithéâtre ; un filet de cruor entacha le bandeau vert pomme serpentant de l’épaule gauche jusqu’au bas de la robe sacerdotale. Les rubans se dénouèrent puis l’épingle à cheveux glissa sur les planches de l’estrade, libérant les mèches en une corolle diaphane d’un blanc de céruse, recouvrant le visage amorphe de la dadouque. Pendant que le service de sécurité déboula sur l’estrade, le garde-du-corps continuait à diriger son arme en direction du terroriste. Il le bouscula du pied, et s’aperçut que l’homme avait rejoint les sombres territoires du Tartare. Antigone de Béotie et Clisthène rejoignirent l’estrade. Clisthène s’agenouilla devant la Mère du Thyase, dégagea quelques mèches rebelles de son visage et glissa doucement son écharpe sous sa tête. La vieille prêtresse émit un fin rictus, un sourire grimaçant.
— Les Urgences ne vont pas tarder, Grande Mère. Il lui prit la main, dans un dernier sursaut de réconfort.
— Mon ami Clisthène, même en cet instant il faut que j’ameute le seigneur Asclépios… elle toussota, crachant un filet de sang.
Clisthène lui essuya la bouche et s’approcha au plus près de ses yeux d’un bleu azuré.
— Chuut ! ne vous épuisez pas, Mère, vous risquez de vous affaiblir inutilement…
— Que me dites-vous, Clisthène, je suis tel notre Zagreus : mi-cuit, prête à offrir ce corps étiolé à la hache bipenne des Titans.
— Vous avez dépassé largement ce stade-là, Mère. Vos angoisses ne se sont-elles pas dissoutes dans le chaudron de vos afflictions ?
— Des fureurs résident dans mon for intérieur, prêtes à en découdre avec ce caractère acariâtre qui m’a toujours habité.
Antigone de Béotie s’agenouilla auprès de la Mère, et la regarda avec toute la tendresse d’un grand humaniste.
— Notre Logos vous a délivré sa semence séminale afin de vous ouvrir à la connaissance divine…
Elle toussota puis expectora une humeur jaunâtre et écumeuse, puis jeta un regard bienveillant en direction de Clisthène.
— Mon ami Clisthène, c’est avec l’assentiment de la dame d’Élysée que les champs d’asphodèles plient leur tige en direction de ce corps, affaibli par l’âge et le sacerdoce. Le temps est venu où je dois vous céder ma place… Je ne doute pas que vous serez un dadouque vertueux, prompt à éclairer et mener les brebis récalcitrantes vers notre glorieux Phanès…
Le teint cireux, la Grande Mère cracha une bile noire. Clisthène et Antigone la soulevèrent et la portèrent jusqu’aux premiers rangs où ils la déposèrent avec le plus grand soin. Son corps n’était plus qu’un pantin, disloqué sous les contraintes de la douleur. Le service médical arriva sous peu, s’engageant dans l’allée centrale de l’amphithéâtre.
Clisthène et Antigone s’angoissaient devant l’état de santé de la Mère, le corps affalé comme une poupée de chiffon. Le médecin écarta les représentants de Bacchos et de Orpheus, puis s’agenouilla devant la dadouque d’Éleusis. Et pendant qu’il parlait avec une douceur exemplaire à la Grande Mère, deux urgentistes s’affairaient à lui prodiguer les premiers soins. Ils étaient prêts à la soulever pour la déposer sur le chariot brancard, quand elle agrippa dans un dernier effort le bras du médecin urgentiste :
— Qu’importent les affres du corps, laisse-moi encore auprès de mes frères…
Après avoir hésité durant quelques gouttes de clepsydre, Clisthène leur intima de déposer le brancard. Clisthène et Antigone s’en approchèrent, sentant la faucille de Thanatos prête à faucher une nouvelle âme pour les Élysées…
— Mère, pourquoi vous retardez le service urgentiste ? Il en va de votre santé…
Elle leva un bras d’un geste fatigué et imprécis, et leur fit comprendre qu’Hermès, l’intercesseur des dieux et des hommes, arrivait à point nommé pour son dernier voyage. Le regard hagard, la voix éteinte, elle émit ses dernières recommandations :
— Puissent les divinités vous protéger et mettre fin à cette querelle intestine qui fragilise les Hellènes. N’oubliez pas : ce n’est pas la planète Tau-Thétis qui possède en elle-même de la valeur ; elle n’est qu’un merveilleux écrin dépendant de notre glorieux Phanès. Matière et antimatière sont l’œuvre de Dieu. Notre Logos possède bien plus d’éclats qu’un ban de ludions paradant sur un fond d’éther azuré…
À la recherche d’un air salvateur, la Grande Mère ouvrit la bouche et se cambra, émettant un cri de douleur… « Mère des Hadès… Ékô1 ! »
et rendit l’âme à Zagreus Eubouleus, le Ténébreux Chasseur des enfers.
***
Ce n’était qu’une simple écharde griffant l’ionosphère bleu céruléen de Tau-Thétis ; le vaisseau d’attaque brillait de mille feux en pénétrant la haute atmosphère de la demeure éthérée des ludions sacrés, pendant que le second chasseur spatial attendait patiemment, posté sur une orbite géostationnaire de cette terra incognita. L’engin militaire fonçait dans la stratosphère pour atteindre en quelques secondes la couche de troposphère, où vue de haut, les nuées d’un gris bleuté flottaient au-dessus d’un immense océan d’eau douce, d’une stupéfiante clarté. À quelques dizaines de stades du fuselage flamboyant, un point sombre captait l’attention de l’aurige, maintenant une trajectoire dorénavant curviligne à son destrier stellaire… Arrivé à une dizaine de stades de la station internationale de Tau-Thétis ― placée en état de sustentation par la grâce de ses suspenseurs antigravité ―, le pilote modéra sa vitesse afin de mener son vaisseau (dont il avait programmé le trajet bien avant d’émerger de la mer de nuages), vers cette sombre estampe, obtenue après d’âpres négociations helléno-perse, entachant le panorama céleste de Tau-Thétis.
— Griffon IV à Griffon III, approche imminente de la cible. Prêt à ouvrir le ban !
— Griffon III à Griffon IV, bonne cavalcade cosmique !
Le vaisseau d’attaque arriva à quelques encablures du laboratoire international et effectua une première approche en y accomplissant des révolutions de plus en plus serrées. À l’intérieur du site expérimental, les techniciens et les spécialistes en génétique, en écologie, en météorologie et climatologie observaient anxieusement le ballet spatial du véloce chasseur de combat.
Pendant que des collaborateurs scientifiques étaient en relation avec la chaîne de télévision nationale de Sparte, Apollonios de Perga observa par le sabord la présence du chasseur de combat, évoluant au sein de l’éther de Tau-Téthis :
— Que fait ce vaisseau militaire dans le téménos2 sacré ? émit agressivement le scientifique Apollonios de Perga, descendant de son ancêtre du même nom, illustre mathématicien et astronome grec. C’est une violation du traité international… À quel état appartient-il ? j’ai du mal à discerner son blason…
L’écologiste perse Azmed s’approcha du sabord et jeta un œil sur la vitre de plexi en verre de saphir. Le chasseur repassa mollement devant la coque de la station, livrant ses insignes militaires sur un éclat d’un bleu rosé, issu de l’atmosphère de Tau-Thétis et du flamboiement du soleil Phébus.
— Un Pégase ailé, émit laconiquement le Perse.
— Corinthe !... répondit son confrère.
La véloce nef de guerre se stabilisa un instant devant le sabord du laboratoire, afin de dévoiler à la gent scientifique le blason caractéristique du pouvoir corinthien. À quelques stades de là, un troupeau de ludions s’agita et détala vers des pâtures célestes plus paisibles.
Puis le vaisseau fila d’un trait vers un amas nuageux de rose et de pourpre nacrées, perça les nuées et après avoir effectué un virage à 180º, revint vers sa proie en aluminium et matériaux composites, dans un rugissement strident des turbines. À un stade de la station, le chasseur corinthien cambra son fuselage aérodynamique, exposant son ventre, caparaçonné d’armes tactiques. Deux missiles à vol autonome sortirent de leurs tanières, fonçant vers leur proie, sous les rais d’un Phébus resplendissant s’élevant au-dessus d’un horizon de nuées ardentes, drapées de mauve et de jaune empourpré. Puis le chasseur de combat décrocha et remonta au sein d’éther, là où l’attend son fidèle lieutenant de combat, en attente géostationnaire… Au sein de la station, les techniciens et les chercheurs regardèrent avec effroi les deux symboles du dieu Thanatos, filant à la vitesse de l’éclair, récolter les âmes chagrines des futurs résidents des Hadès… dans une fulgurante détonation digne du foudre, l’égide du seigneur de l’Olympe. Le laboratoire explosa dans une gerbe de feu et sombra en des milliers de parties au fond du dieu Ogénos. Thanatos, Le seigneur de la Mort, venait de faucher sa nouvelle récolte animique…
Chroniques de Déméter :
Lorsque je n’étais encore qu’un enfant, je fus étonné par le culte rendu à notre Seigneur Iacchos, le “Porteur de Feu”, durant la cérémonie des Choës, à Athènes. Je fus ébloui par le faste solennel de cette fête des Anthestéries : le char processionnel emmenant le xoanon3 de Dionysos Éleuthéreus et la femme du sénateur, apprêtée pour l’occasion d’une somptueuse tunique enluminée de passementeries aux nombreux motifs floraux, m’offrit pour la première fois un enthousiasme dionysiaque que je n’oublierai jamais. Et que dire du cortège de canéphores, les belles Athéniennes, portant avec majesté les offrandes destinées à Dionysos Bacchos, le dieu du vin. Mon cœur chavirait sous l’extase de ce rite, relatif à la cérémonie de mariage de Dionysos et de l’épouse du sénateur d’Athènes…
Le maître d’éloquence, Cléobule, retint durant un laps de temps sa rhétorique, balayant d’un regard aiguisé l’amphithéâtre de l’université de la Nouvelle-Athènes – la jeunesse n’est plus ce qu’elle était ! : pendant que des étudiants somnolaient, avachis derrière leur console, d’autres se plongeaient sur leur téléphone cellulaire, en quête de sensations bien plus ludiques, que de s’instruire sur les arcanes de la vie sociale des Anciens…
JE DISAIS DONC ! dit-il tout fort, que cette célébration nuptiale revêt une importance capitale des œuvres aux Mystères Dionysiaques. L’épouse du sénateur d’Athènes, sise sur le char sacré, incarne la cité d’Athéna épousant les valeurs spirituelles et religieuses du culte éleuthérien. En fait notre Dionysos Éleuthéreus est bien plus profond que cette union de la polis4 athénienne au culte dionysiaque, elle conforte la prise de conscience de l’humain face au déterminisme de la Mort, à cette terrible perception de la destinée humaine… à cette soif d’ouvrir son âme en la Conscience qui gît en chacun de nous ; l’épouse n’est que ce corps périssable, soumis à une sempiternelle recherche du Soi divin. Mais le mental n’a de cesse de la prospecter au cœur de la matière ; quête obstinée qui ne verra sa fin qu’en s’ouvrant au Dionysos d’Éleuthère. Après avoir subi les affres de l’égarement animique, l’âme se résout à dissoudre ce voile matérialiste qui l’oppresse et à se fondre enfin en ce Dionysos Protogonos, qui lui ouvre le champ infini de la création… le champ des possibles !
Je vous laisse à vos préoccupations de l’instant, et n’oubliez pas de méditer sur le culte éleuthérien au sein de la polis4 athénienne…
Cléobule, maître d'éloquence à l'Université de la Nouvelle-Athènes, le troisième jour de la seconde décade du mois de gamélion, durant la seconde année de la 1724e olympiade.
Les rais du soleil Phébus caressaient de hautes herbes, empreintes de rosée matinale. Les terres de l’Académie militaire Léonidas de Sparte s’étalaient sur plusieurs stades, englobant le trajet du fleuve Eurotas, ondulant capricieusement comme un vieux serpent à l’agonie, fatigué sous les nombreuses étreintes avec le corps minéral de la déesse-Terre Gaïa, rivé sur le domaine de la puissante Sparte. L’étoile de la planète Déméter ressemblait à un étincelant bouclier d’hoplite, se miroitant sur le lit tourmenté de l’Eurotas, survolé par une opulente variété de coléoptères, que de virils poissons argentés venaient gober dès l’aurore, en s’arrachant de sa couche fertile d’un sombre Tartare, dans de joyeux clapotis. Les lueurs des réverbères et des salles de classe luisaient dans une pénombre déclinante, à mesure que l’astre du grand Apollo montait au-dessus de la ville de la Nouvelle-Sparte. À trois stades de là, les lueurs de la cité répliquaient au somptueux flambeau céleste, accrochées aux réverbères et aux gratte-ciel comme des vers luisants chatoyant sous les prémices d’un nouveau jour, aux tons de rose, de bleu de Prusse et de jaune safran…
Sous l’œil sournois de ce soleil rubicond, un vaisseau de transport de troupes avançait à petite allure, dépassant la sombre coque d’une nef de marchandises aux liserés écarlates, pour s’approcher de la piste d’envol, dans un vrombissement de gros bourdon. L’appareil disparu derrière un hangar, en attente d’une autorisation de décollage, au son de baryton toujours présent.
Les étudiants accédaient à l’immense bâtisse universitaire, érigée à quelques pas du tarmac de l’enceinte militaire. La jeunesse dorée s’y retrouvait, adoucie par les mœurs de la haute bourgeoisie et des familles aristocrates issues du doublon monarchique5, œuvrant dans la finance, le négoce ou au sein du gouvernement de la Nouvelle-Sparte. Les lueurs de l’aube étiraient les ombres des enfants du demi-dieu Héraclès, flèches sournoises dirigées vers un lendemain empli d’incertitudes… Car l’alliance des Hellènes s’effritait sous l’hégémonie du voisin lacédémonien : Corinthe ! Dont la puissance militaire n’avait d’égal que sa démesure égotique mercantile. Suite à l’homicide de la Grande Mère d’Éleusis, la crise diplomatique concernant le terrain sacré de Tau-Thétis prenait une ampleur internationale ; Thèbes, Athènes ainsi que l’empire Médo-Perse sonnèrent le glas de la fin de l’Entente cordiale. Les dieux Arès et Verethragna n’étaient pas loin de déterrer la bipenne de guerre. Et au sommet de l’Olympe, Zeus et Héra se querellaient une nouvelle fois pour un conflit politique qui les divisait.
Le vaisseau finit par décoller, sous le disque d’un Phébus irradiant.
Calchas n’avait que quatre olympiades et un an, mais sa verve dépassait souvent l’entendement de la raison, car l’on sait que la jeunesse emprunte au puissant Arès, la hargne de sa vigueur. Il traversa le petit pont en fer forgé enjambant l’Eurotas, et d’un pas alerte rejoint l’entrée principale de l’université de la Nouvelle-Sparte, la mine fière et la mèche rebelle s’échouant sur un front dégagé d’une arrogance démesurée. L’œil aiguisé et le sourire moqueur, il rattrapa deux jeunes filles, vêtues de l’uniforme universitaire, dont le lambda or et noir de la Lacédémone ornait leur poitrine ferme et galbée. Elles possédaient la frénésie de l’insouciance, une plastique irréprochable et un humour, que les jeunes de leur âge savaient décapant.
Il s’approcha de la plus grande et la plus belle des deux, et lui fit les yeux doux sur un ton charmeur.
— Alors, Léda ? Toujours non ?
Tout en poursuivant son chemin, elle tourna la tête vers le jeune séducteur empli d’une insolence certaine.
— Toutes les filles te connaissent, Calchas. Je ne m’appelle pas Britomartis, pour succomber au premier pêcheur qui passe… Je ne tomberai pas dans tes propres filets, Calchas !
Calchas osa glisser une main câline sur ses reins.
— Bas les pattes ! dit-elle, en lui bloquant cette parade passionnelle.
Leurs trajets se scindèrent.
— Je suis libre ! lança-t-il les bras en croix. Chronos a décidé de t’offrir la chance de ta vie ! continua-t-il, tout en poursuivant un autre chemin. Ne la laisse pas passer…
Elle tourna la tête en sa direction :
— Alors reste avec Chronos, Calchas ! De mon côté, je m’accorderai juste d’un acratismos6 avec la divine Aphrodite !…
Tout en poursuivant leur trajet, son amie fit une remarque :
— Quel Apollon ! Pourquoi refuses-tu de sortir avec lui ? dit-elle, tout en jetant un regard enflammé sur la silhouette athlétique du beau mâle.
— Justement parce qu’il est trop imbu de sa personne… Je vais le faire patienter, ajouta-t-elle d’un ton malicieux.
— Quand je pense que le fils du roi Soos II te courtise, et que tu le repousses, j’en ai mal à ma libido…
Elles rirent de ce propos, tout en s’engouffrant dans l’une des ailes de l’université de la Nouvelle-Sparte.
Calchas rejoignit les gradins de la salle de conférences, déjà occupée par une cinquantaine de jeunes gens. Il traça tel un fantassin d’élite, formé aux combats rapprochés, et sûr de sa mission à laquelle on l’a rattachée. Il ne s’embarrassa pas d’emprunter l’espace entre les deux ailes, chevauchant à son grès les rangées des sièges, quitte à bousculer des étudiants, pour rejoindre sa place sous l’œil sombre de l’enseignant universitaire.
— Prenez place en silence, Messieurs ! Nous ne sommes pas des barbares, que je sache. Monsieur Calchas, ce n’est pas parce que votre père détient des parts au sein de l’Académie, que vous devez enjamber les fauteuils et y étaler vos lourdes spartiates !
Debout derrière son pupitre, le jeune homme le regarda d’un air hautain, et le toisa tout en bombant du torse.
— Mon père vous gratifie largement de ses statères pour, justement, étaler mes spartiates sur les fauteuils de l’amphi, afin que vous puissiez subvenir à vos caprices et venir jusqu’aux portes de l’université sur votre bicycle d’écolo bourgeois… lui dit-il d’un ton railleur, accompagné d’un sourire narquois.
Le maître de conférences resta de marbre, pivota sa tête et commença son cours d’études, consacré à la logique mathématique…
Les baies ensoleillées du restaurant universitaire offraient une vue magnifique sur les somptueux jardins du campus ; des fleurs aux couleurs chatoyantes diffusaient leurs suaves fragrances, pénétrant par une ouverture où un subtil Éole soulevait par intermittence les pans du rideau, défraîchi prématurément par les ardeurs d’un Hélios fougueux. Des passereaux transitaient sur les bassins où des Muses aux corps d’albâtre leur servaient d’appui, et se disputaient la pitance de quelques mies de pain, qu’une jeune âme généreuse s’amusait à sacrifier.
Le resto universitaire s’emplissait rapidement d’une jeunesse pleine d’élan, d’une appétence carriériste et pécuniaire d’ardents carnassiers.