2,99 €
A plusieurs millions de stades de la planète Terre existait un astre colonisé par le peuple hellénique : Déméter ! Lorsque Ixion posa ses pieds sur les quais de Xartès, il ne soupçonnait pas combien le sort allait sa rencontre. Son ami, le vieil hoplite Thanos, auditeur malgré lui des desseins lugubres d'un triumvirat de dangereux mafiosi, en récolta les fruits amers. C'est avec l'assassinat de Thanos que le destin du marin prit le sens de toute la démesure. A la poursuite des dangereux malfaiteurs, le marin croisera : la passion pour une belle eupatride, les fourberies de la plus haute classe des Hellènes, la trahison, la réclusion, les conflits armés contre la force médo-perse et aussi l'amitié. Ixion reflète la lutte des classes, qui déjà en son temps emportaient les quatre classes censitaires vers un tourbillon de luttes intestines. Transposition d'un mythe grec, cette uchronie vous invite à découvrir la vie des dix tribus de l'Hellade : un grand peuple déchiré entre oligarchie et démocratie !
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 185
Veröffentlichungsjahr: 2021
"Les Eupatrides ont une excessive démesure et un appétit incroyable." Solon
"Du grec au barbare, de la femme à l’esclave… Tous ne sortent-ils pas d’un même ensemble ?" Aristote
Mes remerciements à mon épouse Nadia pour son aide si précieuse et pour les nombreuses fois où cette œuvre failli passer de vie à trépas…
Le complot
Une âme pour Thanatos
La Nouvelle-Athènes
Une aide précieuse
Le collet
Les sirènes de l’amour
Ode à Dionysos
Un singulier contrat
Dans les entrailles du Tartare
Un père en colère
Les conséquences d'une panne
Retour sur la Nouvelle-Athènes
Destination Kentauros
La victoire sans ailes
Les fleurs d'asphodèles
La résidence d'Hestia
Chroniques de Déméter :
"... et vous désireriez, de surcroît, profiter des connaissances des Anciens sans verser la moindre obole ? fulmina le seigneur Antigone, naturaliste et géologue du Collège des Sciences, à l'encontre de ses confrères. Comment pourrions-nous progresser sur la voie de la connaissance si vous n'apportez pas votre pierre à l'édifice. N'oubliez pas : notre projet n'a de chance d'aboutir que si nous mettons nos forces en commun. La planète aux ludions, Tau-Thétis, est la clé de voûte de notre grand programme environnemental 'Dionysos', et, en tant que membre honorable des Écologistes, je reste formel sur la démarche à suivre : tel l’Impôt pour 'frais de guerre', vous devez contribuer aux charges du nouveau programme satellitaire... Ce belvédère spatial est d'une importance majeure pour l'observation des ludions. C'est une réelle opportunité expérimentale qui s'offre à nous ! ..."
Allocution du chercheur Antigone de Béotie à l'hémicycle des Sciences de l'Université de la Nouvelle-Athènes, durant le troisième jour de la première décade du mois de munychion, lors de la 1615e olympiade.
Une flèche d’argent griffa la voûte céleste : le vaisseau spatial passait au-dessus des terres de la planète Déméter. À l’horizon, la constellation du Griffon émergeait lentement des flots. La planète aux teintes bleutées n’était qu’une simple écharde lumineuse au sein du Nouvel Empire Hellénique. Ixion tourna la tête en direction d'un navire. Le porte-conteneurs semblait endormi sur un fond de velours noir. Paisiblement calé contre les quais de Xartès, le cargo se reposait après avoir traversé de vastes étendues entre les différents comptoirs.
Le marin avait la peau sombre et brûlée des baroudeurs côtoyant les vents salés et les rayons brûlants des soleils tropicaux. Il se trouvait à une étape de sa vie où il hésitait entre se retirer des affaires maritimes ou naviguer de son propre chef et s’embarquer dans l’aventure du négoce. Le navigateur se dirigea vers l’estaminet où de nombreuses fois il avait fait escale. Il devait régler des affaires pour lesquelles son patron lui demandait d’intercéder en sa faveur.
Vers le claveau du ciel, l’air vif laissait s'échapper les chaleurs automnales qui s’étaient invitées durant la journée. Le quai déserté s’étirait sur quelques stades1 le long de la Nouvelle Côte Ionienne. Des lanternes à la lueur falote sillonnaient l’embarcadère où s'étalait un drapé d’humidité, un résidu d'embruns projeté par une brise sournoise.
Il pénétra dans la gargote, dont la façade d’un gris sali par les effets du temps donnait l'apparence d'un antre. Le lieu était parsemé de quelques torches à décharge. Il pénétra dans la gargote, dont la façade d’un gris sali par les effets du temps donnait l'apparence d'un antre. Le lieu était parsemé de quelques torches à décharge. Le propriétaire du troquet mit de l’ordre derrière son comptoir, puis disparut dans une pièce attenante.
Un vieil homme, affaissé comme une antique voile aurique2, se restaurait sur une des tables de guingois. Même de dos, Ixion le reconnut, l'imposante carcasse voûtée ne pouvait être que celle de "Thanos" ; un ancien mercenaire des phalanges royales, maintenu à la retraite en raison de blessures de guerre.
Le marin s’engouffra dans la pièce imprégnée de relents de cuisine et d'émanations de fumée. Il effleura de l’épaule le client attablé, tout occupé à se restaurer. Puis se dirigea vers le comptoir et d’une voix rauque cassa la quiétude ambiante.
– N’y a-t-il donc personne pour me servir dans cette mangeoire ? Mis à part ce vieil homme destiné à servir les vers de Xartès, s'exclama-t-il sur un ton tonitruant.
– Par Zeus ! répliqua le vétéran. Est-ce ainsi que l’on s’adresse à un ancien mercenaire ? Je vais te faire voir que "le vieil homme" a encore du répondant ! rétorqua-t-il en rugissant.
Toute colère dehors, l’homme se redressa et se dirigea vers l'étranger. Il avait le teint grisâtre et sa chevelure rebelle exhibait une blancheur crayeuse. Lorsque l'ancien fantassin reconnut Ixion, il tomba des nues et cambra le dos, les bras levés. Ixion ! Comment as-tu pu délaisser ton vieux Thanos si longtemps ? Le vieil homme l’enlaça, prêt à l’écraser d'affection. Tu ne devais pas rentrer plus tôt ? Viens t’attabler avec moi… Tu dois avoir une faim de loup. On sait que, sur ce genre de vaisseau, la pitance n’est pas trop consistante. Cyran ! Où est-il passé ce mastroquet ? Notre ami Ixion est revenu, apporte du cycéon3 et une coupe du meilleur vin qui soit pour ce laboureur des mers.
Ils se dirigèrent vers le guéridon. Le vieil hoplite boitait de la jambe gauche ; il reporta son poids sur l’épaule d'Ixion. Le tenancier déposa sur la table une coupe de vin et une assiette de gruau qui parfumait la pièce de ses herbes et aromates. Il s'attabla et conversa avec les deux compères :
– Sois le bienvenu mon garçon ! J’espère que ton voyage s’est passé sous les égides de Zeus le Bienveillant. En tout cas, j'aurai toujours une chambre à t'allouer, pour que tu puisses te reposer de tes longs-cours harassants.
– Alors, raconte-moi ! Où t’es-tu aventuré ces temps-ci ?
– Après avoir côtoyé divers comptoirs, nous sommes partis pour la cité de la Nouvelle Cyrène où nous avons commercé du poisson salé, des sacs de céréales et quelques plantes médicinales. La cité est surprenante. S’il y a bien un temple à découvrir, c’est bien celui dédié à Zeus. Son temple monumental vous éblouit par sa majesté, et s’il y a un port où l'on se doit d'accoster, c’est bien celui d’Apollonia II… Cette colonie grecque fourmille sans arrêt : à chaque transaction les navires marchands s'affrètent et repartent aussitôt...
Ixion engloutit une gorgée de vin sirupeux, puis enfila une cuillère de gruau. Le marin rabaissa une nouvelle fois la coupe. Un liseré pourpre se déposa sur sa bouche, comme une ébauche sensuelle à la limite du comique. Malgré la fatigue, il possédait assez d’énergie pour conter à ses amis ses pérégrinations.
Il était tard lorsque les compères mirent un terme à leurs causeries.
– Bon ! Je t’attends au gymnase, demain en fin de matinée ? Tu verras qu’il me reste encore quelques forces prêtes à te défier ! conclue Thanos à son jeune ami. Ixion esquissa un sourire :
– Qu’il en soit ainsi mon ami, je suis disposé à relever ton défi… Que cela soit à la lutte ou au lancer de disque.
Sur le quai de Xartès, le vaisseau marchand sommeillait, bercé par le clapotis des vagues. Sur la coque métallique, flux et reflux accompagnaient les marches du temps, pendant que le drapé de la Nyx, la déesse de la nuit, s’étirait et se positionnait au sein du mouvement inéluctable du temps.
Chroniques de Déméter :
"... Mon enfant, souvenez-vous du roi Léonidas... N'a-t-il pas combattu, malgré les funestes augures du devin Mégistias ? Léonidas devait accomplir comme il se doit son devoir. Et maintenant... c'est cela que j'attends de vous : accomplir votre devoir de combattant !"
Extrait des correspondances d'une marraine de guerre à son jeune lieutenant sparte, quelques heures avant l'ultime attaque des forces perses contre les phalanges hoplites du stratège athénien Cimon ; le combat fut un carnage !
Quelques cirrus se promenaient au-dessus des prairies ioniennes, et laissaient passer les rayons dardant du soleil matinal. Des martinets coursaient les insectes, leurs vols en rase-mottes frôlaient les hautes herbes et les graminées qui foisonnaient en Nouvelle Messénie.
Sur l'étendue en terre battue, nos deux amis s’opposaient dans un rituel martial ; les corps imbibés d’huile se frottaient, s’attrapaient ; une chorégraphie dont l'un des deux hommes pouvait sortir victorieux à tout instant.
– Et ne crois pas que malgré mon handicap tu dois te permettre de m’accorder des faveurs ! s’exclama Thanos.
Les lutteurs s’empoignaient, hâlés par le soleil et par les huiles. Leurs mains glissaient sur les membres graissés, chacun espérait trouver la parade permettant de faire tomber l’autre. Thanos coinça son adversaire contre ses côtes et sa cuisse droite. Les deux hommes se rejoignirent, leurs souffles se confondirent un instant. Ixion esquissa un sourire à l’encontre de son ami. Les fronts se touchaient, leurs sueurs et les huiles essentielles se mêlaient en un bouquet informe.
– As-tu au moins imploré Arès de t’octroyer force et énergie ? interrogea Ixion.
– Je n’ai que faire du dieu de la guerre ! Mon expérience fera la différence, face à la ferveur de ta jeunesse. D’être resté si longtemps sur un navire, t’a ramolli le corps et l’esprit. Je te sens chancelant...
– Détrompe-toi ! Je fais corps avec toi, je percerai ta carapace !
Ils pivotèrent ensemble. Des écharpes de nuages tourbillonnaient au-dessus de leurs têtes, et devenaient pour un temps leur auréole commune. Ixion trouva une parade, fit une clé, et envoya le colosse au pied d’argile sur le tapis de sable. Il lui tendit la main et l’aida à se relever.
– Ma foi ! s'exclama Thanos, il me reste encore assez de force pour te corriger, comme un père corrige son enfant.
Ils rirent de bon cœur de ce jeu de lutte mêlant les différences d’âges, et se rendirent l’accolade, tel un père et son fils dont les épreuves les auraient rapprochés.
Ils se dirigèrent vers les bains ; les colonnes entouraient la piscine intérieure en forme de L, tel un bataillon de géants donnant de l’assise et de la prestance en ce lieu où la populace venait se délasser. Les céramiques, aux couleurs primaires, donnaient le ton de l’ensemble. Le fronton intérieur décoré d’une mosaïque, sur fond de ciel bleu, représentait un lac dominé par la présence de deux cygnes. Les tuiles chapeautaient l’édifice et venaient ainsi clore l’écrin architectural. Au fond du bassin, une autre mosaïque, de naïades jouant avec des dauphins, apportait la touche finale : cet embellissement mythologique rehaussait le bassin.
Nos deux amis se prélassaient à l’autre bout de la piscine, et s'entretenaient sur maintes choses de la vie :
– As-tu trouvé enfin ton âme sœur ?
– Non, mais j’y songe.
– Tu as largement dépassé le stade du gynécée, tu ne vas tout de même pas finir en éraste4, guettant de jeunes éphèbes à la sortie des écoles !
Ixion ria de bon cœur :
– Ne te tourmente pas pour mes plaisirs, répliqua-t-il.
– Parle-moi de tes projets, comment vois-tu l’avenir ?
– Les divinités restent décidément muettes avec moi. J’ai un emploi captivant où l’aventure côtoie le négoce, et où la solitude du marin s’oppose aux foules de marchands et colporteurs foisonnant les cités côtières, et pourtant, j’hésite à rompre avec cet univers marin et m’orienter vers l’agriculture afin de planter quelques oliviers et cultiver la terre.
– Pouah ! Que me dis-tu là ? Retourner la terre ! Laisse cela aux métèques et aux esclaves affranchis, trouve une femme qui sache cuisiner, fait des enfants et reste marin. Ton destin est là !
Ixion plongea son regard vers le fond de la piscine ; les naïades dansaient sous l’effet des ondes provoquées par le système de filtration. La mâchoire des dauphins formait un rictus à chaque passage des rides d'eau. Il semblait refléter l’indécision qu'on pouvait aussi lire sur le visage de l’aventurier.
Le silence prenait position au sein des thermes ; seul le bruit de l’eau se répercutait sur les colonnes, rompant un sentiment de solitude. Les deux hommes se détendaient : l’un observait le fond de la piscine, en nonchalance avec les naïades, et l’autre, tête en arrière, scrutait le relief des poutres apparentes et des tuiles à l’esthétique galbée.
Le travail ne manquait pas en affaire maritime, et l'armateur savait le récompenser lorsque le commerce dévoilait sa face radieuse. L’armateur l’avait formé tout jeune, l'éloignant des souffrances d’une mère morte en couche et d’un père alcoolique. Ixion avait su tirer profit de cette chance que Zeus lui avait offerte. Certes, les guerres intermittentes avec les Perses sapaient par intervalle le négoce ; mais celles-ci faisaient partie du cycle du marché.
Peut-être était-il temps de mettre un terme à cette période sentimentale stérile ; l’argent ne lui manquait pas, mais sa jeunesse, elle, s’enfuyait au rythme des saisons. Le temps tournait à l’orage et pas seulement dans sa tête ; des voiles de légers nuages laissaient place aux amoncellements de strates de cumulonimbus.
Un gris diaphane s’invita sur le fait, les thermes s’étaient assombris au fur à mesure de l’obscurcissement du ciel et offrait une vision froide et austère de l’ensemble architectural. Ils allaient quitter les bains, lorsqu’ils entendirent des conversations feutrées à l’autre bout du bassin. Sur le coup, ils ne prirent pas garde à la conversation des curistes, aveugles de leur présence :
"… l’Héliée5 ne vous a retiré que quelques droits relatifs à la Constitution, votre bannissement n’est que partiel, Seigneur Anthonis" : dit le premier homme.
– Ces vacances forcées ne sont pas du tout à mon goût… Le sénateur se plait à m’éloigner de mes prérogatives diplomatiques et de négoces, sans parler qu’il s‘est immiscé dans mes affaires intimes, poursuivit le second personnage.
– Seigneur ! Prenez votre temps de réflexion, vous n’êtes pas en ostracisme totale, vous pourriez demander une requête auprès du Sénat …
– … La Boulé se place du côté de l’archonte ! Vous le savez très bien, coupa froidement le second personnage. Seigneur Dymas ? Que me suggérez-vous ?
Une tierce personne entra en scène :
– Je vous préconise une autre alternative... Mais celle-ci est en dehors de tout système politique : supprimer la cause de vos soucis, d’une manière… plus subtile, dirons-nous !
– Que dites-vous là au seigneur Anthonis, êtes-vous devenu fou ? Assassiner un sénateur lui causera sa perte. Comment pouvez-vous …
– Suffit ! Par Zeus, je suis las de vos paroles... Je dois réfléchir, coupa sèchement Anthonis.
Les deux amis, situés à l’opposé du bassin, percevaient leur conversation. Ils se regardèrent, surpris de l’orientation que prenaient ces causeries qui parvenaient jusqu’à leurs oreilles. Tous deux savaient qu'on ne les avait pas vus ; la position du bassin, l’enfilade de piliers, l’intensité lumineuse et la discrétion de leur présence, les avaient placés dans une situation d’auditeurs invisibles et involontaires. Ixion et Thanos plongèrent en commun leurs regards au fond de la piscine ; les naïades, désormais couleurs de lune, exprimaient d’un sourire narquois l’encombrante situation des deux mortels. Dehors le tonnerre grondait, la pluie s'abattait au-dessus de la toiture. Un éclair déchira le ciel, suivi de près d’un sifflement strident : Zeus Kataibatès6 avait décidé de dégager, dans ce jeu de rôle, un positionnement désavantageux à l’égard des deux camarades.
Sans y prendre garde, les autres belligérants continuèrent leur causerie politicienne :
– Écoutez-moi, Seigneur, une alternative juridique peut résoudre ces différends. Une réhabilitation pourrait vraisemblablement s’opérer par le truchement des votes. Nous pourrions demander une requête aux membres des tribus, puis favoriser des personnalités influentes au sein des Grandes Maisons ! … Quitte à négocier votre rachat.
Le premier orateur essayait ouvertement de favoriser la voie diplomatique auprès de son ami, quitte à jongler illégalement avec la République.
– Le seigneur Antonis ne peut demander une abolition de sa peine, répliqua la troisième personne. Il sait très bien qu’il n’aura pas la majorité dans le cœur des jurés. Des dessous de table ne suffiront pas à le réhabiliter au sein de l’hémicycle de l’Écclésia7.
– Ce n’est pas tant cette réclusion, qui risque de me causer du tort, mais bien le risque de perdre mes contrats. J’ai des comptes à rendre envers certaines Maisons, dès qu’elles auront l’occasion de m’intercepter.
– Dymas à raison, une seule alternative réglera ce litige au plus vite, et il faut battre le fer tant qu'il est chaud. Le sénateur récoltera ce qu'il a semé, et dans cette affaire, il ne peut y avoir de compromis.
Ixion plongea avec toute la félinité possible au fond du bassin. Son ami fut surpris par cette action inattendue. Le marin nagea vers un recoin de la piscine, dépassa la mosaïque, puis disparut dans l’antre sombre du système d'aspiration. Les secondes passèrent. Par moment un filet de bulles et de remous jaillissait en surface. Puis le marin réapparut, accompagné d’un râle étouffé, à la recherche de l’oxygène salvateur. Il revint vers son compagnon :
– Il y a une évacuation d’eau souterraine. J’ai réussi à déloger la grille de protection de son socle.
– Sais-tu où cette canalisation débouche ?
– L’eau semble plus fraîche de ce côté, cela ne peut être que le retour aux chaudières…
– Aux chaudières ! s’exclama son ami.
– Nous n’avons pas d’autres choix, et ces trois hommes sont bien loin des nobles pensées de Dame Héra8, répliqua-t-il.
Ils s’enfoncèrent discrètement dans l’eau ; seules leurs têtes émergeaient de l’onde. La profondeur ne semblait pas considérable. Ixion précéda le vétéran, et s’engouffra, dans le réseau de conduction d’eau. La canalisation était assez spacieuse ; une mince couche d’air subsistait au-dessus de l’écoulement des eaux. Il progressa, allongé sur le dos, la bouche venant parfois épouser la surface du boyau. Thanos pénétra à sa suite, mais lorsqu’il plongea, son pied buta contre la grille posée au fond du bassin ; il esquissa une grimace. L’ancien mercenaire paniqua, et se cogna contre le rebord de la paroi interne du conduit, puis jaillit vers la surface. Situés à l’opposé du bassin, les comploteurs saisirent les râles du vieux combattant et se dirigèrent directo presto vers la source des gémissements. Le vieux guerrier reprit son souffle, et esquissa un demi-sourire face aux trois hommes :
– J’ai glissé ! lança-t-il.
Les malfrats s’approchèrent du vieux guerrier :
– Avez-vous saisi notre causerie ? lui demanda Anthonis.
– Euh ! … Un conciliabule ? bafouilla-t-il, pas du tout !
– Il ment ! lança Dymas.
– Regardez ! Cet homme a essayé de s’enfuir par les évacuations d‘eau, hurla le troisième complice. J’entends du bruit, il y en a probablement un second qui s’enfuit.
– Dymas ! Allez vers la salle des chaudières récupérer ce malandrin. Qui est cet homme ? demanda-t-il à Thanos.
– Un ami… Et de toute façon nous n’avons que faire de vos soucis personnels ! s'exclama l’hoplite.
– Certes ! Alors pourquoi essayez-vous de filer à la dérobée ?
– Nous pensions avoir à faire à des belligérants de la République, répliqua-t-il sur un ton attrayant, afin d’adoucir la conversation.
Le seigneur Kasen, comme le seigneur Anthonis, le dévisageaient avec forte suspicion. Ils tenaillaient Thanos par leur position respective, et le vétéran s’aperçut que le Kasen avait sorti une dague de son fourreau, bloqué contre la cuisse par des lacets. L’image de la lame ondulait sous l’eau et sous l’effet de la diffraction lumineuse, l'arme prenait l’allure d’une flamme d’argent, dansant au gré des ondes.
Pendant ce temps, Ixion progressait au sein du conduit ; à aucun moment il ne pouvait pressentir ce qui se tramait derrière lui. Il finit par émerger du boyau et chuta dans la première citerne en béton. Le marin s’extirpa du réservoir et sauta dans l’enceinte des thermes. L’esclave appelé à entretenir la chaudière des caldariums, fut étonné par cette apparition inopinée et s'enfuit à toutes jambes. Une chaleur étouffante régnait au sein de la salle du système de caléfaction. Ixion attendit un instant l’arrivée de son ami, puis perçut un gémissement provenant du couloir : le préposé aux bains gisait sur le sol, un filet de sang serpentait déjà entre les interstices des dalles. Le marin s'accroupit, l’homme respirait encore et exprimait l’incompréhension de cette tragédie. Le fonctionnaire acheva sa dernière expiration, la remit à Hermès9, et son âme rejoignit l’univers d'Hadès, le dieu des enfers.
Ixion regagna prudemment l’enceinte des thermes et s'avança vers le bassin. Entre-temps Dymas venait tout juste d’arriver, revenant de ses récents méfaits.
– Où est l’autre homme ? lui demanda Anthonis.
– Il ne parlera plus, railla Dymas.
– Abruti, je ne vous ai pas demandé de l’assassiner ! Pourquoi faites-vous toujours ce que je ne vous demande pas ? tonna le politicien athénien.
Ixion longea le vestibule menant à la salle de massage, où trônait Agôn, dieu des lutteurs. Les trois hommes se trouvaient sur le parvis du bassin, prêts à sortir des bains :
– Que faisons-nous, Seigneur ? lui demanda Kasen.
– On retourne à Athènes résoudre notre dissension fédérative ! s’exclama Anthonis.
La triade partit sous une pluie battante, sans se demander si Zeus pardonnerait leurs sordides crimes.
Ixion attendit que les truands disposent suffisamment de distance afin de s’aventurer jusqu’au bord du bassin. Il longea les colonnes enclavant la piscine, et chercha son fidèle ami. A la coudée des thermes, attiré par le système d’aspiration, apparut un corps flottant. Il plongea à sa rencontre et le retourna : Thanos était déjà mort. Le marin hala le corps sans vie hors de l’eau et l'examina : de nombreux coups de couteaux entaillaient la chair de son compagnon.
– Par Poséidon ! Je te rendrai justice ! rugit-il.
Il posa sa tête de baroudeur sur la dépouille de Thanos, quelques larmes perlèrent sur ses joues et allèrent rejoindre les eaux thermales. Au sein du caldarium, les mosaïques bleutées laissaient paraître un halo d’une pourpre irradiante. À l'instant, un éclair érafla le ciel de plomb. L’averse continuait de s’abattre sur la cité de Xartès. Dans chaque venelle de la localité, les eaux pluviales emportaient l’affliction d’un homme.
Chroniques de Déméter :
"...et je me souviens encore de ce jour-là : au sein de l'Agora il y avait un vieux chantre passionné par l'étude du genre l'humain. Il exaltait dans l'art de tromper son monde en leur faisant passer ses chimères pour des réalités. Cet expert en Maïeutique invitait ses contemporains à accoucher leurs profondes angoisses... C'est ainsi que l'on arrive à progresser !" (Études sur Nyx et la Semence).
Conférence de Cléobule, maître d'éloquence à l'Université de la Nouvelle-Athènes, le huitième jour de la seconde décade du mois de thargélion, durant la 1724e olympiade.
Avant de quitter la cité côtière, le marin s’était une dernière fois recueilli à la nécropole, son ami y résidait désormais pour l’éternité. Après avoir réglé quelques affaires avec l’armateur, il décida de rejoindre son père afin de retrouver les assassins du vieux guerrier.