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En ce temps, Pierre de Castelnau est venu vers le Rhône, en Provence, sur son mulet amblant ; il excommunia le comte de Toulouse, parce qu’il soutenait les routiers qui ravageaient le pays. Alors, un écuyer de méchant esprit, pour s’assurer désormais les faveurs du comte, le tua en trahison en passant par derrière lui, et en lui portant à l’échine un coup de son épieu tranchant ; puis il s’enfuit au galop de son cheval vers Beaucaire, d’où il était, où vivaient ses parents.
Cependant, quand il eut reçu la communion, vers l’heure où chante le coq, Pierre de Castelnau, levant ses mains vers le ciel, pria le Seigneur Dieu de pardonner à ce sergent félon. Il mourut ensuite au point de l’aube, et son âme s’en alla au Père Tout-Puissant ; il fut enterré à Saint-Gilles, avec force cierges allumés, et force kyrie eleison, que chantent les clercs.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Principaux épisodesTRADUITS PARJEAN AUDIAU
© 2023 Librorium Editions
ISBN : 9782385742478
La Chanson de la Croisade contre les Albigeois[1], qui se compose de près de dix mille vers, est formée par la réunion de deux poèmes d’une étendue et d’une valeur bien inégales.
[1]C’est le titre que porte l’édition donnée par Paul Meyer, dans les Publications de la Société pour l’Histoire de France, (2 vol., Paris, 1875-79). Fauriel avait déjà publié cet ouvrage, en 1837, dans les Documents inédits pour servir à l’Histoire de France, sous le titre : Histoire de la Croisade contre les Hérétiques Albigeois.
Le premier, qui va jusqu’au vers 2770 et raconte les événements dont le Midi fut le théâtre entre 1207 et 1213, est l’œuvre d’un clerc, originaire de Tudela, appelé Guilhem, qui le commença en 1210 : c’est le récit d’un chroniqueur consciencieux plutôt que d’un poète habile.
Toute cette partie de la Chanson est écrite dans une sorte de jargon franco-provençal, qui témoigne d’une connaissance bien imparfaite des deux langues : Guilhem, obéissant à une ancienne tradition, estima sans doute que la langue d’oïl convenait davantage à l’épopée, et il s’efforça de franciser son œuvre.
La deuxième partie de la Chanson, qui commence avec l’entrée en guerre du roi Pierre d’Aragon (sept. 1213) et finit en 1219, est écrite, au contraire, en langue d’oc, et plus spécialement, semble-t-il, dans le dialecte fuxéen[2] ; c’est une succession de scènes dramatiques et nuancées, dont l’auteur nous est malheureusement inconnu ; mais, comme son devancier, le troubadour anonyme abuse trop souvent des répétitions et des chevilles. Aussi son poème, plus personnel, plus vibrant que celui de Guilhem de Tudela, ne mérite cependant pas d’être admiré sans réserve : c’est le cri d’un partisan, ce n’est pas l’œuvre d’un vrai poète.
[2]Paul Meyer (op. cit., Introd., p. CXIV) suppose que l’auteur de cette seconde partie était un protégé du comte de Foix, et rapproche la langue de l’anonyme de celle parlée dans le pays de Foix. — On a proposé pour ce poète plusieurs identifications qui ne me paraissent pas fondées.
Les tendances des deux écrivains sont aussi bien différentes : Guilhem de Tudela penche pour les Croisés, dont il ne partage pas toujours, il est vrai, le cruel aveuglement ; au contraire, l’écrivain anonyme ne cache point son ardente sympathie pour le comte de Toulouse et les malheureuses populations méridionales.
La longueur de la Chanson de la Croisade contre les Albigeois ne permettait pas de faire tenir dans les limites de cette collection une traduction complète du poème. Aussi me suis-je résigné à sacrifier une grande partie de l’œuvre de Guilhem de Tudela, pour réserver une place plus grande au récit autrement vivant du troubadour anonyme.
Pour chacune des deux parties, j’ai traduit les épisodes qui m’ont semblé mériter plus spécialement d’être connus, et j’ai résumé les autres afin de garder autant que possible à la Chanson son allure générale. Cependant j’ai cru pouvoir supprimer dans la traduction les répétitions inutiles, les énumérations fastidieuses et certaines chevilles dont le retour trop fréquent serait d’un fâcheux effet pour un lecteur moderne. Par contre, j’ai parfois complété entre crochets le nom des personnages, pour qu’on n’ait nulle peine à les identifier, et j’ai divisé la Chanson en chapitres, pour en faciliter la lecture.
1208
—
15 janvier
:
Assassinat de Pierre de Castelnau.
1209
—
2 juillet
:
Sac de Béziers.
—
—
15 août
:
Prise de Carcassonne.
1210
—
:
Le Comte Raimon livre le Château Narbonais aux Croisés.
—
—
22 novembre
:
Prise de Termes.
1211
—
Mi-février (?)
:
Parlement d’Arles.
—
—
juin
:
Premier siège de Toulouse.
1213
—
:
Siège de Pujols.
—
—
13 septembre
:
Bataille de Muret.
1215
—
novembre
:
Concile de Latran.
1216
—
mars
:
Le jeune Comte de Toulouse rentre en Provence.
—
—
juin-août
:
Siège de Beaucaire.
—
—
:
Les Toulousains se révoltent : dévastation de la ville par Simon de Montfort.
1217
—
13 septembre
:
Raimon VI rentre à Toulouse.
—
—
sept.-octobre
:
Siège de Toulouse.
1218
—
:
Raimon VII, « le jeune comte », rentre à Toulouse.
—
—
25 juin
:
Mort de Simon de Montfort.
1219
—
avril ?
:
Bataille de Baziège.
—
—
juin
:
Louis, fils de Philippe Auguste, marche sur Toulouse.
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, commence la chanson que fit Maître Guilhem, un clerc qui fut élevé en Navarre, à Tudèle. Moult il était sage et preux, comme le dit l’histoire, fort bien accueilli par les clercs et les lais, aimé et accueilli par les comtes et les vicomtes.
Pour la destruction qu’il vit et connut par la géomancie (car il avait longtemps étudié), et parce qu’il sut que le pays serait brûlé et ravagé à cause de la folle croyance que les habitants avait acceptée, que les riches bourgeois seraient dépouillés des grandes richesses dont ils étaient possesseurs, et que les chevaliers s’en iraient, bannis, misérables et marris, en terres étrangères, il résolut en son cœur (car il était bien doué, habile et prompt à l’action) de faire un livre qui fût entendu par le monde, et par lequel fussent répandus sa sagesse et son sens. Alors il fit ce livre, et l’écrivit lui-même. Du jour où il le commença jusqu’à ce qu’il le finit, il ne s’appliqua pas à autre chose : c’est à peine même s’il dormit.
Ce livre fut bien fait, et composé de bons mots, et, si vous le voulez entendre, grands et petits y peuvent apprendre beaucoup de sens et de beaux dires, car celui qui le composa en eut le ventre farci, et qui ne connaît ni n’a éprouvé [son livre] ne saurait s’en faire une idée.
L’hérésie avait gagné tant de terrain que le Pape et l’Eglise résolurent de la combattre par la prédication.
En ce temps, Pierre de Castelnau est venu vers le Rhône, en Provence, sur son mulet amblant ; il excommunia le comte de Toulouse, parce qu’il soutenait les routiers qui ravageaient le pays. Alors, un écuyer de méchant esprit, pour s’assurer désormais les faveurs du comte, le tua en trahison en passant par derrière lui, et en lui portant à l’échine un coup de son épieu tranchant ; puis il s’enfuit au galop de son cheval vers Beaucaire, d’où il était, où vivaient ses parents.
Cependant, quand il eut reçu la communion, vers l’heure où chante le coq, Pierre de Castelnau, levant ses mains vers le ciel, pria le Seigneur Dieu de pardonner à ce sergent félon. Il mourut ensuite au point de l’aube, et son âme s’en alla au Père Tout-Puissant ; il fut enterré à Saint-Gilles, avec force cierges allumés, et force kyrie eleison, que chantent les clercs.
Le pape fit alors proclamer la croisade par l’abbé de Cîteaux : de nombreux villages sont mis à feu et à sang.
Ce fut à la fête qu’on nomme la Madeleine[3], que l’abbé de Cîteaux amena sa grande ost : tout à l’entour de Béziers, elle campe sur la grève. Je crois bien que pour les assiégés les tourments et la peine se préparent, car jamais l’ost de Ménélas, à qui Pâris enleva Hélène, ne dressa tant de tentes dans les ports, sous les murs de Mycènes, ni tant de riches pavillons, la nuit, à la belle étoile, que ne fait l’ost des Français : sauf le comte de Brienne, il n’est baron de France qui n’y fasse sa quarantaine.
[3] Le 22 juillet.
Pour ceux de la ville ce fut une mauvaise étrenne !…[4] Toute la semaine ils ne font qu’escarmoucher. Oyez ce que faisaient ces vilains, plus fous et plus naïfs que n’est la baleine ! Avec leurs panonceaux blancs de grosse toile, ils courent à travers l’ost en poussant de grands cris, pensant épouvanter les croisés, comme on chasse les oiseaux de l’avoine, en criant, en huant, en agitant leurs drapeaux, le matin, quand il fait grand jour.
[4] Je passe un vers dont le texte est corrompu.