La Douleur et le Dégoût - Charles Richet - E-Book

La Douleur et le Dégoût E-Book

Charles Richet

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La douleur, le dégoût et la peur, sont des sentiments très voisins. Ils représentent l’ensemble des émotions répulsives. En effet, ni l’homme ni l’animal ne sont indifférents vis-à-vis des choses de la nature. Ils ont pour les objets et les êtres des sentiments qui, pour être très complexes et très variables, peuvent néanmoins se ramener à deux émotions primitives tout à fait simples, l’amour ou la haine : l’attraction ou la répulsion. La douleur, le dégoût, la peur, sont les trois formes de la répulsion. Cette répulsion peut être morale ou physique. C’est même un fait bien curieux qu’à des émotions, tout à fait physiques, matérielles pour ainsi dire, se soient, grâce au langage, complètement assimilées des émotions morales.
Ce livre explore et analyse les phénomènes de la douleur et du dégoût.

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La Douleur et le Dégoût.

La Douleur et le Dégoût

Traité des émotions répulsives.

La douleur, le dégoût et la peur, sont des sentiments très voisins. Ils représentent l’ensemble des émotions répulsives{1}.

En effet, ni l’homme ni l’animal ne sont indifférents vis-à-vis des choses de la nature. Ils ont pour les objets et les êtres des sentiments qui, pour être très complexes et très variables, peuvent néanmoins se ramener à deux émotions primitives tout à fait simples, l’amour ou la haine : l’attraction ou la répulsion. La douleur, le dégoût, la peur, sont les trois formes de la répulsion.

Cette répulsion peut être morale ou physique. C’est même un fait bien curieux qu’à des émotions, tout à fait physiques, matérielles pour ainsi dire, se soient, grâce au langage, complètement assimilées des émotions morales. La perte d’un ami est une douleur au même titre qu’une brûlure ; une lâche trahison excite le dégoût ainsi que fait une odeur  nauséabonde ; et enfin on peut jusqu’à un certain point assimiler la frayeur que cause l’attente d’un examen, par exemple, au sentiment que l’on éprouverait en se voyant poursuivi par un lion. Certes, dans toutes ces émotions, les causes sont bien peu semblables ; mais l’effet psychique est à peu près le même ; aussi le langage, fidèle interprète de la vérité psychologique, emploie-t-il pour ces émotions diverses les mêmes expressions : douleur, dégoût et peur.

Ni les unes, ni les autres ne peuvent se définir. Peut-être même y aurait-il quelque inconvénient à vouloir à tout prix formuler une définition quelconque. Rien n’est plus clair dans l’esprit de chacun que les mots douleur, dégoût et peur : c’est pourquoi toute périphrase imaginée pour désigner ces sentiments sera inutile, à moins qu’elle ne contienne une théorie ; auquel cas elle serait dangereuse.

Première partie

Les causes du dégoût.

Il y a, pour exprimer les états divers de l’âme et du corps, des mots simples que tout le monde comprend aussi facilement que le sentiment psychologique qu’ils sont destinés à traduire : voilà pourquoi une définition des termes tels que plaisir, douleur, goût, dégoût, serait non-seulement inutile, mais encore dangereuse, en introduisant dans la définition même une première hypothèse qui ne ferait qu’obscurcir la question. Il n’y a donc pas lieu de définir le dégoût. Remarquons toutefois que l’expression, prise d’abord dans son sens propre, a été employée ensuite au figuré. Du monde matériel, elle a passé dans le monde moral, en sorte qu’il y a d’une part un dégoût tout physique, une répulsion du goût, caractérisée par des symptômes physiologiques particuliers, et d’autre part une sensation analogue, d’ordre moral, que le langage, exprimant le sentiment universel, a assimilée au dégoût physiologique en lui conservant le même nom. Notre intention est d’étudier la nature même de cette sensation, aussi bien dans le domaine du corps que dans le domaine de l’esprit, et surtout de chercher suivant quelles causes elle vient à naître, et s’il faut voir dans la répugnance physique ou morale des hommes pour certains objets un effet du hasard ou le résultat d’une loi cachée. Un instinct humain, pour être étrange et inexpliqué, n’en est pas moins digne d’attention, et le fameux précepte de Socrate, qui engage l’homme à se connaître lui-même, ne fait pas de partage entre les sentiments nobles et les sentiments bas.

I.

La sensation gustative n’est pas une sensation simple, ou du moins elle se compose de plusieurs éléments que l’analyse permet de démêler. Ainsi l’odorat se confond avec le goût, en sorte que la plupart des substances sapides deviennent insipides", si on empêche la muqueuse nasale d’être excitée par les émanations volatiles de ces substances. Le beurre, le lait, le vin, paraîtront dénués de saveur, et on ne pourra plus guère distinguer que des saveurs sucrées et des saveurs amères. A vrai dire, c’est à cela que se borne le sens du goût proprement dit, car les autres sensations gustatives sont des sensations tactiles ou des sensations générales : par exemple, quand on met sur la langue une goutte d’ammoniaque, on éprouve une sensation de cuisson et de chaleur qui relève de la sensibilité générale de la muqueuse linguale; de même, si on prend du sucre pulvérisé, la sensation de pulvérulence est une sensation tactile, et la saveur sucrée appartient seule au goût proprement dit. Placé ainsi à l’entrée du canal alimentaire, le sens du goût a une importance fondamentale dans les fonctions digestives. C’est une sentinelle vigilante qui, selon qu’elle sera satisfaite ou mécontente, permettra ou refusera l’entrée des aliments.

En effet, par le contact avec certaines substances, les nerfs du goût sont excités de telle sorte qu’ils provoquent une action réflexe immédiate qui expulse violemment les aliments ingérés. Il y a, dans le vomissement provoqué par la gustation d’une substance qui répugne, plusieurs actions nerveuses dont la conséquence est l’expulsion brusque, involontaire, réflexe de tout aliment nauséabond; cependant cette action instinctive est accompagnée d’une perception. Une fois parvenue dans la moelle épinière, il semble que l’excitation nerveuse suive un double sens : d’une part elle descend dans la moelle pour faire naître la contraction des fibres musculaires de l’estomac, d’autre part elle monte dans le cerveau et y provoque une sensation particulière, qui est le dégoût. Tel est donc le sens physiologique du mot dégoût. C’est la perception d’une excitation qui agit sur le nerf pneumogastrique de manière à amener le vomissement; toutefois, si l’excitation est faible, il peut n’y avoir ni nausée ni vomissement, mais il y a encore du dégoût. Le langage a gardé le même terme pour toutes ces perceptions qui ne diffèrent que d’intensité. — Si l’excitation est plus forte, au lieu de se limiter au pneumogastrique, elle s’irradie, et porte sur presque tout le système de la vie organique. La face pâlit, les muscles lisses de la peau se contractent, la peau se couvre d’une sueur froide, le cœur suspend ses battements; en un mot, il y a une perturbation organique générale consécutive à l’excitation de la moelle allongée, et cette perturbation est l’expression suprême du dégoût.

Le dégoût est donc une perception provoquée par les nerfs du goût; mais les nerfs du goût ne sont pas les seuls capables de la faire naître. Ainsi l’olfaction agit de même, quoiqu’il n’y ait pas de rapport anatomique étroit entre les nerfs de l’olfaction et le nerf pneumogastrique. C’est bien du dégoût que fait naître l’odeur d’un cadavre ou d’une matière putride, et nous ne connaissons pas assez les centres psychiques des sensations diverses pour nous étonner de trouver une même sensation provoquée à la fois par une excitation olfactive et une excitation gustative. De fait l’odorat est comme le goût : s’il est désagréablement affecté, la sensation qu’on éprouve est du dégoût, c’est-à-dire une sorte de douleur, de répugnance, d’aversion. La fonction est la même au fond pour ces deux sens, qui, l’un et l’autre, veillent sur nous; mais celui-ci nous sert quand nous mangeons, celui-là quand nous respirons. La digestion et la respiration sont donc défendues et protégées par ces deux sens : le goût et l’odorat. Dès qu’ils sont excités par des substances mauvaises ou dangereuses, nous éprouvons la perception de dégoût, cette perception étant liée intimement à l’excitation des nerfs moteurs de l’estomac.

C’est par l’association des idées et un phénomène analogue au souvenir qu’on peut, sinon expliquer, au moins comprendre comment la vue d’un objet repoussant provoque encore le dégoût. Il y a un travail cérébral, un jugement, une association d’idées, qui font d’une excitation visuelle une sensation nauséeuse; en un mot, la perception de dégoût est, dans un grand nombre de cas, la conséquence d’un travail cérébral qui aboutit à la nausée : le souvenir même ou l’imagination peuvent provoquer une impression pareille ; de sorte qu’il y a au dégoût même physique une cause tantôt physiologique, comme le contact de la langue avec une substance nauséabonde ou de la muqueuse nasale avec un gaz fétide, tantôt psychologique, comme le seul souvenir d’une substance semblable. On peut donc dire d’une manière générale que le dégoût physiologique est produit par le contact de certains aliments désagréables avec les papilles de la langue, et que c’est par une juste assimilation entre le phénomène physiologique de la nausée et d’autres phénomènes psychiques, amenant une sensation analogue, qu’on a étendu le sens du mot dégoût; mais c’est insister assez longtemps sur ce sujet, et nous allons maintenant chercher à établir quelles sont les substances qui produisent le dégoût. Remarquons d’abord qu’à un examen superficiel toute détermination de ce genre pourrait paraître impossible. Ne voit-on pas entre les divers individus des différences telles que tout classement doit sembler factice? Un proverbe banal dit que tous les goûts sont dans la nature, et qu’il ne faut pas discuter le goût d’autrui. Quelques personnes éprouvent pour certaines substances regardées comme alimentaires par presque tout le monde un dégoût insurmontable. D’autre part, ne voit-on pas chez quelques individus des objets dégoûtants n’éveiller aucune sensation pénible? On sait que Laplace mangeait des araignées et qu’un roi de France se trouvait mal en sentant l’odeur des fraises. Une jeune femme, d’une intelligence remarquable, m’a dit souvent avoir mangé des vers à soie sans répulsion. N’est-ce pas le contraire de ce que le goût unanime a accepté? Avec les races et les climats, les goûts se transforment comme les mœurs. Les sauvages se nourrissent d’aliments qui nous répugneraient, et ils auraient peut-être beaucoup de répulsion pour les plats divers qui composent notre nourriture. Un voyageur raconte quelque part qu’étant en Chine, il vit des indigènes se repaître avec délices de poissons pourris enfouis sous terre depuis plusieurs semaines, et que, ce festin lui paraissant odieux, il se mit en mesure de manger un canard qu’il venait de tuer, et qu’il avait fait rôtir. Aussitôt les Chinois interrompirent leur repas de poissons pourris, et, à la vue de ce canard rôti qu’on osait manger, témoignèrent énergiquement leur répulsion. Quelques-uns d’entre eux eurent même des nausées de dégoût. Entre tous les auteurs qui ont traité ce sujet, Montaigne s’étend avec complaisance sur ces contradictions et ces bizarreries des sociétés humaines. « Il est des peuples, dit-il, où, quand le roi crache, la plus favorite des dames de la cour tend la main. Il en est où on fait cuire le corps du trépassé, et puis piler jusqu’à ce qu’il se forme comme en bouillie, laquelle ils mêlent à leur vin et la boivent. Où l’on mange toutes sortes d’herbes sans autre discrétion que de refuser celles qui semblent avoir mauvaise senteur. Où l’on ne coupe en toute la vie ni poils, ni ongles, ailleurs où l’on ne coupe que les ongles de la droite, celles de la gauche se nourrissent par gentillesse. Ici on vit de chair humaine, là c’est office de piété de tuer son père en certain âge. » Selon l’âge, selon l’état de santé ou de maladie, selon les dispositions morales, les goûts varient à l’infini, de sorte que l’on pourrait regarder toute classification comme arbitraire et nécessairement entachée d’erreur.

Certes il en serait ainsi, si on avait la prétention chimérique de donner aux sciences naturelles la même rigueur inflexible qu’aux sciences mathématiques ; mais pour la connaissance des lois de la nature, cette précision absolue n’est ni possible, ni désirable : nous ne savons pas assez les causes dernières pour déterminer tous les phénomènes et expliquer toutes les anomalies sans rencontrer d’exception aux lois que nous avons posées. Quelque générale que soit telle ou telle loi, il est bien invraisemblable que çà et là on ne la trouvera pas, en apparence au moins, contredite par des faits exceptionnels qu’on s’explique mal, et nous devons être satisfaits, si elle comprend dans sa formule la presque totalité, non l’universalité des phénomènes. Il y aurait d’ailleurs, pour le sujet qui nous occupe ici, bien des inconvénients à considérer les fous, les malades, les sauvages, les enfants comme les représentants de l’humanité. Certes, pour étudier un instinct, il est utile d’avoir des termes de comparaison, et de voir, à côté de la pensée humaine développée et cultivée, la pensée humaine incomplète et altérée, mais il ne faut pas que la première soit obscurcie par l’autre, et il faut donner aux sentiments de l’homme adulte, civilisé et intelligent, une part prépondérante. Aussi, tout en tenant grand compte des singularités individuelles que l’on est exposé à rencontrer, nous attacherons-nous surtout à décrire l’instinct humain, tel qu’il existe le plus souvent, sans prétendre affirmer une loi absolue et ne comportant nulle exception. Ce serait d’ailleurs une erreur de confondre les instincts de l’homme sauvage et les instincts de l’homme civilisé. Depuis six ou huit mille ans que l’homme vit en société, il a fini par acquérir certaines habitudes qu’il apporte en naissant, et qui sont devenues presque des instincts. Je serais tenté de croire que le dégoût est souvent un instinct acquis, et acquis par l’homme civilisé, en sorte qu’à l’étudier chez les nègres du centre de l’Afrique ou les indigènes de la Malaisie, on n’en aurait qu’une notion imparfaite. Un jour peut-être la science, qui s’enrichit quotidiennement d’observations anthropologiques précieuses, arrivera à faire la part des instincts fondamentaux de l’homme, et des instincts accessoires, développés postérieurement, et propres à une race ou à une civilisation.

II.