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Extrait : "Le drame antique ne présente aucun sujet plus noble et émouvant que la vie et la mort de l'archiduchesse Marie-Antoinette-Josépha, reine de France. Jeune Dauphine à quinze ans, elle s'était confiée à sa nouvelle nation ; elle avait accepté ses usages, son esprit, ses modes et même loyalement sa politique ; elle avait été acclamée partout, dans les fêtes, les bals, le théâtre. Tout ce charme, toute cette puissance conquise à Versailles furent détruits par les pamphlets."
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
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Seitenzahl: 196
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Le drame antique ne présente aucun sujet plus noble et plus émouvant que la vie et la mort de l’archiduchesse Marie-Antoinette-Josépha, reine de France. Jeune Dauphine à quinze ans, elle s’était confiée à sa nouvelle nation ; elle avait accepté ses usages, son esprit, ses modes, et même loyalement sa politique ; elle avait été acclamée partout, dans les fêtes, les bals, le théâtre.
Tout ce charme, toute cette puissance conquise à Versailles (le palais d’Armide), furent détruits par les pamphlets. La reine était ravissante, elle excita des jalousies ; elle était ferme et courageuse, on vit en elle un obstacle à la marche des idées. Il fallait détruire son prestige. La calomnie, essayée parmi les hauts courtisans, descendit bientôt dans la rue. Les deux plus implacables ennemis de la Reine, ceux qui l’appelèrent Madame Veto, l’Autrichienne, furent Camille Desmoulins, le procureur général de la Lanterne, et Marat.
Ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’avec des formes plus mesurées ou des expressions plus élégantes, ces calomnies se sont continuées dans les histoires de la révolution française, soit qu’elles se vouent à l’apologie des Dantonistes, soit qu’elles exaltent les Girondins, ces pauvres têtes de désordre et de déclamation. L’auteur du présent livre ne dissimule pas qu’il s’est passionné pour Marie-Antoinette. On peut le compter « parmi les deux cent mille amoureux de la Dauphine qui saluèrent son entrée à Paris, » selon l’expression du chevaleresque duc de Brissac.
Il a écrit ce livre après un pèlerinage historique au Petit-Trianon. Tandis que la foule inondait les plates-bandes de marguerites et de boutons d’or dans le parc de Versailles, l’auteur allait s’isoler sous un de ces arbres de Trianon plantés par Bernard de Jussieu : pins immenses qui élèvent leur tête vigoureuse jusqu’au ciel, chênes étranges dont les chevelures descendent sur le sol pour former des dômes mystérieux où le soleil ne pénètre jamais.
L’auteur pouvait donc suivre pas à pas les souvenirs de l’adorable châtelaine de Trianon : le petit temple d’ordre ionique consacré à l’Amour (le dieu taille son arc dans la massue d’Hercule) ; le village suisse en miniature ; le rustique chalet où la Reine, accompagnée de la duchesse Yolande-Gabrielle de Polignac, distribuait des tasses de lait à ses amies, idylle de Gessner et de la Nouvelle Héloïse ; un peu à gauche, le théâtre élégant où la Reine jouait avec tant de distinction, la Rosine du Barbier de Séville, secondée par des artistes qui s’appelaient le comte d’Artois, le comte de Vaudreuil, le marquis d’Adhémar, Yolande de Polignac, et même la douce Madame Élisabeth ; la salle de concert où Mozart et Gluck tenaient le clavecin, Kreutzer le violon, et Piccini le hautbois ; un peu plus loin, la tour de Marlborough, où le saule pleureur planté par Marie-Antoinette à la veille de ses jours de malheur, trempe encore ses feuilles grisâtres dans les flots du petit lac.
La révolution française a pu immoler des milliers de victimes ; elle a eu ses raisons d’État (au moins on nous le dit) ; mais ce qu’on ne peut lui pardonner, ce sont les calomnies qu’elle a jetées à pleines mains sur la Reine de France. Rien ne peut se comparer aux interrogatoires de Fouquier Tinville. Le froid nous passe dans les veines en contemplant la salle du tribunal révolutionnaire : on dirait une caverne toute pleine de couleuvres et de scorpions qui rampent autour d’une créature de Dieu.
J’ai cherché, dans ce livre, à peindre Marie-Antoinette, sa jeunesse, son adorable bonté, la ravissante société qui l’environnait. C’est mon faible que d’aimer un peu le vieux régime, cette société de loisir, de loyaux et chevaleresques sentiments. Certes personne aujourd’hui ne craint le retour de cette société. Puisque c’est une chose morte, pourquoi ne pas lui rendre quelque justice ? La France est trop fière de son présent, trop sûre de le garder, pour ne pas aimer et respecter son passé. Le culte des aïeux a toujours été le caractère et la vertu d’une grande nation.
Petit-Trianon, 18 septembre 1865.
(1768-1772)
L’époque la plus calme, la plus apaisée, et en même temps la plus ravissante d’élégance et de goût, fut la dernière partie du règne de Louis XV. Les parlements étaient contenus et réduits à leur légitime autorité judiciaire ; l’abbé Terray, hardi administrateur avait mis l’ordre dans les finances, par ses mesures de retranchements, et surtout par la réduction d’intérêt de la dette publique imitée de l’Angleterre. Du petit pavillon de Luciennes partaient les résolutions fermes, décidées, qui avaient pour organes deux hommes d’État du premier mérite, le chancelier Maupeou et le duc d’Aiguillon (un Richelieu). La vie de loisir, douce et facile dominait cette société, et un goût général pour les délices de la campagne s’était répandu sous les auspices de la paix avec l’Europe.
Le plus noble campagnard, c’était Louis XV ; nul ne connaissait mieux que lui, si l’on en excepte l’architecte Gabriel et la marquise de Pompadour, l’ordonnance des jardins. À Choisy longtemps le château de prédilection du roi, son œuvre pour ainsi dire, on trouvait les plus beaux fouillis de jasmins, de lilas, de roses, de muguets, d’aubépines où tant de fois, Mme de Pompadour entourée d’artistes, de poètes, avait célébré la fête du printemps sur un trône de tubéreuses.
À Luciennes, la comtesse du Barry avait ménagé les aspects les plus variés, les points de vue les plus attrayants. De la terrasse qui entourait cette bonbonnière toute de fantaisie et d’art, sous l’ombrage odorant des tilleuls doucement agités par les vents, le roi pouvait voir à ses pieds serpenter la Seine parsemée d’îlots ; sur sa gauche s’élevaient les coteaux de Saint-Germain ; des découpures de terrains richement cultivés, laissaient se déployer les vastes plaines de Saint-Denis. Louis XV, tout en conservant la dignité, l’élégance de sa personne, vivait dans les plus douces familiarités sous la houlette de la châtelaine de Luciennes, l’espiègle respectueuse et d’un si ferme caractère qui avait préparé le coup d’État du chancelier Maupeou.
Louis XV habituellement descendait pour visiter Luciennes du château Marly, une des merveilleuses créations du dernier règne ; on pénétrait dans la cour, par des portiques en galerie surmontés de deux Renommées à cheval, chefs-d’œuvre d’art imités des hippodromes de Byzance ; des pièces d’eaux peuplées de vieilles carpes au collier d’or, précédaient les parterres en face du château isolé ; de droite et de gauche, ainsi que les astres autour du soleil, douze pavillons se liaient entre eux par des berceaux de chèvres-feuilles destinés aux courtisans autour du château royal.
Presque en même temps que s’achevait Marly, Louis XIV faisait bâtir un pavillon de repos sur un fief des moines de Sainte-Geniève, à l’extrémité du parc de Versailles près la grande pièce d’eau. L’architecture primitive de Trianon ne ressemblait en rien à l’élégant château qu’on voit aujourd’hui se déployer dans ses formes presque italiennes ; c’était d’abord un simple pavillon de porcelaine, destiné aux collations du roi. Les gravures contemporaines reproduisent le Trianon primitif avec les formes invariables de la seconde manière de Mansard : les parterres groupés et resserrés, comme si l’espace manquait, un jardin dessiné en compartiments ; des bassins d’eaux ; point de parc particulier ; les immenses ombrages de Versailles étaient à côté, une terrasse qui donnait sur le canal avec un petit pont pour protéger les barques du roi et de la duchesse de Bourgogne, qui aimait à conduire le gouvernail de nacre et d’ivoire. On lit dans le journal de Dangeau : « Le 10 juillet 1699, Louis XIV s’établit sur le territoire de Trianon qui regarde sur le canal, et y vit s’embarquer, Monseigneur, Mme la duchesse de Bourgogne et toutes les princesses. Après le souper Monseigneur et Mme la duchesse de Bourgogne se promenèrent jusqu’à deux heures après minuit dans les jardins ; après quoi Monseigneur alla se coucher ; Mme la duchesse de Bourgogne monta en gondole avec quelques-unes de ses dames et Mme la duchesse dans une autre gondole, et demeurèrent sur le canal jusqu’au lever du soleil ; puis Mme la duchesse alla se coucher, mais Mme la duchesse de Bourgogne attendit que Mme de Maintenon partît pour Saint-Cyr. Elle la vit monter en carrosse à sept heures et demie et puis elle s’alla mettre au lit. »
Bientôt Louis XIV transforma le pavillon de porcelaine en galerie de plain-pied couronnée d’un étage supérieur. Louis XV éleva le petit Trianon si coquet et d’une suprême simplicité ; on attribue trop souvent à Louis XIV le mérite des œuvres d’art de Versailles. Si tout ce qui est grandiose, régulier, appartient à son règne, les élégances, les fantaisies, les jardins enchantés, les groupes de nymphes, le bain de Vénus, les muses aux pipeaux champêtres, les bassins de marbre et de jaspe se rattachent au règne de Louis XV. Le roi voulut donner à Trianon un but d’utilité pratique, et il créa des jardins modèles de plantes exotiques. On n’a jamais considéré Louis XV sous un point de vue particulier qui l’élève beaucoup dans l’histoire : la protection qu’il accorda avec passion et générosité aux sciences exactes. Autant le roi dédaignait les rêveurs de philosophie, les encyclopédistes raisonneurs, autant il aimait les savants qui grandissaient le domaine de l’astronomie, de la physique, de la chimie, de la botanique surtout ; toutes les grandes entreprises de la science pour fixer les méridiens, les découvertes géographiques furent dirigées par Louis XV ; il fit du fils d’un simple conseiller au parlement de Dijon, Louis Leclerc, un comte de Buffon, et le buste du savant fut placé de son vivant dans le cabinet du roi, honneur inusité : protecteur de Bernard de Jussieu, il le chargea de former à Trianon une flore, un jardin de plantes exotiques ombragé d’arbres nains ou gigantesques de l’Amérique, des Indes, de la Chine et du Japon, et Jussieu reçut la direction de ce jardin que Louis XV allait visiter avec un soin particulier.
À travers sa vie distraite et souvent trop oublieuse de ses devoirs, le roi était resté l’homme de la tradition et de la famille : Mmes Adélaïde, Victoire, Sophie, trois de ses nobles filles avaient dédaigné le mariage soit par goût, soit par orgueil de naissance (la maison de Bourbon ne voulait s’allier qu’aux têtes couronnées). Mesdames vivaient dans les appartements du roi à Versailles, et quelquefois au château de Bellevue embelli par leurs soins ; douces châtelaines, elles passaient leur vie au travail de broderie, de dentelles, à la lecture ou bien à quelque concert de harpe ; les privilégiés de leur domesticité étaient déjà le joueur de guitare Caron de Beaumarchais, qui les amusait de ses saillies et de ses contes d’Espagne, et Mlle Genest (depuis Mme Campan) leur lectrice, parfaitement élevée ; fille d’un premier commis aux affaires étrangères ; elle charmait mesdames par son érudition, son esprit animé. La dernière des filles de Louis XV, Marie-Louise de France, religieuse carmélite, d’une haute fermeté de caractère, portait l’amour pour son père jusqu’à l’idolâtrie ; Mme Louise avait approuvé et appuyé les mesures du roi contre les parlements, et soutenu le ministère du chancelier Maupeou ; le sentiment religieux donne une force de caractère dans l’accomplissement du devoir. En présence de Dieu et de sa conscience on ne transige pas.
Louis XV avait trois petits-fils nés du grand dauphin, caractère mystique, le Fénelon de la royauté, à laquelle il aspirait, dit-on, avec trop d’empressement ; l’aîné Louis-Auguste avait seize ans au moment où nous prenons cette histoire. Louis XV, d’un esprit si sûr avait remarqué avec inquiétude chez le jeune dauphin un caractère timide, brusque et faible à la fois, s’emportant d’abord pour céder ensuite : les plus tristes conditions dans l’exercice du pouvoir. Assurément la vie privée de Louis XV n’était pas sans reproches ; l’éventail de la comtesse du Barry couronnée de rose n’avait rien de bien imposant et de bien moral, mais la loi du respect envers le royal aïeul aurait dû retenir les manifestations trop vives d’un jeune homme bien élevé qui devait ne jamais méconnaître les bienséances. La vertu la plus haute est en général indulgente et douce.
Le second, Stanislas-Xavier, avait plus spécialement frappé l’attention de Louis XV, qui lui trouvait un esprit orné, studieux et railleur, de petits travers et de grosses vanités ; il avait de la politesse, un caractère d’ordre et beaucoup de tenue ; il aimait le bruit, la popularité sans rien pourtant leur sacrifier ; il ne fuyait pas le monde, la société des femmes et des gens de lettres lui plaisait ; il conservait avec son frère aîné, le dauphin, une certaine liberté d’appréciation qu’on aurait pu croire de la jalousie ; il le relevait souvent quand il se permettait quelques explications indiscrètes ; il aimait son grand-père et lui montrait toute espèce de déférence.
Comme grâce charmante, bonté de cœur et légèreté d’esprit, Charles-Philippe comte d’Artois, l’emportait sur ses deux frères. Aussi était-il tendrement aimé du roi Louis XV, quoique dépensier presque prodigue déjà à quatorze ans ; quand la bourse était vide il recourait à l’aïeul, qui ouvrait sa cassette privée en souriant. Le comte d’Artois n’avait ni les indignations honnêtes du dauphin, ni l’esprit railleur du comte de Provence ; cœur vif, futile, il marchait devant lui sans opposition ; jeune galant il admirait dans la comtesse du Barry la beauté, la grâce des manières. Comme la volonté de Louis XV était qu’elle fût respectée, le comte d’Artois faisait plus que cela, il l’aimait chevaleresquement ; il aurait considéré comme un manque de bienséance de la mépriser et encore moins de l’insulter : n’était-elle pas d’abord une femme, la fée des palais ; le comte d’Artois n’aurait pas jeté de la boue sur l’Hébé de Benvenuto Cellini.
Du reste, tel était le caractère de Louis XV : tout plein de politesse et de bonté, il n’aurait pas néanmoins souffert la moindre opposition de sa famille à la marche de son gouvernement ; il avait continué la tradition de Louis XIV qui tenait dans un muet respect ses fils et ses petits-fils ; il voulait rester maître, et il l’était. Cette opinion généralement répandue empêchait toute intrigue, toute opposition des princes du sang : il n’était pas encore question des résistances de la branche d’Orléans. Au Régent avait succédé dans l’hérédité, son fils Louis, le solitaire de Sainte-Geneviève, le savant, le docte dans l’hébreu, le caldéen, et qui mourut comme un pieux génovéfain. Son héritier Louis-Philippe avait fait bravement toutes les campagnes du règne de Louis XV.À la paix il avait pris sa retraite, et, dans sa délicieuse résidence de Bagnolet, sous l’influence d’une belle veuve toute littéraire, la comtesse de Montesson, il fit construire un petit théâtre où le duc lui-même jouait la comédie avec un talent distingué. Collé était le poète de ce théâtre avec Carmontel le faiseur de proverbes, et pour la première fois fut jouée la Partie de Chasse d’Henri IV ; le duc, bon artiste, y représentait avec talent le meunier Michaud, et il chantait avec un sincère enthousiasme les couplets d’Ariette avec l’Antienne de Vive le Roi ! Le duc d’Orléans, en dehors de toute intrigue politique, était sincèrement dévoué à Louis XV, comme l’avait été son aïeul le régent. Lorsque les parlements avaient essayé une violente opposition au chancelier Maupeou, ils avaient voulu lier les princes du sang à leur cause. Le duc d’Orléans avait refusé hautement et Louis XV lui avait écrit de sa main comme à l’héritier du régent pour qui le roi avait conservé une tendresse filiale : la comtesse du Barry avait favorisé le mariage secret du duc d’Orléans avec Mme de Montesson.
Le duc partageait sa vie entre Bagnolet et le Raincy qu’il venait d’acquérir du fermier général M. de Livri : le Raincy, magnifique château où avait résidé la princesse palatine, avait longtemps gardé les formes grandioses des habitations du dix-septième siècle. Sous l’influence de Mme de Montesson commençait cette imitation des cottages anglais, ces plaqués de verdures entrecoupés, de temples d’amour, de moulins agrestes ; la Nouvelle Héloïse de Rousseau avait tourné toutes les têtes. On créait des façons de lac Léman, des ponts rustiques, la forêt de châtaigners de Saint-Preux et de Julie ! Les Condé étaient les derniers gardiens des vastes bois : héritiers des riches confiscations sur les Montmorency, leur fortune était immense ; quand le prince de Condé épousa Mlle de Montmorency, il n’avait pas cinquante mille livres de rente et par la confiscation sur le connétable, le prince avait acquis plus de deux millions de revenus avec Chantilly, la forêt de l’île Adam, Montmorency, le château d’Enghien, Saint-Leu et Melo. Par apanage les Conti avaient l’île Adam où se donnaient de si belles fêtes, les pêches et les chasses aux flambeaux. Le dernier prince de Conti était un philosophe parlementaire que Louis XV traitait avec un grand dédain, en ne l’appelant que mon cousin l’avocat, le protecteur de Rousseau, des encyclopédistes, mécréant par goût, par vanité ; les philosophes le louèrent plus tard d’être mort sans confession.
Sur la route de Marly à Choisy-le-Roi et comme une étape fleurie se trouvait le château du duc de Penthièvre, à Sceaux, une des plus belles œuvres de Perrault pour les bâtiments et de Le Nôtre pour les jardins ; Lebrun, Puget, Girardon avaient été chargés de la décoration de Sceaux : trois pavillons reliés par des galeries ; une de ses façades donnait sur de riches jardins et l’autre étendait sa vue sur un vaste parc, véritable forêt d’arbres séculaires de plus de six cents arpents. Ainsi l’avait créé Colbert imitateur de Sully ; Sully avec des formes revêches, austères, avait gagné plus de cinquante millions dans le conseil général des finances de Henri IV ; la roideur cache souvent de grandes cupidités. Colbert avait dépensé plus de huit millions de livres à Sceaux, lorsque Louis XIV l’acheta pour créer l’apanage de l’un de ses légitimés, le duc du Maine. À la mort du duc il était passé par héritage aux mains du prince de Dombes, puis au comte d’Eu et enfin au duc de Penthièvre d’une vertu si simple, d’un esprit si limpide ; Rambouillet, résidence habituelle du duc était devenu le château de toutes les bienfaisances : hospices, écoles, pour tous les indigents de vingt lieues à la ronde. Un jour que le roi Louis XV en chasse dans la forêt était venu demander hospitalité au duc de Penthièvre, il le trouva en tablier blanc de cuisine préparant de ses mains les bouillons des pauvres ménages. Le roi émerveillé de tant de vertus le donna pour exemple aux courtisans qui suivaient la chasse : « c’est le saint de la famille, » aimait-il à dire.
Un évènement considérable, le mariage de M. le dauphin vint donner une physionomie nouvelle à la cour de Versailles.
(1770-1772.)
Les négociations sérieuses qui préparèrent le mariage de M. le Dauphin de France avec une archiduchesse d’Autriche, avaient été l’œuvre du duc de Choiseul, depuis en disgrâce. Indépendamment des tendances du premier ministre pour l’alliance autrichienne, les causes qui le déterminèrent furent surtout l’esprit distingué, l’éducation libérale de Marie-Antoinette. Si l’impératrice Marie-Thérèse, était d’une incontestable piété, elle avait laissé régner autour d’elle une haute liberté d’opinions qui, par le prince de Kaunitz, s’était reflétée sur toute la famille. Depuis le jour où Marie-Thérèse avait accueilli avec une joie orgueilleuse le projet de mariage de sa fille chérie, toute l’éducation de la princesse s’était faite à la française, et, par une bizarrerie qui était dans l’esprit de l’époque, deux comédiens du théâtre impérial de Vienne bien élevés au reste, Aufresne et Sainville avaient été chargés de la former aux usages et au beau langage. Quand le mariage fut chose arrêtée Marie-Thérèse demanda elle-même au duc de Choiseul de lui indiquer un de ces abbés tolérants, spirituels, instruits des usages de la cour de Versailles, qui pourrait l’initier à l’esprit de sa nouvelle patrie, et le duc de Choiseul, désigna l’abbé Vermond, un des protégés de M. de Brienne, archevêque de Toulouse, tout lié au parti encyclopédique. Ce choix était en harmonie avec les opinions qui commençaient à se révéler à la cour de Vienne et que l’empereur Joseph II, devait faire prévaloir à son temps.
Ainsi, contre l’opinion générale des historiens, je dis que l’archiduchesse Marie-Antoinette, devenue dauphine de France apporta des opinions très libérales à la cour de Versailles, un cœur assurément religieux, mais peu dévot ; passionnée pour les écrits de Rousseau, elle aimait le culte de la nature et de la forme simple qui correspondait à l’éducation allemande ; avide de popularité, la dauphine cherchait à plaire et à se faire aimer par la grâce de ses manières ; d’une figure charmante, d’une fraîcheur idéale, elle aimait les toilettes sans rouge, sans poudre et sans mouches ; secouant l’étiquette qui est la loi de respect, plus d’une fois elle s’était heurtée aux formes sérieuses que représentait et défendait avec une haute dignité la duchesse de Noailles, sa dame d’honneur ; l’excuse de Mme la Dauphine était dans sa jeunesse et sa beauté. Un contemporain nous fait ainsi son portrait. « Cette princesse est d’une taille proportionnée à son âge, maigre sans être décharnée, et telle que l’est une jeune personne qui n’est pas formée. Elle est très bien faite ; bien proportionnée dans tous ses membres. Ses cheveux sont d’un beau blond ; on juge qu’ils seront un jour d’un châtain cendré ; ils sont bien plantés ; elle a le front beau, la forme du visage d’un ovale gracieux, mais un peu allongé, les sourcils aussi bien fournis qu’une blonde peut les avoir. Ses yeux sont bleus, sans être fades, et jouent avec une vivacité pleine d’esprit. Son nez est aquilin, un peu effilé par le bout ; sa bouche est petite ; ses lèvres sont épaisses, surtout l’inférieure, qu’on sait être la lèvre autrichienne. La blancheur de son teint est éblouissante ; elle a des couleurs naturelles qui peuvent la dispenser de mettre du rouge, son port est celui d’une archiduchesse ; mais sa dignité est tempérée par sa douceur. Il est difficile en voyant cette princesse, de se refuser à un respect mêlé de tendresse. »
Louis XV toujours si parfait gentilhomme souriait aux hardiesses de la jeune dauphine qui escaladant les formules antiques, bravait la vieille étiquette. Le matin quelquefois sans se faire annoncer, la dauphine entrait en simple déshabillé dans la chambre du roi et demandait à son bon-papa la permission de l’embrasser. Louis XV en souriant lui disait : « J’aime bien qu’on demande la permission quand on l’a prise. » Sans s’abaisser jamais devant la comtesse du Barry, la dauphine n’avait pour elle aucun de ces mépris, aucune de ces indignations publiques qui semblaient braver les bienséances et la volonté du roi ; plusieurs fois elle s’était écriée : « Mme du Barry est jolie, elle est charmante. »