La Forêt vosgienne, son aspect, son histoire, ses légendes - Ligaran - E-Book

La Forêt vosgienne, son aspect, son histoire, ses légendes E-Book

Ligaran

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Extrait : "Messieurs, Avant d'être votre collègue, je suis votre obligé. Quand, il y a sept ans, je vins débuter dans votre ville, encore inconnu de vous et n'ayant d'autres titres à votre indulgence que mes fonctions de magistrat, vous voulûtes bien m'agréer comme membre de votre Société."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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MESSIEURS,

Avant d’être votre collègue, je suis votre obligé. Quand, il y a sept ans, je vins débuter dans votre ville, encore inconnu de vous et n’ayant d’autres titres à votre indulgence que mes fonctions de magistrat, vous voulûtes bien m’agréer comme membre de votre Société. Aujourd’hui, que la bonne fortune de ma carrière m’a ramené à Épinal, vous me confiez la tâche flatteuse entre toutes, bien que fort périlleuse, de porter la parole devant vous et de prononcer à la séance solennelle de la Société d’Émulation le discours d’usage. Certes, Messieurs, vous avez acquis à ma gratitude des titres dont je ne serai jamais assez fier et dont je ne saurais trop vous remercier. Ce qui me rassure, c’est la mémoire de l’accueil que je reçus autrefois en cette cité hospitalière ; c’est le souvenir toujours vivant et, depuis mon retour, si heureusement renouvelé, de tant de franches sympathies, de tant de cordiales amitiés. Je fus doublement citoyen d’Épinal : par mes fonctions et par mon adoption ; laissez-moi espérer que désormais, par ma coopération à vos travaux et mon assiduité à vos séances, je mériterai ce droit de bourgeoisie que vous m’avez si gracieusement octroyé.

Mais le plus difficile, Messieurs, n’est pas de vous exprimer ma reconnaissance : c’est de répondre dignement à l’honneur dont vous me comblez aujourd’hui, en ne vous faisant pas trop regretter de m’avoir donné la parole. Aussi, je vous l’avoue, me suis-je senti fort embarrassé tout d’abord pour le choix de mon sujet. Quand j’ai considéré la longue liste des orateurs, mes devanciers, et la richesse de vos Annales, j’ai repensé avec mélancolie au « tout est dit » de La Bruyère « et nous venons trop tard », car à une assemblée comme la vôtre, exclusivement locale, ne convient-il pas d’apporter un sujet local, c’est-à-dire vosgien ?

Quelle est la question intéressant la ville, le département, la région, qui n’ait été développée dans vos Annales avec ce soin, cette conscience, cette compétence, qui font de celles-ci un des recueils les plus autorisés de nos Académies provinciales ? Histoire et géographie, mœurs et légendes, productions naturelles et industrie, beaux-arts, biographie des hommes distingués qu’ont produits notre ville et notre département, souvenirs de tout genre ; parmi tant de sujets, en est-il un seul qui ait échappé à vos investigations, un seul sur lequel vous n’ayez projeté tant de lumière, que si le curieux trouve tout à apprendre dans vos doctes mémoires, le chercheur ne trouve presque plus rien à glaner en dehors ? Il en est un pourtant qu’on peut toujours se risquer à reprendre, parce qu’il dure et se renouvelle tous les jours à travers les générations : c’est le culte de « la forêt vosgienne ».

Supposez, Messieurs, un observateur placé sur quelque pic altier de nos montagnes, d’où son regard pourrait s’abaisser sans obstacles vers les divers points de l’horizon, quels aspects variés, doux et gracieux ou sévères et grandioses, viendraient successivement solliciter son attention, charmer ou éblouir ses yeux ? D’un côté, vers l’Ouest, il apercevrait, une plaine immense, soulevée par quelques ondulations à peine sensibles ; sa vue, doucement caressée, s’arrêterait avec complaisance sur un sol diapré de teintes diverses ; des horizons bas, une nature agréable sans doute, mais de cette beauté un peu monotone et triste qui est celle des pays de grandes plaines, où rien n’arrête et n’étonne le regard. Point de contraste, rien de heurter ; une ligne grise qui se confond avec celle de l’horizon, et cependant cette étendue uniforme, dont la vue ne trouve point le terme, impressionne étrangement, pareille à ces grandes masses d’eau endormies dans leur immobilité, où semble parfois se refléter l’infini.

Ce sont les grandes plaines de Lorraine, richesse et orgueil de nos laboureurs, qui s’ouvrent, ondulent et fuient vers l’horizon.

Mais, que l’observateur se détourne maintenant et regarde vers l’Orient. Quel contraste ! Loin, bien loin et bien haut, entre la terre et le ciel et plus près de celui-ci, une ligne bleuâtre, presque unie, dont on ne distingue ni les dentelures ni les festons, dont l’élégant tracé se confond, les grands jours d’été, avec la blancheur laiteuse du ciel, marque la crête des montagnes puissantes du massif vosgien. Au-dessous, des masses bleues ou noires, suivant les heures de la journée ou les jeux de la lumière, se détachent de la chaîne lointaine, les unes derrière les autres. Elles s’avancent de toutes parts comme une ligne étagée de bastions et de remparts ; semblable à une citadelle gigantesque, leur cercle menaçant borde l’horizon tout entier. Mais en se rapprochant, les croupes menaçantes s’abaissent peu à peu et viennent mourir en légères ondulations dans la plaine riante qui les reçoit.

C’est l’ossature puissante qui, sur une longueur de plus de cent kilomètres, une épaisseur qui en atteint parfois de trente à quarante, sépare deux pays, deux provinces, également belles, sœurs autrefois par leurs vœux et l’accord de leurs cœurs ; sœurs encore par l’infortune, bien que les sanglants caprices de la guerre et les fatalités impitoyables du sort les aient rendues presque étrangères l’une à l’autre. Mais, du moins, la nature, en interposant entre elles la barrière énorme de ces montagnes, n’a voulu séparer que deux contrées et, moins barbare que les hommes, n’a point défendu aux cœurs de se chercher.

Si imposante, Messieurs, que soit la montagne, si formidable que paraisse la masse dont elle semble vouloir écraser ce qui gît à ses pieds, quelle que soit la stupeur dont l’homme chétif, qui lève vers elle un regard effaré, reste frappé devant ce géant, elle n’est qu’un froid et dur squelette de granit et de pierre. Dénudée, elle nous surprend encore et reste imposante ; mais, pour gagner nos cœurs, il faut qu’elle se revête de grâce et de beauté. Les Alpes ont beau dresser leurs cimes altières jusque dans la région des neiges éternelles ; les Pyrénées offrir à nos étonnements leurs formes bizarres, leurs lacs et leurs cascades, les solitudes glacées de leurs sommets ; l’ardent soleil du midi a beau verser sur elles la poussière d’or de ses rayons, leurs flancs dégradés et dénudés, sans verdure et sans ombrages, attristent le regard ; mais ici la nature magnifiquement prodigue a jeté la forêt, comme un voile splendide, comme une parure éternellement fraîche, éternellement jeune, sur nos montagnes vosgiennes.

Oui, la nature est prodigue en ses dons, mais elle en fait une répartition inégale. Elle ne mesure ses faveurs qu’avec parcimonie. Les avantages qu’elle accorde aux hommes ou à la terre qui les porte sont incomplets ou contradictoires. Elle se plaît à séparer le beau de l’utile, et là où elle met à la disposition de l’homme l’abondance de ses ressources, son aspect est souvent sévère et son sourire sans grâce. Avouons-le donc, dans nos Vosges, ce n’est ni par la fertilité du sol ni par la profusion de ses produits qu’elle s’impose à notre reconnaissance. Ses rochers résistent au labeur patient, et la sueur du laboureur tombe sur eux sans les féconder. Mais l’homme ne vit point seulement de pain ; et, à ceux qui ont des yeux pour la voir et un cœur pour la sentir, la nature vosgienne réserve les compensations de sa grâce et de sa beauté.

Répondons, Messieurs, à ses invites et acceptons son hospitalité.

Voici le printemps, le moment où elle se réveille du morne sommeil de l’hiver, où elle sourit à qui vient se rajeunir à son contact. Point n’est besoin d’aller au loin chercher ses ombrages et ses retraites, ses mystères et ses profondeurs. De toutes parts, sur ces hautes montagnes qui cerclent l’horizon, sur ces coteaux qui s’étendent à leurs pieds, montent, le long des flancs fauves, la noire armée des sapins et la blancheur lumineuse des hêtres, en rangs serrés, alignés et superbes, à l’assaut des sommets.

Le voyageur aime à s’égarer dans leurs vertes profondeurs, à remplir ses poumons d’air pur et ses yeux de fraîches visions. Lorsqu’il chemine, en escaladant les sentiers sinueux et rapides dont les degrés sont soutenus par les racines des sapins, lorsqu’il foule d’un pied lent ce moelleux tapis, formé de l’humus entassé par les siècles, il sent pénétrer en lui le souffle de la vie ; et pendant que la sève coule dans les rameaux, s’insinue dans les feuilles, fait gonfler les bourgeons et triomphe de l’hiver et de la mort, il sent battre dans ses veines, à coups pressés, les flots d’un sang plus abondant et plus généreux.

Tout renaît, l’homme aussi bien que le végétal de la forêt. « Ô printemps ! jeunesse de l’année », s’écrie le poète, et la nature entière semble répéter avec transport ce cri de délivrance et d’allégresse.

Le printemps ! ne craignez pas, Messieurs, que j’en essaye une fois de plus la description, avec la prétention de n’être pas banal, mais il est un printemps vosgien, différent des autres printemps, et dont la couleur locale, j’en suis sûr, ne vous a point échappé. Grâce au mélange si pittoresque et si original de ses hêtres et de ses sapins, la forêt vosgienne donne simultanément deux impressions et suggère deux idées que ne fait pas naître ensemble l’aspect d’autres paysages. En effet, tandis que, dans les climats heureux où le printemps est éternel, on ne voit pas mourir et renaître la végétation et l’on n’a que la sensation d’une vie continue, dans ceux, au contraire, où la verdure meurt et renaît à tous les printemps et à tous les hivers, il manque à l’homme l’impression de la continuité de la vie de la nature, puisque cette vie semble cesser pendant l’hiver, « le triste hiver, comme l’a dit Buffon, saison de mort ». Or, la forêt vosgienne à elle seule offre la riche et unique synthèse de ces deux aspects. Par ses hêtres au feuillage clair qui se dépouillent et reverdissent successivement au gré des saisons, elle donne la sensation de l’alternance de l’arrêt de la sève, de la mort des feuilles, suivis du renouveau. Par ses sapins toujours verts, dont les aiguilles toujours sombres semblent vivre à travers toutes les saisons, elle nous donne l’impression de la vie continue de la nature et comme la manifestation permanente de l’âme immortelle de la forêt.

Réveillez-vous donc, vous que l’hiver, de ses mains glacées, a enchaînés devant l’insuffisante chaleur de vos foyers ; allez goûter au sein de cette nature ses joies si variées. En vain chercheriez-vous à les retenir : l’ordre immuable des saisons va changer la scène et ses décors ; le soleil s’apprête à inonder les bois et les champs de ses flammes et de ses rayons ; voici le grand été et la forêt nouvelle.