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Extrait : "LE LOUP-GAROU : Les loups se sont-ils réunis ? LE LIEUTENANT , se levant : Tous, excepté Bordier qui fait sentinelle, et Wilfrid le roux qui est allé battre l'estrade. LE LOUP-GAROU : Loups, mes compagnons, Étienne Durer que voici, (un brigand se lève) demande à devenir loup. Depuis six mois qu'il est avec nous, il s'est comporté bravement. Il a griffes et dents. Il est fidèle ; il lèche qui lui donne du pain ; il mord qui lui jette des pierres."
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Seitenzahl: 241
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335067095
©Ligaran 2015
Il n’existe presque aucun renseignement historique sur la Jaquerie. – Dans Froissard, on ne trouve que peu de détails et beaucoup de partialité. – Une révolte de paysans semble inspirer un profond dégoût à cet historien, qui se complaît à célébrer les beaux coups de lance et les prouesses de nobles chevaliers.
Quant aux causes qui produisirent la Jaquerie, il n’est pas difficile de les deviner. Les excès de la féodalité durent amener d’autres excès. Il est à remarquer que, presque dans le même temps, de semblables insurrections éclatèrent en Flandre, en Angleterre et dans le nord de l’Allemagne.
En supposant qu’un moine fut le chef des révoltés, je ne crois pas avoir péché contre la vraisemblance historique. De fréquentes querelles divisaient alors le clergé et la noblesse. – L’insurrection d’Angleterre fut dirigée par un prêtre nommé John Ball.
J’ai tâché de donner une idée des mœurs atroces du XIVe siècle, et je crois avoir plutôt adouci que rembruni les couleurs de mon tableau.
GILBERT, baron d’APREMONT, Seigneur du Beauvoisis.
Le baron DE MONTREUIL, Seigneur du Beauvoisis.
Le sénéchal du VEXIN, Seigneur du Beauvoisis.
FLORIMONT DE COURSY, Seigneur du Beauvoisis.
ENGUERRAND DE BOUSSIES, Seigneur du Beauvoisis.
GAUTIER DE SAINTE-CROIX, Seigneur du Beauvoisis.
PERCEVAL DE LA LOGE, Seigneur du Beauvoisis.
LE SÉNÉCHAL du baron d’Apremont.
LE SIRE DE BELLISLE, chevalier de l’hôtel du roi.
SIWARD, capitaine d’aventuriers anglais.
BROWN, capitaine d’archers anglais.
PERDUCAS D’ACUNA, chevalier navarrois, capitaines d’aventuriers.
EUSTACHE DE LANCIGNAC, chevalier gascon, capitaines d’aventuriers.
MAÎTRE YVAIN LANGOYRANT, docteur en droit.
L’abbé HONORÉ D’APREMONT, moine de l’abbaye de St.-Leufroy en Beauvoisis.
F. JEAN, moine de l’abbaye de St.-Leufroy en Beauvoisis.
F. IGNACE, moine de l’abbaye de St.-Leufroy en Beauvoisis.
F. SULPICE, moine de l’abbaye de St.-Leufroy en Beauvoisis.
F. GODERAN, moine de l’abbaye de St.-Leufroy en Beauvoisis.
BOURRÉ, bourgeois de Beauvais.
COUPELAUD, bourgeois de Beauvais.
LAGUYART, bourgeois de Beauvais.
MAILLY, bourgeois de Beauvais.
PIERRE, homme d’armes du baron d’Apremont.
LE LOUP-GAROU, chef de voleurs.
RENAUD, paysan du Beauvoisis.
SIMON, paysan du Beauvoisis.
MANCEL, paysan du Beauvoisis.
MORAND, paysan du Beauvoisis.
BARTHELEMY, paysan du Beauvoisis.
THOMAS, paysan du Beauvoisis.
GAILLON, paysan du Beauvoisis.
CONRAD, âgé de dix ans, fils du baron d’Apremont.
ISABELLE, fille du baron d’Apremont.
MARION, sa sœur de lait.
JEANNETTE, paysanne, sœur de Renaud.
Gens de toute condition.
La scène est principalement dans les environs de Beauvais.
SCÈNES FÉODALES
Une ravine profonde dans une forêt. Le soleil couchant éclaire à peine la cime des arbres.
Des brigands, couverts de peaux d’animaux sauvages, paraissent de tous les côtés, descendent dans la ravine, et s’assoient en cercle.
LE LOUP-GAROU, une peau d’ours sur les épaules, et un arc à la main, reste debout au milieu d’eux.
Le loup-garou, le lieutenant, le récipiendaire, brigands, etc.
Les loups se sont-ils réunis ?
Tous, excepté Bordier qui fait sentinelle, et Wilfrid le roux qui est allé battre l’estrade.
Loups, mes compagnons, Étienne Durer que voici, un brigand se lève. demande à devenir loup. Depuis six mois qu’il est avec nous, il s’est comporté bravement. Il a griffes et dents. Il est fidèle ; il lèche qui lui donne du pain ; il mord qui lui jette des pierres. Voulez-vous de lui pour votre camarade ?
Oui, qu’il soit loup comme nous !
Préparez-vous donc à le recevoir. Faites le signe de la croix, et tirez vos coutelas. – Toi, Godefroid le louche, tu lui serviras de parrain. Avancez tous deux dans le cercle. Au récipiendaire. – Qui es-tu ?
Je ne suis ni mouton ni loup, mais je voudrais devenir loup.
Sais-tu les devoirs d’un loup ?
Chasser aux moutons, mordre les chiens, manger les bergers.
Qui sont les moutons ?
Les serfs qui travaillent pour leurs seigneurs.
Et les chiens ?
Les gardes-chasse, les sénéchaux, les hommes d’armes, et les moines, excepté un seul.
Nomme-le.
Frère Jean de Saint-Leufroy. Il a guéri le Loup-garou du mal Saint-Quenet, et le Loup-garou a dit : « Jamais la flèche d’un loup ne percera son froc : jamais le couteau d’un loup ne fendra sa tonsure. »
Oui sont les bergers ?
Les seigneurs.
De ces bergers, quel est le pire ?
Gilbert d’Apremont, trois fois maudit, qui se dit le maître de cette terre.
Qui sont les loups ?
Les plus libres des habitants de la forêt, n’obéissant qu’au chef qu’ils se choisissent librement, ne travaillant que pour eux, vivant en bons frères ; aussi tout ce pays leur appartient.
Qu’as-tu fait pour être loup ?
J’ai pris aux bergers tout ce que j’ai pu, et j’ai tué un chien.
Oui, il a bravement décousu le vieux garde Mathieu, sur qui nous avions déjà fait la croix pour la pendaison de Petit-Jean l’écorcheur.
Puisqu’il est ainsi, nous te recevons dans notre compagnie. Tu es loup si tu jures d’observer nos lois. Jure de faire une guerre mortelle aux bergers, aux moutons, aux chiens, c’est-à-dire aux seigneurs, aux serfs, aux gardes-chasse.
Je le jure.
Jure d’aider, de secourir les loups, c’est-à-dire les hommes libres de la forêt, de ton arc, de ton couteau, de ta main droite, de ton œil droit.
Je le jure.
Tu ne mangeras jamais de la chair de loup ni d’ours, car ils font comme toi la guerre aux bergers et aux moutons. De plus, tu jeûneras le samedi jusqu’à midi, car c’est un samedi que le premier loup a cherché la liberté dans les bois.
Je jure d’observer ces commandements.
Donc, de par Saint-Ferréol d’Abbeville ; de par Golfarin, neveu de Mahom ; Saint-Nicolas et Sainte-Marie la gente, je te fais loup, et je te donne ces bois avec cet arc et cette hache pour les défendre. Frappe un coup sur ce pieu, et dis : Ainsi Saint-Ferréol puisse-t-il faire à Gilbert d’Apremont !
Ainsi Saint-Ferréol puisse-t-il faire à Gilbert d’Apremont !
Godefroid le louche, quel nom portera-t-il parmi les loups ?
Étienne à la longue dent.
Étienne à la longue dent, soit ! Godefroid, dis-lui tout bas la parole. – Mes frères, nous avons un frère de plus !
Noël ! Noël !
Allons boire au nouveau frère. – Silence, quelqu’un marche dans les feuilles sèches. Que personne ne bouge : mon chien remue la queue ; c’est un ami.
C’est Wilfrid qui revient.
Quelles nouvelles de la plaine ?
Ni bonnes ni mauvaises. Je viens de la Saullaie, le capitaine Siward s’y préparait à une expédition. Après toi, c’est le plus grand routier du pays.
As-tu vu quels hommes étaient avec lui ?
Il a renforcé sa compagnie d’aventure. J’ai compte cinquante armures de fer, et quatre-vingts archers. J’ai causé avec eux au cabaret, déguisé en tailleur de tourbe. Il y a parmi eux de grands coquins tout nouvellement arrivés d’Angleterre, ne sachant pas un mot de français ; mais forts, bien bâtis, toujours altérés, désirant beaucoup s’enrichir en ce pays, comme ont fait avant eux leurs camarades.
C’est sans doute Apremont qu’ils veulent courrir. Qu’en penses-tu, lieutenant ?
Je pense comme toi. C’est demain la Saint-Leufroy, tous les serfs à cause de la fête se gorgeront de bière et de vin, et quand ils en seront soûls comme des cochons de glands, le capitaine Siward en aura bon marché.
Cet Anglais en veut à Gilbert, et je sais que ses archers convoitent fort ses belles vaches.
Par les cornes du diable, ses vaches sont belles, et ce serait péché de les laisser prendre par ces voleurs anglais. Mettons-nous de la partie, ventre Saint-Quenet ! C’est, en eau trouble qu’on attrape du poisson !
Parbleu le capitaine a raison. Pendant que les Anglais et les chiens d’Apremont joueront des couteaux, nous pourrons, nous, faire un bon butin.
Ah ! si nous pouvions enlever quelque gros moine de l’abbaye de Saint-Leufroy, nous en tirerions une fameuse rançon, en envoyant aux autres seulement une oreille du prisonnier.
Nous prendrons ce que Saint-Nicolas nous enverra. Laisse-moi faire, tu verras si je m’y épargne. – Enfants, hier nous avons campé dans cette ravine, et vous savez nos usages. Nous coucherons cette nuit dans la grande caverne auprès du torrent. Là nous pourrons rire et boire à notre aise sans crainte d’être surpris par les gardes. Allons, partons ! En avant les éclaireurs, emportez les chaudrons et le gibier, vite, vite.
Tous les brigands se chargent de leurs différents ustensiles et se mettent en marche. Restent le loup-garou, Wilfrid, et le lieutenant.
Un mot, Loup-garou.
Que me veux-tu ?
Je ne t’ai pas dit toutes les nouvelles que je sais. J’attendais qu’ils fussent partis.
Parle.
Il est arrivé quelque malheur ?
Girart le charron a été découvert. Les gendarmes d’Apremont sont à ses trousses.
Notre espion ? tant pis ! où s’est-il réfugié ?
À l’abbaye de Saint-Leufroy.
L’imbécile ! au lieu de venir à la forêt.
Les moines le livreront, ou Gilbert ne respectera pas la franchise. Girart est un homme mort. Il sera pendu. Qu’en dis-tu, Loup-garou ?
C’est une mort comme une autre.
Il faudra garder quelque chose sur la première prise que nous ferons afin de faire dire une messe pour le repos de son âme.
Je lui dirai une messe de sang, moi. Je serai le prêtre et voici l’instrument avec lequel j’officierai. Il montre sa masse d’armes. Sus, à la caverne. J’ai le gosier aussi brûlant que l’était ma forge autrefois. Allons boire un coup.
Il sort en chantant.
Mauvaise nouvelle, lieutenant.
Il ne faut pas s’attrister. Aujourd’hui l’un, demain l’autre. Allons souper.
Ils sortent.
Une salle gothique dans l’abbaye de Saint-Leufroy ; elle est éclairée par un grand nombre de flambeaux, et magnifiquement décorée.
Chapitre de moines assemblés pour l’élection d’un abbé.
Sur le devant de la scène sont :
Frère Ignace, F. Goderan, F. Sulpice.
Il s’explique clairement. « Choisissez pour abbé mon cousin, » nous dit-il. La lettre est pressante, elle est scellée de ses armes, et voici sa croix pour signature. Que devons-nous faire ?
Ce que fait le roseau quand le vent souffle, plier ; nous sommes un faible roseau, et Gilbert d’Apremont est plus impétueux que l’aquilon.
Oui, Goderan, vous n’êtes pas pour les partis extrêmes ; cependant, il doit vous en souvenir, nous avons juré à feu l’abbé Boniface à son lit de mort, d’élire frère Jean son protégé, et depuis, n’avons-nous pas confirmé ce serment à frère Jean lui-même ?
Voilà de beaux scrupules, ma foi ! quant à moi, j’ai dit tout bas, en front, en parlant à feu l’abbé ; et puis, d’ailleurs, ce frère Jean n’est qu’un vilain, et ce n’est point un vilain qu’il nous faut pour abbé.
Doucement ; il est fort utile à la communauté.
Et Gilbert d’Apremont nous est encore plus utile. C’est notre chien de garde, notre homme d’armes. Croyez-moi, si nous sommes sages, nous nommerons pour abbé frère Honoré son cousin, comme il le souhaite.
Après tout, ne saurait-on se passer de frère Jean ? Est-il donc si utile à cette abbaye ?
Sans doute. Sa science nous vaut de bons écus au soleil.
À la bonne heure ; mais il veut tout gouverner, tout faire aller à sa tête. Il faisait faire tout ce qu’il voulait à feu l’abbé Boniface, (Dieu veuille avoir son âme) ! Il est temps que les autres aient leur tour. Enfin, je le répète, nous autres, il nous faudrait obéir à un homme de si bas lieu !
Où est-il maintenant ?
Dans son laboratoire, entouré de ses cornues. Ironiquement. Sa modestie l’empêche d’assister au chapitre où il croit qu’on va le nommer.
Et frère Honoré ?
Belle demande ! Il est dans sa cellule à prier. Il ne fait pas autre chose tant que le jour dure.
Oui ; et j’ai peur, s’il devient jamais notre abbé, qu’il ne rende notre règle bien sévère. Frère Jean du moins nous laisserait du bon temps.
Qui sait ? Peut-être serait-il pire que l’autre.
Voyez-vous, Ignace, nous avons une ressource avec frère Honoré. Il ne s’occupera que de son salut, et cependant vous, Sulpice, et moi, nous le mènerons par le nez.
Ce qui serait impossible avec frère Jean.
Le voici. Je pensais bien qu’il s’impatienterait à nous attendre.
Eh bien ! mes révérends pères, il y a bien longtemps que vous êtes ici. N’avez-vous encore rien décidé ?
Voici une lettre de messire d’Apremont qui nous a arrêtés tout court. Il lui donne la lettre.
Quoi ! ne savez-vous que lui répondre ?
Mais c’est là ce qui est difficile.
Comment difficile ! qu’il se mêle de ses affaires. Sommes-nous donc ses vassaux pour lui obéir ? et qu’y a-t-il de commun entre l’illustre abbaye de Saint-Leufroy et un Gilbert d’Apremont ?
Si nous nous faisons un ennemi de ce Gilbert d’Apremont, qui nous protégera contre les Anglais, les Navarrois, les Tard-Venus et tous les malandrins qui courent la campagne.
Sans parler du Loup-garou notre voisin.
Et, de par Saint-Leufroy, quel besoin avons-nous de sa protection. N’avons-nous pas de hautes murailles ? Ne sommes-nous pas ici quatre-vingts en état de faire le coup de flèche avec la plus rude compagnie franche.
Vous dites cela, frère Jean, parce que vous avez été soldat, mais nous autres, nous savons prier, et nous n’aimons pas à faire le coup de flèche. On peut être bon religieux et ne pas savoir faire le coup de flèche.
Eh bien si vous craignez les flèches, vous avez Jacques bon-homme qui se battra pour vous : traitez bien vos serfs, et vous en ferez des soldats dévoués. Mais laissons cela. Je devine ce qui vous fait manquer à votre parole ; Honoré, que vous voulez élire à ma place, est fils d’un gentilhomme.
En vérité, frère Jean, ce n’est pas là notre motif.
Ne sommes-nous pas tous frères ici-bas, et surtout dans l’abbaye de Saint-Leufroy.
Allez, quittez ces feintises avec moi, je vous connais trop bien. Vous, Goderan, vous êtes fils d’un hobereau de l’Artois ; et vous, Ignace, et vous, Sulpice, vous êtes bâtards de quelque baron, comme vous osez vous en vanter. Vous ne voudriez pas obéir à un fils de vilain, comme moi. Je suis fils de vilain, mais je puis parler de ma mère sans rougir. Il se promène à grands pas, donnant des signes de colère.
Voyez quel caractère violent ! Il en vient tout de suite aux injures. À Sulpice. Recueillez les votes, il faut en finir.
Honoré !… Frère Honoré, abbé de Saint-Leufroy ! et croyez-vous qu’il puisse seulement lire sa messe ?
Ah ! si l’on choisissait un abbé pour la science, sans doute que l’on tous élirait.
Mais il faut vivre en bonne intelligence avec ses voisins. La paix avant tout.
Honoré ! en vérité cela me fait rire ! Dites-moi, de grâce, est-ce lui qui vous gagnera de l’argent en éblouissant nobles et vilains ? Franchement, qui de vous sait faire des miracles ? Quel autre que moi aurait pu faire la châsse de saint Leufroy qui sue tous les ans le jour de sa fête ? Et la couronne d’épines, qui sait la faire fleurir à Pâques ? Ne vous rapporte-t’elle pas cinq cents bons florins par an ? Seul j’ai le secret des miracles, sans miracles point de religion dans ce temps-ci ; point d’offrandes au tronc de Saint-Leufroy. Tenez, les dames de Sainte-Radegonde, à dix lieues d’ici, ont une couronne d’épines. Eh bien ! comme elles ne savent pas l’alchimie, elle ne leur rapporte pas un sou.
Nous espérons que vous voudrez bien nous continuer vos bons offices, dans l’intérêt de la religion et de la communauté.
Vous avez compté sans votre hôte ! suis-je donc un serf pour travailler pour mes seigneurs ?
Toutes les voix sont pour le frère Honoré ; vos trois votes seuls manquent encore.
Vous le voyez, je n’y puis rien. Je vote donc pour le frère Honoré. Il écrit son vote.
Et moi de même.
Très révérends pères en Dieu, par l’inspiration du saint Esprit, nous avons nommé à l’unanimité frère Honoré d’Apremont, abbé de cette abbaye. Que notre dame et saint Leufroy le prennent en leur garde !
Amen !
À l’unanimité ! je n’ai pas donné mon vote. À F. Sulpice. Pourquoi ne me l’avez-vous pas demandé ?
Ah ! pardon, c’est un oubli !
Je donne ma voix au révérend père Sulpice.
Grand merci, mais elle m’est inutile, et frère Honoré n’en est pas moins notre abbé. Allons lui porter les insignes en cérémonie. Mais le voici lui-même. Entre F. Honoré. Très révérend père, le chapitre assemblé vous supplie humblement de vouloir bien être notre abbé, et d’accepter les insignes de cette illustre charge.
Votre choix aurait pu tomber sur un plus digne, mais je m’efforcerai de mériter l’honneur que le chapitre veut bien me conférer.
Voilà donc celui qui représentera l’ordre dans un concile !
Avec l’aide du saint Esprit, les bègues deviennent éloquents.
Oui, nous verrons des miracles au prochain concile !
Suivez-moi à l’église, mes pères, j’ai besoin d’élever au seigneur une courte prière d’actions de grâces, et d’ailleurs nous devons nous préparer à la fête de demain.
Mais., sire abbé, il est temps de souper.
Mon père, il en sera toujours temps.
Ah ! mes pères, vit-on jamais rien de pareil ? Bien heureux l’abbé Boniface, qui est mort avant un tel sacrilège !
Qu’est-ce ? quel sacrilège ? C’est à moi qu’il faut porter plainte pour obtenir redressement : je suis l’abbé.
Hélas, sire abbé, je suis encore tout tremblant ; les gendarmes du seigneur d’Apremont viennent d’enfoncer la porte de la chapelle, pour en arracher Girart le charron qui s’y était réfugié.
Violer notre franchise !
Que m’avez-vous dit ! votre voix est tellement tremblante que je vous ai à peine entendu.
Les gendarmes du sire d’Apremont ont saisi Girart dans la franchise, aux pieds même de la statue de monsieur saint Leufroy.
Après avoir enfoncé la porte !
Vous n’avez que ce que vous méritez. Vous avez recherché bassement la protection du sire d’Apremont, voilà comment il vous l’accorde. Adieu les privilèges de notre abbaye ! ha, ha, ha !
Il sort en riant. Silence.
Mais sire abbé, c’est un excès épouvantable, et qui mériterait une excommunication ! Si les franchises de la chapelle ne sont pas respectées, tous les serfs poursuivis par leurs seigneurs iront se joindre au Loup-garou.
Et d’ailleurs cela nous ferait perdre le revenu de la franchise, qui n’est pas à dédaigner.
J’en écrirai au sire d’Apremont.
Mais, sire abbé, il sera trop tard. Le coupe-tête était avec les gendarmes, et Girart est peut-être mort à l’heure qu’il est.
Alors, nous dirons une messe pour le repos de son âme. Allons à l’église. Il sort, tous les moines le suivent, F. Ignace, F. Sulpice, F. Goderan, restent les derniers.
Voilà un mauvais commencement.
Nous y mettrons bon ordre.
Nous avons été un peu vite en besogne, Sulpice ; je commence à le craindre.
Vous vous effrayez trop vite. Mais la cloche sonne, nous devrions déjà être au chœur.
Pourvu que les actions de grâces ne durent pas trop longtemps ! car mon estomac m’avertit qu’il est déjà bien tard.
Ils sortent.
Une salle gothique du château d’Apremont.
Conrad, maître Bonnin, son précepteur.
Conte-moi encore quelque belle histoire du temps des preux.
Monseigneur, voulez-vous entendre l’histoire du grand chevalier Hector le troyen, ou du noble baron Thémistoclès ?
Je sais tout cela. C’est celui-là qui s’empoisonna, parce que le roi de Perse voulait qu’il se fît Turc ?
Précisément ; et voulez-vous que je vous entretienne du bon roi Lycurgue de Laconie.
Tu n’as jamais que la même chose à me conter. Je sais l’histoire du roi Lycurgue aussi bien que celle du roi Artus.
Et vous souvient-il de la règle de l’ordre de chevalerie qu’il institua ?
Sans doute ; l’ordre de Sainte-Sparte.
Quelle mémoire, pour un âge si tendre ! En vérité, monseigneur, vous en savez plus que moi, et bientôt je serai obligé de prendre vos leçons. Voudriez-vous être un chevalier de Ste. -Sparte ?
Oui dà. Ce qui me plaît dans cet ordre-là, c’est que si les écuyers dérobaient un pâté ou des confitures, n’importe où, on ne leur disait rien, et c’était pour eux ; et puis, comme ils s’amusaient avec leurs serfs ! Comment les appelaient-ils, déjà ?
Des Ilotes, monseigneur.
Ah ! oui, des Ilotes. Quand je serai grand, et que je serai page, j’irai, comme eux, à la chasse aux vilains.
Quel prodige ! il n’oublie rien. Je voudrais bien que monseigneur le baron, qui se moque de l’instruction que je vous donne, fût ici présent pour vous entendre. Retenir jusqu’aux noms les plus barbares ! Ah ! monseigneur, quel chevalier vous ferez !
C’est que je ne crains rien. Quand je joue à la bataille avec mes paysans, je ne crains pas cinq ou six petits vilains. À grands coups de bâton, je les fais courir comme des lièvres.
Écoutez-moi, monseigneur, ne soyez pas téméraire. M. le sénéchal a défendu à ces petits vauriens de vous rendre les coups que vous leur donnez ; cependant cette gent est si encline à mal faire, qu’ils pourraient bien un jour avoir l’audace de vous résister. Prenez-y garde.
Oh, ouiche ! Je ne craindrais pas dix mille vilains, moi. Je ne crains que les araignées et les grenouilles.
Je ne demande à Dieu que de vivre assez longtemps pour pouvoir écrire les prouesses que vous ferez un jour. Vous ferez oublier les exploits d’Amadis de Gaule.
Entrent Isabelle et Marion.
Ah ! voici ma sœur. Bonjour, sœur Isabeau ; donne-moi de ce que tu manges.
Je ne mange rien.
Tiens, je croyais… Est-ce que tu n’as rien dans la boëte que mon ami Montreuil t’a donnée ?
Gourmand ! tu te fais mal à force de manger des friandises, et l’on m’a dit que tu dérobes tout ce que tu trouves chez nos pauvres vassaux.
Est-ce que tout ce qu’ils ont ne nous appartient pas ?
Maître Bonnin, vous devriez bien lui donner d’autres leçons.
Entrent d’Apremont et son sénéchal.
Qu’on le pende sur-le-champ, qu’on le mette en quartiers, et qu’on l’attache à un arbre.
Quoi donc, papa ?
Ce coquin de Girart, qui avait cru se tirer d’affaire en se sauvant dans la chapelle de Saint-Leufroy.
Vite, mène-moi le voir pendre.
Quelle horreur ! Mon père, défendez-lui d’y aller.
Au contraire, ma fille, un gentilhomme doit de bonne heure s’accoutumer à voir la mort de près, afin qu’il ne soit plus étonné en voyant le sang couler dans un combat.
Mais voir périr un pauvre misérable désarmé, cela ne peut inspirer que de la cruauté.
Il ne faut pas qu’un homme soit élevé comme une femme.
C’est cela ; mêle-toi de ta quenouille.
Monseigneur, si nous attendions à demain pour le pendre ? l’exécution se ferait avec bien plus de pompe.
Non ; c’est demain la Saint-Leufroy, il y a trop de paysans oisifs rassemblés. Il faut ménager Jacques-bonhomme, depuis quelque temps il gronde quand on le frappe.
Je vais faire pendre l’homme.
Faites attacher les quartiers quelque part au loin ; que l’on n’en ait ni la vue ni l’odeur au château.
Attendez-moi donc, monsieur le sénéchal.
Sortent Conrad, le précepteur et le sénéchal.
Ils ont nommé notre cousin abbé. – J’ai fait une belle chasse aujourd’hui, et je souperai bien. – Et Montreuil, t’a-t-il bien parlé d’amour aujourd’hui ?
Eh !… pas plus qu’à son ordinaire.
S’il ne sait pas dire des fadaises comme un troubadour, il sait ce que doit savoir un bon chevalier, et cela vaut mieux. Où est-il maintenant ?
Dans la salle basse. Tout à l’heure il s’escrimait avec Pierre, de l’épée à deux mains.
Que te disais-je ? voilà un vrai gentilhomme ! toujours s’exerçant aux armes. N’es-tu pas contente, Isabelle, devoir si galant et si rude champion celui qui doit être un jour ton mari.
Oui, mon père, seulement je voudrais qu’il sût encore mieux tenir son épée. J’étais à les voir faire sortir du feu de leurs armes, quand Pierre d’un revers lui a fait sauter son épée de la main ; peu s’en est fallu qu’elle ne me tombât sur la tête. Je me suis sauvée bien vite, car à de tels jeux les spectateurs sont les plus exposés.
Cela peut arriver au plus habile. Mais je n’aime pas voir Montreuil s’escrimer toujours avec un simple vilain. N’ai-je donc pas dans mon château plus d’un gentilhomme qui sache faire des armes ? Un jour Pierre peut oublier dans la chaleur d’un assaut le respect qu’il doit à un chevalier.
Il est trop bien appris, je l’espère.
Bien appris ! oui le père Jean en a fait un clerc. Mais sa clergie peut lui donner de l’insolence. C’est une sottise de donner à un vilain l’éducation d’un chancelier.
Oui, mais vous êtes bien plus coupable que le père Jean. C’est vous, mon père, qui lui avez appris à manier l’épée.
Et il a profité de mes leçons. Dans le fait il m’a souvent été utile, c’est un bon soldat, et je lui ferai du bien. – Ah ! voici Montreuil.
Entre de Montreuil.
C’est quelqu’un de la bande du Loup-garou que l’on va pendre ?
Presque ; c’est leur espion. Ah ! vertu Dieu, dans ce temps-ci il est bien difficile à un gentilhomme de vivre en paix dans son château.
Mon père, j’avais promis à une pauvre femme du village de vous prier…
Allons ! encore quelque grâce à demander !
C’est qu’elle ne peut payer la taille. Sa vache a été prise par le Loup-garou, et…
Bah, bah ! toutes disent la même chose. À les en croire, il faudrait leur donner de l’argent au lieu de leur en demander…
Mais l’année dernière a été malheureuse, vous le savez, mon père.
Vraiment, Isabelle, ce n’est pas vous que je consulterai pour mes affaires. Que diriez-vous de moi si j’allais me mêler de vos tapisseries ? Eh ! n’ai-je pas eu mes malheurs aussi ? Par Saint-George, il faut que je me dédommage de ce que j’ai perdu à Poitiers. Nous y avons perdu un peu plus qu’à une mauvaise récolte. Qu’en dis-tu, Mon treuil ?
Ah ! mes huit mille florins de rançon ! combien je vous regrette !
Plut à Dieu que tu en eusses perdu huit mille autres, et moi dix fois autant, et que nous eussions gagné la bataille ! notre brave roi ne serait pas prisonnier à Londres au moment où nous parlons. – Allons, ne pensons plus à cela. – Que l’on nous donne à laver, et allons souper.
Entre un écuyer.
Monseigneur, un écuyer vient d’apporter cette lettre d’Arras.
De gueule au lion rampant ? c’est de Boëmond de la Source.
Sans doute, il vous remercie d’avoir payé sa rançon.