La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone - Emir Šišić - E-Book

La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone E-Book

Emir Šišić

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Beschreibung

"La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone" d’ Emir Šišić analyse le rôle du français dans les régions francophones à travers le monde. L’ouvrage analyse les divers statuts de la langue, qu’il s’agisse de langue maternelle, seconde ou étrangère, dans des contextes aussi variés que l’Europe, le Canada, le Maghreb, l’Afrique subsaharienne et les DROM-COM. L’auteur met en lumière les enjeux sociaux, politiques et culturels qui façonnent la présence du français, tout en soulignant son interaction avec les langues locales. Cet ouvrage est un guide essentiel pour comprendre la diversité et les défis de la francophonie contemporaine.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Maître de conférences en linguistique et en didactique du français langue étrangère (FLE) à l’université de Sarajevo, Emir Šišić a étudié la langue et la littérature françaises à l’université de Sarajevo avant de poursuivre un Master FLE à l’université de Nantes. En 2021, il a soutenu une thèse à l’université de Poitiers sur l’acquisition du français comme langue étrangère. Ses recherches se concentrent sur l’acquisition des langues, la didactique du FLE et la francophonie.

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Seitenzahl: 549

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Emir Šišić

La langue française,

vecteur sociétal dans l’espace francophone

© Lys Bleu Éditions – Emir Šišić

ISBN : 979-10-422-7227-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes parents,

à ma sœur

et à mes étudiants qui sont tous mon véritable soutien

sur ce long chemin francophile.

La Francophonie a une âme. Et cette âme n’est pas uniforme ni monocorde. Elle bruit d’autres âmes. Elle a traversé bien des frontières et s’est laissé imprégner par l’esprit et le rythme d’autres langues.

Louise Mushikiwabo,

Secrétaire générale de la Francophonie, avril 2020

L’altérité est au cœur de la langue et des discours.

Bernard Py, 2004

Recension de l’ouvrage d’Emir Šišić

La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone I

L’ouvrage intitulé La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone signé par Emir Šišić, maître de conférences en didactique du FLE à l’université de Sarajevo, représente une contribution valable à la mise à jour de nos connaissances actuelles du rôle et de la position du français hors France.

Nous, acteurs de la Francophonie hors France, enseignantes et enseignants, chercheuses et chercheurs en linguistique française, littérature francophone ou didactique du FLE, nos collègues dans les lycées, collèges ou écoles primaires, doctorantes et doctorants, étudiantes et étudiants sommes souvent convaincus de connaître le monde riche et varié de la francophonie et d’être capables de présenter ses différents aspects à notre entourage. Cela est sans doute un rôle responsable et exigeant que nous avons choisi et que nous croyons remplir avec fierté et motivation.

Instructif, bien structuré et attentivement élaboré, le livre du collègue Emir Šišić, docteur de l’université de Poitiers, questionne cette certitude, révèle à quel point le monde francophone est vaste et difficile à saisir et reconfirme cette constante nécessité de suivre son développement dans le temps.

L’auteur nous rappelle les notions basiques telles que les acceptions du terme francophonie, définition des francophones et des différents statuts de la langue française et présente le cadre institutionnel de la francophonie avant de nous introduire dans une véritable géopolitique linguistique de l’espace francophone, divisée en chapitres consacrés aux différentes régions du monde : francophonie européenne, canadienne, maghrébine, celle d’Afrique subsaharienne et des DROM-COM. Cette cartographie mondiale de la langue française démontre encore que le rôle, le statut politique et social du français dans les différentes parties du monde ont été et restent conditionnés par les évènements d’ordre extralinguistique. En d’autres termes, l’ouvrage d’Emir Šišić prouve encore que le cheminement historique d’une langue, notamment d’une langue-monde qu’est le français, est indivisible de l’histoire politique, sociale, coloniale et culturelle des territoires concernés.

La présentation de la situation du français dans les différentes régions du monde est basée sur les sources fiables et accompagnée à chaque fois d’information sur leurs spécificités historiques et politiques. De plus, une attention particulière est portée à la présence du français dans les systèmes scolaires et universitaires, aux différents registres langagiers, à l’interpénétration entre le français parlé et les langues indigènes et l’influence du français sur les créoles (sans oublier la description précise de ces termes). À ce titre, nous trouvons particulièrement intéressants les tableaux qui illustrent les particularités lexiques des français locaux (belgicismes, helvétismes, français québécois, français de l’Algérie, Tunisie, Maroc, africanismes, etc.).

Nous sommes convaincus que le livre La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone sera un outil précieux d’introduction aux études de la francophonie linguistique, culturelle ou littéraire pour les étudiants du FLE, notamment dans les régions non francophones comme celle des Balkans occidentaux. Il décrit avec précision l’empreinte de la langue française hors France sans oublier de mettre en lumière les circonstances historiques et actuelles de l’état de la question et peut servir de référence même dans un cadre plus large qui dépasse l’enseignement des langues, celui des sciences humaines et sociales.

Jasmina Tatar Anđelić

Professeure ordinaire

Département de langue et littérature française

Université du Monténégro

Recension de l’ouvrage d’Emir Šišić

La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone II

Les principales recherches d’Emir Šišić, docteur en sciences du langage originaire de Sarajevo, appartiennent au domaine de la didactique du français langue étrangère et à celui des études de la francophonie. L’ouvrage qu’il vient de soumettre à la lecture dans votre maison d’édition, La langue française, vecteur sociétaldans l’espace francophone, se présente comme une sorte de guide pour tous ceux qui voudraient explorer la langue française telle qu’elle est parlée dans les pays francophones autres que la France, un manuel à travers le polycentrisme du français dans le monde francophone.

Très bien conçu et très riche, ce livre offre un tableau détaillé du rayonnement de la langue française dans le monde. L’ouvrage est très bien structuré, divisé en six chapitres, accompagnés d’une introduction et d’une conclusion appropriées. Après avoir fait une présentation linguistique et historique des principaux termes liés aux questions qu’il va soulever (francophonie et Francophonie, FLM, FLE, FLS, FOS, FOU), l’auteur aborde dans les différents chapitres de l’ouvrage l’espace francophone européen, la francophonie canadienne, celle des pays du Maghreb, des pays africains et des pays de la France d’outre-mer (DROM-COM).

Le grand mérite de l’ouvrage consiste tout d’abord dans l’analyse de la situation dans une perspective pluridisciplinaire. En évoquant la situation géodémographique de chaque pays ou région étudiés, les mouvements des peuples, leur passé aussi bien lointain que récent, les circonstances politiques et sociales actuelles, l’auteur entremêle habilement l’histoire politique et l’histoire linguistique des pays. C’est ensuite qu’il analyse méticuleusement les répartitions territoriales entre les communautés linguistiques dans les pays francophones, en réussissant à présenter au lecteur toute la complexité et la diversité de la situation linguistique.

Ce sont ensuite les politiques linguistiques et éducatives des pays francophones qui sont étudiées : le statut de la langue française (officielle, maternelle, seconde), les dispositions législatives, les organismes protecteurs de la langue française, les moteurs de sa promotion, les possibilités de scolarisation en français, la place du français dans les programmes scolaires (la dynamique et les modes d’apprentissage au cours de la scolarité), sans négliger non plus l’utilisation du français dans d’autres domaines de la vie (la communication quotidienne, l’administration, le commerce...). Les questions du bilinguisme et/ou de la diglossie et même de la polyglossie sont traitées avec le plus grand intérêt.

Une part importante de l’analyse est dédiée aux variations d’usage de la langue française dans les différents pays et régions francophones : les écarts lexicaux par rapport au français standard, la présence des emprunts, des néologismes propres à certaines régions, mais également les différences phonologiques et syntaxiques entre les différentes variétés du français.

L’ouvrage d’Emir Šišić dépasse cependant une description des conditions sociohistoriques et politiques de l’évolution du français et le paysage sociolinguistique des pays francophones : il contient également une réflexion sur l’avenir de la francophonie. S’inspirant de l’idée que « le français, langue commune des francophones du monde entier est un vecteur d’identités multiples » (Calvet 2010), l’auteur met en exergue l’interaction, le contact permanent du français avec les autres langues parlées dans tel ou tel pays, ainsi que les défis et les problèmes rencontrés, les tentatives de conciliation entre intégration et préservation des valeurs culturelles locales, offrant ainsi au lecteur un regard dirigé vers l’avenir d’un monde plurilingue où le français pourrait toujours jouer le rôle d’une langue véhiculaire.

Destiné à des étudiants de FLE (et autres) mais aussi à tous ceux qui voudraient mieux connaître la situation linguistique dans l’espace francophone, l’ouvrage trouvera facilement des lecteurs soucieux de s’initier aux valeurs et aux enjeux de la francophonie. C’est pour toutes ces raisons que je recommande vivement l’ouvrage d’Emir Šišić, La langue française, vecteur sociétal dans l’espace francophone à être publié par vos soins.

Tamara Valčić Bulić

Professeur des universités

Département des langues romanes

Faculté de Philosophie-Lettres

Université de Novi Sad, Serbie

Abréviations

FLE : français langue étrangère

FLM : français langue maternelle

FLS : français langue seconde ou de scolarisation

FOS : français sur objectifs spécifiques

FOU : français sur objectif universitaire

L1 : langue première

L2 : langue seconde

L3 : langue troisième

OQLF : Office québécois de la langue française

OIF : Organisation internationale de la Francophonie

AUF : Agence universitaire de la Francophonie

FIPF : Fédération internationale des professeurs de français

BELC : Bureau d’études des langues et des cultures

RFI : Radio France internationale

CECRL : Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer

ALDLM : Aménagement linguistique dans le monde

DROM-COM : Départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer

DOM : Départements d’outre-mer

TOM : Territoires d’outre-mer

CTU : Collectivité territoriale unique

ONG : Organisation non gouvernementale

OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord

RDC : République démocratique du Congo

AOF : Afrique-Occidentale française

AÉF : Afrique-Équatoriale française

CIO : Comité International Olympique

ONU : Organisation des Nations unies

FSPI : Le Fonds de solidarité pour les projets innovants

LMD : licence, master, doctorat

FEI : France Éducation International

DELF : Diplôme d’études en langue française

DALF : Diplôme approfondi de langue française

DILF : Diplôme initial de langue française

DFP : Diplôme de français professionnel

FW-B : Fédération Wallonie-Bruxelles

FGJ : Formation générale des jeunes

FGA : Formation générale des adultes

FP : Formation professionnelle

TCF : Test de connaissance du français

AFN : Afrique française du Nord

UMA : Union du Maghreb

FLN : Front de libération nationale

OAS : Organisation de l’armée secrète

FIS : Front islamique du salut

SCAC : Service de coopération et d’action culturelle

AIF : Agence intergouvernementale de la Francophonie

UE : Union européenne

Introduction

Essayer d’aborder le terme de francophonie implique forcément toutes ses facettes : linguistiques, historiques, culturelles, politiques, éducatives, etc. Si l’on décidait de nous attaquer à tous ces domaines, nous prétendrions certainement à une grande exhaustivité. Pourtant, ce n’est pas le but de cet ouvrage. Ce livre se veut un manuel et un guide pour tous ceux qui explorent la francophonie, notamment dans leurs domaines linguistique, didactique et géographique : étudiants de licence (langue et littérature françaises, sciences du langage, lettres modernes) et de master(s) (FLE), doctorants en sciences du langage, enseignants-chercheurs, etc. L’objectif principal de cet ouvrage est de présenter la langue française et sa présence dans l’immense espace francophone dans le monde. Dans cet espace, nous observons le français dans toute son hétérogénéité ayant différents statuts : langue première, langue seconde et de scolarisation, langue étrangère, mais aussi comme langue d’instruments et d’aide professionnelle : langue sur objectif spécifique, langue sur objectif universitaire. Tous ces statuts différencient d’un pays à l’autre. Étant donné que ce livre est principalement orienté vers la présentation de la langue française dans d’autres pays francophones en dehors de la France, nous ne traiterons pas de l’origine et de l’histoire du français en France ni de sa structure, de sa morphologie ou de sa syntaxe. Nous mettrons l’accent sur l’importance que la langue revêt en dehors de son pays d’origine et sur la manière dont elle s’est répandue.

La francophonie, multiforme, diversifiée et très complexe, propose un polycentrisme linguistique dans le monde entier. Les fluctuations permanentes viennent des locuteurs et elles travaillent le langage, le modifient. Ces variations et ce pluriel au niveau mondial sont dus principalement au continent africain qui reflète une image de la francophonie par excellence étant donné que c’est le continent à la croissance démographique la plus rapide. Guidé par cette idée, nous avons l’intention de présenter l’espace francophone à travers le monde en tenant compte de ses spécificités. La francophonie, c’est la richesse linguistique, c’est la recherche scientifique ainsi qu’une grande production littéraire. C’est aussi le pont entre la France et les cultures autochtones devenues francophones.

Comme tout commence généralement par les dénominations les plus significatives, nous entamerons cet ouvrage par une présentation linguistique et historique des termes de francophonie et Francophonie (Chapitre I). Nous éclaircirons la problématique qui existe depuis des décennies et qui concerne à la fois l’état linguistique, culturel et administratif-légal de ces deux termes. Nous expliquerons également quels sont les principaux acteurs de la promotion et de l’expansion de la langue française dans l’espace francophone. Après un recours historique et linguistique sur différents termes, similaires mais aussi différents, liés au concept de la francophonie, nous mettrons en lumière tous les statuts qu’occupe la langue française. Nous mettrons en évidence les différents statuts que la langue peut occuper. En plus d’être administrativement officiel ou co-officiel (FLM), le français sert également de langue de scolarisation (FLS), de langue étrangère (FLE), de travail dans différentes spécialités (FOS), mais aussi d’études universitaires (FOU). Pour mieux saisir l’importance et la présence de cette langue, déterminer le statut du français s’avère une tâche fondamentale.

Dans le Chapitre II, nous commencerons par la francophonie en Europe, en abordant en premier lieu la Belgique et le statut du français dans ce pays. Nous examinerons l’état géolinguistique en Belgique, la répartition territoriale, ainsi que la coexistence et le multilinguisme (français, allemand et néerlandais). Nous présenterons ensuite sous forme de tableau certains des belgicismes les plus connus et leurs variantes dans le français standard. Après avoir traité de la Belgique, le sous-chapitre suivant se consacrera à l’histoire linguistique de Suisse, à son multilinguisme et au rôle du français dans ce contexte. Ce chapitre sera illustré par des exemples d’helvétismes. Nous conclurons l’étude de la francophonie européenne par une présentation du Luxembourg, où nous aborderons une fois de plus, le thème du multilinguisme et la présence de diverses représentations linguistiques et culturelles. À travers l’exemple de ce petit pays, nous observerons la diversité linguistique et sa coexistence sur plusieurs niveaux : école, travail, média.

Le Chapitre III est consacré à la francophonie canadienne, notamment à la situation linguistique du Québec. Sur le plan linguistique et géographique, le Québec est un territoire très diversifié qui constitue un bastion du français, où se mêlent les forces anglophones et le désir permanent de domination de la langue anglaise. La lutte pour la survie de la langue française est très remarquable au Canada, surtout dans les régions où elle est langue officielle, c’est-à-dire au Québec, et co-officielle, à savoir au Nouveau-Brunswick. Nous allons donc accorder une attention particulière à ces deux provinces.

Dans le Chapitre IV de cet ouvrage, nous avons l’intention de présenter les principales informations sur le Maghreb francophone, en nous concentrant sur l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Bien que le Grand Maghreb élargi inclue également la Libye, nous ne parlerons pas de ce pays en raison du nombre négligeable de locuteurs francophones, mais surtout parce qu’elle a été une colonie italienne et non française. En revanche, nous prendrons en compte la Mauritanie, étant le cinquième pays du grand Maghreb, car elle a été une colonie française, ainsi qu’en raison de la présence d’un pourcentage important de locuteurs de la langue française dans ce pays.

Le Chapitre V est consacré aux pays d’Afrique subsaharienne, qui occupe une place spécifique dans le monde francophone, car cette partie du continent africain connaît une croissance démographique accélérée.

Dans ce chapitre, nous présenterons certaines particularités du français africain, en les illustrant par divers exemples utilisés dans de nombreux pays. Étant donné le grand nombre de pays africains qui étaient des colonies françaises, nous ne prétendrons pas à l’exhaustivité et nous nous limiterons à quelques exemples du lexique pour illustrer les différences entre le français métropolitain et le français africain. Le Chapitre VI, dernier chapitre, sera dédié aux territoires d’outre-mer français. Dans la conclusion de ce livre, nous résumerons les principaux faits et données que nous avons abordés afin de mettre en lumière le rôle et l’importance du français dans le monde contemporain.

Chapitre I

1. La francophonie – quelques fondamentaux

Commencer à définir un concept aussi complexe que la francophonie constitue un véritable défi. Ce concept englobe à la fois un sens linguistique et politique. Dans le Chapitre I, nous présenterons les bases de la francophonie, ce que signifie être locuteur d’une langue polycentrique, c’est-à-dire le français, le nombre de locuteurs ainsi que les statuts de cette langue à travers le monde.

1.1. Ce que représentent les deux acceptions du terme de francophonie

C’est le géographe français Onésime Reclus1 (1880) qui est à l’origine du terme de francophonie (Deniau 1995 : 9). Ainsi, les locuteurs du français sont appelés francophones, un terme qui s’oppose alors à ceux d’anglophones, hispanophones, lusophones et italophones. Lorsque ce terme est écrit en minuscule, Cuq explique (2003 : 112-113), dans son Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, que la francophonie représente l’ensemble des territoires où le français est parlé, que ce soit comme langue officielle, maternelle, seconde, étrangère, ou comme langue de communication internationale. Cuq (idem) souligne que tous les locuteurs du français, à un titre ou à un autre, mais surtout ceux qui ont connu la colonisation sous toutes ses formes revendiquent désormais le droit de s’approprier une langue qui est devenue leur propriété : appropriation lexicale (par les néologismes), rhétorique (par le recours à des procédés originaux de métaphorisation), phonique (par les emprunts comportant des sons inconnus du français standard). Le terme de francophonie écrit en minuscule implique aussi un engagement envers les valeurs universelles portées par les cultures et civilisations issues de la langue française. Selon Cuq (idem : 112), ce terme porte aujourd’hui une connotation coloniale et néocoloniale ainsi qu’un impérialisme culturel. La linguiste Henriette Walter (1998 : 134) considère que la francophonie, en tant que concept, a acquis une connotation géopolitique au cours des dernières décennies. On utilise également le terme d’espace francophone (Tchebwa 1996 : 15).

En revanche, lorsque le terme de Francophonie est écrit avec une majuscule, il se réfère à la représentation institutionnelle de la langue française, connue sous le nom d’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Tétu (1997 : 14) définit la Francophonie comme un ensemble de gouvernements, de pays et d’institutions officielles pour lesquels le français est une langue commune dans les affaires et les échanges. Cette organisation a porté différents noms au cours de sa création et de son développement et n’a adopté le nom officiel d’OIF qu’en 1997. L’institutionnalisation de la langue française est survenue dès le début des années 1960, lorsque des figures issues des anciennes colonies françaises, telles qu’Hamani Dio2 (Niger), Habib Bourguiba3 (Tunisie), Norodom Sihanou4 (Cambodge) et Léopold Sédar Senghor5 (Sénégal), proposèrent de regrouper les pays nouvellement indépendants qui souhaitaient établir avec la France des relations basées sur des affinités culturelles et linguistiques. C’est ainsi qu’a été fondée l’Organisation internationale de la Francophonie en 1970 à Niamey, capitale du Niger, et compte à l’heure actuelle 93 États. En réalité, les membres de l’OIF ne sont pas tous officiellement francophones. Par conséquent, outre le statut de « membre de plein droit » (56 membres), les pays ont également les statuts de « observateurs » (32 pays observateurs) et de « membres associés » (5 pays). C’est notamment le président sénégalais Léopold Sédar Senghor qui a joué un rôle crucial dans la création de cette organisation, ayant le statut d’une personne morale de droit international public (Auger 2021 : 84).

Depuis 1986, l’OIF organise le Sommet de la Francophonie (Deniau 1995 : 62), une réunion biennale où les dirigeants des États membres discutent de diverses questions économiques, culturelles et éducatives concernant les pays francophones6. Ces Sommets rassemblent quatre catégories de participants : les membres « de plein droit », les « régions », les « États associés » et les « États observateurs ». De plus, l’OIF accorde un statut de « invité spécial » aux collectivités territoriales des États non membres qui participent à ses Sommets et à certains de ses programmes. Ainsi, ces Sommets et la Francophonie ont pour missions de :

– Promouvoir la langue française ainsi que la diversité culturelle et linguistique,
– Favoriser la paix, la démocratie et les droits de l’homme,
– Soutenir l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche,
– Encourager la coopération économique en faveur du développement durable.

La Francophonie d’aujourd’hui se présente comme une organisation internationale multilingue et diversifiée. Elle est caractérisée par sa dimension multilingue, car, à l’exception de la France, tous les États francophones se trouvent en situation de bilinguisme ou de multilinguisme. Picoche & Marchello-Nizia (1999 : 174) soulignent qu’en mettant en relation des partenaires qui, par le passé, s’ignoraient – notamment ceux des Caraïbes, du Maghreb, de l’Océan Indien et de l’Afrique noire – la francophonie ne pourrait subsister sans cette capacité d’entre-compréhension. Le français ne doit pas seulement refléter des singularités locales, mais servir de lien entre les personnes, quelles que soient leurs origines. Partout, la langue française est en concurrence avec d’autres langues, qu’il s’agisse de langues africaines ou de langues nationales, etc. Bien naturellement, la prédominance de l’anglais aujourd’hui est visible partout dans la vie quotidienne, en particulier dans la production scientifique puisqu’environ 60 % des articles et ouvrages publiés sont rédigés en anglo-américain (Picoche & Marchello-Nizia 1999 : 179). Bien que l’objectif de notre contribution ne soit pas de valoriser davantage la langue anglaise, elle existe indéniablement sans nécessité d’insistance. Sa prédominance s’explique notamment par le rôle prépondérant des États-Unis dans les domaines scientifique, économique et politique, notamment à travers l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et plusieurs organisations financières telles que le FMI et la Banque mondiale (Picoche & Marchello-Nizia (1999 : 182). La variété américaine, souvent désignée comme le « world English », s’est transformée en un jargon parfois qualifié de « international », reflet de la domination économique exercée par les multinationales et les pétrodollars.

Pour conclure, nous pouvons constater que la francophonie se réfère principalement à un espace géographique et linguistique qui inclut les peuples et les locuteurs, tandis que la Francophonie désigne un cadre politique et institutionnel qui comprend les gouvernements et les pays. Nous considérons que l’espace francophone est extrêmement vaste et que c’est une tâche difficile de couvrir tous les points géographiques où le français est présent.

1.2. Qui est francophone ?

Comme le souligne Cuq (2003), dans son Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, l’adjectif « français », se référant à la France et aux Français, a été longtemps confondu avec ce qui désigne aujourd’hui le qualificatif plus précis, mais au sens plus général, de « francophone ». L’image de la France et de sa culture a été assimilée à celle de sa langue souvent appelée « langue de Molière ». L’auteur (idem 2003) signale que l’adjectif « français » tend de plus en plus à être aujourd’hui remplacé par « francophone », par exemple pour désigner les programmes de littérature en cours dans les universités littéraires africaines. Afin de pouvoir bien entrer dans le vif du sujet, il nous semble tout à fait logique et nécessaire d’expliquer le terme de francophone. Dérivé de « phone » (« locuteur »), avec le préfixe « franco » (« français »), le Dictionnaire des francophones (version électronique) définit celui qui est d’expression française ou relatif à un lieu où la langue française est principalement en usage, c’est-à-dire la langue véhiculaire. Picoche & Marchello-Nizia (1999 : 7) soulignent qu’est francophone quiconque parle habituellement le français, au moins dans certaines circonstances, soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde. Cuq (2003) met en avant qu’il n’en est pas moins extrêmement difficile d’évaluer objectivement le nombre et le niveau de compétence des locuteurs étant donné que nombreux sont les États francophones qui s’abstiennent d’organiser des enquêtes susceptibles de faire apparaître le caractère très souvent illusoire de ce qualificatif. Il en découle qu’il n’existe pas de données démolinguistiques entièrement fiables permettant une évaluation réelle et précise du nombre de francophones dans le monde.7 On est même en droit de s’interroger sur la définition du seuil minimum de compétences linguistiques à partir duquel un locuteur peut être réputé francophone. Cependant, de nombreux observateurs distinguent trois catégories de locuteurs francophones dans le monde :

– Les francophones de naissance,
– Les francophones d’éducation et de culture,
– Les francophones de l’étranger traditionnel.

En ce qui concerne la deuxième catégorie, celle qui est la plus incertaine, il faut s’interroger sur le degré de francophonie des locuteurs. Cuq (2003) propose une répartition selon les cinq niveaux suivants :

– Niveau 1. Oralité simple (écoute et compréhension de la radio, capacité de répondre à des questions simples).
– Niveau 2. Lecture d’un journal. Écriture simple.
– Niveau 3. Lecture d’ouvrages simples. Compréhension d’un film en français.
– Niveau 4 : Pratique aisée d’un français correct.
– Niveau 5 : Pratique de type universitaire.

Comme nous avons pu le voir dans ce sous-chapitre, être un locuteur francophone implique une diversité dans le sens où l’on peut naître francophone, le devenir ou apprendre le français tout au long de sa vie. Le type de locuteur de la langue française dépend également du statut que cette langue occupe dans un pays ou une région donnée.

Afin de ne pas nous attarder excessivement sur la définition de ce que signifie être un locuteur francophone, nous aborderons les données statistiques concernant et valorisant uniquement le français et l’espace francophone dans le sous-chapitre suivant.

1.3. État des lieux – quelques chiffres

La langue française est l’une des plus grandes langues mondiales et appartient au groupe des langues romanes. Auger (2021 : 88) précise qu’une forte démographie, une expansion économique du royaume de France, ainsi que des raisons politiques et commerciales, déjà à partir du Moyen Âge, ont permis d’établir le français dans le monde entier.

Selon les statistiques officielles de l’OIF de 2022, le nombre de locuteurs du français s’élève à 321 millions, répartis sur tous les continents, faisant du français la cinquième langue la plus parlée après le chinois, l’anglais, l’hindi et l’espagnol. D’après l’OIF (2022 : 97), le français est aujourd’hui une langue présente dans 36 États et gouvernements ainsi que dans la majorité des organisations internationales, telles que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), Comité olympique international (CIO), l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Union africaine, l’Union européenne, l’Union Postale Internationale. C’est la langue de travail du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge. En plus d’être une langue d’enseignement, le français joue également un rôle important en tant que langue administrative, langue de la justice, langue des médias, langue du commerce et des affaires, ainsi que langue de l’armée. Ainsi, le français est la troisième langue des affaires. De plus, le statut juridique du français s’étend également à plusieurs États non souverains. C’est l’unique langue officielle dans la Communauté française de Belgique, dans la province de Québec, dans les cantons suisses de Genève, de Neuchâtel, du Jura et de Vaud. En somme, dans 11 pays, le français est la seule langue officielle et dans 16 pays langue co-officielle. Dans d’autres pays, le français a le statut de langue d’usage, mais il n’est pas officiel. Par rapport à 2018, ce sont 21 millions de personnes supplémentaires qui parlent le français, soit une progression de 7 % depuis ces quatre ans en raison du fait que 60 % des locuteurs se trouvent sur le continent africain, qui connaît une croissance démographique constante. Il s’agit de toutes les personnes qui maîtrisent la langue française pour être à même de l’utiliser pour communiquer (parler et/ou comprendre), quel que soit le niveau ou la maîtrise d’autres compétences, comme l’écriture ou la lecture. En plus de l’anglais, le français est la langue étrangère la plus couramment enseignée dans les écoles et est considéré comme la troisième langue de l’économie après l’anglais et le chinois, et la deuxième langue la plus utile après l’allemand pour les relations économiques avec les entreprises britanniques. Selon le rapport de l’OIF (2022), l’espace économique francophone constitue 16 % du PIB mondial, représente 20 % des échanges internationaux et détient près de 15 % des ressources énergétiques et minières à l’échelle mondiale.

L’OIF (2022) indique que 93,2 millions d’élèves et d’étudiants ont le français pour langue d’enseignement et 51 millions d’élèves dans les écoles apprennent le français comme langue étrangère (FLE). Pour le continent africain, l’OIF (2022) souligne que le maintien d’une fécondité élevée et le déclin de la mortalité conduisent à une incroyable poussée démographique depuis les années 1960, qui se maintient aujourd’hui et se poursuivra dans l’avenir. Cette dynamique africaine est surtout due aux pays d’Afrique subsaharienne, qui représentent à eux seuls plus de 80 % de la croissance francophone de l’ensemble africain. Il s’agit d’un véritable bondissement en chiffres : 15 % dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne et l’océan Indien entre 2008 et 2022 (idem : 24). Il faut ajouter à cela d’importants investissements dans le domaine de l’éducation depuis les années 1980, avec comme objectif d’augmenter substantiellement et rapidement les taux de scolarisation. Dans les pays africains où le français est la langue d’enseignement, cela a conduit à une augmentation étonnante du nombre de personnes sachant lire et écrire le français. Si la tendance se maintenait, l’OIF prévoit que ces scénarios pourraient conduire à ce que la planète compte jusqu’à 750 millions de francophones en 2070 et que 90 % des jeunes francophones de moins de 30 ans résident sur le continent africain (idem : 22).

Dans le diagramme suivant, nous présentons la répartition des locuteurs francophones selon le dernier recensement fait par l’OIF en 2022.

En ce qui concerne le continent européen, le français est généralement la première langue étrangère enseignée dans les écoles des pays anglophones et la deuxième dans les pays germanophones. Dans d’autres pays, il occupe souvent la place de troisième ou quatrième langue étrangère. En Europe, le français connaît une baisse de 10 % (OIF 2022 : 187) au profit d’autres langues étrangères comme l’allemand, le chinois et l’espagnol. Pour les autres pays européens, OIF (idem) souligne que dans un contexte linguistique particulièrement concurrentiel, plusieurs facteurs influencent le choix des élèves, de leurs parents et des étudiants. Parmi ces facteurs, on retrouve les affinités culturelles, les proximités géographiques, la difficulté relative des langues disponibles sur le marché, ainsi que le crédit accordé à ces langues. Les politiques éducatives, qu’elles soient plus ou moins volontaristes, jouent également un rôle significatif dans cette orientation. En raison de tous ces facteurs, les opportunités pour le français sont parfois défavorables et les élèves ne le choisissent pas comme langue étrangère.

En ce qui concerne l’Europe centrale et orientale, le français connaît une baisse significative du nombre d’élèves dans les écoles élémentaires et secondaires. L’OIF (2018) souligne que ce sont principalement les générations plus âgées qui ont appris le français à l’école, tandis que les plus jeunes le font de moins en moins. L’OIF (2018) note également que, dans la plupart des pays de cette région d’Europe, des manuels et des méthodes d’enseignement très anciens sont encore utilisés, ce qui contribue à l’érosion de l’enseignement du français. En revanche, en Europe de l’Ouest, où les langues romanes sont partiellement officielles (espagnol, italien et portugais), la proximité géographique avec la France ainsi que le fait que la langue appartient au même groupe linguistique favorisent généralement l’apprentissage du français. Cela peut également s’expliquer en partie par l’importance du tourisme dans les pays voisins. En Europe de l’Ouest et du Nord, le français est généralement la deuxième langue étrangère, sauf dans les parties non francophones de la Belgique, de la Suisse et du Luxembourg, où il est souvent la première langue étrangère. Concernant les pays baltes, selon l’OIF (2018), le français est en concurrence directe avec l’allemand et le russe.

Quand on parle du français en Afrique, il est important de savoir que ce continent manifeste une véritable diversification de l’identité linguistique qui est forcément plurielle. Lorsqu’il s’agit du Maghreb et du Proche-Orient, notamment l’Algérie, le Maroc et le Liban, l’OIF (2022) constate qu’une moindre progression est relevée. Ces trois pays expliquent la hausse moins forte constatée sur cet ensemble qui, du fait de sa petitesse, est très sensible aux variations qui touchent l’un de ses membres. Dans le cas de l’Algérie, la croissance démographique ralentit de façon continue et le Liban a même vu sa population diminuer entre 2018 et 2022. Dans le cas du Maroc, nous ne trouvons pas de hausse importante des locuteurs francophones dans la statistique de 2022. En revanche, l’OIF (2022) met en avant que Madagascar enregistre une augmentation de locuteurs francophones. Le rythme plus rapide de croissance peut être également enregistré dans les pays d’Afrique subsaharienne : Bénin, Burundi, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République démocratique du Congo (RDC), Sénégal, Tchad et Togo. Parmi ces pays énumérés, ce sont le Niger et la RDC qui affichent les meilleurs taux de progression par rapport à ceux de l’ensemble (respectivement +18 % et +15 %). Il faut constater que le français dans ces pays occupe différents statuts et que cette région est extrêmement diversifiée du point de vue économique et social. Nous aborderons ultérieurement la place du français dans l’Afrique subsaharienne.

À partir de tout ce que nous avons vu précédemment, nous constatons que le statut du français est très diversifié. Conformément à son statut de langue officielle, le français est utilisé dans divers domaines, en tout ou en partie, notamment au Parlement, pour la rédaction des lois, dans les services gouvernementaux et administratifs, ainsi que dans les secteurs de la justice, de l’éducation, de la police et des forces armées. Il est également présent dans les médias, le commerce, le monde du travail, et pour l’affichage, entre autres. Cependant, l’application concrète du statut juridique du français peut varier considérablement d’un pays ou d’une région à l’autre, ce qui complique sa description précise. Malgré tout, la France en tant que pays demeure l’unique pôle solide de la francophonie, mais aussi c’est un inconvénient, car tout dépend exclusivement de la puissance et de la richesse de ce seul pays.

1.4. La langue polycentrique

Comme nous l’avons observé dans le sous-chapitre précédent, la langue française est présente sur tous les continents, dans de nombreux pays et aussi centres linguistiques et culturels, ce qui en fait une langue polycentrique. Selon Stedje (2001 : 202), la langue standard est une langue dite suprarégionale utilisée dans toutes les couches de la société, ce qui la distingue des dialectes appartenant à des groupes sociaux plus restreints. Kordić (2010) estime qu’une langue standard est ainsi répandue sur une zone géographique beaucoup plus vaste que les dialectes, qui sont limités à des régions spécifiques et ne s’étendent pas à plusieurs « centres ». Kordić (2010 : 77) mentionne également qu’il existe de nombreuses langues polycentriques telles que l’anglais, l’espagnol, l’allemand et le portugais, toutes caractérisées par le fait qu’elles sont parlées par différentes nations. Kordić (idem) souligne que ce ne sont pas des langues différentes simplement parce qu’il existe plusieurs variétés. Elle précise que l’allemand parlé en Autriche, en Allemagne et en Suisse est une seule et même langue, tout comme l’anglais parlé en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord et en Australie. Il en va de même pour le portugais, qui est compris aussi bien par les Portugais que par les Brésiliens, et pour notre cas, à savoir le français, qui est une même langue étendue dans différents pays. Il est important de noter que, dans le cas des langues polycentriques mondiales, il existe des différences mineures en grammaire, des différences plus marquées au niveau phonétique et lexical, mais aucune de ces différences ne menace la compréhension mutuelle des locuteurs (idem 2010 : 79). À titre d’exemple, le linguiste français Paul-Louis Thomas (2002 : 314) explique que les différences entre le bosniaque, le croate, le serbe et le monténégrin sont moindres par rapport aux différences entre les variantes de l’anglais standard en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada et en Australie, ou dans le cas du français en France, en Belgique, en Suisse et au Canada.

En ce qui concerne le français, le polycentrisme s’est en partie développé par le biais des conquêtes coloniales (Sanaker et al. 2006 : 9), mais Kordić (2010 : 146) souligne que le colonialisme ne peut pas servir de critère pour déterminer le polycentrisme, car la Suisse et la Belgique n’ont pas été des colonies françaises. À cet égard, l’auteure considère qu’il est nécessaire de prendre en compte les ressemblances et les différences linguistiques actuelles pour déterminer le polycentrisme.

2. Quelques notions de base sur le statut du français

(FLM, FLE, FLS, FOS, FOU)

Compte tenu de l’hétérogénéité du statut de la langue française à travers la francophonie, on peut parler de plusieurs concepts et positions différents occupés par cette langue en fonction du pays dans lequel elle est présente.

2.1. Le français langue maternelle (FLM)

L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), promulguée par François Ier, est le premier texte fondateur à établir l’usage du « langage maternel francoys » dans les documents administratifs, bien que moins d’un quart de la population le parlât à l’époque (Auger 2021 : 86). Il est notable que certains juristes de cette période ont interprété le texte royal comme une obligation de traduire tous les documents administratifs dans les langues régionales du royaume, en raison du faible nombre de locuteurs du français (idem : 86). En effet, cet édit visait à prévenir l’incompréhension des décrets royaux rédigés en latin par la population.

Quand il s’agit de la dénomination languematernelle, Cuq & Gruca (2017 : 92) précise que, même en Europe, il existe de nombreuses sociétés dans lesquelles la langue de la mère biologique n’est pas la première à être transmise à l’enfant. Auger (2021 : 89) utilise le terme de langue familiale pour éviter d’utiliser maternelle qui semble, quant à elle, renvoyer exclusivement à la mère. Cependant, il existe un faisceau de critères qui permettent d’élaborer ce concept. Le premier est l’ordre d’appropriation. La langue maternelle est la langue de première socialisation de l’enfant. Afin d’éviter les connotations culturelles, on l’appelle souvent langue première. Le principal inconvénient de cette dénomination est que, dans certaines sociétés, un individu peut être en contact simultané avec plusieurs langues dès son plus jeune âge. À titre d’illustration, lorsque la langue maternelle est le berbère, qui est écrit, l’apprentissage des systèmes d’écriture est souvent peu encouragé et se fait généralement de manière tardive. Il n’est donc pas rare de rencontrer des personnes qui maîtrisent parfaitement l’arabe dialectal, le berbère, ou les deux, mais qui sont plus à l’aise à l’écrit en arabe standard qu’à l’oral. Une autre caractéristique de la langue maternelle est la manière dont elle est appropriée, souvent qualifiée de naturelle. Dans l’esprit du sens commun, cela signifie que l’individu acquiert l’usage de la langue par le contact et l’interaction avec les membres de son groupe, sans véritable apprentissage formel, c’est-à-dire sans réflexion consciente ni assistance explicite. Il est évident que le rôle de l’entourage est crucial : les demandes d’explications, les répétitions, les corrections et les définitions facilitent à l’enfant de structurer progressivement ses connaissances, que ce soit de manière consciente (« métalinguistique ») ou inconsciente (« épilinguistique »). Nous considérons que dans l’acquisition d’une autre langue, la langue maternelle joue toujours le rôle d’une référence à laquelle l’apprenant se reporte plus ou moins consciemment pour construire ses nouvelles connaissances (Šišić 2021) et cela d’autant plus qu’elle aura été encouragée par un enseignement scolaire centré sur la quantité considérable du métalangage.

Bien que le terme de langue maternelle soit parfois contesté et remplacé par le terme de L1, nous l’utiliserons justement dans le sens où il représente la première langue avec laquelle le locuteur entre en contact avec le monde. Parfois il s’agit de l’unique langue véhiculée pendant le processus de scolarisation. À titre d’exemple, le français est la seule et principale langue d’enseignement dans les systèmes éducatifs du Bénin, Burkina Faso, de la République centrafricaine, des Comores, du Congo, de la République démocratique du Congo, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de la Guinée, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo (Auger 2021 : 108).

2.2. Le français langue étrangère (FLE)

Comme le précise Spaëth (2021), il est difficile de déterminer le moment « zéro » dans l’histoire de la notion de FLE. L’histoire de l’enseignement du français comme langue étrangère remonte loin dans le passé et s’inscrit dans des cadres didactiques et méthodologiques (Spaëth 2021 : 26). Picoche & Marchello-Nizia (1999 : 165) démontrent que de 1815 à 1871, la diffusion du français à l’étranger est principalement le fruit d’acteurs privés motivés par des raisons idéologiques. Entre 1871 et 1914, la défaite renforce en France un certain « messianisme ». D’importantes associations, plus ou moins soutenues par l’État, se forment pour promouvoir le français, perçu comme le vecteur de la Civilisation. À partir de 1919, l’État renforce son rôle dans la politique linguistique. Depuis 1960, on assiste au développement, d’abord initié par les pays décolonisés ou en quête d’identité, d’un mouvement connu sous le nom de « francophonie ».

Du point de vue terminologique, la notion de français langue étrangère s’oppose évidemment à celle de français langue maternelle et on peut dire que toute langue non maternelle est une langue étrangère. Il en va de soi que le FLE, comme toute autre langue étrangère, exprime la xénité ou l’étrangeté et n’est pas acquis le premier du point de vue chronologique. Cependant, le français n’est pas seulement une langue étrangère dans les pays où il n’est pas officiellement la langue maternelle, mais aussi dans les pays qui ont été colonisés. Par exemple, le français est maintenant considéré comme une langue étrangère au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Quand on parle du niveau d’étrangeté, il faut souligner qu’elle se manifeste principalement en trois distances :

La distance linguistique : celle-ci englobe les différentes familles de langues. Par exemple, les langues romanes sont généralement plus proches les unes des autres que les langues slaves.

La distance géographique : pour un Français, le chinois est géographiquement plus éloigné que l’arabe, qui l’est lui-même plus que l’espagnol.

La distance culturelle : cette distance reflète le fait que les pratiques culturelles des étrangers sont plus ou moins facilement compréhensibles, sans nécessairement correspondre à la distance géographique.

Selon les dernières statistiques de l’OIF (2022), le français en tant que langue étrangère a gagné en attractivité auprès du jeune public qui voit dans l’apprentissage de cette langue plusieurs avantages : meilleures offres en termes d’employabilité, les opportunités de mobilités pour étudier à l’international, l’accès à des métiers liés au tourisme et aux organisations internationales. Pourtant l’anglais se trouve toujours en position de tête et souvent est la seule langue proposée. En Europe, l’Italie et la Roumanie se disputent la première place réunissant l’Allemagne, l’Espagne, les parties non francophones de Belgique et de Suisse, les Pays-Bas, la Grèce et le Portugal (OIF 2022 : 186). Sont bien placés également les pays anglophones, Royaume-Uni et Irlande ayant le français comme première langue étrangère.

Soulignons aussi que les politiques éducatives et linguistiques jouent un rôle crucial dans l’apprentissage des langues étrangères, au-delà des simples obligations établies par les programmes scolaires. Elles doivent également adresser les difficultés rencontrées par de nombreux systèmes éducatifs, qui se trouvent parfois sous pression en raison de classes souvent surchargées et d’une pénurie croissante d’enseignants de français. Cette pénurie est exacerbée par le départ à la retraite d’enseignants qualifiés, ce qui peut entraîner la suppression de l’offre de français dans certaines écoles, ainsi que par la crise des vocations pour l’enseignement des langues, dont le français, souvent considéré comme une option parmi d’autres en tant que deuxième voire troisième langue étrangère. En tant qu’exemple de pratique positive, nous pouvons citer la réforme du français dans les écoles au Maroc. En 2019, le Maroc a adopté une loi qui accorde une importance particulière aux langues officielles, l’arabe et l’amazighe, tout en rendant l’apprentissage du français obligatoire comme langue étrangère dès la première année de l’école primaire (OIF 2022 : 172). D’autres pays suivent ce bon exemple marocain. Ainsi, Cuba a réintroduit le français en tant que langue optionnelle aussi bien que le Pérou. Quand il s’agit de la coopération bilatérale française en faveur de l’apprentissage du français, d’importants progrès ont été réalisés. Nous citons le projet Le Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), financements nationaux et régionaux et la mobilisation de l’expertise de ses opérateurs (notamment France Éducation International) en faveur du renforcement du français dans les établissements scolaires publics. Ces progrès visent à établir la place du français et à développer le plurilinguisme. Le FSPI soutient des projets à travers un large spectre thématique et géographique, en apportant une aide particulière dans les domaines de la culture, du français, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Dans le Diagramme 2, nous présentons la répartition du nombre d’apprenants de FLE dans les systèmes éducatifs (par régions), toujours selon les statistiques officielles de l’OIF (2022) :

2.2.1. Les moteurs de promotion et de diffusion du FLE

Pour qu’une langue obtienne le statut de grande langue internationale, elle doit disposer de deux types d’outils. Le premier type comprend des outils de description tels que les dictionnaires et les grammaires et le second type englobe les outils politiques et institutionnels. Certains de ces organismes sont publics et dépendent des États (France), des provinces (Québec), de communautés (Belgique) ou de cantons (Suisse) (Cuq 2021 : 117). Il existe différents moteurs qui véhiculent la francophonie, comme la transmission de la langue au sein des familles, sa présence dans les médias et les industries culturelles et créatives, son usage dans les environnements urbains et les circuits économiques. En promotion et en expansion du français en tant que langue étrangère, il est inévitable de mentionner également le réseau des Instituts français, créés en 2011 ainsi que les Alliances françaises, créées en 1883 ayant pour but la propagation du français dans les colonies et à l’étranger (Calvet 2010 : 57). L’Europe, avec 236 Alliances, est le premier continent d’implantation des Alliances françaises dans le monde. Ces Instituts et Alliances proposent l’enseignement du FLE et aussi la passation des examens officiels DELF et DALF. Parmi d’autres vecteurs qui sont responsables de la promotion et de la diffusion du FLE, soulignons également les institutions suivantes :

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : c’est évidemment, en tant que décideuse des grandes lignes de la politique de coopération linguistique et éducative de la France, l’institution française la plus importante (Cuq & Gruca 2017 : 24).

Campus France : responsable de la promotion de l’enseignement supérieur français dans le monde et de la gestion des mobilités étudiantes.

Radio France internationale (RFI) : la première radio francophone d’actualité permanente qui dispose d’un service « langue française » et met en ligne une aide pédagogique pour les professeurs de FLE.

La Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) : ses principales responsabilités s’articulent autour des commissions régionales organisées dans tous les continents ainsi que les congrès tous les quatre ans.

L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) : un réseau mondial d’établissements francophones d’enseignement supérieur et de recherche.

La Mission laïque française (1902) : la Mission laïque a construit des écoles, des lycées et des instituts et est présente aujourd’hui dans 40 pays où elle gère une centaine d’établissements (écoles, lycées et écoles d’entreprise). Ses élèves sont généralement des non-francophones ou des enfants de Français expatriés. Ses enseignants sont recrutés localement mais le directeur et, dans les grands centres, quelques enseignants, sont des titulaires détachés de France. (Cuq & Gruca 2017 : 31)

Le Bureau d’études des langues et des cultures (BELC) : cette institution est chargée principalement de l’étude des conditions de l’enseignement du français en milieu scolaire (secondaire et primaire) à l’étranger, de recherches linguistiques comparatives, de l’élaboration de matériel didactique et du perfectionnement des professeurs.

Les universités : ce sont les institutions qui proposent des formations des enseignants et des chercheurs en français, notamment selon le système LMD (licence, master, doctorat). Elles proposent des licences en sciences du langage, lettres modernes, masters FLE, etc.

L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) : l’établissement déjà mentionné, mais certainement le plus important dans la prise de toutes les décisions concernant l’avenir de l’enseignement du français dans le monde.

France Éducation International (FEI) : dont les principales tâches s’organisent autour des formations et séminaires pour les enseignants, certification de langue française DELF, DALF, DILF, du niveau A1 au C2 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL 2018).

Le monde éditorial : les maisons d’édition qui publient les manuels de FLE et différents supports didactiques (CLE International, Didier, Hachette).

Le Français dans le monde : la seule revue française de diffusion internationale pour enseignants.

TV5 Monde : une chaîne de télévision généraliste francophone internationale qui promeut et diffuse l’enseignement et l’apprentissage du français. Elle propose des émissions (Destination Francophonie, 7 jours sur la planète), des films et des séries qui favorisent l’apprentissage de la langue et de la culture françaises et francophones. Le site web de TV5 Monde Enseigner le français propose des ressources pédagogiques prêtes à l’emploi et adaptées à tous les niveaux de langue, utilisables aussi bien par les élèves que par les enseignants.TV5MONDE a également lancé l’application mobile « Apprendre le français avec TV5MONDE » (du niveau A1 au niveau B2) et ainsi adapté son offre numérique de ressources pédagogiques à l’utilisation sur mobile.

Pour ce qui est des médias et de la cinématographie francophones dans le monde en tant que moteurs de promotion et de diffusion de la langue, Picoche & Marchello (1999 : 175-176) soulignent que la diffusion et la pérennité de la langue française dépendent, entre autres, de l’augmentation de la production de biens culturels. Bien que le cinéma français soit en déclin, il continue de rivaliser avec Hollywood, et la production de certains pays francophones, bien qu’encore discrète, présente un certain intérêt. La chanson française, aujourd’hui très métissée, touche principalement un public d’auditeurs en France, en Belgique, en Suisse et au Québec, ce qui reste insuffisant pour l’industrie du spectacle. En conséquence, elle souffre d’un important déficit d’exportation face à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pour remédier à cela, des quotas radio et des festivals sont mis en place. En ce qui concerne le livre, le français se classe au sixième rang mondial en matière de production. Neuf éditeurs francophones sur dix d’importance se trouvent en France, en Belgique, en Suisse et au Québec. Leur relative faiblesse peut s’expliquer par un manque d’efforts de traduction. Les livres francophones sont bien représentés dans les foires de Montréal, de Paris et de Francfort, et la première foire du livre de Dakar a connu un grand succès. La presse écrite francophone fait face à des défis dans de nombreux pays. Au Liban, elle connaît une forte régression depuis la fin de la guerre et l’occupation syrienne, alors qu’elle se développe au Maghreb et en Afrique subsaharienne. En revanche, la presse d’Afrique, de Belgique et de Suisse s’exporte peu. La station de radio comme la RFI diffuse 24 heures sur 24 en français et dans 16 autres langues, touchant environ 30 millions d’auditeurs dans le monde, avec une audience croissante en Europe de l’Est et un développement en Asie, en Afrique et aux États-Unis. Les radios locales des pays francophones émettent parfois vers des pays voisins : « France-Culture » et « France-Musique » en Suisse et en Allemagne.

2.3. Le français langue seconde/de scolarisation (FLS)

Le français est une langue d’enseignement de grande importance à l’échelle mondiale. En effet, son enseignement aux non-francophones est un élément clé du concept de francophonie. Dans les régions africaines où le français a acquis le statut de langue officielle, co-officielle ou administrative, il est généralement enseigné comme langue seconde. Selon Maurer (1995a : 1), l’attitude prédominante, du moins jusqu’à une époque très récente, était de ne pas reconnaître la spécificité didactique du français langue seconde. On lui accordait, au mieux, une existence sociolinguistique dans certains pays africains, où le français ne se classe ni comme langue maternelle ni comme langue étrangère. Cuq & Gruca (2017 : 94-97) propose deux définitions du terme de français langue seconde. La première définition provient directement de la sociolinguistique anglo-saxonne. Il en découle que le FLS représente tout système acquis chronologiquement après la langue première. La seconde acception est plus précise. En sciences du langage en France, le terme « français langue seconde » désigne une langue étrangère spécifique qui se distingue des autres langues par ses valeurs statutaires, en fonction de la situation sociolinguistique. Par exemple, le français en Afrique francophone est considéré comme une langue seconde dans ce contexte et ainsi il s’agit du français langue de l’enseignement.8 Les publics concernés peuvent être des apprenants nouvellement arrivés dans un pays majoritairement francophone (France, Suisse, Belgique, Canada) en vue d’y être scolarisés. On parle souvent du français langue seconde pour les adultes migrants s’installant en France et pris en charge par di vers organismes de formation pour adultes.

Barbé (1988 : 40) souligne que la langue seconde joue un rôle d’auxiliaire pour la langue maternelle, « prenant en charge l’instrumentalité qui lui revient dans le développement cognitif. L’enfant l’apprend pour acquérir d’autres connaissances ». Elle met également en avant l’importance de la langue seconde dans le processus de construction de l’identité individuelle. Vigner (1992 : 40) va même jusqu’à affirmer que cet aspect constitue le caractère définitoire minimal du FLS : « langue apprise pour enseigner d’autres matières que celle-ci et qui peut, dans certains pays, être intégrée dans l’environnement économique et social des élèves. Maurer (1995a : 9) illustre l’utilité des approches communicatives lors des premiers moments de l’apprentissage dans l’exemple de la lecture. Les apprenants scolarisés en français sont souvent des enfants issus de milieux où l’écrit est peu présent. Avant même de débuter l’apprentissage de la lecture, quelle que soit la méthodologie adoptée, il est crucial d’expliquer à l’enfant la fonction et l’importance de l’écrit. Il s’agit de susciter le besoin de lire en montrant la valeur de la lecture non seulement dans le cadre scolaire, mais aussi dans la vie quotidienne. Pour cela, il convient d’introduire des écrits sociaux, souvent en français, dans l’univers de la classe. Ces textes seront intégrés dans des situations de lecture qui, bien que simulées, doivent refléter un contexte authentique. Un jeu de rôle peut être utilisé pour illustrer la fonction de l’écrit, montrant ainsi aux élèves l’utilité de la lecture et pourquoi il est essentiel d’apprendre à lire. La communication orale et écrite doit donc être abordée simultanément. On commencera par des textes très courts – parfois un mot suffit, à condition qu’il véhicule un message significatif – dont le sens pourra être facilement déduit du contexte de communication et qui pourront être reconnus globalement. Ainsi, durant les premiers mois d’apprentissage, les apprenants pourront accumuler un stock de mots suffisant pour passer ensuite à une deuxième phase plus classique, consacrée à l’analyse et à la combinatoire des unités identifiées : d’abord des groupes de lettres, puis des lettres individuelles.

Maurer (1995a : 9-10) souligne que les pays d’Afrique, anciennes colonies françaises, constituent des territoires de recherche essentiels où les enjeux de la didactique du français se conjuguent fréquemment avec des problématiques pédagogiques. Ces défis incluent l’importance des effectifs et la pénurie de ressources disponibles, parmi d’autres facteurs. Lorsqu’on parle des pays qui ont le français en tant que langue seconde ou de scolarisation, mentionnons les pays suivants : Congo, Niger, Gabon, Mali, Bénin, etc., où le français est, en plus d’être la langue officielle, aussi la seule langue d’usage dans l’enseignement (aux écoles, aux lycées, aux universités). Dans certains pays comme Mauritanie, Belgique, Algérie, Cameroun, Madagascar, etc., le français « cohabite » avec d’autres langues et ainsi est partiellement ou entièrement présent dans le processus de l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur (OIF 2022 : 97). Les objectifs des cours de français langue de scolarisation (FLS) diffèrent nettement de ceux des cours de français langue étrangère (FLE). En contexte scolaire, les démarches pédagogiques qui organisent ces apprentissages ne sont pas pleinement stabilisées. Les élèves primo-arrivants doivent en effet accéder dans un délai très court à un niveau de compétence qui leur permettra de suivre un certain nombre d’apprentissages dispensés en français. Les cours de FLS sont transdisciplinaires, car les apprenants doivent acquérir en une seule année non seulement les bases du français quotidien, mais aussi, et surtout, le vocabulaire spécifique à chaque discipline enseignée dans le cursus scolaire. On parle alors de français langue de scolarisation (FLS), distinct du français langue seconde (FL2). Le FL2 englobe tout apprentissage du français dans un but d’intégration sociale (aussi en dehors du cadre scolaire), que ce soit par des adultes dans des structures privées ou par des élèves dans le cadre de l’Éducation nationale.

Pour un mineur dans une école ou un collège, FLS et FL2 sont synonymes. La langue qui doit devenir seconde pour un écolier est la langue de scolarisation. En effet, il est plus crucial pour lui d’apprendre, par exemple, le lexique des consignes (entourez, encadrez, comparez, etc.) étant essentiel pour s’intégrer immédiatement dans une classe francophone, que de savoir demander son chemin ou lire une petite annonce pour trouver un travail, qui relèvent plutôt du FLE.

Selon Cuq & Gruca (2017 : 86), il est difficile d’appeler « étrangère » la langue officielle d’un pays ; par exemple, la Côte d’Ivoire, mais aussi dans la France d’outre-mer, c’est-à-dire dans les départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (DROM-COM), surtout si elle y joue un rôle essentiel dans le système éducatif. En effet, le français en tant que langue seconde sert d’une langue véhiculaire dans laquelle sont dispensés les enseignements, tout en tenant compte du fait que dans beaucoup de pays africains les variétés des langues mineures, parfois transnationales, entravent la communication entre les peuples et c’est précisément le français qui y joue le rôle de transmetteur des savoirs pendant la période de scolarisation. Puisque le territoire africain est fortement marqué par le multilinguisme (environ 2500 langues), deux tiers des pays (24 pays) se trouvant dans les zones Afrique-océan Indien et Proche-Orient proposent une scolarisation en français et ainsi se concentrant sur 62 % des locuteurs quotidiens du français (OIF 2022 : 95-97).

2.4. Le français sur objectifs spécifiques (FOS)

D’après le Dictionnaire de Cuq (2003), le français sur objectif spécifique (FOS), ce français est destiné au public souhaitant acquérir ou perfectionner des compétences pour une activité professionnelle. Ainsi, le FOS s’inscrit dans une démarche fonctionnelle d’enseignement et d’apprentissage : l’objectif de la formation linguistique n’est plus la maîtrise de la langue en soi comme dans le cas du FLE, mais l’accès à des savoir-faire langagiers dans des situations identifiées de communication professionnelle. Outre le terme de FOS, nous trouvons également les appellations suivantes : français scientifique et technique, langue de spécialité, français instrumental, français fonctionnel (Mourlhon-Dallies 2008 : 10-11).

Le FOS s’est développé en Amérique latine dans les années 1970 sous le terme de « français instrumental », visant principalement le public étudiant nécessitant une compétence en lecture de textes spécialisés. En France, les programmes de français de spécialité (par exemple, diplomatie, agriculture) ont été instaurés dans des établissements scientifiques accueillant des publics étrangers. Dans ces contextes, les cours de langues étaient conçus sur mesure en fonction des besoins spécifiques des étudiants. Le FOS se distingue par deux caractéristiques essentielles : des objectifs d’apprentissage très précis et des délais de mise en place courts (quelques mois plutôt que quelques années, ce qui oblige les enseignants et les formateurs de préparer des cours très intensifs). Par exemple, si une entreprise russe souhaite collaborer avec une entreprise française dans le domaine de l’industrie agroalimentaire, elle pourrait engager un professeur de français pour former ses employés à utiliser un vocabulaire spécifique à leur milieu professionnel. Donc, la priorité est donnée aux besoins de communication ainsi qu’aux domaines (hôtellerie, tourisme, droit, médecine, relations internationales, relations publiques ou de l’administration) (Mourlhon-Dallies 2008). L’OIF (2022 : 176) cite qu’en Europe, en Afrique du Nord et, dans une moindre mesure, en Asie, les disciplines concernées couvrent un large éventail de secteurs au-delà des domaines directement liés aux langues. On trouve ainsi une forte présence dans des domaines tels que : architecture, agriculture et agroalimentaire, journalisme, santé, management, innovation et technologies des systèmes collaboratifs, ingénierie des systèmes industriels, marketing et vente, finance et contrôle, droit international (public et privé), économie et gestion, finance, mathématiques, informatique, génie électrique et génie informatique, génie chimique et biochimique, logistique et transport internationaux, sciences politiques, gestion de l’hôtellerie de luxe. Soulignons également qu’un diplôme de français professionnel (DFP) a été conçu par Le français des affaires de la chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France.

Dans la préparation des cours et des séquences didactiques, Mangiante & Parpette (2004) ont proposé les 5 étapes de la démarche FOS :

– Identification de la demande,
– Analyse des besoins,
– Recueil de données sur le terrain,
– Analyse linguistique des données,
– Élaboration didactique.

Pour une mise en place efficace du FOS l’analyse des besoins représente l’étape cruciale. Elle consiste à identifier les situations de communication cibles et les discours associés. Cette analyse sert de base pour élaborer le programme d’enseignement, lequel repose sur la collecte, la sélection, le traitement et la transformation de données langagières authentiques en supports de formation linguistique. Parmi de nombreux programmes qui existent pour le FOS, nous ne citons que quelques-uns mentionnés par Mangiante & Parpette (2004) :

Le programme pour les agriculteurs ukrainiens : l’objectif était d’envoyer les agriculteurs ukrainiens en France pour un séjour de six mois dans différentes exploitations agricoles, afin qu’ils puissent en découvrir l’organisation.