La Maîtresse du roi de Navarre - Pierre Alexis de Ponson du Terrail - E-Book

La Maîtresse du roi de Navarre E-Book

Pierre Alexis de Ponson du Terrail

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Extrait: "Ce jour-là, le roi Charles IX avait chassé à Saint-Germain. Le roi avait couru un louvard, et Sa Majesté, qui était réellement passionnée pour la vénerie, s'était donné le plaisir d'arracher la malheureuse bête aux abois du supplice qui l'attendait en lui campant une balle en plein travers juste au moment où la meute la coiffait et se disposait à la mettre en pièces toute vivante."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I

Ce jour-là, le roi Charles IX avait chassé à Saint-Germain.

Le roi avait couru un louvard, et Sa Majesté, qui était réellement passionnée pour la vénerie, s’était donné le plaisir d’arracher la malheureuse bête aux abois du supplice qui l’attendait en lui campant une balle en plein travers juste au moment où la meute la coiffait et se disposait à la mettre en pièces toute vivante.

Le loup forcé et tué, le roi s’était aperçu qu’il n’était guère que midi.

– Messieurs, avait-il dit à sa suite, il me semble que nous aurions bien le temps de chasser au chevreuil. Qu’en pensez-vous, Pibrac ?

– Je suis de l’avis de Votre Majesté, Sire.

– Et vous, monsieur de Coarasse ?

Henri et Noë étaient de la suite du roi, qui les avait conviés, on s’en souvient, par l’intermédiaire de M. de Pibrac.

– Mais, Sire, répondit le prince, si Votre Majesté veut chasser un chevreuil avec ces jolis chiens bassets que j’ai vus ce matin dans la cour du château de Saint-Germain, nous aurons un plaisir sans pareil.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr.

– Eh bien, dit Charles IX, Pibrac, mon ami, envoyez chercher les bassets…

Et, tandis que M. de Pibrac piquait des deux pour ramener l’équipage de bassets au plus vite, le roi ajouta :

– En vérité, ma sœur Margot, qui cependant aime beaucoup la chasse, a eu bien tort de n’être pas des nôtres aujourd’hui. Qu’en pensez-vous, monsieur de Coarasse ? Le temps est superbe.

– En effet, Sire.

– Et Margot se fût beaucoup amusée, acheva le roi, qui jeta un regard malin au jeune prince.

Henri soutint ce regard et demeura impassible.

– Est-ce que Son Altesse aurait été indisposée ce matin ? demanda-t-il.

– Margot avait la migraine.

– Un vilain mal, Sire.

– Vous croyez, monsieur de Coarasse ?

– Je l’ai ouï-dire, du moins.

Le roi haussa les épaules :

– Les femmes ont toujours la migraine lorsqu’elles ne veulent pas faire telle ou telle chose. Je gage que si ma sœur Margot avait su que vous chassiez avec moi…

Cette fois Henri ne put s’empêcher de rougir.

– Elle serait venue…

– Ah ! Sire, quelle plaisanterie !

Le roi comprit qu’il était allé un peu loin et mettait le jeune homme dans un bien grand embarras.

– Mon Dieu ! dit-il, je ne plaisante pas du tout. Depuis que Marguerite sait qu’elle doit épouser le prince de Navarre, elle court après tous les Béarnais qu’elle rencontre, espérant toujours qu’il s’en trouvera un qui lui pourra faire le portrait de son futur époux.

M. de Pibrac revint avec les bassets et on attaqua le chevreuil.

Le chevreuil fut pris en moins de trois heures, et le roi, ravi de sa journée, s’écria :

– Je crois, ma foi, que je vais souper d’excellent appétit, ce soir.

– Tant mieux, Sire, dit Pibrac. Quand le roi mange, ses sujets ont faim.

Le roi sourit : – Eh bien, je vous invite à souper, Pibrac.

– C’est un grand honneur pour moi, Sire.

– Ainsi que vos deux cousins.

Henri et Noë s’inclinèrent, et le roi Charles IX donna le signal du départ et revint à Paris avec sa suite.

Sa Majesté, en franchissant la poterne du Louvre, avait dit à M. de Pibrac :

– Voyez donc ma sœur Margot, Pibrac, et sachez si elle a toujours la migraine. Vous l’inviteriez à souper de ma part.

– Sire, était revenu dire le capitaine des gardes, S.A. madame Marguerite souffre toujours beaucoup et s’est mise au lit.

– Diable ! pensa Henri, et le rendez-vous qu’elle m’a donné ?

Le roi se mit à table avec M. de Pibrac, les deux jeunes gens qui passaient pour ses cousins, M. de Crillon, colonel des gardes, et deux autres gentilshommes qui avaient chassé.

– J’ai une faim de loup, dit-il. Si mon futur beau-frère, le prince de Navarre, a un pareil appétit quand il revient de la chasse, ma sœur Margot ne sera point trop à plaindre… et, ajouta Charles IX en riant, les Bourbons ne s’éteindront pas.

Mais le roi avait compté sans le hasard, qui se plaît parfois à paralyser l’appétit le plus robuste par quelque malencontreuse nouvelle.

Charles avait à peine englouti sa fameuse soupe au lard et sucé une aile de faisan qu’un de ses pages, celui qu’on nommait Gauthier, entra et vint lui dire :

– Sire, le prévôt des marchands supplie, à deux genoux, Votre Majesté de lui donner audience sur l’heure.

– Au diable le prévôt ! dit le roi, que peut-il me vouloir ? Dis-lui qu’il revienne demain.

– Sire, il prétend qu’il vient dévoiler à Votre Majesté un crime abominable.

– Eh bien, murmura Pibrac, cela regarde le chevalier du guet.

Mais le roi avait dressé l’oreille à ce mot de crime abominable.

– Eh ! eh ! dit-il, qu’est cela ? Fais entrer, Gauthier, mon mignon.

Le page sortit ; puis, deux minutes après, il souleva la portière, ouvrit un battant de la porte, et l’on vit entrer M. le prévôt des marchands.

C’était un majestueux vieillard, portant la simarre avec dignité, et qui avait bien plus les allures d’un gentilhomme que celles d’un bourgeois.

On le nommait Joseph Miron, et il était le frère du médecin du roi.

– Monsieur le prévôt, dit Charles IX, qui lui tendit, selon l’usage, sa main à baiser, le feu est-il aux quatre coins de Paris ?

– Non, Sire.

– Les ponts ont-ils été emportés par une crue subite de la Seine ?

– Pas davantage, Sire.

– Alors, que nous arrive-t-il donc de si terrible, que vous soyez sans pitié pour un pauvre roi qui se meurt de faim par extraordinaire, que vous le veniez ainsi troubler ?

– Sire, répondit le prévôt, que cette brusque réception ne déconcerta point, je viens demander justice à Votre Majesté.

– Justice ! fit le roi.

– Un crime abominable a été commis la nuit dernière dans la maison d’un bourgeois de Paris, et la rumeur publique…

– Est-ce qu’on l’a assassiné ? interrompit le monarque

– Assassiné et volé.

– Et que dit la rumeur publique ?

– Elle accuse des gens au service de Votre Majesté.

– Cordieu ! monsieur le prévôt, dit vivement le roi en laissant retomber sur la table le couteau qu’il avait à la main, je n’ai à mon service que des gentilshommes et des gens de bien.

– Sire, répondit le prévôt avec fermeté, je n’affirme rien. Mais on a trouvé un lansquenet mort…

– Ah çà, voyons, dit le roi, expliquez-vous, monsieur le prévôt.

Henri et Noë avaient déjà échangé un rapide coup d’œil d’intelligence.

– Eh bien, Sire, reprit Joseph Miron, je dois vous dire qu’il y avait dans la rue aux Ours un marchand bijoutier-orfèvre, du nom de Samuel Loriot.

– Un juif !

– Un juif converti.

– Converti ou non, dit le roi, peu importe ! il était bourgeois de Paris ?

– Oui, Sire.

– C’est bien… continuez.

– Samuel Loriot avait la réputation d’un très honnête homme, mais il était riche, très riche même… et, quelque soin qu’il prît de le dissimuler, on le savait fort bien. De plus, Samuel Loriot avait une fort jeune et fort jolie femme…

– Ah ! ah ! fit le roi, qui, prêt à bâiller d’ennui, se redressa et prêta l’oreille.

– Cette femme a disparu.

– Seule ?

– On ne sait pas.

– Et le mari ?

– Ce matin, les premiers habitants qui se sont levés dans la rue, poursuivit le prévôt, ont été fort étonnés de voir la porte de la maison de Loriot entrouverte, attendu qu’il s’y enfermait toujours comme en une citadelle. Ils ont poussé cette porte et sont entrés, mais dès les premiers pas qu’ils ont faits dans le corridor, ils ont rencontré un cadavre.

– Celui du mari ?

– Non, Sire.

– Et de qui donc ?

– D’un vieux serviteur nommé Job.

– Bon ! Après ? fit le roi.

– Dans la première pièce à droite du corridor, auprès du coffre-fort ouvert et vide, on a trouvé un second cadavre.

– Le mari, cette fois ?

– Non, sire. C’était le cadavre d’un lansquenet, et un bourgeois l’a reconnu pour l’avoir vu, il y a trois jours, en faction à la porte du Louvre.

– Diable ! fit le roi fronçant le sourcil.

– Enfin, au premier étage, on a trouvé un cadavre, celui de la servante.

– Mais… le mari ?

– Le mari a été retrouvé noyé et frappé d’un coup de poignard dans le dos.

– En quel endroit ?

– Au bac de Nesle.

– Cordieu ! monsieur le prévôt, s’écria le roi, mais savez-vous que cela fait quatre homicides ?

– Quatre, Sire.

– Et que vient faire ce lansquenet mort au milieu de tout cela ?

– Sire, répondit le prévôt, je me suis livré à une enquête qui a donné des résultats bizarres.

Le roi regarda le prévôt avec curiosité.

– De cette enquête, continua Joseph Miron, il résulte que le bourgeois Samuel a été assassiné hors de chez lui, au bord de la Seine, et quelques gouttes de sang ont été trouvées sur une pierre, sous le pont Saint-Michel.

Charles IX tressaillit et il eut comme un vague pressentiment qu’il y avait dans toute cette affaire du René le Florentin.

Le prévôt continua :

– Le bourgeois Samuel a été frappé par derrière entre les deux épaules d’un coup de poignard. Un barbier-chirurgien, que j’ai requis, a déclaré que la mort avait dû être instantanée. Le cadavre a été jeté à l’eau ensuite. Mais, chose bizarre, la blessure paraît avoir été faite avec le même poignard qui a frappé le vieux Job et la servante…

– Et le lansquenet ? dit le roi.

– Oh ! non, Sire.

– Bah ! fit Charles IX tout à fait intéressé par ce récit.

– Le vieux Job, le bourgeois Samuel et la servante ont été frappés avec une dague triangulaire et de fabrique française.

– Tandis que le lansquenet ?…

– Le lansquenet l’a été avec un stylet italien, de forme carrée et qui n’a fait qu’un trou imperceptible. Cependant, ajouta le prévôt, c’est également entre les deux épaules, comme le bourgeois, qu’il a été atteint, et la blessure a dû déterminer la mort sur-le-champ.

– Voilà, murmura le roi, qui devient tout à fait incompréhensible.

– Or, reprit Joseph Miron, la dague qui était pendue au flanc du lansquenet était en tout semblable comme forme à celle qui a dû frapper le bourgeois et ses deux serviteurs.

– Est-ce qu’il faut en conclure, par hasard, que l’assassin aurait changé d’arme ?

– Non pas, Sire ! Il y avait deux assassins, c’est plus que certain. Tous deux ont tué le bourgeois sous le pont Saint-Michel.

– Bien.

– Et, avant de le jeter à l’eau, ils l’ont dévalisé, se sont emparés de la clef de sa maison qu’il avait dans sa poche, et c’est à l’aide de cette clef qu’ils se sont introduits chez lui un peu plus tard.

– Ah ! je commence à comprendre, dit le roi. Mais… le lansquenet ?

– Le lansquenet était un des assassins. Son complice l’aura tué pour n’avoir point à partager le contenu du coffre-fort.

– Savez-vous, monsieur le prévôt, observa Charles IX, que c’est chose grave que porter ainsi une accusation contre un lansquenet !

– Sire, dit le prévôt, j’ai une accusation bien plus grave à formuler…

– Hein ! fit le roi.

– Si grave, que je supplie Votre Majesté de m’écouter seul à seul.

Le roi se leva, un peu ému, fit un signe et entraîna Joseph Miron à l’autre extrémité de la salle.

– Voyons ! dit-il, je vous écoute…

Et il murmura avec humeur :

– C’est un fait exprès ! J’ai faim une fois l’an, et c’est juste ce jour-là qu’on me vient empêcher de dîner.

II

Les révélations de Joseph Miron, prévôt des marchands, avaient produit une certaine sensation parmi les convives du roi Charles IX ; sensation fort désagréable, du reste, car déjà, à cette époque, on pressentait les idées indépendantes et les turbulences futures des bourgeois de Paris.

Le règne de Charles IX laissait deviner les désordres du règne suivant, – et il ne se passait, pour ainsi dire, pas un jour que la bourgeoisie de Paris, les confréries, les congrégations, n’eussent maille à partir avec la noblesse…

Il y avait déjà du ligueur dans ce grand et majestueux prévôt des marchands, qui avait l’audace d’interrompre le souper du roi et de venir porter une accusation contre les gens d’épée.

Le roi avait entraîné maître Joseph Miron assez loin pour que, de la table, on n’entendît point ce qu’il disait ; mais les convives de Sa Majesté ne la quittaient point du regard.

– Messieurs, dit tout bas M. de Pibrac, il y a de l’orage dans l’air ; le roi fronce le sourcil et il me semble que ses lèvres pâlissent : c’est un signe de tempête.

– Gare à René ! murmura Noë à l’oreille du prince.

– Ces marchands deviennent d’une insolence extraordinaire ! grommela Crillon. Pour un bourgeois tué, si on les écoutait, on assemblerait les parlements.

Tandis que les convives du roi causaient à voix basse, Joseph Miron, le hautain prévôt, disait à Charles IX :

– Sire, il est temps que Votre Majesté, par quelque sévère édit, fasse bonne justice de certains étrangers…

– Que voulez-vous dire, monsieur le prévôt ?

– On a trouvé, chez le malheureux argentier, un poignard de forme italienne, ce stylet avec lequel on a tué le lansquenet…

– Ah ! dit le roi, vous l’avez, ce poignard ?

– Oui, Sire, le voilà.

Et le prévôt tira le stylet du Florentin de dessous sa simarre.

À la vue de cette arme, le roi, qui se souvenait de l’avoir vue au flanc de René et d’en avoir même admiré le travail, car la poignée en était merveilleusement ciselée, le roi eut un tressaillement et ses narines se gonflèrent.

– Donnez-moi cela, dit-il, et achevez votre déposition, monsieur le prévôt.

– Avec le poignard, continua Joseph Miron, il y avait une clef… l’assassin a oublié le tout sur un siège. Or, Sire, cette clef est d’un merveilleux travail et on n’en forge point, assurément, de pareilles dans le royaume. Un Italien seul…

– Donnez-moi cette clef, interrompit brusquement Charles IX.

Et il prit la clef que le prévôt lui tendit.

– Maître Joseph Miron, lui dit-il alors, il est inutile que vous prononciez certains noms. Rentrez chez vous, je vous engage ma parole que justice sera faite.

– J’y compte, Sire, répondit le prévôt avec fermeté.

Il salua profondément et se retira.

Alors le roi revint se mettre à table, et il ne dit pas un mot de ce que le prévôt lui avait révélé ; mais après avoir gardé le silence pendant quelques minutes :

– Messieurs, dit-il, je vous serai très obligé de ne point répéter ce qui vient de se dire ici. Je veux éclaircir cette affaire avant qu’on la divulgue.

Puis il ajouta, s’adressant à M. de Pibrac :

– Vous ferez prévenir la reine-mère que j’irai la visiter ce soir.

Le roi prononça ces derniers mots avec un accent de colère concentrée qui fut remarqué par ses convives.

À partir de ce moment, le roi ne mangea plus que du bout des dents et il demeura sombre et pensif.

Les convives se regardaient d’un air consterné. Seuls, Henri et Noë échangeaient parfois un regard.

Enfin, le roi se leva de table.

– Prévenez la reine-mère, dit-il à Pibrac.

Le capitaine des gardes se leva et sortit sans mot dire.

– Messieurs, je vous salue, dit le roi, congédiant ainsi les gentilshommes à qui il avait fait l’honneur de les admettre à sa table.

– Harnibieu ! murmura M. de Crillon, si le lansquenet de malheur qui nous a ainsi changé l’humeur du roi n’était pas mort, je lui tordrais le cou moi-même.

Henri et Noë sortirent les derniers.

Mais au moment où Henri passait le seuil de la porte, il aperçut Raoul dans l’antichambre qui lui faisait un petit signe mystérieux.

Le prince s’approcha du page.

– Monsieur de Coarasse, lui dit Raoul, j’ai une commission pour vous.

– Ah ! dit Henri, de qui donc ?

– De Nancy…

– Vraiment, mon mignon ?

– Oui, monsieur.

– Et que me veut-elle, Nancy ?

– Elle m’a chargé de vous dire qu’il y avait migraine et migraine.

– Bon !

– Et qu’il en était une qui se calmerait peut-être, si vous alliez vous promener au bord de l’eau.

– À quelle heure ?

– À dix heures, dit le page.

– Est-ce tout, ami Raoul ?

– Tout, monsieur.

– Eh bien, merci… au revoir !

– Monsieur de Coarasse, dit Raoul, pardon… j’oubliais…

– Ah !

– J’oubliais de vous rappeler que… vous m’avez fait une promesse…

– Oui, certes, de parler pour vous à Nancy, n’est-ce pas ?

Au lieu de répondre affirmativement, Raoul se contenta de rougir.

– Eh bien, soyez tranquille, dit le prince, je m’occuperai de vous.

En parlant ainsi, Henri regardait le sablier qui se trouvait dans l’antichambre.

Le sablier ne marquait que neuf heures.

– Que vais-je donc faire d’ici à dix heures ? pensait-il.

Mais M. de Pibrac, qui s’était acquitté de la mission que lui avait donnée le roi, revint et lui dit en passant :

– Attendez-moi, monseigneur…

Henri et Noë demeurèrent dans l’antichambre et entendirent le capitaine des gardes disant au roi :

– S.M. la reine-mère est en ce moment chez madame Marguerite.

Le roi répondit :

– Eh bien, je vais l’aller trouver chez Margot.

M. de Pibrac sortit de chez le roi et dit aux deux jeunes gens :

– Venez avec moi…

– Hum ! pensa le prince, je gage que M. de Pibrac nous veut questionner et qu’il se doute que nous en savons plus long que lui sur l’histoire de la nuit dernière.

Le prince se trompait. M. de Pibrac n’avait pas soupçonné un seul instant ni quel fût le véritable assassin de Samuel Loriot, ni que Henri et Noë se trouvassent indirectement mêlés à cette ténébreuse affaire.

Le capitaine des gardes emmena les deux jeunes gens chez lui et ferma la porte au verrou. Aussitôt qu’ils furent entrés :

– Monseigneur, dit-il en souriant, le roi va aller voir madame Catherine, qui se trouve en ce moment chez la princesse. Je gage que, comme moi, Votre Altesse est curieuse de savoir ce qui va se passer. Bien certainement, ajouta Pibrac, il s’agit de quelque estafier de la reine-mère. Le prévôt des marchands en a dit très long au roi, dans l’embrasure de la croisée.

Henri se prit à sourire

– Est-ce que vous ne devinez pas ? dit-il.

– Deviner quoi ?

– Quel est l’assassin de Loriot ?

– Ah ! mon Dieu ! dit Pibrac, où avais-je donc la tête ? ce nom de Loriot qu’on prononce devant moi depuis une heure ne m’avait pas encore frappé. Mais c’est ce bourgeois dont vous avez arraché la femme aux griffes de René.

– Oui, fit le prince d’un signe de tête.

– Mais alors…

– Alors René a été plus heureux la seconde fois que la première.

– Il a enlevé la femme ?

– Oh ! non, dit le prince, mais il a tué le mari. Quant à la femme, elle est en sûreté.

Alors, Henri raconta au capitaine des gardes ébahi tout ce qui s’était passé depuis deux jours.

– Ah ! monseigneur, dit enfin Pibrac, savez-vous que vous jouez un terrible jeu ?…

– Bah ! je ne crains point René.

– Craignez-le, au contraire, monseigneur. René sera d’autant plus dangereux, qu’il sera terrassé. La partie est engagée, ne reculez pas… mais soyez aussi prudent que courageux, car, sans cela, vous êtes perdu.

M. de Pibrac ouvrit alors le bahut aux livres de chasse et démasqua le passage secret.

– Certes, dit-il, ce n’est plus la curiosité qui me pousse, c’est l’instinct du danger. Il faut se faire des armes de tout et savoir à tout prix ce qui va se passer entre la reine-mère et le roi.

– Allons ! fit Henri.

Noë demeura dans la chambre de M. de Pibrac, et ce dernier, ainsi que Henri, se glissa à pas furtifs dans le couloir mystérieux.

Ce fut Henri qui colla son œil au trou ménagé dans les pieds du Christ.

Marguerite et la reine étaient seules.

Marguerite disait :

– Que peut vouloir le roi à cette heure ? On dit qu’il est d’une humeur charmante depuis ce matin.

– C’est que je ne lui ai point parlé des affaires de l’État, répondit la reine-mère avec aigreur ; le roi ne s’ennuie que lorsqu’on le veut occuper du bien de son royaume.

– C’est qu’aussi c’est bien ennuyeux, la politique, murmura la jeune princesse.

La reine n’eut pas le temps de répondre, car des pas retentirent et un chambellan ouvrant la porte à deux battants annonça :

– Le roi !

Charles IX entra.

Marguerite et la reine-mère s’attendaient à le voir sourire ; mais elles demeurèrent interdites en le voyant pâle, sombre, le sourcil froncé, marchant d’un pas brusque et inégal.

– Bonjour, Margot, dit-il en baisant la main de sa sœur.

Puis il s’inclina fort sèchement devant sa mère.

– Bonsoir, madame, dit-il.

Et il s’assit. La reine-mère le regardait avec plus de curiosité que de frayeur.

– Madame, dit le roi après un moment de silence farouche, je vous viens prévenir qu’il y aura demain assemblée du parlement.

La reine fit un geste de surprise.

– Et je vous viens prier d’y assister, continua le roi, car il y sera jugé un grand coupable.

Catherine ne comprenait point et continuait à lever sur le roi un regard étonné.

– Le coupable, continua Charles IX, sera condamné au supplice de la roue, et la sentence sera exécutée avant trois jours.

– Mais de quel coupable parlez-vous, Sire ? demanda la reine.

– D’un voleur, d’un lâche assassin.

La reine tressaillit.

– Mais, dit-elle sans se départir un seul moment de son calme, les voleurs et les assassins regardent votre grand prévôt, Sire, et non moi.

– Vous vous trompez, madame.

– Et j’ai cru que Votre Majesté m’allait parler de quelque prince ou seigneur qui avait conspiré contre le bien de l’État ou celui de la couronne…

– Les conspirateurs, madame, sont ceux qui désaffectionnent les peuples en s’abritant sous la protection royale pour égorger de paisibles bourgeois et les dépouiller…

Catherine de Médicis comprit tout ; elle se souvint que René lui avait, la veille, demandé la vie d’un homme.

– Vous aviez donc protégé quelque misérable, Sire ? dit-elle.

– Moi, madame ? non, mais vous !

– Moi !

Le roi ne se laissa point dominer par l’air majestueux de sa mère.

– Écoutez-moi donc, madame, dit-il froidement, écoutez-moi.

– Je vous écoute, Sire.

– On a assassiné, dans la rue aux Ours, la nuit dernière, dans le double but de lui enlever sa femme et de le voler, un argentier du nom de Loriot.

– Un huguenot, je crois, hasarda la reine.

– Un bourgeois de Paris, madame.

– Eh bien ? fit la reine.

– L’assassin a oublié, dans la maison de sa victime, un poignard et une clef.

– Oh ! pensa Catherine, l’imprudent !

– Ce poignard et cette clef, les voilà, dit le roi. Et il montra les deux objets à la reine, qui ne put réprimer un geste de surprise.

– Est-ce que vous ne reconnaissez point cette arme ? demanda le roi.

– Non, Sire… Comment voulez-vous…

– Allons donc ! madame, regardez bien… il y a un chiffre sur la lame, et ce chiffre… c’est celui de votre favori, de René le Florentin !

À son tour la reine était pâle et sombre.

– Si René a commis le crime, je le châtierai, dit-elle.

– Oh ! pardon, répliqua le roi, ceci ne vous regarde point, madame. C’est l’affaire du parlement, et ensuite du bourreau.

– Sire, dit-elle, René est un serviteur dévoué… il a rendu de grands services… il a sauvé la couronne en dévoilant un complot.

– C’est un assassin, madame.

– Mais, Sire, pour un bourgeois…

La reine n’eut pas plutôt prononcé ce mot avec un dédain suprême qu’elle se mordit les lèvres et comprit qu’elle venait de perdre René en voulant le sauver.

– Un bourgeois ! s’écria Charles IX, dont la colère éclata comme un coup de tonnerre, un bourgeois ! mais ce sont les bourgeois, madame, qui renverseront mon trône un jour, si je n’y prends garde. Avant huit jours, René sera roué vif en place de Grève !

Et le roi se leva avec emportement et sortit, sans que la reine-mère songeât à le retenir.

Le roi parti, Catherine et Marguerite se regardèrent.

– Ce René, dit enfin la reine, est un misérable qui finira par me brouiller tout à fait avec le roi.

Marguerite se tut.

– Mais, ajouta Catherine, il m’est utile, je le sauverai.

Et la reine sortit à son tour, sans doute pour rejoindre le roi.

Alors Henri se pencha à l’oreille de M. de Pibrac.

– Allons-nous-en, murmura-t-il.

– Venez, dit le capitaine aux gardes.

Ils quittèrent le couloir mystérieux, et lorsque le bahut fut refermé, Noë les regarda tous deux.

Les éclats de voix du roi avaient traversé le couloir et étaient parvenus jusqu’à lui.

– Eh bien, mais, reprit Henri, cela sent mauvais pour René.

– Peuh ! fit M. de Pibrac.

– Et, ajouta le prince, il pourrait bien être roué vif.

Pibrac haussa les épaules.

– Le roi est le roi, dit-il, mais la reine seule est maîtresse.

– Que voulez-vous dire ?

– Que le parlement acquittera René.

– L’osera-t-il donc ?

– Si toutefois on en arrive là, dit le capitaine des gardes. Mais on n’arrêtera même pas le parfumeur.

M. de Pibrac se trompait, car en ce moment on gratta à la porte :

– Qui est là ?

– Moi, dit la voix de Raoul.

– Que nous veux-tu ?

– Le roi vous mande.

– Diable ! murmura le capitaine gascon, qui ne put se défendre d’un mouvement d’effroi.

Puis il dit au prince :

– Attendez-moi ici… je reviens.

Henri, qui n’oubliait point son rendez-vous, regarda le sablier.

– Impossible, dit-il, il est dix heures… Monsieur de Pibrac, je vous serai reconnaissant de ne point rouvrir votre bahut ce soir.

Et tandis que M. de Pibrac s’en allait chez le roi, qui sans doute lui voulait commander d’arrêter René le Florentin, – mission que M. de Pibrac redoutait fort, – Henri et Noë sortirent du Louvre.

M. de Pibrac entra chez le roi.

– Votre Majesté m’a fait demander ? dit-il, prenant un air étonné.

– Oui.

– Je suis aux ordres du roi.

– Pibrac, mon ami, dit Charles IX, qui se promenait à grands pas dans son cabinet, vous allez prendre avec vous quatre de mes gardes.

– Oui, Sire.

– Et vous me chercherez, dans le Louvre ou dans Paris, jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé, maître René le Florentin.

– Est-ce que Votre Majesté, demanda Pibrac, désire consulter les astres ?

– Je veux punir un assassin, dit le roi.

Pibrac jugea convenable de manifester une grande stupeur.

Mais le roi continua :

– C’est René qui a assassiné le bourgeois Samuel Loriot.

– Ah ! Sire, est-ce possible ?

– J’en ai la preuve.

– Est-ce que Votre Majesté me commande de l’arrêter ?

– Certainement.

– Où le conduirai-je ?

– Au Châtelet, et vous le ferez mettre au fort ; puis vous direz au gouverneur de la prison qu’il répond de lui sur sa tête…

Pibrac s’inclina, fit un pas vers la porte, puis revint.

– Qu’est-ce ? demanda le roi.

– Sire, répondit Pibrac, je suis un pauvre gentilhomme que la reine-mère aimait déjà fort peu.

– Ah ! fit le roi.

– Et qui sera un homme perdu demain, lorsqu’il aura arrêté le favori de madame Catherine.

– Plaît-il ? fit le roi avec hauteur.

– Ah ! soupira Pibrac, si Votre Majesté me voulait envoyer à la guerre, j’irais de meilleur cœur m’exposer à une arquebusade…

– Est-ce que vous auriez peur, Pibrac ?

– Sire, répondit le capitaine des gardes, si M. le duc de Grillon était chargé de ma besogne, il s’en tirerait mieux que moi…

Charles IX regarda son favori, puis il songea que sa mère était la plus vindicative des femmes.

– Tu as raison, mon pauvre Pibrac, dit-il, ma mère n’osera pas toucher à Grillon, tandis que toi…

– Oh ! moi, dit Pibrac, je suis un homme perdu, si Votre Majesté exige que j’arrête cet empoisonneur.

– Va me chercher Grillon, dit le roi.

Quelques minutes après, le duc de Crillon arriva.

– Duc, lui dit le roi, vous allez me faire arrête René le Florentin, le parfumeur de la reine.

– Harnibieu ! Sire, s’écria Crillon, l’homme sans peur, jamais Votre Majesté ne m’a commandé plus agréable besogne.

– Je penserais comme vous, monsieur le duc, dit M. de Pibrac, si je m’appelais Crillon.

– Allez ! dit le roi, toujours sombre et farouche.

III

Tandis que le roi donnait l’ordre d’arrêter René le Florentin, Henri et Noë sortaient du Louvre et rencontraient à vingt pas de la poterne un homme qui, enveloppé de son manteau, marchait à grands pas. Comme il faisait clair de lune, l’homme les reconnut et ils le reconnurent.

– René ! exclama Henri.

Le Florentin, car c’était lui, s’arrêta et regarda les deux jeunes gens.

– Où allez-vous donc ainsi, messire ? demanda Henri.

René était pâle, et son visage abattu, ses yeux mornes, témoignaient chez lui de quelque catastrophe.

– Messieurs, dit René, excusez-moi, je vais au Louvre et je suis pressé.

– Vraiment ?

– Oui, dit René, il faut que je voie la reine sur l’heure.

– Mon Dieu ! comme vous êtes pâle, monsieur René.

– Vous trouvez ? balbutia le parfumeur.

– Ma foi ! messire, dit Henri d’un air candide et sans la moindre pointe d’amertume ni de raillerie, vous marchez d’un air effaré, vous avez la mine assombrie. Est-ce que vous n’auriez pas réussi dans ce grand projet qui devait assurer votre fortune et votre amour ?

– Non, messire.

– Ah ! diable ! Si vous m’aviez laissé consulter plus longtemps les astres, avant-hier au soir, j’aurais peut-être fini par voir clair dans cette influence néfaste qui livrait bataille à votre chance heureuse.

Henri parlait sans raillerie, du ton d’un homme convaincu de sa science et qui ne tient que des moyens surnaturels les choses étranges qu’il a découvertes.

Il jouait si bien son rôle que René s’y laissa prendre.

– Monsieur de Coarasse, lui dit-il, un grand malheur m’est arrivé… mais je vous consulterai là-dessus plus tard… peut-être viendrez-vous à mon aide… Maintenant, il faut que j’aille au Louvre.

– Mais, monsieur René, que vous est-il donc arrivé ? Parlez…

– On m’a volé ou assassiné, – je ne sais pas au juste, – mon enfant.

– Votre fille ?

– Oh ! non, dit René, mais un jeune homme que j’élevais comme mon fils et que j’aimais…

– Est-ce possible ? fit Henri d’un air si naïf que désormais le Florentin aurait pu soupçonner la terre entière de l’enlèvement de Godolphin avant de songer à lui. – Ma parole d’honneur ! monsieur René, continua-t-il d’un ton presque affectueux, c’est peut-être folie à moi, car vous avez la réputation d’un méchant homme, et je sais que vous êtes mon ennemi acharné…

– Moi ? non, dit René.

– Vous l’étiez, du moins.

– Je vous ai pardonné.

– Vrai ?

– Mon Dieu ! fit le Florentin avec une certaine franchise, je me suis promis de devenir meilleur. La fatalité semble m’accabler et je commence à me repentir.

– Eh bien, reprit Henri, folie ou non, je vous vois si triste, si abattu, que vous m’inspirez quelque intérêt.

René regarda Henri.

Le prince avait su donner à sa physionomie un tel aspect de franchise que l’astucieux Italien en fut dupe.

– Et si, Noë et moi, nous vous pouvions être utiles…

René parut hésiter.

– Tenez, dit-il enfin, vous m’avez déjà prédit tant de choses extraordinaires, qui se sont réalisées à moitié, que je finis par croire à votre puissance de divination.

– Vous devez d’autant mieux y croire que vous-même…

– Oh ! moi, fit René, je crois que j’ai perdu mon pouvoir… les astres ne me révèlent plus rien depuis hier… mais si vous pouvez me retrouver mon enfant…

– Je tâcherai.

Henri regarda le ciel tout constellé d’étoiles en ce moment.

– Voilà une belle nuit, dit-il. Donnez-moi votre main.

René tendit sa main.

Henri la prit et continua à regarder les étoiles.

Tout à coup, il étouffa un cri.

– Monsieur René, lui dit-il, vous allez au Louvre ?

– Oui, monsieur.

– N’y allez pas !

– Pourquoi ?

– Je ne sais, mais il vous y arrivera malheur…

– En vérité ! il le faut pourtant.

– N’y allez pas !

– Mais la reine m’attend…

– N’avez-vous rien perdu la nuit dernière ? René tressaillit.

– Je ne sais ce que c’est, mais je vois deux objets dont je ne puis préciser la forme exacte…

René pâlit et songea à sa dague et à sa clef.

– N’allez pas au Louvre, répéta Henri, car ces deux objets que je ne puis définir…

– Eh bien ?

– Eh bien, ils vous porteront malheur. N’y allez pas…

Henri parlait d’un ton convaincu qui impressionna vivement le Florentin.

Un moment René hésita et faillit rebrousser chemin.

Mais c’était l’heure où chaque soir la reine-mère l’attendait, et si René faisait trembler la France entière, un froncement de sourcils de Catherine le faisait trembler à son tour.

– Il le faut ! dit-il. Si mon étoile s’éclipse, que les destins aient leur cours, ajouta-t-il avec tristesse. Bonsoir, messieurs.

Et cet homme, si hautain la veille, s’en alla la tête basse et la mort au cœur.

La disparition de Godolphin, cet être qui était pour lui le livre mystérieux où il puisait son influence sur la reine-mère, avait jeté l’épouvante et le découragement en son âme.

Tandis que Henri et Noë paraissaient s’éloigner, René entra au Louvre, non point par la grande porte, mais par cette petite poterne gardée par un Suisse et par laquelle Nancy avait fait entrer Henri l’avant-veille, lorsqu’elle l’avait conduit chez Marguerite.

René monta le même petit escalier noir. Seulement, au lieu de prendre le couloir à gauche, il tourna à droite et se dirigea vers les appartements de la reine-mère.

René avait l’habitude d’entrer par une porte qui communiquait de ce couloir dans un cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher de la reine.

Cette porte n’était jamais fermée qu’au loquet.

René l’ouvrit, la referma sur lui et pénétra dans le cabinet.

Puis, guidé par un rayon de clarté, il entra dans la chambre.

La chambre était vide.

Mais il y avait une lampe et des papiers épars sur une table, et devant cette table un grand fauteuil.

– La reine ne peut être loin, pensa René.

Et, en effet, à peine se fut-il adossé à la cheminée au manteau fleurdelisé, que le pas de la reine-mère se fit entendre dans la pièce voisine.

Catherine, en sortant de chez sa fille, avait couru après le roi.

Mais déjà le roi s’était enfermé dans son cabinet, et le hallebardier en faction à sa porte croisa sa pique en travers.

– Le roi ne reçoit pas, dit-il.

– Pas même moi !

– C’est pour Votre Majesté que la consigne est donnée, dit le soldat.

Catherine rentrait donc chez elle la rage au cœur, lorsqu’elle aperçut René.

La colère qu’elle éprouvait était si violente que tout d’abord Catherine regarda le Florentin, et la parole expira sur ses lèvres.

– Madame, s’écria René, qui ne prévit pas l’orage qui allait éclater, madame… je viens vous demander justice.

– Justice ! fit la reine en reculant d’un pas.

– Oui, madame…

– Et que t’a-t-on fait, maître René ? cria la reine, dont le Florentin ne devinait point encore la terrible irritation.

– On m’a assassiné ou enlevé un enfant que j’avais chez moi !

– Ah ! dit Catherine, qui, avec ce merveilleux sang-froid que les femmes savent reconquérir si vite, regarda son parfumeur.

Puis elle ajouta :

– C’est bizarre, mon pauvre René, et il se commet d’étranges choses dans Paris. Ainsi, tandis qu’on te volait ton enfant…

– Eh bien ? fit René curieux et s’apercevant enfin que la reine était pâle et que son œil brillait de courroux.

– Pendant ce temps, poursuivit Catherine, on assassinait un bourgeois de la rue aux Ours, un vieillard, une femme et un lansquenet.

– Vraiment ? fit René, dont la voix trembla tout à coup.

– Et le meurtrier laissait une clef et une dague dans la maison…

René devint livide.

– Et cette dague, exclama Catherine dont la colère éclata enfin, c’était la tienne, misérable !

Catherine, en parlant ainsi, foudroya le Florentin d’un regard…

– Madame… balbutia-t-il… vous m’aviez permis… vous…

– Tais-toi, infâme !

René courba le front et se prit à trembler. Catherine continua :

– Mais pour cette fois, je te retire ma protection qui m’a fait abhorrer de la cour tout entière…

– Madame…

– Le prévôt des marchands est allé demander justice au roi, la clameur publique t’accuse, et le roi a permis que la justice eût son cours.

René frissonna.

– Tu vas être arrêté, jugé par le parlement, condamné et roué vif.

En prononçant ces derniers mots, la reine regarda René.

Mais Catherine l’avait dit elle-même deux jours auparavant, il y avait tant de secrets entre elle et René que la pitié s’empara de son âme.

– Tiens, dit-elle, je ne puis rien que te donner le conseil de fuir.

René, éperdu, la regarda.

– Fuis, dit-elle, au plus vite !

Et elle lui montrait la porte, et il y avait une telle anxiété sur son visage que le Florentin comprit qu’il n’y avait pas à hésiter.

René reprit son manteau et voulut baiser la main de la reine.

Mais elle le repoussa.

– Arrière, assassin ! dit-elle.

René courba la tête et sortit.

Alors le Florentin regagna le couloir, et, la tête perdue, courut à la poterne par laquelle il était entré.

Comme il Fallait franchir, le Suisse croisa sa hallebarde.

– Imbécile ! dit René, qui retrouva un reste d’assurance, est ce que tu ne me reconnais pas ?

– Vous êtes messire René, dit le Suisse.

– Alors, laisse-moi passer.

– Non, dit le soldat.

– Maraud !

– C’est ma consigne, monsieur René.

– Mais tu m’as bien laissé entrer…

– J’en avais l’ordre.

– Et de qui donc ?

– Du roi.

René épouvanté s’enfuit ; il remonta l’escalier noir et rentra chez la reine.

– Madame, dit-il tout effaré, la poterne est gardée.

– Eh bien, dit la reine, ouvrant la porte de sa chambre qui donnait sur les grands appartements, tiens, passe par là ; peut-être n’a-t-on point donné de consigne aux sentinelles du grand escalier.

René traversa les grands appartements et arriva à l’escalier. Deux sentinelles étaient placées sur la première marche.

– Place ! cria René.

Les sentinelles s’effacèrent.

Au bas de l’escalier se trouvaient deux autres sentinelles.

– Place ! répéta René.

Les deux autres sentinelles s’effacèrent.

– Je suis sauvé ! pensa-t-il.

Il traversa la cour du Louvre et arriva sous la voûte.

À cette heure, la grande porte du royal édifice était toujours fermée, mais il suffisait de frapper à l’huis du corps de garde pour qu’elle s’ouvrît.

René frappa.

– Ouvrez ! dit-il.

Un Suisse parut.

– Qui va là ? demanda-t-il.

– Moi…

– Qui, vous ?

– René.

Le parfumeur avait espéré que son nom lui ouvrirait la porte.

Mais à peine l’eut-il prononcé qu’un homme sortit du corps de garde.

Cet homme, c’était Jean, duc de Grillon.

– Holà ! cria-t-il, à moi !

À cette voix retentissante, tout le poste sortit.

– Monsieur, dit René d’une voix insinuante, vous ne me reconnaissez peut-être pas ?…

– Plaît-il ? fit Crillon avec hauteur.

– Je suis René…

– Arrêtez-moi ce drôle ! ordonna le duc, qui ne daigna point lui répondre, et demandez-lui son épée.

Le Florentin comprit que Crillon avait reçu des ordres.

Un Suisse lui prit son épée, et il ne songea pas même à la tirer pour se défendre.

Alors Crillon prit cette épée, l’arracha du fourreau, jeta la gaine loin de lui, et la tenant d’une main par la poignée et de l’autre par la pointe, il la brisa sur son genou.

– Voilà, dit-il, comment on traite ces aventuriers qui singent les gentilshommes et font accuser les gens du roi. Çà ! enchaînez-moi cet assassin, ordonna-t-il.

Il n’y avait pas de chaînes dans le corps de garde, mais il y avait des cordes.

Sur un signe de Crillon, on lia les mains du parfumeur derrière son dos.

– Maintenant, continua Crillon, ouvrez la porte…

La porte s’ouvrit.

Deux Suisses se placèrent à côté de René.

Crillon le poussa devant lui.

– Marche, drôle ! dit-il.

C’était la première fois qu’un seigneur de la cour traitait aussi cavalièrement le parfumeur, cet homme dont la faveur avait été si grande jusque-là que chacun tremblait de lui déplaire.

Il est vrai que celui qui lui parlait ainsi se nommait le brave Crillon et que la reine-mère elle-même comptait avec lui.

– Foi de Crillon ! murmura le duc, c’est une vilaine besogne que le roi m’a donnée là ; mais, puisque personne ne s’en voulait charger, je m’en suis chargé, moi.

Et il fit marcher René, et le conduisit jusqu’au Châtelet, dont les portes ferrées s’ouvrirent devant lui.

Par malheur pour René, le gouverneur du Châtelet était une sorte de Crillon au petit pied, un gentilhomme incorruptible et sans peur, un vieux soldat qui se nommait le sire de Fouronne et qui haïssait tous ces courtisans italiens venus en France à la suite de la reine-mère.

– Monsieur, lui dit Crillon, vous voyez cet homme ?

– Oui, certes, c’est René le Florentin, dit le sire de Fouronne.

– Eh bien, c’est un assassin qui sera roué sous peu, de par le roi !

Le sire de Fouronne toisa René.

– Il y a longtemps, dit-il, que ce devrait être fait…

– Je vous le confie, ajouta Crillon, et vous m’en répondez sur votre tête…

– J’en réponds, dit simplement le vieux gouverneur.

René comprit, en entrant dans son cachot, où on lui mit les fers aux pieds, qu’il n’avait ni merci, ni pitié à attendre.

– Ah ! murmura-t-il, si j’avais écouté ce sire de Coarasse, cet endiablé Béarnais qui lit l’avenir dans les astres…

Tandis que les portes massives du Châtelet se refermaient sur René le Florentin, Henri et Noë causaient au clair de lune, assis au bord de la rivière, en attendant que dix heures vinssent à sonner à l’église de Saint-Germain l’Auxerrois.

– Noë, mon ami, disait Henri, comment trouves-tu que je m’acquitte de mon rôle d’astrologue ?

– À merveille !

– Sais-tu que j’ai accompli un tour de force, mon mignon ?

– Certes, oui !

– Persuader à un homme qui jouit de la réputation de sorcier que l’on est plus sorcier que lui, c’est joli !

– Mais dangereux…

– Bah ! j’ai eu un moment de pitié pour lui, tout à l’heure, tant il avait l’air épouvanté ; mais ma pitié n’y a rien fait, il est allé tomber dans la souricière.

– Je suis de l’avis de Pibrac, moi.

– Et que dit Pibrac ?

– Qu’il sortira du Châtelet, et que, s’il n’en sort pas, le parlement l’acquittera.

– Oh ! fit Henri.

– Bah ! vous verrez. Et comme tôt ou tard il apprendra que nous l’avons mystifié…

Mais Henri interrompit son compagnon :

– Noë, mon ami, dit-il, il me vient une idée.

– Vrai ?

– Une idée merveilleuse !

– Voyons !

– Et qui nous mettra pour toujours à l’abri des colères et des représailles de ce maudit Florentin.

– Ah ! par exemple ! dit Noë ; mais voyons-la donc, cette idée.

– Paola t’aime, n’est-ce pas ?

– À la folie !

– Fat !

– Mais non… parole d’honneur !

– Eh bien ! enlève-la…

– Diantre ! c’est grave.

– Ce sera un otage.

– Soit ! Mais où la mettrons-nous ?

– Avec Godolphin. Godolphin aime Paola. Si Paola consent à demeurer ta prisonnière, il ne sera plus besoin d’enfermer Godolphin.

– Ah ! par exemple ! dit Noë, l’idée est bonne, et j’y réfléchirai.

– Je te le conseille.

– Et dès ce soir je sonderai le terrain.

– Tu y vas donc ?

– Parbleu !

En ce moment dix heures sonnèrent.

– Et moi, dit Henri en riant, je vais médire du prince de Navarre.

Les deux jeunes gens remontèrent sous les murs du Louvre, se donnèrent une poignée de main et se séparèrent.

Noë prit le chemin du pont Saint-Michel.

Henri se mit à se promener de long en large, trouvant la lune indiscrète et attendant Nancy.

Nancy ne tarda point à paraître sur le seuil de la poterne.

Elle toussa, Henri s’approcha.

Le Suisse qui avait tout à l’heure si gaillardement croisé sa hallebarde devant René le Florentin paraissait maintenant dormir tout debout.

Cependant, ce n’était pas le même que celui de l’avant-veille.

– Il paraît, pensa Henri, que c’est la consigne ordinaire…

Et il se laissa prendre la main par Nancy, qui l’entraîna vers l’escalier noir.

Le prince monta conduit par Nancy.

L’escalier était plus sombre que jamais, et il sembla au prince qu’il s’était allongé.

– Mais, dit-il, comme il continuait à monter, il me semble que ce n’était pas si haut.

– C’est vrai.

– Comment ! le Louvre a grandi ?

– Non, certes, dit la camérière.

– Alors, madame Marguerite…

– Chut !

– Elle est donc montée d’un étage ?

– Nullement.

– Mais… alors…

– Alors, lui souffla Nancy à l’oreille, avez-vous ouï-dire que les princes se mariaient quelquefois par procuration ?

– Sans doute.

– Eh bien, ce soir, elle fait comme eux…

– Hein ? fit Henri.

– C’est moi que vous trouverez au rendez-vous. Et ce disant, Nancy ouvrit une porte et fit entrer le jeune prince dans une jolie petite chambre bien coquette et toute parfumée !

– C’est mon logis, dit Nancy. Vous pouvez vous jeter à mes pieds, tout ce que vous me direz sera fidèlement rapporté…

Et Nancy se prit à rire comme une folle, ferma sa porte et tira le verrou.

– Allons, dit-elle, voyons !… Mais tombez donc à mes genoux !

Henri la regarda…

Nancy était jolie à croquer !

IV

Le prince avait vingt ans, Nancy pouvait en avoir seize.

Si la camérière était moqueuse, Henri était hardi.

Les cheveux blonds et les yeux bleus de Nancy lui tournèrent la tête pendant cinq minutes et lui firent oublier madame Marguerite aussi bien que la belle argentière.

– Ventre-saint-gris ! murmura-t-il, parbleu ! oui, je vais me mettre à genoux.

Et il fléchit, en effet, un genou devant Nancy, prit sa main rosée et baisa cette main fort galamment.

– Bon ! très bien !… dit Nancy ; c’est parfait, mon beau chevalier… maintenant asseyez-vous…

Et elle lui retira sa main.

Henri essaya de la retenir dans la sienne, mais la main de Nancy était fluette et satinée, et elle glissa entre ses doigts comme une anguille.

– Vous êtes charmante, dit Henri, jolie comme un cœur.

– Vous trouvez ?

– Et je vais vous le prouver.

Le prince prit Nancy par la taille, mais Nancy se dégagea et fit entendre un petit rire moqueur.

– Ah ! dit-elle, la procuration de madame Marguerite ne va pas jusque-là…

Ces mots étourdirent quelque peu le jeune prince.

– Comment !… dit-il en regardant Nancy, qui riait toujours de son rire mutin.

– Eh da ! fit-elle, vous savez bien que je représente ici madame Marguerite.

– Bah ! dit Henri, je ne songe qu’à vous ; vous êtes charmante…

– On me l’a dit souvent.

– Et si vous vouliez m’aimer !…

– Nenni ! mon beau chevalier… je ne puis pas…

– Et pourquoi ?

Le prince avait tout à fait la tête tournée ; il avait fini par reprendre la main de Nancy et par s’asseoir à côté d’elle.

– Pourquoi ? fit-elle, toujours railleuse, mais parce que je ne suis pas une grande dame ni une princesse, moi…

– Hein ! murmura le prince abasourdi.

– Et qu’une fille de petite noblesse comme moi, acheva Nancy, qui n’a pour dot que ses dents blanches, ses cheveux blonds et ses yeux bleus, cherche un mari… et non autre chose, monsieur de Coarasse.

– Eh ! dit le prince, qui sait ? nous pourrions peut-être nous entendre…

Nancy le regarda.

– Vous seriez un bien joli mari, dit-elle, mais je ne veux pas de vous pour trois raisons.

– Bah !

– La première, c’est qu’une fille qui n’a que ses appas pour dot ne doit pas épouser un gentilhomme qui, probablement, n’a que sa cape et son épée. On ne tire pas du beurre de deux cailloux.

– J’ai peut-être bien un héritage à faire quelque part.

– Peuh ! fit la camérière, ce doit être quelque manoir en Espagne ou quelque clos de vigne sur le bord de la Garonne.

Henri se prit à sourire.

– Voyons la seconde raison, dit-il.

– Je ne chasse pas volontiers sur les terres des autres…

Henri songea que la veille il était aux genoux de Marguerite.

– Le braconnage a bien son charme, répliqua-t-il.

– C’est possible, mais je préfère le système du charbonnier qui veut être maître chez lui.

– Bon, et la troisième ?

– Ah ! la troisième, dit Nancy, est la plus sérieuse.

– En vérité !

– Mais oui… et j’ai bonne envie de la garder pour moi…

– Tarare ! murmura le prince, c’est une défaite, ma belle enfant.

– Si vous le prenez ainsi, je vais vous la dire, monsieur de Coarasse.

– Voyons !

– Eh bien, c’est que je suis… retenue.

Ce mot, que la moqueuse fille souligna avec une nuance d’émotion, fit tressaillir le prince.

– Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il, et moi qui avais promis à Raoul… Pauvre Raoul !

Nancy rougit bien fort, et son sourire railleur s’effaça.

Mais Henri lui prit la main.

– Pardonnez-moi, ma petite, dit-il ; on trompe volontiers la femme qu’on n’aime pas et plus volontiers encore la femme qu’on aime…

– Peste ! la jolie morale…

– Mais on ne manque point à sa parole, et vous êtes si appétissante que j’ai failli cependant oublier la promesse que j’avais faite à Raoul…

– Mais, dit vivement Nancy, je n’ai pas dit que c’était Raoul.

– Non, certes ; mais votre visage est devenu si sérieux que je n’en saurais douter.

Nancy baissa légèrement la tête.

– Au moins, dit-elle, ne le lui dites pas…

– Oh ! soyez tranquille…

Henri regarda Nancy une dernière fois…

– Quel dommage ! pensa-t-il ; j’ai eu grand tort de promettre…

– Monsieur de Coarasse, reprit la camérière, qui retrouva sur-le-champ son rire moqueur et son regard espiègle, savez-vous que vous êtes très étourdi ?…

– Bah ! vous trouvez ?

– Dame ! voilà dix minutes que vous êtes ici et vous ne m’avez pas demandé encore…

– Pourquoi j’y suis, n’est-ce pas ?

– Précisément. Eh bien, vous y êtes parce que madame Marguerite n’avait point prévu tout à l’heure cet évènement qui met tout le Louvre en rumeur.

– Quel est cet évènement, ma petite ?

– C’est la colère du roi à cause de l’assassinat de la rue aux Ours.

– Ah ! j’y suis, dit Henri.

– Et l’arrestation de René.

– On l’a arrêté ?

– Il y a un quart d’heure. C’est M. de Crillon qui s’en est chargé. Or, continua Nancy, la reine-mère est comme une folle ; elle va et vient de chez elle chez madame Marguerite. Vous comprenez…

– Oui, sans doute. Mais pourquoi, ma petite, hier…

– Ah ! vous êtes bien curieux…

– Dame ! fit le prince.

Nancy prit un air sérieux.

– Puisque vous avez mon secret, autant vaut que je devienne votre amie, dit-elle.

– Je suis déjà le vôtre, moi.

– Vrai ?

– Parbleu ! il faut bien que je me contente de cela, puisque Raoul…

– Chut !

Nancy posa sa petite main sur la bouche de Henri.

– Si vous prononcez encore ce nom, dit-elle, vous ne saurez rien.

– Bon ! je suis muet, parlez…

– Eh bien, madame Marguerite n’avait pas la migraine hier, et elle n’avait absolument rien à aire…

– Elle pouvait donc me recevoir ?

– Certainement.

– Pourquoi donc…

– Pourquoi les femmes ont-elles des caprices ? Madame Marguerite a eu peur…

– Peur ? et de qui ?

– De vous…

Henri eut un battement de cœur.

– Mon bel ami, continua Nancy, le cœur des femmes sera toujours un mystère. Celui de madame Marguerite est plein de bizarreries et de faiblesses… Vous avez vu Son Altesse pour la première fois il y a trois jours. Certes elle n’allait à ce bal que malgré elle… La pauvre princesse avait pleuré durant tout le jour.

Henri avait l’habitude de comprendre à demi-mot. Un malin sourire vint à ses lèvres : – Elle avait pleuré, les yeux tournés vers la Lorraine… dit-il.

– Peut-être…

– Et après le bal ?

– Elle ne pleurait plus, mais elle était songeuse. Vous lui aviez promis des histoires sur la cour de Navarre.

– J’ai tenu ma parole, ce me semble.

– Oui, joliment, dit Nancy.

– L’aurais-je offensée ?

– Mon Dieu ! fit Nancy, qui le regarda avec ce grand air de compassion qu’ont les femmes pour la naïveté de l’homme, si vous l’aviez offensée, vous ne seriez pas ici…

– Mais, alors, pourquoi, hier…

– Les scrupules faisaient leur testament, murmura la spirituelle camérière, et la Lorraine, qui se noyait, cherchait à s’accrocher à quelque branche.

– Et la branche ?…

– La branche a cassé, fit Nancy.

Henri rougit comme un écolier et ce fut au tour de Nancy à le railler.

– Voyez-vous, dit-elle, si j’eusse ajouté foi tout à l’heure à votre manoir espagnol et à votre clos de vigne gascon, je serais bien campée ! Vous aimez déjà Marguerite… comme… elle vous aime !…

– Nancy !…

– Ne vous en défendez donc pas, mon beau papillon. Quand on regarde cette beauté resplendissante, on y brûle son cœur et ses ailes.

– Ma petite Nancy, dit le prince, qui reprit la main de la jeune fille dans les siennes, puisque je ne suis que votre ami, dites-moi si je vais attendre bien longtemps pour la revoir.

– Vous êtes prisonnier ici jusqu’à ce que madame Catherine ait consenti à s’en aller.

– Et alors vous me conduirez ?…

– Sans doute, je n’ai pas l’intention de vous garder éternellement.