La Maîtresse - Jules Renard - E-Book

La Maîtresse E-Book

Jules Renard

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Beschreibung

Extrait : "MAURICE : Comme je vous embrasserai ! BLANCHE : Mon pauvre ami, ce qui nous arrive me désole, et je jure que je ne m'y attendais pas. Je ne voyais en vous qu'un garçon bien élevé, bon danseur, causeur agréable, mais sceptique. Je me disais : – Il n'aimera jamais personne. Sans penser à mal, je vous demandais de me reconduire, et voici que, tout à coup, vous m'aimez, vous souffrez et vous me faites souffrir. Oh ! je m'en veux."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

• Livres rares
• Livres libertins
• Livres d'Histoire
• Poésies
• Première guerre mondiale
• Jeunesse
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EAN : 9782335091670

©Ligaran 2015

Pour parler
IRéticences
MAURICE

Comme je vous embrasserai !

BLANCHE

Mon pauvre ami, ce qui nous arrive me désole, et je jure que je ne m’y attendais pas. Je ne voyais en vous qu’un garçon bien élevé, bon danseur, causeur agréable, mais sceptique. Je me disais :

– Il n’aimera jamais personne.

Sans penser à mal, je vous demandais de me reconduire, et voici que, tout à coup, vous m’aimez, vous souffrez et vous me faites souffrir. Oh ! je m’en veux, j’ai été imprudente. Comment sortir de là ?

MAURICE

Nous sommes à peine entrés. Pourquoi vous débattre ? C’est si simple, que vous m’aimiez et que je vous aime !

BLANCHE

D’abord, je n’ai pas dit que je vous aimais. Non, je ne l’ai pas dit. J’ai seulement dit que vous me plaisiez autant qu’un autre.

MAURICE

Vous vous reprenez vainement, trop tard. Moi, je répète que je vous aime et vous aimerai autant que possible, tout mon saoul, et je vous défierai de rester froide. Comme vous devez être bonne à embrasser !

BLANCHE

Vous arrangez les choses tout seul. Mais rien n’est convenu. Si, pour ne point vous peiner, j’ai dit un mot de trop, je le regrette et vous fais mes excuses.

MAURICE

Je n’en veux pas. Je garde le mot de trop. Ne vous défendez donc plus. Ça froisse et on perd du temps.

BLANCHE

Je lutte encore. J’ai mes raisons. Vous êtes tellement jeune ! plus jeune que moi. Quel âge avez-vous, au juste ?

MAURICE

Un homme est toujours plus vieux qu’une femme.

BLANCHE

Vous m’aimez maintenant. Je le crois. J’admets que je vous aime. Ce sera sans doute un caprice pour vous, et pour moi toute une affaire grave. Combien de temps ça durera-t-il ?

MAURICE

Vous désirez le savoir exactement, à une heure près ?

BLANCHE

Plaisantez. Je ne ris pas. Il s’agit peut-être de ma dernière passion. J’ai le droit de réfléchir.

MAURICE

On dirait que vous parlez d’un embarquement. Chère belle femme, je vous aimerai dix ans ou dix jours, sans tenir compte des promesses. Certes, j’ai l’intention de vous aimer toute votre vie. Mais ça dépend beaucoup de vous. Rendez-moi heureux, au plus vite, tout de suite, et, si vous me rendez bien, bien heureux, je me laisserai retenir, et je prolongerai volontiers mon bonheur jusqu’à la mort.

BLANCHE

Quel malheur ! Vous m’effrayez et vous m’attirez. J’en pleurerais. Qu’avais-je besoin de vous connaître ? J’étais tranquille. Me voilà brisée.

MAURICE

Voulez-vous vous asseoir un peu ?

BLANCHE

Croyez-vous qu’on puisse s’asseoir sans danger, sur un banc, à une heure du matin ?

MAURICE

Nous ne ferons pas de bruit.

IILe nez du gouvernement

Blanche s’assied, inquiète, et regarde autour d’elle. Personne. À peine assis, ils se sentent gênés. Maurice n’ose pas « toucher » déjà, en le faisant exprès. Les branches minces remuent dans l’air doux. On distingue là-bas des monuments de Paris.

BLANCHE

Oh ! ces deux ombres ! Allons-nous-en. Si elles nous attaquaient !…

MAURICE

Ce sont deux sergents de ville.

BLANCHE

Pourquoi s’approchent-ils ?

MAURICE

Pour voir si nous nous endormons sur le banc.

BLANCHE

On n’a donc pas le droit de dormir sur un banc ?

MAURICE

Non : ça fait du tort aux hôtels meublés et ça encourage l’assassinat.

BLANCHE

Marchons. Les deux ombres nous suivent-elles ? J’ai peur du gouvernement.

MAURICE

Quelle idée ! Vous connaissez le gouvernement ?

BLANCHE

Qui sait ? J’ai, comme tout le monde, des ennemis. L’un d’eux peut être intime avec le préfet de police et me faire espionner.

MAURICE

Vous dites cela sans rire. Vous n’êtes donc pas libre ?

BLANCHE

Si, de cœur, mais ne m’aliénez point le gouvernement.

MAURICE

Entendu. Je comprends toutes les faiblesses. Où faut-il que je vous ramène ?

BLANCHE

À ma porte, s’il vous plaît.

MAURICE

Encore un bout de promenade ?

Blanche veut bien ; et ils tournent une fois de plus autour de la maison où elle habite. La régularité de leur marche permet à Maurice de « toucher » maintenant, sans qu’il y ait effronterie de sa part. Ils vont au pas, la jambe droite de Blanche collée à la jambe gauche de Maurice, au point qu’un instant elles font frein, et qu’ils s’arrêtent, souriants, les yeux dans les yeux, serrés, en effervescence, tout raides.

IIIPhénomènes connus
MAURICE

Dites-moi que vous m’aimez.

BLANCHE

Oui, là, êtes-vous content ?

MAURICE

Absolument, oh ! absolument !

Maurice, accablé, soudain pressé d’être seul avec sa joie, conduit Blanche en hâte vers la porte et tire violemment la sonnette.

MAURICE

Quand vous reverrai-je ?

BLANCHE

Je suis une femme franche, incapable de vous tourmenter par coquetterie. Ces promenades de nuit m’énervent et vous fatiguent. Accordez-m’en une dernière demain soir, et nous les supprimerons.

MAURICE

Vous tenez beaucoup à la dernière ?

BLANCHE

Beaucoup. J’ai plusieurs questions à vous poser et quelques petites confidences à vous faire.

MAURICE

Si elles doivent m’attrister, j’aimerais autant ne rien savoir. Vous seriez vilaine de me chagriner pour votre plaisir. Les ennuis m’assomment. Évitez-moi le plus de peine possible.

BLANCHE

Rassurez-vous. Je ne désire qu’une seule causerie amicale où s’allégeront votre cœur et le mien.

MAURICE

Ainsi, on se promènera encore demain soir. Et après ?

BLANCHE

Après ! vous êtes homme, mon ami ; remplissez le rôle d’un homme. Je m’en rapporte à votre galanterie. Achevez discrètement les préparatifs suprêmes.

À ces mots la porte s’ouvre puis se ferme, et Maurice reste dans la rue. Quand son amie est là, il l’aime sans pouvoir préciser de quelle sorte d’amour. Il la voit de trop près et se cogne, aveuglé, contre elle.

Mais, quand elle n’est pas là, il sait comment il l’aime.

Il meurt, à sa volonté, l’image nette et pleine de Blanche qui, docile, recule, avance, et tourne, et luit d’un tel éclat que murs et trottoirs s’en illuminent.

Tandis qu’il s’éloigne, Blanche, qui glisse à son côté, embellit, devient meilleure et plus tendre. Ses yeux ne regardent que lui. Elle lui parle sans cesse, avec des mots également sonores, dont aucun ne choque, et ses lèvres ne font que sourire.

Pourtant, malgré le plaisir de goûter seul son sentiment, d’en jouir avec égoïsme, Maurice préférerait que son amie fût toujours là, à cause des légers profits.

La veille
ILe cocher

Blanche et Maurice ont pris une voiture pour aller au Bois. Le cocher suit ses rues à lui. Fréquemment il descend de son siège, entre chez un marchand de vin et boit quelque chose sur le comptoir, sans se presser. Pleins d’indulgence, les amoureux l’attendent, et Blanche lui trouve une bonne tête. Qu’il ait sa joie ! Ils en ont tant !

Brusquement le cocher sangle de coups de fouet son cheval qui part, tête baissée, comme si la voiture courait à la bataille, culbuter des voitures ennemies.

MAURICE

Allez, cocher ! Renversez, tuez des gens ! Mon amie ne crie point. Elle m’a saisi la main, et, si nous nous appuyons du dos au fiacre pour le retenir, c’est machinalement, sans épouvante, car, à cette heure de notre vie, un accident ne peut pas, n’a pas le droit d’arriver.

Le fiacre franchit des obstacles, disperse des piétons aux épaules rondes, et les lumières, lancées comme des boules de feu, éclatent sur ses vitres et s’éteignent.

MAURICE

Qu’est-ce que cela nous fait ? Nous en verrons d’autres.

Mais tout s’arrête. Le cocher ouvre la portière et dit : – Descendez.

MAURICE

Vous voulez que nous descendions ?

LE COCHER

Oui, j’en ai assez, moi ; je ne bouge plus.

MAURICE

À la bonne heure ! Vous parlez clair. Mais où sommes-nous ?

LE COCHER

Dans du bois.

MAURICE

Dans du bois de Boulogne, sans doute ?

LE COCHER

Ça se peut. Je m’en fiche. Videz les lieux.

BLANCHE

Ne le contrariez pas.

MAURICE

Je m’en garderais. Il me plaît, ce cocher carré. Homme d’action, veuillez accepter le prix mérité de votre course, avec ce modeste pourboire. Je vous gâte selon mes moyens. Éloignez-vous en paix, et au plaisir de recourir ensemble.

BLANCHE

Avez-vous retenu son numéro ?

MAURICE

À quoi me servirait-il ? Me croyez-vous offensé ? Près de vous, je supporterais toute injure, et demain j’aurai oublié. On respire.

BLANCHE

Oui, il fait léger. Mais où sommes-nous donc ? Je ne me reconnais pas. On n’aperçoit que de rares lanternes.

MAURICE

Elles me semblent trop nombreuses. Je voudrais autour de vous une nuit sans étoiles où je ne verrais pas plus loin que votre profil.

BLANCHE

Je frissonne !

MAURICE

Ah ! vous hésiteriez encore à me suivre au bout du monde. Mais Paris est là, derrière, distant d’une enjambée. Notre cocher délicat nous a posés dans un endroit choisi. Les cochers parisiens savent quel décor plaît aux amants.

IILe cocher, le même
BLANCHE

Qu’est-ce qu’on entend ? Entendez-vous ? On dirait un bœuf échappé !

En effet, un galop lourd frappe la terre. Leur cocher surgît devant eux, et, droit sur ses sabots, vilain à voir, il brandit son fouet et hurle :

– Il me faut encore vingt sous !

MAURICE

Il vous les faut absolument ? Pourquoi ?

LE COCHER

Fortifications.

MAURICE

C’est une raison, je m’incline.

LE COCHER

Point de raisons. Dépêchons.

MAURICE

Et si je ne donne rien ?

LE COCHER

Je tape.

MAURICE

Parfait. Les voilà, mon brave. Je n’ai rien à vous refuser. Vous ne m’ennuyez pas comme vous l’espérez. Je jure qu’aujourd’hui personne ne se vantera de me démonter.

BLANCHE

Il s’éloigne en ricanant. Vrai ! quelle succession d’incidents ridicules ! J’ai le cœur à l’envers. Dieu, que cet homme est bête !

MAURICE

Pas si bête. Plutôt sûr de ses droits et un peu vif. Je lui pardonne. Je pardonnerais au criminel rouge de mon sang. Une bonté intarissable ne vous gonfle-t-elle pas comme moi ?

BLANCHE

Ma foi, non. Ma promenade est gâtée.

MAURICE

Ôtez-en les taches et savourez ce qui reste de délicieux. Moi, je serrerais dans mes bras la nature entière.

BLANCHE

Je ne me sens plus en train. Je me promettais de l’agrément. Mais, cette nuit où nous marchons à tâtons, ces bruits confus qui montent de partout et ces ombres murmurantes qui se croisent, tout m’agace.

MAURICE

Voyons, ma chère Blanche.

IIIÉchange de petits noms
BLANCHE

Tiens, pourquoi m’appelez-vous Blanche ? Ce n’est pas mon petit nom. Je m’appelle…

MAURICE

Chut ! Je veux vous donner ce nom de Blanche précisément parce qu’il ne vous a jamais servi et qu’il vous viendra de moi.

BLANCHE

Quelle cocasserie ! Souvent il me semblera que c’est à une autre que vous parlez.

MAURICE

Je dirai le nom de si près que vous ne vous y tromperez pas.

BLANCHE

Au moins, ce nom nouveau pour moi, l’est-il pour vous ?

MAURICE

Méchante ! Faut-il que j’en cherche un autre ?

BLANCHE

Inutile. Il me va. Mais pourquoi lui plutôt que Madeleine, par exemple ? Où l’avez-vous pris ?

MAURICE