La Mille et Deuxième Nuit - Théophile Gautier - E-Book

La Mille et Deuxième Nuit E-Book

Théophile Gautier

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Beschreibung

Extrait : "J'avais fait défendre ma porte ce jour-là ; ayant pris dès le matin la résolution formelle de ne rien faire, je ne voulais pas être dérangé dans cette importante occupation. Sûr de n'être inquiété par aucun fâcheux (ils ne sont pas tous dans la comédie de Molière), j'avais pris toutes mes mesures pour savourer à mon aise ma volupté favorite."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Préface

Mon cher Alfred,

Il me sera impossible d’aller après-demain chez toi. Excuse-moi auprès de nos amis, dis-leur… qu’une forte migraine m’oblige à garder le lit… dis-leur tout ce que tu voudras. La vérité, pour toi, c’est que j’ai simplement besoin de trois jours de repos. Ma porte est fermée pour soixante-douze heures.

À lundi.

TH. GAUTIER.

 

Mon bon Eugène,

Je te renvoie ton coupon parce que j’ai résolu de ne plus mettre le pied hors de chez moi avant après-demain soir, jour où je dois toucher mes capitaux à la PRESSE.

À dimanche.

TH.

Le soir du même jour où Théophile Gautier avait expédié ces deux lettres, dès le matin, son mélancolique repos était troublé par l’arrivée d’un pli personnel, très urgent.

– Qui est-ce qui se permet d’entrer ?… j’avais pourtant dit assez nettement que je ne voulais recevoir personne !

– Monsieur… c’est une lettre très recommandée…

– Allons ! c’est bon !… donnez cette lettre !…

 

Mon cher ami,

J’ai besoin – MAIS TOUT DE SUITE – d’un conte ou d’une nouvelle de 8 à 900 lignes pour le MUSÉE DES FAMILLES.

C’est pour le numéro « sous presse » ; il me le faut donc demain soir au plus tard.

Vous pouvez seul accomplir cette prouesse et JE COMPTE SUR VOUS.

Tirez à vue sur moi en m’adressant la copie.

Bien cordialement.

X.

 

Dormir encore deux jours et deux nuits durant ou travailler une dizaine d’heures pour avoir droit au réveil, tel était le dilemme.

Las d’avoir dormi déjà douze heures d’un mauvais sommeil, Théo n’hésita pas.

Mais, comment improviser si vite ces neuf cents lignes ?

– « Vraiment, se dit-il, l’écrivain est un peu comme la sultane des Mille et une Nuits, qui, sous peine de mort, devait chaque matin imaginer un nouveau récit pour… Eh bien ! mais, le voilà, le conte !… le titre en est tout trouvé et je n’ai pas besoin de chercher une autre donnée pour pondre !… »

En achevant ces mots, le poète se précipitait vers sa table, y saisissait une feuille blanche et, d’un trait, écrivait :

LA MILLE ET DEUXIÈME NUIT

*
**

Dans le cerveau du Maître, le conte oriental dont il s’agit n’a peut-être pas été exactement conçu de cette manière.

En réalité, sur l’origine de la Mille et deuxième Nuit de Théophile Gautier il n’existe aucun document.

Mais, si notre supposition est absolument gratuite, – et nous nous empressons de la déclarer telle, – du moins nous pouvons affirmer, sans craindre d’être démenti, qu’elle est, non moins absolument, vraisemblable, parce qu’elle est déduite très rigoureusement d’un ensemble de détails certains.

L’auteur de la Négresse et le Pacha, piécette qui fut écrite et mise à la scène en moins de huit jours, était bien capable d’improviser neuf cents lignes en quelques heures, et si jamais dans les œuvres du poète une nouvelle, un conte, eut les caractères de l’improvisation, c’est bien la Mille et deuxième Nuit.

D’autre part, en 1842, époque à laquelle ce conte fut écrit pour le Musée des Familles, le poète était loin de posséder l’aisance dont il devait jouir un moment quelques années plus tard.

Le journal la Presse, où il a rédigé pendant quinze ans la critique dramatique (de 1836 à 1851), était la source de ses principaux gains. Or, en 1842 la Presse ne lui a payé que 2 050 fr. 50 de copie.

L’année suivante, il y avait progrès puisque ce même journal lui versait 5 000 francs.

D’année en année, Girardin donnait alors plus d’importance aux travaux que Théophile Gautier faisait pour lui, puisqu’on a pu relever sur ses comptes les chiffres suivants : 1844, 7 633 francs ; 1845, 9 945 francs ; 1846, 9 805 francs.

En 1847, Théo arrive à gagner à la Presse 11 724 francs dans l’année, et en 1848 il atteint le chiffre de 13 680 francs ! C’est à ce moment qu’il s’offre chevaux et voiture : une petite voiture attelée de deux petits poneys qu’Eugène de Mirecourt lui reprochera bientôt avec amertume. Fortune éphémère, car, dès l’an suivant, Girardin devait singulièrement réduire les gains de son collaborateur.

Mais, comme ces chiffres le prouvent, en 1842 le Pactole ne coulait pas encore pour l’auteur de la Mille et deuxième Nuit. Il n’est donc pas illogique de lui faire accepter avec empressement un travail pressant.

Dans les sept à huit premières pages de préliminaires du conte, où l’écrivain se met évidemment « en train », apparaît d’une façon bien positive l’embarras du journaliste qui doit, en toute hâte, exécuter une tâche d’une longueur déterminée. Théophile Gautier y « tire à la ligne », mais, avec quel esprit ! quelle maestria ! quelle verve !

– « Je vais écrire quelque chose… n’importe quoi, puisque l’essentiel est de mettre du noir sur du blanc, mais cela sera bien tout de même », semble s’être dit le grand critique dont on connaît la paradoxale devise :

 

Rien ne m’est rien. Et d’abord il n’y a rien. Cependant tout arrive, mais cela m’est bien indifférent.

 

Or, ce qu’il y a d’admirable dans ces quelques pages de préambule, absolument inutiles, presque « sans rime ni raison », où la cause déterminante du conte est exposée aux lecteurs du Musée des Familles à l’aide d’une fable tant invraisemblable qu’elle provoquerait les protestations d’un enfant, ce qu’il y a, disons-nous, d’admirable dans ces quelques pages, c’est qu’on les trouve délicieuses en dépit de leur incohérence, de leur inutilité et du retard qu’elles apportent à la lecture du véritable sujet : le conte.

Comme Gautier savait qu’il pouvait se permettre de parler ainsi « pour ne rien dire », à son gré, parce que le public raffolait de son esprit si naturel, de la grâce et du charme de son style, de sa verve d’écrivain si colorée, si brillante !…

Nous ne goûtons pas moins que ses contemporains son merveilleux talent. Sa quasi-préface de la Mille et deuxième Nuit nous enchante autant qu’elle dut les enchanter. Mais nous y trouvons en outre, avec une véritable joie, une chose d’un bien grand prix pour nous, ses admirateurs et ses élèves, – car la postérité, consciemment ou non, est toujours l’élève des grands écrivains défunts, – nous y trouvons des indications précieuses sur la façon de produire du Maître.

En effet, si nous nous sommes permis, au début, de mettre Théophile Gautier en scène, de le faire écrire, agir, parler, c’est parce qu’il a dit lui-même, partie en propres termes et partie « entre les lignes », ce que nous avons cru pouvoir énoncer plus nettement.

« J’avais fait défendre ma porte ce jour-là ; ayant pris dès le matin la résolution formelle de ne rien faire, je ne voulais pas être dérangé dans cette importante occupation. » (p. 1.) Et, plus loin :

« … J’avais pris toutes mes mesures pour savourer à mon aise ma volupté favorite. » (p. 2.)

À Paris, en 1842, Théophile Gautier pouvait-il se croire à l’abri d’une visite intempestive sans avoir non seulement défendu sa porte, mais encore écrit à ses amis les plus intimes ; à ceux qui, comme Alfred (Alfred Loubens) et Eugène (Eugène de Nully), avaient certainement le droit de forcer des consignes générales de par leurs privilèges d’amis particuliers ?

Le Maître, ayant pris toutes ses mesures pour savourer à son aise sa volupté favorite, avait donc, sans aucun doute, prévenu Eugène et Alfred.

Mais pourquoi se serait-il enfermé sinon parce qu’il était mis dans l’incapacité de sortir ?

Jamais Théophile Gautier n’a plus travaillé qu’en 1842. L’oisiveté n’était point son défaut. L’excès dans l’occupation dominait au contraire son existence, et la trop grande activité de sa vie lui inspirait assurément seule ce culte du far niente, ces rêves de paresse qu’ont en tous temps caressés les grands producteurs des œuvres de la pensée.

Théo rêvait toujours de ne rien faire parce qu’il produisait sans cesse, et tout permet de croire que s’il ne faisait réellement rien ce jour-là, c’est parce qu’il ne pouvait rien faire, n’ayant rien de commandé.

Le journaliste incomparable dont on peut citer cette boutade : « L’odeur de l’encre d’imprimerie, il n’y a que cela qui me fasse marcher », n’était pas homme à composer pour un « plus tard » vague autre chose que des vers.