La mystagogie d'hier et d'aujourd'hui - Collectif - E-Book

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EditorialPour fêter les trente ans de notre revue Connaissance des Pères de l’Église, qui s’attache à dégager l’apport des Pères pour leur époque et pour aujourd’hui, comme le rappelle Henri-Louis Roche en ouverture, nous avons choisi, comme thème du colloque qui nous rassemblait pour cette occasion, une réalité qui était fondamentale à l’époque patristique et que nous redécouvrons aujourd’hui : la mystagogie. Nous avons co-organisé ce colloque, les 27 et 28 janvier derniers, avec le Service national de la catéchèse et du catéchuménat de la Conférence épiscopale, afin de réaliser une approche croisée entre les Pères et aujourd’hui [1]. Nous remercions le Père Luc Mellet qui a été la cheville ouvrière de cette coopération, ainsi que Mgr Pierre-Marie Carré, Mgr Michel Pansard et le Père Nicolas-Jean Sèd qui ont présidé le colloque, les 150 responsables diocésains de la catéchèse ou du catéchuménat qui ont participé à ce colloque, ainsi que les responsables des ateliers : Philippe Marxer (« Catéchèse et temps mystagogiques au vu du RICA »), Marie-Thérèse Perriaux (« La première communion pour entrer dans la vie eucharistique »), Anne-Marie Aitken (« Des catéchèses mystagogiques pour mieux vivre le dimanche »), Louis Ridez (« La place de l’iconographie dans la mystagogie »).
La redécouverte actuelle de la mystagogie se situe dans le sil-lage du concile Vatican II, qui a préconisé un retour aux Pères et à l’Écriture. Le pape Benoît XVI lui donne une place importante dans Sacramentum caritatis (n° 64). Sans doute la mystagogie d’hier n’est-elle plus celle d’aujourd’hui, comme le montre Jean Ehret à partir de la reprise de passages des Catéchèses mystagogiques de Cyrille de Jérusalem dans l’Office des lectures, mais il n’en demeure pas moins que la mystagogie est fondamentale aujour-d’hui, tant pour la catéchèse des enfants que pour celle des recommençants, comme l’explique Louis-Marie Chauvet, qui rappelle que « la Lettre aux catholiques de France de 1996 exhortait à “ne pas craindre de prendre l’initiative en invitant à faire la rencontre du Christ dans les sacrements”. Cela fait partie des orientations majeures pour oser “proposer la foi dans la société actuelle”. Dans ce document, on peut noter le plan des trois “lignes d’action” préconisées : c’est en effet la leitourgia (“célébrer le salut”) qui vient en premier, suivie de la diakonia (“servir les hommes”) et de la marturia (“annoncer l’Évangile”) » (p. 68). Ces trois orientations qui répondent aux trois missions baptismales montrent que la mystagogie est la pierre d’angle, l’expérience de la rencontre avec le Christ d’où découlent la diakonia et la marturia.
Les Pères l’ont rapidement compris, c’est pourquoi ils donnent une telle importance à la mystagogie : les nouveaux baptisés ne peuvent être les témoins du Christ que s’ils ont véritablement vécu le kérygme. Sans doute n’ont-ils pas tout compris immédiatement, aussi importe-t-il d’expliquer le symbolisme baptismal, comme le font Cyrille de Jérusalem que présente Pierre Maraval, Ambroise de Milan, Hilaire de Poitiers, les Cappadociens, Augustin, Théodore de Mopsueste…
Maxime le Confesseur va plus loin en appliquant la mystagogie à toute la liturgie et à la divinisation de l’être humain, comme l’explique Jean-Marc Vercruysse. C’est un peu en ce sens que l’Église d’Orient comprend aujourd’hui encore la mystagogie que nous présente Alexandre Siniakov.
En Occident, nous redécouvrons aussi la mystagogie dans toute sa dimension, comme l’expliquent Mgr Michel Pansard et Luc Mellet, qui précise que la mystagogie est en quelque sorte « la prise de conscience que tout est donné du salut de Dieu dans les sacrements de l’initiation chrétienne mais que tout reste à accueillir vraiment » (p. 103). Pour en rendre compte, Luc Mellet parle, de manière éloquente, d’une seconde conversion. Mgr Claude Dagens, auteur de la Lettre aux catholiques de France qui a eu un rôle majeur, en faisant ressortir le rôle décisif de l’expérience sacramentelle dans la vie chrétienne, met en évidence le lien entre la dimension pastorale et la dimension théologique de la mystagogie.
En effet, comme le souligne Régine du Charlat, nous ne sommes pas seulement des êtres doués de raison, mais aussi de parole et de parole incarnée, réceptifs aux gestes liturgiques habités. C’est en quelque sorte une phénoménologie de l’expérience religieuse que propose la mystagogie. Aussi son champ est-il fort large, comme les Pères l’avaient déjà compris.
Marie-Anne VANNIER
[1] Le Service national de la catéchèse et du catéchuménat a consacré le numéro 12 de sa revue Ecclesia (décembre 2011) à la mystagogie, avec le titre : Conduire vers le mystère.

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« La grande tradition liturgique de l’Église nous enseigne qu’en vue d’une participation fructueuse, il est nécessaire de s’engager à correspondre personnellement au mystère qui est célébré, par l’offrande à Dieu de sa propre vie, unie au sacrifice du Christ pour le salut du monde entier. Pour cette raison, le Synode des évêques a recommandé de s’assurer de l’accord profond des gestes et des paroles des fidèles avec leurs dispositions intérieures. Si cela faisait défaut, nos célébrations, bien que vivantes, s’exposeraient à la dérive du ritualisme. C’est pourquoi il faut promouvoir une éducation de la foi eucharistique qui dispose les fidèles à vivre personnellement ce qu’ils célèbrent. Face à l’importance essentielle de cette participatio personnelle et consciente, quels peuvent être les instruments de formation appropriés ? À l’unanimité, les Pères synodaux ont indiqué, à ce sujet, la voie d’une catéchèse à caractère mystagogique, qui pousse les fidèles à entrer toujours mieux dans les mystères qui sont célébrés. En particulier, concernant la relation entre l’ars celebrandi et l’actuosa participatio, on doit avant tout affirmer que “la meilleure catéchèse sur l’Eucharistie est l’Eucharistie elle-même bien célébrée”. En effet, de par sa nature, la liturgie a son efficacité pédagogique propre pour introduire les fidèles à la connaissance du mystère célébré. Toujours à ce sujet, dans la tradition la plus antique de l’Église, le chemin de formation du chrétien, sans négliger l’intelligence organique du contenu de la foi, comportait toujours un caractère d’initiation où la rencontre vivante et persuasive avec le Christ, annoncé par des témoins authentiques, était déterminante. En ce sens, celui qui introduit aux mystères est avant tout le témoin. Cette rencontre s’approfondit assurément dans la catéchèse et elle trouve sa source et son sommet dans la célébration de l’Eucharistie. De cette structure fondamentale de l’expérience chrétienne, naît l’exigence d’un itinéraire mystagogique, dans lequel trois éléments doivent toujours être présents : a) Il s’agit d’abord de l’interprétation des rites à la lumière des événements salvifiques, conformément à la tradition vivante de l’Église […]. b) La catéchèse mystagogique devra, par ailleurs, se préoccuper d’introduire au sens des signes contenus dans les rites […]. c) Enfin, la catéchèse mystagogique doit se préoccuper de montrer la signification des rites en relation avec la vie chrétienne dans toutes ses dimensions, travail et engagement, réflexion et sentiments, activité et repos. En ce sens, le résultat final de la mystagogie est la conscience que sa propre existence est progressivement transformée par la célébration des saints Mystères. »

Benoît XVI, Sacramentum caritatis, n° 64.

Sommaire

La mystagogie d’hier à aujourd’hui

CPE n° 126

Éditorial — Marie-Anne VANNIER

Ouverture du colloque « L’apport des Pères de l’Église à la proposition de la foi aujourd’hui » (Paris, 27 et 28 janvier 2012) — Mgr Pierre-Marie CARRÉ

Les trente ans de CPE — Henri-Louis ROCHE

La place et le sens de la mystagogie chez les Pères et l’enjeu actuel — Marie-Anne VANNIER.

Les Catéchèses mystagogiques de Cyrille de Jérusalem — Pierre MARAVAL

Les Catéchèses mystagogiques de Cyrille de Jérusalem dans l’Office des lectures. Mystagogie et liturgie des heures — Jean EHRET

La mystagogie aujourd’hui. Chances et limites — Louis-Marie CHAUVET

La Mystagogie de Maxime le Confesseur : un itinéraire symbolique et spirituel — Jean-Marc VERCRUYSSE

La mystagogie dans l’Église orthodoxe aujourd’hui — Alexandre SINIAKOV

L’actualité de la mystagogie — Mgr Michel PANSARD

Richesses et promesses de la mystagogie pour la catéchèse à tous les âges de la vie — Luc MELLET

Pourquoi et comment revaloriser la mystagogie dans la mission de l’Église ? — Claude DAGENS

La Parole et le corps — Régine DU CHARLAT

Actualité des Pères de l’Église

Éditorial

Pour fêter les trente ans de notre revue Connaissance des Pères de l’Église, qui s’attache à dégager l’apport des Pères pour leur époque et pour aujourd’hui, comme le rappelle Henri-Louis Roche en ouverture, nous avons choisi, comme thème du colloque qui nous rassemblait pour cette occasion, une réalité qui était fondamentale à l’époque patristique et que nous redécouvrons aujourd’hui : la mystagogie. Nous avons co-organisé ce colloque, les 27 et 28 janvier derniers, avec le Service national de la catéchèse et du catéchuménat de la Conférence épiscopale, afin de réaliser une approche croisée entre les Pères et aujourd’hui[1]. Nous remercions le Père Luc Mellet qui a été la cheville ouvrière de cette coopération, ainsi que Mgr Pierre-Marie Carré, Mgr Michel Pansard et le Père Nicolas-Jean Sèd qui ont présidé le colloque, les 150 responsables diocésains de la catéchèse ou du catéchuménat qui ont participé à ce colloque, ainsi que les responsables des ateliers : Philippe Marxer (« Catéchèse et temps mystagogiques au vu du RICA »), Marie-Thérèse Perriaux (« La première communion pour entrer dans la vie eucharistique »), Anne-Marie Aitken (« Des catéchèses mystagogiques pour mieux vivre le dimanche »), Louis Ridez (« La place de l’iconographie dans la mystagogie »).

La redécouverte actuelle de la mystagogie se situe dans le sillage du concile Vatican II, qui a préconisé un retour aux Pères et à l’Écriture. Le pape Benoît XVI lui donne une place importante dans Sacramentum caritatis (n° 64). Sans doute la mystagogie d’hier n’est-elle plus celle d’aujourd’hui, comme le montre Jean Ehret à partir de la reprise de passages des Catéchèses mystagogiques de Cyrille de Jérusalem dans l’Office des lectures, mais il n’en demeure pas moins que la mystagogie est fondamentale aujourd’hui, tant pour la catéchèse des enfants que pour celle des recommençants, comme l’explique Louis-Marie Chauvet, qui rappelle que « la Lettre aux catholiques de France de 1996 exhortait à “ne pas craindre de prendre l’initiative en invitant à faire la rencontre du Christ dans les sacrements”. Cela fait partie des orientations majeures pour oser “proposer la foi dans la société actuelle”. Dans ce document, on peut noter le plan des trois “lignes d’action” préconisées : c’est en effet la leitourgia (“célébrer le salut”) qui vient en premier, suivie de la diakonia (“servir les hommes”) et de la marturia (“annoncer l’Évangile”) » (p. 68). Ces trois orientations qui répondent aux trois missions baptismales montrent que la mystagogie est la pierre d’angle, l’expérience de la rencontre avec le Christ d’où découlent la diakonia et la marturia.

Les Pères l’ont rapidement compris, c’est pourquoi ils donnent une telle importance à la mystagogie : les nouveaux baptisés ne peuvent être les témoins du Christ que s’ils ont véritablement vécu le kérygme. Sans doute n’ont-ils pas tout compris immédiatement, aussi importe-t-il d’expliquer le symbolisme baptismal, comme le font Cyrille de Jérusalem que présente Pierre Maraval, Ambroise de Milan, Hilaire de Poitiers, les Cappadociens, Augustin, Théodore de Mopsueste…

Maxime le Confesseur va plus loin en appliquant la mystagogie à toute la liturgie et à la divinisation de l’être humain, comme l’explique Jean-Marc Vercruysse. C’est un peu en ce sens que l’Église d’Orient comprend aujourd’hui encore la mystagogie que nous présente Alexandre Siniakov.

En Occident, nous redécouvrons aussi la mystagogie dans toute sa dimension, comme l’expliquent Mgr Michel Pansard et Luc Mellet, qui précise que la mystagogie est en quelque sorte « la prise de conscience que tout est donné du salut de Dieu dans les sacrements de l’initiation chrétienne mais que tout reste à accueillir vraiment » (p. 103). Pour en rendre compte, Luc Mellet parle, de manière éloquente, d’une seconde conversion. Mgr Claude Dagens, auteur de la Lettre aux catholiques de France qui a eu un rôle majeur, en faisant ressortir le rôle décisif de l’expérience sacramentelle dans la vie chrétienne, met en évidence le lien entre la dimension pastorale et la dimension théologique de la mystagogie.

En effet, comme le souligne Régine du Charlat, nous ne sommes pas seulement des êtres doués de raison, mais aussi de parole et de parole incarnée, réceptifs aux gestes liturgiques habités. C’est en quelque sorte une phénoménologie de l’expérience religieuse que propose la mystagogie. Aussi son champ est-il fort large, comme les Pères l’avaient déjà compris.

Marie-Anne VANNIER

[1]. Le Service national de la catéchèse et du catéchuménat a consacré le numéro 12 de sa revue Ecclesia (décembre 2011) à la mystagogie, avec le titre : Conduire vers le mystère.

OUVERTURE DU COLLOQUE « L’APPORT DES PÈRES DE L’ÉGLISE À LA PROPOSITION DE LA FOI AUJOURD’HUI »

(Paris, 27 et 28 janvier 2012)

La catéchèse est un art difficile ! Il s’agit de proposer la foi chrétienne à qui ne la connaît pas ou la connaît mal. Il est facile de souligner les innombrables défis qu’il faut relever : chacun de nous les expérimente.

– Dans un monde où l’on montre et se montre, où les écrans, grands et petits, sont innombrables, il nous faut présenter Celui qui est invisible.

– Alors que le bruit et l’agitation sont omniprésents, nous voulons donner à rencontrer Celui qui parle dans le silence.

– Ne parlons pas des difficultés relatives au contenu de la foi, aux rites sacramentels à découvrir et à la question de la pédagogie de l’initiation chrétienne.

Face à ces défis, certains cherchent des coupables : ils sont la cause de cette situation ; d’autres s’imaginent qu’il existe un moyen infaillible pour annoncer le Christ et qu’il suffit de l’adopter ! D’autres encore pensent qu’il n’y a rien à faire…

Quelle est la place de ce colloque ? Il n’est certes pas de l’ordre de la recette ! La situation des Pères de l’Église et la nôtre sont bien différentes. Pourtant, il est bénéfique pour l’annonce de la foi de revenir sans cesse aux sources :

– celle de l’Écriture, bien entendu ;

– celle des Pères qui ont inscrit la foi dans la culture grecque dont nous sommes les lointains héritiers.

Il s’y trouve des trésors qui enrichissent déjà notre pratique et doivent le faire davantage encore, car nous sommes facilement des cérébraux et des intellectuels alors que nous avons à faire entrer dans une expérience vivante, à permettre une rencontre personnelle avec le Christ Sauveur.

Une dernière chose enfin : une catéchèse mystagogique nous aidera à unifier davantage ce qui est trop souvent séparé : l’enseignement, la liturgie et les sacrements ; en un mot, à découvrir ce qu’est la vie en Église dans sa plénitude. Il y a quelques années, les milliers de participants à Ecclesia 2007 l’avaient découvert, essentiellement à partir de l’Écriture sainte. Aujourd’hui, découvrons la puissance de la liturgie !

Ce matin, le colloque commencera par les bases. Percevoir ce qu’est la mystagogie, son intérêt et son rôle au temps des Pères, bien entendu, mais aussi pour nous dans notre contexte actuel. La nouvelle évangélisation passe par là ! Elle demande de revenir au cœur de la foi et de développer toutes les possibilités d’une véritable initiation chrétienne.

Mgr Pierre-Marie CARRÉ,

archevêque de MONTPELLIER

LES TRENTE ANS DE CPE

Le premier numéro de Connaissance des Pères de l’Église(CPE) est daté de juin 1981. Grand format, 16 pages + couverture. L’éditeur en est alors Desclée de Brouwer, dirigé par François-Xavier de Guibert, et le fondateur le Père Hamman, professeur à l’Institut patristique de Rome. Mais cet intellectuel franciscain est aussi très apostolique et sensible à la communication par l’édition. Il faisait partie de ces personnes convaincues qu’un bon retour aux Pères de l’Église est sans doute une des voies les plus sûres et les plus solides pour nourrir l’expérience chrétienne aujourd’hui. Le Père Hamman a donc publié un bon nombre de livres de patristique dont la sortie s’accompagnait de conférences dans les milieux les plus divers et de retraites prêchées tout particulièrement chez les contemplatifs. C’est de cette activité éditoriale et pastorale qu’est née, il y a trente ans, la revue CPE. Il se rendit compte qu’il fallait donner à ses auditeurs des instruments de travail sous forme d’un cours par correspondance qui permettrait aux religieux et aux religieuses mais aussi aux laïcs de pénétrer en profondeur l’intelligence des textes patristiques. La formule mit un peu de temps à se trouver. Mais le père Hamman, secondé par le père Lin Donnat de Saint-Benoît-sur-Loire, tint bon. Évidemment la prime enfance de CPE s’accompagna de quelques péchés de jeunesse qui ne firent pas toujours sourire mais quand on est arrivé à l’âge de trente ans on peut se permettre un peu de miséricorde même envers soi-même…

Mais revenons à un épisode-clé de cette enfance. Nous sommes en 1985, CPE a quatre ans et voit soudain son avenir s’assombrir. Son éditeur d’alors, Desclée de Brouwer, rencontre des difficultés. Pour faire face, la nouvelle direction décide de se séparer de toutes ses revues. Et ce fut le Service des moniales, qui constituaient d’ailleurs une part importante des abonnés les plus motivés, qui releva le défi de continuer à faire paraître CPE. Ainsi, le Service des moniales devint propriétaire du titre. Il faut ici rendre un hommage particulier aux bénédictines de Jouarre et de La Rochette. Mais il fallait retrouver une structure éditoriale pour pouvoir durer. C’est alors qu’apparaissent les éditions Nouvelle Cité dans l’histoire de CPE.

Nouvelle Cité est la maison d’édition des Focolari en langue française. Le mouvement des Focolari a donné naissance à plusieurs maisons d’édition dans le monde. Dès le début de leur histoire, il y a plus de soixante ans, les Focolari ont participé activement au renouveau des études patristiques, notamment en Italie, à travers la pensée et l’action d’Igino Giordani, journaliste, écrivain et homme politique. Considéré comme cofondateur des Focolari aux côtés de Chiara Lubich, Giordani, dont le procès de béatification est en cours, avait la conviction que les chrétiens doivent se confronter avec la culture de leur siècle. Si, dans un premier temps, il fut surtout attiré par l’aspect polémique et apologétique des Pères de l’Église, avec Tertullien et Justin, dans un deuxième temps, il puisa chez les Pères de puissants éléments de renouveau social et une vision de l’Église comme peuple de Dieu qui trouvera sa confirmation dans le concile Vatican II. Il était donc logique que l’activité éditoriale des Focolari, dans plusieurs pays, ait à voir avec la production patristique. C’est le cas notamment en Italie, en Espagne et aux États-Unis.

Pour la France, le domaine de l’édition de livres était déjà bien occupé et Nouvelle Cité n’avait ni la compétence ni les forces pour se lancer dans une telle aventure. En revanche, la structure éditoriale de Nouvelle Cité, en France en 1986, lui permettait tout à fait de devenir l’éditeur d’une revue du style de CPE. D’autre part, la perspective de soutenir et développer un outil culturel qui permette de faire découvrir les Pères de l’Église à un plus grand nombre, tout en restant une référence pour les spécialistes, convenait tout à fait à la ligne éditoriale de Nouvelle Cité.

C’est ainsi que Nouvelle Cité signa un contrat d’édition-diffusion-distribution pour la revue CPE avec le Service des moniales en 1986. Dix ans plus tard, le même Service des moniales proposa à Nouvelle Cité de devenir le propriétaire du titre et d’en assumer seul la gestion et la responsabilité.

Pendant toutes ces années, l’équipe des rédacteurs de CPE a poursuivi son travail. Le contenu de chaque numéro, quatre par an, porte sur un auteur, un genre littéraire, une région, un thème, un événement historique… Le conseil de rédaction se réunit deux fois par an en région parisienne. Le poste de rédacteur en chef de la revue a été assuré, depuis que Nouvelle Cité est éditeur, successivement par Lin Donnat, par Jacques Fantino, dominicain, par Françoise Vinel et, depuis 1996, en d’autres termes depuis seize ans, par Marie-Anne Vannier sans laquelle la revue n’aurait jamais atteint ses trente ans.

La forme de la revue a, elle aussi, évolué. Le principal changement est celui du format qui s’est opéré en 1997, à la demande notamment des bibliothécaires et des libraires qui avaient des difficultés à ranger une revue de grand format dans leurs rayons. Le numéro passe à 62 pages.

La diffusion se fait par abonnements et en librairie.

Depuis plusieurs années CPE bénéficie d’une subvention du Centre national du livre.

Plusieurs colloques ont aussi permis d’augmenter l’impact et la notoriété de la revue. En 2001, pour ses vingt ans, sous le titre Vingt ans d’études patristiques dans le monde. En 2003, avec L’Apport des Pères à la catéchèse aujourd’hui. En 2005, Les Pères et la prédication. En 2006, à Strasbourg, avec une table ronde sur Les Pères de l’Église et l’unité des chrétiens, dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. La dimension ecclésiale de ces colloques a été largement appréciée.

Et enfin le colloque qui nous rassemble pour les trente ans de CPE, activement préparé par le Père Luc Mellet et son équipe, et, pour Nouvelle Cité par Marie-Anne Vannier, la rédactrice en chef, Muriel Fleury, directrice commerciale de Nouvelle Cité, et Dominique Bonnet, directeur général de Nouvelle Cité depuis septembre 2010.

Les deux colloques destinés à fêter respectivement les vingt ans et les trente ans de la revue ont l’intérêt de manifester sa double orientation : scientifique et ecclésiale : d’une part, le bilan de vingt années d’études patristiques dans le monde, d’autre part, un thème fondamental tant à l’époque des Pères qu’aujourd’hui : la mystagogie. Connaissance des Pères de l’Église est, en effet, la seule revue de patristique en France. Chaque numéro constitue par lui-même un dossier qui fait appel aux meilleurs spécialistes de la question, qui se caractérise par sa rigueur universitaire et qui prend toujours en compte, dans le même temps, l’apport dogmatique, spirituel et ecclésial des Pères, sans oublier leur actualité.

Bon vent à CPE pour atteindre la maturité des quarante ans et affronter les défis actuels de l’édition et du monde culturel, comme le firent les Pères de l’Église aux premiers siècles du christianisme.

Henri-Louis ROCHE,

directeur littéraire des Éditions Nouvelle Cité

LA PLACE ET LE SENS DE LA MYSTAGOGIE CHEZ LES PÈRES ET L’ENJEU ACTUEL

Un demi-siècle après Vatican II, on redécouvre aujourd’hui la mystagogie, présente dans un certain nombre de textes conciliaires. Le terme peut faire problème. Comme nous l’avons déjà noté dans L’Anthologie sur la mystagogie (CPE 124), ce terme vient du grec mystagôgia[1] ; cette référence au grec, pour cette notion comme pour un certain nombre d’autres, est due à la pénétration du christianisme dans un autre univers culturel qu’il importe de réhabiter. Le terme de mystagogie est même composé des deux mots grecs : mustes qui désigne l’initié et qui renvoie aux mystères, et l’infinitif aoriste (agagein) du verbe grec agein qui implique l’action de conduire. En d’autres termes, la mystagogie conduit vers les mystères pour les expliquer et donner ainsi d’en vivre. Mais le christianisme n’est pas une religion à mystères comme les cultes antiques, cependant, il est fondé sur le mystère par excellence, qui est celui du Christ (Rm 16, 25 ; Col 1, 26-27), exprimé par l’eucharistie[2], qui actualise le mystère pascal, comme l’a rappelé le document Aller au cœur de la foi, d’où le sens de la mystagogie et le lien entre mystagogie et liturgie.

Paul VI avait déjà évoqué la mystagogie sans employer directement le terme dans l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi sur l’évangélisation dans le monde moderne, en précisant que « le rôle de l’évangélisation est précisément d’éduquer tellement dans la foi qu’elle conduise chaque chrétien à vivre – et non à recevoir passivement ou à subir – les sacrements comme de véritables sacrements de la foi » (n° 47). Désormais, le RICA, le Rituel pour l’initiation chrétienne des adultes, en parle explicitement, en expliquant que la mystagogie est le dernier moment de la formation du nouveau baptisé, le quatrième temps, celui où, est-il dit au n° 237, « les néophytes acquièrent une intelligence plus complète et plus fructueuse des mystères grâce avant tout à l’expérience des sacrements reçus et à la catéchèse qui l’accompagne. Ils ont en effet un cœur renouvelé, ils ont goûté plus intimement la Bonne Nouvelle de Dieu, ils sont entrés en communion avec l’Esprit Saint et ont expérimenté comme est bon le Seigneur. Dans cette expérience propre aux chrétiens et développée par leur manière de vivre, ils puisent un nouveau sens de la foi, de l’Église et du monde[3]. » Ils vivent de l’intérieur les sacrements qu’ils ont reçus, en partie grâce à l’explication qui leur en est donnée. Plus largement, le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France (n° 3, 3.5) souligne l’importance de la mystagogie, comme l’a montré Luc Mellet en introduction à L’Anthologie sur la mystagogie. Le Directoire général pour la catéchèse (n° 108) et la constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église de Vatican II (n° 1) avaient déjà fait ressortir la nécessité de la mystagogie. Mais que veut dire ce terme pour nombre de nos contemporains et comment mettre en œuvre la mystagogie ? Pour essayer d’y apporter une réponse, nous allons remonter aux sources de la mystagogie chez les Pères de l’Église.

I. La mystagogie après le baptême

Sans doute le contexte dans lequel les Pères ont développé la mystagogie est-il différent du nôtre, ils se situaient dans le cadre de la discipline de l’arcane où, d’une part, l’originalité du christianisme apparaissait face aux religions à mystères, mais où d’autre part, cette originalité – la filiation divine, la conformation au Christ et l’introduction à la vie trinitaire qui fonde la communion fraternelle – était proposée à tous mais réservée à ceux-là seuls qui s’étaient engagés sur le chemin du baptême. Il en allait de la survie et de l’affermissement du christianisme dans un empire qui avait ses propres dieux et voyait le christianisme comme un danger.

Il n’en va plus ainsi, mais il n’en est pas moins urgent de « réenchanter » le monde et la mystagogie y contribue par les symboles qu’elle utilise et par l’enjeu qui est le sien : l’introduction au mystère trinitaire[4]. Symboles et sacrements.

Les Pères ne s’y sont pas trompés. À l’issue des trois années au cours desquelles ils avaient initié les catéchumènes aux vérités fondamentales de la foi et à la lecture de l’Écriture, ils savaient qu’après avoir reçu les trois sacrements de l’initiation au cours de la Vigile pascale, tout n’était pas terminé pour les nouveaux baptisés, mais qu’il importait, au contraire, de leur faire comprendre la grandeur du don qu’ils avaient reçu, afin qu’ils en vivent pleinement.

Sur ce plan, Cyrille de Jérusalem (ou celui qui a écrit sous son nom, peut-être Jean de Jérusalem) est très clair. Il ouvre ses Catéchèses mystagogiques par ces mots : « Je désirais depuis longtemps vous entretenir de ces spirituels et célestes mystères. Mais parce que je savais fort bien qu’on se fie beaucoup mieux à la vue qu’à l’ouïe, j’attendais l’occasion présente, afin de vous trouver, après cette grande soirée, plus à même de saisir ce qu’on vous dit, et de vous conduire par la main dans la prairie lumineuse et embaumée de ce paradis. Et d’ailleurs, vous avez été constitués en état de comprendre les mystères les plus divins, qui concernent le divin et vivifiant baptême. Puisque donc désormais il faut dresser la table des enseignements de l’initiation parfaite, eh bien ! laissez-nous vous donner cette instruction exacte, afin que vous sachiez le sens de ce qui s’est passé pour vous en cette soirée baptismale[5]. » Une fois qu’ils ont fait l’expérience des sacrements, les catéchumènes sont en état d’en comprendre le sens. Dans les trois catéchèses suivantes, Cyrille de Jérusalem leur explique successivement la signification du baptême, de la chrismation et de l’eucharistie. Compte tenu de l’importance de l’eucharistie, il lui consacre les deux dernières catéchèses. L’axe de ses catéchèses est toujours le même : il en va de l’incorporation du nouveau baptisé au Christ. Par le baptême, il actualise le kérygme, il est plongé dans la mort avec le Christ pour être associé à sa résurrection ; dans la chrismation, il reçoit l’Esprit Saint qui fait de lui un autre Christ ; par l’eucharistie, il est introduit à l’admirable échange, réalisé par le Christ.

Cyrille de Jérusalem a l’avantage d’être pédagogue et d’aller à l’essentiel dans ses Catéchèses mystagogiques. Les autres Pères ont également proposé des catéchèses mystagogiques, elles sont moins célèbres que celles de Cyrille de Jérusalem, mais on peut en retenir quelques-unes : celles de Jean Chrysostome, des Cappadociens et d’Ambroise de Milan.

Dans le Traité des mystères, si tant est qu’il l’ait écrit, Ambroise de Milan donne une vision complète de la mystagogie. Comme pour Cyrille de Jérusalem, celle-ci intervient après le baptême. Ambroise s’en explique ainsi dès le début de l’ouvrage : « À présent, les circonstances nous invitent à parler des mystères et à vous donner l’explication même des sacrements. Si nous avions pensé y faire allusion avant le baptême, alors que vous n’étiez pas encore initiés, on aurait estimé que c’était de notre part commettre une trahison plutôt qu’enseigner une tradition. D’ailleurs, la lumière des mystères pénètre mieux chez ceux qui ne s’y attendent pas que si une explication quelconque les avait précédés[6] », puis il demande aux nouveaux baptisés une attitude d’ouverture, d’accueil, afin de comprendre la grâce qu’ils ont reçue pour en vivre.