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Extrait : "MADAME DE SALLUS: Oh! que vous êtes imprudent! JACQUES DE RANDOL: Ne craignez rien, on ne m'a point vu. MADAME DE SALLUS: Mais les domestiques? JACQUES DE RANDOL: Dans l'antichambre. MADAME DE SALLUS: Comment!... on ne vous a pas annoncé! JACQUES DE RANDOL: Non... on m'a ouvert la porte, simplement."
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Seitenzahl: 63
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335068474
©Ligaran 2015
M. DE SALLUS: MM. WORMS.
M. JACQUES DE RANDOL: LE BARGY.
Mme DE SALLUS: Mlle BARTET.
À Paris, de nos jours.
Cette pièce a été représentée pour la première fois, à Paris, à la Comédie-Française, le lundi 6 mars 1893.
Mme de Sallus, dans son salon, lit au coin du feu. Jacques de Randol entre sans bruit, regarde si personne ne le voit et vivement la baise sur les cheveux. Elle a un sursaut, pousse un petit cri et se retourne.
Oh ! que vous êtes imprudent !
Ne craignez rien, on ne m’a point vu.
Mais les domestiques ?
Dans l’antichambre.
Comment !… on ne vous a pas annoncé !
Non… on m’a ouvert la porte, simplement.
Mais à quoi pensent-ils ?
Ils pensent, sans doute, que je ne compte plus.
Je ne leur permettrai pas cela. Je veux qu’on vous annonce. Cela aurait mauvais air.
Ils vont peut-être se mettre à annoncer votre mari…
Jacques, cette plaisanterie est déplacée.
Pardon. Il s’assied. Attendez-vous quelqu’un ?
Oui,… probablement. Vous savez que je reçois toujours quand je suis chez moi.
Je sais qu’on a le plaisir de vous apercevoir cinq minutes, juste le temps de vous demander des nouvelles de votre santé, et puis paraît un monsieur quelconque, amoureux de vous, bien entendu, et qui attend avec impatience que le premier arrivé s’en aille.
Que voulez-vous y faire ? Du moment que je ne suis pas votre femme, il faut bien qu’il en soit ainsi.
Ah ! Si vous étiez ma femme !…
Si j’étais votre femme ?
Je vous emmènerais, pendant cinq ou six mois, loin de cette horrible ville, pour vous posséder tout seul.
Vous en auriez vite assez.
Ah ! mais non.
Ah ! mais oui.
Savez-vous que c’est très torturant d’aimer une femme comme vous.
Pourquoi ?
Parce qu’on vous aime, comme les affamés regardent les pâtés et les volailles derrière les vitres d’un restaurant.
Oh ! Jacques !…
C’est vrai. Une femme du monde appartient au monde, c’est-à-dire à tout le monde, excepté à celui à qui elle se donne. Celui-là peut la voir, toutes portes ouvertes, un quart d’heure tous les trois jours, pas plus souvent, à cause des valets. Par exception, avec mille précautions, avec mille craintes, avec mille ruses, elle le rejoint, une ou deux fois par mois, dans un logis meublé. C’est elle alors qui a juste un quart d’heure à lui accorder, parce qu’elle sort de chez Mme X…, pour aller chez Mme Z…, où elle a dit à son cocher de la prendre. S’il pleut, elle ne viendra pas, car il lui est alors impossible de se débarrasser de ce cocher. Or, ce cocher et le valet de pied, et Mme X…, et Mme Z…, et toutes les autres, tous ceux qui entrent chez elle comme dans un musée, un musée qui ne ferme pas, tous ceux et toutes celles qui mangent sa vie, minute par minute, seconde par seconde, à qui elle se doit comme un employé doit son temps à l’État, parce qu’elle est du monde, tous ces gens sont la vitre transparente et incassable qui vous sépare de ma tendresse.
Vous êtes nerveux, aujourd’hui.
Non, mais je suis affamé de solitude avec vous. Vous êtes à moi, n’est-ce pas, ou plutôt je suis à vous ; eh bien ! est-ce que ça en a l’air, en vérité ? Je passe ma vie à chercher les moyens de vous rencontrer. Oui, notre amour est fait de rencontres, de saluts, de regards, de frôlements et pas d’autre chose. Nous nous rencontrons, le matin, dans l’avenue, un salut ; nous nous rencontrons chez vous ou chez une femme quelconque, vingt paroles ; nous nous rencontrons au théâtre, dix paroles : nous dînons quelquefois à la même table, trop loin pour nous parler, et alors je n’ose même pas vous regarder, à cause des autres yeux. C’est cela s’aimer ! Est-ce que nous nous connaissons seulement ?
Alors, vous voudriez peut-être m’enlever ?
C’est impossible, malheureusement.
Alors, quoi ?
Je ne sais pas. Je dis seulement que cette vie est très énervante.
C’est justement parce qu’il y a beaucoup d’obstacles que votre tendresse ne languit point.
Oh ! Madeleine, pouvez-vous dire cela ?
Croyez-moi, si votre affection a des chances de durer, c’est surtout parce qu’elle n’est pas libre.
Vrai, je n’ai jamais vu une femme aussi positive que vous. Alors, vous croyez que si le hasard faisait que je fusse votre mari, je cesserais de vous aimer ?
Pas tout de suite, mais bientôt.
C’est révoltant, ce que vous dites !
Non, c’est juste. Vous savez, quand un confiseur prend à son service une vendeuse gourmande, il lui dit : « Mangez des bonbons tant que vous voudrez, mon enfant. » Elle s’en gorge pendant huit jours, puis elle en est dégoûtée pour le reste de sa vie.
Ah çà ! voyons, pourquoi m’avez-vous… distingué ?
Je ne sais pas,… pour vous être agréable.
Je vous en prie. Ne vous moquez pas de moi.
Je me suis dit : Voici un pauvre garçon qui a l’air très amoureux de moi. Moi, je suis très libre, moralement, ayant tout à fait cessé de plaire à mon mari depuis plus de deux ans. Or, puisque cet homme m’aime, pourquoi pas lui ?
Vous êtes cruelle.
Au contraire, je ne l’ai pas été. De quoi vous plaignez-vous donc ?
Tenez, vous m’exaspérez avec cette moquerie continuelle. Depuis que je vous aime, vous me torturez ainsi et je ne sais seulement pas si vous avez pour moi la moindre tendresse.
J’ai eu, en tous cas, des bontés.
Oh ! vous avez joué un jeu bizarre. Dès le premier jour, je vous ai sentie coquette avec moi, coquette obscurément, mystérieusement, coquette comme vous savez l’être, sans le montrer, quand vous voulez plaire, vous autres. Vous m’avez peu à peu conquis avec des regards, des sourires, des poignées de main, sans vous compromettre, sans vous engager, sans vous démasquer. Vous avez été terriblement forte et séduisante. Je vous ai aimée de toute mon âme, moi, sincèrement et loyalement. Et, aujourd’hui, je ne sais pas quel sentiment vous avez là – au fond du cœur, – quelle pensée vous avez là – au fond de la tête, – je ne sais pas, je ne sais rien. Je vous regarde et je me dis : cette femme, qui semble m’avoir choisi, semble aussi oublier toujours qu’elle m’a choisi. M’aime-t-elle ? Est-elle lasse de moi ? A-t-elle fait un essai, pris un amant pour voir, pour savoir, pour goûter, – sans avoir faim ? Il y a des jours où je me demande si, parmi tous ceux qui vous aiment, et qui vous le disent sans cesse, il n’y en a pas un qui commence à vous plaire davantage.
Mon Dieu ! il y a des choses qu’il ne faut jamais approfondir.
Oh ! que vous êtes dure ! Cela signifie que vous ne m’aimez pas.