La Pièce et le prologue - Denis Diderot - E-Book

La Pièce et le prologue E-Book

Denis Diderot

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Pièce en un acte et trente-sept scènes, "Celui qui les sert tous et n'en contente aucun", est le premier jet de "Est-il bon ? Est-il Méchant ?".

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EAN : 9782335001693

©Ligaran 2015

Personnages

MADAME DE CHEPY, amie de Mme de Malves.

MADAME BERTRAND, veuve d’un capitaine de vaisseau.

MADEMOISELLE BEAULIEU, femme de chambre de Mme de Chepy.

MONSIEUR HARDOUIN, ami de Mme de Chepy.

MONSIEUR RENARDEAU, avocat bas-normand.

MONSIEUR POULTIER, premier commis de la marine.

M. DE SURMONT, poète, ami de M. Hardouin.

BINBIN, enfant de Mme Bertrand.

PICARD, laquais.

FLAMAND, laquais.

Des Domestiques et des Enfants.

 

La scène est à Palin, dans la maison de Mme de Malves.

Scène première

MADAME DE CHEPY, MADEMOISELLE BEAULIEU, PICARD, FLAMAND.

MADAME DE CHEPY.

Picard, écoutez-moi. Je vous défends d’ici à huit jours d’aller chez votre femme ; entendez-vous ?

PICARD.

Huit jours ! c’est bien long.

MADAME DE CHEPY.

En effet, c’est fort pressé d’aller faire un gueux de plus ; comme si l’on en manquait.

PICARD, à voix basse.

Si l’on nous ôte la douceur de caresser nos femmes, qu’est-ce qui nous consolera de la dureté de nos maîtres ?

MADAME DE CHEPY.

Et vous, Flamand, retenez bien ce que je vais vous dire… Mademoiselle, la Saint-Jean n’est-elle pas dans huit jours ?

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Non, madame, c’est dans quatre.

MADAME DE CHEPY.

Miséricorde ! je n’ai pas un moment à perdre… Si d’ici à quatre jours (le terme est court), je découvre que vous ayez mis le pied au cabaret, je vous chasse. Il faut que je vous aie tous sous ma main, et que je ne vous trouve pas hors d’état de faire un pas et de dire un mot. Songez qu’il n’en serait pas cette fois comme de vendredi dernier. L’opéra fini, nous descendons, madame de Malves et moi ; nous voilà sous le vestibule : on appelle, on crie ; personne ne vient. L’un est je ne sais où ; l’autre est mort-ivre ; et, sans un galant homme qui nous prit en pitié, je ne sais ce que nous serions devenues.

PICARD.

Madame, est-ce là tout ?

MADAME DE CHEPY.

Vous, Picard, allez chez le tapissier, le décorateur, les musiciens ; soyez de retour en un clin d’œil ; et, s’il se peut, amenez-moi tous ces gens-là. Vous, Flamand… Quelle heure est-il ?

FLAMAND.

Il est midi.

MADAME DE CHEPY.

Midi ! il ne sera pas encore levé. Courez chez lui… allez donc…

FLAMAND.

Qui, lui ?

MADAME DE CHEPY.

Oh ! que cela est bête !… M. Hardouin. Dites-lui qu’il vienne, qu’il vienne sur-le-champ, que je l’attends, et que c’est pour chose importante.

Scène II

MADAME DE CHEPY, MADEMOISELLE BEAULIEU.

MADAME DE CHEPY.

Beaulieu, par hasard, sauriez-vous lire ?

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Oui, madame.

MADAME DE CHEPY.

N’avez-vous jamais joué la comédie ?

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Plusieurs fois. C’est la folie de ma province.

MADAME DE CHEPY.

Vous déclameriez donc un peu ?

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Un peu.

MADAME DE CHEPY.

Dans quelle pièce avez-vous joué ?

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Dans le Bourgeois gentilhomme, la Pupille, Cénie, le Philosophe marié.

MADAME DE CHEPY.

Et que faisiez-vous dans celle-ci ?

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Finette.

MADAME DE CHEPY.

Vous rappelleriez-vous l’endroit… là, un endroit où Finette…

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Fait l’apologie des femmes ?

MADAME DE CHEPY.

Précisément.

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Je le crois.

MADAME DE CHEPY.

Dites-le.

MADEMOISELLE BEAULIEU récite le morceau qui suit :
Soit. Mais, telles que nous sommes,
Avec tous nos défauts nous gouvernons les hommes,
Même les plus huppés, et nous sommes l’écueil
Où viennent échouer la sagesse et l’orgueil.
Vous ne nous opposez que d’impuissantes armes ;
Vous avez la raison, et nous avons les charmes.
Le brusque philosophe, en ses sombres humeurs,
Vainement contre nous élève ses clameurs ;
Ni son air renfrogné, ni ses cris, ni ses rides,
Ne peuvent le sauver de nos yeux homicides.
Comptant sur sa science et ses réflexions,
Il se croit à l’abri de nos séductions :
Une belle paraît, lui sourit et l’agace ;
Crac… au premier assaut, elle emporte la place.
MADAME DE CHEPY.

Mais pas mal ; point du tout mal.

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Est-ce que madame se proposerait de faire jouer une pièce ?

MADAME DE CHEPY.

Tout juste.

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Oserai-je, madame, vous en demander le titre ?

MADAME DE CHEPY.

Le titre ! je ne le sais pas. Elle n’est pas faite.

MADEMOISELLE BEAULIEU.

On la fait apparemment.

MADAME DE CHEPY.

Non. Je cherche un auteur.

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Madame ne sera embarrassée que du choix ; elle en a cinq ou six autour d’elle.

MADAME DE CHEPY.

Si vous saviez combien ces animaux-là sont quinteux. Chacun d’eux aura sa défaite.

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Mais j’avais ouï dire que c’était une chose difficile à faire qu’une pièce.

MADAME DE CHEPY.

Oui, comme on les faisait autrefois.

Scène III

MADAME DE CHEPY, MADEMOISELLE BEAULIEU, PICARD, en clopinant.

MADAME DE CHEPY.

Et vous revenez sans m’amener personne ?

PICARD, se frottant la jambe.

Ahi ! ahi !

MADAME DE CHEPY, en clopinant aussi.

Ahi ! ahi ! il s’agit bien de cela. Mes ouvriers ?

PICARD.

Je ne les ai pas vus. Il y a quatre marches à la porte du tapissier ; j’ai voulu les enjamber toutes quatre à la fois ; le pied m’a tourné et je me suis donné une bonne entorse. Ahi ! ahi !

MADAME DE CHEPY.

Peste soit du sot et de son entorse. Qu’on fasse venir Valdajou, et qu’il voie à cela.

Scène IV

MADAME DE CHEPY, MADEMOISELLE BEAULIEU.

MADAME DE CHEPY.

Ces contrariétés-là ne sont faites que pour moi. Au lieu de se donner une entorse aujourd’hui, que ne se cassait-il la jambe dans quatre jours !

MADEMOISELLE BEAULIEU.

Mais puisque madame n’a point de pièce, et qu’elle ne sait pas même si elle en aura une, il me semble…

MADAME DE CHEPY.

Il vous semble ! Il me semble qu’il faudrait se taire ; je n’aime pas qu’on me raisonne. Je sais toujours ce que je fais.

MADEMOISELLE BEAULIEU, bas.

Et ce que vous dites.

Scène V

MADAME DE CHEPY, MADEMOISELLE BEAULIEU, FLAMAND, ivre, avec un mouchoir autour de la tête.

FLAMAND.

Madame, je viens… c’est, je crois, de chez M. Hardouin… Oui, M. Hardouin… là, au coin de la rue… de la rue qu’elle m’a dite… Il demeure diablement haut, et son escalier était diablement difficile à grimper… un petit escalier étroit (En se dandinant comme un homme ivre) ; à chaque marche on touche la muraille et la rampe… J’ai cru que je n’arriverais jamais… j’arrive pourtant… Parlez donc, mademoiselle, cette porte, n’est-elle pas celle de monsieur ? Qui, monsieur ? me répond une petite voisine… Jolie, pardieu, très jolie ! Un monsieur qui fait des bouteilles… Des vers, vous voulez dire ?… Des vers, des bouteilles, qu’importe… Oui, c’est là : frappez ; mais frappez fort. Il est rentré tard, et je crois qu’il dort.

MADAME DE CHEPY.

Maudite brute, archibrute, finiras-tu ton bavardage ? Viendra-t-il ? ne viendra-t-il pas ?

FLAMAND.

Mais, madame, il n’est pas encore éveillé ; il faut d’abord que je l’éveille. Je me dispose à donner un grand coup de pied… et voilà la tête qui part la première, et la porte jetée en dedans, et moi étendu à la renverse… Et voilà le faiseur de bouteilles ou de vers qui s’élance de son lit, en chemise, écumant de rage, sacrant, jurant… avec une grâce ! Au demeurant, bon homme, il me relève… Mon ami, ne t’es-tu point blessé ?… Voyons ta tête.

MADAME DE CHEPY.

Finis, finis, finis. Que t’a-t-il dit ? que lui as-tu dit ?

FLAMAND.

Est-ce que madame ne pourrait pas faire ses questions l’une après l’autre ?… Je lui ai dit que madame… madame… comme vous vous appelez… là, votre nom.

MADAME DE CHEPY.

Sortez, vilain ivrogne.

FLAMAND.

Moi, Flamand, un ivrogne !… Parce que je rencontre mon compère, celui qui a tenu le dernier enfant de ma femme… Oui, de ma femme… il est bien d’elle… Et puis voilà un autre compère, le compère Lahaye… comment résister à deux compères ?

MADAME DE CHEPY.

Je les chasserai tous, cela est décidé.

FLAMAND.

Si madame est si difficile, elle n’en gardera point.

MADAME DE CHEPY.