57,99 €
Comme le rappelait le Doyen Carbonnier, à propos de la locution latine Idem est non esse aut non probari, « Les droits sont comme s’ils n’existaient pas s’ils ne peuvent être prouvés ».
Cette citation traduit les difficultés auxquelles se trouvent quotidiennement confrontés le justiciable et les nombreux praticiens du droit (avocats, magistrats, compagnies d’assurances, etc.) amenés à démontrer la véracité de leurs prétentions.
À travers cinq disciplines juridiques, cet ouvrage a pour ambition de faire le point, d’une part, sur les moyens de preuve mis à la disposition des susdits acteurs (licéité et recevabilité, force probante) et, d’autre part, sur les questions suscitées par la charge de la preuve. Seront ainsi abordés le droit pénal, le droit social, le droit commercial, le droit des assurances et le droit des nouvelles technologies.
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 466
Veröffentlichungsjahr: 2015
RECYCLAGE EN DROIT Centre des Facultés universitaires catholiques pour le recyclage en droit
Sous la coordination de Bérénice FOSSÉPREZ et Audrey PÜTZ Ilheme BEKHOUCHE Nathalie COLETTE-BASECQZ Bérénice FOSSÉPREZ Hervé JACQUEMIN Ludivine KERZMANN Dominique MOUGENOT Audrey PÜTZ Karen ROSIER
© 2013, Anthemis s.a. Place Albert I, 9, B-1300 Limal Tél. 32 (0)10 42 02 90 - [email protected] - www.anthemis.be
Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit, réservées pour tous pays.
Dépôt légal : D/2013/10.622/91 ISBN : 978-2-87455-808-5
Mise en page : Michel Raj ePub : ebookme
Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Les dernières évolutions concernant les preuves irrégulières en matière pénale
Nathalie COLETTE-BASECQZ et Ilheme BEKHOUCHE
Droit social et recevabilité de la preuve: quelques réflexions sur l’évolution de la jurisprudence en la matière
Karen ROSIER
La preuve en matière commerciale
Hervé JACQUEMIN et Ludivine KERZMANN
La preuve en droit des assurances ou le paradigme du clair-obscur
Bérénice FOSSÉPREZ et Audrey PÜTZ
La preuve et les nouvelles technologies
Dominique MOUGENOT
Table des matières
Nathalie COLETTE-BASECQZ
Chargée de cours à l’Université de Namur Avocate au barreau de Nivelles
Ilheme BEKHOUCHE
Juriste au service d’études d’AVOCATS.BE
1. Le sort des preuves illégales et irrégulières en matière pénale, s’il a déjà fait couler beaucoup d’encre en jurisprudence et en doctrine, continue à faire débat. En effet, les questions qu’il suscite sont délicates et illustrent l’équilibre difficile à maintenir, en procédure pénale, entre l’efficacité de l’enquête et le respect des libertés et droits individuels.
Rappelons que les preuves illégales sont celles obtenues en violation de la loi (par exemple, des actes expressément interdits par la loi). Quant aux preuves irrégulières, sans être illégales, elles consistent en des actes inconciliables avec les règles substantielles de la procédure pénale ou avec les principes généraux du droit, dont les droits de la défense1.
Le dixième anniversaire de l’arrêt Antigone, qui a introduit un véritable bouleversement dans le domaine de la preuve2, est l’occasion de nous pencher sur les évolutions observées tant dans la jurisprudence qu’au niveau des initiatives parlementaires.
2. Dans un premier temps, nous dresserons l’état des lieux de la jurisprudence de la Cour de cassation, de la Cour constitutionnelle et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ensuite, nous commenterons la manière selon laquelle la loi du 9 décembre 2004 sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale a intégré la jurisprudence Antigone dans les dispositions qui réglementent le sort des preuves irrégulières. Cette loi a constitué une forte source d’inspiration pour le législateur dans les perspectives de réforme. Ces dernières seront présentées dans la troisième partie de notre contribution.
3. Le célèbre arrêt Antigone, rendu par la Cour de cassation le 14 octobre 20033, a introduit un spectaculaire revirement de jurisprudence4, faisant de l’exclusion des preuves illégales ou irrégulières5 une exception et non plus une règle générale, comme c’était le cas auparavant lorsque les cours et tribunaux écartaient les éléments de preuve entachés d’illégalité ou d’irrégularité ainsi que toutes les preuves qui en découlaient directement ou indirectement6.
L’arrêt Antigone porte le nom de l’opération policière à l’origine des faits de la cause. Il concerne une fouille illicite d’un véhicule par la police ayant mené à la découverte d’un pistolet chargé dont le numéro de série avait été limé. La preuve de l’infraction, quoique irrégulièrement recueillie, a toutefois été prise en considération pour fonder la condamnation pénale du prévenu.
Désormais, trois critères permettent l’exclusion des preuves illicites, à savoir les violations de formes prescrites à peine de nullité, l’atteinte à la fiabilité de la preuve et les preuves irrégulières dont l’usage est contraire au droit à un procès équitable7.
La question de savoir si le juge est encore habilité à exclure une preuve irrégulière en dehors des trois critères de la jurisprudence Antigone n’est pas dénuée d’ambiguïté. Dans l’arrêt du 14 octobre 2003, la Cour de cassation avait pris soin de faire précéder l’énoncé des trois cas d’exclusion de la preuve obtenue irrégulièrement de la locution « en règle »8, ce qui pouvait laisser la porte ouverte à d’autres hypothèses d’exclusion. Il en va de même dans l’arrêt Manon du 2 mars 2005 par l’utilisation de l’adverbe « notamment »9. Nous verrons que la Cour a complété elle-même sa jurisprudence en énonçant des circonstances que le juge peut prendre en compte en vue de déterminer si la preuve recueillie irrégulièrement est admissible. Quid si le juge écarte une preuve irrégulière en se fondant sur l’une de ces circonstances en dehors des trois hypothèses de la jurisprudence Antigone? Dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour de cassation semble considérer que les éléments de preuve irrégulièrement recueillis ne devraient pas être écartés des débats lorsque l’irrégularité ne répond pas aux trois critères Antigone10.
4. De façon plus précise, que recouvrent ces trois hypothèses d’exclusion des preuves irrégulières?
La violation d’une forme prescrite à peine de nullité ne peut se rencontrer que dans les rares cas où le législateur sanctionne de nullité l’inobservation de certaines formalités11. Cela vise notamment le respect de la loi concernant l’emploi des langues en matière judiciaire (article 40 de la loi 15 juin 1935), les écoutes téléphoniques (article 90quater, § 1er, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle), les auditions de témoins sous couvert d’anonymat complet (articles 86bis, § 4, et 86ter, dernier alinéa, du Code d’instruction criminelle), la prestation de serment des témoins entendus à l’audience (articles 155 et 295 du Code d’instruction criminelle) et la saisie immobilière (article 35bis du Code d’instruction criminelle).
La Cour de cassation, dans un arrêt récent, semble avoir ajouté au test Antigone un nouveau critère d’exclusion des preuves irrégulières, dans le cas de violations de formalités substantielles, bien que non prescrites à peine de nullité par la loi, et qui sont relatives à l’organisation judiciaire. Dans un arrêt du 24 avril 201312 concernant l’infraction de traite des êtres humains, le prévenu s’est prévalu de la nullité de la preuve découlant d’une visite domiciliaire réalisée avec l’autorisation d’un juge non habilité par la loi. La Cour a estimé que, dans ce cas, l’irrégularité est substantielle dès lors qu’elle touche à l’organisation des cours et tribunaux au point de vue de la répartition de leurs attributions respectives, précisant qu’une telle irrégularité n’est pas de celles que le juge pourrait refuser de sanctionner au motif qu’aucun texte ne commine la nullité, que la preuve reste fiable ou que son utilisation ne compromet pas le caractère équitable du procès. Elle a dès lors cassé la décision des juges d’appel qui avaient admis la preuve irrégulière.
Cet arrêt rejoint la distinction prônée par Jean de Codt13 selon que les formalités substantielles touchent ou non à l’organisation des cours et tribunaux. Selon l’auteur, seules les violations des premières seraient sanctionnées de nullité. Il cite plusieurs exemples, dont le cas du juge d’instruction qui accomplit un acte dans une cause où il est intervenu précédemment comme magistrat du ministère public, d’une instruction ouverte sur dénonciation de l’inspection spéciale des impôts sans autorisation préalable du directeur régional, etc. En ce qui concerne les violations d’une forme substantielle ne touchant pas à l’organisation judiciaire, leur sanction dépendrait du contexte de la violation, de son objet et de son incidence sur le droit à un procès équitable14.
L’ajout de ce nouveau critère fondé sur les formalités substantielles qui touchent à l’organisation des cours et tribunaux n’est pas sans incidence sur la cohérence de la jurisprudence Antigone elle-même. Comme l’a relevé l’Avocat général Damien Vandermeersch dans ses conclusions contraires précédant l’arrêt du 24 avril 2013 de la Cour de cassation, « une telle position risque de déboucher sur une situation paradoxale en matière de perquisitions : une visite domiciliaire illégale parce que réalisée par des inspecteurs sociaux sans le mandat ou l’autorisation d’un juge, pourrait être “sauvée” par la jurisprudence dite Antigone tandis qu’une perquisition ordonnée ou autorisée par un juge, mais irrégulière parce que ce juge s’avérerait incompétent, serait irrémédiablement inadmissible ».
Laurent Kennes souligne que « […] sur un débat aussi sensible, il ne faut pas négliger que la décision intervenue a été prononcée par la deuxième chambre francophone de la Cour de cassation, et non par les chambres réunies. Rien n’indique que la section néerlandophone adoptera une même position, et cela, même si, de manière générale, la Cour a le souci d’adopter au fil du temps une position cohérente. »15
Sans attendre cet arrêt, une partie importante de la doctrine a mis en avant que, s’agissant de formalités essentielles à l’administration d’une bonne justice, elles devraient être assimilées aux formalités prescrites à peine de nullité et entraîner la nullité de la preuve16. À l’appui de ce raisonnement, il a été notamment rappelé que la Cour de cassation vérifie si les formalités « substantielles ou prescrites à peine de nullité » ont été observées.
L’atteinte à la fiabilité de la preuve recouvre les hypothèses où l’irrégularité commise entache la valeur intrinsèque de la preuve. Il s’agirait, par exemple, du recours à l’hypnose, à la violence ou à la privation d’aliments ou de repos, ou à des procédés déloyaux pour extorquer un aveu17, ou encore de méthodes particulières de recherche non soumises au contrôle de la chambre des mises en accusation18.
Plusieurs auteurs19 ont fait observer, à bon escient, que cette question relève davantage de l’appréciation de la valeur probante d’une preuve20 que de sa régularité. Un élément de preuve dépourvu de valeur probante doit être écarté par le juge, peu importe qu’il ait été recueilli de manière régulière ou non.
En outre, comme le souligne Karen Rosier, « la question de la fiabilité n’est pas fondamentalement distincte de la préoccupation du droit au respect à un procès équitable, qui ne se limite pas à la phase du procès, mais également à la manière dont les preuves sont recueillies »21. À l’appui de ce constat, elle cite l’arrêt de la Cour de cassation du 3 octobre 2012, où il est précisé que « le droit au procès équitable s’apprécie par rapport à l’ensemble de la procédure, en recherchant si les droits de la défense ont été respectés, en examinant si la personne poursuivie a eu la possibilité de contester l’authenticité des preuves et de s’opposer à leur utilisation, en vérifiant si les circonstances dans lesquelles les éléments à charge ont été obtenus jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude, et en évaluant l’influence de l’élément de preuve obtenu irrégulièrement sur l’issue de l’action publique »22. Il semble, en effet, en résulter que l’atteinte à la fiabilité de la preuve peut être prise en compte au niveau de l’appréciation du respect du droit à un procès équitable.
Quant à l’atteinte au droit à un procès équitable, qui est la plus souvent invoquée par la défense, elle s’apprécie à l’aune de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, compte tenu de l’ensemble des éléments de la cause, de la manière selon laquelle la preuve a été recueillie et des circonstances dans lesquelles l’irrégularité a été commise23.
Comme exemple, nous pouvons citer une perquisition réalisée sur la base d’un mandat dont la motivation est tellement lacunaire qu’il est impossible d’en contrôler l’exécution ou une saisie d’objets en l’absence d’inventaire permettant de la contester24.
Nous rejoignons l’opinion d’Adrien Masset selon laquelle « il peut être déploré que le seul guide pour le magistrat soit la notion de procès équitable, notion floue de la procédure pénale par excellence, et à la consistance éminemment variable selon que la réflexion se fait par le prévenu, le ministère public et enfin le magistrat »25.
5. Le sort des preuves irrégulières en application du test Antigone relève de l’appréciation souveraine du juge du fond26, « pour autant que les circonstances sur lesquelles le juge se fonde soient de nature à justifier sa décision »27.
Afin d’aider le juge dans cette appréciation, la Cour de cassation a donné certaines indications lui permettant de déterminer si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Ainsi, le juge est rendu attentif notamment au mode d’obtention de la preuve et aux circonstances de l’illicéité28. Lors de son examen des éléments de la cause, le juge peut avoir égard aux circonstances suivantes :
le fait que l’autorité chargée de l’information, de l’instruction et de la poursuite des infractions ait ou non commis intentionnellement l’acte illicite;la circonstance que l’illicéité commise soit sans commune mesure avec la gravité de l’infraction dont l’acte irrégulier a permis la constatation;le fait que la preuve obtenue illicitement ne concerne qu’un élément matériel de l’existence de l’infraction.Selon la Cour de cassation elle-même, le fait que le juge ne prenne pas en considération l’ensemble des circonstances citées ne rend pas, en tant que tel, sa décision irrégulière29.
6. Dans l’arrêt Manon30, en 2005, la chambre francophone de la Cour de cassation s’est ralliée à la jurisprudence de 2003 de la chambre néerlandophone, faisant siens les critères de l’arrêt Antigone. Les faits portaient sur la constatation d’un vol sur un lieu de travail au moyen de vidéosurveillance. Dans cet arrêt, la Cour a ajouté que le juge, pour décider qu’il y a lieu d’admettre des éléments irrégulièrement produits, peut prendre en considération notamment le fait que cette irrégularité soit sans incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée.
Dans un arrêt du 10 mars 2008, la Cour de cassation a précisé que « sauf en cas de violation d’une formalité prescrite à peine de nullité, une telle preuve ne peut être écartée que si elle a été recueillie d’une manière qui est entachée d’un vice préjudiciable à sa crédibilité ou qui porte atteinte au droit à un procès équitable. Le juge qui procède à cette appréciation est tenu d’avoir égard à tous les éléments de la cause. Ainsi, il peut tenir compte, notamment, du caractère purement formel de l’irrégularité, de l’absence de conséquence du vice invoqué sur le droit ou la liberté protégés par la règle violée, de la circonstance que l’irrégularité imputée aux services de police ou au plaignant n’est pas intentionnelle, du fait que la preuve illicitement recueillie porte uniquement sur un élément matériel de l’infraction ou encore de la circonstance que l’irrégularité qui a précédé ou contribué à la constatation de l’infraction est hors de proportion avec la gravité de celle-ci. »31 La Cour de cassation a censuré l’arrêt attaqué au motif que les juges d’appel ont refusé d’apprécier l’admissibilité de la preuve « à la lumière des critères ou circonstances précités » (nous soulignons).
Notons que ces « circonstances » énumérées par la Cour de cassation dans l’arrêt précité ne sont pas toutes reprises dans les différentes décisions qui font application du test Antigone. Elles sont parfois aussi désignées dans des termes sensiblement différents visant un rapport de proportionnalité entre l’illicéité commise et la gravité de l’infraction constatée.
7. Nous pouvons nous demander si ces circonstances censées aider le juge dans son évaluation sont ou non d’un éclairage utile sur l’atteinte au droit à un procès équitable.
La première circonstance relative à l’illicéité commise intentionnellement ne paraît pas constituer un critère adéquat pour le juge qui statue sur le sort à réserver à une preuve recueillie irrégulièrement.
Cette circonstance peut faire penser à la jurisprudence de la Cour de cassation de 1990 par laquelle elle avait estimé que l’exclusion de la preuve illicite dépendait de la qualité et des intentions de la personne qui se trouvait à l’origine de l’illégalité ou de l’irrégularité commise32.
Cela étant, il s’agit d’un critère qui n’est pas susceptible de faire pencher à lui seul l’appréciation du juge vers un rejet de la preuve. En effet, selon l’interprétation de la Cour de cassation elle-même, la circonstance que l’autorité poursuivante ait commis l’illicéité intentionnellement pour obtenir une preuve ne doit pas nécessairement mener à l’exclusion de cette preuve33. Par ailleurs, la Cour de cassation a admis qu’une irrégularité commise non intentionnellement mais de manière inexcusable par des policiers pouvait tout de même conduire le juge à exclure les preuves en résultant34. À la lumière de ce qui précède, nous partageons dès lors les réserves de plusieurs auteurs quant à la pertinence d’un tel critère35.
Quant à la deuxième circonstance qui vise la proportionnalité entre la gravité de l’illicéité de l’acte et celle de l’infraction constatée, elle appelle également des réflexions critiques. En premier lieu, la condition de proportionnalité se retrouve dans plusieurs dispositions légales régissant le recours à certains modes de preuve plus attentatoires aux libertés fondamentales (notamment les perquisitions et les écoutes téléphoniques). Il est ainsi déjà tenu compte de la gravité des infractions pour lesquelles ces modes de preuve peuvent être utilisés. Ensuite, la justification fondée sur la gravité importante de l’infraction laisse perplexe s’agissant du droit à un procès équitable. Comme le relèvent à bon escient Henri D. Bosly, Damien Vandermeersch et Marie-Aude Beernaert, « la Cour européenne paraît d’ailleurs prendre position à l’encontre d’un tel critère lorsqu’elle affirme que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques »36. Et de constater que dans l’affaire dite de la « KBLux », nonobstant la gravité de l’infraction constatée (la fraude fiscale), les poursuites ont été déclarées irrecevables, car il a été jugé que l’enquête relative aux faits de fraude fiscale fut, dès son origine, menée de manière déloyale37, de telle manière que les prévenus furent irrémédiablement privés de leur droit à un procès équitable38. De plus, comme le souligne Franklin Kuty, l’appréciation de cette circonstance « conduira à l’occasion le juge à admettre la commission d’infractions ou la méconnaissance de dispositions procédurales dans le chef des forces de l’ordre et à les couvrir, ce qui ne va pas sans poser quelque question du point de vue éthique ou moral »39.
La troisième circonstance porte sur le fait que l’illicéité ne concerne qu’un élément matériel de l’existence de l’infraction sans établir par elle-même la culpabilité du prévenu40. Par exemple, si le cadavre d’un homme assassiné est trouvé lors d’une visite domiciliaire illicite réalisée dans le cadre d’infractions relatives aux stupéfiants, la preuve ne porterait que sur la matérialité du crime41. Ainsi compris, ce critère se rapproche de la distinction que la Cour de cassation opérait précédemment entre la dénonciation (c’est-à-dire la communication du délit qui pouvait elle-même résulter d’une infraction) et la preuve de celle-ci (rapportée ultérieurement de façon tout à fait licite par une personne autre que le dénonciateur)42. Comme le relève Franklin Kuty, « ce critère est sans doute le plus nébuleux » et il serait heureux que la Cour en explicite le fondement et en précise la portée43.
Quant au fait que l’irrégularité commise soit sans incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée, ou le caractère purement formel de l’irrégularité, force est toutefois d’admettre que, dans pareil cas, il peut s’agir d’un élément d’appréciation utile, se rapprochant de l’adage civil « pas de nullité sans grief »44. Le projet contenant le Code de procédure pénale s’inscrivait dans le même sens en prévoyant que les nullités qui ne sont pas d’ordre public ne soient prononcées que si l’omission ou l’irrégularité dénoncée a nui aux intérêts de la partie qui l’invoque ou à l’équité de la procédure45.
Signalons aussi, en matière de chasse, un arrêt du 18 octobre 200546 par lequel la Cour d’appel de Liège a confirmé la recevabilité des poursuites dans une cause où l’irrégularité commise dans l’enquête judiciaire pour effectuer des constatations sur un territoire de chasse sans réquisitions préalables n’a pas porté atteinte à la vie privée des prévenus et n’a pas entravé leur droit de contredire librement les éléments produits à leur charge. La cour d’appel a ainsi estimé que leur droit à un procès équitable n’a été en rien compromis.
En conclusion, l’énoncé des circonstances susmentionnées par la Cour de cassation ne nous semble pas être d’un apport déterminant pour le juge amené à décider de l’écartement ou non de preuves irrégulières.
Par ailleurs, il ressort de cette jurisprudence Antigone que les cas où les preuves irrégulières seront écartées des débats risquent malheureusement de se raréfier47.
Or, dans ses conclusions précédant l’arrêt Manon du 2 mars 200548, l’Avocat général Damien Vandermeersch avait déjà souligné l’importance de fixer des balises supplémentaires en ce qui concerne la violation des droits et libertés fondamentaux : « Il est […] des libertés et des droits fondamentaux dont on ne peut relativiser les violations sous peine de les banaliser : dans ces hypothèses, seule l’exclusion de la preuve peut venir sanctionner adéquatement l’irrégularité commise. Je songe ici notamment à la preuve recueillie suite à une perquisition ou une écoute illégale, à la preuve obtenue en violation du secret professionnel, du droit au silence ou des droits de la défense et à la preuve qui n’a pas été soumise au principe du contradictoire. Comme la protection de ces droits ne s’identifie pas nécessairement au droit à un procès équitable, il me paraît essentiel de poser ici une balise supplémentaire : la preuve devrait être exclue en cas de violation des libertés et droits fondamentaux lorsque la valeur protégée (secret professionnel, inviolabilité du domicile…) représente, dans une société démocratique, une valeur supérieure à celle de l’efficacité de la justice pénale […]. »
S’agissant des preuves recueillies en violation du secret professionnel, rappelons qu’elles sont en principe sans valeur49, sauf à admettre un état de nécessité ou une autorisation par l’article 458bis du Code pénal50 justifiant cette violation.
En observant la tendance croissante de recourir à des méthodes d’enquête illégales, nous pouvons nous demander comment dissuader les forces de police de recourir à des moyens de preuve illégaux si, in fine, la procédure ayant mené à une condamnation fondée sur ces éléments passe tout de même pour équitable, nonobstant la violation d’autres droits garantis par la Convention (dont le droit au respect de la vie privée)51.
8. Adrien Masset a analysé les jugements et arrêts rendus sur huit années d’application du test Antigone52. Les situations dans lesquelles a été soulevée une irrégularité de la preuve sont diverses : fouilles de personnes53 et de véhicule54, déclarations faites sous serment par un coïnculpé entendu à l’étranger dans le cadre d’une commission rogatoire internationale55, surveillance par caméras56, perquisitions et visites domiciliaires57, identification par analyse ADN58, écoutes téléphoniques59, poursuites transfrontalières illégales60, usage d’une arme à feu de service61, intervention de tiers au moyen d’une voiture équipée de caméras afin de constater des infractions de roulage62, mandat de perquisition63, utilisation d’un courrier confidentiel entre avocats64 et de la correspondance échangée entre un avocat et son client65, présence d’un caméraman lors d’un devoir d’instruction66, recours à des agents infiltrants67, observations systématiques de personnes et de lieux68, recherches informatiques69, auditions vidéo filmées70, déclarations auto-incriminantes faites en garde à vue sans l’assistance effective d’un avocat71, etc.
En conclusion de cette analyse de jurisprudence, l’auteur constate que l’assise juridique du test Antigone est définitivement acquise, faisant des principes de légalité et de loyauté une obligation de moyen et non plus de résultat72.
9. Les critères d’appréciation des preuves irrégulières qui se dégagent de la jurisprudence Antigone s’imposent non seulement aux juridictions de jugement, mais aussi aux juridictions d’instruction. Ainsi, la chambre du conseil, dans le cadre du règlement de procédure, en tiendra compte lorsqu’elle constate une irrégularité affectant l’obtention de la preuve. De même, la chambre de mises en accusation devra veiller à s’y conformer lorsqu’elle contrôle la régularité de la procédure73. À défaut, la Cour de cassation exercera sa censure à l’égard d’une décision « qui écarte une preuve illégale, par exemple une perquisition irrégulière, sans s’interroger au préalable, en fonction des critères énoncés ci-dessus, sur l’incidence de l’irrégularité sur le droit à un procès équitable »74-75. Nous remarquons le malaise engendré par cette situation où la Cour suprême, de laquelle émane ce revirement de jurisprudence, exerce elle-même un contrôle sur le respect des critères qu’elle a instaurés, mais qui ne résultent pas de la loi…
10. Lorsque le prévenu allègue de façon crédible, sans que cela ne soit infirmé par la partie poursuivante, l’illégalité ou l’irrégularité d’un moyen de preuve ou lorsqu’il demeure un doute à ce propos, le juge qui constate que les éléments qui lui sont soumis sont insuffisants pour examiner le caractère illégal ou irrégulier du moyen de preuve peut le déclarer légitimement inadmissible76.
11. Selon les règles régissant l’administration de la preuve, le juge écarte des débats une preuve illégale ou irrégulière considérée comme devant être exclue selon les critères du test Antigone, ainsi que tous les actes d’information ou d’instruction qui en sont la conséquence directe77; le juge peut toutefois se prononcer sur la base d’autres éléments de preuve soumis à la libre discussion des parties et non affectés d’un vice. La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 mars 201078, a précisé que l’exclusion de moyens de preuve en raison de leur illégalité ou irrégularité ou de l’impossibilité d’en examiner la légalité ou la régularité n’implique pas l’irrecevabilité de l’action publique, ajoutant que l’action publique et le droit de l’exercer trouvent leur origine dans la commission de l’infraction elle-même, indépendamment de la manière dont elle est ultérieurement exercée et de la façon de recueillir des preuves. En l’espèce, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers qui avait conclu à l’irrecevabilité des poursuites en raison du refus du ministère public de joindre au dossier, sur invitation de la cour, les pièces relatives à la procédure menée à l’étranger ayant conduit à des écoutes téléphoniques. Dans le même sens, la Cour de cassation a jugé que l’irrégularité de la preuve, due au fait qu’un prévenu a fait des déclarations sans l’assistance d’un avocat ou en violation du devoir d’information, ne donne pas lieu à l’irrecevabilité de l’action publique79.
12. L’élément de preuve illégal ou irrégulier peut néanmoins être utilisé à décharge par le prévenu, en vertu du respect des droits de la défense80. Ainsi, les pièces d’un dossier disciplinaire ou la décision d’un organe disciplinaire, si elles doivent être exclues des débats, pourraient toutefois être produites par le prévenu à l’appui de sa défense81.
13. Quant à la portée de cette jurisprudence Antigone, il a été relevé par la Cour de cassation que de la circonstance qu’une preuve obtenue irrégulièrement ne doive pas nécessairement être écartée, il ne résulte pas que le juge puisse déclarer légal un acte d’instruction qui, éventuellement, ne le serait pas82.
14. Dans un arrêt du 20 septembre 2006, la Cour de cassation83, tout en admettant qu’un juge d’instruction qui a publiquement pris attitude sur la culpabilité d’un inculpé devant une commission parlementaire perd son aptitude à assumer de manière impartiale la responsabilité de l’instruction à charge et à décharge, a cependant estimé qu’il ne s’en déduit pas que tous les actes accomplis par ce magistrat soient nécessairement nuls. Il en résulte que la chambre des mises en accusation peut considérer que le maintien provisoire dans le dossier de la procédure des actes accomplis par le juge d’instruction après sa prise de position sur la culpabilité de l’inculpé n’est pas de nature, à lui seul, à rendre impossible un examen équitable de l’ensemble de la cause par la juridiction de jugement. En cette cause, la Cour a rappelé les critères du test Antigone. Outre le cas de la violation d’une forme prescrite à peine de nullité, l’acte irrégulier doit être écarté lorsque l’irrégularité ôte à la preuve sa crédibilité ou sa fiabilité, ou lorsqu’elle compromet le droit à un procès équitable. À la lecture de cet arrêt, nous pouvons nous demander, avec Olivier Klees, si la Cour de cassation ne permet pas une « réparation » a posteriori des manquements du juge d’instruction à son devoir d’impartialité84.
Par ailleurs, cet arrêt met en exergue l’importance pour la défense de développer ses arguments de manière complète en application des critères du test Antigone. En effet, en l’espèce, la Cour de cassation a relevé que le demandeur n’a pas soutenu dans ses conclusions d’appel et que le moyen n’allègue pas que les actes d’instruction, dont il dénonce le maintien au dossier et sur la régularité desquels les juges d’appel avaient à statuer, constitueraient le soutènement de la décision relative aux charges retenues à son égard. Dans le même sens, dans un arrêt du 17 mars 201085, la Cour de cassation a précisé que « à supposer que la preuve des faits ait été recueillie en violation des dispositions précitées de la loi du 8 décembre 1992, le demandeur n’a pas soutenu devant les juges d’appel et ne soutient pas devant la Cour que cette irrégularité a compromis son droit à un procès équitable, entaché la fiabilité de la preuve ou méconnu une formalité prévue à peine de nullité ».
15. La question de la régularité de la preuve doit être distinguée de celle de la force probante des éléments de preuve irrégulièrement recueillis. En effet, un élément de preuve régulièrement obtenu peut être dépourvu de force probante. De même, celle-ci peut également faire défaut dans certains cas où la preuve a été recueillie de manière irrégulière.
Par ailleurs, le législateur peut décider d’ôter toute force probante à des éléments de preuve recueillis de façon irrégulière. Il en va ainsi des déclarations auto-incriminantes faites en méconnaissance du droit à l’information sur le droit au silence, à la concertation confidentielle préalable avec l’avocat ou à l’assistance de l’avocat. La loi Salduz du 13 août 201186 a ajouté à l’article 47bis du Code d’instruction criminelle un paragraphe 6 en vertu duquel « aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le (seul) fondement des déclarations qu’elle a faites en violation des §§ 2, 3 et 5 à l’exclusion du § 4, en ce qui concerne la concertation confidentielle préalable ou l’assistance d’un avocat au cours de l’audition »87. La Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 14 février 201388, a annulé dans cet article 47bis, § 6, le mot « seul ». Elle a estimé qu’ « en permettant que des déclarations auto-incriminantes recueillies en violation du droit à l’assistance d’un avocat89 soient utilisées pour fonder une condamnation, fût-ce en combinaison avec d’autres éléments de preuve, la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme »90. Il en résulte que même si ces déclarations sont corroborées par d’autres éléments de preuve régulièrement obtenus, elles ne pourront en aucun cas fonder une condamnation pénale.
En cela, la Cour constitutionnelle rejoint la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme91 en vertu de laquelle la prise en considération de ces preuves viole l’article 6 de la Convention, même si elles sont confortées par d’autres preuves corroborantes.
16. La jurisprudence Antigone n’est pas applicable dans les matières où la preuve pénale est spécialement réglementée (analyses ADN, écoutes téléphoniques, contrôle de l’alcoolémie, contrôle de vitesse, etc.)92, lorsque l’irrégularité provient du non-respect de conditions ou formalités strictes édictées pour garantir la valeur intrinsèque de la preuve. Dans ce cas, la preuve obtenue en violation de ces règles ne peut être admise93.
17. La Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 22 décembre 201094 rendu sur recours préjudiciel, a estimé que la jurisprudence Antigone n’était pas contraire aux dispositions constitutionnelles. Elle avait été saisie de questions préjudicielles relatives à l’article 34, § 1er, alinéa 2, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police.
Le prévenu qui invoquait l’illégalité du contrôle d’identité dont il avait fait l’objet soutenait que la jurisprudence Antigone est discriminatoire, en ce qu’une distinction injustifiable est créée entre, d’une part, les dispositions pour lesquelles le législateur a prévu – sciemment ou non – la sanction de la nullité (dont la méconnaissance conduit toujours à la nullité, de sorte qu’il existe une sécurité juridique sur ce point) et, d’autre part, les dispositions pour lesquelles le législateur n’a pas prévu – sciemment ou non – la sanction de la nullité (la sanction étant laissée à l’appréciation du juge, de sorte qu’il n’existe pas de sécurité juridique sur ce point)95.
La Cour constitutionnelle a répondu que le simple fait que le non-respect de la disposition légale incriminée ne conduise pas automatiquement à la nullité de la preuve ainsi obtenue ne peut être considéré en soi comme une limitation disproportionnée des droits des personnes faisant l’objet d’un contrôle d’identité illégal. Elle a ajouté que ni les articles 12 et 22 de la Constitution, ni les articles 6, § 1er et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’exigent la « nullité automatique » d’éléments de preuve obtenus illicitement. Au demeurant, la disposition en cause n’empêche pas le juge de ne pas prendre en compte la preuve obtenue – en méconnaissance de cette disposition – si l’illicéité commise devait affecter la fiabilité de la preuve ou si l’utilisation de la preuve devait conduire à une violation du droit de l’intéressé à un procès équitable, garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour constitutionnelle a certainement été influencée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et, en particulier, par l’arrêt Lee Davies.
18. Avant de recevoir un accueil favorable de la part de la Cour constitutionnelle, la jurisprudence Antigone avait déjà reçu l’aval de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est dans l’arrêt Lee Davies c. Belgique du 28 juillet 200996 que la Cour strasbourgeoise a eu l’occasion de se prononcer. Les faits se rapportaient à une perquisition illégale ayant mené à la découverte d’un trafic de drogue.
La Cour européenne a d’abord rappelé sa jurisprudence constante97 selon laquelle c’est au droit interne qu’il revient de régler l’admissibilité des preuves, celles-ci ne faisant pas l’objet de dispositions spécifiques de la Convention. Elle a ensuite ajouté qu’elle peut toutefois être amenée à examiner si la procédure, dans sa globalité, a été équitable, en ce compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis. C’est donc sous l’angle de l’article 6 de la Convention européenne que la Cour a placé son analyse. La Cour européenne, à l’unanimité des juges composant la chambre, a d’abord relevé que les circonstances dans lesquelles les éléments de preuve litigieux ont été recueillis ne font aucunement douter de leur fiabilité ou de leur exactitude. Elle a ensuite ajouté que le requérant s’est vu offrir la possibilité de contester, devant les trois degrés de juridiction de l’ordre interne, les éléments recueillis et les constatations faites et de s’opposer à leur utilisation. La Cour a conclu que les éléments de preuve recueillis de manière irrégulière n’avaient pas porté atteinte aux exigences du procès équitable98.
Dans l’appréciation du caractère équitable de la procédure, la Cour européenne estime que lorsque la preuve obtenue est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d’autres éléments à l’appui devient moindre99. Elle retient aussi la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude, ainsi que le critère de proportionnalité100. Il a ainsi été considéré que le poids de l’intérêt public à la poursuite de l’infraction et à la sanction de son auteur peut être pris en considération et mis en balance avec l’intérêt de l’individu à ce que les preuves à charge soient recueillies légalement. Cependant, comme l’a rappelé la Cour, les préoccupations d’intérêt général ne sauraient justifier des mesures qui videraient de leur substance les droits de la défense du requérant101.
L’arrêt Lee Davies s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence strasbourgeoise102. En effet, à plusieurs reprises, la Cour européenne a admis qu’une preuve recueillie en méconnaissance du droit au respect à la vie privée n’est pas nécessairement incompatible avec le droit à un procès équitable103.
19. Dans l’arrêt Gäfgen104, la Cour européenne a consacré la « théorie de la rupture de la chaîne de causalité », permettant la prise en compte des preuves illégales ou irrégulières dans la mesure où elles n’avaient pas eu d’impact sur la reconnaissance de culpabilité et sur la peine. Il s’agissait d’une déclaration extorquée au moyen d’un traitement inhumain, mais qui n’a pas joué dans le verdict de culpabilité et la peine prononcés contre le requérant. En l’espèce, il a été jugé que les deuxièmes aveux du requérant formulés lors de son procès étaient, en soi, suffisants pour fonder le verdict de culpabilité. La Cour européenne a dès lors considéré qu’il n’avait pas été porté atteinte au droit à un procès équitable.
20. Les critères de la jurisprudence Antigone ont reçu un ancrage légal dans la loi du 9 décembre 2004 sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l’article 90ter du Code d’instruction criminelle105.
C’est la section de législation du Conseil d’État qui, dans son avis106, a recommandé aux auteurs du projet de loi de tenir compte de cette évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de preuves irrégulières.
L’article 13 de la loi du 9 décembre 2004 exclut l’utilisation dans le cadre d’une procédure menée en Belgique des éléments de preuve recueillis irrégulièrement à l’étranger dans trois cas : lorsque l’irrégularité découle, selon le droit de l’État dans lequel l’élément de preuve a été recueilli, de la violation d’une règle de forme prescrite à peine de nullité, lorsque cette irrégularité entache la fiabilité de la preuve, ou lorsque l’utilisation viole le droit à un procès équitable107.
Il est intéressant d’observer que les travaux préparatoires de cette loi font apparaître l’intention du législateur de n’exclure les preuves obtenues irrégulièrement à l’étranger que si l’irrégularité est d’une certaine gravité108.
21. La première initiative parlementaire émane de Renaat Landuyt (sp.a). Sa proposition de loi modifiant le Code d’instruction criminelle en ce qui concerne les nullités a été déposée à la Chambre des représentants le 15 septembre 2009109 et puis, à nouveau et en reprenant le même texte, le 29 juillet 2010110.
Celle-ci entend appliquer, en droit pénal, les mêmes principes qu’en droit civil en matière de nullités (« pas de nullité sans texte » et « pas de nullité sans grief »). Aussi prévoit-elle explicitement que, sans préjudice de la jurisprudence Antigone, « la sanction de la nullité ne peut, de surcroît, être prononcée que pour autant qu’il soit question de grief concret »111. Selon l’auteur de cette proposition, la nullité pour cause de grief concret garantirait le droit au procès équitable.
Il est dès lors proposé de compléter l’article 407 du Code d’instruction criminelle par deux alinéas rédigés comme suit :
Quelle que soit la formalité omise ou irrégulièrement accomplie, aucun acte d’instruction ou de procédure ne peut être déclaré nul si la nullité n’est pas formellement prononcée par la loi.
Le juge ne peut déclarer nul un acte d’instruction ou de procédure que si l’omission ou l’irrégularité dénoncée nuit concrètement aux intérêts légitimes de la partie contre laquelle l’instruction est menée ou contre laquelle l’acte a été accompli.
22. Le 10 mai 2012, Carina Van Cauter et Sabien Lahaye-Battheu (Open VLD) ont quant à elles déposé à la Chambre une proposition de loi modifiant le Code d’instruction criminelle112 en ce qui concerne les nullités. Celle-ci s’inspire directement du système appliqué aux Pays-Bas qui repose sur le principe de la réparation de l’omission, c’est-à-dire que les omissions formelles ne peuvent être sanctionnées que si aucune réparation n’est possible. L’article 359a du Code d’instruction criminelle néerlandais113 définit trois sanctions possibles lorsque la loi enfreinte ne détermine pas elle-même les effets juridiques qui s’y attachent : la réduction de peine, l’exclusion de la preuve ou encore l’irrecevabilité de l’action publique. Dans un tel système, il est jugé préférable que les omissions formelles puissent être appréciées par un juge plutôt que par le législateur. Le juge dispose dès lors d’un large pouvoir d’appréciation.
Les auteurs proposent de compléter l’article 407 du Code d’instruction criminelle par les trois alinéas suivants :
S’il s’avère qu’au cours de l’instruction préparatoire, il y a eu des violations de forme qui ne peuvent plus être rétablies et si les effets juridiques de cette violation ne ressortent pas de la loi, le juge peut décider :
1° que le taux de la peine sera diminué en proportion de la gravité de la violation, si le préjudice causé par celle-ci peut être réparé par cette voie;
2° que les résultats de l’enquête obtenus par suite de la violation ne peuvent contribuer à la preuve du fait imputé;
3° que l’action du ministère public est irrecevable, si, par suite de la violation, l’affaire n’a pas été examinée conformément aux principes d’une bonne procédure.
Pour l’application des dispositions de l’alinéa 4, le tribunal tient compte de l’intérêt servi par la prescription violée, de la gravité de la violation et du préjudice causé.
Le jugement ou l’arrêt comprend les décisions mentionnées à l’alinéa 4. Celles-ci sont motivées.
23. Une proposition de loi insérant, dans le titre préliminaire du Code de procédure pénale, une deuxième partie concernant les principes généraux de la procédure pénale114 a été déposée le 6 juin 2012 par Sonja Becq et Raf Terwingen (CD&V).
Celle-ci reprend textuellement le Livre 1er du projet de loi Grand Franchimont115. Elle vise ainsi à instaurer une théorie générale de la preuve, des droits de la défense, des nullités et de la chose jugée. Son champ d’application est donc plus large que la stricte question des nullités.
Les causes de nullité proposées sont les suivantes :
Art. 38. § 1er. Il y a nullité substantielle lorsque la loi le mentionne explicitement ou en cas de violation des dispositions légales relatives :
1° à l’organisation et à la compétence matérielle des juridictions pénales;
2° aux conditions de fond relatives à l’inviolabilité du domicile, aux perquisitions, aux écoutes visées à l’article 90ter et aux investigations impliquant une atteinte à l’intégrité physique;
3° à la signature de l’acte;
4° à l’indication de la date lorsque celle-ci est nécessaire à l’appréciation des effets de l’acte.
§ 2. Les nullités substantielles sont prononcées d’office par le juge et peuvent être invoquées en tout état de la procédure, y compris pour la première fois devant la Cour de cassation.
§ 3. En ce qui concerne les preuves recueillies à l’étranger, la législation spécifique s’applique, sans préjudice de l’application de l’article 32.
Art. 39. Sous réserve des nullités substantielles, un acte de procédure ne peut être déclaré nul que si la nullité est expressément prévue par la loi.
Art. 40. Hormis les cas prévus à l’article 38, le juge ne peut déclarer nul un acte de procédure sur pied de l’article 39 que si l’omission ou l’irrégularité dénoncée nuit aux intérêts de la partie qui invoque l’exception ou à l’équité de la procédure.
Art. 41. Les actes de procédure violant les droits de défense sont frappés de nullité.
Art. 42. Lorsque des actes de procédure sont déclarés nuls, leur nullité emporte celle des actes de la procédure qui en découlent nécessairement.
Art. 43. En cas de nullité visée aux articles 39, 40 ou 41, l’omission ou l’irrégularité de la forme prescrite par le présent Code d’un acte de procédure, en ce compris le non-respect des délais prévus à peine de nullité, ou de la mention d’une formalité, ne peut entraîner la nullité, s’il est établi par les pièces de la procédure que l’acte a réalisé le but que la loi lui assigne ou que la formalité non mentionnée a, en réalité, été accomplie.
La nullité est couverte si un jugement ou un arrêt contradictoire d’une juridiction de fond, autre que celui prescrivant une mesure d’ordre intérieur, a été rendu sans qu’elle ait été invoquée, sans préjudice de l’article 242, § 5.
Cette proposition de loi ne sera pas développée dès lors qu’elle a été disjointe des discussions à la Commission de la justice de la Chambre à la demande de son auteur principal Raf Terwingen. Il nous est toutefois apparu opportun de l’exposer, car elle nous semble intéressante.
24. Enfin, un amendement à la proposition de loi Landuyt116 a été déposé le 29 novembre 2012 par des parlementaires représentant la majorité, à savoir Renaat Landuyt (sp.a), Carina Van Cauter (Open VLD), Raf Terwingen (CD&V), Özlem Özen (PS), Christian Brotcorne (cdH) et Philippe Goffin (MR).
Cet amendement vise à conférer un ancrage légal à la jurisprudence Antigone de la Cour de cassation.
Il s’agirait non plus de modifier l’article 407 du Code d’instruction criminelle, mais d’insérer un chapitre VII « Des nullités » dans le titre préliminaire du Code de procédure pénale rédigé comme suit :
Art. 32. La nullité et l’exclusion d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement ne peuvent être décidées que si :
le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, ou;l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou;l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable.25. Dès lors que la jurisprudence Antigone est bien ancrée dans la pratique juridique belge et qu’elle a été validée par la Cour constitutionnelle et la Cour européenne des droits de l’homme (voy. supra, section 1, §§ 2 et 3), certains voudraient lui conférer un ancrage légal.
Aussi la question se pose-t-elle de savoir quels sont les critères qui devraient figurer ou non dans la loi. Elle est inextricablement liée à celle du champ d’application du régime des nullités que nous développerons ultérieurement (voy. infra C., 2.). Nous n’aborderons donc ici que l’opportunité ou non de légiférer en matière de nullités.
26. Parmi les partisans d’une solution légale, on compte les auteurs des différentes propositions de loi bien sûr, mais également la Cour de cassation ellemême qui estime justifié de transcrire dans la loi la solution apportée par la jurisprudence Antigone dès lors que la question des nullités peut être résolue de différentes manières117. Étienne Goethals estime qu’un certain nombre de critères pourraient être fixés dans la législation, mais que « ce processus doit […] être abordé avec prudence et être encadré par l’expertise nécessaire »118.
Au contraire, de nombreux parlementaires se sont demandé quelle serait la plus-value de la proposition de loi Landuyt dès lors que, d’une part, la jurisprudence Antigone existe et est appliquée et que, d’autre part, ladite proposition ne propose qu’un ancrage partiel de cette jurisprudence, puisqu’elle ne reproduit que les trois hypothèses de nullité sans rappeler les autres critères d’appréciation de l’atteinte au droit à un procès équitable. Une majorité de parlementaires et d’experts sont partisans d’une approche cohérente et globale et se rallient à la recommandation de Laurence Massard de suivre l’évolution de la jurisprudence en la matière avant d’intervenir sur le plan législatif119.
Antoon Boyen a une position plus nuancée120. Selon lui, il est possible de convertir certains principes généraux en une règle légale, mais il doute de l’opportunité de reproduire littéralement la jurisprudence Antigone dans la loi. En effet, une telle entreprise se heurterait à deux écueils. Tout d’abord, la Cour de cassation peut encore faire évoluer sa jurisprudence. Par ailleurs, la jurisprudence pourrait évoluer par le biais de facteurs externes à la Cour, compte tenu des pressions exercées au niveau international en vue d’adapter cette jurisprudence aux règles supranationales émanant d’institutions non législatives telles que la Cour européenne des droits de l’homme. Sa conclusion n’en est pas moins que, si l’on veut garantir une cohérence, la problématique des nullités devra s’inscrire dans une réforme globale du Code d’instruction criminelle et rejoint donc celle des « légi-sceptiques ».
27. Les experts sont unanimes. Il serait tout à fait inopportun de s’inspirer du modèle néerlandais pour légiférer en matière de nullités.
Tout d’abord, les notions utilisées en droit hollandais sont inconnues en droit belge. Elles ne permettent donc pas de délimiter de façon précise le champ d’application de la proposition, ce qui créerait des difficultés et une incohérence au sein du Code d’instruction criminelle. Il s’agit notamment des notions de « violation de forme », d’« instruction préparatoire », d’« action du ministère public » et de « principes de bonne procédure »121.
Ensuite, la première sanction, qui consisterait à réduire le taux de la peine si le préjudice causé peut être réparé par cette voie, est très controversée. Antoon Boyen pose deux interrogations à cet égard. Premièrement, comment fixer l’étendue de cette sanction ou, en d’autres termes, quel est le rapport de proportionnalité entre cette sanction et la gravité de l’omission formelle? Deuxièmement, comment cette sanction pourrait-elle réparer le préjudice subi? En effet, selon lui, « soit la violation a causé un préjudice – dans ce cas, l’acte irrégulier doit être écarté –, soit la méconnaissance constatée n’a aucun effet – et il est permis de se demander pourquoi l’acte en question et ses effets ne peuvent pas tout simplement être maintenus sans modification de la peine »122.
Par ailleurs, cette sanction interpelle, parce que cela reviendrait à lier le taux de la peine à l’appréciation de la preuve, ce qui s’écarte des fonctions classiques de la peine. Comme le souligne pertinemment Étienne Goethals, « une telle suggestion perd de vue qu’une condamnation pénale doit être ajustée à la personnalité du coupable et à la nature des faits qu’il a commis et qu’en s’écartant des critères criminologiques légitimes de la répression, on risque d’ajouter l’injustice à l’erreur »123.
En outre, Pierre Monville relève très justement qu’élargir le spectre des sanctions disponibles pour le juge aura l’effet inverse de celui qui est poursuivi en ce qu’il créera plus de divergences de pratiques au sein de la jurisprudence124.
Enfin, celle solution est incompatible ou, du moins, ne tient pas suffisamment compte de la jurisprudence Antigone qui, non seulement constitue désormais un socle stable en droit belge, mais qui, en plus, a été consacrée par la loi en ce qui concerne des éléments de preuve provenant de l’étranger125 (voy. infra C., 3.).
La piste du droit comparé n’est toutefois pas négligée par les experts. Damien Vandermeersch estime qu’un examen de droit comparé pourrait apporter une grande plus-value aux décisions, tandis que Pierre Monville évoque, à titre de comparaison, le système des nullités appliqué en droit français126.
28. L’intitulé proposé par la proposition de loi Landuyt amendée pour le nouveau chapitre VII du titre préliminaire du Code de procédure pénale « Des nullités » est trop large. En effet, la jurisprudence Antigone n’a pas vocation à s’appliquer hors du domaine de la preuve. Elle ne concerne que les irrégularités touchant l’administration de la preuve, tandis que des irrégularités purement procédurales se posent également127. La création de ce nouveau chapitre dans le titre préliminaire du Code de procédure pénale pourrait, par contre, répondre à la critique de nombreux experts selon lesquels la question des nullités ne devrait pas être réglée à l’article 407 du Code d’instruction criminelle parce que celuici fait partie du titre III consacré aux manières de se pourvoir (en cassation) contre les arrêts et les jugements.
La jurisprudence Antigone n’a pas non plus vocation à régir la totalité du droit de la preuve. En effet, on distingue traditionnellement, d’une part, les preuves régies par la loi qui, en cas de non-respect des règles, sont frappées de nullité et, d’autre part, les preuves qui ne sont pas régies par la loi, qui sont rapportées par tous les moyens de droit et appréciées par le juge du fond. La jurisprudence Antigone ne s’applique qu’à cette seconde catégorie de preuve, c’est-à-dire celles qui sont laissées à la libre appréciation du juge. À cet égard, la Cour de cassation estime que le projet de loi (qui reprend le texte de la proposition Landuyt amendée, et sur lequel nous reviendrons dans les développements qui suivent) est peut-être incomplet en ce qu’il induit l’idée que la preuve légale serait désormais soumise au même régime que la preuve libre128.
La proposition de loi Van Cauteur-Lahaye révèle, quant à elle, une ambiguïté quant à la question de savoir si celle-ci entend régler la régularité des preuves ou celle des poursuites129. Le point de départ de la proposition semble bien être la jurisprudence Antigone de la Cour de cassation relative à l’exclusion de la preuve obtenue irrégulièrement. Toutefois, la proposition de loi suggère l’irrecevabilité de l’action du ministère public au titre des sanctions relatives aux preuves irrégulières à la disposition du juge. Elle règle donc également les sanctions relatives à la régularité/recevabilité des poursuites, ce qui dépasse le champ d’application de la jurisprudence Antigone et touche à une question bien plus vaste qui nécessiterait une réflexion globale. Ces deux débats sont distincts, et il convient de ne pas les confondre.
29. Nous l’avons vu, la jurisprudence Antigone détermine trois cas dans lesquels une preuve irrégulière doit être écartée par le juge, mais également plusieurs sous-critères dont le juge doit également tenir compte afin de vérifier le caractère équitable d’un procès (troisième cas dans lequel une preuve irrégulière doit être écartée par le juge), qui sont les suivants :
1° si l’autorité chargée de l’information d’infractions a ou non commis intentionnellement l’acte illicite;
2° si la gravité de l’infraction dépasse de manière importante l’illicéité commise;
3° si la preuve obtenue illicitement ne concerne qu’un élément matériel de l’existence de l’infraction ou si l’irrégularité a trait à la preuve de culpabilité de l’inculpé;
4° si l’irrégularité commise est sans incidence sur le droit ou la liberté protégés par la norme transgressée;
5° si l’irrégularité commise était de caractère purement formel;
6° si l’irrégularité a porté préjudice aux intérêts du demandeur.
30. On remarque pourtant que la proposition de loi Landuyt amendée n’a inscrit dans le texte de la proposition de loi que les trois cas permettant d’écarter une preuve irrégulière des débats. Et seuls trois sous-critères sont, quant à eux, mentionnés dans la justification de l’amendement de la proposition Landuyt, mais ne sont pas repris dans le texte même de la proposition de loi.
Dès lors que le législateur a choisi de conférer un ancrage légal à la jurisprudence Antigone, les sous-critères ne paraissent pas devoir être intégrés dans le texte de loi, parce que ce dernier ne peut enfermer la notion étendue de « procès équitable »130.
31. Afin d’assurer une cohérence avec la législation existante, il importe dans tous les cas que les critères repris dans le texte de loi correspondent à ceux de la jurisprudence Antigone, puisque celle-ci a été ancrée dans la loi du 19 décembre 2004 sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale. Sinon, comment justifier dans des dossiers mixtes contenant à la fois des preuves recueillies en Belgique et à l’étranger que les unes répondront à des critères différents des autres quant au contrôle de leur régularité? Une telle différence de traitement n’est fondée sur aucune justification objective et raisonnable et pourrait être soumise au contrôle de la Cour constitutionnelle.
32. Les développements de la proposition de loi Landuyt initiale soutiennent qu’il n’y aucune raison de ne pas appliquer en droit pénal les mêmes principes qu’en droit civil. Celle-ci entend introduire, dans le Code d’instruction criminelle, la règle de droit civil « pas de nullité sans grief ». Et les auteurs de proposer que « le juge ne peut déclarer nul un acte d’instruction ou de procédure que si l’omission ou l’irrégularité dénoncée nuit concrètement aux intérêts légitimes de la partie contre laquelle l’instruction est menée ou contre laquelle l’acte a été accompli ».
Il va sans dire qu’il est très critiquable de vouloir purement et simplement transposer les principes de procédure civile en procédure pénale. L’auteur de la proposition ne semble pas s’apercevoir de la différence fondamentale qui réside entre le droit civil et le droit pénal. Pourtant, est-il besoin de rappeler que le droit pénal touche à la liberté individuelle? Qu’une incrimination pénale entraîne le risque de se voir condamné à une peine d’emprisonnement? Que, selon les obligations internationales auxquelles la Belgique est tenue, la procédure pénale doit être entourée des meilleures garanties en termes de droits de la défense et de protection des droits fondamentaux de chaque citoyen?
33.