La Prostitution devant le philosophe - Ligaran - E-Book

La Prostitution devant le philosophe E-Book

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Extrait : "La passion sexuelle est une passion absolument indomptable. On peut en gémir, mais il serait difficile qu'il en fût autrement. Et, en effet, si elle n'avait pas ce caractère, il est à peu près certain, que notre espèce n'aurait pas déroulé de longues destinés sur la terre qui la porte. Le Créateur, qui prend naturellement soin de son œuvre et qui tient apparemment à sa perpétuation, ne l'a pas voulu ainsi."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 113

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Avant-propos

Appréciations courantes. – Épithètes variées suivant l’âge et le tempérament du sujet.

Saint Augustin, – Il n’est peut-être pas mauvais, au début d’un pareil sujet, de se mettre sous l’invocation d’un saint, – Saint Augustin, qui connaissait la prostitution pour l’avoir pratiquée dans sa jeunesse, a dit qu’elle était aussi nécessaire à l’assainissement d’une société qu’un égout à l’assainissement d’une ville. Voilà une appréciation qui, quoique formulée en termes un peu réalistes, comme on dit aujourd’hui, ne manque pas de justesse.

D’autres moralistes, renchérissant sur la crudité de l’expression, l’ont considérée comme un cautère destiné à débarrasser le corps social de ses humeurs malsaines – humeurs peccantes sans doute – et d’empêcher par là que ledit corps social ne parcoure la série des maladies énumérées par M. Purgon, et n’arrive ainsi à la mort, qui est tout simplement la cessation de la vie, ainsi qu’il le dit excellemment.

Ces moralistes devaient être des médecins.

D’autres encore ont comparé la prostitution à un paratonnerre destiné à dissiper la foudre des passions humaines, menaçant de réduire en poudre les mœurs et les institutions.

Ces derniers étaient évidemment des physiciens.

D’autres encore, empreints de cette intolérance propre aux vieux pécheurs, ont épuisé contre elle la gamme des épithètes violentes et agressives : commerce odieux, trafic infâme, honte de notre espèce, ignominie des ignominies et une foule d’autres expressions déclamatoires destinées à exhaler leur indignation de contrebande, qui sent en diable la peur de celui-ci.

Mais tous les fabricants d’épithètes n’en sont pas là. Un de mes amis, entre autres, qui a de l’esprit à ses heures, est plus délicat dans le choix de ses expressions. Il désigne tout simplement, sous le nom gracieux de marquises, les femmes qui se vouent à la prostitution. Pourquoi ? Parce que, dit-il, elles défendent les marches de la famille régulière, comme autrefois les marquis défendaient les marches de la patrie contre les ennemis du dehors. Ce rapprochement ne manque pas de hardiesse, et il n’y a qu’un esprit aussi indépendant qu’original qui puisse se le permettre. Les moralistes de profession doivent tout naturellement le trouver scandaleux et abominable.

Ce même penseur, évidemment très excentrique, se permet encore d’appeler les établissements dans lesquels ses « marquises » rendent leurs services « des maisons de bienfaisance. » Cette appellation bienveillante rend, d’après lui, parfaitement l’idée qu’on doit se faire de ces établissements protecteurs des mœurs publiques. Il est évident que l’audace de l’expression ne peut aller au-delà. Mais, en prenant pour ce qu’elles valent ces appréciations dont la liste est loin d’être épuisée, il est clair qu’il reste à formuler quelque chose de raisonnable pour calmer la mêlée de leurs contradictions.

Il y a de plus, à présenter une solution juste et humaine de cette inévitable prostitution que nous traitons encore d’une manière hypocrite et barbare et dans la police de laquelle on rencontre avec stupéfaction, les derniers vestiges d’un arbitraire qu’on croyait à jamais disparu. Il y a, en un mot, à introduire un peu d’humanité et de justice dans un réduit social qui en est absolument privé. C’est ce que je me propose de faire. Et, bien que le sujet passe pour scabreux, je sens que je m’y promènerai plus à l’aise que dans les catégories d’Aristote ou l’idéalisme transcendantal de Kant.

Chapitre premier

Entrée en matière par la bonne porte. – Une passion irrésistible à laquelle beaucoup proposent de résister tout en y cédant. – Types irréalisables à réaliser.

La passion sexuelle est une passion absolument indomptable. On peut en gémir, mais il serait difficile qu’il en fût autrement. Et, en effet, si elle n’avait pas ce caractère, il est à peu près certain, que notre espèce n’aurait pas déroulé de longues destinées sur la terre qui la porte. Le Créateur, qui prend naturellement soin de son œuvre et qui tient apparemment à sa perpétuation, ne l’a pas voulu ainsi. Et, pour être sûr d’être obéi, il a tout simplement fait l’attrait sexuel irrésistible. Bien lui en a pris, car, sans cette condition formelle, qui donc, dans les temps obscurs où l’homme, avoisinait la brute, aurait songé à se perpétuer dans ses enfants ? Et, dans les temps plus heureux où nous sommes parvenus, quels sont les étourdis qui demanderaient à fonder une famille devant les incertitudes que l’avenir lui réserve ?

Les annales judiciaires regorgent des crimes que la passion sexuelle comprimée peut produire. Le législateur a donc le devoir de s’en occuper d’une manière attentive, et de veiller à ce que satisfaction lui soit donnée le plus largement possible.

C’est un intérêt de premier ordre, car il touche à la sécurité et à la moralité publiques. Je parle de la moralité sincèrement entendue, et non pas de celle qui accepte la dégradation de l’âme humaine, pourvu que les apparences soient sauvées.

Le législateur répond qu’il a institué le mariage dans le double but de perpétuer l’espèce et de donner satisfaction à la passion dont il s’agit.

Le mariage est certainement une institution des plus augustes quand il consacre la communion de deux cœurs faits l’un pour l’autre. Seulement il a contre lui qu’il est insuffisant, ainsi qu’il est facile de s’en rendre compte.

Sans invoquer la statistique qui n’amuse personne, pas même ceux qui la font, quelques réflexions bien simples trouvent ici leur place.

L’homme est nubile vers dix-huit ans, et ne peut guère se marier qu’à trente, dans nos conditions sociales présentes. C’est précisément pendant ces douze ans, où il a littéralement le diable au corps, qu’on lui demande d’être bien sage et de ne jamais s’approcher d’une femme. Telle est du moins la conclusion à laquelle arrivent sans rire, chacune de leur côté, la morale civile et la morale religieuse.

Est-ce vraiment possible ?

La société crée ainsi divers types qu’elle considère comme nécessaires à son existence, mais qu’elle ne parvient jamais à réaliser, par la bonne raison que dame nature s’y oppose formellement. – De là, on le sait, le soupçon justifié chez certains penseurs, que ladite société, malgré ses grands airs, n’est pas encore dans ses conditions normales. – Mais, de tous ces types, à coup sûr le moins réalisable, le plus extravagant, le plus grotesque, le plus dérisoire, le plus ruisselant d’inouïsme, comme disait Roqueplan, c’est incontestablement celui du jeune homme dans toute l’énergie des sens, vivant sans relations sexuelles, de peur de troubler l’ordre qui le soumet à ce martyre.

Quoi qu’en disent les faiseurs d’homélies, il est certain qu’il le troublera si, par un moyen quelconque, on ne lui donne pas satisfaction.

Chapitre II

Impuissance de la répression. – Illusions du législateur d’autrefois. – Les ribaudes et leur exécution sommaire. – En fin de compte, leur victoire.

Le législateur d’autrefois était un singulier homme, – il est bien encore un peu comme ça aujourd’hui – il s’imaginait qu’il suffisait de défendre une chose pour qu’elle ne se fit pas. Il paraissait ignorer les lois de la nature, contre lesquelles celles qu’il promulguait étaient absolument impuissantes.

« L’homme, disait-il, ne peut résister au désir de s’unir à la femme avant le mariage que j’ai établi ; cela dérange mes combinaisons ; rien n’est plus simple que d’en assurer l’harmonie. Après avoir menacé les délinquants des flammes éternelles dans une autre vie, s’ils passent outre, je les condamnerai à la prison, si la prison ne suffit pas, j’y adjoindrai la bastonnade ; si ces deux petits traitements échouent, je les pendrai, je les enterrerai vivants, je les brûlerai à petit feu, je les noierai même pour varier les châtiments, et en ayant soin de ne pas me faire prendre moi-même, – ce qui me sera très facile. – Tout ira pour le mieux dans le meilleur des équilibres possibles. »

Mais tout n’alla pas pour le mieux.

La prostitution, malgré les édits barbares qui voulaient l’arrêter, édit, il faut le dire, dont les auteurs étaient précisément les hommes les plus corrompus et les plus débauchés de leur temps, la prostitution continua à vivre et à remplir son office fatal.

Chassée de la rue, elle se réfugia dans les palais, dans les cours même, où les rois et les princes se firent ses protecteurs secrets. Elle osa même, il faut le dire, se réfugier dans les églises, dont elle occupa les clochers ; ce qui valut le surnom d’hirondelles aux malheureuses qui y avaient trouvé un asile.

La prostitution eut, aux armées, une existence officielle, et les généraux la tolérèrent volontiers en songeant aux viols et aux crimes encore plus odieux qu’elle épargnait aux soudards de ces temps barbares. Seulement, quand les ribaudes pullulaient un peu trop, on en fusillait un certain nombre et même on en noyait un millier à la fois, comme le fit, dans la Loire, le maréchal Strozzi sous Charles IX.

Eh bien ! qu’est-il résulté de toutes ces monstruosités draconiennes ? Il en est résulté que la prostitution a fini par être officiellement tolérée et que le législateur, bien qu’il ne s’en soit pas encore occupé, va être contraint de lui faire une situation légale. Ce ne sera pas trop tôt. C’était bien la peine de traiter si cruellement des créatures avec lesquelles on ne pouvait éviter d’entrer en arrangement. Il aurait beaucoup mieux valu commencer par là.

Chapitre III

La prostitution devant l’Église. – Accommodements théologiques et casuistiques.

L’Église est comme toutes les institutions de ce monde : elle a une théorie et une pratique. En théorie, elle condamne aux flammes éternelles ceux qui commettent ce qu’elle appelle le péché de la chair ; en pratique, elle leur donne sans difficulté l’absolution et les envoie en paradis. Ces adoucissements rendent ses foudres très tolérables. Beaucoup de hauts débauchés de l’histoire l’ont compris et s’en sont bien trouvés. Louis XIV, vivant en double adultère, sans compter les nombreuses escapades, recevait du père La Chaise la promesse formelle d’aller au ciel, dès qu’il en manifestait le désir.

C’était généralement à Pâques.

Louis XV, au milieu de ses dérèglements, avait la précaution de tenir un confesseur à sa portée, de manière à s’assurer l’absolution à la première menace de mort. Voilà qui n’était pas maladroit.

Un théologien de mes amis, – car j’ai le bonheur d’avoir des amis de toutes les couleurs – me disait à ce propos : « Quoi de plus naturel et de plus conforme à l’esprit de l’Église ? L’indulgence et la rémission des péchés, mais c’est précisément sa mission sur la terre. À quoi donc pourrait-elle employer son temps, si elle n’avait pas cette besogne à faire ? Ses absolutions, faciles et sans cesse renouvelées, font sa force et son prestige. Les jésuites l’ont admirablement compris, et c’est précisément parce que, suivant une expression consacrée, ils ont la manche large, qu’ils conservent encore une si grande influence, particulièrement sur les femmes, qui aiment beaucoup les pardons faciles. Mais, mon cher, réfléchissez un instant à ce que deviendrait l’Église sans le pécheur, et le pécheur sans l’Église. Il est bien évident que l’un ne peut aller sans l’autre. Donc le pécheur nous est nécessaire, seulement nous le demandons croyant et confiant. Cette condition remplie, tout marche à souhait dans le moins mauvais des mondes possibles. »

Mon théologien étant par profession un homme parfaitement orthodoxe, il résulte de son commentaire que la prostitution n’a rien qui puisse effaroucher l’Église. Et, en effet, sans parler de son rôle dérivatif reconnu par saint Augustin lui-même, cette institution sert à entretenir une foule de pécheurs qui ont tous un besoin pressant d’absolution.

L’Église, tout en l’anathématisant pour la forme, s’en est toujours si bien accommodée qu’elle avait soin, autrefois, de placer des confesseurs auprès des troupes de ribaudes qui suivaient les armées. On se demande ce que pouvaient bien faire là ces confesseurs, entourés de pareilles ouailles ? Enfin, ils y étaient.

On sait d’ailleurs que les pécheresses à gages sont plus nombreuses dans les pays très catholiques que dans ceux qui le sont moins, ou qui ne le sont pas du tout. En Espagne, le commerce sexuel se fait, en quelque sorte, à l’ombre de l’autel, et atteint là une liberté d’allure qui nous est inconnue. Il n’est pas rare de voir, dans ce pays très religieux mais très ardent, une femme dite honnête s’éclipser un instant du monde pour aller dans quelque maison galante gagner de quoi payer ses créanciers et rétablir ses affaires.

Dans les colonies espagnoles, encore plus catholiques, si c’est possible, que la métropole elle-même, il se passe autour du temple, et quelquefois par l’intermédiaire de son personnel, de ces choses que les vieux loups de mer, qui les ont vues, peuvent seuls raconter sans rougir.

À Rome, nos soldats se rappellent que la prostitution se fait sur une si vaste échelle, qu’il a été impossible au Saint-Père de lui assigner un quartier spécial. Le cardinal Antonelli disait, à ce propos, au général français qui lui en demandait des nouvelles, que ce quartier était partout et qu’il comprenait la ville sainte tout entière. Le cardinal s’y connaissait et son opinion sur ce point est très significative.

Si nous consultions les casuistes, nous en verrions bien d’autres. Nous trouverions tout d’abord le R.P. Liguori, qui reconnaît comme très valable le contrat par lequel une femme abandonne son corps pour une somme déterminée, et qui professe qu’un contrat de cette nature mérite d’être observé tout comme un autre. Mais arrêtons-nous là. On irait loin avec les casuistes de la grande école, et il faudrait bien vite se mettre à parler latin, ce qui est très gênant pour tout le monde.