La Provence - Edition Illustrée - Henri Oddo - E-Book

La Provence - Edition Illustrée E-Book

Henri Oddo

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Beschreibung

La place que cette ancienne province a occupée au cours des siècles a été assez importante pour expliquer l’intérêt dont elle a toujours été l’objet de la part des poètes, des romanciers et des historiens. Aujourd’hui, quelques départements représentent ce que fut l’ancienne Provence, et si, mêlée et confondue dans la grande patrie française, avec laquelle elle ne fait plus qu’un tout, elle a perdu une partie de son originalité en perdant sa couronne et le côté pittoresque qu’elle pouvait avoir au temps de ses comtes, du moins elle a acquis le bénéfice de la sécurité. Elle jouit des bienfaits dont la Révolution de 1789 a doté la France lorsqu’elle lui a donné sa devise, qui devrait être celle de l’humanité tout entière: «Liberté—Égalité—Fraternité.»

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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HENRI ODDO

LA PROVENCE

USAGES, COUTUMES, IDIOMES DEPUIS LES ORIGINES

LE FÉLIBRIGE ET SON ACTION SUR LA LANGUE PROVENÇALEAVEC UNE GRAMMAIRE PROVENÇALE ABRÉGÉE

1902

© 2022 Librorium Editions

 

ISBN : 9782383834779

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA PROVENCE

I LES FÊTES

FÊTES CIVILES

FÊTES RELIGIEUSES

LES JEUX

II USAGES

LE COSTUME

LES MŒURS

III LA LANGUE PROVENÇALE AU XIXe SIÈCLE

IV LE FÉLIBRIGE DE PROVENCE

STATUTS DU FÉLIBRIGE DE PROVENCE[38]

DES FÉLIBRES MAJORAUX ET DU CONSISTOIRE

DES FÉLIBRES MAINTENEURS

DES MAINTENANCES

DES ÉCOLES

DES ASSEMBLÉES

DE LA COTISATION

DES JEUX FLORAUX

V LES CIGALIERS ET LES FÉLIBRES DE PARIS

SOCIÉTÉ DES FÉLIBRES DE PARIS (SOUCIETA FELIBRENCO DE PARIS)

I.—BUT ET ACTION DE LA SOCIÉTÉ

II.—RESSOURCES DE LA SOCIÉTÉ.—COMPTABILITÉ

III.—ADMINISTRATION DE LA SOCIÉTÉ

IV.—DISPOSITIONS GÉNÉRALES

DE L’UTILITÉ DE L’ÉPURATION DU PROVENÇAL

VI HISTOIRE DES DIALECTES DU SUD-EST DE LA FRANCE

LANGUE LIGURIENNE

VOCABULAIRE DES MOTS LIGURIENS RESTÉS DANS LE PROVENÇAL

LANGUE GRECQUE

LANGUE LATINE

VOCABULAIRE DE QUELQUES MOTS LATINS CONSERVÉS DANS LE PROVENÇAL[51]

VOCABULAIRE DES MOTS LATINS QUI SONT RESTÉS DANS LE PROVENÇAL

LANGUES BARBARES

FRANCIQUE OU THÉOTISQUE

MOTS FRANCIQUES QUI SONT RESTÉS DANS LE PROVENÇAL

BOURGUIGNON

LANGUE ROMANE

VII ÉTAT DE LA PROVENCE LORS DE LA FORMATION DE LA LANGUE ROMANE

LA LANGUE ROMANE DANS LE NORD ET LE MIDI DE LA FRANCE

DE L’INFLUENCE DE LA CHEVALERIE ET DES CROISADES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA LANGUE ROMANE

PÉRIODE DES TROUVÈRES ET DES TROUBADOURS

LES TROUVÈRES

LES TROUBADOURS

VIII DE L’INFLUENCE DES TROUBADOURS SUR LES TROUVÈRES ET LA LITTÉRATURE DU NORD

LE VERS

LA CHANSON

LE CHANT

LE SON

LE SONNET

LE PLANH OU COMPLAINTE

LA COBLA

LA TENSON

LE SIRVENTE

LA PASTOURELLE

LA SIXTINE

LE DESCORD

L’AUBADE ET LA SÉRÉNADE

BALLADE.—DANSE.—RONDE.

ÉPITRE.—CONTE.—NOUVELLE.

IX DE LA PRÉÉMINENCE DES TROUBADOURS SUR LES TROUVÈRES ET LA LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

LES COURS D’AMOUR

X DE L’INFLUENCE DE LA LITTÉRATURE ROMANE SUR LES PREMIERS ESSAIS DU THÉATRE EN FRANCE

CROISADE CONTRE LES ALBIGEOIS DÉCADENCE DE LA LANGUE ROMANE

XI LANGUE PROVENÇALE

XII GRAMMAIRE PROVENÇALE

PETITE GRAMMAIRE PROVENÇALE

PREMIÈRE PARTIE

SECONDE PARTIE

DIFFÉRENCES LINGUISTIQUES ET ORTHOGRAPHIQUES ENTRE LE PROVENÇAL PARLÉ ET ÉCRIT AVANT LA RÉVOLUTION ET LE PROVENÇAL DE NOS JOURS, SELON L’ECOLE FÉLIBRÉENNE, D’APRÈS L’OUVRAGE DU FRÈRE SAVINIEN ET DOM XAVIER DE FOURVIÈRES

ALPHABET PROVENÇAL USITÉ DE NOS JOURS[102]

CONCLUSION

TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES NOMS CITÉS DANS L’OUVRAGE

A

B

C

D

E

F

G

H

I

J

L

M

N

O

P

Q

R

S

T

U

V

W

X

Z

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I LES FÊTES

Histoire.—Caractère.—Mœurs.—Usages.—Fêtes, jeux et coutumes des Provençaux.—Fêtes civiles.—Le Jour de l’an.—Les Rois.—Le Carnaval.—Danse des olivettes.—Les Jarretières.—Les Bergères.—La Cordelle.—Les Moresques et les Épées.—Leis Bouffet, Leis Fieloué.—La Falandoulo.—La Reine de Saba.—Caramantran.—Fêtes religieuses.—La Chandeleur.—Les Rameaux.—La Semaine sainte.—Pâques.—La Pentecôte.—Les Jeux de la Tarasque.—La Fête-Dieu.—La Saint-Jean.—La Toussaint.—Les Morts.—La Noël.—La Messe de minuit.—Leis calénas.—Jeux.—Les Roumerages.—Les Joies.—La Targo.—La Bigue.—Courses d’hommes et d’animaux.—Combats de taureaux.—La Lutte.—Le Saut.—La Barre et le Disque.—Les Boules.—La Cible.—Les Palets.—Mât de cocagne.—Les Grimaces.—Les Cartes.—Le Coq.

Provence! Ce nom, évocation de tout un passé prestigieux dans les arts et les lettres, célèbre dans le commerce et l’industrie, glorieux par ses victoires, sympathique dans le malheur, est gravé en lettres d’or dans l’histoire des peuples.

La place que cette ancienne province a occupée au cours des siècles a été assez importante pour expliquer l’intérêt dont elle a toujours été l’objet de la part des poètes, des romanciers et des historiens. Aujourd’hui, quelques départements représentent ce que fut l’ancienne Provence, et si, mêlée et confondue dans la grande patrie française, avec laquelle elle ne fait plus qu’un tout, elle a perdu une partie de son originalité en perdant sa couronne et le côté pittoresque qu’elle pouvait avoir au temps de ses comtes, du moins elle a acquis le bénéfice de la sécurité. Elle jouit des bienfaits dont la Révolution de 1789 a doté la France lorsqu’elle lui a donné sa devise, qui devrait être celle de l’humanité tout entière: «Liberté—Égalité—Fraternité.» Ces bienfaits, d’ordre surtout économique, n’ont changé en rien l’aspect général de la Provence, qui est restée ce que la nature l’a faite: attrayante par son climat, sa situation admirable, ses fleurs et ses fruits, sa mer de saphir, son ciel bleu et son soleil resplendissant. Ses enfants sont dignes de leurs ancêtres. Comme eux, ils ont gardé l’amour du sol natal, des usages, des mœurs et des coutumes du vieux temps, à peine atténués par les effets de la centralisation et par la civilisation caractéristique de ce siècle. Ils doivent à leur climat un caractère vif et enjoué, ce qui ne les empêche nullement d’apporter dans les affaires sérieuses un esprit de suite et une expérience incontestés.

Afin de mieux faire connaître cette partie si intéressante du sol français, nous remonterons jusqu’à l’époque où la Provence, pays riche et jouissant d’une civilisation avancée, vit son influence décroître après les ravages causés par l’invasion des Sarrasins et par les guerres qui suivirent la mort de Charlemagne.

Les faibles successeurs de ce prince ne purent la conserver et dès lors, séparée de l’Empire, elle fut livrée sans défense aux incursions incessantes des hordes africaines. Elle perdit ainsi, non seulement le rang qu’elle occupait dans le monde, mais aussi un état social intérieur qui avait fait sa renommée au point de vue des lettres et des arts.

Pendant cette période troublée, cette magnifique province, jadis si florissante, n’offrit plus que le spectacle lamentable d’un pays ruiné. A la prospérité matérielle, à la culture intellectuelle avaient succédé la misère et l’ignorance, et le manteau de l’obscurantisme s’étendit sur elle, éteignant les lumières de l’esprit et lassant tous les courages.

Le spectacle qu’elle présente est alors lamentable: ses plaines, naguère couvertes de riches moissons et de villes florissantes, ne sont plus que landes et marais, ou ruines noircies par l’incendie. Les chemins sont défoncés, les ponts brisés; de sombres forêts, qui remontent les pentes des vallées, rendent les communications impossibles. La crainte de l’ennemi a forcé les paysans à construire de nouvelles maisons sur les hauteurs et dans les lieux les plus escarpés, sous la protection des châteaux forts. Ces constructions sont élevées, pressées les unes contre les autres, séparées par des ruelles étroites recouvertes souvent elles-mêmes par une voûte sombre qui supporte d’autres maisons: le tout entouré de remparts et de ponts-levis. Le matin, toute la population s’empresse de sortir pour se disperser dans la campagne et se livrer aux travaux agricoles. Cette campagne, hélas! se borne aux penchants des collines dominées par la forteresse. Plus bas, dans la plaine, il n’y a plus que marais ou forêts, et la culture y est devenue impossible par les incursions qu’y font constamment les Sarrasins.

L’ingéniosité, la patience laborieuse de nos paysans se retrouvent jusque dans l’aménagement de ces collines pierreuses. Ils construisirent des murs en terrasse pour soutenir les terres et y cultivèrent l’olivier, la vigne, le blé et quelques légumes. Des sentiers étroits et pavés de cailloux formèrent des marches, que les bêtes de somme pouvaient gravir, et qui furent en même temps les seuls moyens de communication de l’homme avec ses semblables. Le soir, toute cette population rentrait pour se mettre sous la protection de la citadelle, où nuit et jour veillaient des sentinelles. Bien souvent elles signalaient l’ennemi, et alors la petite garnison sortait pour livrer bataille aux pillards ou protéger la retraite des ouvriers agricoles surpris dans leurs travaux. Ces alertes continuelles, ces combats incessants avaient fini par transformer le caractère de la population, qui passait facilement du travail des champs au métier des armes. Bientôt, sous les ordres de Boson, premier comte de Provence, elle put repousser les hordes barbares et soutenir ses droits contre le comte de Toulouse, qui lui disputait son territoire. Boson, par une sage administration des revenus de la province et la mise en culture des vallées, à l’aide des moines à qui il les avait abandonnées, changea l’aspect de ce malheureux pays, replongé, par près d’un siècle de misère, dans une quasi-barbarie. La sécurité ayant remplacé la crainte, les villes se repeuplèrent peu à peu et le pays reconquit bientôt, par l’énergie et le travail de son peuple, le rang qu’il occupait autrefois. Le régime municipal fut remis en vigueur sous le nom de Consulat. Marseille, Arles, Tarascon furent les premières villes qui s’érigèrent en républiques sous la protection de l’empereur et du pape. Ce fut pour la Provence le commencement d’une réforme politique complète et de la répartition des habitants en trois ordres distincts: clergé, noblesse, tiers-état. Chacun des ordres participait à l’administration, mais dans des conditions différentes. Le tiers-état se composait des bourgeois, des artisans et du peuple, dont les évêques et les abbés étaient les curateurs et les défenseurs, afin que le pouvoir de la noblesse fût pondéré. Enfin, par un acte daté du mois d’octobre 1247, les artisans furent groupés en corporations de métiers, avec statuts et privilèges. Chaque corporation avait à sa tête un chef de métier, qui fut admis dans le corps municipal[1].

Ces dernières améliorations avaient été préparées sous les comtes de Barcelone, qui transformèrent également l’administration. Les mœurs s’adoucirent, la protection accordée aux lettres hâta les progrès de la civilisation, que la maison d’Anjou s’appliqua à étendre à toutes les classes de la société. Le roi René, particulièrement, favorisa le commerce avec l’Italie et l’Espagne, protégea les arts et la littérature, et lorsque à sa mort la Provence fit retour à la France, elle forma l’un des plus beaux fleurons de la couronne de Louis XI.

La description des fêtes religieuses et civiles, des usages, des costumes et des mœurs des Provençaux demanderait un volume entier, surtout si, à l’exposé complet, on voulait joindre un commentaire détaillé. Nous élaguerons du cadre restreint de cet ouvrage tout ce qui est tombé en désuétude, faisant toutefois exception pour les parties du sujet qui, quoique n’ayant pas d’actualité, offrent un attrait particulier.

FÊTES CIVILES

Les fêtes religieuses communes à tous les peuples catholiques se relient à des coutumes civiles populaires, qui diffèrent selon les pays et l’histoire de chaque nation. Ce sont ces coutumes qui, seules, doivent fixer notre attention, parce qu’elles font partie intégrante de l’état social de la Provence et le caractérisent.

Jour de l’an.—Il est spécialement consacré aux visites et aux souhaits de bonne année, comme dans toute la France. L’usage de le célébrer existait chez les Romains, qui s’envoyaient de petits présents désignés sous le nom de Strenæ, d’où le mot Étrennes; on remarquera d’ailleurs que la forme latine est mieux conservée dans le provençal: Estrenos. A Marseille, la période des étrennes commençait la veille de Noël et se continuait jusqu’au jour de l’an. Les femmes pétrissaient des gâteaux appelés Poumpos, dont elles se faisaient des cadeaux réciproques. De nos jours, à l’envoi des bonbons et des jouets, que l’on donne à Marseille comme partout, les gens des classes inférieures ajoutent celui de la Poumpo, qui est d’origine grecque[2]. Dans les communes environnantes, les parents et alliés seuls se font visite au jour de l’an; les personnes étrangères se souhaitent la bonne année dans la rue, lorsqu’elles se rencontrent.

A Maillane, on choisit parmi les familles les moins aisées des enfants qui parcourent le pays et à qui l’on donne un pain. Cette sorte d’honnête mendicité suffit, au dire des habitants, pour éviter la disette pendant toute l’année; l’on a remarqué, en effet, qu’à Maillane il n’y a de mendiants d’aucune espèce. Avant la Révolution, l’usage de donner un pain aux enfants qui venaient vous souhaiter la bonne année existait aussi à Alleins, et le pain était appelé Lou pan calendal.

Les Rois.—La cérémonie du roi de la fève se célèbre le jour de l’Épiphanie. Dans quelques vieilles familles marseillaises, voici comment elle se passe. Le chef de famille, ayant réuni tous les parents et amis autour de sa table, bénit le repas, qui est ordinairement le souper. Au dessert, on apporte sur un plat, que la tradition voudrait d’argent, le gâteau dont les portions, coupées par un jeune enfant, sont mises sous une serviette. Le premier morceau tiré, dit Part de Dieu, est mis de côté pour être donné à un pauvre. Puis, prenant au hasard les autres portions, l’enfant offre la première au chef de famille et continue par tous les convives en terminant par les serviteurs. Celui qui a la fève prend au haut de la table la place du chef de famille et celui-ci lui cède les honneurs auxquels il a droit. Chacun se lève alors et crie: Vive le roi! Après avoir choisi la reine, le couple rend les santés et, le repas fini, ouvre le bal.

Le soir, le roi accompagne la reine jusqu’à son domicile, suivi de tous les invités. Une collecte est faite et le produit remis aux pauvres.

L’idée d’introduire une fève dans le gâteau semble avoir été empruntée aux Grecs, qui donnaient leur suffrage en déposant une fève. Ici l’élection du roi est due au hasard, mais c’est par une fève qu’elle se manifeste.

Il n’y a pas encore bien longtemps que le village de Trets donnait à la fête des rois un caractère religieux. La veille de l’Épiphanie, la jeunesse se rassemblait à l’entrée de la nuit pour aller au-devant des trois Mages, leur portant comme présents des corbeilles de fruits secs. Arrivée à la chapelle de Saint-Roch, elle se trouvait en face de trois jeunes gens costumés comme l’indique l’Écriture. Après avoir reçu corbeilles et compliments, ceux-ci donnaient à l’orateur une bourse remplie de jetons, qu’il emportait aussitôt en courant, pour ne pas partager avec ses compagnons. Il s’ensuivait une course folle qui se transformait en une Falandoulo, dans laquelle le fuyard restait pris.

Le Carnaval.—Le carnaval, qui semble un reste des saturnales, est, en Provence, à peu de chose près, ce qu’il est dans les autres départements français. Cependant, il paraît se rapprocher davantage du carnaval italien, qui a le mieux conservé la physionomie des anciennes fêtes païennes. Quant au nom lui-même, Pasquier le fait dériver de Carne vale (chair, adieu). On retrouve, en effet, ces mots dans le dialecte roman, et le peuple, aujourd’hui encore, les prononce: Carneval.

Danse des Olivettes.—Cette danse, un peu tombée en désuétude, n’est plus conservée que dans quelques localités: Toulon, Aubagne, Roquevaire et Cuges. Autrefois, elle était surtout prisée à Cuges, Aubagne et Gémenos. Son nom lui vient de ce qu’elle coïncidait dans le temps avec la cueillette des olives. Quant à son origine, on l’attribue à la rivalité de César et de Pompée, qu’elle est censée représenter. En conséquence, elle a été réglée ainsi qu’il suit:

Seize jeunes gens, vêtus à la romaine, ayant à leur tête divers officiers désignés par les titres de roi, prince, etc., et précédés d’un arlequin et d’un héraut, marchent sur deux rangs, au son des tambourins, qui jouent une marche guerrière. Ils exécutent différentes figures, telles que la chaîne simple, la chaîne anglaise, le pas de deux, le tricoté. Pendant ce temps, le héraut bat des entrechats et fait des tours de canne, qu’Arlequin contrefait d’une façon burlesque.

Arrivés sur une place publique, les danseurs miment un combat en croisant les épées et les frappant en cadence. Le roi et le prince, c’est-à-dire César et Pompée, vident leur querelle par un duel simulé pendant lequel les danseurs poussent des cris de joie pour souligner la valeur de leurs chefs respectifs, puis se divisent en deux camps; Arlequin se place au milieu. On l’entoure en formant le cercle et en dansant une ronde qui finit par le croisement des épées. On l’élève sur cette espèce de plate-forme comme sur un pavois, et il chante en français le couplet suivant:

Je suis un Arlequin

Monté sur des épées,

Comme un second Pompée,

Avec mon sabre en main;

Mettez bas Arlequin.

On termine par un soi-disant défilé de cavalerie, que l’on imite en chevauchant les épées, et par la passe au cercle, qui se fait avec beaucoup d’agilité[3].

Les Bergères.—Les Jarretières.—La Cordelle.—A peu de chose près, le costume est le même dans ces trois danses. Les hommes, en bras de chemise, ont un petit jupon blanc, très court, garni de rubans; sur la tête, une calotte d’enfant ornée de dentelles. Les femmes conservent le vêtement du pays avec très peu de changements, mais plus élégant et de meilleur goût que celui des hommes. Des airs appropriés se jouent sur le tambour de guerre et le fifre.

Dans la danse des Bergères, les danseurs dévident leurs fuseaux et les danseuses filent à la quenouille en cadence. Dans celle des Jarretières, hommes et femmes, rangés sur deux files, tiennent de chaque main une jarretière, s’enlacent et se dégagent tour à tour. Dans la Cordelle, le jeu est un peu plus compliqué. De l’extrémité d’une longue perche, que l’on place au milieu d’un cercle formé par les danseurs, pendent des cordons ou tresses de diverses couleurs, appelés Cordelas en provençal. Chacun s’emparant d’un cordon s’écarte de façon que tous ces cordons tendus forment un cône parfait. On saute en cadence et l’on forme la chaîne simple, dont le but est d’entrelacer régulièrement les cordons de manière à recouvrir la perche d’une sorte de natte à carreaux dont les nuances doivent correspondre. En dansant en sens contraire, on rétablit le premier motif de cette danse, dont l’effet est charmant.

Ces danses, très anciennes, ont été, dit-on, introduites en Provence par les bergers qui transhument avec leurs troupeaux dans les Alpes, d’où elles seraient originaires. Peu ou pas usitées aujourd’hui, elles exigeaient autrefois des costumes très frais et relativement chers.

Les Moresques et les Épées.—Ces danses, que l’on attribue aux Sarrasins qui, d’après la tradition, voulurent les opposer aux précédentes, s’exécutent encore quelquefois dans le Var, à Fréjus, à Grasse, et aussi à Istres, où les Arabes firent un séjour prolongé.

Dans les Moresques, le costume consiste en une tunique blanche très courte; les genoux sont entourés de petits grelots. Comme c’est surtout le soir qu’on se livre à ces ébats, le danseur tient d’une main une gaule, au bout de laquelle se balance une lanterne en papier de couleur, et de l’autre une orange qu’il présente alternativement à chacune des danseuses qui sont à ses côtés. Puis les hommes et les femmes se mettent sur deux files qui se croisent. Le premier en tête de chaque file fait des gestes fort animés et variés, successivement imités par ceux qui suivent.

La danse des Épées a toujours lieu le soir. La seule différence qui existe entre cette danse et la précédente consiste dans le jeu des épées que l’on brandit et frappe en cadence, de manière à figurer un combat qui a pour objet de défendre ou d’enlever les bergères. La musique se rapproche de celle du boléro espagnol, où les grelots remplacent les castagnettes.

Leis Bouffet.—Leis Fieloué.—La Falandoulo.—Dans les Leis Bouffet, les jeunes gens portent une serviette nouée autour du cou, et un soufflet à la main. Ils sautent l’un derrière l’autre, en manœuvrant avec le soufflet et en chantant des couplets qu’ils improvisent sur un air fort gai consacré spécialement à cette danse.

Les Fieloué, ou quenouilles, semblent une représentation satirique des travers des femmes. Les jeunes gens sont travestis en femmes, leurs costumes sont toujours une exagération des costumes féminins. Ils portent tous de grandes quenouilles enveloppées de papier de différentes couleurs, formant des lanternes dans lesquelles brûlent des chandelles. Leur chaîne parcourt les rues du village en faisant entendre des couplets plaisants sur les quenouilles et les lanternes. Ces danses fort gaies, accompagnées du tambourin et du galoubet, sont anciennes et probablement nationales, mais on ne sait rien sur leur origine.

La Falandoulo est assurément la plus ancienne de toutes, et la plus caractéristique du peuple qui l’a conservée. Le nom lui-même est absolument grec et le sens qui lui est donné exprime bien cette phalange ou troupe d’individus liés les uns aux autres en une chaîne indissoluble.

Apportée par les Phocéens à Marseille, elle s’est répandue, non seulement dans toute la Provence, mais encore sur toutes les côtes où les Marseillais avaient fondé des établissements et jusqu’en Catalogne. Elle est aussi en usage dans les îles de l’Archipel. Expression la plus vive de la gaieté provençale, elle s’exécute aux sons du tambourin et du galoubet, qui sont aussi des instruments grecs. Elle est formée spontanément par toutes les personnes présentes, de tout âge et des deux sexes, sur les places publiques, à l’occasion d’une réjouissance ou d’une fête. Le conducteur, placé en tête, entraîne la chaîne en lui faisant faire beaucoup de détours. Il lui arrive ainsi d’en rejoindre la queue; il défile alors, avec toute la bande, sous les bras levés des derniers danseurs. Son habileté se manifeste par sa course sans arrêt, ses retours brusques, son passage dans des endroits difficiles, où il cherche à rompre la chaîne, tandis que ceux qui la composent, liés entre eux par des mouchoirs qui enveloppent leurs mains, s’efforcent de le suivre sans se séparer. La falandoulo, aussi vieille que la vieille cité phocéenne, est encore de nos jours l’accompagnement obligé de toutes les fêtes et réjouissances publiques dans le Midi. Les Félibres de Paris, qui ne manquent jamais de l’improviser à l’issue de leur fête estivale de Sceaux, l’ont fait adopter par les Parisiens qui les suivent en se mêlant à eux dans ce divertissement: symbole de la fusion plus profonde accomplie par le félibrige entre les races du Nord et du Midi, elle les unit momentanément dans un même sentiment d’allégresse et de sympathie.

La Reine de Saba.—Parmi les divertissements disparus, il en est un que nous nous plaisons particulièrement à signaler, parce que le roi René, qui l’avait emprunté aux Sarrasins, l’avait introduit dans les jeux de la Fête-Dieu, dont nous donnerons la pittoresque description. Par son caractère et le déguisement de ceux qui y prennent part, il a un côté carnavalesque qui l’a fait adopter à Tarascon et à Vitrolles, où longtemps il a joui d’une grande faveur. La Reyno sabo, nom sous lequel on le désigne à Tarascon, a été réglée par le roi René. Pour représenter la reine, on choisissait un homme très grand. Il était coiffé d’un bonnet de femme en papier découpé et portait des manchettes, également en papier, et que l’on appelait des Engageantes. La reine donnait le bras à deux princes de sa maison; un page tenait un parasol sur sa tête. Une troupe de jeunes gens richement vêtus représentaient les seigneurs de sa cour et composaient le cortège. Des danseurs la précédaient, exécutant des pas et des figures aux sons de la musique. A chaque entr’acte, ils venaient la saluer et elle leur répondait par trois révérences faites avec une affectation comique qui excitait l’hilarité de la foule. A Vitrolles, la tradition voulait que la Reyno sabo fût une importation sarrasine. Les jeunes gens y étaient vêtus à l’orientale. L’un d’eux, couvert d’un drap, élevait une poêle noircie au-dessus de sa tête; c’était la reine. Les danseurs venaient à tour de rôle la saluer, et, armés d’un bâton, frappaient en cadence un coup sur la poêle.

Caramantran.—Ce mot, qui n’est qu’une altération de carême entrant, désigne les divertissements du mercredi des Cendres, et aussi le mannequin qui personnifie le carnaval. Traîné sur un chariot ou porté sur une civière, Caramantran est entouré de gens du peuple chargés de Flasco[4], qu’ils vident en imitant les gestes désordonnés des ivrognes. Le cortège est précédé d’hommes travestis en juges et en avocats; l’un d’eux, grand et maigre, représente le carême. D’autres, montés sur des rossinantes, les cheveux épars et vêtus de deuil, affectent de pleurer sur le malheur de Caramantran. Enfin, après avoir parcouru les principaux quartiers de la ville, on s’arrête sur une place publique. On dispose le tribunal et Caramantran, placé sur la sellette, est accusé dans les formes usitées au Palais. Le défenseur répond, le ministère public conclut à la peine capitale et le président, après avoir consulté ses collègues, se lève gravement et prononce l’arrêt ou sentence de mort. Alors le peuple pousse des gémissements. Les gendarmes saisissent le condamné, que son défenseur embrasse pour la dernière fois. Caramantran, placé contre un mur, est lapidé et, pour comble d’ignominie, on lui refuse la sépulture. Puis on le jette à la mer ou à la rivière.

Dans l’accusation aussi bien que dans la défense, des poètes provençaux ont su parfois trouver d’excellents motifs qui rappelaient les Plaideurs de Racine.

Suivant les pays, Caramantran subit quelques variantes. Ainsi, aux Saintes-Maries, le premier jour de carême est appelé Paillado, et Caramantran devient un mari battu qui porte plainte contre sa femme. Celle-ci cherche à justifier les coups de bâton qu’elle a donnés, à la grande joie de la foule, qui chante des couplets ironiques sur la victime.

A Trets, c’est le mariage du vieux Mathurin que l’on célèbre. C’est une sorte de répétition de M. Denis. Un chœur de basses chante l’épithalame en accompagnant les époux.

Dans quelques communes, on fête Bacchus. Le dieu, monté à califourchon sur un tonneau placé dans une charrette traînée par des ânes, a la tête coiffée d’un entonnoir. D’une main il tient une bouteille et de l’autre un verre. Il chante le vin et la folie. Sa chanson est répétée par un nombreux cortège de jeunes gens travestis en satyres.

A Château-Renard, la clôture du carnaval prend une tournure de galanterie. Une foule de jeunes gens, montés sur des chevaux ou mulets caparaçonnés, entrent en ville à la nuit. Des chars ornés de fleurs et de verdure les suivent. Des chanteurs et des musiciens parcourent les principales rues et, à la lueur des torches, donnent des sérénades aux demoiselles qui se sont fait remarquer dans les bals par la grâce et la correction de leur danse.

Le mercredi des Cendres voit paraître sur toutes les tables un mets essentiellement local, l’Aioli. La veille, à minuit, la tradition voulait qu’à la fin du repas, le roi de la fête se levât et, s’érigeant en pontife, distribuât les cendres, pour inviter les convives au repentir.

FÊTES RELIGIEUSES

La Chandeleur.—Comme nous avons eu l’occasion de le dire précédemment, les Provençaux ont conservé, des anciennes coutumes du paganisme, un caractère assez superstitieux qui se décèle dans les campagnes plus ouvertement que dans les villes, où le peuple seul le manifeste. La Chandeleur en fournit une occasion. Ce jour-là, chacun se munit d’un cierge de couleur verte autant que possible, et le présente à la bénédiction de la messe[5]. On doit le rapporter chez soi tout allumé; si par hasard il venait à s’éteindre, ce serait un mauvais pronostic. Une fois rentrée, la mère de famille parcourt toute la maison, suivie de ses enfants et des domestiques; elle marque toutes les portes et les fenêtres d’une croix qui est considérée comme un préservatif contre la foudre.

On suspend le cierge bénit à côté du lit et on ne le rallume qu’en temps d’orage, pour les accouchements ou autres circonstances critiques.

Au même ordre d’idées se rattachent les fêtes patronales où les prieurs distribuent du pain bénit et des fruits, suivant la saison. Ainsi, pour la Saint-Blaise, on bénit du pain, du sel et des raisins, qui sont regardés comme des spécifiques contre le mal de gorge. Les biscotins, fabriqués pour la Saint-Denis, sont, dit-on, un remède contre la rage, et les gousses d’ail rôties dans le feu de la Saint-Jean chassent les fièvres. Le jour de Saint-Césaire, à Berre, on bénit des pêches, et l’on se trouve ainsi à l’abri des fièvres paludéennes assez communes dans le pays. Ces quelques exemples suffisent pour démontrer un état d’esprit où les superstitions et la religion ont fusionné jusqu’à un certain point.

Les Rameaux, la Semaine sainte et Pâques.—La fête des Rameaux, qui rappelle l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, est une des plus populaires en Provence. Les fidèles arrivent à l’église avec des branches d’olivier, de laurier ou des palmes, qui sont bénites pendant la messe. Ces rameaux, comme les cierges de la Chandeleur, sont conservés pieusement, car ils ont les mêmes vertus. Il y a dans le peuple une opinion très ancienne en ce qui concerne l’olivier: c’est, dit-on, un arbre sacré qui n’a jamais été frappé de la foudre. Les Grecs, qui avaient consacré l’olivier à Minerve, sont les auteurs de cette croyance et l’ont transmise aux Provençaux. L’usage de charger les rameaux de fruits confits ou de cadeaux paraît remonter aussi très loin. Thésée, à son retour de la Crète, ayant institué des fêtes en l’honneur de Bacchus et d’Ariane, les Athéniens s’y rendirent, portant des rameaux d’olivier chargés de fruits. Le pape Grégoire XIII défendit l’usage des friandises et des fruits pour le jour des Rameaux, dans un concile tenu à Aix, en 1585. En dépit de sa décision, on offre aujourd’hui encore aux enfants des rameaux (rampaù) ornés de fruits confits; ceux qui sont destinés aux dames portent souvent de riches cadeaux. De même que le mercredi des Cendres est le jour de l’Aioli, de même le dimanche des Rameaux est, dans toute la Provence, le jour obligatoire des pois chiches[6]. A Marseille, pour en faciliter la consommation, on les vend tout cuits dans les rues qui conduisent à l’église des Chartreux, où l’usage veut que l’on aille entendre la messe. Comme en France la gaieté ne perd jamais ses droits, on profite de l’occasion pour jouer un tour aux montagnards nouvellement arrivés, en leur persuadant que ces pois sont distribués gratuitement. Alors on voit, à la risée générale, des théories entières de ces crédules Bas-Alpins, portant chacun une énorme marmite qu’ils se proposent de faire emplir sans bourse délier. Souvent, pour ceux qui n’ont pas goûté la plaisanterie, les marmites brisées font les frais d’une explication plutôt vive.

Pendant la Semaine sainte, les enfants sont armés de crécelles, de tourniquets, claquettes et autres instruments semblables, avec lesquels ils font un vacarme épouvantable à la porte de l’église, pendant l’office des Ténèbres. Puis, se rangeant en file, ils parcourent les rues en continuant leur tapage.

Le jeudi saint, on visite les églises, qui rivalisent de richesses et d’ornements luxueux. Le samedi saint, l’usage veut que l’on fasse porter leurs premières chaussures aux enfants qui doivent quitter le maillot. C’est ordinairement la marraine qui en fait les frais; puis, accompagnée de la mère, elle va présenter l’enfant au prêtre. Au moment où l’on entonne le Gloria in excelsis, toutes les femmes qui ont des enfants nouvellement chaussés les font marcher dans l’église.

Rien de particulier à signaler quant aux solennités religieuses du jour de Pâques. Dans quelques communes, et entre autres aux Saintes-Maries, les jeunes gens donnent, la veille, des sérénades; et, le matin, ils passent avec des corbeilles ornées de fleurs et de rubans, dans lesquelles les personnes qui ont été honorées de leurs chants, accompagnés de musique, s’empressent de déposer des œufs. Car, fait digne de remarque, dans le Midi le jour de Pâques est le jour des œufs; on en sert de toutes couleurs et sous toutes les formes. On y mange aussi l’agneau pascal, qui semblerait une réminiscence de l’usage établi par Moïse, en souvenir de la sortie d’Egypte et du passage de la mer Rouge.

La fête des Rogations a lieu le jour de saint Marc et les trois jours qui précèdent l’Ascension. Les pénitents des confréries portent en procession sur un brancard un coffre en forme de châsse, dans lequel sont enfermées des reliques; de chaque côté est suspendue une étole. On a donné au coffre le nom de Vertus, par allusion aux reliques qu’il renferme et qui restent exposées trois jours dans l’église. A la campagne, les paysans font passer par-dessus les Vertus des poignées d’herbe et de blé qu’ils donnent ensuite à manger aux bêtes de somme, persuadés qu’après cette opération elles seront préservées de la colique.

La Pentecôte et les jeux de la Tarasque.—Au point de vue religieux, la Pentecôte provençale, comme Pâques, se conforme à l’usage ordinaire. Mais les jeux qui l’accompagnent ont un caractère absolument local, et méritent, par leur importance et leur variété, d’être décrits en détail.

Mentionnons, d’abord, les jeux de la Tarasque, fondés sur l’ancienne tradition relative à sainte Marthe et que tout le monde connaît. Le roi René, tout en les célébrant conformément à la coutume, voulait, pour leur donner plus d’éclat, que chacun des trois ordres y participât, sans oublier les corps de métiers dont les chefs ou prieurs faisaient partie du conseil municipal. Il faut voir ici, dans la pensée du bon roi, une haute leçon de fraternité et d’égalité chrétienne. Le peuple qu’il gouvernait était considéré par lui comme une grande famille, dont il aimait à rassembler les divers membres pour faire sentir à chacun l’étroite liaison qui doit exister entre eux et l’estime réciproque qui doit en résulter.

Les chevaliers dits de la Tarasque étaient choisis parmi les premières familles de la ville de Tarascon; ils représentaient la noblesse. L’un d’entre eux, l’Abbat, ou abbé de la jeunesse, présidait aux jeux, et avait la police de la ville pendant la durée de la fête. Les étrangers étaient invités à dîner par eux. Leur costume, très élégant, se composait d’une culotte de serge rose, justaucorps de batiste, manches plissées garnies de mousseline et ornées de dentelle; bas de soie blancs, souliers blancs, talons, houppe et bordure rouges; chapeau monté, cocarde rouge, collier de ruban rouge. Les insignes de la Tarasque, en argent, étaient suspendus à un ruban de soie de la même couleur, porté en sautoir.

Le jour de la Pentecôte, les chevaliers, en habits bourgeois, parcouraient la ville avec tambours et trompettes et distribuaient des cocardes écarlates que les hommes portaient à la boutonnière de l’habit et les femmes sur le sein. Les mariniers du Rhône, qui les suivaient, distribuaient des cocardes bleues attachées avec du chanvre. Puis venaient tous les corps de métiers, chacun dans le rang que lui assignait le cérémonial.

 

La Tarasque (d’après la légende de sainte Marthe). [↔]

Le lendemain, cette procession était renouvelée à l’issue de la messe, avec cette différence que les chevaliers étaient en costume. Vers midi, un groupe d’hommes en uniforme allait chercher la Tarasque pour la conduire hors la porte Jarnègues. Cet animal fabuleux, sorte de dogue énorme, avait le corps formé par des cercles recouverts d’une toile peinte; le dos était une forte carapace pourvue de pointes et d’écailles; des pattes armées de griffes puissantes, une queue recourbée animée d’un balancement funeste aux curieux, une tête qui tient du taureau et du lion, une gueule béante qui laisse voir une double rangée de dents, complètent le portrait du monstre. Porté par douze figurants, tandis qu’à l’intérieur un autre produisait les mouvements de la tête et de la queue, il donnait le signal de la course au moyen de fusées attachées à ses naseaux et auxquelles un chevalier mettait le feu. Alors il s’agitait en tous sens, comme animé de rage et de fureur. Malheur à ceux qui se trouvaient à sa portée: heurtés, culbutés, meurtris, ils n’avaient pas la consolation de se plaindre. S’ils cherchaient à s’enfuir, il les poursuivait, et leur affolement ne faisait qu’exciter les quolibets et la gaieté de la foule. La course terminée, on portait la Tarasque à l’église de Sainte-Marthe, où elle exécutait trois sauts en manière de salut devant la statue de la sainte. Pendant l’intervalle des courses, les chevaliers et les corporations procédaient à divers jeux en rapport avec leur rôle et leur condition sociale.

Ainsi les Portefaix désignaient un des leurs qui représentait saint Christophe, patron de la corporation, pour porter sur ses épaules un enfant richement vêtu, figurant le Christ. Six autres promenaient un tonneau sur un brancard. Ils imitaient les ivrognes et se heurtaient volontairement aux spectateurs. Cela s’appelait la Bouto ambriago. Les prieurs présentaient à tout le monde une gourde remplie de vin, où il était malséant de refuser de boire.

Les Paysans, pour imiter l’alignement que l’on trace en plantant la vigne, tenaient un cordeau qui ne servait, il est vrai, qu’à faire trébucher les badauds, au grand contentement de la foule.

Les Bergers escortaient trois jeunes filles élégamment vêtues et montées sur des ânesses. Un berger à l’air niais barbouillait d’huile de genièvre (huile de cade) la figure des curieux qui s’avançaient trop près d’elles.

Les Jardiniers jetaient des graines d’épinard aux demoiselles.

Les Meuniers, armés de poignées de farine, s’en servaient pour blanchir les visages indiscrets qui s’avançaient pour les examiner.

Les Arbalétriers faisaient pleuvoir sur la foule des flèches sans pointes.

Les Agriculteurs, montés sur des mules richement harnachées et précédés par la musique, distribuaient du pain bénit.

Les Mariniers pratiquaient le jeu de l’Esturgeon. Six chevaux du halage du Rhône traînaient une grosse charrette sur laquelle était un bateau que l’on remplissait d’eau à tous les puits que l’on rencontrait. Une pompe placée à l’intérieur servait à asperger les badauds qui s’enfuyaient, inondés, aux éclats d’un rire général. Venaient ensuite les Bourgeois, sous le patronage de saint Sébastien, précédés par des tambours et une fanfare, portant de petits bâtons blancs surmontés d’un pain bénit. Enfin le clergé de la ville, le Chapitre et le corps municipal fermaient le cortège qui entrait dans l’église de Sainte-Marthe. Les prieurs de chaque corporation déposaient les pains bénits aux pieds de la sainte et versaient des aumônes dans le tronc des pauvres. A la sortie, une immense Falandoulo se formait et parcourait les rues de la ville. C’était le dernier épisode de la fête de la Tarasque.

La Fête-Dieu.—Dans toute la Provence, les processions de la Fête-Dieu se sont toujours distinguées par la pompe qu’on y déployait. La décoration des rues pavoisées de drapeaux de toutes nuances, les fenêtres et balcons ornés de riches draperies, les reposoirs improvisés avec goût, les chaussées jonchées de pétales de fleurs, le peuple dans ses plus beaux vêtements accourant en foule sur le passage, offraient un spectacle pittoresque rehaussé par le défilé de la procession elle-même. Alors se déroulaient en longues théories les pénitents de toutes les confréries, coiffés de la cagoule, les corporations d’hommes et de femmes ayant chacune son guidon ou sa bannière, les tambourins, les trompettes et les musiques militaires escortant les prêtres revêtus de riches chasubles, les lévites avec des palmes et des corbeilles de fleurs, les jeunes filles, la tête couverte d’un voile de tulle et couronnées de roses blanches, les autorités civiles et militaires en grand costume. Enfin, sous un dais d’une grande richesse, l’évêque ou le curé portait le Saint-Sacrement, resplendissant dans les nuages d’encens qui s’échappaient des cassolettes agitées en un mouvement régulier par les enfants de chœur, vêtus de pourpre et de surplis de dentelles. Tels étaient, tels sont encore, dans quelques localités, la composition et l’aspect d’une procession de la Fête-Dieu.

Dans certaines villes, telles qu’Aix et Marseille, on y adjoignait des jeux, tombés maintenant en désuétude. Nous les décrirons néanmoins sommairement.

Les officiers des jeux étaient choisis dans les trois corps qui avaient accès au conseil municipal. La noblesse fournissait le Prince d’Amour, le barreau, le Roi de la Basoche, et les corps de métiers, l’Abbé de la Jeunesse. Le clergé s’abstenait.

Le Prince d’Amour était le premier officier. En cette qualité, il siégeait au conseil de ville après les consuls et avait voix délibérative. Mais, comme cette charge occasionnait de grandes dépenses, sur la demande de la noblesse le roi la supprima en 1668, et ce fut un lieutenant du Prince d’Amour qui le remplaça. Il lui fut accordé une indemnité de 1.000 livres et le droit de Pelote[7]. Il avait droit aux trompettes, tambours, violons, et au porte-guidon. Son costume était ainsi composé: justaucorps et culotte à la romaine, de moire blanche et argent tout unie, manteau de glace d’argent, bas de soie, souliers à rubans, chapeau à plumes, rubans de soie à la culotte, cocarde au chapeau, nœud à l’épée, bouquet avec rubans; ce bouquet se portait à la main, et le lieutenant s’en servait pour saluer les dames.

Le Roi de la Basoche était élu le lundi de la Pentecôte par les syndics des procureurs au parlement et par les notaires, sous la présidence de deux commissaires du Parlement. Son costume était semblable à celui du Prince d’Amour, mais il portait en plus le cordon bleu et la plaque de l’Ordre du Saint-Esprit.

De tous les cortèges, celui de la Basoche était de beaucoup le plus beau et le plus nombreux. Le premier bâtonnier ouvrait la marche, suivi par une compagnie de mousquetaires portant l’écharpe en soie bleu de ciel; le porte-enseigne avait aussi une compagnie de mousquetaires avec écharpes roses. Le deuxième bâtonnier, le capitaine des gardes, portaient une lance ornée de rubans. Le connétable, l’amiral, le grand maître et le chevalier d’honneur étaient suivis de vingt-quatre gardes en casaques de soie bleu de ciel doublées de blanc, avec des croix en dentelle d’argent sur la poitrine et dans le dos, le mousquet sur l’épaule et l’épée au côté. Le troisième bâtonnier était escorté par une compagnie de mousquetaires avec écharpes bleues; puis venaient le guidon du roi, la musique et les pages. Le Roi de la Basoche, entre deux gardes du Parlement, suivi de ses invités, fermait la marche. Une de ses prérogatives consistait, avant de se rendre à l’église, à faire acte d’apparition au Palais, où il siégeait quelques instants à la place du roi.

L’Abbé de la Jeunesse était nommé sur une liste de candidats présentés par les syndics des corporations. Cette nomination avait lieu après celle du Prince d’Amour, et, comme celui-ci, l’abbé jouissait du droit de pelote. Les six bâtonniers commandaient les compagnies de fusiliers attachés à l’Abbadie pour exécuter les feux ou décharges appelées Bravades.

Le porte-guidon et le lieutenant avaient l’habit noir, le plumet et la cocarde au chapeau, l’épée et le hausse-col. L’abbé était en pourpoint et manteau noir de soie, avec rabat, etc. Il était accompagné des deux autres abbés, et portait à la main un bouquet pour saluer les dames. Sa suite était formée de nombreux parents et amis, gantés de peau blanche et tenant un cierge dont il leur avait fait cadeau.

Les jeux des trois ordres avaient lieu simultanément et toujours aux dates et heures convenues. Ils commençaient la veille de la Pentecôte et se continuaient à toutes les fêtes qui suivaient.

La Passade.—La veille de la Fête-Dieu, vers les trois heures et demie du soir, les bâtonniers de l’Abbadie et de la Basoche parcouraient la ville, accompagnés de fifres et de tambourins qui jouaient des airs de la composition du roi René. Après s’être arrêtés à des endroits convenus, ils simulaient des combats à la lance, comme dans les tournois, et saluaient les dames après chaque pose d’armes. Ce jeu, emprunté à la chevalerie, s’appelait en provençal La Passade. Vers dix heures lui succédait Le Jeu du guet.

Le cortège, en tête duquel était placée la Renommée à cheval et sonnant de la trompette, était ainsi composé. D’abord un groupe de deux personnages grotesques, drapés dans un manteau rouge à rubans jaunes, coiffés d’un casque empanaché, montés sur des ânes et entourés de toutes sortes d’animaux, qu’on avait bien de la peine à contenir au milieu des cris des enfants et des huées de la foule. Ces deux caricatures représentaient ordinairement de hauts personnages politiques dont le peuple et le roi avaient à se plaindre. A la suite, un groupe mythologique: Momus et ses grelots, Mercure avec les ailes et le caducée, la Nuit en robe de gaze noire parsemée d’étoiles d’argent et tenant à la main des pavots. Mais ce groupe, on ne sait pourquoi, était brusquement coupé en deux par un autre allégorique, composé de Rascassetos: quatre individus ayant des poitrails de mulets et trois d’entre eux des têtières, armés, l’un d’une brosse, l’autre d’un peigne, le troisième d’une paire de ciseaux, entourent le quatrième Rascasseto, affublé d’une énorme perruque, et font semblant de le brosser, de le peigner, puis de le tondre. On avait l’intention de figurer ainsi les lépreux de l’ancienne loi mosaïque, qui avait aussi fourni la matière du jeu suivant.

Le Jeu du Chat.—C’était encore une allégorie. Un Israélite portait une perche surmontée du veau d’or; trois autres, dont l’un tenait un chat à la main, se prosternaient devant l’idole. Arrivait Moïse, avec les tables de la loi, le visage empreint d’une grande colère; le grand prêtre Aaron, revêtu de ses habits pontificaux, cherchait à calmer son courroux. Enfin celui qui portait le chat le jetait en l’air, circonstance dont le jeu a tiré son nom. C’est cet animal qui, adoré en Egypte, amena les Hébreux à l’idolâtrie du veau d’or. Ici, l’action de le jeter en l’air signifiait que Moïse reçut la soumission des Israélites, qui renoncèrent aux superstitions de l’Egypte.

Avec Pluton et Proserpine à cheval, précédant l’Armetto, la mythologie reparaissait. Cette armetto se composait d’un premier groupe de quatre petits diables vêtus de noir; une bandoulière de grelots, un trident à la main et un masque surmonté de deux cornes complétaient leur costume. Ils voulaient s’emparer d’une Ame, figurée par un jeune enfant vêtu de blanc et à demi nu. L’enfant se cramponnait à une croix qu’un ange lui présentait. Ne pouvant enlever l’Armetto[8], les diables se vengeaient sur son protecteur qui recevait leurs coups sur un coussin placé entre les ailes. Le second groupe se composait de douze grands diables, dont le chef se distinguait par des cornes plus longues et plus nombreuses. Ils entouraient Hérode, en casaque cramoisie et jaune, avec couronne et sceptre, accompagné par un homme habillé en femme représentant la diablesse. Dans le principe, elle se tenait à côté de saint Jean-Baptiste et représentait Hérodiade.

Le tableau que nous allons esquisser est celui des divinités de la mer. On voyait Neptune et Amphitrite, escortés par une foule de Dryades et de Faunes, dansant au son des tambourins; le dieu des bergers à cheval, poursuivant la nymphe Syrinx, qui, pour indiquer sa métamorphose, portait un roseau; Bacchus, assis sur un tonneau, la coupe d’une main et le thyrse de l’autre; Mars et Minerve, Apollon et Diane, Saturne et Cybèle à cheval avec leurs attributs et suivis de deux troupes de danseurs. Du char de l’Olympe, où trônaient Jupiter et Junon, Vénus et Cupidon, qui président aux jeux, aux ris et aux plaisirs, souriaient à la foule en envoyant des baisers. Le cortège finissait par les trois Parques, pour rappeler que la mort termine tout.

A ces jeux, à ces cortèges, succédaient, le lendemain et pendant la procession même de la Fête-Dieu, des groupes nouveaux ayant plutôt un caractère d’allégorie religieuse.

La mise en scène du massacre des Innocents, désignés sous le nom de Tirassouns, était en quelque sorte une pantomime. Hérode présidait à l’exécution, escorté d’un tambourin, d’un porte-enseigne et d’un fusilier[9] qui, au signal donné, faisait une décharge, abattant quelques enfants. C’étaient ces enfants qu’on appelait tirassouns, à demi nus, qui tombaient et se roulaient dans la poussière. Moïse, indigné, montrait au roi sanguinaire les tables de la loi.

La Belle Etoile (la bello Estello).—Les trois Mages, partant pour Bethléem, étaient précédés d’un enfant vêtu en lévite et portant une étoile d’argent à l’extrémité d’un long bâton. Trois pages chargés de présents les suivaient.

Les Apôtres, revêtus du costume oriental, étaient munis chacun d’un symbole propre à le faire reconnaître; Jésus, au milieu d’eux, marchait recueilli et comme accablé sous le poids de la croix.

Les Chevaux Frux, que la tradition fait remonter aux Phocéens, furent en grand honneur sous la chevalerie et le roi René. Longtemps regardés, d’après la légende, comme l’image des combats entre les Centaures et les Lapithes, on y voit aujourd’hui une reproduction grotesque des anciens tournois. Ces chevaux en carton, richement caparaçonnés, la tête ornée de panaches, étaient mis en mouvement par leurs cavaliers. Une ouverture pratiquée dans le dos permettait à l’homme, au moyen de courroies, de suspendre sa monture, qui avait l’air de faire corps avec lui; les draperies masquaient les jambes, et les mouvements imprimés par le cavalier casqué, armé d’une lance, imitaient toutes les figures usitées dans les tournois. Cet escadron, composé d’une vingtaine de chevaux, était précédé d’un héraut d’armes, d’un coureur et d’un Arlequin, qui faisait toutes sortes de tours. A sa suite, la musique, fifres et tambourins, jouait des airs gais de la composition du roi René.

Un Tambourinaire.

La Mort, comme aux jeux du Guet, apparaissait enfin, mais sous un aspect plus repoussant. La personne qui la représentait, grande, la figure noire, la tête couverte d’ossements, était armée d’une faux avec laquelle elle écartait les curieux. Ces derniers attachaient une grande importance à n’être pas touchés par la faux qui, d’après eux, désignait ceux qui devaient mourir dans l’année.

Un usage qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, c’est la promenade du bœuf, pendant la semaine précédant la Fête-Dieu. La corporation des bouchers de la ville de Marseille a toujours eu le monopole de cette cérémonie. On choisit le bœuf le plus beau, on lui dore les sabots et les cornes auxquelles on suspend des guirlandes de roses. On couvre son dos d’une housse de velours à crépines d’or, et l’on y fait asseoir le plus bel enfant que l’on peut trouver. Il est vêtu d’une tunique blanche comme un lévite et couronné de roses. Parfois aussi il est tout nu, avec une peau de léopard sur les épaules et la poitrine, et, sur la tête, des feuilles de vignes entremêlées de grappes de raisin. Quatre bouchers l’accompagnent; leur vêtement consiste en une robe de damas de différentes couleurs, attachée à la taille et assez courte pour laisser voir au-dessous du genou des bas de soie et des souliers à boucles. Une ceinture de soie à franges et crépines d’or, une chemise plissée à manches, ornée de rubans, enfin un chapeau d’abbat bordé d’or et entouré de plumes blanches complètent le costume. Le cortège, suivi de fifres et de tambourins, parcourt les rues où doit passer la procession. Les bouchers portent des plats d’étain et font la quête, dont le produit sert à payer les frais de cette exhibition. Le soir venu, on abat le bœuf, dont les quartiers sont distribués aux pauvres de la ville. On s’est livré à de longues dissertations pour expliquer ces usages, et surtout la mort du bœuf. Les uns ont voulu y voir le sacrifice du bouc émissaire des Hébreux, chargé de toutes les iniquités du peuple. Mais alors pourquoi un bœuf, quand il était si simple de se procurer un bouc? D’autres ont pensé que les bouchers tiennent la place des anciens sacrificateurs romains, idée justifiée par une certaine ressemblance de costume. Nous croyons simplement que tous les corps de métiers étant représentés à la procession de la Fête-Dieu, sauf les bouchers, qu’aucune bonne raison n’excluait, ils avaient pris un bœuf comme emblème de leur corporation. Quant à l’enfant, sa robe de lévite est une réminiscence de la religion juive. Avec les attributs de Bacchus, il perpétue un souvenir du paganisme.

A Salon, la confrérie des paysans dite de Diou lou payre (Dieu le père) élisait tous les ans, le jour de l’Ascension, un laboureur qui prenait le titre de Rey de l’Eyssado[10]. Il paraissait à la procession de la Fête-Dieu tenant une pioche en guise de sceptre, précédé de pages portant des épées nues. Une paysanne partageait avec lui les honneurs de la royauté. Des dames d’honneur tenant des bouquets, précédées par un autre paysan portant un drapeau, un autre jouant du tambour de guerre, un berger portant une écharpe en sautoir et jouant du bâton, enfin quatre danseurs suivis de tambourins complétaient le défilé.

Pour la Saint-Jean, les artisans élisaient le Roi de la Badache[11]. Cette cérémonie était annoncée la veille au son des cloches et des tambourins par un grand feu de joie. A la procession de la Fête-Dieu, le Roi de la Badache se montrait en habit à la française avec, sur les épaules, un manteau bleu parsemé d’étoiles d’or et à la main un chapeau Henri IV. Il était précédé d’un courrier, d’un porte-drapeau, d’un joueur de pique, de trois princes d’amour, de huit danseurs et de deux pages. Derrière lui, un second courrier annonçait la reine et ses dames d’honneur.

La Saint-Jean.—A huit heures du soir, la veille de cette fête, le corps municipal, le clergé et les prieurs des corporations se rendaient en grand cortège sur la place où l’on avait disposé des fagots de sarments et des fascines. Le maire a encore aujourd’hui le privilège d’y mettre le feu et il fait trois fois le tour du bûcher, suivi de tous les assistants. La flamme monte et éclaire la foule, les cloches sonnent à toute volée, les boîtes à poudre font entendre leurs détonations, les serpenteaux éclatent, traversent l’air et tombent sur les spectateurs effarés. Bientôt la falandoulo se forme, et c’est en dansant et en chantant que l’on voit s’éteindre le feu de la Saint-Jean. A Marseille, on dispose sur la colline de Notre-Dame de la Garde des tonneaux de goudron qui brûlent toute la nuit. Par intervalles, des feux de bengale de toutes couleurs changent l’aspect de cette partie de la ville, où l’on termine la fête par un brillant feu d’artifice. Le marché aux herbes de la Saint-Jean est trop intimement lié à ces réjouissances pour que nous n’en disions pas un mot. Qui ne le connaît, à Marseille? C’est un des plus anciens que nous ait légués la tradition provençale, et c’est aux allées de Meilhan, sous les ormes séculaires et les platanes grecs, qu’il se tient.

Les paysans de la banlieue ou du Terradou, comme l’on dit en provençal, y apportent leurs plus beaux produits. A peine a-t-on fait quelques pas que des émanations singulièrement piquantes s’échappent d’un amoncellement d’aulx, promesse, pour les amateurs d’aioli, d’un festin savoureux que n’aurait pas dédaigné Homère. Les plantes et les fleurs, sauge, romarin, verveine, menthe, lavande, mêlent leur parfum et leur couleur aux roses, jasmins, cassies, géraniums, pétunias, chrysanthèmes et à toute la gamme florale si riche de la Provence, pour arriver aux arbustes, câpriers, ifs, pistachiers, orangers, citronniers, lentisques, palmiers, syringas, arbousiers, néfliers, azeroliers, jujubiers: le tout soigneusement étiqueté et aligné, dans l’arrangement le plus propice à tenter l’acheteur. Dès la première heure la foule s’empresse, et chacun fait ses provisions pour l’année. La coutume veut aussi que les plantes aromatiques soient cueillies sur la montagne de la Sainte-Baume, lorsque les premiers rayons du soleil viennent frapper le Saint-Pilon. D’après la légende, les herbes et les plantes acquièrent à ce moment des vertus qu’elles n’ont pas si on les cueille avant ou après; voilà pourquoi les marchandes n’oublient jamais de vous dire, en vous offrant de la sauge, de la lavande ou du romarin: «C’est de l’aurore.»

Les Morts.—Le soir de la Toussaint, on se réunit en famille et l’on prend en commun le repas dit des Armettos[12]. Les châtaignes et le vin cuit sont de rigueur. Ce repas est donné en commémoration des parents décédés, dont on raconte la vie aux enfants; on le termine par une prière pour le repos de leur âme.

La Noël.—De toutes les fêtes religieuses célébrées en Provence, la Noël est certainement la plus importante, la plus populaire, la plus généralement observée par les riches comme par les pauvres. Elle se divise en quatre parties: la Crèche, les Calenos, la Messe de minuit et le Jour de Noël. La crèche a la même origine que les mystères; ce sont les Pères de l’Oratoire qui, les premiers à Marseille, en donnèrent le spectacle. De nos jours, la semaine qui précède la Noël, il s’établit sur le Cours une foire où l’on vend des crèches toutes préparées. On y trouve également les Santons[13] et les accessoires pour ceux qui veulent les composer eux-mêmes. Ces santons représentent saint Joseph, la sainte Vierge, le petit Jésus, le bœuf, l’âne, les rois maures et, en général, tous les personnages et les animaux qui se trouvaient à Bethléem à la naissance du Christ. Le soir, les familles s’assemblent et, à la lueur des cierges, chantent les noëls de Saboly.