La Reine Hortense en Italie, en France et en Angleterre pendant l'année 1831 - Ligaran - E-Book

La Reine Hortense en Italie, en France et en Angleterre pendant l'année 1831 E-Book

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Extrait : "Après avoir reçu de la fortune tout ce qu'elle peut prodiguer de grandeurs et d'adversités, après avoir retracé les brillants et tristes détails de ces vicissitudes dans des souvenirs achevés en 1820, j'espérais que le sort, fatigué de m'accabler, ne me réservait plus que le repos ; je croyais l'avoir obtenu enfin..."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Arenenberg, 22 septembre 1833.

Mes amis ont pensé qu’après la publicité officielle donnée à mon passage à Paris en 1831, et les nouvelles erreurs répandues à cette occasion sur mon compte, c’était un devoir pour moi d’expliquer au public, seul juge en dernier ressort de ce qui est bien comme de ce qui est mal, les motifs qui m’ont obligée à enfreindre momentanément une loi de mon pays, loi injuste, sans doute, mais que je devais respecter. Les conseils de leur amitié ont triomphé de ma réserve, et je me suis décidée à faire paraître le récit de mes derniers malheurs. Je le fais avec une sorte de crainte ; me placer en évidence par ma volonté, c’est agir d’une façon contraire à la vie que j’ai toujours souhaitée. J’avais écrit pour soulager mon cœur de ses douloureuses impressions, sans penser qu’elles dussent être connues ; à présent que je me laisse convaincre de la nécessité de rendre tout le monde juge de ce que j’ai fait, comme de ce que j’ai senti, je ne me repentirai pas de cette démarche, si ceux qui vont me lire, s’identifiant avec mes douleurs, m’accordent un sentiment d’intérêt et d’affection que j’ai toujours ambitionné de mes compatriotes.

HORTENSE.

Récit de mon passage en France et des causes qui l’ont amené
I

Après avoir reçu de la fortune tout ce qu’elle peut prodiguer de grandeurs et d’adversités, après avoir retracé les brillants et tristes détails de ces vicissitudes dans des souvenirs achevés en 1820, j’espérais que le sort, fatigué de m’accabler, ne me réservait plus que le repos ; je croyais l’avoir obtenu enfin ; mais la douleur, qui me trouve sans courage parce qu’elle anéantit toutes mes facultés, la douleur si déchirante que cause la perte d’objets chéris, il m’a fallu en être frappée à coups redoublés, et, chaque fois que ma raison reprenait de l’empire, que je me resserrais avec une sorte de joie autour de ce qui me restait, la mort impitoyable revenait sans cesse m’isoler davantage.

En 1821, j’eus à supporter le chagrin d’apprendre la mort affreuse de l’Empereur. Lui, si grand de facultés et si grand d’âme, qui voua son génie au bien-être des peuples et sembla les enchaîner pour briser à jamais leurs chaînes ; lui qui préparait le siècle de la liberté, en éclairant les nations, et en introduisant dans nos mœurs comme dans nos lois le règne de l’égalité, il périssait dans une île malsaine et déserte, loin des siens, à la merci de ses ennemis, méconnu de la France qu’il avait rendue si puissante et si prospère, de l’Europe où chacune de ses conquêtes apportait des institutions regrettées aujourd’hui ! Il n’avait pour toute consolation dans son isolement, que l’avenir de gloire qu’il savait bien lui être réservé. Lui seul devait pressentir la justice qui lui serait rendue un jour, parce que lui seul comprenait alors tout le bien qu’il avait fait et tout le bien qu’il avait voulu faire.

En 1824, j’eus encore la douleur de perdre le frère le plus parfait et le plus tendrement aimé : il était dans la force de l’âge et de la santé. Déjà dès l’année précédente les symptômes de la crise terrible qui nous l’enleva plus tard nous avaient fait sentir toutes les angoisses d’une séparation éternelle. Présente à sa maladie, combien mon courage avait été mis à une terrible épreuve, quand je l’avais vu mourant, abandonné des médecins ; quand seule j’avais été chargée de lui faire faire ses dernières dispositions, et que j’avais encouragé à lui donner les remèdes qui le sauvèrent et nous le rendirent pour quelques mois encore ! Quel temps heureux que ces quinze jours que nous passâmes ensuite en famille sur les bords du lac de Constance ! Comme un malheur qu’on vient d’éviter ajoute de jouissances à la vie ! Comme elle s’embellit de tout ce que le ciel nous laisse de bienfaits ! Je puis dire qu’alors je sentais vivement le bonheur qui me restait ; toute autre infortune avait disparu. J’avais craint de perdre mon frère, mon ami, mon soutien, et je le conservais ! et il m’était rendu !… Remplie de sécurité, je partis pour l’Italie ; et c’est là que je reçus l’affreuse nouvelle qu’il était retombé malade, et que traité de la même manière (par la saignée, qui une première fois lui avait été si contraire), doucement il sembla s’endormir… Il n’existait plus !…

Après ce malheur, un des plus grands de ma vie, je passai l’hiver à ma campagne en Suisse. Je faillis y mourir ; j’étais anéantie ; je n’avais plus la force de lutter contre tant de douleurs : l’amour maternel me sauva. Il fallait vivre, j’avais encore des enfants ! Le courage me revint.

Madame Campan qui m’avait élevée, madame de Caulaincourt qui fut madame d’honneur, toutes deux m’aimaient aussi tendrement que si j’eusse été leur fille, il me fallut encore les regretter.

Le bon roi de Bavière mourut aussi. Je perdais le dernier protecteur qui me restait, et la Bavière n’avait plus d’intérêt pour moi. J’éprouvai des difficultés pour aller en Italie ; je parvins enfin à les surmonter, et tous les ans j’allai passer l’hiver à Rome et je revenais l’été habiter ma campagne d’Arenenberg en Suisse. La douce consolation que me procuraient mes enfants, le dévouement de quelques amies, la constante affection de la grande-duchesse de Bade, qui seule de ma famille m’a donné des soins dans mes malheurs ; les voyages, le beau ciel de l’Italie, l’amour des arts, enfin tout ce qui distrait, rien de ce qui touche vivement, avaient rendu de la douceur à ma vie. Ma santé s’était fortifiée, les douleurs de mon âme s’étaient calmées, lorsque la révolution de juillet vint tout à coup me faire sortir de cet état de tranquillité, pour me jeter de nouveau dans toutes les agitations de la vie.

Mon fils aîné avait épousé sa cousine, seconde fille du roi Joseph. Il vivait à Florence près de son père. Il était remarquablement beau et bon, rempli d’intelligence, de feu et du besoin de dépenser ses facultés pour le bonheur des autres. Malgré les grandeurs qui avaient environné son enfance et dont j’avais tant redouté l’influence pour l’éducation que je voulais donner à mes fils, il avait adopté ces maximes qu’on lui répétait souvent : « Qu’il faut être homme avant d’être prince ; que l’élévation du rang n’est qu’une obligation de plus envers ses semblables, et que l’infortune noblement supportée rehausse toutes nos nobles qualités. » Les malheurs sans nombre de sa famille avaient encore été la meilleure des leçons. Aussi, sans préjugés, sans regrets des avantages qu’il devait à sa naissance, mettant seulement à honneur d’être utile à l’humanité, il était républicain par caractère, ne faisait aucun cas des prérogatives qu’il avait perdues, et croyait devoir son assistance à tout ce qui souffrait. Je n’avais pu le retenir lorsqu’il voulut aller en Grèce, qu’en lui tandis que son nom pouvait nuire à cette cause intéressante. « Il voulait s’y rendre seul, disait-il, y servir sans qu’on pût le reconnaître. » Mais enfin il céda à l’idée d’abandonner son père malade, dont il était la plus douce consolation. Je cherchais à calmer par mes conseils cette exaltation, qui, quoique portée vers tout ce qui était noble et élevé, me faisait craindre pour des destinées que le sort semblait vouer au repos.

Mon fils Louis avait absolument les mêmes sentiments et le même caractère que son frère. La révolution de juillet les trouva, l’aîné au milieu de ses inventions pour l’industrie, qui, faute de mieux, l’occupaient depuis son mariage ; et le plus jeune à l’école militaire de Thun, où il suivait des cours d’artillerie et du génie. Tous deux semblèrent renaître au bruit des évènements de Paris. Quoique séparés, leurs impressions furent les mêmes ; vifs regrets de n’avoir pas combattu avec les Parisiens, enthousiasme pour leur héroïque conduite, et légitime espoir de servir cette France qu’ils chérissaient tant. Ils me disaient :

« Elle est enfin libre ; l’exil est fini, la patrie est ouverte ; n’importe comment, nous la servirons ! » Voilà ce qui remplissait toutes leurs lettres. J’étais loin de partager leurs espérances.

Depuis la chute de l’Empereur, la liberté d’écrire, si nécessaire alors pour défendre les droits du peuple, avait été aussi employée à dénaturer tous les actes de son règne. L’homme qui se croyait le plus impartial, pour faire passer un éloge avançait une injure ou une critique. La jeunesse élevée à cette école, et qui jouissait pourtant des institutions établies par l’Empereur, admirait à peine le génie supérieur qu’elle ne se donnait pas le loisir de juger. Elle ne comprenait pas que ce nom de Napoléon portait seul avec lui le principe d’égalité, d’ordre et d’indépendance nationale.

Il avait, disait-on, attenté à la liberté. Le parti des Bourbons pouvait, il est vrai, s’en plaindre, car le 13 vendémiaire et le 18 fructidor avaient donné le secret de sa force alors et de ses espérances ; mais pour les patriotes ce reproche serait une injustice. La liberté pendant les guerres eût été toute en faveur des anciens privilégiés et des ennemis de la France. Le peuple, fatigué des discordes civiles, ne paraissait plus disposé à soutenir une émancipation dont il tardait tant à ressentir les bienfaits.

Un autre reproche adressé à l’Empereur était le rétablissement de la noblesse, et pourtant le coup le plus funeste qui lui fut porté vint de la création de la nouvelle noblesse, à laquelle tout le monde pouvait atteindre. L’ancienne n’avait pas le droit de reprendre ses titres, car ce fut Louis XVIII qui les lui rendit ; mais les persécutions dont elle avait été l’objet pendant la révolution avaient fait succéder la bienveillance à la haine. L’antique habitude d’honorer ces noms historiques reparaissait et faisait reporter vers eux un intérêt dont ils eussent profité pour reprendre leurs avantages. Malgré l’estime due à nos nouvelles illustrations, les anciennes familles recevaient encore seules les hommages de la société française comme de l’étranger, et elles n’avaient qu’un pas à faire pour retrouver la puissance. L’Empereur, en donnant des titres, créait une aristocratie conservatrice des bienfaits de la révolution comme des droits nationaux, et par là il annula l’ancienne, dont tous les intérêts étaient, depuis longtemps, devenus oppressifs au peuple.

Un législateur peut conserver comme sujet d’émulation des distinctions encore respectées, ne les accorder qu’au mérite et aux services rendus : c’est un progrès. Anéantir les distinctions lorsque le besoin en existe encore et qu’il fait partie de nos mœurs, c’est renvoyer au camp ennemi ceux dont on pourrait tirer un utile parti en n’accordant plus qu’à leurs talents, comme à ceux de tous, les prérogatives qui furent si longtemps le droit de leur naissance.

Tel fut le système de l’Empereur ; et si la nouvelle noblesse a été assez inconséquente pour se réunir à l’ancienne contre le peuple dont elle faisait partie, qui pouvait le prévoir ? Par cette trahison, bien des hommes et tous les titres sont devenus de peu de valeur en France. Plus nationale en Angleterre, l’aristocratie y est encore puissante. Celle de l’empire, qui s’est neutralisée par sa propre faute, ne serait pas de si peu de poids, si les maréchaux, si les grands d’alors s’étaient retirés à l’écart au moment de nos humiliations, ou si leurs voix ne se fussent jamais élevées que pour défendre les intérêts populaires. L’amour et le respect les environneraient encore, et l’on n’eût osé ni méconnaître ni attaquer leurs temps glorieux.

Au lieu de cela, la calomnie avait prévalu ; on s’était insensiblement détaché de tous les souvenirs du passé ; on n’en voulait plus ; le peuple seul, qui en avait recueilli les bienfaits, ne l’oubliait pas. Mais confiant en ses nouveaux défenseurs, occupés avec courage depuis le retour des Bourbons à faire respecter par leur éloquence des intérêts que l’empire avait toujours ménagés, le peuple fit la révolution de juillet, et laissa à leurs talents et à leur patriotisme le soin d’en assurer le résultat.

Les libéraux, repoussés de la cour de Charles X, avaient été constamment reçus avec bonté, avec grâce, chez le duc d’Orléans. Ils avaient jugé cet intérieur de famille moral et intéressant. Ces vertus et cette simplicité bourgeoise les avaient séduits ; c’était une véritable affection ; et sans vouloir s’arrêter à la position du duc, ni au nom qu’il portait, son caractère avait suffi pour les rassurer tous, et ils le croyaient seul capable de porter à bien les destinées de la France.

J’avais vu souvent de ces citoyens distingués ; ils cachaient peu leurs sentiments. Ce parti, joint à celui qui, à l’instar de l’Angleterre, voulait depuis longtemps faire d’un d’Orléans un Guillaume, assurait la couronne au duc à la première occasion. Je n’en doutais pas, et mes prévisions ne furent pas trompées. En voyant le drapeau tricolore, des voix s’élevèrent, il est vrai, en faveur de Napoléon II, mais elles cédèrent bientôt à l’ascendant de ceux qui possédaient la confiance générale. Le duc d’Orléans fut reconnu roi ; mais le peuple, rarement ingrat aux bienfaits reçus, qu’il fut touchant pour le souvenir de l’Empereur ! Tout en reconnaissant le roi qu’on lui offrait, on ne put le satisfaire qu’en lui promettant le corps de Napoléon. Sa statue sur la colonne, le retour de sa famille, et les représentations de nos anciennes victoires, lui semblèrent la récompense de celle qu’il venait de remporter.

Je reçus beaucoup de lettres à cette époque. Les unes disaient : « Nous avons combattu en songeant à votre cause ; » les autres : « Arrivez, nous sommes libres enfin, et nous allons vous revoir !… » Je compris que le nouveau roi allait avoir une position difficile, entre une affection populaire ancienne, légitime, pour le souvenir d’un grand homme, et une liberté sans limite qui lui imposait des conditions de fidélité d’autant plus impérieuses qu’il portait un nom sur lequel les derniers évènements devaient naturellement appeler la méfiance. Que devait-il faire ? La réponse n’était pas facile. Quant aux principes qui devaient diriger ses actions, ils me semblaient indiqués d’avance.

Toute jeune, j’avais pris l’habitude de chercher à m’expliquer quelle raison faisait faire telle ou telle chose à l’Empereur. J’approuvais presque toujours ; mais j’avoue à ma honte que souvent ce que j’avais découvert ne me satisfaisait pas. J’osais quelquefois le blâmer à part moi. Depuis que j’ai acquis de l’expérience, que de fois me suis-je écriée : « Ah ! que l’Empereur avait raison et qu’il connaissait bien les hommes ! »

Cette habitude de réflexion contractée fort jeune, et ce plaisir qu’on trouve à prévoir la conduite des hommes publics par l’examen de leur situation, me firent alors penser que, né d’une révolution populaire, le roi devait en embrasser franchement tous les intérêts, sans quoi, la liberté qu’il était appelé à soutenir se tournerait contre lui. Deux noms seuls en France inspirent au peuple une entière confiance, celui de Napoléon et celui de Lafayette : le premier, parce que, leurs intérêts sont confondus ensemble : même gloire, même grandeur, mêmes ennemis ; le second, parce qu’il s’est montré toute sa vie l’ami désintéressé des peuples, et le noble et constant défenseur de leurs libertés. Il me semblait de l’essence de cette nouvelle cause de s’identifier complètement avec les idées de liberté de l’un, et les idées de gloire de l’autre. Il fallait donc que le nouveau roi fît chanter cette gloire passée pour qu’on ne la lui chantât pas en signe de malveillance. Et la conséquence naturelle de tels principes était l’abrogation de la loi de proscription qui frappait les Bonapartes, loi imposée avec éclat par l’étranger à la France au moment de nos humiliations communes, et que la France enfin affranchie ne pouvait manquer d’abolir avec le même éclat, ne fût-ce que pour constater son indépendance. Je n’en doutais pas, du moins ; aussi quel fut mon étonnement lorsque je lus dans une gazette la proscription nouvelle dont on frappait la famille de l’Empereur ! J’en fus affligée et étonnée au dernier point. Comment ! la France libre, au lieu de réparer les coups portés par l’étranger en 1815, consent à reconnaître de tels actes ? Le souverain qui se met à la tête d’une nation généreuse doit-il en repousser les souvenirs et les affections ? C’est une triste condescendance envers les ennemis de son pays.

Cependant, si je me plaignis à quelques amis de cette injustice, je me résignai à la supporter, et j’exigeai même des personnes qui voulaient en occuper le public, de renoncer à troubler la joie de la France par des plaintes en notre faveur que je ne voulais pas encourager. Il est singulier que je n’aie jamais cherché que l’ombre et le repos, et que la destinée me place sans cesse en évidence. Aussi la calomnie me suppose-t-elle toujours créatrice des agitations qui ont tant troublé ma vie. Les deux lettres qui suivent feront connaître mes idées à cet égard.

Arenenberg, 2 septembre 1830.

À M. ***,

Vous désirez de mes nouvelles ; je me réjouis, comme vous, du bonheur de la France. Vous avez dû voir que l’enthousiasme de mes enfants n’a pu être contenu, malgré mon désir qu’ils ne paraissent en rien. Mais ils sont élevés à apprécier ce qui est noble et grand : ils sont fiers de leur patrie qu’ils auraient été heureux de servir, et ils ont de vingt à vingt-cinq ans !… Vous savez aussi combien de fois ils ont entendu répéter que les places les plus élevées ne faisaient pas le bonheur ; mais que l’air de la patrie, des amis et une distinction toute personnelle devaient être le but de leur ambition. Je pense donc comme vous qu’ils pouvaient la servir cette France devenue libre, sans offenser aucun de leurs souvenirs. Ce n’était pas à nous à ne pas reconnaître les droits d’un peuple à se choisir un souverain. Mais je viens de lire une loi qui m’étonne autant qu’elle m’afflige. Comment ? dans ce moment d’enthousiasme et de liberté, la France ne devait-elle pas ouvrir les bras à tous ses enfants ? à ceux qui, depuis quinze ans, partageaient avec elle tant d’abaissement et de souffrance ? Au lieu de cela, on renouvelle pour une seule famille un acte de proscription. Quels sont ses crimes ? N’est-ce pas l’étranger qui l’avait chassée ? n’est-ce pas la France qu’elle avait servie ? Craindre cette famille, c’est lui faire un honneur qu’elle repousse… Son chef n’existe plus ! S’il a donné une grandeur et une gloire qu’on accepte enfin, faut-il repousser tout ce qui lui a appartenu, au lieu d’acquitter une dette sacrée, en exécutant le traité fait avec lui pour sa famille. Aucun des membres de cette famille ne pensait encore à revenir en France. Il y a des convenances que les positions forcent à garder, et sans une invitation du pays ils ne pouvaient s’y présenter. – Mais les voilà encore, avec leurs malheurs, sans protection, et en butte à toutes les vexations dont les gouvernements se plaisaient à les accabler ! Que puis-je dire à mes enfants, moi qui ne cherche qu’à modérer leur jeunesse et à entretenir en eux l’amour de la patrie et de la justice ? Je ne puis plus que leur apprendre que les hommes sont ingrats et égoïstes ; mais qu’il faut encore les aimer, et qu’il est toujours plus doux d’avoir à leur pardonner qu’à les faire souffrir. – Adieu, vous avez désiré de mes nouvelles, vous voyez que l’impression du moment est pénible. Je ne comptais pas aller à Paris ; loin de là, je m’arrangeais pour mon voyage d’Italie. Mais la vue de cette loi qui nous expulse à jamais de cette France qu’on aime tant, où l’on espérait encore aller mourir, est venue renouveler toutes mes douleurs. Cette proscription prononcée dans des temps malheureux était triste sans doute ; mais c’était par des ennemis. Renouvelée par ceux qu’on croyait des amis, cela frappe droit au cœur.

HORTENSE.

P.S. Mon fils est encore avec les élèves de Thun, occupé à faire des reconnaissances militaires dans les montagnes. Ils font dix à douze lieues par jour, à pied, le sac sur le dos. Ils ont couché sous la tente au pied d’un glacier. – Je l’attends dans dix jours.

Arenenberg, 2 octobre 1830.

Je reçois votre lettre, monsieur ; je suis on ne peut plus touchée du sentiment qui vous inspire un ouvrage en faveur de la famille Bonaparte encore exilée de la France. Plus que personne j’ai été vivement affligée de cette loi sévère ; mais j’ai dû me résigner, parce que, Française avant tout, et ne pouvant supposer à mes chers compatriotes, libres enfin, une ingratitude qui est loin de leur caractère, j’ai appris qu’il avait fallu de fortes raisons pour nous éloigner encore. Notre exil, dit-on, paraît nécessaire au bonheur de la patrie, à sa tranquillité présente ; il ne doit être que momentané : comment ne pas y souscrire, quand sa gloire et sa prospérité furent toujours notre premier intérêt ? Je vous conseille donc, monsieur, de la peindre dans vos chants heureuse et libre, cette France régénérée ; mais de ne pas y ajouter une plainte sur ce qui nous regarde. Vous l’attristeriez, et vos vers, à en juger par ceux que je reçois, sont trop bien pour ne pas faire un effet qui ne serait pas en harmonie avec notre résignation. Je recevrai pourtant avec reconnaissance l’ouvrage que vous m’annoncez ; mais je serais fâchée, je l’avoue, qu’il fût imprimé. Croyez, monsieur, que je saurai toujours apprécier vos nobles sentiments et trouver du plaisir à vous assurer de ma haute considération.

HORTENSE.

Cependant un traité fait en 1815 excluait la famille Bonaparte de la France. Le premier soin de la diplomatie fut, dit-on, de le faire valoir. La loi d’exil fut donc renouvelée, quoique dès 1829 le roi eût plusieurs fois répété que s’il régnait jamais, son premier soin serait de faire rentrer la famille de l’Empereur. Tel était peut-être encore son désir, mais déjà engagé envers la diplomatie, il dut suivre ses conseils.

Cela explique toute sa conduite, et comment dans des occasions plus graves il crut devoir sacrifier les intérêts de la révolution à la crainte d’une guerre étrangère.

Il était évident que les traités de 1815 devenaient désormais la base de la politique du gouvernement ; mais ceux que ces traités avaient alors le plus irrités, se résignaient de bonne grâce à les subir. Le roi attirait à lui, il est vrai, tous ceux qu’ils avaient le plus frappés, et ils furent heureux de retrouver près d’un roi qui leur tendait la main, une réparation à leurs longues infortunes. Aussi les anciens amis de l’Empereur oublièrent-ils complètement qu’il existât un fils de leur protecteur, et qu’ils avaient juré de le soutenir.

Pour excuser cet abandon, l’on semblait regarder comme prince étranger cet illustre prisonnier ; au moment où c’était l’étranger qui reprenait des droits conquis par la force des armes en 1815, et concédés par la faiblesse en 1830. Mais ces considérations se perdaient dans des vues d’un intérêt journalier. Les ennemis de la France seuls voyaient juste, et préféraient tout au rétablissement du trône impérial. Rendre l’enfant de la victoire, qui, quoique élevé parmi eux, portait avec lui le principe populaire, c’était à leurs yeux donner le signal de l’émancipation des peuples. Aussi, j’ai appris depuis, que toutes les réponses faites à quelques amis fidèles furent qu’on ne le rendrait pas.

Le croirait-on ? je reçus des lettres de ceux que j’aurais dû supposer mes meilleurs amis, et qui me disaient tout simplement que je pourrais peut-être à présent revenir à Paris, mais sans mes enfants ; qu’avec eux cela n’était plus possible, et que l’élection d’un roi brave homme et digne de toute confiance était le coup le plus funeste porté à la famille impériale. Je n’ai jamais envié ni regretté une couronne : aussi ce n’était pas la perte des grandeurs qui m’affligeait ; j’en ai eu plus que je ne pouvais en porter, et je regarde ma vie comme finie. Mais ce qui me blessait ; c’était l’indifférence avec laquelle on m’apprenait que tous les liens étaient rompus entre la France, les anciens amis et la famille du grand homme. Un regret m’eût satisfaite ; mais la politique étouffe tous les sentiments du cœur.

On pense bien qu’il ne me vint pas à l’idée un instant de me séparer de mes enfants, quoique le roi m’eût fait dire des paroles gracieuses par la grande duchesse de Bade. Je n’eus qu’un désir, celui de me rapprocher de mon fils aîné, et je partis comme à l’ordinaire au mois d’octobre pour Rome.

J’étais inquiète de ce qui allait se passer en Italie. Je ne pouvais croire que la révolution ne retentit pas dans tous les pays opprimés, et ma seule pensée était de garantir mes enfants d’entraînements dangereux pour leur tranquillité, et qu’il était naturel de prévoir et de redouter.

Dans ce but, j’évitai de passer par Milan ; je pris la route du Tyrol et de Venise. À Bologne, où je m’arrêtai un jour, je vis chez mon beau-frère le prince Bacchiochi, un ancien officier attaché autrefois à mon frère. « Quelle belle révolution, madame, que celle de Paris ! Vous ne repasserez pas par ici, je l’espère, que vous n’ayez entendu parler de la nôtre. » Ce propos m’en disait assez pour réaliser toutes mes craintes. « Qui serait assez fou, m’écriai-je vivement, pour essayer de soulever l’Italie, quand on voit la marche que suit le gouvernement français ? S’il remplit sa mission, il peut, sans rompre avec l’Autriche, exiger d’elle qu’elle vous accorde des institutions ou votre indépendance : si ces deux puissances se brouillent ensemble, vous pouvez encore espérer l’appui de la France ; mais si vous vous remuez avant qu’une guerre soit déclarée, vous vous perdez indubitablement. » J’ajoutai encore beaucoup d’autres raisons dans ce sens, mais sans produire le moindre effet : je m’en apercevais bien, l’illusion était complète ; partout la révolution et Louis-Philippe étaient portés aux nues. On ne les séparait pas, et j’avais l’air de Cassandre, lorsque je prédisais que la France ne soutiendrait pas l’Italie si elle se soulevait.

J’avoue que je ne croyais pas dire aussi juste, car je pensais bien qu’elle y serait forcée dans un cas extrême : mon effroi était de voir chacun se précipiter dans le chaos des révolutions, sans réflexion, sans plan arrêté et sans avoir mûrement calculé ses moyens. Mais la victoire de Paris avait révélé une arme inconnue jusqu’alors, le pavé. Avec le peuple pour soi, chacun croyait être sûr d’anéantir la plus belle armée. L’erreur était complète.

J’arrivai à Florence agitée de mille craintes. J’avais besoin de garantir mes deux enfants de l’illusion commune dont je les voyais environnés. Que leur jeunesse, leur ardeur me causaient d’inquiétudes ! Je voulais attirer leur confiance, et mes raisonnements, contraires à ceux de tant d’autres, les désespéraient.

Mon mari était allé à Rome pour voir sa mère. Je passai quinze jours heureux au milieu des deux seuls intérêts de ma vie.