LA ROUTE DES HIPPIES - TOME 1 - Wolfgang Bendick - E-Book

LA ROUTE DES HIPPIES - TOME 1 E-Book

Wolfgang Bendick

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Beschreibung

Je pars en moto. D'abord l'Inde, pourquoi pas le monde ? Mais l''Autoput', l'autoroute yougoslave, s'avère d'être plus fort que la technique. Je continue alors en auto-stop avec mon sac à dos vers la Grèce puis en bateau en Turquie. A Istanbul je rencontre beaucoup d'êtres chevelus en fringues multicolore venant des quatre coins du monde. Nous avons tous la même idée : L'Est ! Dans in vieux bus nous partons à la recherche de la paix, de dieu et de nous-mêmes. Le haschisch, la méditation, tout est permis pour accéder à la conscience cosmique. En passant par Kaboul et le col du Khyber j'arrive enfin en Inde. Amritsar, Benares, des Temples, des Sadhus. L'Inde est une révélation ! Le Népal avec ses temples tibétains et ses Chorten est aussi fascinant que l'Himalaya ! Mais la mort guette partout. Mais elle me laisse repartir et je prends alors la route vers l'Asie du Sud-Est.

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Wolfgang Bendick

LA ROUTE DES HIPPIES - TOME 1

Le voyage d’un enfant-fleur à travers des pays et des mondes inconnus

 

 

 

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Inhaltsverzeichnis

Titel

LA ROUTE DES HIPPIES – Livre 1

1. EASY RIDER

1.1. JEAN LE BIENHEUREUX

1.2. LEVER DU JOUR

1.3. AUTOPUT

1.4. ACCIDENT HYPOTHETIQUE MAXIMAL

1.5. EN ROUTE

1.6. OUZO DETAXE

2.1. SULTAN AHMED

2.2. LE TURC VERT

2.3. BANGHA

2.4. L’AFGHAN NOIR

3.1. DES COOKIES UN PEU PARTICULIERS

3.2. LES BIDIS ET LES NOIX DE BETEL

3.3. LE GANGE

3.4. NAMASTE

3.5. CONCOMBRES ET ALCOOL DE COCO

4. AUTRES INFORMATIONS

2. LE BUS DU PEUPLE

3. L’HINDUSTAN

Impressum neobooks

LA ROUTE DES HIPPIES – Livre 1

Le voyage d’un enfant-fleur à travers des pays et des mondes inconnus 

Wolfgang Bendick

Première parution, Novembre 2017

Merci aussi à ma fille Lucia et à Patrick

qui avec leurs conseils ont aidé à parfaire ce livre

Images : © Wolfgang Bendick

© Copyright 2017 Wolfgang Bendick

All rights reserved for all countries

Legal deposit: November 2017

Traduction : Jean-Loup Sicco

Révision : Wolfgang Bendick

A mes enfants

Pour qu’ils comprennent que l’intérêt de la vie est justifié par les obstacles qu’elle nous présente et que nous sommes amenés un jour à surmonter…

1. EASY RIDER

1.1. JEAN LE BIENHEUREUX

Cela faisait trois ans déjà que j’avais troqué ma liberté contre un banc d’école. Le temps s’écoulait paresseusement et parfois semblait s’arrêter. Quelle idée de retourner à l’école ! Mais je voulais être libre et avoir la possibilité d’étudier ; c’était cela aussi la liberté, mais pour cela il fallait avoir le bac. Heureusement je m’étais gardé une place près de la fenêtre, et ainsi je pouvais au moins m’imaginer assis dans un avion, voyant les nuages défiler vers l’est et me représentant les pays qu’ils survoleraient : des noms tels que Kaboul, Katmandou, Goa me venaient alors à l’esprit.

De même que d’autres ont le mal du pays quand ils sont loin de chez eux, moi c’était le mal des contrées lointaines qui me torturait dans mon propre pays. Et j’étais là rivé sur ma chaise, alors que l’aventure m’attendait au dehors ! Encore quelques mois, encore quelques jours, mais pour l’instant il ne fallait surtout pas rater les examens… Ceci dit, je m’étais mis en tête que rien de toute façon ne pourrait m’arriver.

Certains ont fait le vœu d’un pèlerinage en cas de réussite aux examens, moi j’avais fait celui d’un petit cochon de lait qui a failli d’ailleurs avoir la vie sauve ! Le directeur d’école trouvait que mes bonnes notes de latin et ma faible assiduité scolaire étaient inconciliables, et c’est pourquoi il me colla une mauvaise note, sans tenir compte de ma moyenne générale. Mais comme c’était la seule que j’avais, c’est le cochon seulement qui a eu des comptes à rendre, pas moi. Histoire de me contrarier un peu plus, on m’invita quand même à l’oral pour le lendemain matin !

En soirée j’allai chez le fermier qui m’avait réservé le porcelet, et avec les copains il faut dire qu’on s’en était fait déjà à l’avance toute une fête. Qu’est-ce que j’en savais-moi, comment ça s’élève un cochon ?... Parmi la meute qui prise de panique vociférait en courant dans toutes les directions, il en choisit un qu’il saisit rapidement par la patte et le déposa dans le coffre de mon Combi où il finit par se calmer, se mit à grogner de satisfaction et vida sa vessie pour son plus grand plaisir. « Il n’est pas aussi gros que les autres, une taille idéale pour un cochon de lait. Je te le laisse pour 30 DM au lieu de 50 DM, c’est bien parce que c’est toi ! » J’étais touché par ce geste. Je ne vous dis pas le parfum de ma voiture le lendemain matin ! Même les vitres en étaient imprégnées. J’avais revêtu mon plus beau et unique costume pour briller au moins avec celui-ci à l’oral. Mais qu’un si petit cochon puisse causer autant de désagréments, ça je n’y avais pas pensé ! Je ne saurais dire s’il avait lui-même pris un peu de mon odeur, toujours est-il que tous mes copains reculèrent à mon approche à ma descente de voiture. Heureusement il y avait là Matthies Geiger qui était boucher de profession, avant qu’il ne se crût promu au meilleur destin de par sa vocation. Il saisit la bête et nous l’enfermâmes d’abord dans la douche. C’est alors que quelqu’un arriva complètement excité et me dit : « Dis-donc, Moïse (c’était mon sobriquet), qu’est-ce que tu fabriques ? Tu passes l’oral dans 5 minutes ! » Il me restait tout juste le temps de m’asperger de l’eau de toilette d’Uli et de me précipiter dans la salle de chimie où les profs impatients m’attendaient. Ils reniflaient en pensant que j’avais trop fait la fête parce que je sentais le vomi… Comment auraient-ils pu donc s’imaginer que j’étais en train d’exaucer un vœu !

A midi l’affaire était entendue. Nous voulions récupérer le cochonnet, mais il s’était fait la malle. Il n’était pas si petit que ça pour ramper sous la porte de la douche, mais néanmoins il n’était plus là ! C’est alors que quelqu’un d’une plus petite classe apporta la nouvelle : « Une caisse de bière ou vous ne le reverrez jamais ! » Que pouvais-je donc faire d’autre que de me plier aux exigences de rançon, libérer le pauvre animal des griffes des kidnappeurs et le remettre entre les mains du tueur ? Celui-ci fit remarquer que le paysan m’avait refilé son animal le plus minable et en plus qu‘il avait les vers, et que donc il était tout juste bon pour l’équarisseur ! Par chance il en avait un autre qu’il m’offrit et nous pûmes dignement fêter avec un bon repas le fait que mon vœu soit enfin exaucé.

J’étais comme d’habitude pendant mes loisirs sous mon vieux Combi à manier le tournevis, en train d‘y mettre les dernières retouches pour le périple. Cela faisait longtemps que je m’étais mis en tête de partir en Inde pour surmonter mon ennui à l’école. Enfin le moment était venu ! J’étais en train de dévisser le plancher de mon véhicule pour régler le jeu de la direction, lorsque j’entendis arriver et s’arrêter à côté de moi une moto. Je m’extirpai alors à moitié de dessous ma vieille caisse pour voir qui venait m’importuner. Lorsqu’il eût ôté avec quelque difficulté lunettes et casque, je le reconnus. C’était Walter, un copain motard de mon frère. « J’ai entendu dire que tu as l’intention d’aller en Inde, moi je voudrais me rendre en Afrique du Sud. On pourrait y aller ensemble ! » me dit-il à mon grand étonnement. Avant d’acheter le Combi VW, je n’avais fait que de la mobylette, un de ces modèles qui font tout au plus du 40 km/heure. Moi, ça me suffisait. Personne de la bande de mon frère ne m’avait jamais adressé la parole ou même salué. Ils ne me voyaient même pas ! J’étais d’autant plus surpris que l’un d’entre eux à présent daigne s’arrêter pour me parler ! Un vrai rocker, ça méprise tout autant les automobilistes que les conducteurs de mobylette, les cyclistes ou les piétons. Un jour l’un d’eux m’avait avoué que s’il rencontrait un piéton au bord de la route, d’un coup de pied il lui botterait les fesses ! J‘achevai de sortir en rampant de dessous la voiture et lui tendis ma main pleine de cambouis. « Quel honneur ! » me vint il à l’esprit. « Ce n’est pas tout à fait la même direction ! L’Inde c’est à l’est et l’Afrique du Sud plutôt au sud ! « C’est à peu près ça », répliqua t’il. « Que dirais-tu de nous retrouver ce soir autour d’une bonne bière ? Peut-être chez Rössel à Martinszell ? J’ai quelques copains qui viendraient aussi ».

J’avais plutôt envie de refuser. Qu’allais-je faire dans cette bande de rockers ? J’ai quand même dit oui, juste pour voir… Le soir nous nous retrouvâmes au bistrot. Ils arrivèrent sur leurs vieilles caisses refaites à neuf et toutes pétaradantes, moi dans mon vieux Combi à double pare-brise. Peu après nous trinquions autour d’une bonne bière. Je connaissais un peu deux d’entre eux que j’avais vus avec mon frère et je remarquais que nous avions une chose en commun, les mêmes ongles de doigts noircis ! « Bienvenue au club des bricoleurs ! » dit Walter. Les autres, c’était Gert et un autre Wolfgang. Il se révéla qu’un autre point commun nous réunissait : nous avions tous vu le film « Easy Rider » avec Peter Fonda et Denis Hopper, un road-movie à la fin tragique. Nous partagions le même enthousiasme pour ce film qui avait été pour eux le déclencheur de cette idée d’un grand périple en moto. La voiture c’est bon pour les bourgeois ! La moto ça c’est la liberté !

Lors de cette soirée humide et joyeuse, l’autre Wolfgang se révéla être un bon plaisantin et Gert un gars sympa. Ils ne sont pas si mal que ça les rockers quand on les connait un peu ! Nous nous séparâmes sur un compromis : ils renonceraient à l’Afrique du Sud, moi à mon Combi VW, ils viendraient avec moi en Inde et entretemps je me procurerais une moto.

Lors du rendez-vous suivant il fut décidé que nous roulerions tous en BMW 250 cm3, plus exactement en R25/3, car d’après eux c’était la moto la plus fiable jamais construite, en quelque sorte le « tracteur » des motos. Bien sûr entretemps ces caisses ont un peu vieilli, mais c’est aussi pour cela qu’elles ont pu faire leur preuve ! En plus si tout le monde a le même engin, en cas de grave dommage on peut utiliser toutes les pièces en bon état en cas de besoin. Logique, non ?

Il y eut deux autres rencontres à l’issue desquelles la fin mars fut fixée comme date de départ, car l’autre Wolfgang devait auparavant terminer son service militaire, ce qui nous laissa suffisamment de temps pour nous procurer les engins ainsi que pour les préparatifs. Nous voulions aussi partir assez tôt pour éviter la mousson qui s‘abat en juillet en Inde.

Dans la revue « Käsblättle » je trouvai la moto que je cherchais, un superbe engin que j’essayai aussitôt en dépit de la neige épaisse et au prix de quelques superbes chutes. Un avant-goût d’Himalaya ! Walter et Wolfgang devinrent bientôt aussi possesseurs de la même compagne de route qu’ils appelèrent affectueusement « ma fiancée » et qui devint rapidement le centre de nos conversations. A nous entendre parler, on nous prenait pour des fous qui avaient longtemps auparavant fait le pari de ne pas se marier, et parmi lesquels seul Gert était toujours « célibataire ». Un soir où nous nous rendions à notre rendez-vous, une BMW 600 nous dépassa en nous faisant « déguster » son pot d’échappement. Le conducteur nous fit un salut de la main, et Walter une fois derrière lui, dit en levant le poing : « Vantard ! »...

A l’arrivée devant notre troquet habituel la BMW600 nous attend. En entrant dans la salle, Gert est là assis et nous regarde d’un air moqueur qui ne fait qu’alimenter la rancœur des copains. « Traitre ! Nous avions convenu de prendre tous le même engin ! » Il dit en riant : « Au moins je pourrai vous remorquer en cas de panne ! » « On n’a pas du tout envie de respirer ta poussière sur les 10 000 kilomètres à venir ! » Je réussis à grand peine à éviter une bagarre, et avec l’approbation générale de tous, Gert est exclu du groupe…

Au cours des différentes rencontres d’autres gars se joignent à nous, car Walter a passé des annonces dans les journaux, ce qui n’est d’ailleurs pas de mon goût. Je n’ai pas envie de me retrouver dans une colonie ! Mais au fur et à mesure qu’ils arrivent ils jettent l’éponge, et pour finir nous ne sommes plus que trois. Afin de trouver des sponsors, j’envoie des lettres à BMW et d’autres firmes ainsi qu’aux journaux pour leur présenter notre projet. A chaque fois la même réponse : « Faites d’abord le voyage, on en reparlera après ! »

Entretemps nous relookons nos engins avec l’aide du frère de Walter qui est peintre et spécialiste du pistolet : cadre noir, garde-boue blanc, réservoir rouge, casque aux couleurs du drapeau allemand en bandes verticales, ce qui a fait d’ailleurs l’objet d’une longue discussion en soirée. A la majorité il est convenu que des bandes horizontales ça fait moche, tant pis donc si on nous prend pour des Belges ! Je fais faire une révision complète du moteur de ma « fiancée » par Poschenrieder, le champion mondial de la discipline moto « Speedway » qui habite dans notre village et qui a un atelier d’alésage de cylindres. Deux précautions valent mieux qu’une !

Notre départ est différé car Walter doit terminer un chantier pour lequel il sollicite mon aide, ce qui n’est pas finalement une mauvaise idée. En effet pour le périple je pourrais bien avoir besoin d’un peu plus d’argent que ce que je me suis économisé au cours de ma scolarité grâce aux cours de rattrapage, et en travaillant tous les mercredis dans une usine de plastique…

C’est ainsi que se passa le mois de mars pour moi en travaillant comme manœuvre avec Walter sur le chantier d’installation de chauffage, juste en face du lycée de filles que fréquentait Marion, ma copine. Nous faisions en sorte que nos pauses repas correspondent à celles des lycéennes pour nous permettre « d’inspecter les carcasses » comme nous disions alors, assis tous deux sur le toit plat du 5è étage, jambes ballantes dans le vide. Hormis cela, nos pauses se faisaient plus longues que celles des filles, et Walter lambinait, peu pressé qu’il était de s’esquiver.

A la mi-avril, Wolfgang était absent de nos rendez-vous et était devenu soudain injoignable pour ses meilleurs amis ! Après que nous eûmes épié ses vagabondages, il finit par nous avouer qu’on lui aurait proposé un poste de fonctionnaire, une occasion unique pour lui. « Alors je peux te tracer d’avance ton CV : je suis né, je suis allé à l’école, je suis devenu fonctionnaire puis retraité ! Un facteur de plus et un compagnon de voyage en moins ! » Walter le traita de lâcheur et de bourgeois. A force d’insister pour que nous fixions une date de départ, nous nous mîmes d’accord pour le 2 mai, juste après le jour férié. Mais comme les vérifications d’étanchéité de l‘installation devaient se faire le 5, le départ fut à nouveau ajourné. Il m’envoya à la cave ouvrir la vanne, tout en m’attendant en haut pour le déjeuner et pour « mater les filles ». Une fois le repas terminé et les filles à nouveau dans leurs classes, les vases d’expansion encore au sec, un cri retentit soudain de la cave : « Quel travail de cochon ! Toute la cave est inondée ! Descendez tout de suite, bande de branquignols ! » C’était l’installateur du réseau d’eau qui était descendu dans la cave pour couper quelques tuyaux de robinetterie. On avait de l’eau jusqu’aux chevilles ! Elle était descendue du rez-de-chaussée, après s’être frayé un chemin à travers des soudures mal faites ! Et voilà la fin du chantier à nouveau repoussée à une date indéterminée. Je lui dis que j’en avais assez, car j’avais remarqué que Walter ne se montrait pas pressé. « Si tu ne veux pas partir je m’en vais seul, mais j’en ai assez de tourner en rond ! » Il m’avoua alors qu’il n’était plus très motivé et surtout qu’il n’avait pas assez d’argent. Mais je n’en démordis pas et je me rendis chez notre patron pour démissionner, suite à quoi il voulut absolument me garder et me proposa une augmentation de salaire, alors que pour moi mon avenir ne me semblait pas prédestiné à une carrière de plombier. Il me semblait être le dernier des dix petits nègres de la comptine. Il me fallait veiller à ne pas rester sur le carreau !

Un peu plus bas, dans le lotissement habitaient quelques autres fans de moto, les parents d’un bon copain et des conducteurs de side-car. Des partisans du rassemblement des « éléphants » au Nürburgring, en plein hiver. La vieille génération quoi… ! « Quoi, tu veux faire un pareil voyage avec un tel engin ? » s’étonnèrent-ils à la vue de ma BMW. « Cet engin est beaucoup trop petit et trop faible pour un tel périple ! » Ils avaient une Zündapp KS 601 avec side-car. « C’est ce qui se fait de mieux pour un tel voyage, robuste, puissante et fiable ! » Moi, j’avais eu des doutes déjà en préparant mon engin. De chaque côté à l’arrière j’avais fixé sur un cadre soudé deux grandes malles en métal avec deux bidons d’essence qui conféraient au véhicule une largeur de plus d’un mètre. J’avais testé l’ensemble en montagne, et bien que le moteur ait beaucoup chauffé, ça avait marché. Le plus délicat c’était le démarrage à cause de l’embrayage et des pneus, et je n’étais pas sûr de pouvoir y loger tout mon équipement. « Mais où peut-on sinon se procurer un tel engin ? » demandais-je. « Il se pourrait que nous vendions le nôtre » me dirent-ils. « On prend de l’âge et quand on a une voiture, c’est d’elle dont on se sert. Viens voir ! Elle se trouve dans un garage à côté du terrain de sport ».

Et nous voilà donc devant la porte du garage. Lorsqu’ils ouvrirent la chaîne et les vantaux de porte, je m’écriai : « Bon sang, mais ce ne sont que des pièces détachées ! » Tout était par terre comme après une explosion : cadre, moteur, roues, siège, cadre du side-car ainsi que la caisse. « On fait ça tous les hivers, une révision générale quand on n’est pas sur le circuit du Nürburgring. Pas de panique, on t’aidera au cas où tu n’arriverais pas à tout rassembler ! Regarde, on a même deux moteurs de rechange quasi neufs, trois boites de vitesse, quelques roues, une caisse remplie de bobines d’allumage, des condensateurs, des bougies, assez de pièces pour faire deux fois le tour du monde ! » « Ça va coûter combien tout ça ? » dis-je. « On te la laisse pour 700 DM parce que c’est toi, sinon on ne la céderait pas à moins de 1000 DM ».

Je me laissai convaincre et acceptai, avant tout parce qu’un copain de classe peu avant m’avait demandé si je ne lui savais pas une BMW. C’est ainsi que je lui cédai la mienne au même prix que je l’avais payée. Encore la même somme et je me retrouvais ainsi en possession de la Zündapp ! Mon bonheur n’avait d’égal que celui de Jean le Bienheureux du célèbre conte allemand ! « Tu as fait une bonne affaire ! Pour le double du prix tu as plus que le double en puissance ! »

Encore une fois la date du départ était retardée, ce qui réjouissait ma copine Marion et nous permettait presque tous les soirs de faire des balades, nous enlacer et tester différentes techniques pour s’embrasser, elle assise sur une clôture, moi debout entre ses jambes, en train de la serrer avec impatience autour de sa taille. Nous n’étions guère plus entreprenants et parlions des petits tours en montagne que nous avions faits et de ceux à venir. Nous dormions parfois enlacés sur les matelas du dortoir d’une cabane des alpages, et nous étions là à nous dire qu’au lieu d’avoir à supporter l’odeur des pieds transpirants et la présence des autres, nous aurions préféré partager à deux le même matelas. Les sujets de conversation tournaient autour de l’amour libre, la libération des femmes, le « Pussy Power ». Nous étions encore les esclaves de la morale d’apparat moyenâgeuse dont nous n’osions pas secouer les chaînes. La « pilule » n’avait pas été inventée pour nous !

Peu à peu ma nouvelle moto prenait forme. Comme un puzzle à trois dimensions toutes les pièces s’imbriquaient par magie, et l’ensemble en plus devait rouler ! J’étais tendu à bloc comme les rayons qu’il me fallait revisser, jusqu’à ce qu’ils résonnent comme la langue sur une guimbarde. Encore quelques câbles à souder, joints et charbons à changer, et autres vidanges. La mère d’un copain m’avait cousu avec sa machine à coudre un nouveau revêtement de siège. Après quoi il ne me restait plus qu’à donner une multitude de coups de kick pour démarrer, sans résultat, puis ouvrir le carburateur à nouveau, souffler, mettre des filtres dans les deux tuyaux d’essence. Pour finir je demandai conseil à contrecœur aux vétérans qui s’en amusèrent. « Mais c’est normal, il faut du temps, si tu savais combien de coups de kick on a donné dans notre vie ! Patience et longueur de temps valent mieux que force ou que rage ! »

Voilà que la mi-mai était déjà passée, et moi en tout cas je commençais à en avoir assez d’attendre. Bon, heureusement la rue devant le garage descendait un peu. Nous poussâmes le sidecar à trois, et après avoir mis la vitesse et embrayé, voilà qu‘il se bloqua. Nouvelle tentative en passant la seconde cette fois, une courte pétarade et idem. Après un autre essai en troisième, le moteur tourna enfin. Rugissement, seconde à nouveau, gargouillement du moteur, on continua à pousser de toutes nos forces. Enfin, avant que la route soit plane, quelques ratés d’allumage, le moteur réfléchit, une fumée à empester sortait des pots, il se décida à tourner, ronronnait presque. Un coup d’accélérateur, puis il réagit. Tout le monde me tapa sur l’épaule. « On te l’avait bien dit ! Ça tourne comme une vraie horloge ! » Un petit tour à trois jusqu’à Mumholz, l’engin n’avait pas passé encore le contrôle technique, alors prudence ! Ensuite retour au garage pour les derniers réglages.

Je pris aussitôt rendez-vous avec le centre de contrôle, et entre-temps je fignolai mon engin en peignant la cabine du side-car en blanc, avec dessus en noir la carte du monde et en rouge mon itinéraire. Pour moi c’était clair à présent, d’abord en Inde, ensuite le tour de la terre ! Je choisis les pièces de rechange en me demandant ce qui pouvait bien casser pendant le périple ? Le moteur ? Peut-être bien, car il faisait un bruit bizarre que j’avais déjà expérimenté en tant que motocycliste sur un moteur à deux temps ! Pour le vendeur c’était le bruit typique de la KS601. Comme un moteur entier aurait été trop lourd à emporter, je préférai démonter les pistons et deux cylindres avec les culasses. Après avoir testé les boites à vitesse qui n’étaient pas si encombrantes que cela, je choisis la meilleure avec un tas de bricoles comme dynamo, régulateur, vis platinées, bougies, ampoules, quatre roues, mâchoires de frein, etc…Tout le reste, et ça faisait beaucoup, je l’emballai dans des cartons avec des inscriptions et l’entreposai dans la cave de mes parents.

J’avais la carte grise et l’assurance et pouvais donc aller au contrôle technique, mais pas plus. Je passais le reste du temps avant le rendez-vous à tester le side-car et me familiariser avec, la plupart du temps sur des chemins dans les champs et sur des routes de montagne, car un side-car ça demande de la maîtrise et peu de gens pouvaient me donner de conseils à ce sujet. Le jour J étant arrivé, je me rendis au centre de contrôle avec une certaine appréhension. Qui ne l’aurait d’ailleurs pas eue ? La décision du TÜV pouvait réduire à néant mon voyage, ou du moins le différer.

Au moment où le contrôleur fit le tour de l’engin, sa première remarque tomba : « Plus très jeune, année de mise en circulation 1952 ! » « Oui, de quatre ans plus jeune que moi ! » fis-je remarquer. « Bon, on va voir ça de plus près, allez sur le banc d’essai ! » Par chance le moteur démarra dès le cinquième coup de kick. On aurait dit que le hall amplifiait tous les bruits. Après avoir éteint le moteur sur la fosse, l’ingénieur secoua la moto dans tous les sens, passa un coup de chiffon ici ou là pour voir les numéros et examiner les joints de soudure. Moi je croisai les doigts…Jusqu’à présent il avait plutôt l’air satisfait. Il remarqua que même les freins du side-car fonctionnaient. Tandis que je relançai le moteur, il pencha la tête, sembla épier le moindre bruit. Puis il s’assit sur le siège, posa sa fiche de contrôle dans le side-car, fit un tour de terrain. Il testa les freins, un coup à gauche, un coup à droite, klaxon, phares, revint vers moi, descendit, me montra le cylindre gauche et la carte du monde sur la cabine du sidecar, pour finir par me dire : « Ce moteur ne tiendra pas cette distance ! » Je répliquai alors : « J’ai déjà entendu un bruit, mais l’ancien propriétaire pense que c’est normal ! » « C’est ça, ils disent tous pareil ! A part ça tout est en ordre ! » reprit-il, tout en collant la vignette sur la plaque d’immatriculation et en tamponnant les papiers.

Ouf ! J’étais content que ce soit fini, mis à part le bruit bizarre…

« Ils n’y entendent rien aux moteurs, ce ne sont que des imbéciles ! » dit le vendeur quand je lui parlai du TÜV. « Et puis de toute façon tu le voulais absolument cet engin ! Moi je ne tenais pas à le vendre ! » Comment peut-on ainsi détourner ses propres propos ? Tout ce que je voulais à présent, c’était partir, quitter ce monde d’hypocrites, de mauvais joueurs.

Je me mis à tout ranger, et tout ce qui ne rentrait pas, et Dieu sait s’il y en avait, je le fixai sur la cabine du side-car et derrière la moto. Si je voulais tenir compte de toutes les pannes possibles, il m’aurait fallu un deuxième véhicule ! Lorsque le facteur m’apporta une lettre recommandée, en l’ouvrant je découvris que je devais commencer mon service civil dans quelques jours à Memmingen dans un centre pour handicapés. J’avais estimé que vu mon âge et que j’avais été dans la marine marchande, ils pouvaient bien me laisser tranquille ! Je fourrai la lettre dans une enveloppe et j’ajoutai trois lignes : « Comme je me trouve à l’étranger pour quelque temps, je ne peux malheureusement pas effectuer mon service ». Je réexpédiai alors le tout au bureau du service civil, pensant que cela suffirait. Pendant les derniers préparatifs, mes copains passèrent peu à peu me voir. « Allez ! A bientôt ! », telles furent la plupart du temps leurs dernières paroles. Moi plus prudent, je leur dis : « A plus tard peut-être ! » car il y avait trop de kilomètres qui m’attendaient. Je passai le dernier soir avec Marion, et quand je pris congé de mon père, il fit à nouveau sa crise et hurla des choses que je préfère taire. Ma mère en larmes me souhaita un bon voyage et accepta son destin, comme beaucoup d’autres mères avant elle…

1.2. LEVER DU JOUR

A 8 heures je décolle. Je quitte le village pour m’engager sur la nationale. Après avoir passé les dernières maisons, je prends conscience de l’aventure dans laquelle je me suis engagé. Les larmes me montent aux yeux, mes lunettes d’aviateur sont embuées. Je gare le lourd convoi sur le bord de la route et j’ôte mes lunettes. A travers un voile de larmes, je regarde en bas le village. Douze ans auparavant au même endroit mon père avait fait arrêter le camion de déménagement. Nous étions tous descendus, et il nous avait montré la ‘Terre Promise’ comme Moïse à son époque, en disant : « Là en bas, le toit avec le poteau électrique, c’est notre nouveau chez nous ! »

J’y avais vécu beaucoup de moments difficiles, car pour un enfant du Nord il n’était pas simple de vivre en Bavière. Mais pour l’instant je ne me remémore que les beaux souvenirs du passé comme dans un film en accéléré, et je sais que c’est un adieu pour toujours ! C’est peut-être là le prix de la liberté que de se remettre entre les mains de son destin… Peu à peu mes larmes s’assèchent et la souffrance des adieux se transforme en une attente des choses à venir, pleine d‘émotion. Je passe la vitesse et redémarre. Je me sens comme l’oiseau tombé du nid et qui découvre tout à coup l’univers qui l’entoure.

Tout au long des dix kilomètres qui suivent, je revois dans ma tête défiler la soirée d’hier. On était allé à l’ancien bras de la rivière. Rien ne s’était passé entre nous comme d’habitude et contrairement à ce que j’avais espéré pour cette ultime soirée : « D’abord le boulot, ensuite le Schnaps », avait dit Marion. Alors je m’étais mis à la tâche comme l’aurait fait une pelleteuse. Nous étions arrimés l’un à l’autre, tendrement enlacés et nous couvrant de baisers, tandis que nos langues se touchaient à la découverte de nos bouches. Nos dents aussi se touchaient et notre tension était palpable à leur contact. Tout en moi aspirait à vivre intensément le toucher de sa peau, ou du moins à caresser quelque chose en bas de son ventre. Pas de geste déplacé, me disais-je, surtout ne pas détruire la magie de l’instant présent…Nous n‘étions que trop les enfants de notre époque, à vrai dire coincés, tel mon sexe que je libérai discrètement de sa position, prêt à se rompre de désir. Les étoiles nous faisaient un clin d’œil malicieux, la lune voilait discrètement son visage comme pour nous plonger dans une obscurité intime et nous donner du courage…

Mais tout cela n’était pas nécessaire, car en fait rien ne se passa. Au premier contact, mes doigts en quête de son corps se heurtèrent à la cuirasse impénétrable de ses sous-vêtements. Portait-elle une ceinture de chasteté ou était-ce un porte-jarretelles de sa mère qui défiait le libre cours de ma curiosité ? Au bout d’un moment elle tira de sa poche une flasque et dit : « Bon, maintenant le Schnaps ! »

Il faut dire que jamais auparavant je ne m’étais senti aussi frustré qu’à ce moment-là ! Nous restâmes étroitement enlacés pendant un certain temps encore, nous frottant l’un contre l’autre, faisant augmenter notre pression sanguine à un point tel que la chaleur de nos deux corps nous contraignit à ôter nos pullovers. Elle profita de cet instant pour me passer autour du cou un lacet de cuir, comme je l’avais fait moi-même quelques jours auparavant. « Chaque fois que je regarderai la lune, je penserai à toi ! », murmura t’elle en m’offrant un baiser. En reprenant mon souffle, je lui bégayai « J’espère, aussi quand tu regarderas le soleil ! » « Et toi donc ? » « Moi aussi, bien sûr, comme toi, je le ferai chaque fois ! » Nous nous promîmes alors l’un à l’autre de bien garder le lacet. Seul l’autre aurait le droit de le dénouer. Dans un an et demi au plus tard, quand elle aurait son bac, il me faudrait revenir et cette fois nous voyagerions ensemble. D’ici là c’était nos pensées qui nous unissaient. Je la raccompagnai jusque chez elle, et après une dernière étreinte je partis sans me retourner. J’entendis la porte de sa maison se refermer à clef…

Pourquoi farfouiller encore dans le passé ? C’est fini ! Il s’éloigne à 70km/heure, il faut regarder devant seulement, en direction de l’est où le soleil est en train de se lever derrière les montagnes. Comme le monde est beau ! Le disque rougeoyant du soleil, le souffle du vent en roulant, le bouillonnement du moteur, tout ça me donne un tel sentiment de bien-être ! Le parfum de la liberté monte en moi, tandis que je suis la bande noire de la route. Il me revient en mémoire la chanson « Père et Fils » de Cat Stevens et je chante à tue-tête : « J’ai été un jour comme toi à présent », surtout la troisième strophe : « Comment faire pour lui expliquer ? Quand j’essaye, il tourne une fois de plus le dos. Toujours la même vieille histoire. Dès l’instant où je pouvais parler, je devais écouter. Il y a une solution à présent, c’est que je parte, je le sais, je dois partir ! » Oui, je devais partir et je suis parti ! Me voici en route pour l’inconnu !...

Le passé est quand même coriace, il ne vous lâche pas si facilement, je le retrouve partout dans ce vieux monde : Cette route sur laquelle je circulais à présent, combien de fois l’avais-je empruntée pour aller à l’école, par tous les temps, en toutes saisons, au début en mobylette, plus tard en voiture. J’en connaissais le moindre virage, la moindre ligne droite. Et pourtant cette fois c’était différent : un side-car, ça ne se conduit pas comme une mobylette ou une voiture, et en plus je me trouvais sur une route à sens unique et sans fin que je ne réemprunterais plus jamais en sens inverse…

Je fis une pause sur une place de parking où j’avais déjà assez souvent passé la nuit dans mon Combi VW quand j’étais trop fatigué sur le chemin du retour à l’école. A partir d’aujourd’hui j’avais le temps. Je me bourrai une pipe et fis quelques pas pour me dégourdir les jambes, lorsque mon regard se posa sur ma moto. Superbe look ! Devant, le pare-brise en biais lui donnait presque l’apparence d’une Harley Davidson. La caisse du side-car était fermée par une bâche qui la rendait étanche. A l’arrière étaient entassés trois roues complètes et trois pneus à crampons flambant neufs, qui formaient une tour de Pise penchée en biais vers l’arrière. Sur le porte-bagages de la moto j’avais fixé mon sac de marin plein de fringues. A gauche de la roue arrière pendaient une sacoche et un bidon d’essence, un autre se trouvait dans le side-car. Ils étaient encore vides. Je fis le tour du véhicule pour vérifier les fixations et regardai dans le rétroviseur. Un visage barbu m’apparut, avec un casque-bol aux couleurs du drapeau allemand et des lunettes d’aviateur qui me faisaient penser à Antoine de Saint-Exupéry et au « Petit Prince », un de mes livres préférés. Comme avait dit le renard, « on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».

Je retendis les fixations des roues de secours. Puis je me débattis un peu comme un moulin à vent avec mes bras qui tremblotaient car le guidon était difficile à contrôler, et le side-car tirait surtout en montée beaucoup vers la droite. En descente quand le moteur freinait, c’était l’inverse, il poussait, et dans les deux cas je devais contrebraquer énergiquement. Combien pouvait peser l’ensemble ? La moto et le side-car dans les 350 kilos, plus l’équipement et moi, au moins 500 kilos d’après moi. Ma pipe s’était éteinte. Je touchai les tambours de frein qui étaient aussi chauds qu’elle. Sous le carter du cardan de la roue arrière une goutte d’huile suintait, tandis qu’une autre était tombée sur la jante et se répandait sur le pneu. Merde ! Quelque chose avait dû chauffer, ou bien est-ce que la purge du bouchon de remplissage était bouchée ? Je la dévissai et soufflai pour la nettoyer. L’essentiel, c’est que le moteur tourne, me dis-je. Je baissai les lunettes, remis les gants, un coup de kick avec le pied, encore et encore, sans résultat. Quelle invention stupide, ce kick parallèle au châssis qui avec son mécanisme de pivotement agit sur le vilebrequin ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Il y avait tout simplement trop de jeu ! Pourquoi donc Monsieur Zündapp n’a t’-il pas procédé comme chez BMW, qui a un moteur où le kick est perpendiculaire à l’axe de déplacement ? A force de donner des coups de kick, je commençais à transpirer. J’enlevai alors les gants et les lunettes qui étaient déjà embuées, puis le casque. Rien ne bougeait. J’enlevai le capuchon de la bougie. Une étincelle ? L’essence ? Ça marchait. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Peut-être la bobine d’allumage trop chaude ? Il me vint alors soudain une idée : Je renfilai casque, lunettes, gants. Le parking était en pente douce. Je passai au point mort, poussai de toutes mes forces, ça roulait à nouveau, je sautai en selle, j’enclenchai la seconde sous les protestations de la transmission, j’embrayai doucement… Sous un nuage de fumée, le moteur se remit en marche. C’était bon !...

Arrivée à Hohen Peissenberg : Je dévale les virages, c’est un vrai plaisir, je joue avec l’accélérateur et le frein selon la direction des virages et selon la pente. Je passe devant les maisons aux façades inclinées par l’exploitation du charbon. Direction Weilheim. Au loin la B2. Auparavant encore un passage à niveau. A mon approche les barrières se ferment, les voitures sont à l’arrêt devant moi. C’est bon, les freins fonctionnent. Le train passe en trombe, tandis que les barrières restent fermées. Peu après arrive un long train de marchandises en contresens avec d’innombrables wagons, c’est trop long pour mon moteur qui fait preuve d’impatience et s’arrête. Merde ! quelques coups de kick, bien sûr en vain !... Pendant ce temps les voitures derrière moi ne cessent de klaxonner, ce qui est compréhensible, d’ailleurs j’aurais fait de même. Une fois la file des voitures d’en face passée, c’est enfin à notre tour. Les visages derrière les vitres ne semblent pas particulièrement satisfaits, moi non plus, car je n’ai parcouru que 50 des 50 000 km qui m’attendent ! Les passagers du dernier véhicule ont pitié de moi, descendent, et à quatre nous essayons de pousser le mien. Je me dis que ce sont peut-être aussi des motocyclistes. Au bout de cent mètres environ, la moto redémarre et dégage à nouveau une épaisse fumée. Surtout ne pas s’arrêter ! Peu après mes sauveteurs me dépassent en entonnant un concert de klaxon et me font de la main le signe de la paix par la vitre ouverte. Je me dis qu’aujourd’hui encore je vais devoir trafiquer la bobine d’allumage. Je jette alors un coup d’œil au poignet sur mon énorme montre de plongée : bientôt midi ! Je pourrais me faire inviter à déjeuner dans mon ancienne école, où je dois récupérer l’argent de la vente de ma BMW si indispensable à ma bourse de voyage ! A peine 2000 DM pour m’emmener jusqu’en Australie !

Les cloches sonnent midi, lorsque mon attelage pénètre dans la cour du séminaire. Il fait beau, les fenêtres du réfectoire sont ouvertes, une foule de curieux attirés par le bruit de mon char d’assaut se penchent pour voir. Je m’apprête à mettre le side-car dans le sens du départ au cas où il faudrait pousser, et décris une courbe serrée sur la droite. Est-ce-que je vais trop vite, est-ce que je freine au lieu d’accélérer ? Seul un conducteur de side-car expérimenté aurait pu me dire à cet instant quelle erreur j’avais commise, toujours est-il que le side-car se soulève d’un coup, et qu’effrayé à l’idée que tout va se renverser, je freine désespérément. Mais l’attelage par chance reste en équilibre, et au bout de quelques secondes interminables il finit par retomber sur ses roues. Dans l’attente des moqueries des spectateurs, et tout honteux, j’aurais envie de disparaître dans l’asphalte. A ma grande surprise ils applaudissent avec enthousiasme. « Super, quelle maîtrise ! » s’écrient-ils. Joseph, le nouveau propriétaire de mon ancienne « compagne de route », vient vers moi. Je me dis qu’il doit avoir hâte de me régler. « Ta caisse, c’est de la camelote ! Tu m’as entubé ! » s’exclame-t-il. « Quoi ? » dis-je tout étonné. « Tout est flambant neuf et révisé ! » Il réplique alors : « Comment ? Il n’y a même pas de régulateur, la dynamo ne marche pas, et tu as tout branché directement sur la batterie ! » En riant je lui rétorque : « Regarde de plus près ! Le voyant de contrôle de charge fonctionne, c’est donc que tout est ok. Le régulateur est dans le phare pour éviter toute surchauffe ! » Alors qu’une cohorte d’élèves se presse autour de nous, Joseph dévisse le réflecteur et trouve le régulateur. « Ce n’est pas une mauvaise idée ! » s’écrie-t-il. Il me vient alors à l’idée que le problème de ma Zündapp pourrait bien venir aussi de là : Le régulateur ou la bobine en surchauffe ! J’accepte l’invitation à déjeuner et Joseph me règle la BMW. Pendant ce temps mon moteur a refroidi et redémarre pour ma plus grande satisfaction. Je reprends alors la route sous les exclamations des curieux et leurs souhaits de bon voyage. Afin d’éviter l’horrible craquement de la première, je passe d’abord la seconde puis rapidement la première. Il faut qu’ils gardent une bonne impression de moi !

Le compte est bon, mon estomac est satisfait, mon gros matou ronronne, que demander de plus pour être heureux ? Direction à présent l’autoroute pour Sauerlach. Il faut que j’avance un peu aujourd’hui, avant tout sortir d’Allemagne, ce qui sera mon objectif du jour. En contournant Salzburg et à la vue des silhouettes des églises et des châteaux, je me laisse bercer un peu par le souvenir des concerts et des visites antérieures, tandis que me revient en mémoire la chanson de Hans Albers et de « la Paloma » que je me mets à chanter à tue-tête d’une voix aussi fausse et tonitruante que le moteur de ma moto, peut-être afin de chasser la tristesse qui m’envahit, mais avec des paroles à moi : « La campagne est verte, le ciel infini, depuis ma moto mon regard plonge vers le vaste monde, il faut regarder en avant, pas en arrière vers mon pays natal, et faire confiance à Dieu… » Chanter me rend encore plus triste, mais la tristesse aussi peut être belle…

Peu après Salzburg je quitte l’autoroute en quête d’une petite route, puis d’un chemin et d’un endroit caché. Avant d’éteindre le moteur, je positionne le side-car légèrement dans le sens de la pente, on ne sait jamais…Il fait encore jour, et le silence après ce long trajet est presqu’aussi lourd que le moteur. C’est seulement maintenant que je perçois le picotement dans mes bras et l’engourdissement de mes mains. Quelques mouvements de bras et quelques pas de course. Je me dis qu’un peu d’exercice à chaque pause me fera du bien ! Rapidement la tente est montée. Pas une maison, pas un chat à l’horizon, personne pour me déranger. La moto sent l’huile brûlante, mais bientôt c’est l’odeur de la soupe chaude qui domine. Je suis lessivé, mais un sentiment de bonheur m’envahit car je suis venu à bout de ma première étape. Ma vieille caisse a besoin de repos, et donc pour la suite on verra demain…

La nuit fut fraîche, j’avais mal aux bras et surtout aux mains à force d’avoir tenu le guidon. J’eus des difficultés au début à trouver le sommeil, car l’obscurité renforçait tous les bruits alentour. Au loin quelques aboiements, s’agissait-il de chiens ou de loups ? Je fourrai mes papiers au fond du sac de couchage et déposai mon couteau finlandais à portée de main. J’avais sur moi 1000 DM en traveller-chèques que j’avais changés à la banque, et en plus 1000 DM en espèces que j’avais cachés dans une ceinture spéciale qui tenait mon jeans. J’avais longtemps réfléchi avant de trouver la solution idéale : une bande de cuir de 15 cm de large et de la longueur d’une ceinture normale, pourvue d’un motif de rivets au milieu dans le sens de la longueur, repliée pour un tiers vers l’intérieur du côté rugueux et pareillement de l’autre côté comme un tube. Tout en maintenant le tout par des pinces à linge, je martelai les bords repliés pour qu’ils gardent la forme, je rivetai ensuite le cuir plié en trois à chaque extrémité que je taillai en pointe d’un côté et fixai de l’autre à la boucle qui consistait en deux fers à cheval repliés. J’avais déjà vu ça porté par un cowboy au cinéma, à l’époque où moi aussi je voulais devenir cowboy, l’idée du tour du monde m’étant venue plus tard. J’avais mis mes billets dans cette sorte de ceinture dont le tout était maintenu par les passants du pantalon. Avec le temps les plis étaient devenus si anguleux qu’on aurait dit une ceinture plate et que les rivets faisaient illusion.

Les jeans et la ceinture cachés sous le tapis de sol faisaient office d’isolant pendant la nuit. Je portais mes papiers dans une pochette autour du cou que je gardais souvent la nuit. Quant aux traveller-chèques, je les avais soit dans les chaussettes soit dans une poche de pantalon, ainsi qu’un porte-monnaie avec la monnaie de chaque pays. Je me sentais rassuré d’avoir tous les objets de valeur répartis et de savoir que si je faisais une mauvaise rencontre, il me resterait toujours quelque chose. Je me sentais à présent armé pour la nuit et j’avais déjà dormi tant de fois dehors, de préférence à la belle étoile ! Je savais que ce n’était pas de la nature ou des animaux que venait le danger, car en fait, le plus grand danger pour l’homme, c’est l’homme…

A la nuit tombée, alors que j’étais pris encore dans mes songes, une voix d’oiseau retentit soudain suivie peu après d’une réponse, d’un bref silence, puis à nouveau d’un autre appel. Ce babillage à deux se transforma en chant choral et se métamorphosa peu après en une symphonie orchestrale. Jamais auparavant je n’avais entendu un concert d’oiseau aussi intense. La raison en était sûrement la proximité de Salzburg, la métropole de la musique ! C’est alors que me revint en mémoire le dernier tube de Cat Stevens : ‘Morning has broken like the first morning, blackbird has spoken like the first bird. Praise for the singing, praise for the morning, praise for the springing fresh from the word…’ (Le jour s’est levé, pareil au premier matin, le corbeau chante comme le premier oiseau du monde, louant son chant, louant le lever du jour, louant la parole qui jaillit dans la fraîcheur du matin ...) J’ouvris avec précaution la fermeture éclair de la tente d’où je m’extrayai en rampant. Tout en restant invisibles, les oiseaux continuaient à chanter en rythme, et ce malgré mon apparition. Pieds nus j’allai dans la rosée du matin au premier arbre pour l’arroser. Des vapeurs s’élevaient. En mai les nuits sont encore fraîches et ma première tentation fut de ramper à nouveau dans mon sac de couchage bien douillet. C’est alors que je vis la moto et que la matinée insouciante prit fin : Il y avait du tournevis dans l’air ! J’avais dormi nu, car je trouve que c’est ainsi qu’il fait le plus chaud, alors que les vêtements sont d’un meilleur usage comme isolant du sol. Après avoir enfilé une chemise, puis en me déhanchant pour enfiler une jambe de pantalon avec difficulté à cause des pieds humides, je changeai de méthode, m’assis et enfilai d’abord les chaussettes. Tout allait comme sur des roulettes : bottes aux pieds, col roulé, en route pour le menu du jour !

Un peu de pression dans le réchaud, un peu d’essence, un coup de briquet, et ça démarre ! Peu après, l’eau frissonna dans la casserole sur le réchaud chuintant, et un arôme épicé de thé se répandit. C’est à cause de ce drôle de breuvage que les Anglais avaient conquis la moitié du monde ! Le thé de huit heures fut le premier petit-déjeuner de mon périple : thé, pain suédois, miel, et la sensation pour moi d’être un invité dans un pays de cocagne…

Voilà que les premiers rayons du soleil percent à travers la ramure et offrent au monde une myriade de couleurs inconnues. La forêt me semble soudain plongée dans une troisième dimension, et lorsque peu après une chaleur bienveillante se répand, j’ai la sensation d’appréhender une quatrième dimension. Les oiseaux s’apaisent, mais pas mon esprit qui est préoccupé depuis un moment déjà par la moto. Par quoi commencer ? J’en fais le tour. C’est quoi ces deux rayons de roue en travers sur la roue arrière ? Incroyable ! Il y en a même trois de cassés, par chance sur le côté. J’arrive à les décoincer et à les extraire à l’aide d’une pince combi et d’une clé à rayons de leur écrou. Je cherche dans le side-car les rayons de rechange qui doivent être enveloppés quelque part dans un chiffon. Je tombe aussi sur la pompe et dégonfle le pneu par précaution. Il ne manquerait plus que je crève ! La caisse s’abaisse lentement. J’aurais dû la caler pour pouvoir tourner la roue ! J’enfourne les nouveaux rayons, les visse. Je cherche le cric, contrôle sur les trois roues tous les rayons qui doivent être un peu retendus. J’essuie l’huile de la jante de la roue arrière, car il y a une légère fuite au niveau du cardan. Il ne reste plus qu’à espérer que l’huile ne s’infiltre pas entre le pneu et la jante ou n’atteigne pas les freins. Ensuite un peu de gymnastique avec la pompe et le pachyderme s’élève lentement…

Tous ces détails m’ont détourné du problème essentiel, l’allumage. Heureusement que le propriétaire précédent avait pensé à tout ! J’enlève alors le couvercle du bloc-moteur et change les bobines, vérifie le câblage avec la dynamo et dévisse le couvercle. Les rainures des vis sont bien abîmées. Est-ce que cette pièce avait été déjà souvent dévissée ? Un peu d’eau de pluie ou de condensation s’en échappe. J’enlève avec un chiffon la rouille et l’eau et souffle le tout avec la pompe en laissant ouvert pour que ça sèche, tout comme ma tente que je démonte et fourre avec le sac de couchage et le reste dans le side-car. J’amarre fermement l’ensemble, en prenant soin d’enlever tout trace de campement. Après avoir remis le couvercle sur le moteur, me voici enfin prêt à avaler de nouveaux kilomètres !

J’ouvre les robinets d’essence, ferme le clapet du starter, actionne le kick. Encore et encore…rien ne se passe ! Normal, le moteur est froid, il faut attendre un peu, par contre moi j’ai de plus en plus chaud. Je commence à me déshabiller à nouveau, me voici bientôt en bras de chemise, et si ça continue, je vais me retrouver tout nu avec une feuille de vigne ! Le désespoir m’envahit, la colère monte en moi, ainsi que le doute sur mon engin. Je ressors alors l’outillage et redémonte, puis enlève le couvercle, la routine, quoi ! Ils auraient pu installer des clips en usine à la place de ces vis qui font perdre du temps, et pourquoi pas aussi sur le vilebrequin, voire même partout pour enlever plus rapidement les aimants de la dynamo ! Je vais le leur proposer, comme ça il se peut qu’un jour une moto porte le nom de l’inventeur des clips, c’est-à-dire le mien ! En attendant je dévisse la bobine que je remplace par l’ancienne : Huit minutes et les deux mains pleines de cambouis, c’est mon nouveau record ! Cette fois je ne range pas les outils. Un coup de kick, je n’en crois pas mes oreilles, le moteur démarre ! Je ne vais pas tarder à croire au miracle si ça continue ! J’augmente le ralenti pour que le moteur ne s’éteigne pas, remballe tout l’outillage en un temps record et bondis sur le dos de mon pachyderme… On dirait un décollage ! Il bondit de joie, replie les oreilles et met les voiles presque comme Dumbo, mais il est trop lourd et continue alors sa course sur trois roues, tandis que derrière nous plane un nuage bleuté en lisière de forêt.

Dans ma tête les pensées tourbillonnent presque aussi vite que l’huile dans le carter. D’où peut donc bien venir la panne ? Apparemment pas de la carburation. Je comprends qu’en fait, à coup sûr, c’est la bobine d’allumage qui est défectueuse, et alors une question se cristallise dans mon cerveau en ébullition : Que va-t-il se passer si les autres pièces de rechange sont aussi de la camelote ? Je vais faire le périple avec 200 kg de déchets ! Ce n’est pas possible, me dis-je, les motards sont des copains qui s’entraident, quant aux pièces défectueuses, on les balance, on ne les vend pas comme pièces de rechange !

Un quart d’heure de trajet sans problème suffit à rétablir totalement ma confiance. Avec le temps on s’habitue à tout. Le bruit bizarre du cylindre de gauche ne me laisse pas de répit au début, et je me demande s’il y a du jeu dans les paliers du vilebrequin, mais dans ce cas-là ce serait des deux côtés. Je n’avais en tout cas rien remarqué avant d’avoir remonté le moteur, même pas de jeu excessif au niveau de la bielle. Restent les soupapes …Il faudrait des lunettes aux rayons X ! C’est peut-être mon imagination, mais le cylindre droit ne fait pas le même bruit que celui de gauche. Est-ce à cause du side-car ? Le moteur tourne bien. Depuis déjà 500 km ! Le problème du moment est que mon pachyderme a très soif mais un très petit réservoir. Avec un plein j’ai fait exactement 200 km, et il consomme presqu’autant que mon vieux Combi. A la station-service suivante je remplis donc un des bidons d’essence pour ne pas rester en rade par mégarde. Ma moto n’a pas de jauge d’essence, simplement un robinet de réserve, et je ne veux pas vider le réservoir de peur de ne plus pouvoir redémarrer…

Je roulais à présent sur une route nationale. Chaque coup de frein ou d’accélérateur se portait sur mes bras. Chaque virage demandait une concentration et une technique parfaite. De simple motard je devenais peu à peu capitaine d’attelage. Je roulais à travers des vallées alpines verdoyantes, gravissais des cols, traversais des villages de contes de fée et des villes au décor magique. Seulement je n’aimais guère les villes. Les files de voiture dans les embouteillages et les feux tricolores, tout cela n’était pas de mon goût. Pour voir des villes et en faire la découverte je n’aurais pas eu besoin de partir loin, car on en a à profusion en Allemagne. Moi je voulais voir des pays, des paysages, des terroirs, les espaces entre les villes, leurs habitants, et leur mode de vie !

Devant moi s’étendait Graz, et au loin une brume rougeoyante attirait mon attention, annonçant au fond de la large vallée l’émergence dans un léger voile de brume des ateliers d’usine couleur rouille et des hauts-fourneaux, tandis que les cheminées continuaient à cracher des nuages pestilentiels. C’est ça, la matière dont est faite ma moto… Même ma bouche avait un goût de métal, et en me mouchant à la pause suivante je remarquai que mon mouchoir avait la même couleur de rouille.

Je poursuivis poussivement ma route, m’étant promis d’arriver en Yougoslavie avant la fin du jour, en dépit de mes douleurs dans les bras et aux fesses. Après avoir longé des montagnes qui rapetissaient et des vallées fluviales qui s’élargissaient, j’atteignis en fin d’après-midi la frontière qui était ouverte du côté autrichien. A cet endroit les douaniers se concentraient sur les véhicules entrants, alors qu’à la frontière yougoslave ils étaient alignés à la queue leu leu. Ils avaient de quoi faire, la plupart des automobilistes étant dans les deux sens des travailleurs émigrés turcs, ce qui n’était pas particulièrement du goût des Yougoslaves. Ouverture du capot, contrôle de la plaque d’immatriculation, du coffre et du porte-bagage. Il fallait sortir et mettre tout sens dessus dessous, et les douaniers se comportaient comme des clientes farfouillant dans les corbeilles au moment des soldes pour tout mélanger ou tout étaler sur le sol. Les voitures devant moi avaient un drôle d’air avec pour la plupart sur le toit une brouette avec une roue gonflée. En Turquie il semblait régner une sorte de folie des travaux d’urbanisation, et ceux qui avaient déjà amené une brouette lors de leur précédent retour chez eux transportaient à présent une bétonnière. Souvent le chargement sur le toit avait le même volume que la voiture, et les bâches de protection claquaient au vent tout en se désagrégeant peu à peu.

Cette attente éternelle commençait à m’énerver ! Si j’éteignais le moteur, il ne redémarrerait sûrement plus. C’est pourquoi je longeai la file au pas, lorsqu’un douanier se précipita vers moi pour me faire signe de regagner la file d’attente. Avec ce side-car surchargé, il devait me prendre pour un travailleur émigré turc bien que je n’aie pas de brouette. « Moi pas Turc ! », m’écriai-je, « moi Allemagne ! » Il s’approcha de moi et jeta un coup d’œil sur le side-car en surcharge. Je fus soudain envahi par l’idée d’avoir à tout déballer comme ces pauvres Turcs, mais il vit ma carte du monde et mon itinéraire, se para de son sourire le plus amical, et sans contrôler quoi que ce soit me souhaita bon voyage en allemand en me faisant un signe de la main.

Bientôt j’arrivai à Maribor. « Une belle petite ville ! » pensais-je. Etant dans l’obligation de changer de l’argent, et comme il y avait une place de parking de libre en pente, je me hasardai à faire un arrêt. A peine avais-je fermé les robinets d’essence, enclenché une vitesse et placé une cale devant la roue arrière, casque et lunettes sous la bâche du side-car, que je me retrouvai entouré d’une bande de gamins qui piaillaient, tout à leur excitation de me voir et ouvrant de grands yeux ébaubis devant mon véhicule, comme devant un module lunaire. Je les pointai du doigt, puis mes yeux et mon side-car : ils avaient compris et le surveilleraient en mon absence !

Après avoir trouvé la banque et échangé 50 DM, je fis un tour de ville. Quel plaisir enfin, après être resté tant de temps assis ! Je regardai alors mes bras. J’avais le sentiment qu’ils faisaient deux mètres de long et touchaient le sol. Devant la vitrine d’un coiffeur je brossai avec les doigts mes cheveux aplatis par le casque, je me fîs à moi-même un sourire de réconfort et me rendis dans un café au bord de la rivière pour y déguster une bière et une glace. Aujourd’hui c’était jour férié ! J’étais arrivé en Yougoslavie sans grosse panne pendant le trajet et pouvais enfin m’adosser sur le bord du siège, en étirant mes membres avec délectation. Ah que ça faisait du bien ! Je devrais installer une sorte de chaise-longue sur mon ‘attelage’ avec un dossier amovible ! Pas sûr que le contrôle technique soit d’accord, mais ici j’étais hors de portée de sa vue. Certaines maisons avaient déjà un caractère oriental, les gens étaient différemment vêtus, et la vie se déroulait en grande partie dans les rues et les ruelles. Je trouvais même que les rues avaient un goût d’Orient. De retour à ma moto la plupart des enfants avaient disparu, sauf quelques-uns restés assis sur une margelle à proximité, empêchant quiconque de s’approcher de trop près. Je retrouvai mon casque et mes gants avec l‘impression que rien ne manquait. Je crois que dorénavant je ferai toujours ainsi et choisirai quelques enfants comme anges gardiens !

Je sortis de mon véhicule un sachet de ‘Gummibärchen’, ces petites sucreries à la gomme en forme d’ourson que ma mère m’avait donné et je les leur offris. Leurs yeux pétillaient de joie et ces bonbons étaient pour eux tout aussi exotiques que pour moi le morceau gluant de « Halva » que j’avais acheté à un stand dans la rue. Par précaution je démarrai en laissant rouler mon véhicule. Il n’aurait plus manqué que ça, montrer aux Yougoslaves que les motos allemandes n’étaient pas fiables ! Ils n’achèteraient alors que des Honda ou autres espèces d’autocuiseurs à riz japonais au nombre d’adeptes sans cesse croissant…