La Science des philosophes et l'art des thaumaturges dans l'Antiquité - Ligaran - E-Book

La Science des philosophes et l'art des thaumaturges dans l'Antiquité E-Book

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Extrait : "L'étude des propriétés de l'air a été jugée digne de la plus grande attention par les anciens philosophes et mécaniciens. Les premiers ont déduit ces propriétés du raisonnement, les seconds de leur action sur nos sens. Il nous a paru nécessaire de mettre en ordre ce que nous ont légué nos prédécesseurs, et d'y ajouter nos propres découvertes, de manière à aider les études de ceux qui voudront se livrer aux mathématiques."

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 261

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

L’histoire nous a conservé le souvenir d’un certain nombre de faits présentant tous les caractères de la certitude et qui ont semblé prodigieux à ceux qui en ont été les témoins.

Ces faits peuvent se diviser en deux classes. Les uns sont dus à des causes que nous ignorons encore : les autres ne sont que des conséquences plus ou moins singulières des lois physiques connues.

À mesure que la science progresse, le nombre des premiers diminue et l’intérêt qui s’attache à leur étude augmente.

Cette étude, je ne veux point l’aborder directement, mais je me propose de la faciliter en délimitant le domaine qu’elle doit embrasser. Pour cela, il convient de procéder à un travail d’élimination et de rechercher quelles furent, aux différents âges de l’humanité, les ressources que la science présenta aux thaumaturges.

Les Grecs nous ont laissé sur ce sujet un certain nombre de documents précis dont les plus importants sont aujourd’hui encore à peine connus, aussi bien de ceux qui se sont occupés de l’histoire des sciences physiques que de ceux qui ont écrit sur la magie ; ce sont ces documents que je vais présenter au public.

Après une introduction contenant un exposé sommaire des progrès des sciences physiques dans l’antiquité et de l’influence exercée, sur les savants de la Renaissance, par les traditions de l’école d’Alexandrie, je donne la première traduction française des Pneumatiques de HÉRON et de PHILON.

Une seconde publication renfermera des extraits de la Catoptrique d’HÉRON, des Automates du même auteur, d’un chapitre des Philosophumena de SAINT HIPPOLYTE relatif aux mages, ainsi que quelques détails sur les prodiges rapportés par les anciens auteurs sacrés ou profanes. Enfin, dans une Conclusion, j’essaierai d’établir parmi ces prodiges la distinction dont j’ai parlé au début de cette préface.

Introduction
CHAPITRE PREMIERNotions sommaires sur l’histoire de quelques parties des sciences physiques dans l’antiquité

D’anciennes traditions nous montrent la science concentrée presque toute entière au sein des temples de l’Égypte et de l’Asie. Il y avait là des foyers de lumière qui, cachés sous le voile épais de l’initiation, se sont éteints sans avoir projeté d’autres lueurs sur l’ancien monde que quelques rayons qui ont éclairé la Grèce. En même temps et dans les mêmes contrées, les esclaves se transmettaient de génération en génération, avec ce dévouement haineux propre aux races persécutées, des procédés industriels, souvent égaux, quelquefois supérieurs aux nôtres ; nous pouvons les constater par leurs produits que le temps a respectés, mais nous en ignorons complètement l’origine.

 

Environ six siècles avant notre ère, Thalès, de Milet, alla étudier chez les prêtres de Memphis et de Thèbes et rapporta dans les colonies helléniques de l’Asie mineure quelques-unes des doctrines orientales. Il fonda dans sa patrie la plus ancienne école philosophique de la Grèce, l’École Ionique où l’étude de la nature par la méthode expérimentale joua le principal rôle ; aussi ses disciples furent-ils souvent désignés dans l’antiquité sous le nom de φυσίϰοί.

D’après Thalès, il n’y avait dans l’ordre moral qu’un petit nombre de principes bien connus, tandis que ceux de l’ordre physique étaient pour la plupart ignorés ; l’homme devait les rechercher par l’observation des phénomènes et se servir de leur connaissance pour se guider dans la vie. La tradition a, pour ainsi dire, personnifié ses tendances en nous rapportant qu’il calcula l’arrivée d’une éclipse totale de soleil et prédit une abondante récolte d’olives.

Il connaissait les effets de l’aimant et de l’ambre frotté, et les attribuait à une âme particulière contenue dans ces corps.

D’après lui, la terre était ronde, reposait sur la surface d’un liquide tel que l’eau et occupait le centre du monde formé par les étoiles qui circulaient autour d’elle.

 

Pythagore, né en 592 dans l’île de Samos non loin de Milet, reçut une première instruction chez les prêtres de Sidon, qui devaient avoir des connaissances étendues sur tout ce qui touche à la marine ; puis il se rendit en Égypte, non en simple particulier mais en ambassadeur, auprès du roi Amasis dont il sut s’attirer l’amitié. Recommandé par ce prince aux différents collèges sacerdotaux, il paraît avoir été initié aux mystères les plus élevés. Il fut fait prisonnier avec beaucoup d’autres prêtres, lorsque Cambyse envahit l’Égypte, et emmené en captivité à Babylone, où il vécut douze ans. Échangé en 513, il revint dans sa patrie et alla s’établir dans les colonies Grecques du sud de l’Italie, où il fonda une école, dite Italique ou de Samos.

Pythagore ne dédaignait point l’étude des phénomènes naturels, et c’est à lui qu’on doit la première expérience de physique dont l’histoire fasse mention : la détermination des poids de divers marteaux qui, en frappant sur une enclume, produisent des sons en rapports musicaux. Il avait en mathématiques des connaissances très étendues ; on lui attribue la découverte du théorème du carré de l’hypoténuse. Il aurait, dit-on, puisé en Égypte la connaissance de l’immobilité du soleil et du mouvement de la terre, vérité qui ne fut dévoilée que 200 ans après par Philolaüs, un de ses disciples. Mais, imbu des doctrines de l’Inde sur la transmigration des âmes et versé peut-être dans les pratiques d’évocations qui ont refleuri de nos jours, il porta plutôt les efforts de son génie sur les recherches relatives à l’harmonie générale des mondes. Aussi la tradition nous le représente-t-elle comme un maître dans l’art des thaumaturges et des sorciers.

 

Pendant près de 300 ans, il sortit de l’école Ionique et de l’école Italique, une foule de traités qui ne nous sont plus, malheureusement, connus que par des citations plus ou moins exactes, disséminées dans les écrits d’Aristote, de Plutarque, de Cicéron, de Sextus-Empiricus, d’Origène, de Porphyre, de Saint Augustin, de Simplicius, etc., etc..

Vers le milieu du IVe siècle, avant notre ère, leurs doctrines avaient pour principaux représentants : DIOGÈNE d’Apollonie, ANAXAGORAS de Clazomènes et ARCHELAUS de Milet, disciples de Thalès ; HÉRACLITE d’Éphèse, EMPÉDOCLE d’Agripente, LEUCIPPE et DÉMOCRITE d’Abdère, élèves plus ou moins directs de Pythagore.

Chacun de ces philosophes avait ses idées particulières sur la métaphysique et l’origine des mondes, mais leurs théories sur la composition des corps, différaient peu les unes des autres ; je vais les exposer sommairement par école.

École Ionique

L’air est le principe de tout, c’est de l’air que les poissons respirent dans l’eau, et, s’ils meurent dans l’air, c’est qu’ils en respirent trop à la fois et qu’il y a mesure à tout. L’air est la source de toute vie et de la pensée elle-même, car l’homme et les êtres vivants ne vivent que parce qu’ils respirent. Toute vie, toute pensée cesse au moment où la respiration s’arrête.

Tout est dans tout ; chaque atome est un monde en miniature. Nous mangeons des aliments qui nourrissent les muscles, le sang, les os, en un mot toutes les parties du corps. La nutrition serait-elle possible s’il n’y avait pas dans ces aliments des molécules (μόρια) identiques avec celles dont se composent les muscles ?

Les corps composés peuvent être réduits par l’analyse à leurs éléments ou particules similaires (ὸμοιομέρια) ; mais ces éléments sont insécables et indestructibles, il s’ensuit que le nombre des homéoméries ne peut être augmenté ni diminué. La quantité de matière dont se compose le monde demeure donc constante quelles que soient les transformations qu’on y remarque.

C’est par une erreur de langage que la composition (σύγϰρισις) et la décomposition (διάϰρισις) des corps sont appelées naissance et mort.

Il n’y a pas d’espaces vides ; les intervalles (πο’ροι) qui séparent les molécules sont, non pas vides, mais remplis d’air.

Les plantes sont des êtres vivants, doués d’une véritable respiration.

L’air possède les semences de tous les êtres et ces semences, précipitées par l’eau, engendrent les plantes.

Le soleil est un globe de feu, la lune a des montagnes et des vallées, une mer et un continent ; elle est habitée. Les aérolithes tombent du soleil.

La vision est produite par une infinité de rayons qui, projetés par l’œil, vont, comme autant de bras invisibles, tâter et saisir les objets perçus.

École Italique

Le feu est le principe de tout ; c’est la force primordiale d’où découlent tous les phénomènes physiques.

Le soleil et les astres sont des matières aériformes en ignition ; la terre a été elle-même en ignition autrefois.

Il y a dans la nature, outre le feu, principe actif par excellence, trois corps : l’air, l’eau et la terre, qui sont la base de tous les autres. Ces quatre corps élémentaires (στοιχεία) ne doivent pas être considérés comme les dernières molécules immuables et indécomposables de la matière. L’expérience apprend, en effet, qu’ils peuvent être modifiés ; la terre se change en eau, l’eau en air et l’air en feu, et inversement.

Le feu tire son aliment des parties subtiles de l’air comme l’eau tire son aliment de la terre.

Ces éléments sont composés d’une multitude de particules très petites, indivisibles, qui sont les vrais éléments de la nature et que l’on appelle pour cela atomes (άτομα) c’est-à-dire insécables.

Les atomes sont tous semblables entre eux dans le même élément, mais ceux d’un élément ne sont point semblables à ceux d’un autre, puisque les atomes de l’air se combinent avec ceux de l’eau pour donner naissance à tel ou tel corps et ainsi des autres. Ils sont variables non seulement en grosseur mais en poids.

La matière contient des pores ou intervalles vides (ϰοϊλα) qui favorisent les mouvements des atomes, les uns par rapport aux autres ; l’expérience montre, en effet, qu’un vase rempli de cendre peut contenir en même temps le même volume d’eau, que le vin peut être comprimé dans une outre, etc.

L’affinité (φιλίϰ) et la répulsion (νεῖϰος) président aux phénomènes de composition et de décomposition de la matière. Les particules homogènes s’attirent et se combinent, les particules hétérogènes se repoussent et se désagrègent.

Les atomes étant impénétrables, chaque atome résiste à celui qui veut le déplacer ; cette résistance donne lieu à un mouvement vibratoire (παλιός) qui se propage de proche en proche. C’est ainsi que se communiquent tous les mouvements du monde.

Le monde physique actuel (ϰο’σμος) est la réunion de toutes les combinaisons produites par les éléments simples ; à l’origine des choses, ces éléments n’étaient point combinés et constituaient le cahos (πολλά).

Les objets lumineux émettent en ligne droite et dans tous les sens, une infinité d’images qui sont comme des pellicules enlevées de l’extrême surface des corps et produisent le phénomène de la vision quand elles frappent les corps. Ces images s’appelaient : idoles, simulacres, effigies, spectres, etc.

Voici un passage cité littéralement d’Empédocle par Aristote dans son traité sur la respiration. Il était en vers et décrit l’instrument qu’on appelle aujourd’hui dans les cabinets de physique, Crible d’Aristote ; il donnera une idée du style scientifique à ces époques reculées :

« Ainsi quand une jeune fille s’amuse avec des clepsydres en airain bien travaillé, tantôt plaçant sous sa main adroite le trou du tuyau, elle enfonce le vase dans le corps léger de l’eau argenté ; mais le liquide n’entre pas dans le creux du vase, il est repoussé par la masse d’air qui presse au-dedans du vase sur les trous nombreux, jusqu’à ce que l’enfant laisse une libre entrée au flux pressé de l’eau ; alors, la résistance de l’air venant à manquer, l’eau entre sans obstacle. Et, de même encore, quand l’eau occupe le fond du vase d’airain, l’ouverture étant fermée par la main humaine ainsi que toute entrée, l’air du dehors qui veut s’introduire au-dedans retient le liquide autour des portes de ce crible retentissant dont il occupe les bords jusqu’à ce qu’on lâche la main, et alors, plus vivement encore qu’auparavant, l’air venant à entrer, l’eau s’échappe sans obstacle. »

Nous ne saurions spécifier la part que l’on doit laisser aux Grecs dans la conception d’idées dont les découvertes de la chimie moderne ont généralement démontré la justesse. À l’exemple de Thalès et de Pythagore, Démocrite était allé en Orient et il avait longtemps voyagé, dit-on, en Perse, en Syrie et en Égypte. Six siècles plus tard, lorsque le paganisme expirant dévoila une partie de ses mystères, on entendit pour la première fois parler dans le public de l’Art sacré, qui, jusque-là, avait été cultivé dans le plus profond secret par les prêtres de Thèbes et de Memphis. Cet art nouveau n’était autre chose que la Chimie et, parmi les anciens initiés dont on se faisait gloire, on citait le philosophe d’Abdère. Quoiqu’il en soit, Démocrite, qui vécut jusqu’à 104 ans, passa une partie de sa vie, dit Pétronne (Arbit.), à faire des expériences afin d’approfondir les secrets des minéraux et des plantes. Il s’attacha à démasquer les prestiges des mages, avec lesquels il entra souvent en lutte (SOLIN, XX ; DIOG. LACRT ; Dém). Suivant Vitruve (liv. IX, intr.), il composa un livre intitulé Χειροϰμἡτων, c’est-à-dire Recueil d’expériences, où il avait marqué avec son anneau et de la cire rouge, toutes celles qu’il avait faites lui-même. (Cf. PLINE, Histoire nat. liv. XXIV, ch. 99 et 102). Sénèque nous apprend (Epist. 10), que c’est à lui qu’on doit le fourneau à réverbère, les moyens d’amollir l’ivoire, et de produire artificiellement des pierres précieuses, notamment l’émeraude.

École de Platon

Quand, au siècle de Périclès, Athènes fut devenue la capitale de la Grèce, il s’y fonda de nombreuses écoles philosophiques ; mais le génie grec livré à lui-même était trop porté vers les brillantes conceptions pour s’astreindre aux lentes déductions de la méthode expérimentale ; avec Socrate et Platon, il dédaigna l’étude de la nature pour s’élever aux plus hautes spéculations de la morale, de la géométrie et de la métaphysique. Il créa, de toutes pièces des systèmes et ne se préoccupa jamais de vérifier les conséquences qui pourraient en découler.

« De tous les êtres, dit Platon, le seul qui puisse posséder l’intelligence, c’est l’âme ; or l’âme est invisible, tandis que le feu, l’air, l’eau et la terre sont des corps visibles. Mais celui qui aime l’intelligence et la science doit rechercher, comme les vraies causes premières, les causes intelligentes, et mettre au rang des causes secondaires toutes celles qui sont mues et qui font mouvoir nécessairement. »

On ne doit donc point s’étonner de voir l’illustre fondateur de l’Académie accuser Archytas de Tarente, son contemporain et son ami, d’avoir abaissé la science par des applications mécaniques.

Archytas passe pour l’inventeur de la vis et de la poulie ; on lui attribuait la fabrication d’une colombe en bois dont le vol imitait, à s’y méprendre, celui d’un oiseau naturel ; suivant Diogène Laërce, « il traita le premier la mécanique en se servant de principes géométriques. »

« Cette mécanique, si recherchée, si vantée, dit Plutarque (Vie de Marcellus) eut pour premiers inventeurs Eudoxe et Archytas qui voulurent par là embellir et égayer pour ainsi dire, la géométrie, en appuyant par des exemples sensibles et sur des preuves mécaniques, certains problèmes dont la démonstration ne pouvait être fondée sur le raisonnement et sur l’évidence. Tel est le problème des deux moyennes proportionnelles, qu’on ne peut trouver par des démonstrations géométriques et qui sont néanmoins une base nécessaire pour la solution de plusieurs autres problèmes. Ces deux géomètres le résolurent par des procédés mécaniques, au moyen de certains instruments appelés mésolabes, tirés des lignes courbes et des sections coniques. Mais, quand Platon leur eut reproché avec indignation qu’ils corrompaient la géométrie, qu’ils lui faisaient perdre toute sa dignité, en la forçant, comme un esclave, de descendre des choses immatérielles et purement intelligibles, aux sujets corporels et sensibles, d’employer une vile matière qui exige le travail des mains et sert à des métiers serviles, dès lors, la mécanique dégradée, fut séparée de la géométrie, et, longtemps méprisée par la philosophie, elle devint un des arts militaires. »

Les idées de Platon sur la physique sont presque toutes réunies dans le Timée, où l’illustre philosophe qui, lui aussi, était allé s’instruire en Égypte et en Italie, émet sur la constitution moléculaire des corps, des hypothèses auxquelles la science moderne semble revenir ; il laisse entrevoir, malheureusement sous une forme voilée, des observations qui ont de singulières analogies avec les nôtres.

Voici d’abord la définition des éléments tels que les comprenaient les Sages :

« Et d’abord, nous voyons que le corps que nous avons appelé eau, en se congelant, devient, à ce qu’il semble, des pierres et de la terre ; la terre dissoute et décomposée s’évapore en air ; l’air enflammé devient du feu ; le feu comprimé et éteint redevient de l’air, à son tour l’air condensé et épaissi se transforme en nuage et en brouillard, les nuages, en se condensant encore plus s’écoulent en eau, l’eau se change de nouveau en terre et en pierres, tout cela forme un cercle dont toutes les parties ont l’air de s’engendrer les unes les autres. Ainsi, ces choses ne paraissant jamais conserver une nature propre, qui oserait affirmer que l’une d’elles est telle chose et non telle autre ?

On ne le peut, et il est beaucoup plus sûr de s’exprimer à leur égard de la façon suivante : Le feu, par exemple, que nous voyons soumis à de perpétuels changements, nous ne l’appellerons pas feu, mais quelque chose de semblable au feu, comme nous n’appellerons pas l’eau de l’eau, mais quelque chose de semblable à l’eau, et nous ne désignerons aucun de ces objets par des termes qui marquent de la persistance, comme quand nous disons ceci, cela, pour désigner quelque chose ; car, ne restant jamais les mêmes, ces objets se refusent à ces dénominations, ceci, de ceci, à ceci et à toutes celles qui les présentent comme ayant une certaine stabilité. Il ne faut pas parler de ces sortes de choses comme d’individus distincts, mais il faut les appeler toutes et chacune d’elles comme des apparences soumises à de perpétuels changements… »

« Ces quatre corps, ajoute-t-il ailleurs, nous paraissent naître les uns des autres, mais ce n’était-là qu’une apparence trompeuse, car tous les quatre naissent des triangles que nous avons désignés… »

Ces triangles étaient des triangles rectangles qu’il divise en deux classes, les isocèles et les scalènes. Comment pouvaient-ils être l’origine des molécules de tous les corps ? Platon en donne bien une explication ; mais je suis d’autant moins honteux de ne l’avoir point comprise, qu’il a soin de dire : « Quant aux principes de ces triangles eux-mêmes, Dieu seul qui est au-dessus de nous, et, parmi les hommes, ceux qui sont les amis de Dieu, les connaissent. »

Toujours est-il qu’il arrive aux conclusions suivantes :

La molécule du genre Terre a la forme d’un cube (chaque face étant formée par la juxtaposition de deux triangles rectangles isocèles) « parce que, des quatre genres, la terre est le plus immobile ; elle est le corps le plus susceptible de recevoir une apparence fixe ; il est donc nécessaire qu’elle soit formée du solide qui a la base la plus ferme. » La molécule du genre Feu, qui est le plus mobile et le plus léger des quatre, aurait la forme du plus petit et du plus aigu de tous les solides qu’on peut constituer avec un triangle, par conséquent celle d’une pyramide triangulaire.

La molécule du genre Eau et celle du genre Air auraient la forme, l’une de l’octaèdre, l’autre de l’icosaèdre réguliers jouissant de propriétés intermédiaires.

« Il faut concevoir toutes ces parties élémentaires dans une telle petitesse que quelle que soit l’espèce à laquelle elles appartiennent nous ne pouvons les discerner une à une ; mais, quand elles sont réunies en grand nombre, la masse qu’elles produisent est visible. »

Platon explique ensuite comment les variétés des triangles générateurs entraînent la variété des corps, comment ceux-ci peuvent se dissoudre l’un dans l’autre, ou même se changer de l’un en l’autre, par la composition ou la décomposition des formes affectées par leurs molécules.

« L’eau, décomposée par le feu ou même par l’air, peut devenir en se recomposant, un corps de feu ou deux corps d’air. Quant à l’air, lorsqu’il est décomposé, d’une seule de ses parties peuvent naître deux corps de feu. »

De même qu’il y a plusieurs espèces d’airs, il y a plusieurs espèces de feu et aussi plusieurs espèces d’eau. Platon classe parmi les eaux tous les corps fusibles et par conséquent les métaux.

« Le cercle de l’univers qui comprend en soi tous les genres (tous les corps sous leurs divers états), et qui, par la nature de sa forme sphérique, aspire à se concentrer en lui-même, resserre tous les corps et ne permet pas qu’aucune place ne reste vide. C’est pour cela que le feu principalement s’est infiltré dans toutes choses, ensuite l’air qui vient après le feu pour la ténuité de ses parties et les autres corps dans le même ordre. Car ce qui est composé des plus grandes parties est aussi ce qui contient en soi les plus grands vides et les vides les plus petits se trouvent dans ce qui a été formé des parties les plus petites. Le mouvement de condensation pousse les petites dans les intervalles des grandes… »

Quand le feu qui est contenu dans l’eau fusible s’échappe, comme il ne peut s’évaporer dans le vide, il comprime l’air environnant qui pousse l’eau encore fluide dans les places qu’occupait le feu et s’unit lui-même avec elle. L’eau, ainsi comprimée et recouvrant son égalité puisqu’elle est dégagée du feu auteur de l’inégalité, se resserre et se contracte. On a appelé froid cette perte de feu et glace la cohésion qui en résulte entre les parties de l’eau.

Il est difficile de se refuser à voir dans ce dernier paragraphe, une théorie de la chaleur latente.

Voici maintenant le principe d’Archimède en germe.

Tout corps a un poids, en ce sens que si l’on pouvait mettre deux parties de feu dans l’un des plateaux d’une balance et une partie dans l’autre, la balance s’inclinerait du côté du premier. Mais, comme Dieu a assigné sa place à chaque élément, un corps tend toujours à rejoindre ses semblables ; c’est pour cela que l’air s’élève quand on le met dans l’eau et que le feu s’élève quand il est dans l’air.

Au-dessus de l’air il y a une substance immatérielle et indestructible qui s’appelle l’Éther et qui forme les astres ainsi que le milieu dans lequel ils sont plongés.

Combinant les hypothèses de l’école ionique et de l’école italique, Platon suppose que le phénomène de la vision est dû aux vibrations produites par la rencontre des effluves éthérées émises par les corps lumineux avec des effluves de même nature qui sortent de l’œil. Ces effluves se meuvent en ligne droite, et, si un corps dont la surface est bien polie, résiste à leur passage, elles se réfléchissent en faisant des angles de réflexion égaux aux angles d’incidence.

Il connaissait le phénomène de l’aimantation du fer doux par contact ; il en parle dans Ion. Il attribuait les phénomènes d’attraction de l’aimant et de l’ambre frotté à l’impulsion d’un fluide qui, sortant des pores du corps aimanté ou électrisé, produisait dans l’air un courant rétrograde pour boucher le vide produit dans ces pores.

Après avoir donné encore l’explication de quelques phénomènes naturels, il termine ainsi la partie du Timée qui s’occupe de physique.

« Il ne serait pas difficile d’en décrire encore d’autres, en cherchant toujours la vraisemblance, et celui qui pour se délasser, laissant de côté l’étude de ce qui est éternel, et discourant avec vraisemblance sur ce qui a un commencement, se procure ainsi un plaisir sans remords, celui-là se ménage durant sa vie un amusement sage et modéré. »

On le voit, l’illustre philosophe d’Athènes croyait avoir des bases suffisamment solides pour asseoir les grandioses conceptions qui embrassaient le monde dans son ensemble. Pour lui, toutes les recherches nouvelles n’étaient que d’innocentes distractions ; il faisait, des expériences des physiciens, le cas que l’auteur du Discours sur l’histoire universelle a dû faire des travaux des numismates.

Aristote, disciple de Platon, n’était pas plus que lui compté parmi les physiciens. « Les opinions, dit Vitruve (préf. du liv. VII), de Thalès, de Démocrite, d’Anaxagoras, de Xénophane et des autres physiciens sur les lois de la nature, et les principes que les Socrate, les Platon, les Aristote, les Zénon, les Épicure et les autres philosophes ont posés pour la conduite de la vie…, tout serait tombé dans l’oubli, si nos ancêtres n’avaient eu le soin de le transmettre à la postérité dans leurs ouvrages. » Il avait cependant composé un grand nombre d’ouvrages dont les titres semblent indiquer des études sur les sciences physiques ; je citerai notamment : les Questions mécaniques, les Auscultations physiques, quatre livres sur le Ciel, deux sur la Production et la destruction des choses, quatre de Météorologiques, un sur le Monde, d’autres enfin sur la Respiration, sur l’Optique, sur les Couleurs, sur l’Ouïe, etc. ; mais, au lieu d’exposer les phénomènes et les lois qui s’en déduisent, il fait des dissertations sur leur essence même ; il parle du mouvement, du lieu, du temps, du vide, de l’infini, du hasard, non pour les mesurer, mais pour spécifier leur nature.

Aristote a reproduit la plupart des idées de son maître et il les a développées en y ajoutant le fruit de ses immenses lectures. On ne peut lui refuser une haute intelligence et une érudition extraordinaire, mais, comme tous les esprits encyclopédiques, il n’a bien souvent fait qu’effleurer les questions et nous ne devons point nous fier à lui sans réserves dans l’exposition qu’il fait des théories de ses devanciers. De plus, il a poussé la subtilité et l’esprit d’abstraction au-delà des limites qu’admet l’esprit scientifique moderne ; si, comme il l’a écrit à Alexandre, il a voulu être obscur pour le profane, il y a réussi, peut être au-delà de ses désirs.

Je ne relèverai ici, dans ses nombreux écrits, que les passages qui peuvent servir à l’histoire ou à l’intelligence des idées émises dans les œuvres de la période Alexandrine, sujet principal de cette étude.

Dans le livre IV des Auscultations physiques, il traite la question du vide ; il dit qu’il ne s’agit point de démontrer, comme le fait Anaxagoras, que l’air est quelque chose, mais bien de savoir s’il y a des portions de l’espace où il n’existe aucune espèce de corps que nos sens puissent percevoir. Démocrite, Leucippe et en général les Pythagoriciens s’étaient prononcés pour l’affirmative ; lui, conclut à la négative.

Il n’admet pas la théorie de Platon sur la forme des molécules des corps, parce que, dit-il entre autres choses, il n’y a point de vide dans l’Univers et que l’espace ne peut être rempli exactement que par deux espèces de polyèdres, les cubes et les pyramides (Du Ciel, III, 8) ;

La terre est ronde et son centre situé au centre du monde (Du Ciel, II, 14) ; la surface de l’eau est sphérique et concentrique à la surface de la terre.

C’est par suite de la pauvreté de la langue que les philosophes désignent sous le nom de Feu le corps qui jouit de la propriété d’être sec, chaud et de s’élever au-dessus de tous les autres, le mot Feu s’appliquant proprement à la chaleur portée à son degré le plus intense et pour ainsi dire à l’ébullition. – Le corps dont il s’agit est composé de particules extrêmement petites et mobiles ; au plus léger mouvement il entre en ignition ; ainsi c’est du feu en puissance et non en acte. (Méteor. I, 3).

Le mouvement est donc une cause de chaleur et, plus il est rapide, plus il dégage de chaleur. (Id).

Le vent n’est autre chose que de l’air en mouvement (Du Monde, 4). Lorsque la terre est desséchée, soit par sa chaleur propre soit par celle du soleil, elle produit une exhalaison chaude, qui engendre le vent par le déplacement de l’air. Les vents augmentent à mesure qu’ils s’éloignent de leur point de départ (Météor. II, 4 et 6).

Quand, par suite du froid, l’air tend à se convertir en eau, il se produit d’abord de la vapeur. Cette vapeur prend le nom débrouillard si elle reste en bas, et de nuage si elle monte. Si le froid augmente, les vapeurs se condensent et il se produit de la rosée ou de la pluie. – La rosée a lieu quand, par une nuit froide, la vapeur qui s’était dégagée de la terre par suite de la chaleur du jour, se condense en gouttelettes, – Un plus grand froid encore transforme les vapeurs en neige (Météor. X et XI).

Aristote parle en plusieurs autres endroits des liquides qui se condensent après avoir été évaporés ; parmi ces liquides il cite même expressément le vin. « L’eau de mer est rendue potable par l’évaporation ; le vin et tous les liquides peuvent être soumis au même procédé ; après avoir été réduits en vapeurs humides, ils redeviennent liquides. » (Météor IX, 2). S’il ne fait pas mention de l’alcool, c’est que sa fabrication était probablement un secret réservé aux initiés.

Il connaissait les miroirs en verre : « si les métaux et les cailloux doivent être polis pour servir de miroirs, le verre et le cristal ont besoin d’être doublés d’une feuille de métal pour reproduire l’image des corps qu’on leur présente » ; il savait que l’angle de réflexion est égal à l’angle d’incidence. (Probl. XVI).

En mécanique, il établit d’une façon assez nette le principe que deux forces inégales animées de vitesses réciproquement proportionnelles produisent des effets égaux ; il signale la force d’inertie, la force centrifuge et le poids spécifique ; il explique l’effet du levier, de la balance, du coin, de la hache, du gouvernail, du rouleau, de la poulie, de la moufle, de la manivelle, du treuil, de la chèvre, de la machine à élever l’eau connue sous le nom de cicogne ; enfin il parle, comme d’une merveille, du cric dont il ne connaît pas le détail.

Les nombreuses guerres et les lointaines expéditions qui remplissent le IVe siècle avant notre ère, eurent pour effet de ramener une partie des savants de la Grèce à des travaux plus positifs, et de leur donner, en les associant de nouveau à l’élément oriental, le lest dont ils avaient besoin pour ne point laisser leur esprit flotter au gré de tous les vents de leur imagination.

Les énormes engins de charpente, usités depuis longtemps en Égypte et en Assyrie pour l’attaque des places, ainsi que l’attestent les peintures des hypogées de Béni-Assan et les bas-reliefs du palais de Nimroud, s’étaient introduits dans les contrées helléniques par les ouvriers d’art que Denys de Syracuse avait appelés de tous côtés à son secours contre les entreprises des Carthaginois ; c’est par suite d’un amour-propre national, dont il nous reste tant d’exemples, qu’Athénée le mécanicien en attribue l’invention à Polyeidos de Thessalie, ingénieur de Philippe de Macédoine. Toujours est-il que Polyeidos écrivit un traité sur ces machines et que Diadès et Chœréas, ses élèves, suivirent Alexandre le Grand en Asie.

L’apparition des ingénieurs dans les armées grecques est d’une importance capitale dans l’histoire de la civilisation antique. Désormais ces hommes ennobliront, par l’éclat des services militaires, les arts mécaniques jusqu’alors si méprisés et, sous le nom de μηχαvoπoíoι, ils vont, quoiqu’en ait dit Plutarque, occuper un rang distingué parmi les savants de la première École d’Alexandrie.

Première École d’Alexandrie

Quand Alexandre eut constitué son empire, il voulut lui donner une capitale, et il choisit lui-même l’emplacement de la ville à laquelle il imposa son nom. Placée au centre du monde connu, presque à la jonction de trois continents, Alexandrie pouvait, grâce à son admirable situation, concentrer dans ses ports le commerce de toutes les contrées sur lesquelles le conquérant avait étendu son influence. Par la Méditerranée, elle rayonnait sur l’Occident ; par le lac Maréotis, le Nil et le Golfe arabique, elle pouvait facilement communiquer avec l’Extrême-Orient. Aussi vit-elle bientôt affluer dans ses murs les commerçants et les industriels, qui, en peu d’années, en firent une ville des plus florissantes du monde.

Afin d’y attirer les savants et les philosophes, Ptolémée Soter, à qui l’Égypte était échue en partage après la mort d’Alexandre, s’efforça de rassembler dans sa capitale tout ce qui pouvait faciliter leurs études ; il commença par y fonder une bibliothèque qui, à sa mort, contenait déjà plus de 200 000 volumes.