La Symphonie pastorale - André Gide - E-Book

La Symphonie pastorale E-Book

André Gide

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Beschreibung

La Symphonie pastorale est un roman court écrit par André Gide en 1918 et publié en 1919, qui traite du conflit entre la morale religieuse et les sentiments. Présentation | Dans les années 1890, Gertrude, une jeune fille aveugle et orpheline de sa tante qui vient de mourir, est recueillie par un pasteur qui lui offre de vivre avec sa femme, Amélie, et ses cinq enfants dans une petite chaumière du Jura neuchâtelois, en Suisse. Dans son journal, le pasteur raconte l’éducation protestante qu’il offre à Gertrude, dont il finit par tomber amoureux. Son fils Jacques tombe également amoureux de Gertrude. Lorsque le pasteur s’en rend compte, il lui ordonne de partir. Une opération donne la vue à Gertrude et, voyant le père et le fils, elle tombe amoureuse de Jacques plutôt que du pasteur, même si encore aveugle, elle avait davantage de sentiments amoureux pour ce dernier. Entre-temps, Jacques s'est converti au catholicisme... La vue permet à Gertrude d’observer tout ce que le pasteur lui avait caché, le mal et le péché, durant des années pour protéger le sentiment de bonheur qu’il avait tenté de susciter chez elle...|Wikipedia|

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SOMMAIRE

PREMIER CAHIER

10 février 189.

27 février.

28 fév.

29 fév.

8 mars.

10 mars.

12 mars.

DEUXIÈME CAHIER

25 avril.

3 mai.

8 mai.

10 mai.

18 mai.

19 mai.

Nuit du 19 mai.

21 mai.

22 mai.

24 mai.

27 mai.

28 mai.

28 au soir.

29 mai.

30 mai.

ANDRÉ GIDE

LA SYMPHONIE PASTORALE

1919

Raanan Éditeur

Livre 1015 | édition 1

PREMIER CAHIER

10 février 189.

 

La neige qui n’a pas cessé de tomber depuis trois jours, bloque les routes. Je n’ai pu me rendre à R… où j’ai coutume depuis quinze ans de célébrer le culte deux fois par mois. Ce matin trente fidèles seulement se sont rassemblés dans la chapelle de La Brévine.

Je profiterai des loisirs que me vaut cette claustration forcée, pour revenir en arrière et raconter comment je fus amené à m’occuper de Gertrude.

J’ai projeté d’écrire ici tout ce qui concerne la formation et le développement de cette âme pieuse, qu’il me semble que je n’ai fait sortir de la nuit que pour l’adoration et l’amour. Béni soit le Seigneur pour m’avoir confié cette tâche.

 

 

Il y a deux ans et six mois, comme je remontais de la Chaux-de-Fonds, une fillette que je ne connaissais point vint me chercher en toute hâte pour m’emmener à sept kilomètres de là, auprès d’une pauvre vieille qui se mourait. Le cheval n’était pas dételé ; je fis monter l’enfant dans la voiture, après m’être muni d’une lanterne, car je pensai ne pas pouvoir être de retour avant la nuit.

 

Je croyais connaître admirablement tous les entours de la commune ; mais passé la ferme de la Saudraie, l’enfant me fit prendre une route où jusqu’alors je ne m’étais jamais aventuré. Je reconnus pourtant, à deux kilomètres de là, sur la gauche, un petit lac mystérieux où jeune homme j’avais été quelquefois patiner. Depuis quinze ans je ne l’avais plus revu, car aucun devoir pastoral ne m’appelle de ce côté ; je n’aurais plus su dire où il était et j’avais à ce point cessé d’y penser qu’il me sembla, lorsque tout à coup, dans l’enchantement rose et doré du soir, je le reconnus, ne l’avoir d’abord vu qu’en rêve.

 

La route suivait le cours d’eau qui s’en échappait, coupant l’extrémité de la forêt, puis longeant une tourbière. Certainement je n’étais jamais venu là.

 

Le soleil se couchait et nous marchions depuis longtemps dans l’ombre, lorsque enfin ma jeune guide m’indiqua du doigt, à flanc de coteau, une chaumière qu’on eût pu croire inhabitée, sans un mince filet de fumée qui s’en échappait, bleuissant dans l’ombre, puis blondissant dans l’or du ciel. J’attachai le cheval à un pommier voisin, puis rejoignis l’enfant dans la pièce obscure où la vieille venait de mourir.

 

La gravité du paysage, le silence et la solennité de l’heure m’avaient transi. Une femme encore jeune était à genoux près du lit. L’enfant, que j’avais prise pour la petite-fille de la défunte, mais qui n’était que sa servante, alluma une chandelle fumeuse, puis se tint immobile au pied du lit.

 

Durant la longue route, j’avais essayé d’engager la conversation, mais n’avais pu tirer d’elle quatre paroles.

 

La femme agenouillée se releva. Ce n’était pas une parente ainsi que je supposais d’abord, mais simplement une voisine, une amie, que la servante avait été chercher lorsqu’elle vit s’affaiblir sa maîtresse, et qui s’offrit pour veiller le corps. La vieille, me dit-elle, s’était éteinte sans souffrance. Nous convînmes ensemble des dispositions à prendre pour l’inhumation et la cérémonie funèbre. Comme souvent déjà, dans ce pays perdu, il me fallait tout décider. J’étais quelque peu gêné, je l’avoue, de laisser cette maison, si pauvre que fût son apparence, à la seule garde de cette voisine et de cette servante enfant. Toutefois, il ne paraissait guère probable qu’il y eût dans un recoin de cette misérable demeure, quelque trésor caché… Et qu’y pouvais-je faire ? Je demandai néanmoins si la vieille ne laissait aucun héritier.

 

La voisine prit alors la chandelle, qu’elle dirigea vers un coin du foyer, et je pus distinguer, accroupi dans l’âtre, un être incertain, qui paraissait endormi ; l’épaisse masse de ses cheveux cachait presque complètement son visage.

 

– Cette fille aveugle ; une nièce, à ce que dit la servante ; c’est à quoi la famille se réduit, paraît-il. Il faudra la mettre à l’hospice ; sinon je ne sais pas ce qu’elle pourra devenir.

 

Je m’offusquai d’entendre ainsi décider de son sort devant elle, soucieux du chagrin que ces brutales paroles pourraient lui causer.

 

– Ne la réveillez pas, dis-je doucement, pour inviter la voisine, tout au moins, à baisser la voix.

 

– Oh ! je ne pense pas qu’elle dorme ; mais c’est une idiote ; elle ne parle pas et ne comprend rien à ce qu’on dit. Depuis ce matin que je suis dans la pièce, elle n’a pour ainsi dire pas bougé. J’ai d’abord cru qu’elle était sourde ; la servante prétend que non, mais que simplement la vieille, sourde elle-même, ne lui adressait jamais la parole, non plus qu’à quiconque, n’ouvrant plus la bouche depuis longtemps, que pour boire ou manger.

 

– Quel âge a-t-elle ?

 

– Une quinzaine d’années, je suppose ! au reste je n’en sais pas plus long que vous…

 

Il ne me vint pas aussitôt à l’esprit de prendre soin moi-même de cette pauvre abandonnée ; mais après que j’eus prié – ou plus exactement pendant la prière que je fis, entre la voisine et la petite servante, toutes deux agenouillées au chevet du lit, agenouillé moi-même, – il m’apparut soudain que Dieu plaçait sur ma route une sorte d’obligation et que je ne pouvais pas sans quelque lâcheté m’y soustraire. Quand je me relevai, ma décision était prise d’emmener l’enfant le même soir, encore que je ne me fusse pas nettement demandé ce que je ferais d’elle par la suite, ni à qui je la confierais. Je demeurai quelques instants encore à contempler le visage endormi de la vieille, dont la bouche plissée et rentrée semblait tirée comme par les cordons d’une bourse d’avare, instruite à ne rien laisser échapper. Puis me retournant du côté de l’aveugle, je fis part à la voisine de mon intention.

 

– Mieux vaut qu’elle ne soit point là demain, quand on viendra lever le corps, dit-elle. Et ce fut tout.

 

Bien des choses se feraient facilement, sans les chimériques objections que parfois les hommes se plaisent à inventer. Dès l’enfance, combien de fois sommes-nous empêchés de faire ceci ou cela que nous voudrions faire, simplement parce que nous entendons répéter autour de nous : il ne pourra pas le faire…

 

L’aveugle s’est laissé emmener comme une masse involontaire. Les traits de son visage étaient réguliers, assez beaux, mais parfaitement inexpressifs. J’avais pris une couverture sur la paillasse où elle devait reposer d’ordinaire dans un coin de la pièce, au-dessous d’un escalier intérieur qui menait au grenier.

 

La voisine s’était montrée complaisante et m’avait aidé à l’envelopper soigneusement, car la nuit très claire était fraîche ; et après avoir allumé la lanterne du cabriolet, j’étais reparti, emmenant blotti contre moi ce paquet de chair sans âme et dont je ne percevais la vie que par la communication d’une ténébreuse chaleur. Tout le long de la route, je pensais : dort-elle ? et de quel sommeil noir… Et en quoi la veille diffère-t-elle ici du sommeil ? Hôtesse de ce corps opaque, une âme attend sans doute, emmurée, que vienne la toucher enfin quelque rayon de votre grâce, Seigneur ! Permettrez-vous que mon amour, peut-être, écarte d’elle l’affreuse nuit ?…

 

 

J’ai trop souci de la vérité pour taire le fâcheux accueil que je dus essuyer à mon retour au foyer. Ma femme est un jardin de vertus ; et même dans les moments difficiles qu’il nous est arrivé parfois de traverser, je n’ai pu douter un instant de la qualité de son cœur ; mais sa charité naturelle n’aime pas à être surprise. C’est une personne d’ordre qui tient à ne pas aller au-delà, non plus qu’à rester en deçà du devoir. Sa charité même est réglée comme si l’amour était un trésor épuisable. C’est là notre seul point de conteste…

 

Sa première pensée, lorsqu’elle m’a vu revenir ce soir-là avec la petite, lui échappa dans ce cri :

 

– De quoi encore est-ce que tu as été te charger ?

 

Comme chaque fois qu’il doit y avoir une explication entre nous, j’ai commencé par faire sortir les enfants qui se tenaient là, bouche bée, pleins d’interrogation et de surprise. Ah ! combien cet accueil était loin de celui que j’eusse pu souhaiter. Seule ma chère petite Charlotte a commencé de danser et de battre les mains quand elle a compris que quelque chose de nouveau, quelque chose de vivant allait sortir de la voiture. Mais les autres, qui sont déjà stylés par la mère, ont vite fait de la refroidir et de lui faire prendre le pas.

 

Il y eut un moment de grande confusion. Et comme ni ma femme ni les enfants ne savaient encore qu’ils eussent affaire à une aveugle, ils ne s’expliquaient pas l’attention extrême que je prenais pour guider ses pas. Je fus moi-même tout décontenancé par les bizarres gémissements que commença de pousser la pauvre infirme sitôt que ma main abandonna la sienne, que j’avais tenue durant tout le trajet. Ses cris n’avaient rien d’humain ; on eût dit les jappements plaintifs d’un petit chien. Arrachée pour la première fois au cercle étroit de sensations coutumières qui formaient tout son univers, ses genoux fléchissaient sous elle ; mais lorsque j’avançai vers elle une chaise, elle se laissa crouler à terre, comme quelqu’un qui ne saurait pas s’asseoir ; alors je la menai jusqu’auprès du foyer, et elle reprit un peu de calme lorsqu’elle put s’accroupir, dans la position où je l’avais vue d’abord auprès du foyer de la vieille, accotée au manteau de la cheminée. En voiture déjà elle s’était laissé glisser au bas du siège et avait fait tout le trajet blottie à mes pieds. Ma femme cependant m’aidait, dont le mouvement le plus naturel est toujours le meilleur ; mais sa raison sans cesse lutte et souvent l’emporte contre son cœur.

 

– Qu’est-ce que tu as l’intention de faire de ça ? reprit-elle après que la petite fut installée.

 

Mon âme frissonna en entendant l’emploi de ce neutre et j’eus peine à maîtriser un mouvement d’indignation. Cependant, encore tout imbu de ma longue et paisible méditation je me contins, et tourné vers eux tous qui de nouveau faisaient cercle, une main posée sur le front de l’aveugle :

 

– Je ramène la brebis perdue, dis-je avec le plus de solennité que je pus.