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Beschreibung

Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre La théorie des nullités en droit pénal

La question de la régularité de la preuve au pénal est un enjeu majeur de l’État de droit et de la démocratie. La théorie des nullités qui règle le sort des preuves irrégulières a suscité de très vifs débats dans la doctrine depuis plus de dix ans. La loi du 24 octobre 2013 vient de fournir une base légale à la jurisprudence Antigone.

C'est l'occasion idéale de faire le point sur la genèse, sur les enjeux et sur l'évolution de la théorie des nullités tant en droit belge que dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Toutes les phases du procès pénal sont concernées par la régularité des preuves. Quels sont les actes d'instruction prescrits à peine de nullité ? À quel moment la question de la régularité de la preuve doit-elle être tranchée ? Quelles sont les sanctions prévues?

L'ambition de cet ouvrage est de fournir un cadre théorique général mais également de répondre aux questions concrètes des praticiens.

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels

A PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.

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La collection du Jeune Barreau de Charleroi

Cette collection rassemble les actes des colloques organisés par la Conférence du Jeune Barreau de Charleroi. Ils couvrent toutes les matières du droit et sont destinés aux praticiens.

Ouvrages parus :

Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), Le droit social et les jeunes, 2011.

Chr. Guillain et A. Wustefeld (dir.), La réforme de la cour d’assises, 2011.

Chr. Guillain et A. Wustefeld (dir.), Le rôle de l’avocat dans la phase préliminaire du procès pénal à la lumière de la réforme Salduz, 2012.

Ch.-É. Clesse et A. Nayer (dir.), Du risque professionnel au bien-être, 2012.

I. Bouioukliev (dir.), La force majeure, 2013.

Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), La concurrence loyale et déloyale du travailleur, 2013.

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications sprl (Limal) pour le © Anthemis s.a.

La version en ligne de cet ouvrage est disponible sur la bibliothèque digitale Jurisquare à l’adresse www.jurisquare.be.

© 2014, Anthemis s.a.

Place Albert I, 9 B-1300 Limal

Tél. 32 (0)10 42 02 90 – [email protected] – www.anthemis.be

ISBN: 978-2-87455-872-6

Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.

Mise en page : Communications s.p.r.l.

Couverture : Vincent Steinert

Sommaire

Le régime général des nullités des preuves irrégulières en Belgique et à l’étranger

Paul Dhaeyer

La question des nullités, Salduz et mandat d’arrêt

Pierre Monville et Damien Holzapfel

La recevabilité des preuves en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme: nouvel état de la question

Marie-Aude Beernaert

La purge des nullités et le règlement de la procédure

Damien Vandermeersch

Les actes d’instruction prescrits à peine de nullité

Dimitri de Beco

L’emploi des langues dans la justice pénale après la sixième réforme de l’État et quelques autres questions

Benoît Dejemeppe

Le régime général des nullités des preuves irrégulières en Belgique et à l’étranger

Paul Dhaeyer

Juge d’instruction au tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi Assistant à l’Université Saint-Louis – Bruxelles

Introduction

Jamais le législateur n’aura rendu un plus bel hommage à la jurisprudence. Il vient par un curieux renversement de perspective, de couler dans un texte l’interprétation jurisprudentielle de la loi. Est-ce utile de modifier ou de compléter la loi au motif qu’il convient d’en consacrer une interprétation pertinente? On aurait pu imaginer que le législateur intervienne pour corriger la loi ou pour clarifier son interprétation. Mais sans doute cette vision du rôle du législateur est-elle un peu désuète et renvoie-t-elle aux utopies des jurisconsultes du XVIIIe siècle.

De même convient-il de s’interroger sur l’apparente unanimité qui semble avoir animé les députés et les sénateurs lorsqu’ils ont approuvé par la loi du 24 octobre 2013, l’article 32 du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle. Nous verrons que la construction du modèle «Antigone» a nécessité des affinements et a suscité des controverses parfois vives dans la doctrine. Nous nous pencherons dans un premier temps sur cette jurisprudence Antigone, sur sa genèse, ses affinements et sur ses dernières évolutions.

Ensuite, une brève analyse des travaux préparatoires, ou devrions-nous dire plutôt des propositions de loi, s’imposera puisque, contre toute attente, plusieurs systèmes avaient été envisagés avant que le législateur en revienne à la théorie désormais classique des nullités.

Parmi ces propositions, deux s’inspiraient directement du système néerlandais. Dans la mesure où ce régime des nullités et les critères jurisprudentiels qu’il a générés ont, dans une certaine mesure, inspiré notre propre jurisprudence, il nous a semblé judicieux d’en brosser les principales caractéristiques.

Enfin, nous ne pourrons terminer cette contribution sans évoquer le régime des preuves irrégulières obtenues à l’étranger et utilisées dans le cadre de procédures pénales belges. L’article 32 du Titre préliminaire qui est désormais le siège de la matière n’est pas la première consécration légale de la jurisprudence Antigone. De façon assez curieuse, la loi belge s’est d’abord intéressée aux preuves irrégulières produites à l’étranger avant de songer à celles produites sur notre territoire. Les subtilités de la jurisprudence produite dans ce cadre permettront sans doute d’enrichir le débat général.

Section 1

Aux origines de la jurisprudence Antigone

Sous-section 1

1923: dura lex, sed lex

Le régime des nullités tel que nous le connaissons aujourd’hui est le fruit d’une longue maturation. Il trouve sa source dans un arrêt de la Cour de cassation de 19231. À l’époque, la Cour de cassation décida qu’une preuve irrégulière ne pouvait servir à établir l’existence d’une infraction et que le juge répressif devait écarter cette preuve irrégulière2. Le juge gardait in fine une très large marge de manœuvre puisque rares sont les nullités instituées par la loi. Le juge pouvait donc décider quelles étaient les conséquences à attacher aux irrégularités qu’il constatait dans la production des preuves. C’est de cette marge de manœuvre que la Cour de cassation se servira pour amorcer un revirement de jurisprudence dès son arrêt du 17 juin 19903. Lors de la dernière modification importante de notre Code d’instruction criminelle, lorsqu’il inséra les articles 235 et 135 dans ledit code, le législateur avait manifestement à l’esprit cette vision rigoriste des nullités.

Par cet arrêt de 1990, elle y considéra pour la première fois qu’une preuve obtenue par le biais d’une irrégularité commise par un particulier n’est pas nécessairement à écarter des débats. L’action publique qui se fonde sur des éléments illégalement obtenus par un tiers n’est pas irrecevable pour autant que les autorités chargées des poursuites n’aient pas sciemment et volontairement provoqué cette irrégularité4. En outre, il ne peut exister de lien direct entre l’illégalité commise et la transmission des pièces litigieuses5.

Dans un arrêt du 23 décembre 1998, la Cour décida qu’en principe, lorsque la pièce produite est le fruit d’une infraction commise par le dénonciateur, la pièce doit être écartée6. Le simple fait de la violation d’une obligation de confidentialité ne suffit pas à asseoir cette irrégularité7. Il faut, pour que la pièce irrégulière soit écartée, que le dénonciateur ait commis une infraction.

Sous-section 2

2003: la révolution Antigone

Par son arrêt du 14 octobre 20038, prononcé à la suite d’une opération de police anversoise surnommée «Antigoon», la Cour de cassation a énoncé une véritable théorie des nullités, dont s’est inspiré le législateur belge. Depuis cet arrêt, les cas où une preuve illicite doit être nécessairement écartée des débats sont limités à trois hypothèses9:

1° lorsqu’une règle prescrite à peine nullité a été violée;

2° lorsque l’irrégularité commise entache la fiabilité de la preuve;

3° lorsque l’usage de cette preuve compromet le droit à un procès équitable.

Dans les conclusions précédant cet arrêt, le ministère public amorça un virage important en concluant que l’évolution du droit de la procédure devait impérativement suivre celui de la délinquance. La complexification de la délinquance exigeait que les autorités de poursuites puissent lutter à armes égales avec ces nouveaux délinquants puisque «cette évolution est aussi due à d’autres formes de criminalité et à la nécessité d’une répression efficace»10. Certes, en 2003, la Cour de cassation a maintenu la possibilité d’écarter une preuve irrégulière, mais elle a ôté à cette exclusion son caractère absolu et automatique.

Pour reprendre l’expression de l’avocat général De Swaef11, la théorie de l’exclusion automatique avait déjà été mise à mal en raison du fait que bon nombre d’irrégularités étaient en réalité commises par des tiers et non par les agents et magistrats chargés de la recherche et de la poursuite des infractions. L’exclusion automatique de tout élément de preuve entaché d’irrégularité est apparue comme une sanction injustifiée du travail accompli par ces autorités.

Cette volonté d’éviter tout rigorisme excessif ressort encore plus nettement du propos de l’avocat général De Swaef notant que «même le meilleur fonctionnaire de police peut commettre des erreurs lorsqu’il effectue des actes de recherche. Cela peut résulter d’une erreur ou d’une appréciation inexacte en fait ou en droit. La possibilité de poser un acte erroné serait d’autant plus importante que les règles de droit à suivre sont vagues, compliquées ou susceptibles de modifications légales successives.»

Sous-section 3

2004: le test Antigone pointe à l’horizon

La Cour de cassation va introduire au cours de l’année 2004 le principe de la contextualisation et de la proportionnalité dans sa jurisprudence relative aux preuves irrégulières.

En effet, par son arrêt du 23 mars 200412, la Cour de cassation maintient qu’en principe, une preuve obtenue par les autorités chargées des poursuites ou par un dénonciateur contrairement aux règles de la procédure pénale en violation du droit à la vie privée, des droits de la défense ou de la dignité humaine n’est, en règle, pas admissible.

Toutefois, le juge doit également placer la preuve illicite dans un contexte plus large et opérer un contrôle du respect de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 14 du Pacte des droits civils et politiques13. Selon la Cour de cassation, le juge prendra ainsi en compte la gravité de l’infraction mise au jour par la preuve irrégulière et le fait que l’autorité chargée de la poursuite ou de l’instruction de l’affaire a ou non posé elle-même l’acte irrégulier.

La Cour de cassation précisera sa pensée par son arrêt du 16 novembre 200414. Elle renverse en quelque sorte la perspective, en décidant qu’il ne découle d’aucune disposition légale, pas même de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’une preuve irrégulière n’est jamais admissible. Hormis les quelques règles prescrites à peine de nullité, c’est au juge qu’il revient de déterminer si une preuve irrégulière peut ou non servir de fondement à l’action publique15.

Sous-section 4

2005: la confirmation du test Antigone

En 2005, la jurisprudence de la Cour a connu une nouvelle évolution. Dans une affaire désormais célèbre, un chocolatier belge avait installé, à l’insu de ses salariés, des caméras de surveillance destinées à surprendre les faits et gestes des employés du magasin. Le chocolatier surprit à cette occasion un vol domestique. Il licencia l’employée indélicate. Celle-ci estima que son droit à la vie privée avait été violé, puisqu’elle n’avait pas été mise au courant de l’existence de ces caméras.

La Cour de cassation ne suivit pas le raisonnement de cette employée et rappela dans son arrêt du 2 mars 200516, comme elle le fit dans son arrêt précédent, qu’il ne résulte ni de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ni d’aucune disposition de droit interne, que du fait que l’employeur n’ait pas informé préalablement ses employés de l’existence d’une vidéo surveillance, les poursuites pénales intentées sur la base de preuves ainsi obtenues seraient nécessairement irrecevables. Elle en conclut dès lors que cette irrégularité aurait pour conséquence de ne pas entraîner la nullité17. En outre, la Cour constate que l’irrégularité de la preuve ne vicie pas sa fiabilité et qu’en l’espèce, cette irrégularité ne compromet pas le droit à un procès équitable.

Aucun des trois cas d’exclusion automatique d’une preuve n’étant présent, la Cour renvoie à l’appréciation du juge du fond à qui il revient de déterminer quelle doit être concrètement la sanction à attacher à cette irrégularité.

Cette jurisprudence nous semble avoir concilié l’impératif de légalité, en consacrant l’exclusion de la preuve irrégulière lorsque la loi le prévoit expressément, avec celui de l’effectivité de la procédure pénale. Le but de la procédure pénale est en effet de permettre à la vérité d’éclore dans le respect des droits des parties, en s’appuyant sur des preuves fiables et produites dans des conditions qui respectent les droits humains. La jurisprudence de la Cour de cassation revient à limiter les cas d’exclusion automatique de la preuve irrégulière aux cas, fort limités, où la sanction est prévue à peine nullité et aux cas où la preuve a été recueillie avec malice ou par ruse de sorte que la qualité de la preuve s’en trouve entachée. Hormis ces hypothèses, la Cour de cassation s’en remet au juge du fond pour déterminer la sanction adéquate. Le juge doit notamment tenir compte de la gravité relative de l’irrégularité et de la gravité de l’infraction poursuivie. Cette marge de manœuvre relativement large a fait l’objet d’une critique d’une partie importante de la doctrine18.

Section 2

L’organisation des cours et tribunaux: un quatrième critère d’exclusion?

La Cour de cassation a semble-t-il introduit par son arrêt du 24 avril 201319 un quatrième cas d’exclusion automatique de la preuve irrégulière: lorsque l’irrégularité touche à l’organisation des cours et tribunaux, la preuve ainsi récoltée est nulle de plein droit. En l’espèce, une perquisition avait été effectuée sur la base d’une ordonnance du juge de police, alors que seul le juge d’instruction est compétent pour ordonner une telle mesure. L’irrégularité est à ce point substantielle que la Cour a décidé qu’elle ne pouvait être réparée. En réalité, il ne s’agit pas réellement d’un affinement de la jurisprudence Antigone, puisque dans ce cas, le juge du fond doit écarter la preuve sans devoir procéder au préalable au test Antigone. Il s’agit davantage de sanctionner une atteinte à l’ordre public. Admettre en effet qu’une autorité non compétente puisse produire des preuves qui sont susceptibles d’emporter la conviction du juge du fond reviendrait à saper les fondements même de l’État de droit. Ce critère d’exclusion n’a pas été retenu expressément par le législateur dans le texte du nouvel article 32 du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle. Certains parlementaires voulaient semble-t-il éviter un excès de formalisme20. D’autres estimaient que l’exclusion d’une preuve produite sciemment par une autorité incompétente est une évidence. Si nous pensons également qu’il ne s’agit pas d’un critère supplémentaire d’exclusion de la preuve irrégulière, mais davantage d’un principe général touchant à l’ordre constitutionnel de l’État, nous nous réjouissons toutefois que la Cour de cassation ait rappelé ce principe par cet arrêt. Il nous aurait semblé dangereux d’admettre des preuves touchant aux libertés publiques qui n’auraient pas été produites par les autorités judiciaires indépendantes et impartiales légalement compétentes, sous prétexte que la loi Antigone n’en dit mot. Il eût été dangereux, qu’à l’aune du test Antigone que nous allons développer dans un instant, on admette des preuves recueillies par des autorités fiscales à l’occasion d’une visite domiciliaire irrégulière aux motifs que l’erreur d’appréciation sur la compétence de ces services administratifs ne touche ni à la fiabilité de la preuve, ni aux droits de la défense. La question de la compétence des autorités judiciaires de poursuites et d’instruction touche à la séparation des pouvoirs et aux fondements même de l’État de droit. Il nous semble que c’est à la lumière de cette évidence que le refus du législateur d’inscrire ce critère dans la loi Antigone doit être compris.

Section 3

Les critères d’appréciation du test Antigone

La Cour de cassation a donc délimité nettement les cas d’exclusion de la preuve irrégulière. Au-delà de ces exclusions «automatiques», le juge doit opérer pour toutes les autres irrégularités ce que l’on a désormais coutume d’appeler le test Antigone.

Ce test laisse au juge une très large marge de manœuvre dans l’appréciation des suites à donner aux irrégularités qu’il constate. La jurisprudence de la Cour fournit un certain nombre d’indicateurs qui doivent guider le juge du fond dans sa décision sur le sort qu’il réservera à la preuve irrégulière21.

La Cour de cassation fournit au juge plusieurs critères indicatifs qu’il lui est loisible de mettre dans la balance du test Antigone22:

– le caractère volontaire ou involontaire de l’irrégularité;– le critère de proportionnalité entre la gravité de l’irrégularité commise et la gravité de l’infraction faisant l’objet des poursuites;– la circonstance que l’irrégularité commise ne concerne qu’un élément matériel constitutif de l’infraction;– le fait que l’irrégularité n’est que purement formelle;– le fait que l’irrégularité est sans incidence sur la liberté protégée.

En réalité, la Cour de cassation avait, pour rappel, déjà dessiné les contours de ce qui deviendra plus tard sa jurisprudence Antigone par son arrêt du 17 juin 199023 en disant que l’irrégularité commise par un particulier n’entraîne pas automatiquement l’exclusion de la preuve. Sauf lorsque les autorités chargées des poursuites ont sciemment et volontairement provoqué cette irrégularité24, il n’y a pas d’irrecevabilité automatique de l’action publique qui se fonderait sur une telle preuve. Pour écarter la pièce irrégulière, le juge doit constater l’existence d’un lien direct entre l’illégalité commise et la transmission des pièces litigieuses25. En décidant que les irrégularités commises par un tiers n’entraînent pas automatiquement l’exclusion de la preuve entachée par cette irrégularité la Cour avait, nous semble-t-il ouvert la voie au test Antigone: les irrégularités commises par un particulier doivent être appréciées moins sévèrement que celles commises par des agents de recherche ou de poursuites. Ensuite, elle remit en cause le caractère automatique de l’exclusion.

Le juge doit placer la preuve illicite dans un contexte plus large et opérer un contrôle du respect de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 14 du Pacte des droits civils et politiques26. Selon la Cour de cassation, le juge prendra ainsi en compte la gravité de l’infraction mise au jour par la preuve irrégulière et le fait que l’autorité chargée de la poursuite ou de l’instruction de l’affaire a ou non posé elle-même l’acte irrégulier.

La chambre néerlandophone de la Cour de cassation a rendu à cet égard un arrêt intéressant le 4 décembre 200727. La Cour y rappelle, qu’en dehors des cas où la loi prévoit la nullité de la preuve irrégulière, il appartient au juge du fond d’apprécier le sort à réserver à celle-ci, au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en tenant compte de l’ensemble des faits de la cause et des circonstances précises dans lesquelles l’irrégularité a été commise.

Si les critères indicatifs que nous avons évoqués ci-avant ne sont évidemment pas cumulatifs, le juge du fond est en revanche obligé de soumettre la preuve irrégulière à un examen à l’aune d’un de ces critères. Le refus de soumettre une preuve irrégulière au test Antigone peut entraîner une cassation.

À titre d’exemple, la Cour de cassation cassa par son arrêt du 30 avril 201428 la décision de la Cour d’appel de Bruxelles qui avait fait l’économie de ce contrôle en excluant d’office une preuve issue d’une perquisition irrégulière.

Le juge du fond est autorisé à opérer une balance des valeurs entre le droit que protège la norme procédurale et la valeur protégée par la norme enfreinte par le prévenu ou le suspect. Les règles de procédure pénale sont elles-mêmes protégées par des dispositions pénales spécifiques. Citons à titre d’exemple la prévention de violation de domicile qui viendrait à s’appliquer en cas de perquisition opérée sciemment sans mandat. On songe également à l’article 314bis du Code pénal qui protège le caractère privé des télécommunications. Une balance des intérêts paraît à cet égard plus aisée entre la violation d’une telle règle de procédure et la nécessité de réprimer les infractions du droit pénal commun.

Dans cet arrêt, précité, la Cour de cassation franchit nous semble-t-il un pas supplémentaire. L’irrégularité consistait en une audition sous serment réalisée à l’étranger d’une personne contre laquelle pesaient d’importants soupçons de culpabilité. Nous reviendrons dans un instant sur le sort à réserver aux preuves irrégulières recueillies à l’étranger. La cour d’appel avait considéré que l’audition sous serment du prévenu par la police française, en présence des enquêteurs belges, avait violé son droit au silence. Elle avait conclu à la violation du droit au procès équitable. La Cour de cassation a pourtant cassé cet arrêt parce que la Cour d’appel de Bruxelles n’avait effectué aucun test Antigone.

Nous l’avons dit, le troisième cas d’exclusion «automatique» de la jurisprudence Antigone se rapporte à la violation du droit à un procès équitable. Dans ce cas, l’exclusion de la preuve irrégulière devrait s’opérer de plein droit. La Cour de cassation va cependant apporter une nuance qui a toute son importance.

La Cour rappelle dans un premier temps que le contrôle par le juge du fond du respect des droits de la défense et par conséquent du droit à un procès équitable doit s’opérer au regard de l’ensemble de la procédure. Il se peut en effet qu’une entorse aux droits ait pu être compensée dans la suite de la procédure. Puisqu’il s’agit d’une exigence découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, il est essentiel que le juge constate que le prévenu a pu bénéficier d’une réelle égalité des armes, c’est-à-dire de la possibilité de contester l’origine, l’authenticité et la valeur probante d’une preuve qui est rapportée contre lui.

La Cour introduit à cette occasion un concept nouveau dans le test Antigone. Elle commence par énoncer que l’équilibre des droits entre le ministère public et les prévenus n’épuise pas la notion de procès équitable. Il faut, dit la Cour de cassation, que le juge prenne «l’idéal de justice» en considération dans son test Antigone. Pour la Cour de cassation, l’intérêt public à la poursuite d’une infraction et au jugement de ses auteurs peut être pris en considération et mis en balance avec l’intérêt de l’individu à ce que les preuves à sa charge soient recueillies régulièrement.

Jusqu’à présent, le test Antigone consistait en une mise en concurrence d’intérêts divergents.

Pour faire bref, le juge devait soupeser les intérêts légitimes défendus par le droit de la procédure pénale et ceux que consacre la loi pénale. La Cour de cassation reste d’ailleurs fidèle à sa jurisprudence, puisqu’elle rappelle à juste titre qu’il est du devoir du juge du fond d’opérer un examen de proportionnalité. La notion «d’idéal de justice» que le juge doit avoir à l’esprit lorsqu’il fait cet examen de proportionnalité jette un éclairage neuf sur le sens de la jurisprudence Antigone. C’est bien l’intérêt public de poursuivre les infractions pénales qui constitue l’idéal de justice pénale.

Ce qui nous semble interpellant, c’est que la Cour de cassation semble dépasser la mise en perspective d’intérêts contradictoires pour consacrer l’idée, par le biais de cette notion d’idéal de justice, que la poursuite des infractions constitue en soi un idéal qui prime en quelque sorte les droits fondamentaux consacrés par les normes procédurales. Nous adhérons à l’idée défendue par Jean de Codt29 selon laquelle c’est surtout dans les affaires dites en col blanc que les irrecevabilités et les nullités des preuves peuvent apparaître choquantes. La poursuite de ces infractions, souvent complexes et transnationales, constitue effectivement un idéal de justice, tant leur poursuite effective permet de rétablir un sentiment d’égalité des citoyens devant la loi pénale.

En réalité, la Cour de cassation semble suivre la ratio legis de la loi instaurant le régime légal des nullités. Il semble que les auteurs de la loi aient unanimement souligné que des erreurs de procédure ne sauraient à elles seules faire obstacle à la poursuite d’infractions graves. La poursuite de l’action publique est effet décrite, tout au long des travaux préparatoires, comme une nécessité de justice sociale.

Les normes du droit pénal matériel et celles du droit de la procédure pénale relèvent toutes de l’ordre public. Les normes de procédure pénale visent, en règle, à protéger des droits fondamentaux. Leurs violations constituent alors toutes des infractions pénales: une perquisition irrégulière peut ainsi s’assimiler à une violation de domicile, une écoute irrégulière enfreint à son tour l’article 314bis du Code pénal… Le Code pénal contenant une infinie variété de gravités des infractions et des peines, il peut parfaitement se concevoir que le juge mette en balance deux infractions pénales de gravité variable.

La jurisprudence Antigone se fonde sur la nécessité d’un équilibre entre l’efficacité du procès pénal et la protection des droits individuels. Cette jurisprudence, qui intègre la notion d’équilibre social entre le droit des particuliers et le droit de la collectivité à défendre l’intérêt général dans une société démocratique, suit en cela la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme30. Le recours à des méthodes particulières de recherches, qui en soi pourrait porter atteinte aux libertés publiques est admis, pour autant que cette atteinte soit absolument nécessaire. La Cour européenne des droits de l’homme admet ainsi que le développement de la délinquance organisée commande l’adoption de mesures appropriées. Toutefois, pour cette Cour, il n’en demeure pas moins que le droit à un procès équitable s’applique à toute forme de criminalité, y compris la plus grave et la plus complexe31.

C’est cette recherche d’équilibre qui fonde l’idéal de justice. Cet idéal s’enracine dans une conception fonctionnelle des droits fondamentaux en général, et des droits de la défense en particulier. C’est pour cette raison que l’assistance d’un avocat lors de l’audition d’un détenu poursuit un objectif de fiabilité des déclarations qui auront été faites. La régularité et la motivation des mandats de perquisition poursuivent également un objectif de lisibilité de la procédure pénale. La purge des nullités au stade préparatoire du procès pénal, telle qu’elle avait été pensée par le législateur lorsqu’il introduisit l’article 131 dans le Code d’instruction criminelle, traduisait, à notre estime, cette volonté de revaloriser le débat sur les mérites de l’action publique devant le juge du fond. Selon nous, le droit de la procédure pénale est par essence un droit-fonction: il garantit la fiabilité et l’équité de la preuve.

Mais il garantit aussi dans une certaine mesure, et au même titre que le droit pénal matériel, la paix sociale.

Selon la vision classique et verticale des droits fondamentaux, ceux-ci ne sont destinés qu’à régir les rapports entre le citoyen et les autorités. Ils demeurent un rempart contre l’arbitraire supposé ou réel des autorités de recherches et de poursuites. Il s’agit d’une conception héritée des lumières et encore fort présente dans les pays anglo-saxons32.

L’indépendance du juge est un des outils essentiels de cette fonction protectrice des droits fondamentaux. Peu importe les moyens dont disposent les autorités judiciaires pour faire appliquer la loi pénale, pourvu qu’elles n’en abusent pas. Cette conception traditionnelle nous semble difficilement conciliable avec les exigences modernes de l’idéal de justice évoqué par la Cour de cassation. Dans une société foncièrement démocratique comme la nôtre, il s’agit moins de lutter contre les excès des poursuites que d’en assurer, au contraire, la faisabilité.

Empêcher les autorités de poursuivre leur mission en raison d’irrégularités réparables ou qui n’affectent pas la qualité des poursuites revient à priver les victimes d’infractions pénales de la protection de la loi pénale. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît d’ailleurs aux citoyens européens le droit de faire valoir leurs droits, non seulement à l’encontre des États mais également à l’encontre des personnes privées, ce qui impose aux États de prendre les mesures positives en vue d’assurer que des personnes privées ne puissent violer la vie privée des citoyens33. C’est ce que l’on appelle en droit allemand la théorie dite de la «Drittwirkung». Dans une certaine mesure, les droits fondamentaux sont opposables aux particuliers.

Selon la doctrine dominante, la «Drittwirkung» de droit allemand est toutefois un mécanisme de protection indirecte34. La Cour constitutionnelle allemande reconnaît en effet aux droits fondamentaux un effet horizontal indirect dans la mesure où les principes généraux du droit civil doivent être interprétés à la lumière des droits fondamentaux garantis par la Constitution35. Pour la Cour constitutionnelle allemande, la puissance publique reste la principale destinataire des droits fondamentaux. Il reviendra aux autorités de l’État de garantir la jouissance effective de ces droits, en ce compris de garantir le citoyen d’une atteinte à ces droits commise par un autre citoyen36. Il reviendra au juge, en tant qu’organe de l’État qui est garant de ces droits, d’exclure la preuve issue d’une telle violation privée. Le juge le fera au regard des circonstances particulières de la cause portée devant lui.

Le maintien de l’exclusion automatique de la preuve irrégulièrement obtenue, même du fait des particuliers, lorsque l’irrégularité compromet la tenue d’un procès équitable, trouve son origine dans la théorie de «Drittwirkung der Grundrechten» allemande. Lorsque le procès risque d’être inéquitable en raison du comportement d’un particulier, le juge a l’obligation de rétablir l’équilibre entre les parties en excluant la preuve irrégulière. À défaut d’agir dans ce cas, il violerait l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en plaçant le défendeur dans une position ne lui permettant pas d’exercer son droit à un procès équitable.

Section 4

À quel stade doit s’apprécier le sort d’une pièce irrégulière?

La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans un arrêt récent.

Dans l’affaire de l’opération dite «Calice», plusieurs arrêts de la chambre des mises en accusation suivis de plusieurs arrêts de la Cour de cassation se sont succédé. L’arrêt du 3 avril 201237 doit retenir particulièrement notre attention à cet égard. La Cour de cassation y rappelle que l’examen du sort à réserver à une pièce dont on soutient l’irrégularité doit s’opérer en deux phases distinctes: le juge doit d’abord statuer sur la régularité proprement dite, puis sur l’écartement éventuel de ladite preuve.

En l’espèce, la chambre des mises en accusation de Bruxelles avait considéré que les pièces saisies lors de perquisitions effectuées au Palais épiscopal de Malines et au domicile de l’archevêque étaient irrégulières en ce que ces perquisitions n’étaient fondées sur aucun élément permettant de penser que des éléments de preuve en rapport avec la saisine du juge d’instruction pouvaient effectivement être trouvés dans les domiciles perquisitionnés. La chambre des mises en accusation faisait reproche au juge d’instruction d’avoir été à la pêche.

En conséquence, la chambre des mises en accusation avait ordonné que les pièces soient physiquement écartées du dossier d’instruction et déposées au greffe.

La Cour de cassation commence par rappeler qu’il appartient effectivement aux juridictions d’instruction de vérifier la régularité des preuves qui lui sont soumises sur pied de l’article 235bis du Code d’instruction criminelle38.

Toutefois, sauf dans le cas de la violation d’une formalité prescrite à peine de nullité, la pièce irrégulière ne peut être retirée du dossier que si le juge constate que l’irrégularité de la preuve la prive de sa crédibilité et de sa fiabilité ou met en péril le droit à un procès équitable.

Dans l’arrêt précité du 3 avril 2012, la Cour de cassation a rappelé que la crédibilité et la fiabilité de la preuve ne peuvent être examinées par la juridiction d’instruction dès lors que cela concerne l’appréciation de la valeur probante qui revient exclusivement au juge du fond; il s’ensuit que lorsque la juridiction d’instruction constate qu’un acte d’instruction est irrégulier, elle doit examiner même d’office si l’irrégularité résulte d’une formalité prescrite à peine de nullité39 et met en péril le droit à un procès équitable40.

La juridiction d’instruction n’est toutefois pas tenue d’opérer le test Antigone à proprement parler. Ces juridictions ne sont pas tenues d’opérer la balance entre les intérêts protégés par la norme procédurale violée et les normes protégées par la loi pénale servant de fondements aux poursuites41.

Section 5

La validation de la doctrine Antigone par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour constitutionnelle

La Cour européenne a pour ainsi dire validé la jurisprudence Antigone dans son arrêt Davies c. Belgique42. Le requérant invoquait dans cette affaire une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et une violation de l’article 6, en ce que la loi belge de l’époque, telle qu’interprétée par la Cour de cassation, ne prévoyait pas d’exclusion automatique de toute preuve obtenue irrégulièrement. La Cour européenne rejeta le recours en considérant à juste titre que la Convention européenne des droits de l’homme laisse aux États le soin de déterminer les sanctions résultant d’une violation d’une règle de procédure. Notons que si la C.E.D.H. a considéré que l’absence d’un avocat lors de l’audition d’une personne détenue emportait une violation de l’article 6 de la Convention, ni la Cour ni la Convention n’imposent de sanction déterminée pour les violations qu’elles constatent. La question des sanctions est laissée à l’appréciation des États. Plus fondamentalement encore, la C.E.D.H. a considéré qu’elle n’a pas à se prononcer sur la recevabilité a priori de certains modes de preuve.

La violation d’une des libertés garanties par la Convention européenne des droits de l’homme n’entraîne pas nécessairement la nullité de la preuve obtenue irrégulièrement43. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, c’est au juge de déterminer les conséquences à y attacher. La pièce irrégulièrement obtenue ne doit pas nécessairement être écartée, mais il convient de poser la question de sa recevabilité au regard de l’ensemble de la procédure poursuivie. C’est l’ensemble du procès qui doit être équitable44. La question de la constitutionnalité de la jurisprudence Antigone, puis par ricochet de la loi Antigone qui viendra consacrer cette jurisprudence, a également été soumise à la censure de la Cour constitutionnelle. La Cour a validé cette jurisprudence dans la mesure où elle garantit précisément la fiabilité de la preuve et le droit au procès équitable par son arrêt du 28 décembre 201045.

Section 6

La loi du 24 octobre 2013 dite «Antigone»

La Belgique s’est dotée d’un régime légal des nullités de la preuve pénale. Par la loi du 24 octobre 2013, le Code d’instruction criminelle s’est enrichi d’un nouvel article 32 dans son Titre préliminaire. Le législateur a cru bon d’insérer cet article unique dans un chapitre intitulé «Des nullités». La théorie des nullités, d’origine jurisprudentielle dans notre pays, a en effet longtemps fait débat. C’est une proposition de loi qui est venue consacrer une lente évolution, amorcée 90 ans auparavant.

Sous-section 1

L’article 32 du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle

L’article 32 du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle frappe par sa brièveté:

« Art. 32. La nullité d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si :

– le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, ou

– l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou

– l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. »

Ce qui frappe d’emblée, c’est ce que le législateur a clairement indiqué dans l’exposé des motifs de l’amendement qui en est la source – nous y reviendrons – ainsi que dans le rapport fait à la Chambre46 que le but de ce texte était de se conformer intégralement à la jurisprudence Antigone dans son ensemble et de respecter par la même occasion la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a pour ainsi dire consacré la jurisprudence Antigone que nous venons de détailler.

Or, force est de constater, que le texte adopté ne reprend que les trois critères d’exclusion de l’arrêt Antigone proprement dit. Point de trace d’affinements jurisprudentiels ultérieurs. Cette brièveté du texte est trompeuse.

Sous-section 2

La proposition «Landuyt» d’origine

Le député Renaat Landuyt a pris le premier l’initiative de déposer une proposition de loi «modifiant le Code d’instruction criminelle en ce qui concerne les nullités». Cependant, le but poursuivi par ce parlementaire n’était pas de consacrer légalement la jurisprudence Antigone, mais au contraire de créer un système radicalement nouveau. La ratio legis déclarée de sa proposition de loi était d’éviter que «des manquements de pure forme» ne puissent conduire à l’irrecevabilité des poursuites, ce qui, toujours selon l’exposé des motifs de la proposition, «exaspère l’opinion publique au plus haut point».

Le système initialement prôné est celui en vigueur en droit judiciaire. La proposition entendait modifier l’article 407 du Code d’instruction criminelle. Selon la disposition proposée, une preuve irrégulière ne peut être écartée qu’à la double condition que cette irrégularité soit prescrite à peine de nullité et que cette irrégularité ait effectivement mis en péril les intérêts légitimes de la partie contre laquelle l’information ou l’instruction a été menée.

Ce qui frappe d’emblée, c’est que cette proposition s’écartait radicalement de la jurisprudence Antigone. Bien qu’il y soit fait référence dans le très bref exposé des motifs, il n’est plus question ni de la fiabilité de la preuve, ni du droit au procès équitable, ni même du test Antigone. In fine, seules les irrégularités prévues à peine de nullité auraient pu être sanctionnées, et ce, uniquement à la condition que le prévenu ou l’inculpé rapporte la preuve qu’il a concrètement été lésé.

Cette proposition fit, dès son dépôt, l’objet de vives critiques.

Le Conseil d’État47 releva deux ordres de difficultés.

Il considéra qu’il est difficile de n’écarter que les preuves irrégulières dont la nullité est prévue par la loi. Certaines irrégularités peuvent entacher la preuve, sans pour autant que le législateur ait prévu que l’omission soit sanctionnée de nullité. Il s’agit avant tout de préserver le procès équitable et les droits de la défense. Interdire au juge d’écarter une preuve entachée d’irrégularité au motif que la loi n’a pas prescrit cette irrégularité à peine de nullité reviendrait à remettre en cause la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ensuite, le Conseil d’État observe avec pertinence que même en droit judiciaire civil, les articles 860 et 861 du Code judiciaire n’ont trait qu’aux nullités relatives. Il existe en effet, en droit civil, également des nullités dites absolues. L’objectif poursuivi par la proposition «Landuyt» d’unifier les régimes des nullités en droit pénal et civil paraissait donc difficile à atteindre.

En effet, elle rendait l’exclusion de la preuve irrégulière quasiment impossible tant les formes prescrites à peine de nullité sont rares48. En outre, elle opérait une sorte de revirement de la charge de la preuve, puisque le prévenu victime d’une irrégularité aurait dû démontrer en quoi il avait concrètement été préjudicié par celle-ci.

Sous-section 3

L’alternative «néerlandaise»

Deux autres propositions de loi ont été traitées simultanément, l’une de Madame Taelman49, l’autre de Mesdames Van Cauter et Lahaye-Bateux50. Bien que ces deux propositions n’aient finalement pas été retenues, nous pensons utile de les analyser brièvement tant elles présentaient un régime des nullités inspiré du droit néerlandais combiné à un régime de sanctions souple.

Les propositions souhaitaient également modifier l’article 407 du Code d’instruction criminelle. Les preuves irrégulières n’auraient été écartées que si la loi le prévoyait expressément et que si les effets négatifs de l’irrégularité ne pouvaient être réparés.

En outre, le régime des sanctions proposées était plus souple. Selon la gravité de la violation, le juge aurait pu soit écarter la preuve irrégulière, soit déclarer les poursuites irrecevables, ou encore accorder une diminution de peine au condamné victime, en quelque sorte, de l’irrégularité de la preuve.

Enfin, la proposition de loi intégrait le test Antigone. Le juge devait, selon cette proposition, tenir compte dans son appréciation de la gravité de l’irrégularité commise et de l’intérêt qui avait ainsi été lésé. Cette proposition, nous l’avons dit, ne fut pas retenue. D’aucuns estimaient qu’il aurait été difficile de «réparer» au cours de la procédure telle ou telle violation d’une règle procédurale.

Enfin, certains parlementaires estimaient que l’on ne pouvait justifier a posteriori une violation d’une norme de procédure pénale qui touche par essence à l’ordre public, en accordant au condamné une diminution de peine. Nous sommes plus nuancés à cet égard: l’article 21ter du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle ne consacre-t-il pas déjà ce système? Le dépassement du délai raisonnable touche les droits de la défense en plein cœur. C’est parce que le prévenu ne peut plus exercer ses droits de la défense de manière optimale après un écoulement anormalement long du temps que le législateur a prévu la possibilité d’une sanction à cette atteinte en jouant sur la peine: d’une simple diminution de la peine jusqu’à la déclaration de culpabilité sans peine.

Sous-section 4

Le régime des nullités en droit néerlandais

Notre régime des nullités tire partiellement ses origines de la loi néerlandaise, qui consacra dans la loi un véritable système des nullités. C’est principalement dans la recherche de l’équilibre entre les droits du prévenu et ceux de la partie poursuivante que la jurisprudence néerlandaise est source d’inspiration intéressante. Nous proposons dès lors d’en brosser succinctement les contours et les enjeux.

A. La base légale

L’article 359a du Code de procédure pénale néerlandais prévoit une véritable théorie générale des nullités qui laisse un champ d’appréciation très large au juge tant en ce qui concerne l’appréciation de la régularité de la preuve que dans la sanction qui doit y être attachée.

Lorsque la loi ne prévoit pas explicitement la nullité de la preuve et lorsque l’irrégularité ne peut être réparée, le juge néerlandais peut soit alléger la peine du condamné, soit écarter la preuve irrégulière, soit conclure à l’irrecevabilité de l’action publique. La réparation se conçoit lorsque des aveux ont été obtenus de manière irrégulière, sans l’assistance d’un avocat. Le juge pourra considérer que l’irrégularité est réparée dès lors que le suspect a pu être entendu régulièrement à un stade ultérieur de la procédure.

Pour apprécier la sanction adéquate, le juge néerlandais doit impérativement tenir compte des critères fixés par la loi.

Ces critères se rapprochent de ceux du test Antigone belge: le juge doit prendre en considération la valeur que protège la norme violée de même que la gravité de l’irrégularité et le préjudice que cette violation a occasionné au prévenu. Si le test Antigone est chez nous une construction prétorienne, reprise indirectement dans l’article 32 du Titre préliminaire au regard des travaux parlementaires, le droit néerlandais lui consacre un paragraphe clair dans la disposition légale.

B. La notion d’irrégularité en droit néerlandais

Dans son arrêt de principe «Zwolsman», le Hoge Raad néerlandais a établi que toute violation d’une règle de procédure n’entraînait pas ipso facto l’existence d’une irrégularité51. À l’inverse, un acte d’enquête qui aurait été posé sans base légale, c’est-à-dire sans que le législateur ne l’ait réglé spécifiquement, ne constitue pas nécessairement une irrégularité. Pour qu’il y ait une «vormverzuim», il faut non seulement que la loi règle spécifiquement le déroulement de l’acte d’information visé, mais aussi que ces règles aient été violées.

L’arrêt a fixé les critères qui peuvent conduire à une irrecevabilité de l’action publique en cas d’obtention irrégulière de la preuve. L’irrecevabilité de l’action publique ne peut se déduire que d’une violation grave des principes d’une bonne administration de la justice par laquelle les intérêts légitimes du prévenu sont irrémédiablement violés ainsi que son droit à un procès équitable.

Nous y retrouvons l’ébauche d’un test Antigone propre au droit néerlandais: l’irrecevabilité de l’action publique ne peut être décidée qu’en cas de violations graves et délibérées d’une règle de procédure entraînant un préjudice grave et irréparable pour le prévenu. C’est ce que l’on appelle, dans la doctrine néerlandaise, le principe de relativité52.

C. Les sanctions en cas d’irrégularité en droit néerlandais

Le droit néerlandais, contrairement à notre droit, connaît une gradation dans les sanctions que le juge peut attacher aux irrégularités qu’il constate. Chaque sanction correspond à un degré de gravité particulier de l’irrégularité commise et des conséquences concrètes qu’elle entraîne pour la procédure et pour les droits du prévenu. Ces sanctions vont de l’irrecevabilité des poursuites à la diminution de peine en passant par l’écartement de la pièce irrégulière.

1) L’irrecevabilité des poursuites

Il s’agit indiscutablement de la sanction la plus lourde. Pour qu’une irrégularité commise au cours de l’instruction préparatoire puisse entraîner l’irrecevabilité des poursuites dans leur ensemble, il faut – enseigne le Hoge Raad dans son arrêt de principe précité Zwolsman53 – que les fonctionnaires chargés des poursuites ou des actes d’enquête aient gravement porté atteinte à la bonne administration de la justice de telle sorte qu’ils aient sciemment ou d’une manière gravement négligente compromis les droits au procès équitable du prévenu et à ses intérêts légitimes.

Nous retrouvons ici les mêmes exigences que celles fixées par la jurisprudence belge. Les poursuites peuvent être déclarées irrecevables dès lors que les droits de la défense du prévenu sont irrémédiablement compromis. L’administration loyale de la preuve est une obligation qui repose également tant sur le juge d’instruction que sur le procureur du Roi belge et ses délégués que sont les officiers de police judiciaire. Le manque de loyauté dans la production d’un élément de preuve peut en effet traduire la partialité des enquêteurs ou des magistrats chargés de l’enquête. Une telle attitude pourrait effectivement vicier l’ensemble de la procédure et entraîner de ce fait l’irrecevabilité des poursuites.

Citons à titre d’exemple l’arrêt du 29 juin 201054, dans lequel le Hoge Raad a déclaré les poursuites irrecevables dans une importante affaire de trafic de faux billets. En l’occurrence, la police néerlandaise avait fait appel à un informateur, sans se soucier du rôle que ce dernier jouait effectivement dans l’organisation criminelle suspectée. Dans la mesure où il est apparu, d’une part, que cet informateur avait apparemment un rôle actif dans la transaction illicite et, d’autre part, que la police n’avait manifestement pris aucune mesure en vue de s’assurer de la qualité de cet informateur, le Hoge Raad estima que les fonctionnaires de police n’avaient pas agi avec toute la prudence nécessaire dans la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, cette négligence étant de nature à contrevenir à une bonne et saine administration de la justice («behoorlijke procesorde») respectueuse des libertés constitutionnelles.

L’irrecevabilité des poursuites ne sera en règle ordonnée que lorsque les agents chargés des recherches et des poursuites ont eux-mêmes agi avec une particulière négligence ou avec déloyauté.

Dans l’arrêt Karman55, c’est l’intérêt supérieur de la loi qui a conduit le Hoge Raad à conclure à l’irrecevabilité des poursuites. La police et le ministère public avaient conclu «un marché» avec un témoin capital. En échange de son témoignage, celui-ci avait obtenu l’assurance de ne devoir purger qu’une partie de la peine qu’il allait encourir à la suite d’une décision qui n’était pas encore prononcée. La justice néerlandaise considéra que non seulement ce témoignage avait été sollicité et obtenu de manière irrégulière, mais que seule l’irrecevabilité pouvait sanctionner adéquatement cette irrégularité. Le juge d’appel avait considéré que l’intérêt supérieur de la loi et du système judiciaire ordonne que l’on exécute les décisions de justice, de sorte qu’une promesse d’entraver le cours normal de la justice sape la confiance légitime dans l’appareil judiciaire.

In fine, l’irrecevabilité des poursuites est essentiellement ordonnée lorsque les autorités de poursuites ont sciemment inspiré l’irrégularité ou lorsque l’on a voulu tromper la confiance du juge.

L’article 28bis du Code d’instruction criminelle contient une obligation de même nature. Tant la partie principale que le juge d’instruction doivent veiller à la loyauté de la preuve. Le caractère volontaire d’une irrégularité, qui peut dans certains cas traduire un manque de loyauté, est un des premiers critères indicatifs sur lequel le juge du fond peut s’appuyer lorsqu’il pratique le test Antigone. Toutefois, force est de constater que la loi néerlandaise va plus loin que le nouvel article 32 du Titre préliminaire, puisqu’une irrégularité mettant en péril le droit au procès équitable n’a pour effet, en droit belge, que l’exclusion de la preuve irrégulière, tandis qu’en droit néerlandais cette violation irrémédiable des droits de la défense entraîne, en règle, l’irrecevabilité des poursuites. Une telle irrecevabilité des poursuites ne serait envisageable en droit belge que si le juge du fond constate in concreto