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Comment et pourquoi transmettre à autrui ?
Comme il est impossible de ne pas communiquer, n’est-il pas impossible de ne pas transmettre ?
Mais dans une société du tout-jetable, quelle est encore la place de la transmission ?
Est-elle une réponse à l’angoisse de mort qui nous taraude, ou au contraire un élément qui vivifie le lien entre les générations ? Témoigne-t-elle d’un excès d’orgueil ou d’une grande générosité ?
Que représente-t-elle avant tout : une intention, un devoir, un engagement, un contenu, une tradition ? Dans le geste adressé à l’autre qu’elle initie, quelle part d’humanité permet-elle de construire en chacun ?
La transmission est-elle vraiment possible ? Dans l’affirmative, comment s’y prendre pour ne pas manquer l’essentiel ?
Dans les actes de ce cinquième Printemps de l’éthique, différents auteurs proposent des éclairages complémentaires sur le thème de la transmission. Qu’ils soient Compagnon du Devoir du Tour de France, infirmières, clowns-thérapeutes, médecins, étudiants, enseignants, journaliste, directeur-président de Haute École ou philosophe, tous interrogent la transmission.
Un ouvrage de référence pour comprendre les clés de la transmission : ses exigences, objectifs et obstacles
EXTRAIT
La vie nous a été donnée. Notre corps s'est construit à partir d'un patrimoine génétique reçu en héritage. Notre histoire personnelle, ce qui fait de nous un être unique et irremplaçable, nous la devons en partie à ce que les autres nous ont transmis : de l'amour, un langage, des visions du monde, une culture, des silences, des non-dits, des malentendus, des erreurs ou des mensonges, des blessures, des biens matériels, un environnement, etc. Si rien de tout cela ne nous avait été transmis, nous n'existerions pas. Si, dans tout ce qui nous a été transmis, un détail avait été autre, nous aurions été différents. Nous sommes par ce que nous recevons.
Je reçois, donc je suis.
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Seitenzahl: 151
Veröffentlichungsjahr: 2014
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Se vouloir libre,
c’est aussi vouloir les autres libres.
Simone de Beauvoir
Marc Fourny et Cécile Bolly
Licencié en mathématiques, Marc Fourny est devenu directeur-président de la Haute École Robert Schuman après en avoir été, pendant six ans, directeur des catégories économique et paramédicale.
Cécile Bolly est médecin et enseignante (HERS et UCL).
Dans une Haute École, le prétexte à la rencontre, c’est l’apprentissage d’un métier. C’est pour cela qu’on s’y inscrit comme étudiant, c’est sur cela qu’on est centré comme enseignant, comme cadre administratif, ou comme directeur.
Pour le cinquième anniversaire de notre colloque, nous aurions donc pu choisir le thème de l’enseignement de l’éthique, voire de son apprentissage, mais c’est l’idée de la transmission qui s’est imposée à nous.
« Transmission », voilà bien un mot qui peut être utilisé dans plusieurs domaines !
En génétique1, on parle de transmission héréditaire : passage de caractères héréditaires d’un individu à ses descendants ; de transmission verticale d’une maladie d’un des parents vers un descendant, mais aussi de transmission horizontale d’une infection d’un individu autre que le progéniteur à un autre individu.
En communication1, on transmet des données (dans tous les formats possibles…). Plus particulièrement, on parle de transmission bidirectionnelle où les signaux circulent simultanément dans les deux sens.
En sociologie1, la transmission constitue l’ensemble des procédés par lesquels les éléments de civilisation se répandent dans les sociétés humaines. Le procédé principal étant sans doute la transmission du patrimoine de civilisation d’une génération à l’autre. Elle équivaut à la socialisation de la génération nouvelle et, en même temps, à la conservation de la civilisation.
En droit civil1, il s’agit du fait de transmettre la possession ou la jouissance de quelque chose. Ce quelque chose peut être un bien, un droit, un privilège.
En mécanique1, la transmission est l’opération par laquelle un mouvement est transmis d’un élément à un autre (arbre, chaîne, courroie de transmission…).
En physique1, il s’agit d’étudier la propagation de phénomènes physiques comme la transmission du son, la transmission atmosphérique (ondes électromagnétiques), la transmission régulière (propagation de la lumière)…
En psychologie1, voire en parapsychologie, on parle même de transmission de pensées !
Plus généralement, la transmission est donc le résultat de l’action de transmettre quelque chose à quelqu’un1.
Elle représente un enjeu sociétal crucial. Une société sans transmission est inévitablement vouée à sa perte. Comme le rappelle très simplement le proverbe suivant, la transmission est une question de survie :
« Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toute sa vie. »
Il y a d’ailleurs une dimension d’universalité dans la transmission, qui se retrouve déjà dans le règne végétal et dans le règne animal, avant de préoccuper les humains que nous sommes.
Dans une Haute École, la transmission est au cœur de notre travail, à la fois dans le contenu des enseignements et des autres activités organisées par un établissement, mais également à travers les valeurs humanistes, les traditions créatrices et innovantes, ainsi que tout ce qui fonde l’enseignement2 (le patrimoine culturel, artistique, scientifique, philosophique et politique), dans le respect des spécificités de chacun. Il s’agit de permettre aux étudiants de jouer un rôle actif dans la vie professionnelle, sociale, économique et culturelle, et de leur ouvrir des chances égales d’émancipation sociale.
En tant qu’enseignants, la transmission constitue donc notre devoir…
Si nous remplaçons établissement par famille, enseignement par éducation, étudiants par enfants, nous obtenons notre devoir, en tant que parents ! L’un et l’autre se complètent et, idéalement, s’enrichissent mutuellement.
Mais comme toujours, ce qui est vu par les uns comme un devoir est considéré par les autres comme un droit.
Pourrions-nous dire que nous avons donc, les uns et les autres, quelle que soit notre fonction, le droit et le devoir de nous impliquer dans la transmission, d’en être les acteurs en vue d’une formation, voire d’une transformation réciproque ?
Pourrions-nous imaginer, a contrario, qu’il est possible de ne pas transmettre, quoi qu’on fasse ou qu’on ne fasse pas ?
Il est donc capital de réfléchir à ce que nous voulons transmettre, à la manière de le faire et au sens que nous donnons à notre action.
Si nous faisons référence au triangle de la pédagogie3, nous voyons que trois axes peuvent être privilégiés. Celui de la formation, qui se développe préférentiellement entre le formateur et celui qui apprend, celui de l’enseignement (relation privilégiée entre le formateur et le savoir) et celui de l’apprentissage (relation privilégiée entre celui qui apprend et le savoir). Notons que le savoir doit être entendu ici dans un sens global : savoir, savoir-faire et savoir-être.
Dans ce modèle, l’espace situé entre les trois sommets du triangle constitue l’acte pédagogique, qui a besoin, pour se déployer, des relations que représentent les côtés du triangle.
Le triangle pédagogique, d’après J. Houssaye.
Quand nous pensons à la transmission, nous avons curieusement envie à la fois d’agrandir ce triangle et de le rétrécir.
Nous pourrions l’agrandir en ajoutant un petit triangle au niveau de chacun des sommets. Ces trois nouveaux triangles représenteraient respectivement les relations de chacun avec l’espace dans lequel il vit, l’histoire qui est la sienne, les projets ou l’évolution dans lesquels il s’inscrit.
Nous pourrions le rétrécir pour nous centrer au contraire sur un seul point de convergence, une sorte de moment privilégié, presque magique, où la flèche atteint exactement la cible.
Ce double mouvement nous permet de préciser que, si nous avons choisi de développer la transmission, c’est avant tout parce qu’intuitivement, nous la sentons proche de l’éthique, quand celle-ci rappelle qu’au plus profond de la rencontre, quelque chose d’essentiel est à l’œuvre, qui manifeste à la fois l’altérité et la similitude, l’asymétrie et l’égalité.
La transmission – comme le soin – nous révèle à la fois notre besoin de l’autre et notre capacité à répondre à son besoin.
Elle traduit donc à nos yeux non seulement une posture pédagogique, mais également la posture éthique qui lui est corollaire. Elle fait en effet référence à une relation réciproque, où chacun apprend de l’autre et lui permet ainsi d’exister en tant que sujet. En cela, elle crée les conditions pour que la liberté de l’autre puisse émerger4.
Pour que dans notre travail respectif – de soignants, d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs… – nous soyons des transmetteurs, pouvons-nous le faire sans développer la conscience de ce que nous faisons, ou encore la présence à ce que nous vivons ? Pouvons-nous transmettre sans être des veilleurs, voire des éveilleurs ?
Transmettre quelque chose à quelqu’un.
Le résultat de cette action va-t-il au-delà du simple fait de recevoir quelque chose ?
Le résultat de cette action va-t-il au-delà du simple fait de donner quelque chose ?
Il nous semble qu’il permet la création d’un pont entre soi et l’autre : un chemin vers l’autre.
Mais il ne peut le faire sans nous conduire vers le « connais-toi toi-même » cher à Socrate : un chemin vers soi.
Ce qui s’ouvre alors, n’est-ce pas quelque chose de neuf : mettre l’autre en action sur le chemin du soi ?
1. http://www.cnrtl.fr/, Centre national de ressources textuelles et lexicales, consulté le 13 avril 2011.
2. Décret du 23 mars 2004 – dit de Bologne – Article 2.
3. J. Houssaye, « Le triangle pédagogique ou comment comprendre la situation pédagogique », in La pédagogie une encyclopédie pour aujourd’hui, sous la direction de J. Houssaye, ESF.
4. Ph. Meirieu, Le choix d’éduquer, ESF, 2007.
Quelle que soit la voie choisie pour résoudre l’énigme posée par l’Univers, par notre propre existence, la grande aventure n’est possible que par une expérience vécue au prix d’un apprentissage intensif sous la direction d’un Maître véritable.
Mais il faut savoir que l’ultime réalité ne peut être communiquée ni par des mots ni par des symboles.
Un guide expérimenté peut conseiller, encourager, mais le secret ne peut être transmis d’un homme à un autre, il doit être conquis.
Pascal Fauliot, Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon.
Jean-Michel Longneaux
Jean-Michel Longneaux, philosophe et chargé de cours aux FUNDP de Namur, est conseiller en éthique dans le monde de la santé et de l’éducation, ainsi que rédacteur en chef de la revue Ethica clinica.
La vie nous a été donnée. Notre corps s’est construit à partir d’un patrimoine génétique reçu en héritage. Notre histoire personnelle, ce qui fait de nous un être unique et irremplaçable, nous la devons en partie à ce que les autres nous ont transmis : de l’amour, un langage, des visions du monde, une culture, des silences, des non-dits, des malentendus, des erreurs ou des mensonges, des blessures, des biens matériels, un environnement, etc. Si rien de tout cela ne nous avait été transmis, nous n’existerions pas. Si, dans tout ce qui nous a été transmis, un détail avait été autre, nous aurions été différents. Nous sommes par ce que nous recevons. Je reçois, donc je suis.
Mais nous n’échappons pas non plus à l’acte de transmettre. Qu’on le veuille on non, qu’on en ait conscience ou non, par notre seule présence, nous faisons signe. Ne rien vouloir transmettre, c’est encore transmettre de l’indifférence, de la timidité, de la froideur. Par une simple conversation, par un simple regard, par notre attitude, nous transmettrons des idées, de la compassion, du plaisir, du dégoût ou de l’ennui. Le succès des moyens modernes de communication – le GSM, l’internet, etc. – témoignent de l’impérieuse nécessité d’être en contact et d’échanger des messages, du plus futile au plus urgent, du plus confidentiel au plus diffusé. Pour exister, nous avons besoin d’être reconnus par les autres. Nous sommes par ce que nous transmettons. Je transmets, donc je suis. Condamner quelqu’un à l’isolement, et ainsi l’empêcher de recevoir et de transmettre, c’est étouffer sa vie, c’est le conduire progressivement à l’asphyxie existentielle et finalement à la mort. Deux histoires peuvent nous en convaincre. Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) ordonna à des nourrisses d’allaiter six bébés sans jamais leur parler ni les stimuler en aucune façon. Il voulait découvrir quelle langue l’être humain parle naturellement : est-ce l’hébreu, le latin ou l’arabe ? Il n’eut jamais la réponse à sa question puisque, privés de toute parole et de tout contact (à part l’allaitement), les six enfants moururent avant d’avoir l’âge de balbutier le moindre mot. Plus récemment, les enfants découverts dans les orphelinats de Roumanie, à la fin de l’ère Ceausescu (en 1989), présentèrent des retards de développement considérables tellement ils furent privés de stimulations sensorielles et affectives. Si, après leur adoption dans des pays riches, certains enfants récupérèrent, la plupart conserveront des anomalies irréversibles sur le plan cognitif et sur celui des comportements sociaux1.
La question de la transmission est essentielle pour l’être humain. Elle est son oxygène, elle est le seul milieu dans lequel il peut se développer et s’épanouir. Son absence est fatale. Mais son existence ne résout pas tous les problèmes. Car ce dont dépend l’être humain pour vivre est aussi ce qui peut le perdre. Le sida est peut être devenu le symbole emblématique de cette ambivalence de toute transmission : avec son apparition, ce qui est censé transmettre la vie et procurer du plaisir – la sexualité – peut tout aussi bien donner la mort. Notre besoin de recevoir est la porte ouverte à ce qui peut nous faire vivre, mais aussi à ce qui peut nous détruire. Ce que nous transmettons, parfois à notre insu, peut avoir le même effet positif ou négatif sur les autres. La transmission n’est donc pas nécessairement un chemin vers soi ou vers les autres : elle peut l’être tout comme elle peut être un chemin qui ne mène nulle part, ou un voyage au bout de la nuit.
Suite à ces quelques brèves indications, une question s’impose : comment ne transmettre que la vie ? Comment ne transmettre que ce qui reconduit à soi et aux autres ? Ou, à tout le moins, comment ne pas nuire ? On voudrait des recettes. Ce serait tellement commode, en effet, si l’acte de transmettre était en réalité une prouesse technique, décomposable en parties (émetteur, récepteur, etc.), en gestes, en attitudes objectivables, de telle manière que les problèmes éventuels qui surviendraient ne seraient à leur tour que des problèmes techniques exigeant une solution technique. La transmission enfin sous contrôle ! Malheureusement, cette perspective est illusoire. Certes, on peut bien améliorer tout ce qui est améliorable : soigner son image, réfléchir à ce que l’on va dire, choisir les mots justes, travailler sa gestuelle… Il n’empêche, le processus de la transmission, sous quelque forme que ce soit, semble nous échapper. Nous voudrions souligner ce point à travers quatre questions : notre époque est-elle favorable à la transmission ? Sait-on ce que l’on transmet ? Que parvient-on à transmettre ? Comment se transmet l’essentiel ?
À l’ère de la communication, on serait tenté de répondre positivement à la question posée. On n’a jamais autant diffusé d’images et de messages en tout genre. La télévision ou la radio émettent jour et nuit, en même temps que restent allumés les téléphones portables et les ordinateurs. Plus que jamais, des informations de toute nature circulent, en quantité infinie et à la vitesse de la lumière. On ne peut toutefois que le constater, cet afflux ne sert pas la transmission : il éloigne de soi et des autres. Tout d’abord, il expose à l’éclatement. La succession des images, des sons, des thèmes est affolante : on a calculé que dans des émissions standard à la télévision, la durée moyenne d’exposition d’une image n’excède pas les sept secondes, et celle d’une réponse à une question, les quinze secondes. Et cela parce qu’on « zappe » à peu près à la même vitesse. Nous n’avons pas le temps de vivre une première émotion que nous passons déjà à la suivante, nous délaissons un premier message à peine compris pour nous laisser entraîner par le suivant, nous interrompons une réunion pour répondre au téléphone, et nous interrompons cette communication en cours pour répondre à un appel en absence. Prise dans ce tourbillon, notre vie est totalement éclatée, décousue. Elle est comme un navire en pleine tempête, ballotté par les flots, secoué dans tous les sens et ne sachant plus, finalement, quel est son cap. Comment s’édifier intérieurement, comment unifier son existence quand on est sollicité de toute part ? Ensuite, devant une telle abondance de stimulations, on risque la saturation : les informations finissent alors par glisser, elles ne nous touchent plus, elles ne nous atteignent plus. On se contente de surfer : ne surtout pas perdre de vitesse, avancer toujours, ne jamais s’arrêter pour ne pas rater la vague suivante. À l’arrivée, on n’est pas tombé, on n’est même pas mouillé, mais on ignore si la mer était bonne. Chacun peut le vérifier : des centaines d’images, de conversations ou de slogans perçus sur une journée, de combien, le soir venu, sommes-nous capables de nous souvenir ? Cette avalanche de messages laisse sans doute des traces qui nous influencent, mais elle ne nous permet pas de nous construire. Bien au contraire, elle nous distrait et, ce faisant, nous éloigne de nous-mêmes, et des autres. Et si, d’aventure, dans ce déluge de sollicitations permanentes, l’occasion d’une vraie rencontre se produisait, elle passerait tout simplement inaperçue.
Cette façon de nous rapporter à tout ce qui est transmis cadre parfaitement avec le contexte idéologique dans lequel nous vivons. Les sociologues nous enseignent que, depuis les années 70, la culture dominante dans les pays occidentaux est devenue celle de l’épanouissement de soi. De tout temps, l’être humain cherche à réaliser son bonheur. Mais la manière de le concevoir s’est modifiée au fil du temps. Par exemple, au début du XXe siècle, le bonheur était atteint en respectant son devoir. Que celui-ci soit plaisant ou non, on peut se déclarer heureux pourvu qu’on n’ait pas quitté le droit chemin. Dans les années 50, en pleine reconstruction de l’Europe, un nouveau discours s’impose : le bonheur, c’est le travail et la réussite sociale. Dans les deux systèmes, la transmission occupe une place centrale, car le devoir auquel il faut se conformer est enseigné par les doctes, par ceux qui savent : monsieur le curé, l’instituteur du village, le médecin. Quant à la promotion sociale par le travail, elle suppose l’apprentissage d’un métier, une initiation. Ceux qui ont l’expérience et le savoir doivent les transmettre aux nouveaux arrivés. Ceux-ci, s’ils veulent se hisser dans la hiérarchie, doivent se soumettre aux épreuves imposées par ceux qui les ont précédés. Vingt ans plus tard, la conception du bonheur change radicalement. Si le devoir et le travail restent évidemment des références, ils sont désormais supplantés par un nouvel impératif : chacun doit réussir sa vie personnelle… en inventant son propre style. C’est le triomphe de la liberté, de l’autonomie, et de la créativité. On verra ainsi exploser les manières de vivre son couple, de fonder une famille. Le travail n’est plus un sacerdoce, et le temps qu’on y consacre doit devenir lui-même épanouissant. Quant au devoir, on ne s’y soumet plus aveuglément, on le choisit et l’adapte en fonction des circonstances2 et de ses envies.
Ce bouleversement culturel remet totalement en cause la notion même de transmission. Si chacun doit inventer son propre style de vie, alors quelle autorité accorder à tous ceux qui avaient jusqu’alors la fonction de transmettre ? Pourquoi les écouter ? Pour obéir et faire comme eux ? Ce serait s’aliéner, s’écarter de sa propre route. Autant dire que, dans un tel contexte idéologique, plus personne ne peut prétendre transmettre quoi que ce soit. Par contre, tout le monde peut donner son avis sur tout, peut diffuser tout et n’importe quoi. Ce n’est pas un hasard si c’est dans les années 70 que les grandes institutions (l’École, l’Église, l’Armée, le Mariage, la Patrie…) chargées jusqu’alors de transmettre des valeurs et une conception commune de l’existence ont commencé à perdre de leur prestige, pour être parfois vertement contestées. Pour ne retenir qu’un exemple, l’autorité médicale ne s’impose plus comme autrefois : fini le paternalisme où celui qui sait décide pour l’ignorant. Désormais, le savoir du médecin entre en concurrence avec des sites et des forums internet pas toujours fiables. Il doit prouver sa