La Vie des bois et du désert - Ligaran - E-Book

La Vie des bois et du désert E-Book

Ligaran

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Extrait : "Je me trouvais dans les gaults de Holman, sur la rivière de Schlangli, dans une étroite vallée des Alpes Scandinaves, au 70e degré de latitude. Mon ami le Lapon était venu avec Finck, le tueur d'ours, et nous grimpâmes un matin dans la montagne, pour trouver un énorme animal qui nous avait été indiqué par les habitants. Notre hôte, qui s'appelait Nostrüm, nous avait accompagnés. Nous étions quatre, armés de fusils."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 331

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Gorille tuant un nègre
Préface

J’offre au public un nouveau recueil de mes souvenirs de voyages, auquel j’ai cru devoir joindre divers récits qui m’ont été communiqués par des confrères et des amis.

Le bon accueil fait à mes deux volumes : Chasses et Pêches dans l’Amérique du Nord, m’a engagé à faire cette nouvelle publication.

Je me tiendrai pour satisfait si mes lecteurs d’aujourd’hui sont aussi nombreux que ceux qui ont applaudi à mes premières narrations cynégétiques.

BÉNÉDICT-HENRY RÉVOIL.

Paris, 1er septembre 1873.

IUne chasse à l’ours en Norvège

Je me trouvais dans les gaults de Holman, sur la rivière de Schlangli, dans une étroite vallée des Alpes Scandinaves, au 70e degré de latitude.

Mon ami le Lapon était venu avec Finck, le tueur d’ours, et nous grimpâmes un matin dans la montagne, pour trouver un énorme animal qui nous avait été indiqué par les habitants.

Notre hôte, qui s’appelait Nostrüm, nous avait accompagnés. Nous étions quatre, armés de fusils. Mes compagnons portaient deux couteaux en acier de Suède à la ceinture : un sur le côté droit, un autre sur le côté gauche. Quant à moi, je possédais un poignard d’une trempe à toute épreuve.

Les nuages gris qui couraient dans la montagne au moment de notre départ se dissipèrent, et nous avançâmes vers notre but, presque en droite ligne, par des sentiers abrupts.

Au bout de deux heures je m’arrêtai harassé : mes compagnons, habitués à ces ascensions, ne paraissaient pas essoufflés. Nostrüm, détachant d’un bouleau une bande d’écorce, la tourna adroitement en forme de corne et me la présenta remplie d’eau glacée.

Cette boisson ranima mes forces, et nous continuâmes à monter, après avoir attaché en cet endroit les deux rennes que nous avions emmenés.

Nous avions dépassé la zone des épicéas, et les rochers qui se hissaient devant nous étaient nus et arides ; le froid devenait sensiblement plus vif ; au-dessous de nous un épais brouillard nous cachait la vallée, qui semblait une rivière de glace, et sur nos têtes une forêt de roches aux formes bouleversées, des bandes de neige et le ciel bleu. Aucun bruit, si ce n’est celui de quelques pierres qui s’éboulaient sous nos pieds et roulaient au fond de l’abîme, et parfois le bruit sourd d’une chute d’eau qui remontait jusqu’à nous.

Quel spectacle ! nous nous trouvions dans les domaines de la vieille nature, et nous approchions de la demeure présumée de l’ours.

Finck, qui nous conduisait, s’arrêta, et nous imitâmes son exemple. Il se débarrassa de son épaisse blouse en waldmel, et ne conserva que sa veste de peau, ce que fit également son camarade ; puis il se mit à ramper comme un serpent sur les rochers, et au bout d’une heure il revint annoncer qu’il avait vu par corps l’anachorète quadrupède.

Nous n’étions pas éloignés, en ligne droite, de l’animal de plus de trois cents pas ; mais l’escarpement nous empêchait de voir ce qui se passait et d’entendre les nombreux hourras poussés par les traqueurs. J’ajouterai que le froid nous faisait grelotter, moi particulièrement, et qu’il régnait un silence de rigueur.

Nous allions courir un danger de mort, – l’un de nous au moins, – et aucune gloire ne pouvait nous en revenir, car nul ne connaîtrait les détails de notre fin. Jouer notre vie contre la peau d’un ours ! en vérité, notre existence ne valait-elle pas quelque chose de mieux ?

Telles étaient en ce moment mes pensées, bien différentes de celles qui m’animaient au départ. Qui de nous, en effet, après avoir eu quelque beau rêve de cœur ou de fortune, au coin de son feu, dans un moelleux fauteuil, ne l’a pas vu, en l’exposant à la bise de décembre, disparaître plus vite encore que le nuage qui passe ? Quelque chose de semblable m’arrivait.

J’avais rêvé de fabuleux combats avec les ours ; je m’étais vu là où j’étais en effet ; mais je n’avais point songé à la plate réalité, c’est-à-dire aux fatigues du chemin, à l’essoufflement qui en était la suite, à la maladresse qui devait nécessairement en résulter dans le tir, à la presque certitude d’une mort lamentable, si j’eusse été en compagnie de chasseurs moins intrépides.

Je raconte franchement mes impressions : elles pourront servir à calmer l’ardeur de quelques touristes avides d’émotions. Ce n’était plus l’heure des réflexions, il s’agissait d’agir ou de reculer.

L’endroit dans lequel nous nous trouvions présentait une surface de quinze à vingt mètres de superficie. D’un côté cette surface allait, en s’inclinant pendant une dizaine de pas, se heurter à la masse de la montagne.

Tel était l’endroit que Finck avait choisi pour champ de bataille, et c’était là qu’il voulait amener le monstre. Nostrüm et notre ami le Lapon devaient, au premier grondement, s’élancer à droite et à gauche sur les murs du défilé, et, en attendant, rester tranquilles, pour que l’ours, en nous éventant, ne s’inquiétât pas outre mesure.

Finck devait venir se placer derrière moi au premier signal. Je m’avançai donc seul avec précaution dans la direction de la caverne.

Lorsque j’arrivai au coude que formait le défilé, j’aperçus, à vingt-cinq ou trente pas, à l’entrée d’un trou de quatre à cinq pieds d’ouverture, une forme sombre qui me parut vague d’abord, mais dans laquelle je reconnus vite celle de notre ours. Il était posé à la façon d’un chien ou d’un sphinx, le corps à moitié sorti de sa caverne, la tête droite. Évidemment il nous avait éventés depuis longtemps ; car on sait que l’ours est doué d’un odorat très délicat.

Je m’arrêtai immobile ; l’ours ne bougea pas. Seulement, à la place des yeux, que je n’avais pas encore aperçus, je vis deux petits points blancs qui grandissaient toujours.

Je subissais en ce moment comme une fascination ; mon regard se perdait. Ce fut un éclair. Le sentiment de ma position me revint. Je fis un pas. Les points devinrent des yeux, les oreilles s’agitèrent ; j’avançai encore d’une semelle, un frémissement passa dans tout le corps du monstre : un léger grondement, comme un soupir, se fit entendre. C’était son dernier avertissement, sa dernière menace.

Je fis machinalement le mouvement d’épauler mon fusil. L’ours s’était dressé, il marchait vers moi. Je jetai un cri : je le vis debout, il avait plus de cinq pieds ; le poil de sa tête était hérissé ; ses yeux, blancs comme de l’argent fondu, devenaient rouges, sanglants ; il soufflait ; ses dents claquaient de fureur et rendaient un bruit féroce. La bête était hideuse.

Je m’étais mis à reculer, afin d’amener l’animal à l’endroit choisi par Finck ; mais il avait franchi promptement l’espace qui nous séparait. Je craignis son étreinte, et lui envoyai ma balle à quatre pas. Nous étions à deux longueurs d’homme du champ où j’avais voulu l’attirer. Deux coups de fusil avaient accompagné le mien.

J’entendis un rugissement terrible, suivi au même instant d’un cri humain ; car une ombre avait passé devant moi, et l’ours tenait, en grondant toujours, l’intrépide Finck étreint sur sa poitrine.

Le combat se livrait malheureusement dans le défilé trop hérissé de pointes rocailleuses pour que l’homme ne fût pas promptement meurtri. Le Lapon avait saisi son ennemi par le cou et le tenait embrassé. Dans cette position, l’ours ne pouvait le mordre ; il pouvait seulement le serrer, le broyer avec ses avant-bras.

On croit vulgairement que l’ours étouffe sa victime en la serrant sur sa poitrine ; c’est une erreur : il l’étreint entre ses avant-bras, dont il se sert comme d’un étau ; mais sa conformation ne lui permet pas de croiser ses bras à la manière des hommes.

On comprend dès lors de quelle importance il est pour le chasseur de se jeter le premier sur l’animal, de le saisir par le cou afin d’éviter ses morsures, d’avoir les bras libres et de pouvoir s’en servir pour le frapper à la tête et surtout sur les côtés et derrière l’oreille, endroits qu’il a extrêmement sensibles, ainsi que le nez. Un coup de petit plomb à ces parties, ou dans les yeux, suffirait pour le tuer.

L’intrépide Lapon avait lâché son couteau en se roulant avec l’ours sur une pointe rocailleuse qui l’avait cruellement meurtri à la main, et les péripéties du combat ne lui avaient pas permis de tirer son second couteau. L’étreinte qui le broyait était si violente qu’il ne pouvait jeter un cri. Je trouvai la lutte bien longue ; Nostrüm aussi, car je le vis dégainer et se laisser glisser vers les lutteurs ; le Lapon le suivait, et au même instant je m’aperçus que le malheureux Finck était désarmé. Je compris pourquoi l’ours n’était pas encore mort, quoiqu’il perdît des flots de sang. Il grondait et rugissait à faire dresser les cheveux ; mais il n’y avait pas un instant à perdre, Finck pouvait mourir étouffé. Je tirai mon poignard et le lui mis dans la main.

Je reçus bien un coup de griffe, mais deux secondes après un hourra remplaçait l’hallali ; l’ours râlait, ses yeux rouges comme du sang avec un petit filet blanc en travers, et, la gueule ensanglantée, nous menaçait bien encore, mais il n’y avait plus rien à craindre. Quelques instants après il était mort.

Finck était couvert de sang ; il avait les jambes labourées par des coups de griffe. Je lui passai ma gourde de rhum, et on chercha de l’eau pour laver ses blessures. Nostrüm, en sa qualité de médecin, déclara, après examen, que des compresses d’eau glacée et des frictions faites avec la graisse de l’ours suffiraient pour guérir notre brave compagnon en trois à quatre jours. Nostrüm eut raison.

Malgré ses blessures, Finck voulut servir la bête lui-même. Il lui coupa le pied droit, afin de ne pas perdre la prime de quinze francs offerte par l’État. Le reste de l’opération ne demanda pas beaucoup de temps, et on chargea la peau et les quartiers sur les deux rennes que l’on avait été cherché. Une de mes balles s’était logée à deux pouces du cœur, l’autre un peu à gauche. Les deux autres coups de fusil avaient porté dans le cou et dans l’épaule : aucune de ces blessures n’était mortelle.

Notre expédition avait duré six heures.

Tout naturellement je voulus manger de notre ours. Mais, soit que cette viande demande un assaisonnement que je ne pouvais lui donner, soit la répugnance que j’avais à la goûter, je la trouvai peu agréable. Elle avait comme un goût de sanglier que je n’aime pas, accompagné de quelque chose d’huileux qui acheva de me déplaire. Les jambons gelés ne me parurent pas meilleurs ; cependant la chair de l’ours est un grand régal parmi les Lapons. La graisse sert à plusieurs usages : fraîche, elle remplace le beurre de renne ; fondue, elle tient lieu d’huile de poisson. On l’emploie aussi avec succès contre certaines douleurs.

Nous fîmes encore plusieurs chasses. On employa un jour la lance au lieu du couteau. Cette fois j’avais tiré l’animal par surprise à vingt ou vingt-cinq pas ; une balle lui avait labouré les côtes. Il me fixa une seconde, fit sept ou huit pas au trot, se leva sur ses pieds de derrière, et se dirigea vers moi avec des grognements féroces et en exprimant sa colère par cet épouvantable grincement de dents qui fait frissonner ceux qui l’entendent.

Nous étions toujours les quatre mêmes chasseurs. Finck passa encore devant moi, et avec une longue lance de trois mètres, armée d’un fer extrêmement acéré et solidement emmanché, il frappa violemment l’ours en pleine poitrine. Le fer pénétra dans les chairs. L’animal, fou de rage, se précipita de lui-même sur la lance, et s’enferra complètement. Le Lapon, pendant ce temps, maintenait avec une surprenante adresse l’extrémité de la lance sur le cou-de-pied, de manière que les efforts et les soubresauts de l’ours ne rompissent pas le bois.

Cela dura peut-être dix minutes ; puis l’ours s’abattit et se roula avec rage pendant quelques instants, lançant des flammes par les yeux et du sang par la gueule : après quoi tout fut fini.

Les Lapons ont encore un moyen singulier et ingénieux de se procurer de la chair d’ours. Lorsqu’ils ont vu par corps un de ces animaux et qu’ils ont pu juger sa taille, ils creusent à la hauteur convenable un trou dans le tronc d’un vieil arbre et le remplissent de miel. Puis ils suspendent aux branches supérieures de l’arbre une poutre dont l’extrémité cache l’ouverture du trou. On a soin que cette poutre puisse facilement imiter le mouvement d’un balancier. L’ours, très friand de miel, comme on le sait, se dresse pour le lécher ; mais pour cela il faut qu’il écarte le balancier, qui en retombant le frappe à la tête, qu’il a extrêmement sensible, comme je l’ai déjà dit.

Telle est la gourmandise de cet animal, qu’il ne se lasse pas d’écarter ce terrible balancier, lequel, à la longue, l’étourdit au point qu’il tombe au pied de l’arbre, et que le plus souvent il finit par y périr.

Tous les ours que j’ai vus en Norvège étaient plus ou moins bruns ; je n’ai pas eu l’occasion d’en rencontrer de noirs, quoiqu’il y en ait, surtout du côté de Trondjem. Du reste, dans les régions où nous l’avons chassé, l’ours est plus frugivore et herbivore que carnassier ; il n’attaque guère l’homme sans être blessé ou provoqué par lui. Mais alors c’est entre les deux ennemis un combat à mort, car la fuite est impossible, et malheur au chasseur qui chercherait ce moyen de salut.

Lord B…, avec qui je revenais de Hambourg à Paris, me fit en termes pittoresques ce bref portrait de l’ours, qu’il venait aussi de visiter.

« L’ours était un parfait gentleman. Si vô passez à côté sans provoquer lui, il vô regardait pas. Si vô insultez lui, alors il boxait et tuait vô. Oh ! yes ! »

IIChasses aux girafes

Jusqu’au milieu du siècle dernier, les savants de l’Europe semblaient mettre en doute l’inexistence de la girafe. Les voyageurs avaient beau dire :

« J’ai vu, en tel endroit, sous telle latitude, un animal dont la robe est celle d’un tigre, la tête d’un cerf et le cou aussi gracieux que celui d’un cygne ; dont la taille est si élevée, que trois hommes montés sur les épaules les uns des autres atteindraient à peine, en levant le bras, le haut de son front ; dont la timidité est si grande, qu’un roquet pourrait le faire fuir rien qu’en aboyant ; dont la vitesse ressemble à celle d’un lévrier… »

On souriait, et… on les prenait pour des hâbleurs.

C’était, du reste, tout ce que l’on savait de la girafe à cette époque-là ; mais si celui ou ceux qui avaient vu l’animal eussent raconté à nos pères que la langue de la girafe était pour elle ce que la trompe est à l’éléphant, et lui servait, – longue de cinquante centimètres environ, – à manger aussi bien qu’à happer et « tâter le terrain » ; que les narines de cet intéressant quadrupède, étroites et obliques, étaient défendues par des chevaux de frise formés par des poils assez durs et entourés de fibres nombreuses qui servaient au besoin à fermer ces orifices, de telle façon que ni le sable ni la poussière ne pussent y pénétrer quand le simoun ravage le désert, on eût couru sus à cet audacieux, et peut-être eût-il payé son « invention » au prix de la liberté dans une maison d’aliénés.

Qu’eût-ce été si cet imprudent eût affirmé que les yeux de la girafe étaient placés de telle sorte que, sans remuer la tête, elle pouvait embrasser du regard l’horizon devant, derrière, par côté, si bien que tout ennemi ne devait pas espérer rester inaperçu ! Cette fois on l’eût jeté dans un cabanon avec une camisole de force.

De nos jours la girafe n’est plus un mythe ; nous l’avons vue, nous la possédons en vie dans nos jardins zoologiques, et aussi bien portante que possible. Nous savons que si l’animal n’est pas précisément aussi gracieux de formes que le cheval ou le zèbre, il n’en est pas moins un des curieux spécimens de la création.

La girafe est originaire d’Afrique ; elle nous vient de l’Abyssinie et des pays environnants. On sait qu’à la chasse on rencontre ces animaux par compagnies de douze à vingt individus ordinairement, mais que souvent ce nombre est porté à trente et quarante.

Ces « compagnies » ou ces « hardes », – si mieux on aime désigner ainsi les troupeaux de girafes, – passent pour des familles entières, dans les rangs desquelles se trouvent des jeunes faons à peine hauts de deux mètres, des adultes mesurant de trois mètres à trois mètres et demi, et enfin des mâles de quatre mètres et demi. Les femelles sont généralement un peu plus petites que ces derniers ; on les reconnaît aussi à la délicatesse de leurs formes.

Il y a vingt-cinq à trente ans à peine, quatre girafes furent prises dans les solitudes de l’Abyssinie, et ces animaux, considérés comme fabuleux, satisfirent la curiosité du public au prix de cinquante centimes. Mais si l’on admire cette bête au regard si doux, si l’on aime à caresser son cou onduleux, qui semble demander qu’on la choie, quel sentiment n’éprouverait-on pas si on se trouvait, en plein désert, en présence d’une harde de girafes broutant les feuilles des hautes branches d’arbres avec autant de facilité qu’un bœuf tond de sa langue râpeuse le gazon des prairies, ou prenant ses ébats au milieu d’une forêt de mimosas en fleur !

On doit se dire, en réfléchissant à la chasse des girafes, que rien n’est plus facile que de découvrir un ou plusieurs de ces animaux, dont les têtes dépassent la cime des arbres.

Il n’en est pas ainsi, cependant ; et les plus habiles voyageurs-sportsmen de l’Angleterre eux-mêmes avouent que bien souvent ils ont été trompés, et qu’ils ont pris pour un de ces animaux des troncs d’arbres décortiqués.

Gordon Cumming, qui prétend avoir abattu tant de girafes qu’il en a oublié le nombre, convient également qu’il fut déçu en mainte occasion, lui et ses serviteurs ; ils croyaient souvent avoir devant eux un troupeau de caméléopards, et se trouvaient en présence d’arbres dépouillés de leur écorce, ou bien, s’imaginant apercevoir seulement des troncs dénudés, ils laissaient de côté une bande de girafes.

La chair de ces animaux, au dire de ceux qui en ont mangé, est d’un goût très fin ; elle a le parfum du mokaala et des autres arbustes à fleurs odorantes dont ils se nourrissent. Cumming assure même que les girafes répandent une odeur toute particulière, et il ajoute que quand il se trouvait au milieu d’un troupeau de ces quadrupèdes, « il croyait être au milieu d’une atmosphère répandant les parfums d’une ruche d’abeilles, ou de miel échauffé. »

La bonté de la girafe est proverbiale, et le même voyageur que je viens de citer raconte que certain jour, ayant abattu une jeune bête de la harde qu’il poursuivait, il descendit de cheval et toucha de la main la tête de sa victime ; celle-ci, au lieu de montrer le moindre indice de colère ou de ressentiment, ferma gentiment les yeux, et sembla le remercier de cette attention pour elle.

Cependant, lorsque Cumming eut le courage de lui couper la carotide, afin de terminer son agonie et de procéder au dépouillement, l’animal se débattit en frappant des pieds de toutes ses forces : on eût dit qu’il reprochait à son bourreau le mal que celui-ci lui faisait : ses yeux parlaient du moins en ce sens-là.

Un chasseur anglais, sir William Harris, traversant certain jour le pays des Baquianas, en quête de gibier, aperçut une harde de girafes. C’était au mois de novembre, et le voyageur à cheval suivit leur piste pendant plus d’une lieue.

« J’aperçus enfin, raconte-t-il, trente-deux girafes de tailles diverses occupées à brouter les feuilles d’un bouquet de mimosas, dont la végétation luxuriante embellissait encore plus ce tableau, bien fait pour faire affluer le sang dans la poitrine d’un voyageur. Mon cœur battait au point d’éclater : je sentais courir du vif-argent dans mes veines.

Je me trouvais à peine à cent yards de la harde, mais j’avais dans mes projets de mettre en pratique la chasse des gens du pays, et non point de tirer au posé ; c’est pour cela que je réservai mes deux coups de feu pour une occasion propice.

J’étais accompagné par quatre Hottentots à cheval qui s’étaient éparpillés de-ci, de-là, à la poursuite de koodoos, mais qui, sur un signal de moi, ne tardèrent pas à rallier.

Tout à coup notre marche fut entravée par un rhinocéros en colère, qui se tenait, lui et son jeune, – aussi hideux que celui auquel il devait le jour, – juste au milieu du chemin, prêt à fondre sur les intrus qui troublaient le calme de leur solitude.

Je donnai l’ordre à l’un des quatre Hottentots de faire un circuit et de tirer sur les deux brutes hideuses un coup de feu chargé à balle.

À peine la détonation eut-elle été produite, que la troupe entière des girafes bondit et se mit à fuir ; elles trottinaient d’une façon rapide, se livrant à des sauts de grenouilles très drolatiques : il va sans dire que je me trouvai bien vite fort en arrière.

À deux reprises différentes les formes élancées de ces gracieux animaux furent cachées à ma vue par les arbres. Mes quatre compagnons et moi nous nous précipitâmes à travers la forêt, et deux fois, en sortant de ces bosquets épineux dont les épines déchiraient nos vêtements et transperçaient notre peau, j’aperçus la harde à distance, le soleil miroitant sur la peau lustrée de chaque individu.

Dans un moment donné, le turban de mousseline blanche dont mon front était couvert étant tombé par terre accroché par une ronce, je vis trois rhinocéros qui piétinaient sur ce voile protecteur, et qui, cela fait, se mirent à ma poursuite.

Cinq minutes après ce petit incident, les girafes parvenaient sur le bord d’une petite rivière bordée de bancs d’un sable très fin, dans lequel leurs sabots enfonçaient à ce point que leur marche se trouva retardée. Enfin les gentilles bêtes atteignirent l’autre bord, et quand elles grimpèrent sur les rives abruptes du courant d’eau, je compris qu’elles étaient à bout de forces.

Quelques coups d’éperons me suffirent pour forcer ma monture à franchir comme une flèche la distance qui me séparait des girafes. Je me trouvai dans un instant côte à côte avec le Nestor de la harde, très facile à reconnaître des autres animaux par la couleur noisette foncée de sa robe et sa haute stature. Au même instant je portai à l’épaule ma carabine à deux coups, et je fis feu en visant aux omoplates.

Quelle qu’eût été la force de la charge et la blessure reçue, il se glissa de nouveau parmi les mimosas, et je le suivis en rechargeant mon arme et en refaisant feu coup sur coup.

Je me souviendrai toujours de l’aspect noble et impassible de la pauvre victime à la mort de laquelle je m’acharnais. Tantôt elle tournait ses yeux de mon côté, et des pleurs coulaient le long de ses joues, tantôt elle reprenait sa course ; mais bientôt un frisson fit trembler ses membres ; sa peau se tendit, et à un moment donné sa tête se replia ; elle tomba sur le sol.

Je n’oublierai jamais ce moment-là. J’avais enfin atteint le but de mes désirs : aussi, dans l’exaltation de ma joie, je poussai des cris frénétiques et je hélai mes compagnons, tout en débarrassant mon cheval de sa selle et de sa bride. Cela fait, je me laissai tomber sur le gazon à côté de la bête que j’avais conquise.

La girafe

J’examinai les blessures d’où le sang coulait à flots, et je compris alors comment mon plomb avait eu de la peine à percer une peau aussi dure (un centimètre et demi d’épaisseur) à une distance de soixante à soixante-dix mètres.

À l’aide de mes quatre Hottentots, je pus d’abord dessiner ma girafe, puis la dépouiller de sa peau ; et quand tout cela fut fait, je coupai la queue, qui remplaça mon turban autour de ma cape de chasse, et certes ce fut là le plus beau trophée que j’aie jamais porté au retour d’une excursion cynégétique. »

J’avoue que, comme M. Harris, j’aurais éprouvé une bien grande sensation en jetant par terre une girafe mesurant cinq mètres de hauteur. Moi qui, dans mes excursions à travers l’Amérique du Nord, n’ai jamais élevé mes prétentions au-delà d’un bison, d’un ours, d’un élan, d’un cerf ou d’un caribou, je comprends que pour décrire une chasse à la girafe il faille autre chose qu’une plume, de l’encre et du papier. Une pointe de diamant et une tablette de bronze : voilà ce qui est indispensable pour pareille description.

Gordon Cumming lui-même, – qui, après avoir jeté par terre un éléphant, saisissait son moulin à café et broyait la graine de moka pour se remettre de l’émotion qu’il avait éprouvée, – ce rude champion, si redoutable aux bêtes féroces de l’Afrique australe, manifeste dans ses écrits un remords tout particulier pour avoir occis quelques girafes. Écoutons-le parler :

« J’avais devant moi dix girafes qui galopaient en tortillant leur longue queue sur leur dos et en faisant gracieusement onduler leurs têtes. Je n’avais jamais, dans ma carrière de chasseur, rien éprouvé de comparable à ce que je ressentais. Je m’attachai à la plus belle bête du troupeau, et je la détournai.

Lorsqu’elle se vit poursuivie, elle allongea le pas, et se mit à galoper avec une incroyable rapidité, franchissant à chaque bond une immense longueur de terrain. Quelques minutes me suffirent pour me trouver à cinq mètres de la girafe. Je tirai en galopant, et lui logeai ma première balle dans la croupe, et ma seconde au défaut de l’épaule. À dire vrai, ces deux projectiles avaient produit peu d’effet, et quand la bête ralentit le pas, je me hâtai de mettre pied à terre, en rechargeant mes deux coups. L’animal avait repris son trot et descendait dans le lit desséché d’un torrent, au moment où j’épaulai et fis feu. Cette troisième décharge avait bien porté, mais n’était point suffisante pour abattre l’animal, qui courait encore.

Je suivis ma girafe, qui disparut bientôt au milieu des arbres.

Elle s’arrêta encore, et alors son œil brun s’abaissa sur moi comme pour m’implorer. Dans ce moment de triomphe j’éprouvai pourtant un regret douloureux, en songeant au sang que j’allais répandre ; mais ma vanité de chasseur étouffa ce sentiment ; j’élevai obliquement le canon de ma carabine, et je lui envoyai une balle dans le cou.

La girafe releva ses jambes de derrière par un bond prodigieux, et retomba aussitôt avec un bruit formidable. La terre parut trembler autour d’elle ; un jet de sang noir et épais jaillit au loin hors de sa blessure ; ses membres gigantesques frissonnèrent un instant, et elle expira. »

IIIChasse aux paons dans l’Inde

Qui n’a pas vu un de ces admirables oiseaux exotiques pour lesquels le Créateur a gardé toutes les richesses de sa palette, ignore jusqu’où peut aller le miracle de la nature créatrice, la fantaisie féerique du beau et de l’idéal. Certes les paons naturalisés en France sont de très beaux oiseaux, dignes à tous égards de notre admiration ; mais ceux qui nous viennent des grandes Indes sont, en rapport à notre espèce, ce qu’est le lophophore de Temmink à un faisan de nos forêts. Les paons de l’Inde sont des oiseaux sacrés pour les indigènes ; leur grosseur, leur brillant plumage et le danger que l’on court en les chassant, comme je l’expliquerai plus loin, tout contribue à donner aux Européens, vrais amateurs de sport, un plaisir des plus grands dans cette guerre faite aux « bijoux ailés » des grandes Indes.

Plusieurs de nos amis, qui ont visité la terre protégée par Siva et Whisnou, m’ont assuré avoir aperçu, dans les parages nommés D’jungleterry, des forêts dont les branches étaient couvertes de ces oiseaux.

Généralement ceux qui font la chasse pour approvisionner la table des nawabs et des riches zemindars de l’Inde, – j’entends les braconniers du pays, – agissent comme nos paysans chasseurs de France. La nuit, à l’affût, ils assassinent leur ou leurs paons, au perché ; et plus la lune est brillante, plus ils ont de chance de réussir, non seulement parce qu’ils distinguent mieux la forme du paon dans les arbres, mais encore parce qu’il leur est plus facile d’avancer, sans craindre de mettre le pied à chaque pas sur la queue d’un tigre et de l’indisposer contre eux.

Les zemindars qui ménagent leur chasse et ne veulent point la dépeupler recommandent au fournisseur de leur garde-manger de ne jamais tuer qu’un seul ou deux paons à la fois ; afin d’arriver à ce but, le chasseur à gages se blottit derrière un buisson, dans un endroit où il a soin d’agréner les paons ; il observe le silence le plus complet, et le soir et le matin, à l’heure du gagnage, ces oiseaux viennent picorer à la même place, sans mémoire du danger couru quelques jours auparavant, sans se souvenir qu’à cet endroit leur père, leur frère ou leur sœur ont perdu la vie, atteints par un plomb meurtrier.

Les paons, eu égard à leur grosseur, à leur force et à la distance où ils sont tirés d’habitude, indiquent assez au chasseur le numéro du plomb et la charge de poudre qu’il doit mettre dans sa carabine. C’est généralement avec le n° 4 qu’on les abat, en visant aux ailes ou à la tête.

Les territoires où les paons se trouvent en plus grande quantité, dans les grandes Indes, sont les djungles, vastes déserts semés d’arbrisseaux épineux, sur lesquels se détachent çà et là quelques bouquets de cocotiers, de palmiers sauvages, de baobabs dont un seul suffit pour former un fourré inextricable, le tout entremêlé de grandes herbes très hautes qui rendent ces marécages indiens aussi dangereux que le sont les swamps de l’Amérique du Nord, ceux où les nègres marrons courent pour fuir l’esclavage, mais où la mort les retrouve toujours.

Dans le D’jungleterry se trouve un lac d’une certaine étendue, sur les bords duquel la gent paonine semble avoir fait élection de domicile : c’est là que se passera la scène que je vais raconter à mes lecteurs. Les héros de la chasse dont il s’agit sont deux Français établis à Calcutta, dont j’ai eu la bonne chance de feuilleter les notes inscrites sur leurs livres d’éphémérides.

« La première vue du lac et des préparatifs qui avaient été faits pour nous y recevoir nous procura une très agréable surprise. Les terres étaient fort élevées au-dessus de l’eau, du côté par lequel nous arrivions ; aussi le spectacle qui s’offrit à nos yeux, lorsque nous parvînmes au sommet de l’éminence où se terminait la route, fut-il des plus enchanteurs.

Le lac s’étendait devant nous, reflétant les rayons incandescents du soleil qui disparaissait à l’horizon. Cette nappe d’eau me parut d’une largeur d’environ un mille, et d’une longueur équivalant au double. Une épaisse forêt croissait sur ses rives, et les arbres s’inclinaient gracieusement çà et là sur les eaux.

Près du chemin que nous avions suivi, il y avait une certaine étendue de terrain d’une pente douce, semé de gazon qui allait en s’arrondissant jusqu’aux berges d’une petite baie.

Les tentes se dressaient sur les bords de ce golfe en miniature, et sur les eaux du lac des myriades d’oiseaux aquatiques prenaient leurs ébats.

Dans les bois, les cris des oiseaux et des singes, qui se réfugiaient dans les arbres de la forêt ou qui s’entrappelaient en poussant des glapissements sauvages, s’harmonisaient parfaitement avec la nature de ce paysage indien.

Quand la nuit fut venue, lorsque les feux eurent été allumés, les hurlements rauques des tigres éclatèrent comme le tonnerre dans ce coin du D’jungleterry, et j’avoue que j’essayai vainement de fermer les yeux.

À l’heure où les bengalis s’éveillent, tout le monde fut debout dans notre camp. Suivant l’usage, nous étions tous costumés de blanc, afin d’être légèrement vêtus et de pouvoir braver les rigueurs tropicales de la température ; et dès que l’aurore versa dans le ciel ses teintes safranées, nous nous mîmes en chasse, armés de nos Lefaucheux, calibre 12, et portant avec nous une cinquantaine de cartouches dont quelques-unes chargées à balle en cas de danger.

Un silence profond régnait dans ces solitudes, à peine interrompu par les cris des oiseaux aquatiques qui célébraient à leur manière le retour du soleil.

Tout autour de nous s’étendait le territoire de chasse ; aussi les shekarries qui nous suivaient pour emporter le gibier, après avoir frotté leurs pieds nus avec des fleurs de tulipier pour les assouplir, suivant leur coutume, se placèrent-ils de distance en distance entre nous, afin de pousser le gibier en avant.

Quoique certains chasseurs se servent de chiens pour chasser les paons, on peut affirmer que pour la plupart du temps ces auxiliaires de l’homme sont mis de côté aux grandes Indes et remplacés par les shexarries. Ceux-ci ont cet avantage sur les quadrupèdes domestiques, qu’ils portent le gibier tué, ce qui ne les empêche pas de se sauver bien vite à la moindre apparence de danger.

À peine avions-nous fait cinquante pas, qu’un de nos shekarries poussa un cri convenu, et marqua ainsi la vue d’un paon qui avait miroité à ses regards et fuyait devant lui.

Mon camarade de chasse eut la bonne chance d’apercevoir le premier ce magnifique oiseau, et, au moment où il s’élevait en volant, il l’atteignit avec tant de justesse, qu’il tomba pour ne plus se relever.

Pour ceux qui n’ont jamais eu la chance assez rare, – à moins d’aller dans les Indes, – de voir un de ces oiseaux étincelants déployer devant lui ses ailes et sa queue, aucune description ne peut donner une idée de cet admirable spectacle ; le miroitement, le chatoiement de ces plumes irisées, nacrées et dorées produit sur la vue de celui qui est témoin de cet épanouissement vivace une sensation nerveuse qui, fort souvent, le fait se presser si bien, qu’il frappe à côté de l’oiseau : le coup est manqué, et le paon achève son vol, lequel heureusement n’est jamais très éloigné.

Seulement, quand l’oiseau a été levé et manqué de la sorte, il se blottit sous un buisson impénétrable, et il devient fort difficile de le faire relever.

Un chasseur qui veut ne point abîmer la robe diamantée de « l’oiseau de Junon » doit avoir soin de bien faire égoutter la plaie produite par le plomb, de façon que le sang ne tache pas les plumes. Cela fait, on suspend l’oiseau par les pattes à un bâton, après avoir eu soin de lier la queue avec des écorces d’arbre, et le shekarrie l’emporte ballant sur ses épaules.

À mon tour, j’épaulai mon fusil et fis coup double sur le paon et la paonne qui partaient devant moi à deux mètres de distance.

Au moment où je venais de brûler ainsi mes cartouches et où, le canon de mon fusil vide, je m’avançais vers mes victimes, un cri rauque se fit entendre !

« Après une longue – C’est un burra bagh ! » s’écrie le shekarrie qui m’accompagnait, et, sans songer le moins du monde à rester près de moi pour me défendre et combattre en ma compagnie, il s’enfuit au plus vite et grimpe sur une roche d’où il pouvait dominer la situation, loin de tout danger.

Je l’avouerai sans rougir, j’eus peur, surtout lorsque j’aperçus un énorme tigre traversant la plaine par bonds et traçant dans l’air une immense ellipse à chaque saut.

J’avais rechargé à la hâte l’arme que je serrais dans mes mains, et m’étais instinctivement placé derrière un buisson de nopals qui croissaient au pied de la roche sur laquelle se tenait mon shekarrie.

Le monstre s’avançait vers nous : il s’arrêta enfin à cent pas du rideau de verdure qui me cachait à sa vue ; mais il avait aperçu l’Indien, et c’est à lui qu’il en voulait. La peau de ce splendide animal rayonnait au soleil comme un manteau de brocart vénitien strié de bandes de velours noir ; ses quatre pattes tendues en raccourci se balançaient sur leurs jointures ; sa queue horizontale ondulait comme celle d’un serpent, et la rude peau de son mufle, retirée vers les yeux par une contraction furieuse, laissait à découvert ses dents d’ivoire aiguisées comme des stylets.

Ma carabine s’abattit en ce moment, et je fis feu.

Le tigre poussa un cri rauque, se dressa sur ses pattes de derrière, et de celles de devant saisit son mufle qu’il secoua vivement, comme s’il eût voulu en arracher la balle qui venait de l’atteindre.

Cela fait, il s’étendit à plat ventre et rampa comme un serpent en frottant avec rage son mufle contre le gazon.

Au moment où il se relevait enfin d’un bond désespéré, je pressai la seconde détente de mon arme et l’étendis raide mort, les quatre pattes en l’air.

Le monstre avait vécu, et mon shekarrie appela ses autres camarades, qui vinrent alors nous rejoindre, en s’avançant toutefois avec mille précautions.

La bête mesurait trois mètres de la naissance du museau à la pointe de la queue. C’était un burra bagh de la plus énorme taille.

Mon ami et moi nous avions éprouvé trop d’émotions ce jour-là pour continuer notre chasse aux paons : nous hélâmes nos serviteurs-rabatteurs, et quand ils nous eurent rejoints nous retournâmes au campement du lac, emportant avec nous le tigre et les paons que nous avions tués.

J’ai, depuis ce jour-là, recommencé plusieurs fois à chasser les paons dans les djungles des grandes Indes ; mais jamais je n’ai eu la malchance de me retrouver ainsi face à face avec un burra bagh. »

IVChasse du guépard aux gazelles

En se promenant au jardin d’acclimatation, – où l’amateur de chasse et d’histoire naturelle peut faire de si nombreuses études, sur tant d’oiseaux et d’animaux divers, – on s’arrêtait avec plaisir, avant 1870, dans les écuries de la ferme, devant ce félin paresseusement couché dans sa vaste cage, que les savants appellent guepardus jubatus, et que nous nommons tout simplement, nous autres, un guépard. Hélas ! ce quadrupède est mort avant le déménagement de la guerre ! Pauvre guépard ! Très élégant de formes, c’était le même que celui à qui les Anglais ont donné le nom de chetah, youze ou hunting leopard (le léopard chasseur). Originaire de l’Asie et de l’Afrique, on ne trouve le guépard à l’état sauvage que dans certaines contrées de ces deux parties du monde.

Le guépard est de la taille d’un énorme léopard, et cela tient particulièrement au développement des côtes, qui sont très allongées ; cette bizarrerie de construction en fait un animal plus fort en apparence qu’il ne l’est réellement. La tête du guépard est très petite si on la compare à sa taille, et ses membres frêles en regard de ceux du léopard.

La qualification de jubatus