La vieillesse est arrivée - Primavera Fisogni - E-Book

La vieillesse est arrivée E-Book

Primavera Fisogni

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Beschreibung

Dans un monde où le vieillissement de la population s’accentue, le terme « vieillard » reste un tabou. Pourtant, les anciens Égyptiens ont su valoriser cette étape de la vie, offrant des leçons précieuses à méditer. Vieillir pour eux représentait bien plus qu’un passage du temps : c’était le témoignage d’une vie marquée par des accomplissements et une bénédiction divine. Dans notre société actuelle, où les natifs du numérique coexistent avec les générations plus âgées, la transmission des savoirs devient essentielle pour préserver un patrimoine immatériel menacé. L’exemple égyptien nous rappelle la nécessité de renforcer les alliances intergénérationnelles et de valoriser l’apport des aînés. Cet ouvrage, fondé sur des sources hiéroglyphiques originales, propose une réflexion inspirante sur la perception de la vieillesse dans l’Égypte ancienne et son écho dans nos enjeux contemporains.

 À PROPOS DE L'AUTRICE

Journaliste et philosophe, Primavera Fisogni étudie la vieillesse depuis des années. Inspirée par l’Égypte ancienne, elle explore comment cette période de la vie symbolise le passage du savoir aux jeunes générations. À travers des œuvres de sagesse comme les enseignements de Ptahhotep, Primavera vous emmène dans les racines de la pensée antique pour éclairer votre compréhension moderne de la vieillesse.

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Seitenzahl: 204

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Primavera Fisogni

La vieillesse est arrivée

Essai

© Lys Bleu Éditions – Primavera Fisogni

ISBN : 979-10-422-5343-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Greg Johnson, en toute amitié

Prémisse

Dans un contexte social marqué par le vieillissement croissant, où il est cependant considéré comme tabou de qualifier quelqu’un de vieillard, les anciens Égyptiens ont définitivement quelque chose à nous enseigner.

Même si l’âge avancé, à l’époque pharaonique, correspondait à une tranche d’années comprise entre quarante et soixante ans, avec quelques personnes extraordinaires au-delà de quatre-vingts ans, la réflexion sur cette phase de la vie faisait encore partie de la culture des élites.

Comme on le sait, une limite fondamentale dans l’étude et le récit de cette civilisation vient du manque d’informations sur les gens ordinaires.

Ce n’est pas seulement dans l’ancienne Kemet que l’on parlait de la dernière phase de la vie ; la sénilité est entrée dans les contes littéraires de différentes manières. Les duretés n’étaient pas adoucies, les maux subis par le corps et l’âme n’étaient pas cachés, bien au contraire. La finesse phénoménologique dans la prise en compte des multiples pathologies liées à l’âge, présente dans certains textes, ne manque pas de surprendre, comme nous entendons le montrer dans cette recherche.

Vieillir était un luxe en Égypte ancienne. Les classes populaires et les plus humbles étaient rarement confrontées au problème de la vieillesse, d’une part parce que la fatigue de la vie et les maladies affectaient encore les jeunes hommes et femmes, et d’autre part parce que l’analphabétisme empêchait de laisser des souvenirs de personnes semblables. Les papyrus, les ostraca et les inscriptions funéraires ne nous ont pas laissé de souvenirs de ces inquiétudes.

Quelques traces subsistent cependant, qui seront signalées au cours des recherches. Il est possible que même des femmes et des hommes qui ne sont plus dans la fleur de l’âge, quel que soit leur niveau social, aient eu recours à ces soins cosmétiques « pour embellir le visage », pour ralentir l’apparition des premiers cheveux blancs ou de la calvitie illustrés ici. L’attitude face au passage des années était très similaire à celle que l’on observe aujourd’hui : camoufler les signes du temps avec des crèmes, des huiles et des massages. Le problème de la vieillesse surgit lorsque les maladies cardiaques ou les douleurs musculaires ralentissent les rythmes habituels de la vie, les affaiblissent et conduisent à cet état d’épuisement qui est un prélude à la fin.

Dans les documents littéraires qui nous sont parvenus et qui sont présentés dans cet essai, mené autant que possible sur des sources hiéroglyphiques, nous rencontrons une humanité qui n’est pas sans rappeler la nôtre, bien qu’elle présente une différence fondamentale, imputable à la foi religieuse en la vie éternelle. La vieillesse, malgré son cortège de maux agaçants, reste une phase sacrée de la vie, car elle nous amène à accepter la dimension transcendante. Le but des anciens hommes et femmes était d’atteindre la prairie d’Osiris, avec un esprit purifié et un jeu systémique de composants capables de garantir la sortie du tombeau, pour pouvoir continuer à profiter du disque solaire.

C’est précisément cette dimension métaphysique qui nous amène à regarder les personnes âgées avec respect et dévotion. Le pharaon Sésostri Ier envoie chercher un de ses fonctionnaires, exilé volontaire en Libye, nommé Sanahat (Sinohué), alors qu’il est maintenant âgé, et précisément en raison de sa vieillesse, pour qu’il puisse aspirer à cet enterrement, selon tous les pièges de la religion, qui permettaient la vie après la mort. Dans un contexte élitiste, il faut souligner la sensibilité envers les personnes âgées, toujours précieuse à une époque comme la nôtre, où vieux et déchet sont malheureusement synonymes sur le plan anthropologique. C’est un véritable défi.

Mais c’est le mot « mdw » qui est le véritable élément clé pour comprendre la vieillesse comme une saison fertile en idées et comme un âge de pont entre les générations.

1. Objet et méthode d’enquête

Cet essai, une recherche académique destinée à un public curieux, pas nécessairement spécialisé, vise à encadrer l’expérience du vieillissement dans l’une des cultures les plus avancées de l’histoire. En rendant compte de textes littéraires significatifs, de découvertes archéologiques et d’enquêtes récentes sur les archéopathologies, l’ouvrage ne perd jamais de vue l’objectif d’interroger les catégories originales de la pensée égyptienne antique, non superposables à celles du classicisme, mais non moins suggestives et complexes1.

L’autrice, philosophe et journaliste, spécialiste de la langue et de la culture de l’Égypte ancienne, a mené une étude d’anthropologie philosophique, en étant consciente des limites d’un travail exploratoire, ou de carottage, certainement pas d’une recherche exhaustive.

L’intention de l’ouvrage est philosophique ; le livre débute par une question sur l’ancien visant à interroger le présent, ou plus largement encore, la condition humaine. Dans cette perspective, nous proposons également de reconsidérer l’idée fondamentale selon laquelle la vieillesse doit être comprise comme une maladie, une phase pathologique, même si ce sont précisément les maladies dégénératives, ainsi que l’extinction progressive des facultés personnelles, qui la caractérisent éminemment.

Ce que suggère la civilisation égyptienne, c’est la nature systémique de cette phase de la vie.

Ni maladie donc, ni nouvelle frontière d’une jeunesse toujours plus large, la sénilité instaure une idée de la santé caractérisée par le « bien-être » comme équilibre entre ce qui a (déjà) vécu et ce qui reste à vivre. La pierre angulaire de toute dynamique est la parole qui guérit, comme cela sera précisé dans la phase finale.

Le chapitre II constitue le cœur de cette recherche, un peu comme un centre de gravité consacré à quelques histoires de personnes âgées ou de vieillesse qui nous sont parvenues de la tradition littéraire de l’Égypte ancienne. Bien que quelques lignes des Enseignements de Ptahhotep, un ouvrage écrit à la fin de la Première période intermédiaire de la XIe dynastie – soient à elles seules un résumé de la vieillesse de ce peuple ancien, quelques passages du Conte de Sinouhé sont également proposés au lecteur, qui éclairent la relation entre le caractère sacré de la vie la plus mûre et le dialogue entre un homme désespéré et son ba, où la fragilité humaine s’illumine au bord de la fin. Bien que le protagoniste principal ne soit pas identifié comme étant âgé, ses pensées sont comparables à celles de ceux qui vivent dans la vieillesse et ressentent la disparition progressive de leur goût pour l’existence. Deux recettes pour rajeunir l’apparence sont tirées du papyrus d’Edwin Smith qui, avec les suggestions esthétiques du papyrus d’Ebers, ajoutent des connaissances sur la perception du vieillissement dans la civilisation nilotique.

L’essai intègre la tradition littéraire égyptienne ancienne avec des études sur l’archéopathologie, un domaine en développement rapide, à la fois en raison du progrès des technologies d’analyse instrumentale et en laboratoire appliqué aux restes humains (momies, squelettes ou parties de ceux-ci), et pour des projets internationaux et multidisciplinaires de haute valeur scientifique. La vieillesse du passé, négligée par les investigations archéologiques ou bioarchéologiques, apparaît comme un domaine plein d’indications précisément dans les études d’archéopathologie. Pour relier ces deux domaines conceptuels, nous nous sommes inspirés de la description des troubles que fait Ptahhotep dans le prologue du recueil de maximes qui porte son nom.

Les études les plus récentes sur les restes humains datant de plusieurs milliers d’années fournissent une masse critique de données et de recherches assez homogènes, qui contribuent à repositionner les connaissances anthropologiques bien au-delà des frontières égyptiennes.

Puisqu’il est impossible de saisir la profondeur et les nuances de la langue égyptienne ancienne quels que soient les signes, nous avons essayé – dans la mesure du possible – de présenter au lecteur les références hiéroglyphiques, avec translittération. Puisque l’objectif de la recherche n’est pas éminemment philologique ni critique ni qu’elle ne s’adresse uniquement aux érudits ou aux passionnés des choses égyptiennes, nous avons opté pour des commentaires relatifs aux signes, qui aident à comprendre les choix de traduction.

Le hiéroglyphe est l’une des quatre langues de l’Égypte ancienne, la plus belle et la plus célèbre, dont on a célébré le bicentenaire depuis son déchiffrement, notamment sous la direction de Jean-François Champollion. Les autres sont hiératiques, démotiques (formes de hiéroglyphes stylisés, utilisés dans un contexte sacerdotal et administratif) et coptes, dernière étape de la langue égyptienne ancienne, habillée de signes grecs auxquels ont été ajoutés huit autres correspondant à des phonèmes non spécifiques déjà présents dans le hiéroglyphe.

Chapitre I

Être vieillards au temps des pharaons

1. Une vie courte et quelques surprises

Issu du pays de l’éternelle jeunesse, où l’être humain était presque toujours représenté dans sa splendeur, le texte de sagesse qui constitue l’épine dorsale de cet essai, connu sous le nom d’Enseignement de Ptahhotep, remontant au Moyen Empire, esquisse la première phénoménologie aiguë de l’Antiquité. La vieillesse est considérée comme la saison de la vie la plus propice au découragement. Une conditionne physique, en raison des nombreux maux qui surviennent avec l’âge, que psychologique, en raison de l’amincissement de facultés – comme la mémoire ou la capacité de marcher correctement – étroitement liées à l’identité. Dans un autre écrit de sagesse d’une période tardive, le papyrus Insinger, les points clés de la déclamation du vizir sont repris en substance, mais en référence à un âge précis dans lequel situer l’idée de vieillesse.

« Celui qui a dépassé l’âge de 60 ans, tout est fini pour lui/si son cœur aime le vin, il ne peut pas boire jusqu’à ce qu’il soit ivre/s’il désire manger, il ne peut pas manger comme avant/si son cœur désire une femme/son moment n’arrive pas ».2

Le document, en démotique, décrit également – toujours dans le seizième enseignement – la condition humaine au cours des différentes phases de la vie. Bien que ces perles de sagesse remontent à la fin de la civilisation égyptienne, au IIe siècle après J.-C., il est probable qu’ils se soient sédimentés au fil des siècles, dans une société très traditionaliste.

« De la vie qui approche de son point culminant, les deux tiers sont perdus / Il (l’homme) passe dix ans comme un enfant, avant de comprendre la mort et la vie / Il passe encore dix (années) à faire le travail d’éducation pour vivre / Il passe encore dix ans à acquérir des biens et des possessions pour vivre / Dix autres années s’écoulent avant que son cœur ne prenne conseil / Il reste 60 ans de tout le vœu que Thot a assigné à l’homme de Dieu »3.

Comme le note Crenshaw4, les meilleures années des hommes, pour l’auteur de ces réflexions, sont comprises entre quarante et soixante ans. Des années difficiles à atteindre pour les habitants de l’Égypte à l’époque pharaonique classique. Des études menées principalement sur les momies nous permettent de déduire que dans l’Égypte antique, atteindre la vieillesse n’était pas du tout une évidence et était principalement l’apanage de l’élite : bureaucrates, nobles et professionnels n’effectuaient pas de travail manuel, pouvaient bénéficier d’une variété de régimes alimentaires et ne couraient pas le risque de subir un traumatisme sur le champ de bataille.

La mortalité précoce, élevée dans l’enfance, touchait les agriculteurs, les soldats et les artisans, tandis que l’espérance de vie moyenne atteignait près de 30 ans pour les femmes et 34 ans pour les hommes. Cependant, plus les études portant sur les sites de nécropoles comportant un grand nombre d’individus inscrits progressent, plus elles permettent d’obtenir une vision d’ensemble multigénérationnelle. Le cas de Tombos, au Soudan, lieu célèbre pour ses carrières de granit, matière première pour les stèles, les statues de pharaons et les obélisques. Le profil d’une communauté a émergé où les gens vivaient jusqu’à 60, 70 et même 80 ans ; il ne s’agissait évidemment pas d’un contexte ouvrier, mais d’une classe moyenne chargée d’acheminer les biens et les tributs du royaume de Kouch (Nubie) vers les centres administratifs du royaume5.

Lorsque le vieillissement est abordé sur le thème, du vieillissement dans les statues par exemple, c’est un message de force et de sagesse qui est communiqué en priorité. Le visage en bois de la reine Tiy (1398-1338 av. J.-C.), grande épouse royale d’Amenhotep III, mère du pharaon Akhénaton, et figure puissante de la XVIIIe dynastie, n’est marqué que par quelques rides.

Âgé en pleine maturité, il s’agit de Ka Aper, le chef du village, dont la puissante figure a traversé les millénaires grâce à la célèbre statue en bois datant de la IVe ou Ve dynastie, à l’époque de l’Ancien Empire (2450 avant J.-C). Le visage porte les signes du temps, mais le regard est décidé, la posture ferme et le bâton dans la main gauche semblent exprimer un commandement, et non une fonction d’appui.

Si Ramsès II doit avoir atteint l’âge de quatre-vingt-dix ans6, ou du moins rêve-t-il de ce qui est aujourd’hui considéré comme un grand âge, allant jusqu’à célébrer quatorze fêtes Sed7, on sait que cent dix ans étaient un objectif désiré (on parle dans les maximes de Ptahhotep et dans l’un des contes les plus connus du roi Khéops) ; les inscriptions sur la tombe de Beknekhonsu nous disent qu’il a vécu environ quatre-vingt-six ans8. Cependant, le déclin dû au vieillissement (hȝ.w), avec ses conséquences anthropologiques, est un sujet de réflexion dans les textes égyptiens. Il existe une conscience très précise des souffrances qu’apporte généralement la vieillesse, en raison de transformations physiques, psychologiques et comportementales. Ce n’était pas de la rhétorique.

De Tombos également, nous recevons des histoires d’individus dont, sinon les noms, du moins les restes subsistent, et dont nous obtenons de nombreuses confirmations dans ce sens. Par exemple, U34.B1 – comme le note Whitmore – « avait plus de 70 ans et il est possible qu’il soit plus proche de 80 ans. La documentation historique égyptienne indique que la vieillesse était souvent associée à des changements physiques et que U34.B1 aurait acquis de l’expérience dans cette phase de vieillissement (…) »9. Le squelette révèle une maladie dégénérative des articulations qui a certainement eu un impact sur la mobilité, le degré de douleur, la vie quotidienne. Comment cet homme a-t-il pu vivre si longtemps ? Comment aurait-il pu se nourrir, avec la terrible situation de sa bouche, sinon en mangeant des aliments convenablement préparés pour ceux qui ont du mal à mâcher et à avaler ? Pour Whitmore, un réseau de soutien est envisageable. Ce qui ressort ici, mais comme nous le verrons également à partir de textes et de documents littéraires, c’est une sensibilité sociale orientée vers l’aide aux personnes âgées, pas seulement lorsqu’elles appartiennent à l’élite :

« Ces conditions peuvent avoir un impact considérable sur la santé d’un individu avec des inconforts, des saignements, une mastication laborieuse (…). Il est possible que la communauté de Tombos ait fourni un soutien adapté aux différentes capacités et à la santé de U34.B1 au cours de ses années de vieillesse. Cependant, en les comparant à la communauté Tombos au sens large, les changements vécus par U34.B1 n’étaient pas réservés aux personnes âgées ; ces « adaptations » pourraient être considérées comme faisant partie de la vie égyptienne antique (…). »

Dans la dernière phase de sa longue existence, cet homme avait certainement connu un handicap, ayant subi des fractures au fémur. Selon toute vraisemblance, il était alité et avait besoin de quelqu’un pour le laver, le nourrir et l’hydrater. Non noble, n’appartenant pas à la cour, mais certainement très aimé de son peuple, cet homme usé par l’âge a laissé une trace de civilisation très importante. On nous suggère que là où la vieillesse est respectée et protégée, il y a communauté. C’est peut-être là, parmi d’autres, une leçon à retenir. Nous pouvons entreprendre notre voyage vers la condition humaine la plus fragile.

Chapitre II

Les histoires

1. Ptahhotep est devenu fragile10

***

Ô souverain, mon seigneur

La sénilité s’est manifestée, la vieillesse est arrivée,

La pauvreté est venue, la faiblesse se renouvelle,

Lu dort comme un bébé tous les jours.

Les yeux sont fatigués, les oreilles sont sourdes

La force est partie à cause de la fatigue de mon cœur,

Le souvenir est immobile et ne se souvient pas de la veille,

La bouche est silencieuse et ne peut pas parler,

Os malades dus à la vieillesse,

La beauté s’est transformée en laideur,

Tout goût a disparu.

Ce que la vieillesse fait aux humains.

Elle est mauvaise à tout (point de vue), son nez est bouché/

elle ne peut pas respirer

En raison de difficultés à se tenir debout et assis

Que cet humble serviteur soit décrété « le bâton de vieillesse » !

Afin que je puisse prononcer les paroles de ceux

qui ont entendu.

***

Si tu m’atteins

(…) Puissiez-vous gagner des années de vie.

J’ai fait pas grand-chose sur terre,

J’ai obtenu cent dix ans de vie,

comme cadeau du roi,

avec des louanges au-delà des ancêtres,

Faire la Vérité pour le roi,

jusqu’à ce que la condition d’imahu11 soit obtenue.

1.1. Le vizir plein d’années12

On imagine la scène. Un homme qui n’est plus jeune, à l’allure fière, vêtu d’une tunique de lin blanc et portant au pied des sandales en papyrus, tissées par des mains expertes, parcourt d’un pas lent et autoritaire, à l’aide d’un bâton, les quelques mètres qui le séparent d’Isesi, le roi de Haute et de Basse Égypte.

Malgré la parenté qu’on lui prête avec les dieux, le souverain – appelé nsw(t) bity, celui du jonc et de l’abeille, symboles des Deux Terres – partage avec l’être humain la fragilité d’un corps destiné à périr (mais avec la perspective de vivre une autre vie post mortem) et un esprit avide de connaissances.

Si le pharaon de l’Égypte, pays connu sous le nom de Kemet (la terre noire), a le pouvoir et l’aura divine de son côté, le vizir mûr Ptahhotep connaît bien mieux la condition humaine. Pendant toute sa vie, il s’est retrouvé au milieu d’affaires de toutes sortes. Il a dû comprendre, conseiller, prendre des décisions, affronter des catastrophes environnementales et des famines, ainsi que des années de grande prospérité et des temps de désolation.

Il n’est donc pas étonnant que le pharaon veuille s’entretenir avec Pthahhotep en personne, dont les paroles sages seront une leçon pour les jeunes générations, notamment pour son propre fils et pour le prince désigné pour la succession.

Le nom de ce personnage très cultivé est précédé de son titre professionnel. À une époque qui ne connaissait pas de terme spécifique capable de désigner l’identité personnelle, c’était le nom, « rn », qui résumait les nombreuses qualités. Celle du vizir, en bas, se lit de gauche à droite. Pour lire les hiéroglyphes, la première règle est d’observer où vont les signes, et de là commencer à les déchiffrer.

Les quatre premiers signes (i)m(i)-rȝ niwt indiquent le rôle de chef de la ville, suivi de tȝti (l’oiseau et le demi-cercle), un nom hiéroglyphique désignant le vizir et, enfin, du nom propre – ptḥ ḥtp – composé de la référence à la divinité (Ptah)13 et du terme ḥtp, désignant le don, l’offrande, la paix.

Le préambule sur la vieillesse, que le vizir et chef de la ville Pthahhotep prononce devant le roi Isesi, appelé « souverain et mon seigneur », ity nb.i, dans la première ligne du texte hiéroglyphique, esquisse une formidable phénoménologie de la vieillesse qui nous permet de superposer facilement notre expérience de citoyens du troisième millénaire. Le vizir commence par rappeler que « le vieillissement s’est manifesté (et) la vieillesse est arrivée ».

tni ḫpr i3w ḥ3w

Notons le quatrième signe en partant de la gauche, une figurine masculine au dos courbé, appuyée sur un bâton, dont la fonction est de la soutenir. Nous verrons plus loin que cet instrument fait également référence à un devoir de l’enfant : celui de soutenir ses parents âgés14. La même image se retrouve un peu plus loin. Pour ceux qui ne savent pas lire les hiéroglyphes, mais observent attentivement les signes, ces deux figures véhiculent une idée intuitive de fragilité.

Dans les deux cas, le petit personnage qui peine à marcher est un déterminatif, c’est-à-dire un signe qui ne se lit pas, mais qui contribue à décontextualiser le sens des mots. Justement, tni – décrépitude15/sénilité – est un mot synonyme de iȝw – vieillesse/être vieux (iȝw) ou vieux (iȝyt). Sur le plan lexical, notons le cinquième signe en partant de la gauche, indiquant un scarabée : il s’agit de ḫpr, devenir/forme/transformation, mot clé de la pensée égyptienne antique, désignant la faiblesse de la vieillesse comme résultat d’un processus, et non comme une conséquence de la croissance16. Les deux premiers mots peuvent aussi être rendus par « Je suis devenu vieux », car ḫpr est révélateur du devenir et parce que Ptahhotep ne fait pas un discours générique, mais parle de lui-même, de sa propre condition.

Concernant la forme verbale hȝ.w de h3i17, je l’ai traduite par « c’est arrivé », car le sens va de descendre à frapper, en passant par tomber. Les idées de chute et d’événement sont contiguës : l’événement est composé du préfixe ad+cado. En français, ce lien sémantique entre un événement et le verbe cadere n’est pas aussi direct qu’en italien. On le retrouve cependant dans l’expression « être le cas ».

La dernière phase de la vie faillit tomber sur Ptahhotep.

Vieillir, comme le montrent ces premiers mots du sage Ptahhotep, c’est sentir que ses forces s’épuisent. Un concept qui est formulé dans la ligne suivante, qui se lit comme suit : « La pauvreté est arrivée, la faiblesse se renouvelle. »

wgg iw iḥw ḥr mȝw

Comme dans la ligne précédente du texte, nous sommes confrontés à deux mots de même ayant la fonction de déterminatif : un petit oiseau, qui suit wgg puis iḥw. Pour être précis, il s’agit d’un moineau, signe qui exprime la négativité et le mal18, ainsi que la petitesse. L’oiseau ne doit pas être confondu avec un autre, que l’on rencontre dans le texte – précisément le premier signe à gauche (pour les Égyptiens, il s’agit d’un poussin de caille) – indiquant la semi-voyelle/semi-consonne w.

La figure du visage masculin est une préposition très courante, ḥr, qui se connecte à la forme verbale suivante, littéralement : au-dessus d’être nouveau, en train d’être renouvelé. L’épuisement des membres est présenté comme un prélude à la mort, résultat de l’anéantissement progressif des énergies vitales, comme en témoigne le signe déterminatif du verbe śdr, le quatrième en partant de la gauche, une momie allongée sur le cercueil, qui aide à bien comprendre le sens de l’expression : « il dort (comme un) enfant tous les jours » :

sdr n.f ẖrd rˁ-nb

On retrouve également le moineau, qui indique cette fois l’idée de petit, toujours employé comme déterminatif. Le vizir rappelle au pharaon que, chez les personnes âgées, le sentiment de torpeur est donné par un déclin des facultés qui favorisent le plus la présence à soi et au monde, à savoir : « les yeux sont fatigués/petits, les oreilles sourdes ».

irty ndśw ˁnḫwy19 imrw

La petitesse des yeux peut faire référence à la difficulté de voir, due au passage des années, qui conduit à un rétrécissement de la pupille pour mieux concentrer son regard sur les objets et donc voir plus clairement. L’apparition de la fragilité, avec le déclin des facultés sensorielles optimales, se situe au centre de gravité même de l’être humain, le cœur. L’examen de Ptahhotep nous amène à nous concentrer sur la « fatigue du cœur », expression fréquemment utilisée dans les textes égyptiens lorsque l’on veut attirer l’attention sur un malaise intérieur.

Sur le plan linguistique, notons que le mot « oreilles », ˁnḫwy (comme les yeux, irty, en forme duelle) est construit sur la racine ˁnḫ + terminaison wy, mot désignant la vie. Comment l’expliquer ? L’audition est en corrélation avec l’équilibre et la possibilité de ressentir un danger. Toutefois, les oreilles peuvent aussi être considérées comme des canaux reliant l’intérieur à l’extérieur. Ce n’est pas un petit détail. Les démons pénètrent dans le corps par l’oreille gauche et peuvent mettre la vie des gens en danger20. Dans la phrase suivante, la description des symptômes du vieillissement laisse place à une insistance pessimiste sur la condition existentielle. « Les forces ont disparu21 à cause de la fatigue de mon cœur », reconnaît le vizir :