Le Chevalier de Maison-Rouge - Ligaran - E-Book

Le Chevalier de Maison-Rouge E-Book

Ligaran

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Extrait : "GENEVIÈVE, se rangeant : Oh ! mon Dieu ! ( Les deux Hommes paraissent. ) PREMIER HOMME : Pourvu que Jean nous attende ! DEUXIÈME HOMME : Oui, le voilà avec sa charrette... PREMIER HOMME : Est-ce lui? DEUXIÈME HOMME : Je le reconnais... Jean ! JEAN : Citoyen ? DEUXIÈME HOMME : Tout est prêt, n'est-ce pas ? JEAN : Oui ; qu'est-il arrivé, citoyen ? DEUXIÈME HOMME : Décrétés d'accusation ! notre cause est perdue ! Nous et nos amis, nous succombons !"

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. 

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : 

• Livres rares
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Seitenzahl: 183

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335050295

©Ligaran 2015

Acte premier
Premier tableau

Un carrefour dans le quartier Saint-Jacques. Il fait nuit.

Distribution

MAURICE.

LORIN.

DIXMER.

LE CHEVALIER.

ROCHER.

AGÉSILAS.

JEAN.

GILBERT.

DUFRESNE.

UN PRÉSIDENT DE SECTION.

UN CLERC.

UN PATRIOTE.

UN GÉNÉRAL.

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL.

UN GIRONDIN.

AUTRE GIRONDIN.

UN GREFFIER.

ARISTIDE.

UN HUISSIER.

UN PERRUQUIER.

UN JEUNE SECTIONNAIRE.

UN TANNEUR.

RICHARD.

HOMMES DU PEUPLE.

UN ACCUSATEUR PUBLIC.

GENEVIÈVE.

ARTÉMISE.

LA FEMME TISON.

HÉLOÏSE TISON.

LA VEUVE PLUMEAU.

FEMMES DU PEUPLE.

Scène première

Geneviève, deux hommes, à l’angle d’une rue ; Jean.

GENEVIÈVE,se rangeant

Oh ! mon Dieu !

(Les deux Hommes, paraissent.)

PREMIER HOMME

Pourvu que Jean nous attende !

DEUXIÈME HOMME

Oui, le voilà avec sa charrette…

PREMIER HOMME

Est-ce lui ?

DEUXIÈME HOMME

Je le reconnais… Jean !

JEAN

Citoyen ?

DEUXIÈME HOMME

Tout est prêt, n’est-ce pas ?

JEAN

Oui ; qu’est-il arrivé, citoyen ?

DEUXIÈME HOMME

Décrétés d’accusation ! notre cause est perdue ! Nous et nos amis, nous succombons !

JEAN

Vous et vos amis ! lesquels ?

DEUXIÈME HOMME

Les députés de la Gironde, Brissot, Gensonné, Vergniaud, Barbaroux, Roland, tous enfin.

JEAN

Mais vous n’êtes qu’accusés ?

DEUXIÈME HOMME

Accusés ou condamnés, n’est-ce pas tout un, aujourd’hui ?

JEAN

Oh ! mon Dieu !

DEUXIÈME HOMME

Au reste, nous mourrons en bonne compagnie, comme tu vois.

JEAN

Si vous mourez… Mais, moi, je réponds de vous faire passer la barrière ! Allons, dépêchons, citoyen, dépêchons !

PREMIER HOMME

Va !

DEUXIÈME HOMME

Ami… ami ! suivons la même fortune ! viens avec moi !

PREMIER HOMME

Non, je ne le puis… Il faut que je la revoie… Elle me croirait mort, et elle mourrait…

JEAN

Monsieur, pas un instant à perdre ! La séance d’aujourd’hui n’est peut-être pas encore connue aux barrières.

DEUXIÈME HOMME

Tu refuses ?

PREMIER HOMME

Je te rejoindrai… J’ai plusieurs papiers qu’il faut que je fasse disparaître, et, entre autres, cette lettre dont je t’ai parlé.

DEUXIÈME HOMME

Quelle lettre ?

PREMIER HOMME

Celle de ce jeune homme, de ce chevalier de Maison-Rouge, qui me faisait supplier de m’intéresser à la reine… Cette lettre, tout innocente qu’elle est, ferait croire à des relations avec des aristocrates, et, tu le sais, dans le temps où nous vivons, il y a quelque chose de plus précieux à sauver que la vie, c’est l’honneur…

DEUXIÈME HOMME

Fais à ta volonté : le rendez-vous est à Bordeaux, tu le sais.

PREMIER HOMME

Oui, à Bordeaux.

JEAN

Monsieur, monsieur, le temps se passe… et je vois là-bas une patrouille !

PREMIER HOMME

Jean a raison… Pars, mon ami, pars !

DEUXIÈME HOMME

Adieu !

(Ils s’embrassent. Jean fait monter son maître dans la charrette, jette sur lui trois ou quatre bottes de paille et s’éloigne, conduisant le cheval par la bride.)

GENEVIÈVE

J’avais tort de les craindre : ce sont des malheureux qui fuient. Allons, je crois que la rue est libre, et que je puis maintenant…

(Elle s’avance sur la pointe du pied ; une Patrouille débouche d’une rue : à la vue de cette Patrouille, Geneviève recule en jetant un cri et essaye de gagner l’autre côté de la rue.)

Scène II

Geneviève, Rocher, à la tête d’une patrouille de sectionnaires.

ROCHER

Eh ! la la, citoyenne, où vas-tu par là ?… Ah ! tu ne réponds pas ?… ah ! tu fuis ?… En joue… C’est un aristocrate déguisé, un traître, un girondin !… En joue !…

GENEVIÈVE

Grâce ! grâce !… je suis une femme.

(Elle tombe sur un genou.)

ROCHER

Alors, avance à l’ordre, et réponds catégoriquement.

GENEVIÈVE

Excusez-moi ! mais les jambes me manquent…

ROCHER

Où vas-tu comme cela, charmante belle de nuit ?

GENEVIÈVE

Citoyen, je ne vais nulle part ; je rentre…

ROCHER

Ah ! tu rentres ?…

GENEVIÈVE

Oui !…

ROCHER

C’est rentrer un peu tard, pour une honnête femme.

GENEVIÈVE

Je viens de chez une parente qui est malade…

ROCHER

Alors, où est notre carte ?

GENEVIÈVE

Ma carte ?… que veux-tu dire ? que demandes-tu ?

ROCHER

N’as-tu pas lu le décret de la Commune ?

GENEVIÈVE

Non.

ROCHER

Tu l’as entendu crier, alors ?…

GENEVIÈVE

Mais non ; que dit donc ce décret ?

ROCHER

Le décret de la Commune défend, passé dix heures du soir, de sortir sans une carte de civisme… As-tu la tienne ?

GENEVIÈVE

Oh ! mon Dieu !

ROCHER

Tu l’as oubliée chez ta parente ?

GENEVIÈVE

J’ignorais qu’on eût besoin d’une pareille carte pour sortir.

ROCHER

Alors, entrons au premier poste… Là, tu t’expliqueras gentiment avec le capitaine… et, s’il est content de toi, il te fera reconduire à ton domicile par deux hommes ; sinon, il te gardera jusqu’à plus ample information… Par file à gauche, pas accéléré, en avant, marche !

GENEVIÈVE

Ah ! mon Dieu, Seigneur ! à moi ! au secours !

Scène III

Les mêmes, Maurice Linday.

MAURICE

Qu’y a-t-il ?… et que fait-on à cette femme ?

ROCHER

Plaît-il ?

MAURICE

Je demande quelle insulte on fait à cette femme, et pourquoi elle appelle au secours.

ROCHER

Mêle-toi de ce qui te regarde, muscadin ! et laisse les patriotes faire leurs affaires.

MAURICE

Quelle est cette femme, et que lui voulez-vous ? Je vous le demande une seconde fois…

ROCHER

Et qui es-tu toi-même pour nous interroger ?

MAURICE

Je suis officier ; ne le voyez-vous pas ?

ROCHER

Quelle section ?

MAURICE

Section Lepelletier…

ROCHER

Cela ne nous regarde pas… Section du Temple, nous autres.

MAURICE

Ah ! cela ne vous regarde pas ? C’est, ce que nous plions voir.

UN SECTIONNAIRE

Quoi qu’il dit ?… quoi qu’il dit ?

MAURICE

Il dit que, si l’épaulette ne fait pas respecter l’officier, le sabre fera respecter l’épaulette… (Il saisit de la gauche Rocher par le collet de sa carmagnole, lui fait, en le séparant de sa troupe, faire trois pas en arrière, et lui appuie la pointe de son sabre sur la poitrine.) La !… Maintenant, causons comme deux bons amis.

ROCHER

Mais, citoyen !…

MAURICE

Ah ! prends garde, l’ami ! car je te préviens qu’au moindre mouvement que tu fais, qu’au moindre geste que font tes hommes, je te passe mon sabre au travers du corps… Tu m’as demandé qui j’étais ; je vais te le dire. Je me nomme Maurice Linday ; je demeure rue de la Monnaie, n° 19 ; j’ai commandé une batterie de canonniers au 10 août ; je suis lieutenant de la garde nationale et secrétaire des Frères et Amis. Cela te suffit-il ?

ROCHER

Ah ! citoyen, si tu es réellement ce que tu dis, c’est-à-dire un bon patriote…

MAURICE

Je te le disais bien, que nous finirions par nous entendre. Maintenant, réponds à ton tour ! Pourquoi cette femme criait-elle, et que lui faisiez-vous ?

ROCHER

Nous la conduisions au corps de garde.

MAURICE

Et pourquoi la conduisiez-vous au corps de garde ?

ROCHER

Parce qu’elle n’a point de carte de civisme. Oublies-tu que la patrie est en danger et que le drapeau noir flotte sur l’hôtel de ville ?

MAURICE

Le drapeau noir flotte sur l’hôtel de ville, et la patrie est en danger, parce que deux cent mille esclaves marchent contre la France, et non parce qu’une femme court les rues de Paris passé dix heures !… Mais n’importe ! puisqu’il y a un décret de la Commune, citoyens, vous êtes dans votre droit… Si vous m’eussiez répondu cela tout de suite, l’explication eût été plus courte et moins orageuse. Maintenant, emmenez cette femme si vous voulez, vous êtes libres.

GENEVIÈVE,qui, profitant de la liberté, s’est approchée peu à peu de Maurice, et lui saisit le bras

Ah ! citoyen, au nom du ciel ! ne m’abandonnez pas à la merci de ces hommes grossiers et à moitié ivres !

MAURICE

Soit ; prenez mon bras, et je vous conduirai moi-même au poste.

GENEVIÈVE

Au poste ! au poste ! et pourquoi, puisque je n’ai fait de mal à personne ?…

MAURICE

Non ; mais on suppose que vous en pouvez faire. D’ailleurs, un décret de la Commune défend de sortir sans carte, et, si vous n’en avez pas…

GENEVIÈVE

Mais, monsieur, j’ignorais…

MAURICE

Citoyenne, vous trouverez au poste de braves gens qui apprécieront vos raisons, et dont vous n’avez rien à craindre.

GENEVIÈVE,bas

Monsieur, ce n’est pas seulement l’insulte que je crains : c’est la mort ! car, si l’on me conduit au poste, je suis perdue !

MAURICE

Eh ! que dites-vous là ?…

ROCHER

Allons, allons, tu l’as dit toi-même, citoyen officier, cette femme est en contravention et nous avons le droit de la mener au corps de garde !… Ainsi donc, citoyenne…

GENEVIÈVE

Citoyen, par grâce… Monsieur, au nom du ciel !…

MAURICE

Je ne puis que me faire tuer pour vous, madame, et je ne vous sauverai pas…

GENEVIÈVE

Vous avez raison, monsieur… Que ma destinée s’accomplisse donc. Me voilà, citoyens…

Scène IV

Les mêmes, Lorin, commandant une patrouille.

LORIN,au fond

Qui vive ?

MAURICE

Attendez, je crois que j’entends la voix d’un ami… Avance ici, Lorin… avance !…

LORIN

Tiens ! c’est toi, Maurice ?… Ah ! libertin ! que fais-tu à cette heure, dans ce quartier perdu ? Je te le demande…

MAURICE

Tu le vois, je sors de la section des Frères et Amis.

LORIN

Oui, pour te rendre dans celle des Sœurs et Amies, nous connaissons cela. Tu t’es fait précéder d’un poulet ainsi conçu :

Apprenez, ma belle,
Qu’à minuit sonnant,
Une main fidèle,
Une main d’amant
Ira doucement…

Hein ! n’est-ce pas cela ?

MAURICE

Non, mon ami, tu te trompes. Je revenais de porter un ordre à la barrière Jacques. J’allais rentrer directement chez moi, quand j’ai trouvé la citoyenne qui se débattait aux mains de la patrouille que tu vois… J’ai entendu des cris, je suis accouru, et j’ai demandé l’explication de cette violence…

LORIN

Ah ! je te reconnais bien là !

Des chevaliers français tel est le caractère !

(Se tournant vers la Patrouille.) Et pourquoi arrêtiez-vous cette femme, voyons, citoyens ?

ROCHER

Nous l’avons déjà dit au lieutenant, parce qu’elle n’a point de carte de civisme.

LORIN

Bah ! voilà un beau crime !

ROCHER

Ne connais-tu pas l’arrêté de la Commune ?

LORIN

Si fait ; mais j’en connais un autre qui l’annule.

ROCHER

Lequel ?

LORIN

Le voici :

Sur le Pinde et sur le Parnasse,
Il est décrété par l’Amour
Que la Beauté, la Jeunesse et la Grâce
Peuvent, à toute heure du jour,
Circuler sans billet de passe !

Que dis-tu de cet arrêté, hein ?

ROCHER

Il ne me paraît pas…

LORIN

Péremptoire ! (Rocher le regarde étonné.) C’est ça que tu veux dire ?

ROCHER

Possible ; mais, d’abord, il ne figure pas dans le Moniteur, et puis nous ne sommes ni sur le Pinde, ni sur le Parnasse ; ensuite, il ne fait pas jour ; enfin, la citoyenne n’est peut-être ni jeune ni belle.

LORIN

Je parie le contraire ! Voyons, citoyenne, lève ta coiffe, et prouve que tu es dans les conditions du décret.

GENEVIÈVE

Oh ! monsieur, monsieur… Après m’avoir protégée contre vos ennemis, protégez-moi contre vos amis, je vous en supplie…

ROCHER

Voyez-vous, voyez-vous, elle ne veut pas lever sa coiffe, elle se cache ; c’est quelque espionne des aristocrates, quelque coureuse de nuit.

GENEVIÈVE,levant sa coiffe pour Maurice seul

Oh ! monsieur, regardez-moi ! ai-je l’air de ce qu’ils disent ?

MAURICE

Non, non, rassurez-vous !… Lorin, réclame la prisonnière comme chef de patrouille, pour la conduire à ton poste.

LORIN

Bon ! je comprends à demi-mot. (À Geneviève.) Allons, allons, la belle, puisque vous ne voulez pas nous donner la preuve que vous êtes dans les conditions du décret, il faut nous suivre…

ROCHER

Comment, vous suivre ?

LORIN

Sans doute ! Nous allons conduire la citoyenne au poste de l’hôtel de ville, où nous sommes de garde ; là, nous prendrons des informations sur elle.

ROCHER

Pas du tout. Elle est à nous et nous la gardons.

LORIN

Ah ! citoyens, citoyens, si vous n’êtes pas polis, nous allons nous fâcher.

ROCHER

Allons donc, polis… polis !… La politesse est une vertu d’aristocrates. Nous sommes des sans-culottes, nous !

LORIN

Chut ! ne parlez-pas de ces choses-là devant madame ; elle est peut-être Anglaise… Ne vous fâchez pas de la supposition, mon bel oiseau de nuit !… Un poète l’a dit :

L’Angleterre est un nid de cygnes
Au milieu d’un immense étang.
ROCHER

Entendez-vous comme il parle des Anglais ! C’est un stipendié de Pitt et Cobourg.

LORIN

Mon ami, tu n’entends rien à la poésie… Je vais donc te parler en prose. Nous sommes doux et patients, mais tous enfants de Paris ; ce qui veut dire que, lorsqu’on nous échauffe les oreilles, nous tapons ferme.

(Murmures et menaces des Sectionnaires.)

MAURICE

Madame, vous voyez ce qui se passe et vous devinez ce qui va se passer… Dans cinq minutes, dix ou douze hommes vont s’égorger pour vous… ! La cause qu’ont embrassée ceux qui vous défendent mérite-t-elle le sang qu’elle va faire couler ?

GENEVIÈVE

Monsieur, je ne puis vous dire qu’une chose, c’est que, si vous me laissez arrêter, il en résultera, pour moi et pour d’autres, des malheurs si grands, que je vous supplierai de me percer plutôt le cœur avec Parme que vous tenez à la main et de jeter mon cadavre à la Seine.

MAURICE

C’est bien, madame, je prends tout sur moi. (Aux Gardes de Rocher.) Citoyens, comme, votre officier, comme patriote, comme Français, je vous ordonne de protéger cette femme ! et toi, Lorin, si toute cette canaille dit un mot…

LORIN,à ses Gardes nationaux

À vos rangs !

GENEVIÈVE

Oh ! mon Dieu, mon Dieu, protégez-le !…

(Un coup de pistolet part des rangs de la Patrouille de Rocher.)

LORIN

Ah ! misérables ! à la baïonnette ! (Lutte et confusion dans les ténèbres ; plusieurs fenêtres s’ouvrent et se referment ; la plupart des Gardes nationaux de Rocher fuient, les autres sont cloués à la muraille avec chacun une baïonnette sur la poitrine.) Là, maintenant, j’espère que nous allons être doux comme des agneaux ! Quant à toi, citoyen Maurice, je te charge de conduire cette femme au poste de l’hôtel de ville… Tu comprends que tu en réponds

MAURICE

C’est convenu !

LORIN

Mais, avant de te quitter, cher ami, je ne serais point fâché de te donner un conseil…

MAURICE

Soit, (À Geneviève.) Prenez courage, madame : tout va être fini.

LORIN,aux Gens de Rocher

Eh bien, en avez-vous assez ?

ROCHER

Oui, chien de girondin !

LORIN

Tu te trompes, l’ami, et grossièrement ; car j’oserai dire que nous sommes meilleurs sans-culottes que toi, attendu que nous appartenons au club des Thermopyles, dont on ne contestera point le patriotisme, j’espère… (Aux siens.) Laissez aller les citoyens, ils ne contestent plus…

ROCHER

Il n’en est pas moins vrai que, si cette femme est une suspecte…

LORIN

Cela nous regarde !… c’est dit, convenu, arrêté ; mais, crois-moi, gagne au large, en attendant ; c’est ce que tu as de plus prudent à faire !

UN SECTIONNAIRE

Viens, Rocher, viens !

LORIN,surpris

Rocher ?

ROCHER,avec un geste de menace

Tiens, si jamais l’un ou l’autre me tombe sous la main…

LORIN

Ah ! c’est ce fameux Rocher, l’inspecteur des geôliers du Temple ? Cela ne m’étonne plus ! Eh bien ?… (Les Gens de Rocher s’éloignent.) Maintenant, Maurice, je t’ai promis un conseil…

MAURICE

Et tu vois que je l’attends.

LORIN

Viens avec nous plutôt que de te compromettre avec la citoyenne, qui me fait l’effet d’être charmante, il est vrai, mais qui n’en est que plus suspecte…

MAURICE

Voyons, mon cher Lorin, soyons juste. C’est une bonne patriote ou c’est une aristocrate ; si c’est une aristocrate, nous avons eu tort de lui prêter assistance, et le mal est fait ; si c’est une bonne patriote, c’est un devoir pour nous de la protéger. Maintenant, donne-moi le mot de passe.

LORIN

Maurice, Maurice ! tu me mets dans la nécessité de sacrifier mon devoir à un ami, ou mon ami à mon devoir.

MAURICE

Décide-toi pour l’un ou pour l’autre ; mais décide-toi !

LORIN

Tu n’en abuseras pas ?

MAURICE

Je te le promets.

LORIN

Ce n’est pas assez ; jure…

MAURICE

Sur quoi ?

LORIN

Jure sur l’autel de la patrie !

MAURICE

Mais, mon ami, nous n’avons pas d’autel de la patrie.

LORIN,lui présentant son chapeau du côté de la cocarde

Jure là-dessus.

MAURICE

Je jure à mon ami Lorin de me conduire, cette fois comme toujours, en bon et brave citoyen…

LORIN

Bien ! rends-moi l’autel de la patrie. Maintenant, voici le mot d’ordre : Gaule et Lutèce. Peut-être y en a-t-il qui te diront comme à moi : Gaule et Lucrèce… N’importe, laisse passer ! c’est toujours romain.

MAURICE

Merci, Lorin !

LORIN

Bon voyage !… Adieu, citoyenne. Par file à gauche, en avant, marche !

(Il sort avec la Patrouille.)

Scène V

Maurice, Geneviève.

MAURICE

Et maintenant, citoyenne, où allez-vous ?

GENEVIÈVE

Tout près d’ici, monsieur.

MAURICE

C’est bien ; vous avez désiré d’être accompagnée : me voici, je suis prêt.

GENEVIÈVE

Monsieur, je crois que je n’aurai pas besoin d’abuser plus longtemps de votre complaisance ; tout est redevenu calme, tranquille ; je suis à deux cents pas à peine du but de ma course ; en quelques minutes, je suis chez moi… Votre ami vous l’a dit, vous vous compromettez…

MAURICE

Je comprends, vous me congédiez, madame, et cela sans même me dire ce que j’aurai à répondre si l’on m’interroge sur vous…

GENEVIÈVE

Vous répondrez, monsieur, que vous avez rencontré une femme revenant de faire une visite dans le faubourg du Roule, que cette femme était partie à midi sans rien savoir de ce qui se passait, et revenait à onze heures du soir sans rien savoir encore, attendu que tout son temps, s’était écoulé dans une maison retirée.

MAURICE

Oui, dans quelque maison de ci-devant, dans quelque repaire d’aristocrates… Avouez, citoyenne, que, tout en me demandant tout haut mon appui, vous riez tout bas de ce que je vous le donne.

GENEVIÈVE

Moi ! et comment cela ?

MAURICE

Sans doute ! vous voyez un républicain vous servir de guide, et ce républicain trahit sa cause… voilà tout !

GENEVIÈVE

Citoyen, vous êtes dans l’erreur, et, autant que vous, j’aime la République.

MAURICE

Eh bien, si vous êtes bonne patriote, vous n’avez rien à me cacher ; d’où venez-vous ?

GENEVIÈVE

Oh ! monsieur, de grâce…

MAURICE

En vérité, madame, vous me suppliez de ne pas être indiscret, et, en même temps, vous faites tout ce que vous pouvez pour exciter ma curiosité… Ce n’est point généreux ! Voyons, un peu de confiance ; je l’ai bien mérité, je crois. Ne me ferez-vous point l’honneur de me dire à qui je parle ?

GENEVIÈVE

Vous parlez, monsieur… à une femme que vous avez sauvée du plus grand danger qu’elle ait jamais couru, et qui vous sera reconnaissante toute sa vie.

MAURICE

Je ne vous en demande pas tant, madame… Soyez reconnaissante pendant une seconde seulement ; mais, pendant cette seconde, dites-moi votre nom.

GENEVIÈVE

Impossible !

MAURICE

Vous l’eussiez dit, cependant, au premier sectionnaire venu, si l’on vous eût conduite au poste.

GENEVIÈVE

Oh ! non, jamais !

MAURICE

Mais, alors, vous alliez en prison…

GENEVIÈVE

J’étais décidée à tout…

MAURICE

Cependant, la prison, aujourd’hui…

GENEVIÈVE

C’est l’échafaud, je le sais.

MAURICE

Et vous eussiez préféré l’échafaud ?

GENEVIÈVE

À la trahison ?… Oui, monsieur…

MAURICE

Je vous le disais bien, que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain.

GENEVIÈVE

Vous jouez le rôle d’un homme généreux. Vous trouvez une pauvre femme qu’on insulte : non seulement vous ne la méprisez pas, quoiqu’elle soit du peuple, mais encore vous la protégez.

MAURICE

Oui, voilà pour les apparences ; voilà ce que j’eusse pu croire, si je ne vous avais pas vue, si je ne vous avais point parlé… Mais votre beauté, votre langage, sont d’une femme de distinction. Or, c’est justement cette distinction, en opposition avec votre costume et avec ce misérable quartier, qui me prouve que votre sortie, à cette heure, cache quelque mystère… Mais vous désirez rester inconnue, n’en parlons plus ! Ordonnez, madame : que faut-il faire ?

GENEVIÈVE

Vous vous fâchez ?

MAURICE

Moi ? Pas le moins du monde… D’ailleurs, que vous importe ?

GENEVIÈVE

Vous vous trompez, il m’importe beaucoup, monsieur ; car j’ai encore une grâce à vous demander.

MAURICE

Laquelle ?

GENEVIÈVE

Un adieu bien franc, bien affectueux ; un adieu d’ami.

MAURICE

Un adieu d’ami ? Oh ! vous me faites trop d’honneur, madame ! c’est un singulier ami que celui qui ne sait pas le nom de son amie, et à qui son amie cache sa demeure… de peur sans doute d’avoir l’ennui de le revoir… Au reste, madame, si j’ai surpris quelque secret, il ne faut pas m’en vouloir, je n’y tâchais pas… Adieu, madame.

GENEVIÈVE

Adieu, mon généreux protecteur !…

MAURICE

Ainsi, vous ne courez plus aucun danger ?

GENEVIÈVE

Aucun.

MAURICE

En ce cas, je me retire… Adieu, madame…

(Fausse sortie.)

GENEVIÈVE

Monsieur !… (Maurice revient.) Mon Dieu, je ne voudrais cependant point prendre ainsi congé de vous… Votre main, monsieur…

(Elle lui laisse une bague dans la main.)

MAURICE

Citoyenne, que faites-vous là ? Vous ne vous apercevez pas que vous perdez une bague… Reprenez-la, je vous prie…

GENEVIÈVE

Oh ! monsieur, c’est bien mal !

MAURICE

Il ne me manquait que d’être ingrat, n’est-ce pas ?… Reprenez-la !

GENEVIÈVE

Voyons, monsieur, que demandez-vous ?… que vous faut-il ?

MAURICE

Pour être payé ?

GENEVIÈVE

Non ; mais pour me pardonner le secret que je suis forcé de garder envers vous…

MAURICE

Il faut que je vous voie encore une fois…

GENEVIÈVE

Et quand vous m’aurez revue… ?

MAURICE

Je n’aurai plus rien à exiger.

GENEVIÈVE

Et vous garderez cette bague ?

MAURICE

Toujours !

GENEVIÈVE

Puisque vous le voulez…

(Elle se place sous le réverbère et lève sa coiffe.)

MAURICE

Oh ! que vous êtes belle !

GENEVIÈVE

Voyons !… à mon tour une grâce !

MAURICE

Ordonnez.

GENEVIÈVE