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Extrait : "GENEVIÈVE, se rangeant : Oh ! mon Dieu ! ( Les deux Hommes paraissent. ) PREMIER HOMME : Pourvu que Jean nous attende ! DEUXIÈME HOMME : Oui, le voilà avec sa charrette... PREMIER HOMME : Est-ce lui? DEUXIÈME HOMME : Je le reconnais... Jean ! JEAN : Citoyen ? DEUXIÈME HOMME : Tout est prêt, n'est-ce pas ? JEAN : Oui ; qu'est-il arrivé, citoyen ? DEUXIÈME HOMME : Décrétés d'accusation ! notre cause est perdue ! Nous et nos amis, nous succombons !"
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Seitenzahl: 183
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335050295
©Ligaran 2015
Un carrefour dans le quartier Saint-Jacques. Il fait nuit.
MAURICE.
LORIN.
DIXMER.
LE CHEVALIER.
ROCHER.
AGÉSILAS.
JEAN.
GILBERT.
DUFRESNE.
UN PRÉSIDENT DE SECTION.
UN CLERC.
UN PATRIOTE.
UN GÉNÉRAL.
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL.
UN GIRONDIN.
AUTRE GIRONDIN.
UN GREFFIER.
ARISTIDE.
UN HUISSIER.
UN PERRUQUIER.
UN JEUNE SECTIONNAIRE.
UN TANNEUR.
RICHARD.
HOMMES DU PEUPLE.
UN ACCUSATEUR PUBLIC.
GENEVIÈVE.
ARTÉMISE.
LA FEMME TISON.
HÉLOÏSE TISON.
LA VEUVE PLUMEAU.
FEMMES DU PEUPLE.
Geneviève, deux hommes, à l’angle d’une rue ; Jean.
Oh ! mon Dieu !
(Les deux Hommes, paraissent.)
Pourvu que Jean nous attende !
Oui, le voilà avec sa charrette…
Est-ce lui ?
Je le reconnais… Jean !
Citoyen ?
Tout est prêt, n’est-ce pas ?
Oui ; qu’est-il arrivé, citoyen ?
Décrétés d’accusation ! notre cause est perdue ! Nous et nos amis, nous succombons !
Vous et vos amis ! lesquels ?
Les députés de la Gironde, Brissot, Gensonné, Vergniaud, Barbaroux, Roland, tous enfin.
Mais vous n’êtes qu’accusés ?
Accusés ou condamnés, n’est-ce pas tout un, aujourd’hui ?
Oh ! mon Dieu !
Au reste, nous mourrons en bonne compagnie, comme tu vois.
Si vous mourez… Mais, moi, je réponds de vous faire passer la barrière ! Allons, dépêchons, citoyen, dépêchons !
Va !
Ami… ami ! suivons la même fortune ! viens avec moi !
Non, je ne le puis… Il faut que je la revoie… Elle me croirait mort, et elle mourrait…
Monsieur, pas un instant à perdre ! La séance d’aujourd’hui n’est peut-être pas encore connue aux barrières.
Tu refuses ?
Je te rejoindrai… J’ai plusieurs papiers qu’il faut que je fasse disparaître, et, entre autres, cette lettre dont je t’ai parlé.
Quelle lettre ?
Celle de ce jeune homme, de ce chevalier de Maison-Rouge, qui me faisait supplier de m’intéresser à la reine… Cette lettre, tout innocente qu’elle est, ferait croire à des relations avec des aristocrates, et, tu le sais, dans le temps où nous vivons, il y a quelque chose de plus précieux à sauver que la vie, c’est l’honneur…
Fais à ta volonté : le rendez-vous est à Bordeaux, tu le sais.
Oui, à Bordeaux.
Monsieur, monsieur, le temps se passe… et je vois là-bas une patrouille !
Jean a raison… Pars, mon ami, pars !
Adieu !
(Ils s’embrassent. Jean fait monter son maître dans la charrette, jette sur lui trois ou quatre bottes de paille et s’éloigne, conduisant le cheval par la bride.)
J’avais tort de les craindre : ce sont des malheureux qui fuient. Allons, je crois que la rue est libre, et que je puis maintenant…
(Elle s’avance sur la pointe du pied ; une Patrouille débouche d’une rue : à la vue de cette Patrouille, Geneviève recule en jetant un cri et essaye de gagner l’autre côté de la rue.)
Geneviève, Rocher, à la tête d’une patrouille de sectionnaires.
Eh ! la la, citoyenne, où vas-tu par là ?… Ah ! tu ne réponds pas ?… ah ! tu fuis ?… En joue… C’est un aristocrate déguisé, un traître, un girondin !… En joue !…
Grâce ! grâce !… je suis une femme.
(Elle tombe sur un genou.)
Alors, avance à l’ordre, et réponds catégoriquement.
Excusez-moi ! mais les jambes me manquent…
Où vas-tu comme cela, charmante belle de nuit ?
Citoyen, je ne vais nulle part ; je rentre…
Ah ! tu rentres ?…
Oui !…
C’est rentrer un peu tard, pour une honnête femme.
Je viens de chez une parente qui est malade…
Alors, où est notre carte ?
Ma carte ?… que veux-tu dire ? que demandes-tu ?
N’as-tu pas lu le décret de la Commune ?
Non.
Tu l’as entendu crier, alors ?…
Mais non ; que dit donc ce décret ?
Le décret de la Commune défend, passé dix heures du soir, de sortir sans une carte de civisme… As-tu la tienne ?
Oh ! mon Dieu !
Tu l’as oubliée chez ta parente ?
J’ignorais qu’on eût besoin d’une pareille carte pour sortir.
Alors, entrons au premier poste… Là, tu t’expliqueras gentiment avec le capitaine… et, s’il est content de toi, il te fera reconduire à ton domicile par deux hommes ; sinon, il te gardera jusqu’à plus ample information… Par file à gauche, pas accéléré, en avant, marche !
Ah ! mon Dieu, Seigneur ! à moi ! au secours !
Les mêmes, Maurice Linday.
Qu’y a-t-il ?… et que fait-on à cette femme ?
Plaît-il ?
Je demande quelle insulte on fait à cette femme, et pourquoi elle appelle au secours.
Mêle-toi de ce qui te regarde, muscadin ! et laisse les patriotes faire leurs affaires.
Quelle est cette femme, et que lui voulez-vous ? Je vous le demande une seconde fois…
Et qui es-tu toi-même pour nous interroger ?
Je suis officier ; ne le voyez-vous pas ?
Quelle section ?
Section Lepelletier…
Cela ne nous regarde pas… Section du Temple, nous autres.
Ah ! cela ne vous regarde pas ? C’est, ce que nous plions voir.
Quoi qu’il dit ?… quoi qu’il dit ?
Il dit que, si l’épaulette ne fait pas respecter l’officier, le sabre fera respecter l’épaulette… (Il saisit de la gauche Rocher par le collet de sa carmagnole, lui fait, en le séparant de sa troupe, faire trois pas en arrière, et lui appuie la pointe de son sabre sur la poitrine.) La !… Maintenant, causons comme deux bons amis.
Mais, citoyen !…
Ah ! prends garde, l’ami ! car je te préviens qu’au moindre mouvement que tu fais, qu’au moindre geste que font tes hommes, je te passe mon sabre au travers du corps… Tu m’as demandé qui j’étais ; je vais te le dire. Je me nomme Maurice Linday ; je demeure rue de la Monnaie, n° 19 ; j’ai commandé une batterie de canonniers au 10 août ; je suis lieutenant de la garde nationale et secrétaire des Frères et Amis. Cela te suffit-il ?
Ah ! citoyen, si tu es réellement ce que tu dis, c’est-à-dire un bon patriote…
Je te le disais bien, que nous finirions par nous entendre. Maintenant, réponds à ton tour ! Pourquoi cette femme criait-elle, et que lui faisiez-vous ?
Nous la conduisions au corps de garde.
Et pourquoi la conduisiez-vous au corps de garde ?
Parce qu’elle n’a point de carte de civisme. Oublies-tu que la patrie est en danger et que le drapeau noir flotte sur l’hôtel de ville ?
Le drapeau noir flotte sur l’hôtel de ville, et la patrie est en danger, parce que deux cent mille esclaves marchent contre la France, et non parce qu’une femme court les rues de Paris passé dix heures !… Mais n’importe ! puisqu’il y a un décret de la Commune, citoyens, vous êtes dans votre droit… Si vous m’eussiez répondu cela tout de suite, l’explication eût été plus courte et moins orageuse. Maintenant, emmenez cette femme si vous voulez, vous êtes libres.
Ah ! citoyen, au nom du ciel ! ne m’abandonnez pas à la merci de ces hommes grossiers et à moitié ivres !
Soit ; prenez mon bras, et je vous conduirai moi-même au poste.
Au poste ! au poste ! et pourquoi, puisque je n’ai fait de mal à personne ?…
Non ; mais on suppose que vous en pouvez faire. D’ailleurs, un décret de la Commune défend de sortir sans carte, et, si vous n’en avez pas…
Mais, monsieur, j’ignorais…
Citoyenne, vous trouverez au poste de braves gens qui apprécieront vos raisons, et dont vous n’avez rien à craindre.
Monsieur, ce n’est pas seulement l’insulte que je crains : c’est la mort ! car, si l’on me conduit au poste, je suis perdue !
Eh ! que dites-vous là ?…
Allons, allons, tu l’as dit toi-même, citoyen officier, cette femme est en contravention et nous avons le droit de la mener au corps de garde !… Ainsi donc, citoyenne…
Citoyen, par grâce… Monsieur, au nom du ciel !…
Je ne puis que me faire tuer pour vous, madame, et je ne vous sauverai pas…
Vous avez raison, monsieur… Que ma destinée s’accomplisse donc. Me voilà, citoyens…
Les mêmes, Lorin, commandant une patrouille.
Qui vive ?
Attendez, je crois que j’entends la voix d’un ami… Avance ici, Lorin… avance !…
Tiens ! c’est toi, Maurice ?… Ah ! libertin ! que fais-tu à cette heure, dans ce quartier perdu ? Je te le demande…
Tu le vois, je sors de la section des Frères et Amis.
Oui, pour te rendre dans celle des Sœurs et Amies, nous connaissons cela. Tu t’es fait précéder d’un poulet ainsi conçu :
Hein ! n’est-ce pas cela ?
Non, mon ami, tu te trompes. Je revenais de porter un ordre à la barrière Jacques. J’allais rentrer directement chez moi, quand j’ai trouvé la citoyenne qui se débattait aux mains de la patrouille que tu vois… J’ai entendu des cris, je suis accouru, et j’ai demandé l’explication de cette violence…
Ah ! je te reconnais bien là !
(Se tournant vers la Patrouille.) Et pourquoi arrêtiez-vous cette femme, voyons, citoyens ?
Nous l’avons déjà dit au lieutenant, parce qu’elle n’a point de carte de civisme.
Bah ! voilà un beau crime !
Ne connais-tu pas l’arrêté de la Commune ?
Si fait ; mais j’en connais un autre qui l’annule.
Lequel ?
Le voici :
Que dis-tu de cet arrêté, hein ?
Il ne me paraît pas…
Péremptoire ! (Rocher le regarde étonné.) C’est ça que tu veux dire ?
Possible ; mais, d’abord, il ne figure pas dans le Moniteur, et puis nous ne sommes ni sur le Pinde, ni sur le Parnasse ; ensuite, il ne fait pas jour ; enfin, la citoyenne n’est peut-être ni jeune ni belle.
Je parie le contraire ! Voyons, citoyenne, lève ta coiffe, et prouve que tu es dans les conditions du décret.
Oh ! monsieur, monsieur… Après m’avoir protégée contre vos ennemis, protégez-moi contre vos amis, je vous en supplie…
Voyez-vous, voyez-vous, elle ne veut pas lever sa coiffe, elle se cache ; c’est quelque espionne des aristocrates, quelque coureuse de nuit.
Oh ! monsieur, regardez-moi ! ai-je l’air de ce qu’ils disent ?
Non, non, rassurez-vous !… Lorin, réclame la prisonnière comme chef de patrouille, pour la conduire à ton poste.
Bon ! je comprends à demi-mot. (À Geneviève.) Allons, allons, la belle, puisque vous ne voulez pas nous donner la preuve que vous êtes dans les conditions du décret, il faut nous suivre…
Comment, vous suivre ?
Sans doute ! Nous allons conduire la citoyenne au poste de l’hôtel de ville, où nous sommes de garde ; là, nous prendrons des informations sur elle.
Pas du tout. Elle est à nous et nous la gardons.
Ah ! citoyens, citoyens, si vous n’êtes pas polis, nous allons nous fâcher.
Allons donc, polis… polis !… La politesse est une vertu d’aristocrates. Nous sommes des sans-culottes, nous !
Chut ! ne parlez-pas de ces choses-là devant madame ; elle est peut-être Anglaise… Ne vous fâchez pas de la supposition, mon bel oiseau de nuit !… Un poète l’a dit :
Entendez-vous comme il parle des Anglais ! C’est un stipendié de Pitt et Cobourg.
Mon ami, tu n’entends rien à la poésie… Je vais donc te parler en prose. Nous sommes doux et patients, mais tous enfants de Paris ; ce qui veut dire que, lorsqu’on nous échauffe les oreilles, nous tapons ferme.
(Murmures et menaces des Sectionnaires.)
Madame, vous voyez ce qui se passe et vous devinez ce qui va se passer… Dans cinq minutes, dix ou douze hommes vont s’égorger pour vous… ! La cause qu’ont embrassée ceux qui vous défendent mérite-t-elle le sang qu’elle va faire couler ?
Monsieur, je ne puis vous dire qu’une chose, c’est que, si vous me laissez arrêter, il en résultera, pour moi et pour d’autres, des malheurs si grands, que je vous supplierai de me percer plutôt le cœur avec Parme que vous tenez à la main et de jeter mon cadavre à la Seine.
C’est bien, madame, je prends tout sur moi. (Aux Gardes de Rocher.) Citoyens, comme, votre officier, comme patriote, comme Français, je vous ordonne de protéger cette femme ! et toi, Lorin, si toute cette canaille dit un mot…
À vos rangs !
Oh ! mon Dieu, mon Dieu, protégez-le !…
(Un coup de pistolet part des rangs de la Patrouille de Rocher.)
Ah ! misérables ! à la baïonnette ! (Lutte et confusion dans les ténèbres ; plusieurs fenêtres s’ouvrent et se referment ; la plupart des Gardes nationaux de Rocher fuient, les autres sont cloués à la muraille avec chacun une baïonnette sur la poitrine.) Là, maintenant, j’espère que nous allons être doux comme des agneaux ! Quant à toi, citoyen Maurice, je te charge de conduire cette femme au poste de l’hôtel de ville… Tu comprends que tu en réponds
C’est convenu !
Mais, avant de te quitter, cher ami, je ne serais point fâché de te donner un conseil…
Soit, (À Geneviève.) Prenez courage, madame : tout va être fini.
Eh bien, en avez-vous assez ?
Oui, chien de girondin !
Tu te trompes, l’ami, et grossièrement ; car j’oserai dire que nous sommes meilleurs sans-culottes que toi, attendu que nous appartenons au club des Thermopyles, dont on ne contestera point le patriotisme, j’espère… (Aux siens.) Laissez aller les citoyens, ils ne contestent plus…
Il n’en est pas moins vrai que, si cette femme est une suspecte…
Cela nous regarde !… c’est dit, convenu, arrêté ; mais, crois-moi, gagne au large, en attendant ; c’est ce que tu as de plus prudent à faire !
Viens, Rocher, viens !
Rocher ?
Tiens, si jamais l’un ou l’autre me tombe sous la main…
Ah ! c’est ce fameux Rocher, l’inspecteur des geôliers du Temple ? Cela ne m’étonne plus ! Eh bien ?… (Les Gens de Rocher s’éloignent.) Maintenant, Maurice, je t’ai promis un conseil…
Et tu vois que je l’attends.
Viens avec nous plutôt que de te compromettre avec la citoyenne, qui me fait l’effet d’être charmante, il est vrai, mais qui n’en est que plus suspecte…
Voyons, mon cher Lorin, soyons juste. C’est une bonne patriote ou c’est une aristocrate ; si c’est une aristocrate, nous avons eu tort de lui prêter assistance, et le mal est fait ; si c’est une bonne patriote, c’est un devoir pour nous de la protéger. Maintenant, donne-moi le mot de passe.
Maurice, Maurice ! tu me mets dans la nécessité de sacrifier mon devoir à un ami, ou mon ami à mon devoir.
Décide-toi pour l’un ou pour l’autre ; mais décide-toi !
Tu n’en abuseras pas ?
Je te le promets.
Ce n’est pas assez ; jure…
Sur quoi ?
Jure sur l’autel de la patrie !
Mais, mon ami, nous n’avons pas d’autel de la patrie.
Jure là-dessus.
Je jure à mon ami Lorin de me conduire, cette fois comme toujours, en bon et brave citoyen…
Bien ! rends-moi l’autel de la patrie. Maintenant, voici le mot d’ordre : Gaule et Lutèce. Peut-être y en a-t-il qui te diront comme à moi : Gaule et Lucrèce… N’importe, laisse passer ! c’est toujours romain.
Merci, Lorin !
Bon voyage !… Adieu, citoyenne. Par file à gauche, en avant, marche !
(Il sort avec la Patrouille.)
Maurice, Geneviève.
Et maintenant, citoyenne, où allez-vous ?
Tout près d’ici, monsieur.
C’est bien ; vous avez désiré d’être accompagnée : me voici, je suis prêt.
Monsieur, je crois que je n’aurai pas besoin d’abuser plus longtemps de votre complaisance ; tout est redevenu calme, tranquille ; je suis à deux cents pas à peine du but de ma course ; en quelques minutes, je suis chez moi… Votre ami vous l’a dit, vous vous compromettez…
Je comprends, vous me congédiez, madame, et cela sans même me dire ce que j’aurai à répondre si l’on m’interroge sur vous…
Vous répondrez, monsieur, que vous avez rencontré une femme revenant de faire une visite dans le faubourg du Roule, que cette femme était partie à midi sans rien savoir de ce qui se passait, et revenait à onze heures du soir sans rien savoir encore, attendu que tout son temps, s’était écoulé dans une maison retirée.
Oui, dans quelque maison de ci-devant, dans quelque repaire d’aristocrates… Avouez, citoyenne, que, tout en me demandant tout haut mon appui, vous riez tout bas de ce que je vous le donne.
Moi ! et comment cela ?
Sans doute ! vous voyez un républicain vous servir de guide, et ce républicain trahit sa cause… voilà tout !
Citoyen, vous êtes dans l’erreur, et, autant que vous, j’aime la République.
Eh bien, si vous êtes bonne patriote, vous n’avez rien à me cacher ; d’où venez-vous ?
Oh ! monsieur, de grâce…
En vérité, madame, vous me suppliez de ne pas être indiscret, et, en même temps, vous faites tout ce que vous pouvez pour exciter ma curiosité… Ce n’est point généreux ! Voyons, un peu de confiance ; je l’ai bien mérité, je crois. Ne me ferez-vous point l’honneur de me dire à qui je parle ?
Vous parlez, monsieur… à une femme que vous avez sauvée du plus grand danger qu’elle ait jamais couru, et qui vous sera reconnaissante toute sa vie.
Je ne vous en demande pas tant, madame… Soyez reconnaissante pendant une seconde seulement ; mais, pendant cette seconde, dites-moi votre nom.
Impossible !
Vous l’eussiez dit, cependant, au premier sectionnaire venu, si l’on vous eût conduite au poste.
Oh ! non, jamais !
Mais, alors, vous alliez en prison…
J’étais décidée à tout…
Cependant, la prison, aujourd’hui…
C’est l’échafaud, je le sais.
Et vous eussiez préféré l’échafaud ?
À la trahison ?… Oui, monsieur…
Je vous le disais bien, que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain.
Vous jouez le rôle d’un homme généreux. Vous trouvez une pauvre femme qu’on insulte : non seulement vous ne la méprisez pas, quoiqu’elle soit du peuple, mais encore vous la protégez.
Oui, voilà pour les apparences ; voilà ce que j’eusse pu croire, si je ne vous avais pas vue, si je ne vous avais point parlé… Mais votre beauté, votre langage, sont d’une femme de distinction. Or, c’est justement cette distinction, en opposition avec votre costume et avec ce misérable quartier, qui me prouve que votre sortie, à cette heure, cache quelque mystère… Mais vous désirez rester inconnue, n’en parlons plus ! Ordonnez, madame : que faut-il faire ?
Vous vous fâchez ?
Moi ? Pas le moins du monde… D’ailleurs, que vous importe ?
Vous vous trompez, il m’importe beaucoup, monsieur ; car j’ai encore une grâce à vous demander.
Laquelle ?
Un adieu bien franc, bien affectueux ; un adieu d’ami.
Un adieu d’ami ? Oh ! vous me faites trop d’honneur, madame ! c’est un singulier ami que celui qui ne sait pas le nom de son amie, et à qui son amie cache sa demeure… de peur sans doute d’avoir l’ennui de le revoir… Au reste, madame, si j’ai surpris quelque secret, il ne faut pas m’en vouloir, je n’y tâchais pas… Adieu, madame.
Adieu, mon généreux protecteur !…
Ainsi, vous ne courez plus aucun danger ?
Aucun.
En ce cas, je me retire… Adieu, madame…
(Fausse sortie.)
Monsieur !… (Maurice revient.) Mon Dieu, je ne voudrais cependant point prendre ainsi congé de vous… Votre main, monsieur…
(Elle lui laisse une bague dans la main.)
Citoyenne, que faites-vous là ? Vous ne vous apercevez pas que vous perdez une bague… Reprenez-la, je vous prie…
Oh ! monsieur, c’est bien mal !
Il ne me manquait que d’être ingrat, n’est-ce pas ?… Reprenez-la !
Voyons, monsieur, que demandez-vous ?… que vous faut-il ?
Pour être payé ?
Non ; mais pour me pardonner le secret que je suis forcé de garder envers vous…
Il faut que je vous voie encore une fois…
Et quand vous m’aurez revue… ?
Je n’aurai plus rien à exiger.
Et vous garderez cette bague ?
Toujours !
Puisque vous le voulez…
(Elle se place sous le réverbère et lève sa coiffe.)
Oh ! que vous êtes belle !
Voyons !… à mon tour une grâce !
Ordonnez.