Le commandant Delgrès - Aimard Gustave - E-Book

Le commandant Delgrès E-Book

Aimard Gustave

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Beschreibung

Renée est enlevée par Ignace et d'autres révoltés. Chasseur et Ivon les retrouvent mais échouent. Ignace avoue à Delgrès qu'il a enlevé Renée. Chasseur va voir Delgrès et y voit Renée qui demande à Delgrès de rencontrer Richepance. Il accepte si elle y est. Il la libère avec Chasseur. Les révoltés brulent les plantations. Delgrès rencontre Richepance et Renée y assiste. Il demande l'amnistie mais refuse de se rendre. Richepance dit à Brunerie qu'il a demandé la Guadeloupe pour demander la main de Renée. Chasseur demande 14 millions à Brunerie, soit toute sa fortune. Il dit que son père les devait au sien, papiers à l'appui, et il les donne à Renée. Brunerie accepte le mariage. Lors de l'assaut des français, Delgrès fait sauter sa retraite et y meurt. Chasseur est témoin de Renée au mariage.

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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LE COMMANDANT DELGRÈS

Pages de titrequestionnouveau jourlongtemps attenduembarrassanteGaston de Foissacde la Bruneriequi s’ensuiviten parlementaire.à l’horizon de son bonheurDeux lions face à face.Brunerie.surprise à M. de la Brunerie.XVII.L’assaut d’Anglemont.Page de copyright

Gustave Aimard

LE COMMANDANT

DELGRÈS

LE RAPT

(1876)

Table des matières

I L’Œil Gris et le sergent Kerbrock voyagent de compagnie

dans des chemins très peu frayés. ............................................5

II Ce que l’Œil Gris appelle trancher une question ............... 27

III Dans lequel le commandant Delgrès et le capitaine

Ignace causent de leurs affaires..............................................47

IV Où le capitaine Ignace apparaît sous un nouveau jour .... 67

V Où L’Œil-Gris tient sa promesse qu’il avait faite de

pénétrer dans le fort Saint-Charles ........................................87

VI Quel fut le résultat de l’entrevue de Delgrès avec

Mademoiselle de la Brunerie. ...............................................109

VII Où paraît enfin un personnage depuis longtemps

attendu ..................................................................................130

VIII Comment Renée de la Brunerie se trouve à

l’improviste dans une situation embarrassante ................... 150

IX Ce qui se passe entre le général Richepance et Gaston de

Foissac................................................................................... 169

X Où Gaston de Foissac refuse la main de Renée de la

Brunerie ................................................................................189

XI Comment fut évacué le fort Saint-Charles et ce qui

s’ensuivit .............................................................................. 208

XII Pourquoi Delgrès envoya le capitaine Ignace en

parlementaire........................................................................227

XIII Où Renée de la Brunerie voit monter un nuage à

l’horizon de son bonheur ......................................................247

XIV Deux lions face à face. ..................................................266

– 3 –

XV Comment le chasseur de rats apparut tout à coup, entre

le général Richepance et M. de la Brunerie. .........................285

XVI Comment l’Œil gris causa une désagréable surprise à

M. de la Brunerie. ................................................................ 306

XVII. L’assaut d’Anglemont................................................325

– 4 –

1

I

L’Œil Gris et le sergent Kerbrock voyagent de

compagnie dans des chemins très peu frayés.

Les hautes montagnes qui occupent le centre de l’île de la

Guadeloupe et vers lesquelles, depuis le bord de la mer, le ter-

rain s’élève peu à peu par marches immenses et magnifiques

comme un escalier de géant, ont toutes été, à une époque recu-

lée, des volcans redoutables.

En effet, leurs laves sont encore amoncelées par blocs noi-

râtres et monstrueux, depuis leurs cimes chenues jusqu’aux sa-

bles du rivage.

Et ce qui prouve clairement la vérité de cette assertion,

c’est que, ainsi que nous l’avons rapporté plus haut, le sommet

le plus élevé de ces montagnes, la reine de toutes les autres, la

Soufrière enfin, bouillonne encore aujourd’hui avec un bruit

formidable et lance incessamment d’épaisses vapeurs par les

soupiraux de ses ténébreux abîmes.

Ces hautes montagnes de la Guadeloupe sont toutes cou-

vertes de forêts ; forêts séculaires, primitives, où n’a jamais re-

tenti le bruit de la cognée des bûcherons ; que seuls connaissent

les nègres marrons qui s’y réfugient, et quelques rares chasseurs

de grives et d’agoutis.

1

L'épisode qui précède a pour titre :Le Chasseur de rats.

– 5 –

Ces forêts vierges servent de barrières et à la fois de cein-

ture aux mornes ; elles sont presque impénétrables ; des arbres

gigantesques de tous les âges, couchés les uns sur les autres

dans un pêle-mêle effroyable, pourrissent au milieu des arums

qui les enveloppent et des lianes qui le couronnent.

D’autres arbres se dressent majestueusement du milieu de

ces fourrés, avec des épanouissements de branches dévorant un

immense espace autour d’eux, sans que l’ombre épaisse qu’ils

projettent au loin empêche la végétation échevelée et furieuse

de se presser autour de leurs trônes.

Lorsqu’on foule ces débris entassés, craquant et

s’effondrant à chaque pas, on sent, en pressant ce terrain, des

vapeurs étouffantes que le sol envoie au visage ; toutes les plan-

tes surgissant de cet engrais éternel ont un aspect pléthorique et

vénéneux qui atterre.

On est fasciné à l’aspect de cette nature cyclopéenneexagé-

rant toutes les proportions et changeant en arbres jusqu’aux

bruyères.

Parfois, le soleil descend au milieu des ténèbres crépuscu-

laires de ces océans de verdure, par quelque déchirure que la

chute d’un fromager ou d’un palmier séculaire a faite à la voûte

feuillue ; alors les plantes que ces rayons ont visitées se parent

de fleurs ravissantes, perdues dans ces gouffres où nul regard ne

les cherche, où nulle main ne les cueille jamais.

Rien n’est mélancolique et silencieux comme ces grands

bois, où nul oiseau ne vole et ne chante, où l’on ne voit que par

hasard un agouti craintif, se glissant dans des fourrés inextrica-

bles ; dont le seul bruit appréciable est le bourdonnement mo-

notone et continu des insectes qu’entretient et qu’échauffe le

détritus des forêts.

– 6 –

L’homme perdu dans ces solitudes, peut être considéré

comme mort ; jamais il ne parviendra à en sortir ; les murailles

mouvantes dont il est entouré lui forment un vert linceul qui

l’enveloppe de toutes parts et dont il lui est impossible de soule-

ver le poids, pourtant si léger en apparence, mais si lourd en

réalité ; tous ses efforts pour sortir des réseaux immenses qui

l’enlacent ne font qu’en resserrer davantage les flexibles an-

neaux ; ses forces s’épuisent dans une lutte insensée, il chan-

celle, veut résister encore, tombe et ne se relève plus ; c’en est

fait ; la mort implacable étend vers lui sa main de squelette, et

lui, ce vivant, si plein de jeunesse, de sève, de courage, de volon-

té, il est vaincu ; il se couche haletant et succombe dans

d’horribles souffrances, au milieu de cette luxuriante et puis-

sante végétation qui semble lui sourire railleusement, à quel-

ques pas à peine du but qu’il voulait atteindre, sans se douter

que, pendant de longues heures, il a vainement consumé toute

son énergie à tourner toujours dans le même cercle, sans avan-

cer d’un pas vers la délivrance.

C’était dans une de ces clairières, qui, ainsi que nous

l’avons dit, se trouvent parfois dans les forêts vierges, quatre

hommes, assis sur des troncs d’arbres renversés, causaient en-

tre eux à voix basse, tout en mangeant de bon appétit un agouti

à demi grillé sur les charbons, et buvant à longs traits du tafia

renfermé dans une gourde, qu’ils se passaient de main en main.

Ces quatre hommes étaient des noirs, un cinquième, assis

un peu à l’écart, le coude sur le genou et la tête dans la main,

dormait ou réfléchissait ; l’immobilité de statue dans laquelle

depuis longtemps il demeurait et ses yeux fermés, prêtaient éga-

lement à ces deux suppositions.

Les noirs, n’étaient autres que des nègres marrons ; ils

avaient chacun un fusil appuyé contre la cuisse et une hache

passée dans la ceinture ; hache dont ils se servaient pour se tra-

cer une route à travers ce fouillis de lianes si étroitement enche-

– 7 –

vêtrées les unes dans les autres ; près d’eux, sur le sol, se trou-

vaient des régimes de bananes, des sapotilles, plusieurs noix de

coco et une quantité d’autres fruits de toutes sortes, dont ils pa-

raissaient apprécier beaucoup la saveur.

À quelques pas de là, dans un hamac en fils d’aloès de plu-

sieurs couleurs, suspendu entre deux énormes fromagers, une

jeune femme était couchée et dormait.

Cette jeune femme, dont la respiration douce et régulière et

le sommeil calme et paisible ressemblait à celui d’un enfant,

lle

était M Renée de la Brunerie, enlevée la nuit précédente avec

une si audacieuse témérité, dans l’habitation de son père, au

milieu de ses amis et de ses défenseurs.

Il était un peu plus de cinq heures du soir, le soleil baissait

rapidement à l’horizon ; l’ombre des arbres grandissait en

s’allongeant d’une façon démesurée, le ciel commençait à pren-

dre une teinte plus sombre ; à l’approche de la nuit les gronde-

ments rauques de la Soufrière, sur les pentes de laquelle courait

cette forêt vierge, devenaient plus distincts et plus menaçants.

Soudain, par un mouvement brusque, mais parfaitement

calculé, les nègres se couchèrent le fusil en avant, derrière les

énormes troncs d’arbres qui, un instant auparavant, leur ser-

vaient de sièges.

Leurs oreilles félines avaient perçu un bruit faible, à peine

appréciable, mais se rapprochant rapidement de l’endroit où ils

étaient campés, et sur la cause duquel il fut bientôt impossible

de se tromper.

Seul, l’homme dont nous avons parlé, un mulâtre, n’avait

pas fait un geste, ni semblé attacher la plus minime attention à

ce qui inquiétait si fort les nègres marrons.

– 8 –

Bientôt on aperçut un noir se glissant avec précaution entre

les arbres ; ce noir portait un bandeau sanglant autour de la

tête, il en avait un second sur la poitrine, et enfin un troisième

enveloppait son bras au-dessus du coude.

Malgré ces trois blessures, ce nègre paraissait frais et dis-

pos ; son visage était souriant ; il marchait avec légèreté au mi-

lieu des débris de toutes sortes qui, à chaque pas, entravaient sa

marche ; son fusil était rejeté en bandoulière et il tenait à la

main une hache avec laquelle, probablement, il avait taillé un

chemin pour parvenir, jusqu’à l’endroit qu’il venait d’atteindre.

Ce nègre était Pierrot, que nous avons vu si chaudement

poursuivi pendant le change audacieux qu’il avait donné ; il

avait réussi à s’échapper par miracle, mais non sans emporter

avec lui le plomb des chasseurs.

En le reconnaissant, les nègres avaient repris leurs places,

et s’étaient tranquillement remis à manger.

– Bonjour, dit le noir en s’approchant.

– Bonjour, répondirent laconiquement les autres.

– Où est massa Télémaque ?

– Là. Est-ce qu’il y a du nouveau ? demanda curieusement

un des marrons en étendant le bras dans la direction où se trou-

vait le mulâtre.

– Cela ne te regarde pas, fît Pierrot.

L’autre haussa les épaules avec dédain et se remit à man-

ger.

– 9 –

Pierrot s’avança alors vers Télémaque ; mais celui-ci sem-

bla alors se réveiller tout à coup, il se leva et lui fit signe de le

suivre dans une direction opposée.

– Eh bien ? lui demanda-t-il lorsqu’ils se trouvèrent placés

à égale distance des noirs et du hamac ; as-tu des nouvelles ?

– Oui, massa.

– Tu as fait tes courses ?

– Toutes.

– Parle, je t’écoute.

– Par quoi faut-il commencer ?

– Par ce que tu voudras.

– Par l’habitation alors ?

– Par l’habitation, soit.

– Tout est en rumeur là-bas ; ils font des battues de tous les

côtés ; le marquis a expédié plusieurs courriers à la Basse-

Terre ; puis il s’est résolu à s’y rendre lui-même.

– Il est parti ?

– Et arrivé.

– Bien, continue.

– Le commandeur, M. David, est maintenant le chef de

l’habitation ; des postes nombreux ont été établis du côté de la

haie ; toute surprise serait désormais impossible.

– 10 –

– À présent, cela m’est égal.

– C’est juste, fit le nègre en jetant un regard du côté du

hamac, mais cela nous a coûté cher.

– Possible, mais aussi nous avons réussi.

– On ne peut pas dire le contraire.

– Et le Chasseur de rats ?

– Il a disparu depuis cette nuit.

– Seul ?

– Non, en compagnie d’un sergent français.

– Cela ne vaut rien. Personne ne sait où il est allé ?

– Personne.

– Ce vieux diable doit être sur nos traces ; il connaît nos

repaires aussi bien que nous.

– C’est probable ; cet homme est notre mauvais génie ;

nous ferons bien de nous tenir sur nos gardes.

– Ah ! ici je ne le crains pas.

– C’est égal, massa, on ne se repent jamais d’avoir été pru-

dent ; cet homme est bien fin.

– Tu as toujours peur, toi !

– Ce n’est pas ce que vous disiez ce matin, massa.

– 11 –

– J’ai tort, excuse-moi, Pierrot ; c’est grâce à toi seul que

nous avons réussi ; mais, sois tranquille, mes précautions sont

prises, si rusé que soit le Chasseur, cette fois son flair de limier

sera mis en défaut.

– Je le désire vivement, massa ; cependant, je vous avoue

que je n’ose l’espérer.

– Continue.

– De l’habitation je me suis rendu, selon vos ordres, au fort

Saint-Charles.

– Ah ! ah ! As-tu réussi à y pénétrer ?

– Certes, et cette blessure au bras en est une preuve.

– Qu’est-ce que c’est que cela ?

– Une balle qu’un grenadier français m’a envoyée, et qui

m’a traversé le bras au moment où, après avoir trompé les sen-

tinelles, je frappais à la poterne de l’Est ; pas autre chose.

– Enfin, tu es entré, c’est le principal.

– Je suis entré, oui, massa.

– As-tu vu le capitaine Ignace ?

– Oui ; il m’a interrogé ; je lui ai raconté tout ce que mous

avons fait.

– Que t’a-t-il répondu ?

– 12 –

– Il a froncé le sourcil et il a grommelé je ne sais quoi entre

ses dents ; j’ai cru entendre : « C’est trop cher ; cette péronnelle

ne vaut pas le quart du sang généreux qu’elle a fait verser. »

– Est-ce tout ? fit Télémaque avec un mouvement

d’épaules.

– Non, massa. Massa Ignace s’est enfermé seul avec moi

dans une chambre, il m’a fait boire un verre de bon tafia et il

m’a donné quatre gourdes, des belles gourdes toutes neuves.

– Passe ces détails.

– Puis il m’a dit, continua imperturbablement Pierrot : « Je

suis content de toi, tu es un brave. »

– C’est convenu ! mais au fait ! au fait ? dit Télémaque en

frappant du pied avec impatience.

– J’y arrive, massa. Alors massa capitaine Ignace a ajouté :

« Tu vas retourner tout de suite auprès de Télémaque, tu lui

diras que je suis très satisfait de lui, qu’il faut qu’il se hâte ; que

ce soir à dix heures je ferai une sortie sur les lignes du côté du

Galion ; afin de faciliter son entrée dans le fort ; Télémaque se

tiendra prêt ; il passera à travers les lignes et filera rapidement

sur nos derrières pendant que nous protégerons son entrée dans

Saint-Charles. »

– Hum ! ce ne sera pas facile, cela.

– C’est ce que j’ai fait observer à massa Ignace.

– Ah ! et il ne t’a pas rompu les os ?

– Non, mais il a ajouté : « Tu diras à Télémaque que je le

veux. »

– 13 –

– Il le veut ! il le veut ! tout cela est bel et bien, mais la be-

sogne est rude.

– Beaucoup ; les Français enveloppent complètement le

fort ; ils ne laissent pénétrer personne dans leurs retranche-

ments.

– Cependant tu les as traversés deux fois, toi ?

– Oui, mais j’étais seul et malgré cela j’ai attrapé une balle.

– Enfin, nous essayerons : à l’impossible, nul n’est tenu.

– Un homme n’est pas de fer.

– De quel côté se fera la sortie ?

– Par la courtine de l’ouest, du côté du Galion.

– C’est, en effet, l’endroit le plus propice.

– Oui.

– Et tu m’as dit à dix heures ?

– À dix heures, oui, massa.

– À la grâce de Dieu ! nous tenterons l’affaire ; ce qui

m’inquiète surtout, c’est ce vieux démon de Chasseur.

– L’Œil Gris ?

– Oui ; s’il a suivi notre piste, comme j’ai tout lieu de le

supposer, puisqu’il a quitté cette nuit l’habitation, il pourra

nous causer bien de l’embarras.

– 14 –

– Ah ! cela est malheureusement possible.

– Bah ! ne nous décourageons pas ainsi à l’avance. Tu dois

être fatigué et avoir faim, repose-toi et mange ; chaque heure

amène avec soi ses ennuis ; profitons des quelques moments de

tranquillité qui nous restent encore ; après, eh bien ! nous ver-

rons !

– Tout cela n’est pas rassurant, grommela à part lui Pierrot

en se dirigeant vers ses compagnons. C’est égal, je regrette

beaucoup de m’être jeté si sottement dans cette bagarre, et sur-

tout d’avoir quitté l’atelier où j’étais si heureux, ajouta-t-il en

poussant un énorme soupir.

Et le pauvre diable alla s’asseoir tout pensif.

Télémaque était assez contrarié de l’ordre que lui faisait

donner le capitaine Ignace ; il comprenait fort bien toutes les

difficultés presque insurmontables de cette expédition ; il en

calculait toutes les chances dont bien peu, évidemment, étaient

en sa faveur ; seul, cette affaire, tout en lui présentant

d’énormes difficultés, ne lui paraissait cependant pas impossi-

ble ; mais, en compagnie d’une femme à laquelle il lui était en-

joint péremptoirement de témoigner les plus grands égards et le

plus profond respect, les conditions changeaient complète-

ment ; l’affaire se présentait sous un jour tout différent et qui

était loin de diminuer les difficultés, si nombreuses déjà, de

cette audacieuse entreprise.

Le mulâtre en était là de ses réflexions qui n’avaient rien de

lle

positivement gai, lorsque M de la Brunerie ouvrit les yeux, se

redressa sur son hamac, et, après avoir jeté un regard triste,

presque désespéré, autour d’elle, lui adressa doucement la pa-

role.

– 15 –

– Monsieur, lui demanda-t-elle, prétendez-vous donc me

faire errer ainsi longtemps, en votre compagnie, à travers ces

inextricables forêts ?

– Mademoiselle, lui répondit-il respectueusement, ce soir

même nous arriverons.

– Dans quel endroit, s’il vous plaît ?

– Dans celui où j’ai reçu l’ordre de vous conduire.

– Toujours les mêmes réponses, toujours le même système

de mystères et de réticences. Prenez-y garde, monsieur, tout

cela finira peut-être plus tôt que vous ne le supposez, et vous

payerez cher le crime que vous avez commis en m’enlevant vio-

lemment et d’une façon si odieuse à ma famille.

– Mademoiselle, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, je ne

suis qu’un instrument entre les mains bien plus puissantes des

hommes que je sers ; une machine qui ne raisonne, ni ne dis-

cute ; je reçois des ordres, j’obéis ; mon rôle se borne là ; il serait

souverainement injuste à vous, mademoiselle, de vous en pren-

dre à moi de ce qui vous arrive, lorsque, au contraire, la respon-

sabilité en doit remonter tout entière à ceux qui m’emploient.

– Est-ce aussi à ces personnes, dont vous vous obstinez à

taire le nom, dit-elle avec ressentiment que je dois attribuer les

procédés humiliants et surtout arbitraires dont vous usez envers

moi ?

– Je ne crois pas, sur l’honneur, mademoiselle m’être un

seul instant écarté du respect que je vous dois.

– En effet, monsieur, je le constate ; vous êtes très respec-

tueux en paroles, mais malheureusement vos actes forment un

complet contraste avec, ces paroles mielleuses ; je vous le répète

– 16 –

une fois encore, je ne suis pas aussi abandonnée que vous fei-

gnez de le supposer ; j’ai des amis nombreux, dévoués, ils me

cherchent, ils approchent ; peut-être même en ce moment sont-

ils beaucoup plus près de nous que vous ne le croyez.

Au même instant, comme pour affirmer la réalité des paro-

les ou plutôt des menaces de la jeune fille, un bruit assez fort se

fit entendre dans les halliers ; mais ce bruit, qui frappa distinc-

tement l’oreille exercée des nègres marrons, ne parvint pas à

lle

celle de M de la Brunerie.

Le mulâtre essaya de sonder les masses de verdure qui

l’entouraient, mais l’obscurité déjà assez épaisse sous le couvert

de la forêt ne lui permit de rien distinguer.

– Mademoiselle, reprit-il avec vivacité, l’heure est venue de

nous remettre en route.

– Encore ? dit-elle avec découragement.

– Un peu de courage, mademoiselle ; cette fois est la der-

nière, mais la marche que nous avons à faire est longue, héris-

sée de dangers ; il nous faut partir à l’instant.

– Et si je refusais de vous suivre ? reprit-elle avec hauteur.

– Je serais, à mon grand regret, forcé de vous y contrain-

dre, mademoiselle, répondit Télémaque d’une voix à l’accent de

laquelle il n’y avait pas à se méprendre.

– Oui, voilà les procédés généreux dont vous faites un si bel

étalage, et le respect dont vous prétendez ne jamais vous écarter

envers moi, monsieur.

Télémaque et les nègres étaient de plus en plus inquiets ;

ils sentaient qu’un danger s’approchait ; ils jetaient autour d’eux

– 17 –

des regards anxieux ; le bruit que déjà ils avaient entendu se

renouvelait plus intense et semblait être beaucoup plus rappro-

ché de leur campement.

Le mulâtre fronça le sourcil.

– Mademoiselle, dit-il froidement mais nettement, voulez-

vous, oui ou non, consentir à nous suivre ?

– Non, dit-elle avec force.

– Vous y êtes bien résolue ?

– Oui !

– Alors, excusez-moi, mademoiselle, et n’imputez qu’à

vous-même ce qui arrive. Je suis obligé d’exécuter les ordres

que j’ai reçus. Faites, vous autres !

En moins d’une minute, la jeune fille fut enveloppée dans

son hamac, solidement garrottée, sans cependant qu’on lui fit le

moindre mal et deux nègres s’emparèrent d’elle après que Té-

lémaque lui eût enveloppé la tête d’un voile de gaze qui, sans

gêner la respiration, l’empêchait cependant de voir.

– Il était temps, murmura le mulâtre en passant la main

sur son front inondé d’une sueur froide. Allons, en route, vive-

ment ! Ne voyez-vous donc pas que nous sommes suivis ? ajou-

ta-t-il avec colère.

Les nègres ne se firent pas répéter deux fois cet avertisse-

ment ; ils disparurent sous les taillis.

Presque aussitôt les branches s’écartèrent, et deux hom-

mes, précédés d’une meute de chiens ratiers, firent irruption

dans la clairière.

– 18 –

Ces deux hommes étaient le Chasseur et le sergent Ivon

Kerbrock, dit l’Aimable.

Les chiens allaient et venaient le nez à terre, sentant et fu-

retant dans toutes les directions.

– Ils ont campé ici, dit le Chasseur ; à peine sont-ils partis

depuis cinq minutes.

– Nonobstant, comment pouvez-vous savoir cela, vieux

Chasseur ? répondit le sergent.

L’Œil Gris haussa les épaules.

– Regardez le feu, dit-il.

– Je le vois, vieux Chasseur, même qu’il me semble ardent ;

mais, peu n’importe.

– Eh bien ? vous ne comprenez pas ?

– Parbleure ! je comprends que c’est un feu, et que proba-

blement, il ne s’est pas allumé tout seul ; peu n’importe

d’ailleurs par qui il a été allumé.

– Au contraire, cela importe beaucoup ; les hommes qui

l’on allumé se sentaient suivis de si près qu’ils sont partis sans

prendre la peine de l’éteindre.

– Au fait, que je considère que vous avez subrepticement

raison ; les moricauds ont filé en nous entendant venir.

– Grâce à vous, qui faites en marchant un bruit d’enfer ;

sans cela nous les surprenions.

– 19 –

– Ah dame ! camarade, que j’entrevois du vrai dans ce que

vous dites ; les routes sont si mal entretenues dans ces parages

déserts et sauvages, qu’il est très difficile, foncièrement parlant,

pour un homme civilisé, de les parcourir sans se casser les reins.

Le Chasseur se mit à rire.

– Êtes-vous fatigué ? lui demanda-t-il.

– Moi, un ancien de la Moselle, fatigué ? Jamais ! vieux

Chasseur !

– Alors reprenons la chasse ; voyez, les chiens sont in-

quiets.

– Pauvres petites bêtes, elles ont, sans vous commander,

beaucoup plus d’intelligence que bien des gens que je connais ;

que peu n’importe de qui je parle.

– En effet, cela ne fait rien. Partons-nous sergent ?

– Un modeste instant ; simplement pour allumer Juliette.

– Qu’est-ce que c’est que cela, Juliette ?

– C’est ma pipe, vieux Chasseur.

– Êtes-vous fou ? Allumer votre pipe ? Il ne manque plus

que cela pour nous faire découvrir.

– De vrai ?

– Pardieu ! vous devez le comprendre.

– Sacrebleure ! En voilà, par exemple, un chien de métier,

qu’on ne peut pas tant seulement griller une bouffarde à sa

– 20 –

convenance ; peu n’importe, il me payera ce désagrément fasti-

dieux plus cher qu’à la cantine, le premier qui me tombera des-

sous la patte.

Et le sergent serra sa pipe d’un air tragique.

– Tombons dessus en double et pinçons-les le plus tôt pos-

sible ! ajouta-t-il ; je fumerai ensuite ; peu n’importe ce qui sur-

viendra.

– Allons ; mes bellots ! allons, en chasse ! dit le Chasseur à

ses chiens.

Ceux-ci partirent aussitôt sous bois ; les deux hommes les

suivirent.

– Surtout, je vous en supplie, sergent, pas un mot, même à

voix basse.

– Sans vous commander, vieux Chasseur, je serai muet

comme un phoque ; as pas peur ! je connais la consigne aussi

bien que quiconque ; voilà qui est dit.

La nuit était complètement tombée, les ténèbres si épaisses

dans ces inextricables fourrés de verdure, qu’à moins de quatre

pas de distance, il était impossible de distinguer le moindre ob-

jet.

Mais à part le danger de se casser le cou à chaque minute

ou de tomber brusquement à la renverse en buttant contre une

racine, ou de se jeter sur un arbre placé par hasard en travers du

passage, il était impossible de s’égarer ; les nègres ne pouvaient

dissimuler leurs traces, car ils étaient eux-mêmes contraints de

tracer leur chemin au milieu de cet impénétrable fouillis, la ha-

che à la main ; ceux qui venaient ensuite n’avaient plus qu’à sui-

vre cette voie.

– 21 –

Cependant plus les deux hommes avançaient, plus la forêt

s’éclaircissait ; les buissons et les halliers se faisait moins serrés,

les arbres s’écartaient à droite et à gauche : selon toutes les pro-

babilités, ils n’allaient pas tarder à déboucher dans la savane à

la grande satisfaction du sergent Kerbrock dont la marche

n’était qu’une suite de culbutes, plus ou moins risquées ; ce qui,

malgré les observations réitérées du Chasseur, lui faisait pous-

ser des exclamations retentissantes qui s’entendaient au moins

à cent pas à la ronde.

Tout à coup ils se trouvèrent sur une déclivité assez rapide :

la forêt ne présentait plus alors qu’un bois assez facile à traver-

ser ; au bout d’un instant, ils émergèrent sur une savane im-

mense couverte de bruyères assez hautes au milieu de laquelle,

à une portée de fusil à peu près devant eux, ils virent bondir,

comme une bande de daims effarouchés, les ombres noires des

marrons que depuis si longtemps, ils suivaient à la piste.

Ils avaient descendu ainsi, sans s’en douter, jusqu’à deux

cents mètres au plus du rivage de la mer, et ils se trouvaient à

une assez courte distance des retranchements du Galion.

Le Chasseur comprit aussitôt la tactique des noirs ; avant

un quart d’heure, abrités par les fortifications du fort Saint-

Charles, où maintenant il était évident pour lui qu’ils se ren-

daient, ils lui échappaient sans retour.

Il redoubla d’efforts et courut avec une rapidité extrême,

suivi pas à pas par le sergent qui se piquait d’honneur et préfé-

rait de beaucoup cette course plate à travers la savane, à celle si

désagréablement accidentée que, pendant de longues heures, il

avait faite dans la forêt.

Les nègres, embarrassés par la jeune fille qu’ils étaient

contraints de porter sur leurs épaules, perdaient peu à peu du

– 22 –

terrain, malgré l’agilité avec laquelle ils dévoraient l’espace ; ils

sentaient l’ennemi sur leurs pas.

– Y sommes-nous ? Demanda tout à coup l’Œil Gris sans

ralentir sa course.

– Parbleure ! répondit le sergent, toujours courant.

– Alors, en joue, et visons bien : Feu !

Les deux coups éclatèrent à la fois.

Sans s’être communiqué leurs intentions, les deux hommes

avaient visé les noirs porteurs du hamac.

Les pauvres diables roulèrent foudroyés sur le sol.

Deux autres remplacèrent aussitôt les morts ; et la fuite re-

commença, plus rapide et plus échevelée que jamais.

Cependant, ces deux coups de feu avaient donné l’éveil tout

le long de la ligne ; maintenant c’était à travers une fusillade

soutenue que les fugitifs étaient obligés de passer.

Bientôt, des cinq hommes, deux seulement restèrent de-

bout.

Ils continuèrent à pousser hardiment en avant.

À ce moment, une violente canonnade éclata sur les para-

pets du fort, et de nombreuses troupes de révoltés sortis par

deux poternes secrètes se ruèrent, la baïonnette en avant, sur les

glacis.

– 23 –

Il y eut alors une mêlée sanglante et acharnée entre les as-

siégeants et les assiégés ; mêlée d’autant plus terrible qu’elle

avait lieu dans les ténèbres et à l’arme blanche.

Le Chasseur et le sergent n’avaient point abandonné la

poursuite des noirs de Télémaque.

Tout en courant, ils avaient rechargé leurs armes, et malgré

les péripéties du combat dont les glacis étaient en ce moment le

théâtre, ils n’avaient pas perdu de vue une seconde ceux que

depuis si longtemps ils chassaient ; deux nouveaux coups de feu

éclatèrent ; l’un des deux derniers nègres tomba comme une

masse, le second chancela, mais, par un effort suprême de vo-

lonté, se raidissant contre là douleur et réunissant toutes ses

forces, il enleva le hamac, le jeta résolument sur son épaule et

recommença à fuir.

Soudain, sans qu’il pût se rendre compte de la façon dont

cela était arrivé, il reconnut avec effroi que ses deux ennemis

étaient près de lui, qu’ils se tenaient à ses côtés.

Il y eu, de part et d’autre, une seconde d’hésitation, puis

comme d’un commun accord, les deux hommes fondirent, la

baïonnette en avant, sur le nègre.

Il leur fit bravement tête.

Les deux baïonnettes s’étaient enfoncées à la fois dans son

dos et dans sa poitrine.

Cependant par un effort surhumain, il posa son lourd far-

deau à terre, et saisissant, malgré sa double blessure, son fusil

par le canon, il le brandit au-dessus de sa tête en criant d’une

voix vibrante :

– À moi, Ignace ! à Télémaque !

– 24 –

– Ah ! chien marron ! s’écria le Chasseur en redoublant ses

coups.

– À moi, Ignace ! à moi ! cria de nouveau le mulâtre en por-

tant au sergent Kerbrock un coup d’assommoir terrible que ce-

lui-ci évita à moitié, mais qui cependant le fit rouler sûr le sol.

En ce moment, une foule de révoltés se rua de ce côté,

ayant le capitaine Ignace à leur tête.

– Ah ! tu ne m’échapperas pas, cette fois ! je te tuerai,

chien ! s’écria le Chasseur exaspéré par la chute de son compa-

gnon.

Et d’un dernier coup de baïonnette, il cloua le mulâtre sur

le sol.

Mais le fruit de sa victoire lui échappa.

Seul, et n’ayant en main que son fusil déchargé, au moment

où il se baissait pour s’emparer du hamac, il fut brusquement

repoussé par le capitaine Ignace qui enleva le précieux fardeau

sur ses puissantes épaules.

Le Chasseur fut, malgré lui, contraint de reculer devant la

masse des révoltés qui se précipitaient sur lui.

Mais il ne voulut pas abandonner son pauvre compagnon à

la barbarie des noirs ; il le chargea sur ses épaules, et alors seu-

lement il consentit à rétrograder, mais pas à pas, comme un lion

vaincu, et sans cesser de faire face à ses ennemis.

Il est vrai que ceux-ci ayant atteint le but qu’ils se propo-

saient, c’est-à-dire s’emparer de la jeune fille, ne poussèrent pas

– 25 –

la sortie plus loin au contraire, ils regagnèrent en toute hâte le

fort, sous la protection de leurs canons, tirant à pleine cible.

– 26 –

II

question

Le premier soin du Chasseur, après s’être ouvert passage à

travers les rangs des révoltés et avoir, à grand’peine, regagné les

lignes de l’armée française, avait été de porter le sergent Ivon

Kerbrock à l’ambulance.

Le sergent avait bientôt repris connaissance ; les parbleure

et les sacrebleure s’échappaient de ses lèvres avec une volubilité

et un retentissement de bon augure pour sa prochaine guérison.

Cependant la crosse du fusil de Télémaque, en retombant

sur sa tête, la lui avait horriblement fendue.

Mais une tête cassée, ce n’est rien pour un Breton, et le ser-

gent Ivon Kerbrock soutenait avec cet entêtement et cet aplomb

particuliers aux fils de la vieille Armorique, que le mulâtre

n’était qu’un maladroit, que son coup de massue n’était qu’une

égratignure et que lespen-basdes gars de Landivisiau, pays qui

lui avait donné le jour, faisaient de bien autres blessures, lors-

qu’ils se chamaillaient après boire et se rossaient de bonne ami-

tié ; que cela n’était rien du tout, et que dès qu’il aurait bu un

verre d’eau-de-vie, il serait parfaitement en état de suivre son

compagnon, dont il ne voulait pas se séparer et à qui il devait la

vie.

Le Chasseur eut une peine énorme à l’empêcher de mettre

cette folle résolution à exécution ; il ne fallut rien moins que la

– 27 –

toute-puissante intervention du chirurgien-major de l’armée,

pour que l’entêté Breton consentît à se laisser panser, et que le

Chasseur réussit à se débarrasser de lui ; mais ce ne fut que

lorsqu’il eut solennellement promis qu’il reviendrait près de lui

le lendemain matin, dès le point du jour, pour lui faire quitter

l’ambulance et l’emmener.

Enfin, après avoir amicalement pressé la main du sergent

qui lui dit avec émotion :

– Sacrebleure ! vieux Chasseur, que peu n’importe, que

vous êtes un vrai homme !

L’Œil Gris s’était éloigné en toute hâte.

Il voulait se rendre à la Basse-Terre, où il avait appris par

hasard d’un officier, que M. de la Brunerie, après avoir confié la

défense de sa plantation à M. David, son commandeur, s’était

retiré aussitôt après l’enlèvement de sa fille, afin de se concerter

avec le général Richepance sur les moyens à employer pour re-

trouver les traces de son enfant et la reprendre à ses ravisseurs.

C’était le planteur que le chasseur voulait voir.

Celui-ci était bien connu de tous les soldats de l’armée

française dont il lui fallait traverser les lignes ; il leur avait servi

de guide pendant leur trajet de la Pointe-à-Pître aux Trois-

Rivières, aussi lui fournit-on avec empressement tous les ren-

seignements qu’il demanda sur l’arrivée de La Brunerie ; per-

sonne ne s’opposa à son passage, et il arriva à la Basse-Terre

sans avoir été inquiété.

Il était environ neuf heures et demie du soir, lorsque il

Chasseur pénétra dans la ville.

– 28 –

La poursuite obstinée à laquelle il s’était livré contre les ra-

visseurs de Renée de la Brunerie, en contraignant ceux-ci à

chercher le plus promptement possible un refuge dans la forte-

resse, avait donné l’éveil au camp, et obligé le capitaine Ignace,

qui s’était tout de suite douté de ce qui se passait au dehors, à

brusquer la sorties sans cet incident imprévu, elle n’aurait pas

eu lieu avant dix heures, ainsi que, dans la forêt, Pierrot en avait

prévenu Télémaque.

Où étaient maintenant Pierrot et Télémaque, ces séides si

fidèlement dévoués au capitaine Ignace ? Étendus morts sur les

glacis du fort Saint-Charles ; tués par l’implacable Chasseur,

comme l’avaient été avant eux leurs autres compagnons.

Mais cela importait peu au capitaine, puisque son expédi-

tion avait réussi et qu’il tenait enfin la Jeune fille en son pou-

voir.

Le général Richepance, d’après l’invitation faite par

M. de la Brunerie lui-même, lorsqu’ils avaient été présentés l’un

à l’autre à la Pointe-à-Pître, s’était installé sur la place Nolivos,

dans la magnifique maison appartenant au planteur.

Peut-être, sans oser se l’avouer à lui-même, le général Ri-

chepance espérait-il que M. de la Brunerie, pendant le temps

que dureraient les troubles se retirerait à la Basse-Terre en

compagnie de sa fille, et qu’il aurait alors l’occasion de voir, plus

sauvent qu’il ne l’avait pu jusque-là, celle qu’il aimait si ardem-

ment et de lui faire sa cour.

Le général avait même écrit au planteur, en lui envoyant un

détachement de soldats, une lettre dans laquelle il l’engageait

fortement, par prudence, à ne pas persévérer dans son intention

de défendre en personne la Brunerie, contre les attaques proba-

bles des insurgés.

– 29 –

Mais M. de la Brunerie, après avoir pris connaissance de la

lettre du général qui lui avait été remise par le lieutenant Du-

bourg, y avait répondu immédiatement par une lettre dans la-

quelle il disait en substance que, tout en remerciant chaleureu-

sement le général du bon conseil qu’il lui donnait et du secours

qu’il lui envoyait, malheureusement il ne pouvait le suivre ; plu-

sieurs planteurs de ses voisins étant venus chercher un refuge à

la Brunerie, il devait, par convenance, demeurer au milieu

d’eux ; non seulement pour, leur rendre le courage qu’ils avaient

perdu, mais encore, ce qui était beaucoup plus grave, pour

s’acquitter envers ses amis et voisins malheureux de ces devoirs

d’hospitalité considérés dans toutes les colonies, comme telle-

ment sacrés que nul, sous peine d’infamie, n’oserait se hasarder

à s’y soustraire.

Le général Richepance ne voulut point insister ; mieux que

personne il comprenait la valeur de telles raisons, mais son es-

poir si tristement déçu, le rendit d’autant plus malheureux que

sa position exigeait qu’il cachât son chagrin au fond de son

cœur, et qu’il montrât un visage froid et impassible aux regards

curieux et surtout scrutateurs des envieux et des ennemis dont il

était entouré.

Aussi fut-ce avec une surprise extrême que, le jour dont

nous parlons, vers onze heures du matin, le général vit arriver à

l’improviste M. de la Brunerie, seul, à la Basse-Terre.

lle

Le général, fort inquiet de ne pas voir M de la Brunerie,

s’informa aussitôt de la jeune fille auprès du planteur.

Alors M. de la Brunerie, avec des larmes de désespoir, lui

rapporta dans leurs plus grands détails les événements affreux

dont, le jour précédent et la nuit suivante, son habitation avait

été le théâtre et l’enlèvement audacieux de sa fille.

– 30 –

En apprenant ainsi, d’une façon si subite, cette nouvelle

terrible à laquelle il était si loin de s’attendre, le général fut at-

terré ; sa douleur fut d’autant plus grande qu’il était contraint

d’avouer son impuissance à tirer une vengeance immédiate de

ce rapt odieux, et à venir en aide à ce père accourant vers lui,

plein d’espoir, pour lui demander secours et protection contre

les lâches ravisseurs de sa fille.

Mais ces ravisseurs, quels étaient-ils ? Dans quel but

avaient-ils enlevé Renée de la Brunerie ? Où l’avaient-ils

conduite ?

À ces questions terribles, ni le père, ni le général ne sa-

vaient que répondre ; ils ne pouvaient que confondre leurs lar-

mes et attendre.

Attendre en pareille circonstance est un supplice cent fois

plus affreux que la mort !

Ce supplice, ils le subissaient, et ils courbaient la tête avec

désespoir, sans qu’il leur fût possible de prendre une détermina-

tion quelconque, puisqu’ils ne possédaient aucun renseigne-

ment pour guider leurs recherches.

Une seule lueur apparaissait pour eux dans ces ténèbres

épaisses ; lueur bien faible à la vérité, mais suffisante cependant

pour leur rendre un peu d’espoir.

Car l’homme est ainsi fait, et Dieu l’a voulu pour que sa

créature supportât, sinon avec courage, du moins avec résigna-

tion, la vie, ce pesant fardeau, qui, sans cela, accablerait ses fai-

bles épaules, que dans ses plus cuisantes douleurs, l’espoir res-

tât comme un phare au fond de son cœur, pour lui donner la

force nécessaire de suivre cette route ardue, accomplir ce travail

de Sisyphe qu’on nomme la bataille de la vie ; combat terrible et

– 31 –

sans merci où levae victisest appliqué avec une si implacable

dureté.

Cet espoir qui soutenait en ce moment le général et le plan-

teur, reposait entièrement sur le dévouement sans bornes et

tant de fois éprouvé de l’Œil Gris ; cet homme mystérieux qui

s’était, pour ainsi dire, constitué de sa propre autorité le gardien

de la jeune fille.

Immédiatement après l’enlèvement, le Chasseur s’était mis

à la poursuite des ravisseurs ; il avait juré qu’il les retrouverait,

et jamais il n’avait failli à sa parole.

Tout, pour les deux hommes, se résumait donc, ainsi que

nous l’avons dit plus haut, dans ce seul mot, d’une si désolante

logique ; attendre !

Le général, rentré tard dans la soirée d’une visite assez lon-

gue faite aux travaux de siège, par lui poussé avec cette ardeur

qu’il mettait à toutes choses, achevait à peine de dîner ; il avait

congédié les officiers de son état-major et ses aides de camp et

venait, en compagnie de M. de la Brunerie, de quitter la salle à

manger et de passer au salon, lorsqu’un domestique lui annonça

qu’un homme assez pauvrement vêtu, mais se disant batteur

d’estrade de l’armée républicaine, insistait pour être introduit

auprès du général Richepance, auquel, disait-il, avait

d’importantes communications à faire.

Richepance, occupé à s’entretenir avec M. de la Brunerie

sur les mesures qu’il avait jugé nécessaire de prendre pour la

découverte des ravisseurs de la jeune fille, et fort contrarié

d’être ainsi dérangé, en ce moment surtout, car il était près de

dix heures, demanda d’un air de mauvaise humeur certains ren-

seignements sur cet individu.

– 32 –

– Mon général, répondit le domestique, c’est un grand

vieillard, tout vêtu de cuir fauve ; il porte un long fusil, et a sur

ses talons toute une meute de petits chiens.

– C’est notre ami ! s’écria le planteur avec émotion.

– Faites entrer cette personne, ordonna aussitôt le général.

– Ici, mon général ? s’écria le domestique au comble de la

surprise, en jetant un regard de regret sur les meubles et les ta-

pis.

– Oui, ici, répondit en souriant le général, avec ses chiens

et son fusil ; allez.

Le domestique sortit, stupéfait d’un pareil ordre.

Un instant plus tard, la porte se rouvrit et le Chasseur pa-

rut.

Il salua et demeura immobile au milieu du salon, appuyé

sur son fusil ; ses chiens à ses pieds, selon leur habitude.

– Eh bien ? demandèrent à la fois les deux hommes.

lle

– J’ai retrouvé M Renée de la Brunerie, ainsi que je m’y

étais engagé, messieurs, répondit le Chasseur d’une voix sombre

et presque basse, avec une émotion contenue.

– Enfin ! s’écria avec un mouvement de joie le général dont

le visage s’épanouit.

– Où est-elle ? ajouta le planteur en joignant les mains avec

prière. Parlez, Chasseur, parlez, au nom du ciel !

– 33 –

– Ne vous réjouissez pas à l’avance, messieurs ; votre dou-

leur en deviendrait bientôt plus amère.

– Que voulez-vous dire ? s’écrièrent à la fois les deux

hommes.

lle

– Ce que je dis, messieurs : j’ai retrouvé M de la Brunerie,

cela est vrai ; je sais où elle est. Mais, hélas ! malgré mes efforts

désespérés, et Dieu m’est témoin que j’ai tenté l’impossible pour

la délivrer, je n’ai pu y réussir ; la fatalité était sur moi.

– Mon Dieu ! s’écria douloureusement le planteur.

– Expliquez-vous, au nom du ciel, mon vieux camarade ?

En quel lieu se trouve actuellement cette malheureuse jeune

fille ? ajouta le général.

– Elle est entrée, il y a une demi-heure, dans le fort Saint-

Charles, messieurs.

– Au fort Saint-Charles ?

– Au pouvoir de Delgrès !

– Alors elle est perdue !

– Oh ! le monstre ! Mais comment ce malheur est-il arrivé,

mon ami ?

– Depuis hier minuit, en compagnie d’un sergent français

nommé Ivon Kerbrock, j’ai suivi pas à pas les ravisseurs sans

prendre une heure de sommeil, un instant de repos ; marchant à

travers les sentes inextricables d’une forêt vierge, au milieu de

laquelle ces misérables s’étaient réfugiés, au coucher du soleil,

j’ai failli surprendre leur campement ; j’arrivai cinq minutes à

peine après leur départ ; je continuai sans me décourager cette

– 34 –

chasse à l’homme ; la forêt traversée, ils entrèrent dans la sa-

vane. Le sergent Kerbrock et moi, nous les voyions détaler de-

vant nous avec la rapidité de daims effarés, emportant sur leurs

épaules la jeune fille garrottée dans un hamac.

– Ma pauvre enfant ! s’écria le planteur en cachant dans

ses mains son visage inondé de larmes.

– Continuez, continuez, mon brave ? dit le général d’une

voix nerveuse.

– Ils étaient six hommes résolus répondit le Chasseur, nous

n’étions que deux, et pourtant la chasse continua, implacable,

acharnée ; les ravisseurs couraient vers le Galion ; de deux

coups de fusil, deux rebelles tombèrent, tués raides ; les autres

redoublèrent de vitesse ; leurs efforts étaient prodigieux, déses-

pérés ; ils se sentaient perdus et pourtant ils ne s’arrêtaient pas ;

cependant nous gagnions du terrain, l’alarme avait été donnée

par les coups de feu ; toute la ligne des retranchements était

illuminés par une fusillade incessante, trois autres nègres furent

tués ; un seul restait debout, il se chargea résolument du far-

deau que ses compagnons avaient été contraints d’abandonner ;

celui-là était un mulâtre nommé Télémaque, le plus déterminé

de tous ; le chef, probablement, de cette sinistre expédition ; il

avait, sans doute, des intelligences dans la place ; il était atten-

du, car il courut droit au fort en appelant à l’aide ; ses cris furent

entendus des rebelles, ils se ruèrent à son secours ; il y eut alors

une mêlée terrible sur les glacis même du fort ; le sergent et moi

nous poussions toujours en avant sans rien voir, sans rien en-

tendre ; Télémaque fut éventré de deux coups de baïonnette par

le sergent et par moi ; mais je vous le répète, l’appel de cet

homme avait été entendu ; en tombant sous nos coups, le mulâ-

tre avait, par un effort suprême, renversé le sergent, le crâne

fendu ; j’eus un instant l’espoir de sauver la jeune fille ; hélas !

cet espoir n’eut que la durée d’un éclair ; un gros de rebelles

fondit sur moi comme une bande de loups furieux ; la jeune

– 35 –

fille, enlevée dans les bras du capitaine Ignace, fut emportée

dans le fort sans que je réussisse à m’y opposer. Je voulais vivre

pour me venger ; je chargeai le pauvre sergent sur mes épaules,

et, la rage dans le cœur, je me résignai à reculer devant ces mi-

sérables, mais sans cesser de combattre ; je pris à peine le temps

de déposer mon brave camarade à l’ambulance, et je suis accou-

ru ici. Voilà tout ce qui s’est passé mon général. Voilà ce que j’ai

fait, monsieur de la Brunerie ; un homme ne pouvait, je crois,

faire davantage.

– Non ! Oh ! non ! s’écria le général avec élan.

– Je vous remercie du fond du cœur, dit tristement le plan-

teur. Hélas ! si vous, si brave, si dévoué, vous n’avez pas réussi à

sauver ma pauvre enfant, c’est qu’elle ne devait pas l’être ! Mon

Dieu ! mon Dieu !

Il y eut un assez long silence, pendant lequel on n’entendait

que les sanglots étouffés de M. de la Brunerie.

Le Chasseur se tenait toujours, froid et impassible en appa-

rence, debout et immobile au milieu de la pièce.

Le général réfléchissait.

– Que faire ? murmura-t-il avec découragement au bout

d’un instant ; tout nous échappe.

– Il nous reste un espoir, dit le Chasseur.

– Un espoir ? s’écria vivement le général.

– Oui, mon général ; je veux tenter un moyen suprême ; je

réponds presque du succès.

– 36 –

– Parlez vite, mon ami, de quoi s’agit-il ? Puis-je vous êtes

bon à quelque chose ?

– Certes, mon général, car l’exécution du projet que j’ai

formé dépend de vous seul.

– Oh ! alors, s’il en est ainsi, soyez tranquille, mon brave,

vous pouvez compter sur moi ; et, maintenant, dites-moi fran-

chement ce que vous comptez faire.

– Une chose bien simple, mon général ; je veux, demain,

me présenter en parlementaire aux rebelles, et cela de votre

part.

– Vous feriez cela ?

– Je le ferai, je l’ai résolu.

– Folie !… murmura le planteur qui avait relevé la tête et

écoutait anxieusement.

– Peut-être ! répondit le Chasseur. Me permettez-vous de

faire cette dernière tentative, mon général ?

– Vous avez ma parole, mon Brave ; seulement il est de

mon devoir de vous faire observer que les rebelles ont déclaré

que tout parlementaire serait considéré comme espion et im-

médiatement fusillé par eux.

– J’ai fait toutes ces réflexions, mon général.

– Et malgré ce danger terrible, imminent, suspendu sur vo-

tre tête, vous persistez ?

– 37 –

– Je persiste, oui, mon général ; il serait oiseux d’insister

davantage sur ce sujet ; de plus, je vous le répète, je réponds

presque du succès de cette tentative.

Le général Richepance se leva sans répondre ; il fit quel-

ques tours de long en large dans le salon, marchant avec agita-

tion et en proie à une émotion d’autant plus violente qu’il es-

sayait de la renfermer en lui.

Au bout de quelques instants il s’arrêta enfin devant le

Chasseur, dont le regard interrogateur suivait ses mouvements

avec inquiétude.

– Mon ami, lui dit-il d’une voix profonde, vous n’êtes pas

un homme ordinaire ; il y a en vous quelque chose de grand et

de simple à la fois que je ne puis définir ; je ne vous connais que

depuis bien peu de temps, mais cela m’a suffi cependant pour

vous apprécier à votre juste valeur ; renoncez, je vous prie, à

cette folle entreprise, qui ne peut avoir pour vous qu’un dé-

nouement terrible ; si grand que soit l’intérêt que je porte à

lle

M de la Brunerie, et Dieu, qui lit dans mon cœur, sait quel ar-

dent désir j’ai de la sauver ! eh bien ! Je ne puis prendre sur moi

la responsabilité d’un pareil acte ; vous laisser ainsi vous livrer à

vos implacables ennemis et vous vouer à une mort inévitable et

horrible.

Le Chasseur hocha tristement la tête.

– Mon général, répondit-il avec une émotion contenus, je

vous rends grâce pour le grand intérêt que vous daignez témoi-

gner à un pauvre diable tel que moi ; mais à quoi suis-je bon sur

cette terre, où je pèse depuis si longtemps sans profit pour per-

sonne ? À rien. Une occasion se présente de me dévouer pour

une enfant à laquelle j’ai dû la vie dans une circonstance terri-

ble ; laissez-moi, je vous en supplie du fond de mon cœur, payer

à elle, et à son père la dette de la reconnaissance ; peut-être ne

– 38 –

retrouverai-je jamais une aussi belle occasion que celle-ci pour

m’acquitter.

– Mais, malheureux entêté que vous êtes ! s’écria le géné-

ral, qui, sous une feinte colère, essayait de cacher l’émotion ré-

elle qui le gagnait, c’est à la mort que vous marchez !

– Eh ! qu’importe, mon général ? qu’importe que je vive ou

que je sois massacré par ces bêtes féroces, si en mourant j’ai la

joie immense de sauver cette belle et chaste jeune fille et de la

rendre à son père, que le désespoir de sa perte accable d’une

douleur que seul son retour pourra consoler ?

– Je vous en supplie, mon ami, n’insistez pas davantage

pour obtenir ce consentement que je ne veux et que je ne dois

pas vous donner.

– J’insiste et j’insisterai, au contraire, de toutes mes forces,

mon général, car il faut que vous m’accordiez ce que je vous

demande.

– Jamais ! s’écria le général Richepance d’une voix ferme.

Il y eut un nouveau silence.

Le général avait repris sa promenade saccadée à travers le

salon ; M. de la Brunerie pleurait ; Le Chasseur semblait préoc-

cupé.

Le général Richepance l’examinait à la dérobée.

– Voyons, dit-il au bout d’un instant, en revenant à lui,

toute question a deux faces, n’est-ce pas ?

– On le dit, mon général, répondit distraitement le Chas-

seur.

– 39 –

– Essayons de tourner la difficulté.

– Je le veux bien, mon général. À mon humble avis, il n’y a

lle

que deux moyens de sauver M Renée de la Brunerie.

– Ah ! vous le voyez, mon ami, vous reconnaissez vous-

même qu’il existe un autre moyen de sauver cette malheureuse

jeune fille que celui que vous me proposez.

– Je vous demande pardon, mon général ; mais je n’ai ja-

mais prétendu le contraire.

– Voyons donc ce moyen, mon brave ; je suis convaincu à

l’avance qu’il est excellent.

– Il est excellent, en effet, mon général, répondit le Chas-

seur avec une pointe imperceptible d’ironie ; mais je vous

confesse que je le crois d’une exécution très difficile.

– La difficulté n’est rien, mon ami, c’est la réussite qui im-

porte. Voyons, de quoi s’agit-il ?

– Tout simplement d’enlever cette nuit même le fort Saint-

Charles par un coup de main, et cela si brusquement, que les

rebelles, poussés l’épée dans les reins et contraints de fuir en

toute hâte, n’aient point le temps, avant d’évacuer le fort,