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Très usité dans la vie des affaires, et notamment dans les rapports entre un associé et sa société,
le compte courant est une figure aux multiples facettes soulevant de nombreuses questions, tant en ce qui concerne sa nature juridique que ses implications fiscales ou encore comptables.
Au travers de l’expérience de praticiens, avocats, experts-comptables, conseillers juridiques et membres de l’administration fiscale, cet ouvrage propose d’éclaircir ces questions en mettant l’accent sur les pièges à éviter dans la tenue d’un compte courant entre un associé ou dirigeant et sa société, et en particulier sur les points suivants :
• les aspects juridiques du compte courant ;
• les questions qu’il soulève en matière d’impôt des personnes physiques ;
• les implications fiscales de certaines opérations comptables en relation avec le compte courant ;
• le compte courant et la TVA ;
• les aspects comptables du compte courant.
Cet ouvrage s’adresse aux praticiens (réviseurs, experts-comptables, comptables, avocats, juristes d’entreprise, notaires, conseillers fiscaux et autres professionnels du chiffre) et aux dirigeants de sociétés, qui, en tant que conseillers ou titulaires de comptes, sont confrontés au fonctionnement des comptes courants, et ce sur le territoire belge.
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Seitenzahl: 407
Veröffentlichungsjahr: 2015
Aspects juridiques, fiscaux et comptables
Sous la direction de Marc BOURGEOIS et Xavier PACE
Marc BOURGEOIS Giuseppina CAPODICI Yves DEWAEL Déborah GOL Luc HERVE Wilfried NIESSEN Xavier PACE Vincent SEPULCHRE
© 2013, Anthemis s.a. Place Albert I, 9, B-1300 Limal Tél. 32 (0)10 42 02 90 - [email protected] - www.anthemis.be
Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit, réservées pour tous pays.
Dépôt légal : D/2013/10.622/70 ISBN : 978-2-87455-785-9
Mise en page : MC Compo ePub : ebookme
Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Introduction
Marc BOURGEOISet Xavier PACE
Les comptes courants d’associés : questions choisies en droit commercial et en droit des sociétés
Déborah GOL
De quelques questions juridiques propres à l’impôt des personnes physiques
Luc HERVE
Implications fiscales de quelques opérations comptables en relation avec le compte courant
Yves DEWAEL
Le compte courant et la T.V.A.
Vincent SEPULCHRE
Les aspects comptables du compte courant
Wilfried NIESSENet Giuseppina CAPODICI
1. Le présent ouvrage reprend les actes du colloque sur le compte courant dans la vie des affaires qui s’est tenu le 7 mars 2013 à Liège sous l’égide du Tax Institute de l’Université de Liège.
Le choix du thème peut de prime abord surprendre.
Dans son Vocabulaire juridique, Gérard Cornu définit le compte courant comme un «compte usité dans les relations commerciales et financières représentant les rapports existant entre deux personnes qui, effectuant l’une avec l’autre des opérations réciproques, conviennent de fusionner les créances et les dettes résultant de ces opérations en un solde au régime unitaire».
2. Pourquoi un colloque puis un ouvrage sur le compte courant?
L’initiative part du constat que beaucoup de praticiens ont une vision simplifiée et imparfaite de la notion de compte courant. Pour beaucoup d’entre eux, l’expression «compte courant» renvoie au «compte courant d’associé» et n’est rien d’autre qu’un instrument pour gérer les flux réciproques entre un actionnaire et sa société, ou encore, entre un dirigeant et la personne morale qu’il administre.
En droit, les choses sont plus complexes. Il y a le «contrat de compte courant», véritable contrat doté de caractéristiques propres et exorbitantes du droit commun, que l’on distingue du simple «compte d’associé», qui constitue une pure inscription comptable, n’engendrant pas les effets juridiques associés au contrat de compte courant à proprement parler.
Il est frappant de constater à quel point cette distinction est aujourd’hui mal maîtrisée, en ce compris en doctrine, et, par là-même, source de confusions.
À certains égards, le compte d’associé ouvre la porte aux abus les plus divers, fiscaux notamment.
3. Les études ici proposées sont axées sur la pratique. Les auteurs sont tous des praticiens de la fiscalité et du droit des affaires – avocats, inspecteur d’administration fiscale, comptable fiscaliste ou encore consultant.
La première contribution, rédigée par Déborah Gol, avocate et assistante à l’ULg, offre une comparaison stimulante et critique du contrat de compte courant d’une part, et du compte d’associé d’autre part. Cet exercice de caractérisation permet de cerner plus précisément les contours de ce dernier, de dresser son environnement juridique et de traiter ensuite un certain nombre de questions épineuses relatives aux rapports entre les comptes d’associé et le capital social, ainsi qu’aux limites qui s’attachent à l’usage de tels comptes. Sur ces deux derniers points, l’auteur inscrit son raisonnement dans deux courants distincts: en premier lieu, une tendance à l’effacement de la dichotomie traditionnelle entre la créance et l’apport, qui s’observe tout particulièrement dans le cadre du contentieux des entreprises en difficulté; en second lieu, une tendance à maintenir cette dualité au regard de questions qui touchent aux rapports entre l’associé et sa société et, en particulier, à la faculté pour le premier de se comporter, à l’égard de la seconde, comme n’importe quel créancier.
Viennent ensuite deux études respectivement signées par Luc Herve et Yves Dewael, consacrées à l’examen de questions diverses en matière d’impôts sur les revenus. Les auteurs revisitent des thématiques classiques, telles que, en lien avec les comptes courants créditeurs, la requalification des intérêts des avances en dividendes ou la notion d’«attribution», ou, en lien avec les comptes courants débiteurs, la question de l’abandon par la société d’un compte courant de ce type, ou encore, la compensation entre intérêts créditeurs et intérêts débiteurs. L’analyse fiscale est systématiquement complétée par l’exposé du traitement comptable. En fin de compte, la somme des réflexions d’un avocat fiscaliste et d’un inspecteur principal attaché au S.P.F. Finances aboutit à un état des lieux à la fois équilibré, critique et stimulant.
Vincent Sepulchre envisage le compte courant dans les rapports entre l’assujetti à la T.V.A. et l’administration fiscale. Plusieurs questions sont revisitées, dont, notamment, la compensation entre T.V.A. déductible et T.V.A. due au Trésor, ou encore, la nature et la légalité des comptes spéciaux et des amendes prévues.
Enfin, Wilfried Niessen et Giuseppina Capodici se concentrent sur les aspects comptables et analysent tour à tour les comptes à mouvementer dans la comptabilité, les principales pièces justificatives et le mode d’enregistrement en comptabilité. Les auteurs ont en permanence le souci de mettre en garde contre les erreurs souvent commises en comptabilité.
Au final, l’objectif de l’ouvrage n’est pas de finaliser la discussion relative à la nature, au fonctionnement et aux effets du compte courant au sens large, mais plutôt de l’entamer, de la stimuler, de la renouveler. Nous espérons que notre initiative répondra aux besoins de la pratique et se prolongera par d’autres recherches à l’avenir.
Marc BOURGEOIS Professeur à l’ULg Directeur du Master complémentaire en droit fiscal de l’ULg Co-président du Tax Institute de l’ULg Co-responsable académique du Certificat en finances publiques (ULg et UCL)
Xavier PACE Avocat au barreau de Bruxelles Assistant à l’ULg
Déborah GOL
Avocate (Matray, Matray & Hallet) Maître de conférences à l’ULg Assistante à l’ULg
1. On rencontre fréquemment, dans les comptes de sociétés, des comptes qualifiés de «comptes courants», ouverts au nom du ou des associés et qui traduisent en termes comptables l’état de leurs dettes et créances à l’égard de la société.
Le compte courant créditeur constate une dette de la société à l’égard de l’associé, qui peut résulter notamment d’avances de trésorerie ou de sommes dues à l’associé à titre, par exemple, de rémunération ou de dividendes, mais laissées à la disposition de la société pour une durée déterminée ou indéterminée. En sens inverse, le compte courant débiteur constate une dette de l’associé envers la société.
2. La doctrine et la jurisprudence majoritaires tendent à considérer que la qualification de compte courant serait juridiquement impropre à ces comptes d’associés2. Ceux-ci ne refléteraient qu’une inscription comptable, loin de ce qu’implique la notion juridique de compte courant (un compte courant au sens juridique du terme est, en effet, un contrat particulier, avec des caractéristiques propres, exorbitantes du droit commun).
La vocation première de la présente contribution est de tenter de resituer la notion de compte d’associé dans son environnement juridique, en commençant par rappeler brièvement ce qu’est un compte courant au sens juridique du terme et dans quelle mesure les comptes d’associés méritent ou non une telle qualification (chapitre 1). Compte tenu des effets qui s’attachent au contrat de compte courant stricto sensu, la question est loin d’être purement théorique.
Dans un second temps, nous nous attacherons à mettre en lumière quelques aspects saillants du régime juridique des comptes d’associés, au regard du droit commercial et du droit des sociétés (chapitre 2) à travers, d’une part, les rapports entre les comptes d’associé et le capital social (section 1) et, d’autre part, les limites éventuelles qui s’attachent à l’usage de tels comptes (section 2).
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1 L’auteur remercie chaleureusement le professeur Nicolas Thirion pour sa relecture attentive et ses précieux conseils.
2 I. URBAIN-PARLEANI, Les comptes courants d’associés, Paris, L.G.D.J., 1986, p. 25, pp. 236 et s.; E. SMIT, « Les comptes d’associés », DA/OR, 1994, n° 34, p. 39; R. TAS, « Vennotenrekening, rekening-courant en compensatie », note sous Gand (7e ch.), 9 novembre 1994, T.R.V., 1995, pp. 326 et s.
CHAPITRE 1
3. D’emblée, il convient de préciser que le contrat de compte courant commercial n’est régi par aucun texte de loi. On s’accorde à lui reconnaître des caractères propres, en refusant de l’assimiler à d’autres contrats de droit civil tels que le mandat ou le prêt. Ses contours restent néanmoins remarquablement flous, tant quant à sa définition qu’à la détermination de ses effets, que la Cour de cassation a refusé de cristalliser, considérant que les «conditions, modalités et effets» du contrat de compte courant sont «librement fixés par les parties et, à défaut, par l’usage»3. Comme le souligne M. Gérard, «la conséquence la plus malheureuse de ces arrêts est d’avoir permis à la jurisprudence d’évoluer à l’abri de la censure de la Cour suprême et d’avoir ainsi contribué à renforcer les incertitudes du régime juridique du compte courant»4.
Il serait donc illusoire de vouloir tracer d’une manière définitive les contours du régime juridique de ce contrat. Nous tenterons néanmoins d’en cerner, dans les lignes qui suivent, les principaux traits majoritairement admis.
4. Le contrat de compte courant est un mécanisme financier conçu par la pratique commerciale pour faciliter les opérations qui s’inscrivent dans un courant d’affaires continu entre deux parties, dont naissent des dettes et créances réciproques.
L’objectif premier de ce mécanisme est de faciliter le règlement des transactions entre les parties; pour «éviter les mouvements de fonds, les envois de numéraire, les formalités qu’exigerait le paiement séparé de chaque créance»5, le contrat de compte courant présente l’avantage de «résoudre en un seul rapport de droit un ensemble de rapports préexistants»6.
En d’autres termes, les parties conviennent de porter dans un compte le résultat des opérations qu’elles feront entre elles et de substituer au paiement séparé de chacune de ces opérations le règlement du solde qui apparaît à la clôture du compte7. Les entrées s’y produisent parallèlement au courant d’affaires entre les parties, ce qui lui a valu son nom. Le compte courant n’a d’utilité économique que s’il s’inscrit dans le cadre d’un «courant d’affaires» entre les parties, ce qui suppose qu’elles concluent entre elles «d’autres opérations juridiques d’où naîtront des créances et des dettes susceptibles d’être portées en compte»8.
Le compte courant suppose donc à tout le moins:
un courant d’affaires entre parties (autrement dit, une opération unique ne peut être qualifiée de compte courant);la réciprocité des «remises» (le compte doit avoir vocation à recevoir des inscriptions de la part des deux parties) etla volonté des parties de régler par ce mécanisme de façon globalisée toutes les créances et dettes qui naissent de leur relation d’affaires.On comprend que ce mécanisme ne se borne pas à faciliter les transactions entre les parties mais a également pour objet et pour effet de les favoriser; pendant la durée de fonctionnement du compte, les parties qui compensent entre elles leurs dettes et créances réciproques se confèrent réciproquement une forme de «privilège sans texte» à l’égard de leurs autres créanciers respectifs.
On peut rencontrer ce contrat dans différentes relations de la vie des affaires: entre un commettant et son commissionnaire, entre une compagnie d’assurances et un courtier, entre un fournisseur et un acheteur habituel, etc.; toutefois, c’est essentiellement dans le domaine des relations bancaires qu’il est utilisé9.
5. La question de savoir par quel mécanisme juridique le contrat de compte courant permet aux parties de parvenir à ce résultat est extrêmement controversée et n’a jamais été définitivement tranchée. En droit belge, on a tenté de caractériser le compte courant par deux types de théories (le premier fondé sur l’effet novatoire du compte courant, le second sur le mécanisme de la compensation), chacun se réclamant au plus près de l’économie du mécanisme (ou du «sentiment du commerçant» selon les termes de M. Piret10).
6. Selon les tenants de la théorie dite «classique», défendue au premier chef par les professeurs Van Ryn et Heenen, le contrat de compte courant est «un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent que les créances et les dettes réciproques naissant de leurs opérations entreront dans un compte, afin d’en faire masse et d’en suspendre la liquidation jusqu’à la clôture du compte. La compensation générale effectuée à ce moment fera apparaître une créance exigible à charge de l’une des parties et au profit de l’autre»11.
7. Il ressort d’abord de cette définition que les remises en compte opèrent novation ou, plus précisément, «quasi-novation», la créance entrée en compte étant éteinte et remplacée non par une créance nouvelle, mais par un article de compte.
L’effet novatoire du compte courant, suivant la théorie classique, entraîne l’extinction de chaque créance individuelle dès son inscription et justifie dès lors, notamment, la perte des caractéristiques propres à chaque créance, parmi lesquelles la prescription particulière à laquelle elle était assujettie12 et les sûretés qui en constituent les accessoires13.
Ensuite, c’est seulement à la clôture du compte que s’opère une compensation générale entre les dettes et créances réciproques, faisant ressortir une créance au profit de l’une des parties contre l’autre14. L’indivisibilité du compte, c’est-à-dire la volonté des parties de globaliser le règlement de leurs dettes et créances réciproques et d’en suspendre la liquidation, emporte donc, selon la théorie classique, l’inexigibilité et l’insaisissabilité du solde provisoire du compte jusqu’à la clôture.
8. C’est essentiellement en réaction à l’effet novatoire attaché par la théorie classique au contrat de compte courant que s’est développée une autre conception du compte courant suivant laquelle il s’agirait plutôt d’«un contrat par lequel deux personnes, en relations d’affaires, décident de ne pas procéder au règlement immédiat de leurs créances réciproques, mais de ne régler que le solde né des compensations successives de ces créances»15.
L’inscription en compte n’opérerait donc pas novation, mais n’aurait d’autre effet que d’établir la créance du remettant et d’en suspendre l’exigibilité jusqu’à la clôture du compte.
9. La théorie dite des compensations continues a, elle aussi, été développée à partir d’une critique de l’effet prétendument novatoire de l’entrée en compte courant, au motif que la novation ne se présume pas, de sorte que rien ne permet, en l’absence de volonté expresse des parties en ce sens, de déduire de la simple inscription en compte des effets aussi substantiellement dérogatoires au droit commun que la renonciation par une partie aux sûretés qui garantissent sa créance ou le consentement du débiteur à substituer une prescription de droit commun à la prescription propre à sa dette16.
Le professeur Nelissen-Grade a dès lors proposé de substituer à la théorie classique et à ses «effets indésirables», tant pour les parties (disparition de la créance et de ses accessoires) que pour les tiers (au rang desquels l’insaisissabilité du solde provisoire), une explication du compte courant selon laquelle les créances ne disparaissent pas par l’effet de leur entrée en compte, mais par compensation avec les créances de l’autre partie, au fur et à mesure de leur inscription.
En conséquence, les créances conservent en principe leurs caractéristiques individuelles tant qu’elles ne disparaissent pas par compensation17, sauf clause dérogatoire expresse. Les créances ne peuvent plus être recouvrées séparément en droit, mais l’indivisibilité du compte doit être tempérée en ce sens que chaque compensation fait certes apparaître un solde provisoire, inexigible entre parties jusqu’à la clôture par l’effet du contrat, mais néanmoins saisissable.
10. On le voit, selon que l’on opte pour l’une ou l’autre de ces théories, les effets du contrat de compte courant peuvent être très différents.
Aucune d’entre elles n’est toutefois parvenue à s’imposer, ce qui ne favorise pas la sécurité juridique.
Cette situation s’explique probablement par la raison qu’«aucune théorie n’est entièrement fausse, mais aucune n’est non plus totalement satisfaisante. C’est peut-être pour cette raison que la théorie classique est toujours retenue par un certain nombre d’auteurs et par la jurisprudence même si cette dernière a adapté cette théorie afin de répondre aux besoins de la pratique»18.
En effet, la jurisprudence des juridictions de fond ne suit que très rarement une des théories dans toutes ses conséquences19. On observe que, si la théorie classique perdure20, ses «effets indésirables» ont été fortement édulcorés21.
11. Selon l’étude de R. Tas, les éléments suivants filtrent de la jurisprudence pour caractériser l’existence d’un compte courant au sens juridique du terme22:
la réciprocité des «remises»23, qui implique que le compte doit avoir vocation à recevoir l’inscription de créances acquises par chacune des parties à l’égard de l’autre. Même s’il arrive que la condition de réciprocité comme élément constitutif d’un contrat de compte courant soit rejetée24 ou atténuée25, on observe néanmoins que la jurisprudence majoritaire26 retient cet élément comme une caractéristique du compte courant et rejette cette qualification s’il apparaît, dans les faits, que les remises ont toujours été ou sont devenues exclusivement à sens unique27;le principe de l’«affectation générale» suivant lequel le compte est, en principe (sauf dérogation expresse), voué à inscrire toutes les créances naissant de la relation entre les parties28. Couplé avec le principe de l’automaticité de l’entrée en compte, il implique que toutes les créances entrent en compte courant dès qu’elles remplissent les conditions pour ce faire, c’est-à-dire qu’elles sont certaines et liquides, ont une cause licite et portent sur des choses fongibles entre elles29, sans qu’une nouvelle manifestation de volonté soit requise. En conséquence, une créance née de la relation d’affaires ne peut être exclue du compte que si les parties en conviennent expressément. Les créances assorties d’un terme ou d’une condition suspensive ne peuvent entrer en compte avant l’échéance du terme ou l’accomplissement de la condition;l’indivisibilité des créances inscrites en compte. Nous avons déjà exposé que l’indivisibilité du compte courant au sens de la théorie classique emporte la conséquence que «[…] les opérations d’un compte courant, se succédant les unes aux autres jusqu’au règlement définitif, forment un tout indivisible qu’il n’est pas permis de décomposer ni de scinder; tant que le compte reste ouvert, il n’y a ni créance ni dette mais seulement des articles de crédit et de débit et c’est par la balance finale que se détermine le solde à la charge de l’un ou l’autre des cocontractants et par conséquent les qualités de créancier et de débiteur, jusque-là en suspens»30. En d’autres termes, avant la clôture du compte qui se réalise au terme fixé par les parties ou, à défaut de terme conventionnel, par la manifestation de volonté d’une partie d’y mettre fin, le compte est insaisissable. Cette caractéristique du compte courant, à laquelle doctrine et jurisprudence continuent de faire largement écho, s’est vue atténuée dans ses effets en vue de remédier au caractère excessif de son application pure et simple31. La Cour de cassation s’est ainsi éloignée de la théorie classique en écartant l’insaisissabilité du solde provisoire32. Le principe de l’indivisibilité n’est pas pour autant nié: de nombreuses décisions confirment que, pour établir l’existence d’un compte courant, on recherchera dans le chef des parties cocontractantes la volonté de considérer entre elles le compte comme un tout indivisible et de suspendre, jusqu’à sa clôture, le règlement de leurs dettes réciproques et d’en opérer le paiement en une seule fois, après la clôture33. Ainsi, le constat de ce que les parties se sont réclamé en fait le paiement de dettes et créances réciproques en dehors de toute considération de clôture de compte conduira à écarter la qualification de compte courant34.12. Les caractéristiques et effets du contrat de compte courant tels qu’ils viennent d’être rappelés montrent que le fait qu’une relation puisse être qualifiée ou non de contrat de compte courant n’est pas sans conséquences pratiques. On citera, entre autres:
la perte des sûretés dès l’entrée en compte, conséquence de l’effet novatoire;l’inexigibilité du solde jusqu’à la clôture du compte;le caractère radicalement original du compte courant, qui ne peut en tant que tel s’assimiler à d’autres formes juridiques, telles que le contrat de mandat ou de prêt;le mécanisme de compensation conventionnelle que réalise le compte courant35.13. Après avoir rappelé les contours de la notion de compte courant au sens juridique, il convient de faire la distinction avec ce qu’il est convenu d’appeler «compte courant» d’associé, c’est-à-dire les comptes ouverts dans la comptabilité des sociétés au nom du ou des associé(s) et qui traduisent, en termes comptables, l’état de leurs dettes et créances à l’égard de la société.
14. La plupart des auteurs considèrent que la qualification de ces comptes d’associés en termes de «comptes courants» serait juridiquement impropre36.
Nous avons vu en effet que, pour qualifier une relation de compte courant au sens juridique du terme, la doctrine et la jurisprudence s’attachent à déterminer si des éléments de fait permettent d’établir que les parties ont eu l’intention d’attacher à leur relation les effets d’un véritable contrat de compte courant.
Or c’est précisément cet élément intentionnel qui fait défaut, selon une tendance majoritaire, dans le chef des associés. Il convient, du reste, de préciser que les comptes d’associés peuvent recouvrir des réalités diverses, telles que des opérations «à sens unique». Un compte d’associé peut, par exemple, ne refléter que la mise à la disposition par l’associé de fonds au profit de la société, à long terme et avec un intérêt stipulé. Dans de tels cas, la notion de compte courant juridique est clairement exclue37.
La recherche de l’intention des associés conduit aussi à rejeter l’assimilation du compte d’associé à un compte courant, fût-ce en cas d’inscriptions réciproques, dès lors que, «si le compte d’associés peut effectivement être comparé au compte courant parce qu’il traduit également l’état des créances et dettes d’un associé à l’égard de la société, il s’en distingue toutefois fondamentalement car il n’implique nullement l’intention des parties de fondre dans une même masse leurs créances et leurs dettes réciproques et d’en suspendre l’exigibilité jusqu’à la clôture du compte»38.
On s’accorde plutôt à y déceler une inscription purement comptable, un compte de dettes et avoirs39, dénué d’effet novatoire et qui n’implique nullement l’intention des parties de créer une situation d’indivisibilité telle que celle qui résulterait d’un véritable compte courant. En ce sens, le juge des saisies de Liège a refusé d’attacher à un compte d’associé les effets d’un véritable compte courant dans un litige où une société, tiers saisi par une banque en remboursement d’une dette de l’associé-gérant, se prévalait de l’existence d’un compte courant entre elle-même et son associé. La société invoquait l’indivisibilité du compte, en vertu de laquelle elle estimait que la saisie ne pouvait porter que sur le solde éventuellement créditeur du compte lors de sa clôture. Le tribunal n’a pas fait droit à cette argumentation, considérant que «le compte courant suppose l’existence d’un compte où se succèdent des opérations continues de débit et de crédit créant un tout indivisible. Cette situation ne doit pas être confondue avec celle qui naît de l’existence, au sein de sociétés commerciales, d’un compte entre un associé et la société, ce compte ne reflétant en réalité que l’existence d’une dette de la société vis-à-vis de l’associé ou l’inverse en fonction d’avances faites par l’associé ou de dettes de l’associé payées par la société et qui s’éteignent par compensation»40.
15. Cette explication n’est toutefois pas entièrement satisfaisante car, comme le relève M. Causin, si la question peut être disputée de savoir si les parties ont l’intention de nover, «réciproquement, si telle n’est pas l’intention, on peut douter de la méthode comptable, puisque les écritures compensées sont normalement interdites en pareil cas»41. Le seul moyen de réconcilier droit comptable et compte d’associé est peut-être effectivement de réduire ce dernier à une inscription purement comptable de dettes et avoirs de l’associé à l’égard de la société et vice versa, et de considérer que, «s’il advient qu’une créance éteigne une dette préalablement inscrite dans le compte, c’est par la simple application des règles de la compensation» (nous ajoutons légale) «et nullement en vertu des règles propres à la technique des comptes courants»42.
Mais, dans ce cas, la question se pose de savoir quel sort peut être réservé aux avances faites par un associé sans terme stipulé au profit de sa société, par le biais de son compte d’associé. L’avance à durée indéterminée ne peut être compensée à défaut de remplir la condition d’exigibilité requise par l’article 1291 du Code civil pour déclencher la compensation légale. En sens inverse, si l’on admet que les avances à durée indéterminée peuvent être compensées, il convient de se demander alors s’il n’y a pas lieu de déceler l’existence d’un mécanisme de compensation conventionnelle sous-jacent.
16. Que le solde du compte d’associé soit créditeur ou débiteur, il traduit une créance ou une dette résultant d’une opération entre la société et l’associé. Cette opération s’analysera souvent comme un prêt au sens des articles 1874 et suivants du Code civil43.
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3 Cass., 17 février 1970, Pas., 1970, I, p. 535. Dans un arrêt du 6 juin 1935, la Cour de cassation s’est refusée à connaître d’une question relative aux effets du contrat de compte courant, considérant que « les effets du contrat de compte courant, n’étant pas régis par la loi, relèvent de l’appréciation des juges du fond » (Cass., 6 juin 1935, Pas., 1935, I, p. 276 ; Cass., 16 septembre 1937, Pas., 1937, I, p. 235).
4 PH. GÉRARD, « La censure exercée par la Cour de cassation de Belgique sur les décisions des juges du fond en matière de compte courant », in Hommage à J. Heenen, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 165, dont il ressort que la Cour de cassation s’est tout de même prononcée quant à certains effets du mécanisme du compte courant, et notamment dans un arrêt du 18 mai 1973 que nous aborderons plus avant, sur les limites de l’indivisibilité attachée au compte courant (voy., infra, n° 10).
5 R. PIRET, Le compte courant, Bruxelles, Larcier, 1932.
6 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 246.
7 J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes de droit commercial, t. IV, Bruxelles, Bruylant, 1988, p. 353.
8 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 358. En ce sens, Comm. Mons (2e ch.), 4 janvier 2007, DA/OR, 2007/82, pp. 258 et s.
9 En France, la réglementation bancaire interdit d’ailleurs en principe aux organismes non bancaires de recevoir des fonds du public sous la forme de « comptes courants ». L’article L312-2 du Code monétaire et financier accorde une exception, notamment pour les associés ou actionnaires détenant plus de 5 % du capital. L’associé disposant d’une participation inférieure à 5 % du capital doit consentir à la signature d’une convention de blocage de compte courant pendant une période qui ne peut être inférieure à deux ans (art. L511-5 du Code monétaire et financier).
10 R. PIRET, op. cit, n° 172.
11 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 352 ; Cass. fr., 13 janvier 1970, Bull. civ., IV, p. 16.
12 C’est la prescription applicable au solde du compte, après la clôture de celui-ci, qui sera seule prise en compte.
13 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 370.
14 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 382.
15 R. PIRET, op. cit., p. 222, n° 174.
16 J.-M. NELISSEN-GRADE, De rekening courant, Anvers, Kluwer, 1976, p. 130, n° 61.
17 Ce qui justifie notamment, selon cet auteur, le maintien de la prescription propre à chaque créance entrée en compte dans la mesure où elle n’est pas éteinte par compensation (J.-M. NELISSEN-GRADE, op. cit., n° 101).
18 TH. BONNEAU, Droit bancaire, Précis, Montchrestien, p. 216.
19 D. DE MAREZ, « Pleidooi tegen een historisch misverstand: de opname van een vordering in rekening-courant leidt niet tot novatie », T.R.V., 1999, p. 78.
20 De nombreuses décisions se réfèrent toujours à la théorie classique, en se fondant sur l’absence de volonté des parties d’opérer novation entre leurs créances et dettes réciproques pour rejeter la qualification de compte courant. Voy. notamment Mons (14e ch.), 28 juin 2004, J.L.M.B., 2004/33, p. 1451. La Cour d’appel de Mons a considéré qu’une clause figurant dans des conditions générales bancaires et prévoyant expressément que les sûretés attachées aux créances entrées en compte ne pouvait être considérée comme « une dérogation limitée et licite à l’effet du compte courant mais comme une caractéristique juridique du compte qui permet d’exclure que les parties aient voulu lui conférer le caractère de compte courant ». Voy. également Mons, 8 octobre 2001, R.D.C., 2003, p. 6, J.T., 2002, p. 291 ; Comm. Liège, 24 novembre 1999, R.D.C., 2003, p. 403 (confirmé par Liège, 22 mars 2002, cité dans la note publiée sous le jugement) ; J. LINSMEAU, « Opérations de banque », in Traité pratique de droit commercial, t. 5, Droit bancaire et financier, Waterloo, Kluwer, 2007, p. 175.
21 F. GEORGES, La saisie de la monnaie scripturale, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2006, p. 233, n° 150. Notamment Cass., 18 mai 1973, Pas., 1973, I, p. 873 ; R.C.J.B., 1975, p. 62 et note F. T’KINT (voy., infra, note 30). Pour une application de la théorie de la compensation successive : Bruxelles (7e ch.), 16 avril 1987, J.T., 1988, p. 575 : « Il ne peut être dérogé au principe de la compensation continue et automatique, dans le cadre d’un compte courant entre le banquier et son client, que si cette dérogation résulte d’un accord certain entre eux. »
22 R. TAS, « Recente tedensen in de rechtspraak m.b.t de rekening-courant », T.R.V., 1995, pp. 131 et s.
23 Terme qui désigne toute créance acquise par l’une des parties contre l’autre et entrée en compte.
24 Voy. J.-M. Nelissen-Grade, qui rejette ce caractère et considère, quant à lui, que l’on se trouve en présence d’un contrat de compte courant même si une seule des parties acquiert des créances contre l’autre dès lors que, dans une relation d’affaires, les parties ont convenu qu’elles ne fassent pas l’objet d’un règlement séparé et que, si des acomptes sont versés, ils ne soient pas imputés sur une créance déterminée (J.-M. NELISSEN-GRADE, op. cit., p. 220, n° 97).
25 Considérant que la condition serait remplie non seulement lorsque les parties inscrivent effectivement des créances réciproques en compte, mais également lorsqu’elles disposent également de la possibilité de le faire, en fait et en droit, même si, in concreto une partie n’y recourt pas (J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 359) ; Gand (7e ch.), 6 décembre 2001, DA/OR, 2002/64, p. 428 (sommaire).
26 En ce sens, R. TAS, op. cit., p. 140 ; F. GEORGES, op. cit., p. 234, n° 151.
27 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 359, n° 487 et les nombreuses références citées, ainsi que Gand (7e ch.), 6 décembre 2001, DA/OR, 2002/64, p. 428 (sommaire) ; Mons (2e ch.), 4 janvier 2007, DA/OR, 2007/82, pp. 258 et s.
28 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 366, n° 495.
29 J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 366, n° 494, qui relèvent que l’objet de la créance est le plus souvent une somme d’argent, mais sans exclusive. On pourrait également concevoir l’entrée en compte de marchandises de même sorte ou de titres de même catégorie.
30 Cass. fr., 24 juin 1903, D., 1903, I, p. 472 ; J. VAN RYN et J. HEENEN, op. cit., p. 366, n° 496.
31 J. Van Ryn et J. Heenen eux-mêmes admettent que l’indivisibilité doit être tempérée pour éviter de nuire aux droits des tiers (op. cit., p. 383).
32 Cass., 18 mai 1973, Pas., 1973, I, p. 873 ; R.C.J.B., 1975, p. 62 et note F. T’KINT. Voy., au sujet de cet arrêt, F. GEORGES, op. cit., p. 282.
33 J. LINSMEAU, op. cit., p. 179 ; E. SMIT, op. cit., p. 41 ; Mons, 8 octobre 2001, R.D.C., 2003, p. 6, J.T., 2002, p. 291.
34 Mons, 8 octobre 2001, R.D.C., 2003, p. 6, J.T., 2002, p. 291.
35 Voy., infra, n° 37 et note 132.
36 I. URBAIN-PARLEANI, op. cit., pp. 236 et s. ; E. SMIT, op. cit., p. 39 ; R. TAS, « Vennotenrekening, rekening-courant en compensatie », note sous Gand (7e ch.), 9 novembre 1994, T.R.V., 1995, pp. 326 et s.
37 Comm. Gand, 22 novembre 2010, T.G.R., 2011, liv. 3, p. 187 : « le fait que des emprunts ont été enregistrés en compte courant associés ne signifie pas qu’ils ont fait l’objet d’une novation à la suite d’un compte courant juridique. Au contraire, les différentes clauses relatives au remboursement, à la compétence et au régime des intérêts indiquent que le compte courant, auquel ont été portées plusieurs dettes, ne constitue qu’une expression comptable des différents contrats et non d’un contrat de compte courant » ; Comm. Huy, 16 mai 2012, inédit, R.G. n° A/11/00068 : «en substance, ce qui est généralement désigné par “compte courant”, se nomme en réalité compte d’associé. Il s’agit d’une avance par laquelle celui-ci met à disposition de la société les moyens nécessaires à assurer la trésorerie courante. Il est constitué d’avances générales enregistrées en droit comptable en “compte 48” pour la société, soit les dettes à moins d’un an. Il est placé à ce poste en raison de son caractère fluctuant. Cette avance de fond se distingue du prêt à plus long terme qui s’inscrit généralement en compte 17 et fait l’objet d’une convention relativement à ses modalités de remboursement». En ce sens, M. Causin rappelle qu’«il arrive que l’associé ait un autre compte, généralement débiteur et à plus d’un an (compte 1792) : il s’agit, dans ce cas, d’une avance voire d’un prêt consenti par l’associé pour une durée relativement longue. Dans ce cas, à l’inverse du précédent, le fait que le compte a été soustrait à la technique du compte courant, pourra être interprété comme exprimant la volonté des parties, à savoir la société et l’associé, de soustraire les articles de débit et de crédit concernés à la novation et à la compensation » (E. CAUSIN, Droit comptable des entreprises, Bruxelles, Larcier, 2002, p. 438).
38 E. SMIT, op. cit., p. 41.
39 Un « simple compte de “doit” et “avoir” que tiennent les entreprises au sujet des personnes physiques ou morales avec lesquelles elles sont en relations d’affaires) doit être distingué du contrat de compte courant par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent que les créances et les dettes réciproques naissant de leurs opérations entreront dans un compte, afin d’en faire masse et d’en suspendre la liquidation jusqu’à la clôture du compte » (Mons, 8 octobre 2001, R.D.C., 2003, p. 6, J.T., 2002, p. 291. Mons [14e ch.], 28 juin 2004, J.L.M.B., 2004/33, p. 1451).
40 Civ. Liège (saisies), 22 décembre 1993, J.L.M.B., 1994, p. 870.
41 E. CAUSIN, op. cit., p. 438.
42 E. SMIT, op. cit., p. 41.
43 I. URBAIN-PARLEANI, op. cit., p. 235. Voy. à ce sujet E. SMIT, op. cit., p. 40, et les développements consacrés par la jurisprudence fiscale à la question de la qualification de l’opération sous-jacente, décrits dans le cadre de la contribution de Me L. Herve.
CHAPITRE 2
17. Jusqu’ici, nous avons abordé le mécanisme du compte courant au sens juridique du terme. Les comptes d’associés n’ont été évoqués que sous l’angle d’une approche à la lumière de ce mécanisme.
La seconde partie de la présente contribution est, par contre, consacrée exclusivement aux comptes d’associés, sous l’angle de questions propres au droit commercial et au droit des sociétés, et le mécanisme juridique du compte courant à proprement parler ne sera plus abordé que de façon incidente, lorsqu’il sera question de le comparer, sur le plan des conséquences juridiques, aux comptes d’associés.
18. Du point de vue du droit des sociétés, le «compte courant» d’associé pose essentiellement question au regard des exigences relatives au capital social et de la protection des droits des créanciers que celles-ci sont supposées assurer.
19. La difficulté la plus évidente est posée par les comptes courants débiteurs, qui traduisent une dette de l’associé à l’égard de la société. Le compte courant n’est alors pas un instrument de financement de la société ou de placement de l’épargne de ses associés, mais une technique visant à répondre à des besoins personnels de ceux-ci. En France, le législateur a, du reste, expressément prohibé, dans les sociétés à responsabilité limitée et dans une certaine mesure, les découverts en comptes courants à l’égard des associés ou gérants personnes physiques44.
Cette interdiction expresse n’a pas cours en droit belge où il faudra tenter de se rabattre sur des correctifs a posteriori, tels que la responsabilité des fondateurs pour capital manifestement insuffisant, l’action en comblement de passif, la contrariété à l’intérêt social de la société prêteuse, voire l’abus de biens sociaux45 en vue d’engager la responsabilité civile ou pénale des dirigeants, ou bien l’abus de majorité pour annuler l’opération. Les cas d’application sont toutefois relativement rares.
20. En droit belge, le compte courant d’associé n’est pas un phénomène que la loi appréhende en tant que tel.
Ce silence du législateur ne saurait toutefois «être interprété comme une validation inconditionnelle tant de l’ouverture que du fonctionnement des comptes d’associés. Leur finalité et la qualité des parties en présence implique[nt] leur soumission à certaines dispositions législatives générales»46.
Nous tenterons ci-après de brosser un panorama succinct de l’environnement juridique des comptes d’associés, en rappelant d’abord que – même si, en pratique, elles sont très rarement respectées –, l’ouverture d’un tel compte est en principe soumise à certaines conditions (section 1).
Nous nous attacherons ensuite plus particulièrement à la figure du compte courant créditeur, qui révèle une dette de la société à l’égard de l’associé et qui pose également un certain nombre de questions. En effet, même si la distinction peut apparaître artificielle en pratique, le droit des sociétés repose encore largement sur la dichotomie traditionnelle créancier/apporteur. Sur le plan juridique, la notion de créancier s’écarte fondamentalement de celle d’apporteur; l’apporteur doit transférer à la société les droits sur le bien constituant son apport et reçoit en contrepartie des droits d’associé, tandis que le créancier dispose d’un droit de créance lui permettant de réclamer le remboursement des sommes prêtées47. Or, comme le fait observer M. Danet, sous l’angle tant économique que juridique, la particularité de la figure du compte d’associé consiste à imposer la réconciliation, sur un même sujet, des conséquences découlant de la qualité d’associé, d’une part, et de celle de créancier, d’autre part48.
Cette réflexion constitue l’occasion d’appréhender le régime juridique des avances d’associés sous l’angle de deux courants distincts:
d’une part, une tendance à l’effacement de la dichotomie traditionnelle entre la créance et l’apport, qui peut être observée essentiellement dans le cadre du contentieux des entreprises en difficultés (section 2);d’autre part, une tendance à maintenir cette dualité au regard des questions qui touchent aux rapports entre l’associé et la société et, en particulier, lorsqu’il est question de savoir dans quelle mesure il est permis à un associé de se comporter, à l’égard de la société, comme n’importe quel créancier (section 3).21. En principe, toutes les créances acquises par l’une des parties en relation contre l’autre peuvent entrer en compte courant, qu’elles résultent d’un contrat translatif de propriété (p. ex., de marchandises), d’une ouverture de crédit, de la contrepartie de services prestés ou d’un contrat de prêt.
Les opérations enregistrées dans les comptes courants d’associés peuvent résulter de situations extrêmement variées.
Classiquement, on considère que les comptes courants d’associés ont vocation à recevoir l’inscription de dettes ou créances résultant d’avances de trésorerie consenties par l’associé à la société, de fournitures à la société dont l’associé n’exige pas le paiement immédiat, de frais réglés par l’associé pour la société sans qu’ils soient immédiatement remboursés, de services prestés pour la société non immédiatement rémunérés ou de dividendes dus à l’associé et laissés à disposition de la société. L’écriture peut traduire la contrepartie d’un apport mixte, dans le cadre duquel un associé apporte à la société des biens (immobilisations corporelles ou incorporelles, actions) qui lui appartiennent, le prix d’achat étant converti pour partie sous forme d’actions et pour partie en une somme d’argent, laissée à la disposition de la société sous la forme d’une créance en compte courant, productive d’intérêts au bénéfice de l’associé49.
22. La créance de l’associé inscrite au crédit du compte courant, lorsqu’elle est assortie de modalités spécifiques (intérêt stipulé, modalités de remboursement, blocage éventuel des fonds…), implique qu’une convention sousjacente soit conclue entre la société et l’associé-gérant ou administrateur. Il y a alors dédoublement de qualité et opposition d’intérêts dans le chef de celui-ci. Cette opposition est évidente lors de l’ouverture d’un compte d’associé où la personne morale est à la merci de contrats lésionnaires ou de prélèvements opérés sans contrepartie. Par exemple, en cas d’avances consenties par l’associé à la société, l’intérêt de l’associé sera d’obtenir un intérêt élevé en rémunération du prêt consenti à la société, tandis que l’intérêt de la société est de le rémunérer au plus juste taux. L’opposition peut également être redoutée lorsqu’une convention est conclue entre deux sociétés d’un même groupe (entre lesquelles peuvent intervenir des aides financières sous la forme, par exemple, d’avances).
Le droit français bénéficie d’un dispositif élaboré d’encadrement des conventions dites «réglementées», c’est-à-dire les conventions conclues par la société avec l’un de ses dirigeants ou avec un actionnaire significatif, ainsi que les conventions conclues entre deux sociétés liées (ayant un dirigeant commun, notamment)50. L’ouverture d’un compte courant non prévue par les statuts, la fixation de la rémunération d’un compte courant ou toutes autres modalités, telles que l’absence de rémunération, sont soumises à cette procédure de contrôle sauf si elles peuvent être considérées, au regard de l’objet de la société et de ses activités, comme des «opérations courantes» et «conclues à des conditions normales».
23. Le législateur belge appréhende également le phénomène des conflits d’intérêts dans le cadre des conventions conclues entre la société et un gérant, administrateur ou membre du comité de direction, ainsi que dans le cadre des opérations intragroupe. L’organe de gestion sera d’autant plus attentif aux dispositions du Code des sociétés qui organisent la procédure de contrôle de ces opérations51 que la société peut demander la nullité d’opérations réalisées en violation de ces dispositions.
Ces dispositions prévoient que, lorsqu’un administrateur ou membre du comité de direction d’une S.A. ou un gérant de S.P.R.L. a, «directement ou indirectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou à une opération» relevant de la compétence de l’organe de gestion, il est tenu de le communiquer aux autres administrateurs, directeurs ou gérants avant la délibération de l’organe. Sa déclaration ainsi que les raisons justifiant de l’intérêt opposé qui existe dans son chef doivent figurer dans le procès-verbal reprenant la décision. L’organe de gestion doit lui-même décrire, dans ce procès-verbal, la nature de la décision ou de l’opération envisagée, justifier de la décision prise et décrire ses conséquences patrimoniales pour la société. Le rapport de gestion annuel doit reprendre la totalité de ce procès-verbal.
Dans les sociétés cotées, l’administrateur ou le membre du comité de direction ne peut assister aux délibérations du conseil d’administration ou du comité de direction relativement à l’opération visée ni prendre part au vote.
Dans une S.P.R.L. dont l’organe de gestion n’est composé que d’un seul gérant, qui se trouve dans une situation d’opposition d’intérêts telle que définie ci-avant, celui-ci en réfère aux associés. La décision ne pourra être prise ou l’opération effectuée pour le compte de la société que par un mandataire ad hoc52. Lorsque le gérant est l’associé unique, il pourra prendre la décision ou conclure l’opération, mais il devra rendre spécialement compte de celle-ci dans un document à déposer en même temps que les comptes annuels. Il sera tenu personnellement, tant vis-à-vis de la société que vis-à-vis des tiers, de réparer le préjudice causé par un avantage qu’il se serait abusivement octroyé au détriment de la société.
En outre, si la société a nommé un ou plusieurs commissaires, ils doivent être informés de l’existence du conflit d’intérêts et reprendre dans leur rapport une description détaillée des conséquences patrimoniales qui résultent pour la société des décisions de l’organe de gestion.
Par exception sont exclues de la procédure décrite ci-avant les opérations conclues entre une société mère et sa filiale (pour autant que la société mère détienne, directement ou indirectement, au moins 95 % des voix attachées à l’ensemble des titres émis par la filiale) ou entre sociétés sœurs (pour autant que 95 % au moins des voix attachées aux titres émis par chacune d’entre elles soient détenus par une autre société).
Sont également exclues du champ d’application de la disposition les «opérations habituelles conclues dans des conditions et sous les garanties normales du marché pour des opérations de même nature»53.
24. L’ouverture d’un compte d’associé peut-elle être considérée comme une «opération habituelle» et ainsi bénéficier de cette exclusion? En droit français, la tendance majoritaire refuse de faire entrer la conclusion d’une convention de compte d’associé dans la catégorie des opérations courantes, le caractère courant s’appréciant de façon restrictive en considération de l’objet et de l’activité habituelle de la société qui conclut la convention54. La doctrine belge définit de la même manière le caractère habituel d’une opération par référence à l’objet social de la société et ses activités, non limité à la notion de gestion journalière55, ce qui permet de considérer qu’en droit belge également, la conclusion de la convention de compte d’associé n’est pas considérée par principe comme une opération habituelle et n’échappe pas à la procédure légale relative aux conflits d’intérêts56.
La «normalité» des conditions prévues par la convention s’apprécie au regard de celles habituellement pratiquées par la société et les autres sociétés du secteur.
25. Enfin, le phénomène des opérations intragroupe est appréhendé par l’article 524 du Code des sociétés qui prévoit une procédure de contrôle particulière lorsque toute décision ou opération accomplie en exécution d’une décision prise par une société cotée concerne (i) les relations entre cette société avec une société liée à celle-ci à l’exception d’une filiale ou (ii) les relations entre une filiale de ladite société et une société liée à celle-ci autre qu’une sous-filiale57.
26. L’apport est toujours, en vertu de l’article 1er du Code des sociétés, considéré comme un élément essentiel du contrat de société58. Le Code des sociétés prévoit un certain nombre de dispositions, visant à garantir la réalité de l’apport, et sanctionnées par la responsabilité des fondateurs59.