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Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre au mieux les aspects pratiques du contrôle fiscal belge
En prévoyant une nouvelle réforme fiscale, l’accord gouvernemental entend rétablir la compétitivité des entreprises belges vis-à-vis des pays voisins. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement souhaite notamment augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs en réduisant la (para)fiscalité sur le travail, combattre la fraude fiscale en poursuivant ses promoteurs afin d’assurer une concurrence fiscale loyale dans tous les secteurs d’activité, rendre le système belge attrayant pour les investisseurs et compréhensible pour les contribuables grâce à plus de transparence, etc.
Dans ce contexte, les différentes contributions de cet ouvrage font le point sur les aspects pratiques et les actualités de terrain du contrôle fiscal. Sont ainsi étudiés :
• le contrôle et les pouvoirs d’investigations en matière d’impôts sur les revenus ;
• le contrôle et les pouvoirs d’investigations en matière de TVA ;
• la fiscalité et le secret professionnel pour les avocats et les autres professions couvertes par le secret professionnel ;
• l’échange international d’informations en matière fiscale et ses conséquences pratiques au niveau du contrôle.
L’ouvrage intéressera particulièrement les avocats, les fiscalistes et les professionnels du chiffre. Il permettra également au lecteur de réfléchir à l’évolution des contrôles fiscaux en fonction du grand marché européen, de la mondialisation et des nouvelles techniques de communication de l’information.
Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels
A PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS
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Seitenzahl: 471
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
© 2015, Anthemis s.a.
Place Albert I, 9 B-1300 Limal
Tél. 32 (0)10 42 02 90 – [email protected] – www.anthemis.be
ISBN : 978-2-87455-888-7
Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.
Mise en page: Communications s.p.r.l.
Couverture : Vincent Steinert
Préface
Gérard Delvaux
Contrôle et pouvoirs d’investigation en matière d’impôts sur les revenus
Edoardo Traversa et Christophe Franssen
Contrôle et pouvoirs d’investigation en matière de T.V.A.
Jean Bublot et Julien Warzée
Fiscalité et secret professionnel des avocats et des autres professions tenues au secret professionnel
Maurice Krings
L’échange international de renseignements et ses conséquences pratiques en droit fiscal belge
Thierry Litannie
L’accord gouvernemental prévoit une nouvelle réforme fiscale afin de rétablir la compétitivité des entreprises belges vis-à-vis des principaux pays voisins.
Le gouvernement entend récompenser le travail en augmentant le pouvoir d’achat des travailleurs par une réduction de la fiscalité et parafiscalité sur le travail de manière à ce que la Belgique ne figure plus parmi les mauvais élèves de l’Union européenne.
L’ambition est de mener une politique de croissance qui vise à renforcer la compétitivité en facilitant la création d’emplois supplémentaires.
La réforme envisagée du système fiscal doit encourager les personnes à prendre des initiatives. Néanmoins, par équité, l’administration doit combattre la fraude fiscale en poursuivant ses promoteurs afin d’assurer une concurrence fiscale loyale dans tous les secteurs d’activité. Une meilleure sécurité juridique doit permettre aux entreprises de planifier leur stratégie fiscale à long terme.
Notre système doit être attrayant pour les investisseurs. Il doit être compréhensible pour les contribuables grâce à une meilleure transparence. Les contrôles fiscaux doivent se dérouler de manière correcte en tenant compte des situations particulières des contribuables.
Tel est le cadre de la réforme envisagée.
C’est ainsi que l’Ordre des avocats du barreau du Brabant wallon, sous l’œil attentif du bâtonnier, Maître Jean-Noël Bastenière, a organisé une demi-journée d’étude dont le contenu des exposés des travaux du colloque est publié dans le présent ouvrage. Les différents thèmes abordés par de brillants orateurs dont la réputation professionnelle n’est plus à faire, permettent d’appréhender les aspects pratiques et les actualités de terrain du contrôle fiscal.
Maître Edoardo Traversa, professeur à l’U.C.L. et avocat au barreau de Bruxelles, et Maître Christophe Franssen, avocat au barreau de Verviers, abordent le contrôle et les pouvoirs d’investigation en matière d’impôts sur les revenus.
Maître Jean Bublot, maître de conférences à l’Université de Liège et avocat au barreau du Brabant wallon, et Maître Julien Warzée, avocat au barreau du Brabant wallon, ont rédigé le deuxième volet du contrôle fiscal sous le titre « Contrôle et pouvoirs d’investigation en matière de T.V.A. ».
Maître Maurice Krings, avocat au barreau de Bruxelles et administrateur d’AVOCATS.BE, aborde quant à lui la question de la fiscalité et du secret professionnel pour les avocats et les autres professions couvertes par le secret professionnel.
Pour clôturer cet ouvrage, Maître Thierry Litannie, avocat au barreau du Brabant wallon, conférencier apprécié du monde du chiffre, apporte son concours à « L’échange international d’informations en matière fiscale et conséquences pratiques au niveau du contrôle ».
Nul doute que la lecture de chaque contribution nous permettra de réfléchir sur l’évolution donnée aux contrôles fiscaux en fonction du grand marché européen, de la mondialisation et des nouvelles techniques de communication de l’information.
« Le monde est maintenant devenu un village. »
Gérard Delvaux
Président honoraire de l’Institut des Experts-comptables et des Conseils fiscauxPrésident de l’Ordre des Experts-comptables et Comptables brevetés de BelgiqueExpert-comptable – Réviseur d’entreprises honoraire
Edoardo Traversa
Professeur à l’Université catholique de LouvainAvocat au barreau de Bruxelles
Christophe Franssen
Avocat au barreau de Verviers1
« Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu. »
Confucius
Le droit fiscal se construit sur les tensions existant entre intérêt général et droits individuels, entre la nécessité de garantir une juste perception de l’impôt, en vue d’assurer le bon fonctionnement de l’État et la réalisation de politiques publiques, et l’obligation de respecter, dans tout État de droit, les droits fondamentaux des citoyens tels que le droit de propriété, le droit à la vie privée ou le droit à un procès équitable.
L’actualité récente fournit de nombreuses illustrations de ces tensions ; on oppose ainsi compétitivité des entreprises et impératifs budgétaires, nécessité de transparence, via notamment le Data Mining ou l’échange d’informations, au principe du secret et du respect de la vie privée2, ou encore les principes de capacité contributive (fair share)3, d’éthique fiscale ou d’interdiction de l’abus fiscal4 au libre choix de la voie la moins imposée (aussi qualifiée d’ingénierie fiscale), d’évasion ou, dans le cadre international, de planification fiscale agressive au B.E.P.S.5.
La procédure fiscale, et en particulier la question des pouvoirs d’investigation de l’administration, plus que tout autre domaine de la fiscalité, est au cœur de cet équilibre délicat6. La présente contribution examine la relation entre les pouvoirs d’investigation de l’administration et les droits et devoirs du contribuable en matière d’impôt sur les revenus, avec une attention particulière sur le droit au silence.
À l’instar de la plupart des États, le système belge d’imposition des revenus se fonde principalement sur les renseignements fournis par le contribuable et sur le principe de collaboration entre ce dernier et l’administration fiscale7.
Dans un premier temps, tout contribuable est tenu de remplir et de transmettre annuellement à l’administration une déclaration fiscale8. À cette occasion, le contribuable communique quantité d’informations personnelles concernant tant ses revenus – hauteur, nature, origine – que sa situation personnelle – état civil, personnes à charge – et patrimoniale – comptes bancaires étrangers, contrats d’assurance-vie étrangers et constructions juridiques (article 307 du C.I.R. 92).
Celles-ci présentent l’avantage d’être, en vertu de l’article 339 du C.I.R. 92, présumées exactes. Elles lient l’administration jusqu’à preuve contraire. En conséquence, si ce devoir fiscal qu’est la déclaration fiscale annuelle engendre pour le contribuable l’obligation de se révéler, en contrepartie, il le protège d’une ingérence encore plus intrusive dans sa vie privée9.
Dans un deuxième temps, la loi fiscale confère à l’administration des pouvoirs de contrôle et d’investigation10. Ces pouvoirs« sont supposés lui permettre d’apporter la preuve de l’existence et de l’importance des revenus qu’elle entend soumettre à l’impôt ; ces pouvoirs doivent, en principe, lui permettre de passer outre le manque de coopération éventuel du contribuable »11. L’admissibilité de la preuve, apportée par l’administration en vue d’établir une cotisation qui s’écarterait de la déclaration du contribuable, dépendra dès lors de la manière dont l’administration a usé de ses pouvoirs pour l’obtenir12.
Lorsque l’administration met en œuvre ses pouvoirs d’investigation13, le contribuable doit collaborer activement. Il doit, lorsqu’il y est invité, lui communiquer tous les livres et documents qu’elle juge nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables14, lui communiquer copie de ses livres électroniques15, répondre à ses demandes de renseignements ou encore lui permettre le libre accès à ses locaux professionnels voire à ses locaux privés16.
À défaut de collaboration, le contribuable s’expose à une taxation d’office, des sanctions administratives ou des sanctions pénales17.
Les pouvoirs d’investigation dont dispose l’administration sont exorbitants du droit commun et sont, dans une certaine mesure, comparables à ceux reconnus aux autorités judiciaires18. Ils ne sont pas pour autant illimités.
L’administration est d’abord tenue par le principe de la légalité, c’est-à-dire qu’elle est « limitée par les attributions qui lui sont conférées par la loi, qui est la seule condition de son existence et de son pouvoir. […] Il s’agit de ne pas permettre à une autorité d’aller au-delà des pouvoirs qui lui sont attribués par la loi, parce que, sans pouvoirs légaux, elle n’a également aucun droit »19.
Exerçant une parcelle de la puissance publique, l’administration fiscale ne peut user d’un pouvoir d’investigation que conformément au but que le législateur lui a expressément fixé. Autrement dit, l’administration ne pourrait, sans commettre un excès de pouvoir20, utiliser un pouvoir d’investigation dans un but, même d’intérêt général, différent de celui que le législateur visait en le lui confiant21.
La loi prévoit toutefois le principe de non-cloisonnement entre administrations et celui de l’affectation universelle de l’information fiscale régulièrement obtenue22, ce qui implique le droit de recueillir et l’obligation de communiquer entre administrations tous renseignements pertinents pour l’établissement des impôts en général, pour peu, bien entendu, que l’administration agisse dans le cadre de ses missions et de ses pouvoirs23. Chaque administration jouit en effet de compétences liées24 : partant, une administration commet un détournement de procédure lorsqu’elle utilise ses compétences dans le but exclusif de fournir des renseignements à une autre administration qui ne pourrait y accéder autrement25.
L’administration est également tenue au respect des principes généraux de bonne administration (sécurité juridique, impartialité, droits de la défense, fair-play, transparence, prudence…)26.
Elle est contrainte par des délais d’investigation limités27 et par des délais de prescription stricts tant pour enrôler l’impôt que pour le recouvrer. Elle doit respecter un formalisme procédural important comme, par exemple, motiver de manière suffisamment précise, claire et complète ses actes28, notifier des indices de fraude pour prolonger dans le temps ses pouvoirs d’investigation ou pour interroger une banque, délivrer un procès-verbal de rétention de documents, etc.
Ces obligations et contraintes préviennent l’arbitraire et participent à l’équilibre entre l’intérêt général – la juste perception de l’impôt – et les droits des contribuables. Par ailleurs, pour assurer cet équilibre, le contribuable dispose des prérogatives visant à vérifier leur légalité. Il peut a priori – c’est-à-dire préalablement à taxation29 – empêcher l’administration de les mettre en œuvre. Le cas échéant, il peut également faire contrôler la régularité de leur exercice a posteriori. Tout usage irrégulier, illégal ou abusif des pouvoirs d’investigation vicie l’imposition établie grâce à l’exercice de ceux-ci. Si les preuves illégales (par exemple, résultant de l’exercice de pouvoirs d’investigation en dehors des délais légaux) entraînent l’annulation des cotisations pour violation de la loi30, il n’en va pas nécessairement de même pour les preuves obtenues illégalement : dans ce dernier cas, il s’agira de pondérer les intérêts de l’État percepteur et les droits des contribuables31.
L’administration des contributions directes dispose de pouvoirs étendus et variés, qui concernent la communication de livres et documents, la demande de renseignements au contribuable ou à des tiers ou encore le droit de visite de locaux professionnels.
Articles 315 à 315ter, 317, 321 et 323bis du C.I.R. 92.
Les articles 315 et 315bis du C.I.R. 92 obligent le contribuable à communiquer à l’administration certains livres et documents. Par une loi du 21 décembre 201332, le législateur a complété ce pouvoir d’investigation en introduisant l’article 315ter du C.I.R. 92, dont l’objectif est de parer à d’éventuels problèmes de détournement de procédure33.
Aux termes de l’article 315 du C.I.R. 92, quiconque est passible de l’impôt sur les revenus est tenu, « lorsqu’il en est requis par l’administration, de lui communiquer, sans déplacement, en vue de leur vérification, tous les livres et documents nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables ».
Pour les personnes physiques, il est précisé que cela vise également les documents relatifs aux comptes bancaires à l’étranger et aux contrats d’assurance-vie qu’elles doivent mentionner dans leur déclaration fiscale annuelle en application de l’article 307, § 1er, alinéas 2 et 3, du C.I.R. 92.
Pour les sociétés, cela comprend les registres des actions ou parts et obligations nominatives ainsi que les feuilles de présence aux assemblées générales.
L’article 315bis du C.I.R. 92 instaure une obligation similaire visant les livres et documents tenus de manière informatisée. Dans ce cas, contrairement à l’article 315 du C.I.R. 92 qui ne permet que la communication sans déplacement de la documentation papier originale, l’article 315bis du C.I.R. 92 permet à l’administration d’obtenir copie des livres et documents électroniques. La communication de cette copie doit, en outre, se faire dans la forme souhaitée par l’administration.
Eu égard aux délais d’investigation34 et d’imposition35 ainsi qu’aux délais de conservation imposés par le droit comptable36, les articles 315 et 315bis du C.I.R. 92 précisent enfin que les documents doivent être conservés « jusqu’à l’expiration de la septième année ou du septième exercice comptable qui suit la période imposable »37.
De plus, comme c’était déjà le cas en matière de T.V.A.38, les agents des contributions directes peuvent désormais, en vertu de l’article 315ter du C.I.R. 92, retenir les livres et documents des contribuables contrôlés « chaque fois qu’ils estiment que ces livres et documents sont nécessaires pour déterminer le montant des revenus imposables du contribuable ou des tiers »39.
Contrairement au pouvoir établi à l’article 315bis du C.I.R. 92 de prendre copie des livres électroniques, clôturés ou non, ce nouveau pouvoir de rétention ne s’étend qu’aux livres clôturés. Il requiert l’établissement d’un procès-verbal de rétention inventoriant tous les documents emportés. L’administration doit communiquer au contribuable une copie de ce procès-verbal dans les cinq jours ouvrables qui suivent la rétention.
Ce nouvel article 315ter du C.I.R. 92, en vigueur depuis le 10 janvier 2014, permet ainsi de mettre fin à la problématique des détournements de procédures40 liés aux contrôles conjoints41.
L’obligation de communication est particulièrement étendue. Elle vise, « en vue de leur vérification, […] tous les livres et documents du contribuable ». Elle se limite néanmoins à ceux qui sont « nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables » (article 315, alinéa 1er, du C.I.R. 92 ; nous soulignons).
Il est admis que cela concerne :
– les documents dont l’usage est obligatoire, comme ceux imposés par les articles 320 et 321 du C.I.R. 92 (reçus à délivrer par les titulaires de professions libérales et autres livres-journaux réglementés) ;
– tous les documents comptables (états financiers, pièces justificatives, inventaires…) ;
– mais aussi les bons de commande, de caisse et de livraison, les organigrammes du personnel, les feuilles de route, feuilles de pointage et autres time-sheet, les carnets de rendez-vous, les offres de prix, les devis ainsi que tout contrat de toute nature (contrat de collaboration, contrat de travail, bail…) qui s’avéreraient nécessaires à la détermination des revenus imposables42.
Par ailleurs, aux termes de l’article 317 du C.I.R. 92, « les vérifications et demandes de renseignements visées aux articles 315, alinéas 1er et 2, 315bis, alinéas 1er à 3, 315ter et 316, peuvent porter sur toutes les opérations auxquelles le contribuable a été partie […] ».
Le commentaire administratif prescrit aux agents taxateurs de ne pas demander des documents purement privés et les invite à agir « avec tact et discernement » en ce domaine43. Toutefois, la Cour de cassation a, dans un arrêt de principe du 4 janvier 2007, précisé que l’administration « peut requérir [sur la base des articles 315 et 316 du C.I.R. 92] la production de tous renseignements, fussent-ils relatifs à la vie privée du contribuable »44 pourvu, bien entendu, qu’ils soient nécessaires à la détermination des revenus imposables. En définitive, le texte des articles 315 à 315ter du C.I.R. 92 ne contient pas de limites quant à la nature des documents qui doivent être communiqués par le contribuable. Les éventuels excès de l’administration, rares en pratique, s’examinent au cas par cas.
Les articles 315 et 315bis du C.I.R. 92 prescrivent une communication des livres et documents sans déplacement45. Cela implique nécessairement que lesdits livres et documents soient consultés sur place lors d’un contrôle46 voire, pour les livres et documents tenus de manière informatisée par un tiers, chez ce dernier47.
Cela exclut également, en principe48, que les agents taxateurs emportent les documents et/ou contraignent le contribuable à les leur transmettre. Cela est expressément reconnu par le commentaire administratif49. En pratique, il est toutefois courant que les agents taxateurs sollicitent du contribuable l’envoi de documents préalablement à un contrôle, pendant ou après celui-ci, voire que le contrôle lui-même se réalise dans les locaux de l’administration et, partant, que le contribuable apporte les documents requis.
De manière pragmatique mais contestable eu égard au texte légal50, la Cour de cassation a entériné cette pratique dans un arrêt du 11 septembre 201251. Selon la Cour, si l’administration ne peut contraindre le déplacement des documents, rien n’empêche le contribuable d’y consentir. Encore faut-il, selon nous, que ce consentement soit extériorisé par le contribuable sans réserve possible. La preuve de ce consentement devra, le cas échant, être apportée par l’administration52.
Une autre difficulté liée à cette pratique naît de l’absence d’inventaire complet des documents physiquement transmis à l’administration. Sans inventaire réalisé dans le respect du contradictoire, l’administration sera dans l’impossibilité de prouver la restitution intégrale de tous les documents confiés par le contribuable. Toute cotisation enrôlée pourrait ainsi être empreinte d’arbitraire et, dès lors, être annulée53.
Malgré ces difficultés, la Cour de cassation a réaffirmé sa position dans un arrêt du 21 novembre 201454. Dans cet arrêt, elle indique que l’administration « est libre de demander au contribuable de [fournir à l’administration des documents] sur une base volontaire. [Ce qui] suppose en fait que cela ne se passe pas sous la menace de sanctions ». À défaut, la Cour précise que « les pièces envoyées sous la menace d’amendes administratives ou de sanctions pénales ne sont pas reçues légalement par l’administration ».
La Cour consacre ici l’application des principes de bonne administration. Nous regrettons néanmoins que la Cour n’ait pas tranché la discussion du traitement à réserver, en droit fiscal, aux éléments obtenus irrégulièrement ou illégalement par l’administration55. La Cour a, en effet, expressément éludé cette problématique en précisant qu’elle se prononçait « indépendamment de la question des effets d’une telle illégalité »56. En d’autres termes, l’épineuse question de la réception de la doctrine Antigone57 en droit fiscal demeure ouverte58.
Le nouvel article 315ter du C.I.R. 92, entré en vigueur le 10 janvier 2014, permet désormais aux agents taxateurs de « retenir » – c’est-à-dire d’emporter – les documents « chaque fois qu’ils [les] estiment […] nécessaires pour déterminer le montant des revenus imposables du contribuable ou des tiers ».
La mise en œuvre de ce nouvel article 315ter du C.I.R. 92 et de son pendant en matière de T.V.A.59 fait l’objet d’une circulaire du 27 juin 201460. Cette circulaire rappelle les principes qui sous-tendent ce nouveau pouvoir de rétention :
– la décision d’emporter des documents est une compétence discrétionnaire de l’administration qui est « limité[e] par l’objectif » de détermination du montant des revenus imposables ;
– cette compétence doit s’exercer en tenant compte des « principes généraux de bonne administration, et notamment de ceux d’égalité et de précaution » ;
– « le but n’étant pas que l’agent taxateur prenne l’habitude d’emporter les livres et documents », la communication sans déplacement reste le principe ;
– la décision d’emporter des documents doit être motivée dans le procès-verbal de rétention ;
– bien que l’article 315ter ne requiert pas légalement la rédaction d’un procès-verbal de rétention, l’émission d’un tel procès-verbal est « fortement recommandé[e] » ;
– dans l’attente du procès-verbal de rétention qui, légalement, doit parvenir au contribuable dans les cinq jours ouvrables qui suivent ladite rétention, l’agent taxateur est invité à délivrer au contribuable qui le souhaite un accusé de réception attestant « sommairement » des documents emportés.
Le maintien de l’équilibre entre les droits du contribuable, ce pouvoir de rétention et surtout ses effets potentiels, ne manquera pas d’interpeller. Nous avons évoqué ci-avant le problème de la preuve de la restitution intégrale au contribuable des documents emportés et des conséquences sur tout enrôlement subséquent. Cette question demeure puisque le procès-verbal précis des documents emportés ne doit être délivré au contribuable qu’a posteriori. Cette question se révèle d’autant plus importante que l’article 340 du C.I.R. 92 accorde une force probante particulière aux procès-verbaux des agents du S.P.F. Finances. Aux termes de cet article, ces procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire. Or, aucune procédure contradictoire n’est prévue pour dresser le procès-verbal de rétention. On peut donc s’interroger sur la manière dont le contribuable pourra apporter la preuve du défaut éventuel de restitution intégrale des documents emportés par l’administration alors que, par hypothèse, il ne peut contrôler l’exactitude du procès-verbal de rétention lors de son établissement.
Articles 316 et 317 du C.I.R. 92.
Comme en matière de T.V.A., de droits d’enregistrement, de droits de succession et de douanes et accises61, le Code des impôts sur les revenus prévoit l’obligation pour le contribuable de répondre aux demandes de renseignements de l’administration (article 316 du C.I.R. 92)62.
La demande peut être verbale63 ou écrite. En pratique, chaque fois que la complexité de la demande l’exige, le fisc procède par écrit alors que la voie verbale est dévolue aux simples éclaircissements64. Elle peut être adressée à toute personne passible de l’impôt sur les revenus. Cela vise ainsi tant les personnes morales que les personnes physiques, qu’elles soient soumises ou simplement susceptibles d’être soumises à l’impôt des personnes physiques, à l’impôt des sociétés ou à l’impôt des personnes morales65.
L’administration ne peut toutefois utiliser son pouvoir d’investigation pour procéder à une fishing expedition. En pratique, les demandes de renseignements auront d’abord trait aux opérations communiquées par le contribuable via sa déclaration fiscale et ses annexes. Ensuite, elles seront inhérentes aux livres et documents qu’il est tenu de communiquer selon et dans les limites des articles 315 à 315ter du C.I.R. 92. Après, elles concerneront toutes les opérations dont le fisc a eu connaissance66, par exemple, via une autre administration – belge67 ou non68 – ou suite à une demande de renseignements adressée à un tiers. Elles pourront également porter sur toute information reçue par l’administration, et ce, quelle qu’en soit l’origine69. Enfin, une jurisprudence critiquée considère que les demandes peuvent être dirigées vers des opérations présumées et être formulées en prévision d’une taxation indiciaire70.
Le contribuable dispose d’un mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit l’envoi d’une demande de renseignements pour y répondre71. Ce délai peut être prolongé pour justes motifs72 étant entendu que toute demande de prolongation doit être formulée et acceptée avant l’échéance du délai initial73. L’acceptation ou le refus de prolongation du délai est évalué de manière discrétionnaire par l’administration. Aucune juridiction n’est dès lors compétente pour réformer la décision prise par cette dernière74. En règle, l’administration apprécie l’existence de justes motifs avec « largeur de vue »75. Elle admet ainsi, notamment, la maladie grave du contribuable, son absence prolongée76, la complexité de la demande ou le fait de devoir demander des documents à des tiers77.
Pour éviter la taxation d’office, les sanctions administratives et/ou pénales, le contribuable doit, formellement, répondre par écrit dans le délai imparti. Sur le fond, sa réponse doit également présenter certaines qualités78.
Ainsi, le contribuable veillera à répondre avec :
– précision : proscrire tout laconisme excessif qui pourrait être assimilé à une absence de réponse79 ;
– adéquation : contester ou demander un délai supplémentaire n’est pas répondre80 ;
– complétude : négliger une seule des questions vaut absence de réponse81 ;
– cohérence : se contredire lors de demandes successives peut révéler un refus de répondre82.
Bien entendu, le contribuable interrogé ne pourra toutefois pas être sanctionné pour une réponse inexacte83.
Initialement, le législateur a instauré l’article 316 du C.I.R. 92 afin de permettre au fisc d’obtenir du contribuable quelques informations non complexes. Le terme « renseignement » devait être considéré dans son acception usuelle et ne viser que des indications, de simples éclaircissements84. Selon la ratio legis du texte, les demandes devaient être simples, non excessives et non générales. Elles devaient être particulières à un contribuable déterminé85.
Cependant, force est de constater que tel n’est plus le cas aujourd’hui86 et que le contribuable est souvent sollicité par des demandes nécessitant des connaissances comptables significatives, des recherches importantes, et qu’il doit en outre souvent se soumettre à des questionnaires comprenant de très – trop – nombreuses questions87.
Le contribuable a l’obligation de fournir les renseignements réclamés « aux fins de vérifier sa situation fiscale ». À l’origine, un amendement au texte actuel voulait que les renseignements demandés se limitent uniquement à « ceux qui entrent dans le cadre des activités professionnelles du contribuable [et qui] ne nécessitent pas de recherches ou de prestations excessives »88. Cet amendement a été rejeté.
À l’instar de l’obligation de communiquer les livres et documents nécessaires à la détermination du montant des revenus imposables établie à l’article 315 du C.I.R. 92, l’objet de la demande est laissé à la libre appréciation de l’agent taxateur. Par ailleurs, l’article 317 du C.I.R. 92 précise que les demandes « peuvent porter sur toutes les opérations auxquelles le contribuable a été partie ». Les questions peuvent ainsi se rapporter à toutes les catégories de revenus – revenus immobiliers, mobiliers, professionnels ou divers89 – mais aussi porter sur tous les faits affectant positivement ou négativement la base imposable du contribuable tel que le nombre de personnes à charge, l’ampleur d’un handicap, la date de changement d’état civil, etc.
Dès l’origine, le ministre des Finances a précisé que ses agents ne pourraient utiliser ce pouvoir d’investigation qu’avec « discernement et modération » en évitant que le devoir de réponse du contribuable ne lui cause des pertes de temps et d’argent « exorbitantes »90.
Depuis lors, les instructions administratives se sont multipliées par voie de commentaires administratifs, circulaires et questions/réponses parlementaires. En substance, elles prescrivent d’effectuer une analyse de l’opportunité de certains renseignements demandés à la lumière des circonstances de l’espèce, d’adapter les questionnaires à cette espèce et d’ainsi proscrire les formulaires en série comprenant des demandes trop générales91, d’opérer de manière proportionnée eu égard à l’objectif poursuivi, d’agir avec objectivité et modération92, etc.
Face à des demandes trop techniques, trop générales ou encore trop complexes voire abusives, le ministre des Finances répond régulièrement93 que des « directives seront rappelées au service de taxation concerné »94.Il a déjàprécisé qu’un contrôle sur place peut s’avérer, en certaines hypothèses, plus conforme au principe de proportionnalité95. Au surplus, il rappelle que le contribuable a le droit de solliciter un délai de réponse supplémentaire96, voire la dispense de répondre à toute question ou partie de question qui serait excessive à son égard97 tel que le prévoit expressément le commentaire administratif98. À notre connaissance, il existe très peu de jurisprudence sur le caractère excessif d’une demande99.
L’article 317 du C.I.R. 92 prévoit que les demandes « peuvent porter sur toutes les opérations auxquelles le contribuable a été partie ». À l’instar de la Cour d’appel d’Anvers100, on peut y voir une interdiction de procéder à une fishing expedition.L’administration doit, en effet, nécessairement avoir une connaissance préalable de l’opération pour laquelle elle demande des renseignements101.
Dans un arrêt de principe du 4 janvier 2007, la Cour de cassation a admis le recours aux articles 315 et 316 du C.I.R. 92 pour établir une taxation indiciaire102 et a précisé que cette pratique ne constituait pas un détournement de procédure ni un renversement de la charge de la preuve. Nous pensons néanmoins que la possibilité d’aboutir à une taxation indiciaire en suite de l’utilisation de ces pouvoirs d’investigation nécessite une « connaissance préalable » de l’administration, fût-elle présumée, de l’existence de revenus non déclarés.
De cette manière, les règles organisant la charge de la preuve sont respectées103. De même, la condition de « connaissance préalable » concilie l’utilisation de l’article 316 du C.I.R. 92 dans le cadre d’une taxation indiciaire avec sa ratio legis. Rappelons en effet que ce pouvoir n’a été instauré que dans le but de permettre au fisc d’obtenir des précisions, des commentaires ou des éclaircissements au sujet de la déclaration du contribuable, c’est-à-dire au sujet d’éléments dont l’administration a déjà connaissance.
En conclusion, le pouvoir de demander des renseignements a une portée particulièrement large mais pas illimitée104. Le contribuable doit impérativement y répondre dans les délais sous peine de sanctions administratives, de sanctions pénales ou d’une taxation d’office. Face à une demande obscure, complexe ou abusive, il appartient au contribuable d’interpeller l’administration à cet égard dans les délais qui lui sont impartis pour y répondre. Dans ces délais, il pourra utilement interroger l’administration sur le sens de certaines questions, demander un délai supplémentaire, solliciter la consultation de son dossier administratif, expliquer pourquoi il estime, le cas échéant, ne pas devoir répondre à certaines questions, etc. Ces démarches lui permettront de répondre dans les délais, sinon sereinement, à tout le moins en connaissance de cause.
En pratique, l’instauration d’un dialogue constructif avec l’administration nous semble essentielle. Une bonne collaboration entre un contribuable et un agent taxateur réduit les risques d’intrusions excessives de la part de ce dernier. Par hypothèse, plus le contribuable collabore et moins l’administration doit user de ces prérogatives intrusives. En général, une bonne communication entre parties instaure un climat serein ; lequel crée, par lui-même, des limites raisonnables aux demandes de renseignements. Finalement, le contribuable collaboratif ne sera que très rarement tenté d’invoquer un moyen de défense tel que le droit de se taire pour ne pas répondre à tout ou partie d’une demande de renseignements.
Article 319 du C.I.R. 92.
Aux termes de l’article 319, alinéa 1er, du C.I.R. 92, le contribuable doit accorder « aux agents de l’administration en charge de l’établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission et chargés d’effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l’application de l’impôt sur les revenus, le libre accès, à toutes heures où une activité s’y exerce, aux locaux professionnels ».
Les locaux visés sont ceux « où le contribuable exerce normalement son activité professionnelle »105.
Initialement, ce droit de visite ne pouvait être exercé qu’afin de « constater la nature et l’importance [de l’]activité et de vérifier l’existence, la nature et la quantité de marchandises et objets » que le contribuable possède. En 2010, le législateur a complété l’alinéa 1er de l’article 319 du C.I.R. 92 afin de permettre aux agents « d’examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux professionnels »106. L’objectif du législateur était d’uniformiser l’étendue du droit de visite en matière d’impôt sur les revenus avec l’étendue de celui existant en matière de T.V.A.107.
Le deuxième alinéa de cet article étend le droit de visite « aux autres locaux » lorsqu’une activité professionnelle y est exercée ou est présumée y être exercée. Lorsque ces locaux sont habités, la doctrine parlera souvent de locaux mixtes par opposition aux habitations pures que l’administration ne peut visiter.
Contrairement au premier alinéa, qui ne permet de visiter les locaux de l’activité habituelle du contribuable qu’aux heures durant lesquelles une activité y est effectivement exercée, le deuxième alinéa permet les visites en dehors desdites heures d’activité. Néanmoins, l’accès aux locaux habités (aux locaux mixtes) ne peut avoir lieu qu’entre cinq heures du matin et neuf heures du soir et requiert l’autorisation préalable du juge de police.
Enfin, l’alinéa 3 de l’article 319 du C.I.R. 92 permet spécifiquement de contrôler, sur le matériel du contribuable, « la fiabilité des informations, données et traitements informatiques » de ce dernier.
Seuls les agents « munis de leur commission et chargés d’effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l’application de l’impôt sur les revenus »108 peuvent procéder à une visite de locaux professionnels. Cela ne signifie toutefois pas que les agents taxateurs doivent être munis d’une lettre de mission spécifique à la visite à réaliser109. Ils ne doivent pas être munis d’un mandat individuel110. En néerlandais, l’article 319 du C.I.R. 92 utilise d’ailleurs l’expression « aanstellingsbewijs », que l’on peut traduire par « preuve de nomination ». On peut en conclure que les agents compétents doivent, lors d’une visite, être munis de leur « carte professionnelle ». Cette carte atteste de leur identité et de leur qualité. Il s’agit de permettre au contribuable d’identifier l’agent taxateur sans ambiguïté avant de l’autoriser à visiter ses locaux professionnels111.
La question se pose de savoir si l’agent doit, d’initiative, présenter sa commission lors d’une visite ou, au contraire, ne doit la présenter que sur interpellation du contribuable. L’enjeu de cette question est la régularité de la visite sur place et, partant, des éventuelles cotisations subséquentes.
Pour le ministre des Finances, l’agent chargé du contrôle ne doit présenter sa commission qu’à la demande du contribuable112. Ce dernier ne pourrait pas en exiger copie, sauf à introduire une demande écrite conformément à la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration113. Selon la thèse ministérielle, il appartiendrait au contribuable contrôlé de vérifier si la personne qui se présente à lui a les compétences requises pour exercer un droit de visite. Aussi, en cas de doute et toujours selon le ministre, il lui reviendrait de « prendre contact avec l’autorité hiérarchique du service concerné »114.
A contrario, certaines juridictions ont considéré qu’un contrôle était illégal et, partant, que toutes constatations réalisées à cette occasion devaient être écartées, lorsque l’administration ne pouvait prouver – ne serait-ce que par présomptions – que l’agent était muni de sa commission au moment du contrôle115.
La Cour de cassation semble écarter cette jurisprudence en privilégiant le consentement du contribuable116. Selon la Cour, il suffirait de constater l’accord formel du contribuable quant à la visite de ses locaux professionnels pour conclure à sa régularité. Pour autant que l’accord ressorte indiscutablement du dossier, l’administration ne serait dès lors pas tenue de prouver la possession de la commission lors du contrôle117. La Cour a confirmé sa position dans un arrêt du 12 septembre 2008118.
Cette jurisprudencene doit pas être interprétée comme dispensant l’administration de démontrer qu’elle use de ses pouvoirs d’investigation conformément aux conditions fixées par la loi119. Elle doit ainsi pouvoir prouver, selon nous120, que l’agent qui a réalisé la visite était, au moment de celle-ci, en possession de sa commission ou, à tout le moins, que le contribuable a formellement accepté, en connaissance de cause, de se soumettre à la visite. Cela suppose que le contribuable soit informé, préalablement à l’exercice de ce droit, de l’identité et des qualités de l’agent qui souhaite le mettre en œuvre.
À cet effet, en pratique et bien qu’il ne soit pas obligatoire, le procès-verbal de visite semble, pour l’administration, être le moyen de preuve le plus adéquat. Ce procès-verbal devrait dès lors toujours mentionner explicitement que l’agent était muni de sa commission lors de la visite ou, à défaut, contenir l’accord formel du contribuable121. Il ne peut néanmoins être exclu que la preuve du consentement provienne d’autres documents ; l’essentiel étant, selon nous, que le contribuable puisse clairement identifier tout contrôleur lors de chaque visite. En toute hypothèse, il apparaît que l’agent taxateur doit nécessairement agir d’initiative afin de se ménager la preuve d’avoir exécuté son pouvoir d’investigation conformément aux exigences de la loi.
Dans l’état actuel du texte, nous estimons qu’une autre interprétation de l’article 319 du C.I.R. 92 compromettrait l’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts particuliers. Interprétée de manière moins restrictive, cette disposition n’offrirait pas de garanties suffisantes au contribuable. Ce dernier doit en effet pouvoir contrôler l’exercice des pouvoirs d’investigation de l’administration, et ce, en particulier lorsqu’il s’agit d’un pouvoir aussi intrusif que le droit de visite.
L’alinéa 2 de l’article 319 du C.I.R. 92 permet à l’administration de « réclamer le libre accès » aux locaux où une activité est exercée ou « présumée » y être exercée, et ce, même durant des périodes où aucune activité n’y est effectivement exercée. Selon nous, cela implique nécessairement que la décision de visiter de tels locaux soit motivée. Cela suppose que le contrôleur ait une connaissance préalable et précise de l’existence de ces locaux et qu’il les identifie clairement122.
Lorsqu’il s’agit de locaux habités, l’accès ne peut s’effectuer qu’entre cinq heures du matin et neuf heures du soir et nécessite l’autorisation préalable du juge de police. Selon la ratio legis de cette disposition, la visite de locaux professionnels habités ne devait s’exercer que de manière exceptionnelle. Elle devait être réservée aux cas de suspicion, sérieusement motivés, de « travail au noir » pratiqué dans lesdits locaux habités123. Le texte de loi en vigueur ne limite néanmoins pas le droit de visite domiciliaire à ces cas exceptionnels. Il offre un pouvoir d’investigation bien plus étendu, que l’administration utilise largement en pratique, notamment pour contrôler la quote-part d’occupation professionnelle des habitations124.
En matière de droit de douanes et d’accises, la Cour constitutionnelle125 comme la Cour de cassation126 ont souligné la nécessité, pour le juge de police, de motiver ses autorisations de visite domiciliaire. Comme le souligne la Cour constitutionnelle, « l’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial constitue une garantie importante contre les risques d’abus ou d’arbitraire ». Le juge doit contrôler et entériner les motifs avancés par l’administration pour justifier l’atteinte au principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile. Dès lors, chaque autorisation doit être « spécifique, […] concerne[r] une enquête précise, vise[r] une habitation déterminée et ne vaut que pour les personnes au nom desquelles l’autorisation est accordée »127. Selon nous, ces conclusions doivent trouver à s’appliquer en matière d’impôts sur les revenus comme en matière de T.V.A.128.
Enfin, soulevons qu’en l’absence d’autorisation du juge de police, la visite d’un local habité est illégale. Actuellement, la jurisprudence est cependant divisée sur la question de savoir si le consentement du contribuable concernant une visite domiciliaire peut pallier l’absence d’autorisation du juge de police129. À notre sens, la jurisprudence citée de la Cour de cassation selon laquelle le consentement formel du contribuable peut, dans certaines circonstances, couvrir l’absence de commission lors de la visite de locaux professionnels130 ne peut pas être transposée à la visite domiciliaire qui, par sa nature même, nécessite des garde-fous plus importants131.
Le législateur a souhaité protéger le contribuable contre les abus éventuels de l’administration en subordonnant toute visite de locaux habités au contrôle d’un juge indépendant et impartial. Il s’agit de légitimer l’intrusion qu’une telle visite implique et de conserver la proportionnalité requise entre l’ingérence de l’État dans la vie privée des contribuables et l’objectif que celle-ci poursuit. Cela implique que l’ingérence soit motivée et que cette motivation puisse être soumise au débat judiciaire contradictoire. À défaut, à l’instar de la Cour constitutionnelle en matière de droits de douane et d’accises, on peut estimer que les dispositions relatives au droit de visite domiciliaire « ne satisf[eraient] pas aux exigences de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme et entraîne[raie]nt une ingérence arbitraire dans le droit à l’inviolabilité du domicile, garanti par l’article 15 de la Constitution et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme »132.
La doctrine et la jurisprudence ont longtemps admis que le droit de visite des locaux professionnels dont bénéficie l’administration des contributions directes, comme celui dont jouit l’administration de la T.V.A., n’impliquait pas un droit de perquisition133.
La jurisprudence récente ne permet plus d’être aussi affirmatif. Sur la base d’un arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2003 rendu en matière de T.V.A., s’est développée une certaine jurisprudence qui a étendu la portée du droit de visite, jusqu’à autoriser un droit de recherche active s’apparentant à un véritable pouvoir de perquisition. À l’époque de cet arrêt, le droit de visite dont jouissait l’administration des contributions directes différait de celui reconnu à l’administration de la T.V.A. Aujourd’hui134, les deux administrations bénéficient des mêmes pouvoirs de sorte que la jurisprudence rendue en matière de T.V.A. sera susceptible d’être appliquée en matière d’impôts sur les revenus.
Dans l’arrêt du 16 décembre 2003 précité, la Cour de cassation indique que, lors d’une visite de locaux professionnels et selon les termes mêmes de la loi, les agents peuvent « examiner les livres et documents qui s’y trouvent, sans qu’ils ne doivent au préalable demander qu’on les leur communique » (traduction libre)135. Cet arrêt consacre donc la différence entre le droit de visite consacré à l’article 63 du Code de la T.V.A. (analogue à l’article 319 du C.I.R. 92) et le droit de requérir du contribuable des documents sans déplacement, tel qu’établi à l’article 61 du même Code (analogue à l’article 315 du C.I.R. 92)136.
On peut se demander si cet arrêt doit s’interpréter, à l’instar de l’administration et d’une partie de la jurisprudence137, comme consacrant le droit, pour les agents qui réalisent une visite de locaux professionnels voire mixtes, d’ouvrir des armoires ou de procéder à toute autre forme de recherche active138. Un tel pouvoir de recherche active, qui s’assimile à un pouvoir de perquisition139, ne semble pas pouvoir être déduit de la loi ni de ses travaux parlementaires140 et semble excessif s’il s’exerce en dehors de tout contrôle judiciaire. L’assistance du contribuable nous parait requise. Tout au plus, l’administration pourra sanctionner son absence de collaboration lors d’une visite par des amendes administratives ou pénales.
Articles 318 et 322 à 326 du C.I.R. 92.
L’article 322 du C.I.R. 92 permet principalement à l’administration d’interroger un tiers en vue de contrôler la situation fiscale d’un contribuable déterminé. Bien que le texte de loi ne l’indique pas explicitement, la demande adressée au tiers doit nominativement désigner le contribuable concerné. En pratique, l’administration use de ce pouvoir lorsque le contribuable en question ne collabore pas suffisamment ou est soupçonné de fraude141.
L’administration peut solliciter des tiers une réponse écrite ou procéder à leur audition. La procédure d’audition des tiers, peu utilisée en pratique, est réglementée par les articles 325 et 326 du C.I.R. 92. Les articles 451 et 452 du C.I.R. 92 prévoient des sanctions pénales particulières en cas, respectivement, de faux témoignages ou de refus de témoigner.
L’article 323 du C.I.R. 92 permet quant à lui à l’administration de solliciter des tiers tous renseignements en lien avec leurs affaires et visant toute personne, contribuable ou non, ou tout ensemble de personnes, même non nominativement désignées, avec qui elles ont traité directement ou indirectement dans le cadre desdites affaires. Ce pouvoir d’investigation permet à l’administration centrale de produire des banques de données internes portant sur des opérations particulières142. Cet article serait utilisé dans le cadre de la lutte générale contre la fraude par la collecte et le traitement d’informations relatives à des secteurs d’activités particuliers143.
Le tiers interrogé sur cette base doit répondre à l’administration dans le délai fixé par cette dernière. La pratique révèle que le délai laissé par l’administration est en général très court – souvent huit jours. Le tiers peut, bien entendu, demander un délai complémentaire pour répondre. En l’absence de réponse, le tiers s’expose à des sanctions administratives, voire pénales144.
L’article 323bis du C.I.R. 92 permet à l’administration d’interroger les concepteurs, programmeurs et autres informaticiens qui élaborent les programmes et systèmes informatiques utilisés par les contribuables145.
Enfin, l’article 324 du C.I.R. 92 permet à l’administration de vérifier l’exactitude des informations transmises par les tiers interrogés en application des articles 322, 323 et 323bis précités. L’administration peut ainsi consulter les documents sur la base desquels le tiers a fourni les informations demandées.
À notre connaissance, il n’existe pas de difficulté particulière concernant l’application des prérogatives établies aux articles 323 à 326 du C.I.R. 92 telles qu’exposées ci-avant146. Nous nous limiterons à quelques brèves considérations sur l’évolution subie ces dernières années par le secret bancaire belge147.
Le secret bancaire n’existe, en Belgique, qu’en matière d’impôts sur les revenus148 et connaît, en raison du mouvement international de transparence et d’échange de renseignements, un nombre d’exceptions toujours croissant149, les dernières ayant été insérées par les lois des 14 avril 2011150 et 7 novembre 2011151 portant des dispositions diverses152. Ce secret semble désormais ne subsister que « sur un plan essentiellement théorique »153. Actuellement, il est encore reconnu aux articles 318 et 322 du C.I.R. 92, à savoir dans les cas de demande de renseignements adressée à la banque en tant que contribuable (article 318 du C.I.R. 92) ainsi qu’à cette dernière en tant que tiers (article 322 du C.I.R. 92).
Le premier alinéa de l’article 318 du C.I.R. 92 prévoit que l’administration des contributions directes ne peut, lorsqu’elle utilise ses pouvoirs d’investigation pour contrôler un établissement financier, recueillir des informations en vue d’imposer les clients de cet établissement. Dans un arrêt du 19 avril 2012, la Cour de cassation a précisé que cette interdiction ne jouait que lorsque l’administration recevait des informations en utilisant ses pouvoirs d’investigation dans le cadre d’une procédure de taxation. En l’espèce, la banque avait communiqué des informations dans le cadre d’une réclamation. Or, le secret bancaire prévu par l’article 318 du C.I.R. 92 ne vise que la phase d’établissement de l’impôt. L’article 374, alinéa 2, du C.I.R. 92 prévoit, quant à lui, la possibilité pour l’administration de solliciter des établissements financiers « tous renseignements […] qui peuvent être utiles » lors de l’instruction d’une réclamation154. Ainsi, selon la Cour, les informations transmises « spontanément » par une banque dans le cadre d’une réclamation ne sont pas couvertes par le secret bancaire établi par l’article 318 du C.I.R. 92. Partant, ces informations peuvent être utilisées pour imposer ses clients.
Aux termes du deuxième alinéa de l’article 318 du C.I.R. 92, si l’enquête menée auprès de la banque fait « apparaître des éléments concrets permettant de présumer l’existence ou la préparation d’un mécanisme de fraude » alors, moyennant l’intervention d’un fonctionnaire du grade d’inspecteur au moins, le secret bancaire érigé au premier alinéa est également écarté.
Comme nous l’avons vu, l’article 322 du C.I.R. 92 permet à l’administration d’interroger tout tiers en ce qui concerne la situation fiscale d’un contribuable déterminé et dans le but d’assurer la juste perception de l’impôt. Il avait toujours été admis que l’administration ne pouvait utiliser cette disposition pour contourner le secret bancaire érigé à l’article 318 du C.I.R. 92155.
La loi du 14 novembre 2011 a toutefois ajouté trois exceptions au secret bancaire visé à l’article 322 du C.I.R. 92156, dans lesquelles l’administration peut requérir des informations bancaires aux établissements financiers157 :
– L’administration dispose d’un ou de plusieurs indices de fraude ;
– L’administration envisage de procéder à une taxation indiciaire158 ;
– Un État étranger requiert des renseignements dans le cadre de l’assistance mutuelle entre États membres de l’Union européenne telle que prévue par la directive du 15 février 2011 transposée en droit belge à l’article 338 du C.I.R. 92 ou en application d’une disposition d’échange de renseignements prévue par convention et sous condition de réciprocité159.
Lorsque l’une de ces hypothèses est rencontrée, l’administration ne peut interroger les banques que sur autorisation du directeur régional compétent160. Dans la dernière hypothèse, l’autorisation est délivrée sur la base, uniquement, de la demande d’un État étranger que la loi assimile à un indice de fraude161. Par contre, l’autorisation n’est délivrée, dans les deux autres hypothèses, que si le contribuable a préalablement été interrogé et qu’il n’a pas livré de réponse satisfaisante alors qu’il était dûment informé que, dans ce cas, les banques pourraient être interrogées162.
Lorsque ces conditions sont remplies, l’administration doit, « simultanément à l’envoi de la demande de renseignements »163 à l’établissement financier, notifier au contribuable par recommandé le ou les indices de fraude justifiant l’enquête bancaire ou les éléments sur la base desquels elle estime que les investigations menées peuvent, éventuellement, conduire à une taxation indiciaire164. Si les droits du Trésor sont en péril, cette notification pourra néanmoins être opérée post factum jusqu’à 30 jours après l’envoi de la demande de renseignements à la banque.
Ces nouvelles dispositions soulèvent beaucoup d’interrogations.
Tout d’abord, elles créent la notion de « projet de taxation indiciaire » qui, sans être définie, ouvre le champ à une enquête bancaire « en dehors de tout indice de fraude fiscale, ce qui surprend, voire discrimine, et en tout cas ouvre la porte à des abus »165. Ensuite, elles confèrent une nouvelle ampleur aux réponses que doit donner le contribuable aux demandes de renseignements qui lui sont adressées. Ainsi, en sus d’amendes et de la taxation d’office, le contribuable dont la réponse ne satisferait pas aux attentes du fisc s’expose désormais au risque de voir tous ses comptes bancaires, privés comme professionnels – belges, voire étrangers166 – examinés. Ces dispositions instaurent un nouveau moyen d’investigation redoutable qui pourrait offrir à l’administration, dans certaines circonstances167, une simplification des conditions d’accès au délai extraordinaire d’investigation. Par ailleurs, le traitement des données bancaires à caractère personnel obtenues par le fisc risque d’échapper au contrôle du contribuable168. Il conviendra donc pour les organes chargés de la mise en œuvre de cette législation de faire preuve de modération et de discernement.
Le système d’imposition belge nécessite une collaboration importante du contribuable (section 1). Pour combler d’éventuelles insuffisances, activer ou renforcer la coopération, l’administration dispose de pouvoirs d’investigation exorbitants du droit commun (section 2). Le juste établissement de l’impôt, dans un État de droit, implique de respecter les libertés fondamentales de ses citoyens. Cette situation sous-tend la nécessité d’un équilibre entre l’intérêt général et les intérêts particuliers. Les développements qui suivent ont pour objet d’en dresser l’état des lieux, en particulier eu égard au droit à la vie privée et au droit au silence.
Articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 15 et 22 de la Constitution.
Le droit à la vie privée est garanti par les articles 15 et 22 de la Constitution ainsi que, notamment, par l’article 8.1 de la Convention européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.). Ce droit n’est pas absolu : l’article 8.2 de la C.E.D.H. énumère les conditions qui permettent aux autorités publiques de s’ingérer dans la vie privée des citoyens.
Selon une jurisprudence constante169, l’ingérence est permise lorsqu’elle respecte :
– leprincipe de légalité : elle doit être prévue par une loi claire, précise et accessible ;
– le principe de légitimité : elle doit reposer sur un but légitime qui, en droit fiscal, est le bien-être économique de l’État ;
– le principe de proportionnalité : l’ingérence doit être nécessaire à la réalisation du but légitime visé.
Concrètement, comme l’écrit G. Zeyen, « la protection qu’est susceptible d’offrir au contribuable le droit au respect de la vie privée […] est plutôt réduite […] dès lors qu’un État – désireux de s’ingérer dans la vie privée de ses contribuables […] – s’entoure d’un minimum de “précautions”/garanties, afin de s’assurer que la mesure d’ingérence envisagée reste bien proportionnée au but poursuivi »170.
Ces garanties doivent être respectées dans toute phase du processus d’adoption et d’application de la règle : même si la loi qui les autorise respecte en elle-même toutes les conditions requises, cela n’implique pas automatiquement que lesdites conditions soient respectées par les autorités publiques qui les mettent en œuvre. Ceci ressort notamment des arrêts de la Cour constitutionnelle des 14 février et 14 mars 2013171, validant les exceptions au secret bancaire exposées ci-avant – articles 322, §§ 2 à 4, et 333/1, du C.I.R. 92 tels qu’instaurés en 2011172. Pour la Cour constitutionnelle, le principe de proportionnalité est respecté puisque l’interrogation d’un établissement financier n’est autorisée qu’à la faveur de l’intervention d’agents expérimentés tenus au secret et seulement après l’application d’une procédure dite « par paliers ». Par ailleurs, la Cour rappelle qu’une notification est envoyée par recommandé au contribuable, simultanément à l’envoi de la demande de renseignements adressée à la banque, afin de l’informer des motifs qui justifient ladite demande. Partant, le contribuable est, selon la Cour, « en mesure de réagir et de contester la légalité de cette demande »173.
La possibilité pour le contribuable d’agir contre la demande (sous contrôle juridictionnel)174 est donc un élément à apprécier dans l’examen de la proportionnalité. Il apparaît donc essentiel, puisque ce droit d’action doit toujours pouvoir être effectivement exercé, que certaines modalités de mise en œuvre de la loi n’en compromettent pas l’exercice. Tel pourrait être le cas, par exemple, si l’administration fixait à l’établissement financier un délai de réponse à ce point court que le contribuable ne serait plus en mesure de réagir.
Article 6 de la C.E.D.H.
L’article 6 de la C.E.D.H. garantit à toute personne le droit à un procès équitable. Cette garantie s’applique soit dans le cadre d’une contestation civile, soit en matière d’accusation pénale. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, « même si l’article 6 de la Convention ne le mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6, § 1. En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de “l’accusé”. »175
Bien que cela soit contestable176, la Cour de Strasbourg n’admet l’application de cet article en matière fiscale que sous son volet pénal. Pour que le droit au silence trouve à s’appliquer en droit fiscal, il faut ainsi être dans une situation d’« accusation en matière pénale »177.
Cette jurisprudence est reconnue depuis 1992 par la Cour de cassation178 et depuis 2001 par la Cour constitutionnelle179. Toutes deux ont, par ailleurs, érigé le droit de se taire au statut de principe général du droit180. Par conséquent, le droit de se taire, en principe, est applicable en droit fiscal, à certaines conditions. Toutefois, l’application concrète du droit de se taire par nos juridictions inférieures est loin d’être uniforme181. Sa portée demeure ainsi, en pratique, incertaine. Il en est de même des conséquences qui s’attachent à la violation du droit de se taire par l’administration fiscale.
Le droit de se taire s’applique en présence d’une accusation en matière pénale. Le caractère pénal d’une accusation au sens de l’article 6.1 de la C.E.D.H. reçoit une interprétation autonome. Traditionnellement, depuis l’arrêt de principe Engel de 1976182, la Cour utilise trois critères principaux pour juger du caractère pénal d’une accusation, à savoir :
– La qualification de l’infraction en droit interne, étant entendu que ce critère n’a qu’une « valeur relative »183. Ce critère n’a d’importance que si l’infraction incriminée appartient au droit pénal interne. En ce cas, la Cour considère être nécessairement en présence d’une accusation en matière pénale. Dans le cas contraire, elle examine les autres critères.
Autrement dit, une sanction administrative en droit interne peut, bien entendu, constituer une sanction pénale au sens de l’article 6.1 de la C.E.D.H.
– Le degré de sévérité de la sanction, étant entendu que « la faiblesse de l’enjeu ne saurait retirer à une infraction son caractère pénal intrinsèque »184. C’est donc le degré de sévérité de la sanction encourue in abstracto qui s’apprécie et non la sanction subie in concreto185.
– La nature de l’infraction, étant entendu qu’il s’agit de déterminer si la sanction attachée à l’infraction a vocation à être dissuasive et/ou punitive en plus d’être, le cas échéant, indemnitaire.
Les critères d’appréciation de la nature de l’infraction ont été précisés dans l’arrêt Bendenoun186. Ces critères ont été repris en droit interne par notre Cour de cassation dans son arrêt du 25 mai 1999187. Ainsi, toute sanction fiscale possède un caractère pénal dès lors qu’elle :
– « [1.] concerne sans distinction tous les contribuables et non uniquement un groupe déterminé doté d’un statut particulier ;
– [2.] prescrit un comportement déterminé et prévoit une sanction en vue de son respect ;
– [3.] ne concerne pas seulement une réparation pécuniaire d’un préjudice mais tend essentiellement à sanctionner afin d’éviter la réitération d’agissements similaires ;
– [4.] se fonde sur une norme à caractère général dont le but est à la fois préventif et répressif ;
– [5.] est très sévère eu égard à son montant ».
Cette position a été confirmée par la Cour constitutionnelle188.
Actuellement, nous constatons qu’une sanction sera généralement considérée comme étant pénale dès qu’elle est dissuasive et/ou punitive189.
Dans le cadre de cette contribution, nous avons vu que le défaut de collaboration du contribuable l’expose à des sanctions administratives, à des sanctions pénales ainsi qu’au risque d’une taxation d’office190. De manière générale, relevons qu’une amende administrative peut être appliquée pour toute infraction au C.I.R. 92191 et qu’une amende pénale peut intervenir chaque fois que l’infraction est commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire192. Par ailleurs, en cas d’absence de déclaration, de déclaration incomplète ou inexacte, le contribuable s’expose à un accroissement d’impôt193 variant de 10 à 200 % des impôts dus sur les revenus non déclarés194.