Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Extrait : "Depuis que j'ai publié mon Pâtissier royal parisien, dont deux parties ont été séparées pour former ce nouveau traité, j'ai de beaucoup augmenté et embelli cette intéressante partie du froid, par de nouvelles entrées dont l'élégance atteste le goût du jour."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.
LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :
• Livres rares
• Livres libertins
• Livres d'Histoire
• Poésies
• Première guerre mondiale
• Jeunesse
• Policier
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 484
Veröffentlichungsjahr: 2015
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
EAN : 9782335054064
©Ligaran 2015
Lève-toi, ombre illustre de Laguipière ! entends la voix de l’homme qui fut ton admirateur et ton élève. Tes talents extraordinaires te valurent la haine et la persécution de ceux qui devaient t’estimer en reconnaissance de ta noble émulation pour le perfectionnement de ton état. Mais que dis-je ? l’homme de talent doit-il donc jouir en paix du fruit de ses méditations ? n’en ai-je pas fait la pitoyable expérience ? Ô vicissitude ! Ô ignorance ! Ô détestable envie ! Ô Laguipière ! l’infâme calomnie t’entoura de viles tribulations ; par la cabale tu te vis forcé de quitter ta belle patrie, pour aller en Italie servir un homme puissant dont tu avais fait naguère les délices à l’Élysée-Bourbon. Tu suivis ton roi en Russie ; mais hélas ! par une fatalité trop déplorable dans nos fastes militaires, tu as péri misérablement, les pieds et les mains gelés par l’affreux climat du Nord. Tu fus contraint de te voir attacher sans mouvement derrière la voiture de ton roi espérant fuir cette terre meurtrière ; mais hélas ! l’implacable mort t’avait déjà frappé. Arrivé à Wilna, ton prince généreux prodigua l’or pour te sauver, et ton corps expirant ne pouvait plus recevoir de nourriture.
Ô mon maître ! tu vécus persécuté, et pour comble de douleur, tu te vis expirer dans les angoisses mille fois cruelles de la faim et du froid glacial du Nord.
Ô grand Laguipière ! dans ce jour solennel, reçois l’hommage public d’un disciple fidèle. Oui, en dépit de tes envieux, je vais associer ton nom à mes travaux. Déjà dans mes ouvrages je t’ai cité avec orgueil ; et dans ce jour cher à mon cœur, je lègue à ta mémoire mon plus bel ouvrage. Il attestera dans l’avenir l’élégance et la somptuosité de l’art culinaire au dix-neuvième siècle ; et si Vatel s’est illustré par un point d’honneur cher à tout homme de mérite, ta fin malheureuse, ô Laguipière ! te rend bien digne d’illustration. C’est par ce point d’honneur que tu voulus suivre ton prince en Russie, et tu fus témoin de nos désastres dont toi-même fus frappé. Mais hélas ! tu aurais dû mourir à Paris, tes cheveux blancs semblaient t’assurer un plus beau destin ; et cependant tu partageas le triste sort de nos vieux vétérans, l’honneur de nos phalanges guerrières périssant de faim et de froid sous le ciel glacé des Russes.
Ô Laguipière ! repose en paix dans la tombe : ta renommée a vengé tes injures.
En publiant ce nouveau traité des socles, des grosses pièces, des entrées froides et de l’entremets de sucre, j’ai pensé qu’il était nécessaire, tant pour les hommes du métier que pour moi-même, de diviser mon grand traité sur la cuisine moderne en cinq ouvrages publiés séparément : d’abord pour en faciliter l’acquisition, et ensuite pour obtenir le temps convenable à l’achèvement de cette longue et difficile besogne que je me suis imposée.
D’après ce nouvel ordre de choses, j’ai donc extrait de mon Pâtissier royal parisien le traité des entrées froides et de l’entremets de sucre. Ces deux parties appartiennent incontestablement à la cuisine du jour. Je sais que nos cuisiniers actuels ont été empressés de confier ces deux belles parties aux pâtissiers hommes de goût et adroits. Nous avons en général la conviction que le froid réclame beaucoup de soins et de décors dans tous ses détails, et pourtant certains cuisiniers qui ne savent pas faire la pâtisserie (et qui par conséquent ne sont pas décorateurs), croient la chose facile dans son exécution ; de plus, ils ont la folie de dire qu’un bon pâtissier devient rarement bon cuisinier, et cela, parce qu’ils ont l’ignorance de la pâtisserie et qu’ils en sont jaloux ; car ils savent très bien que nous devenons supérieurs sitôt que nous voulons nous livrer à la cuisine, puisque en effet, lorsque nous réunissons la pâtisserie à la cuisine, ce talent nous donne une supériorité incontestable. Je veux soutenir ce que j’avance : mes ouvrages prouveront que pour devenir cuisinier parfait, il faut avoir été pâtissier distingué : témoin nos plus fameux cuisiniers modernes, MM. Robert, Laguipière, Lasne, Riquette, Penel, Breton, Imbert, Adancour, et autres cuisiniers fameux ; et je puis assurer ces messieurs que la science du pâtissier du jour réclame tout autant de facultés intellectuelles que la cuisine, celle-ci étant d’ailleurs plus facile dans ses détails et son exécution, tandis que la pâtisserie ne reçoit sa qualité que dans des compositions toutes différentes les unes des autres.
Dans mon premier ouvrage j’ai démontré que la pâtisserie, l’entremets de sucre et les entrées froides étaient l’élégance de la cuisine moderne. Cependant ces trois parties réunies font par trop de besogne pour que le même homme puisse s’en charger avec tout le succès désirable, et surtout dans de grandes affaires : j’en ai fait l’expérience plusieurs fois dans mes grands travaux d’extras ; ces trois belles parties réclament véritablement dans leur exécution trois chefs habiles. C’est d’après ces considérations que j’engage mes confrères à se charger du froid à l’avenir.
Dans ce nouvel ouvrage j’ai donc augmenté le nombre des entrées et des grosses pièces froides, des socles et de l’entremets de douceur, par de nouvelles recettes. J’ai refait en grande partie mes dessins, et en ai augmenté le nombre ; j’ai fait graver mes planches par d’habiles artistes, tels que MM. Normand fils, Hibon et Thierry. Je n’ai donc rien épargné pour que cette nouvelle édition soit digne de la cuisine française au dix-neuvième siècle.
REMARQUES ET OBSERVATIONS SUR MON MAÎTRE-D’HÔTEL FRANÇAIS, PARALLÈLE DE LA CUISINE ANCIENNE ET MODERNE, CONSIDÉRÉE SOUS LE RAPPORT DE L’ORDONNANCE DES MENUS SELON LES QUATRE SAISONS, DEPUIS LE MOIS DE JANVIER JUSQU’À LA FIN DE DÉCEMBRE INCLUSIVEMENT.
Par ce travail, j’ai voulu épargner aux amphitryons et aux praticiens le temps de se recueillir pour la rédaction des menus. Je pense donc avoir atteint mon but, quoique certains cuisiniers (ignorant que la cuisine en maigre a aussi son velouté, son espagnole, ses bouillons et ses essences) me reprochent d’avoir fait une faute dans l’ordonnance de mes menus en maigre, en indiquant des entrées et entremets à l’espagnole, au velouté et à l’essence ; en cela, j’ai suivi l’exemple du fameux Laguipière. Mais les praticiens savent comment la bonne cuisine en maigre se préparait jadis, et comment on la prépare encore de nos jours.
Mes menus sont donc au complet, et je puis dire, sans être taxé de vanité, que j’ai de beaucoup agrandi la nomenclature des articles composant les menus de la cuisine moderne. Aussi beaucoup de mes confrères m’ont fait l’observation qu’un grand nombre de ces mêmes articles leur sont inconnus. Patience : mon grand traité sur la cuisine moderne les leur fera connaître. Mais une chose importante pour nous, c’est de rappeler ici, que l’essentiel de mon traité des menus est de présenter, selon les quatre saisons, une variété infinie dans le service journalier d’un cuisinier laborieux et intelligent, ayant le désir de varier son travail autant que possible ; la lecture de ce traité enrichira sa mémoire d’une infinité d’entrées et d’entremets faciles et en même temps élégants ; et dans des travaux extraordinaires, il trouvera plus de ressources encore dans mes menus.
C’est ainsi que j’établis l’utilité de mon travail, c’est un manuel à consulter sans cesse. Le cuisinier, en écrivant son menu du jour d’après son talent, y trouvera des choses nouvelles pour compléter l’ordonnance de son dîner. Il lui suffira de ce peu de recherches pour répandre de plus en plus sa réputation. C’est en suivant cette méthode que les jeunes gens jaloux de se faire un nom secoueront cette triste monotonie de la routine qui se traîne à pas de tortue dans la route de l’ignorance ; c’est ainsi, dis-je, qu’ils se rendront dignes d’acquérir de la réputation.
Je vais retracer un fait qui vient à l’appui de ce que j’avance sur les soins et la variété que le cuisinier industrieux doit sans cesse apporter dans son travail, pour provoquer l’appétit des amphitryons dont nous devons charmer la sensualité. Un jour, un grand seigneur que je servais me tint ce langage : « Carême, vous me ferez mourir de trop manger. J’ai envie de tout ce que vous me présentez, et c’est trop de tentations en vérité. – Monseigneur, lui répondis-je, ma grande affaire est de provoquer votre appétit par la variété de mon service, mais il ne m’appartient pas de le régler. » Le prince sourit, en me disant que j’avais raison, et je continuai à lui faire faire bonne chère.
Dans ce même traité des menus, j’ai voulu démontrer combien l’art culinaire était susceptible de s’accroître et de recevoir de nouveaux développements. J’en ai fait l’expérience depuis quinze années que je me suis entièrement livré à la cuisine : j’ai imaginé une infinité de potages, de grosses pièces, d’entrées, d’entremets et même de sauces. Mes confrères doivent en avoir la conviction par les détails contenus dans mon traité des menus. Et quoi qu’en puissent dire les envieux et les détracteurs, c’est une récompense toujours assurée aux hommes qui consacrent leur vie entière aux développements et aux progrès des arts et métiers, que, grâce à leurs travaux et à leurs efforts, leurs confrères soient plus estimés et la science plus honorée. Oui, telle sera toujours l’influence que les hommes de talent exerceront dans la société par leur industrie et leur noble désintéressement. Mais je suis étonné que certains personnages du métier aient cru devoir trouver dans ce traité des menus, les recettes des articles qui les composent : quelle folie ! D’autres praticiens ont dit que nos menus sont trop élégants pour le temps actuel : voulant exprimer par là, combien la rigide économie des maisons du jour est défavorable aux talents du cuisinier. Mais je me suis moi-même récrié sur cette triste position de la science culinaire, et c’est par suite de ces réflexions que je me suis décidé à diviser mon Maître-d’Hôtel français en deux traités. Le premier comprenant les menus de la haute cuisine, pour servir la table d’un grand seigneur à quatre entrées par jour et deux grands dîners par semaine, dont un de quarante-huit entrées, et le second de vingt à vingt-quatre entrées ; et chaque mois j’ai donné un grand menu pour un bal de six à douze cents personnes, et même de deux à trois mille. Dans le second traité, mes menus sont moins somptueux, et par conséquent moins coûteux. Je passe de semaine en semaine à chaque traité en particulier, afin de suivre les saisons, et de varier mes menus selon leurs productions. Par ce résultat, j’ai donc voulu que les cuisiniers de toutes les classes pussent profiter de mon travail. Ce serait inutilement que l’envie, cette âme hideuse de la médiocrité, pour nuire à cette nouvelle production, aurait la maladresse de vouloir faire passer pour être de moi les anciens menus que j’ai extraits des ouvrages écrits vers la fin du dix-huitième siècle, afin d’établir mon parallèle de la cuisine ancienne et moderne : ce que j’ai cité a été fidèlement copié. Relativement à mon traité des menus, il porte l’empreinte de l’esprit d’analyse du dix-neuvième siècle : c’est uniquement comme autorités et comme points de comparaison que j’ai joint à ce travail une collection des menus composés et servis par les hommes les plus en réputation depuis la renaissance de l’art ; et pour s’apercevoir de la différence de tous ces menus, il ne faut qu’un peu de bon sens. Mais, n’en déplaise à mes envieux, cet ouvrage est le plus intéressant qu’un praticien ait jamais composé et décrit. Car, pour décrire la recette de quelque article que ce soit, la mémoire nous en retrace les détails à mesure que l’opération avance et s’exécute ; c’est un objet isolé, dont la substance et la composition de l’assaisonnement font un ensemble toujours le même : tandis que pour la rédaction des menus, c’est bien autre chose ; l’esprit est sans cesse occupé du choix d’une infinité d’objets distincts, qui par leur réunion doivent former une parfaite harmonie dans tous les détails d’un grand festin. En voici un exemple incontestable : mes grands menus se composent de huit potages, huit relevés, huit grosses pièces et quarante-huit entrées : pour le second service, huit grosses pièces d’entremets, huit plats de rôts, huit relevés de rôts et quarante-huit entremets ; ensuite les assiettes volantes : ce qui donne un nombre de 136 articles bien distincts, dont la variété doit annoncer, au premier coup-d’œil, la somptuosité et l’élégance du grand art gastronomique et plus difficile encore d’après ma méthode, puisque je m’impose la tâche de placer sur mes menus les entrées et les entremets parallèlement et tels qu’ils doivent être posés sur la table. Certes, ce travail est plus honorable pour nous qu’une description de la recette du bœuf à la mode.
J’ai joint à ce traité les menus que j’ai servis à de grands personnages, en Angleterre, en Allemagne et en Russie. J’ai comparé en même temps les productions alimentaires de ces pays avec celles qui croissent sous le beau ciel de la France, et mes voyages n’ont point été sans résultat pour la science.
Maintenant je vais rappeler à mes confrères, que mon traité des menus embrasse depuis le mois de janvier jusqu’à la fin de décembre inclusivement ; que les premiers menus en tête de mon livre sont extraits des ouvrages des Soupers de la cour et de Vincent la Chapelle, puis d’un manuscrit inédit du fameux Iliot, contrôleur de la maison de Louis XV. C’est de ces mêmes menus extraits de ces différents ouvrages que j’ai cru devoir me servir pour établir mon parallèle de la cuisine ancienne et moderne : travail où j’ai voulu que le lecteur pût porter un jugement sur la différence des deux époques. Mais la supériorité de la cuisine moderne est immense ; la simplicité et l’élégance s’y joignent à la somptuosité, et la caractérisent honorablement. Mon traité des menus en est la preuve incontestable.
Depuis vingt-cinq ans que je pratique mon état avec quelque distinction, j’ai toujours eu à cœur de faire honorer l’art culinaire, en l’honorant moi-même par mes travaux. Les ouvrages que j’ai publiés en sont une preuve certaine. Je pense donc avoir acquis le droit de réfuter ces auteurs ridicules qui écrivent sur la science de la gastronomie, pour la dégrader et l’avilir.
Je veux donc venger mon art du tort qu’il reçoit de ces hommes audacieux qui se donnent pour littérateurs, en multipliant les soustractions qu’ils n’ont pas honte de faire, et en publiant des compilations, véritable assemblage d’ignorance et de charlatanisme. Dans la première édition de mon Pâtissier royal parisien, j’ai réfuté fortement ces livres ridicules qui font la honte de la cuisine française (Voyez Discours préliminaire) ; je disais alors : « Il n’est point ici d’équivoque, messieurs, car la médiocrité est incompatible avec le vrai talent ; et si réellement votre capacité vous avait permis de mieux faire, pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? » Cette vérité est dure, mais elle est incontestable. Mais depuis que j’ai tracé cette critique, des plagiaires plus audacieux encore ont osé écrire les deux misérables livres que je vais réfuter. Je démontrerai à ces tristes auteurs du Cuisinier des cuisiniers, de la Cuisinière cordon bleu, du Nouveau Dictionnaire des aliments, et aux hommes du métier qui n’ont pas craint d’écrire sur l’art culinaire, combien leurs chétives productions sont loin d’être le résumé de la grande cuisine française. Les trois ouvrages que j’ai publiés doivent déjà les faire rougir de honte ; mais ils verront bien mieux encore dans celui-ci combien est risible la prétention de rédiger un livre pratique, quand on est médiocre praticien ; et plus risible encore, quand on descend jusqu’au misérable rôle de compilateur. Je sais d’avance que l’amour-propre de ces messieurs va se trouver froissé ; mais en dépit de leurs petites vengeances, je veux initier mes confrères dans les secrets de la science, et en même temps leur signaler le pédantisme des plagiaires, tels, par exemple, que l’auteur du livre intitulé : le Cuisinier des cuisinires. Quel titre illusoire et emphatique ! cela ressemble beaucoup à ces charlatans qui, pour vendre leurs drogues, surprennent la confiance des passants par des discours exagérés. Cette première observation va me servir pour caractériser et démasquer aux yeux de mes confrères l’auteur de ce prétendu Cuisinier des cuisiniers. Oui, messieurs ! ce chétif ouvrage est le fruit des prétentions d’un homme de lettres en délire ; et si l’Homère de la pâtisserie française dort quelquefois, selon le plagiaire, je veux à mon tour signaler les insomnies et les extravagances de cet auteur moins gastronome que lettré : car je vous jure qu’il n’a jamais vu en face le dîner d’un grand seigneur. J’ai dit que le titre de son ouvrage était vain, illusoire et emphatique ; en effet, il ne fut jamais d’illusion plus délirante et plus complète de la part d’un littérateur (qui ne sait que faire du temps), que de croire pouvoir composer un livre de cuisine avec des compilations d’autres livres qui traitent de cette matière et qui encore en traitent misérablement, puisqu’il est vrai de dire que les auteurs de ces ouvrages, quoique hommes de bouche, ne furent jamais cités comme praticiens de réputation.
Je veux donc venger mon art des atteintes qu’il reçoit de la part des plagiaires ; et pour les repousser sans effort de ma part, je veux faire un rapprochement à la honte de ces messieurs. L’estimable auteur des Leçons de littérature française a composé deux livres excellents de morceaux choisis, extraits de nos meilleurs auteurs. Ici, l’esprit juge aisément du génie des hommes qui se sont illustrés comme poètes et comme littérateurs. Mais M. Noël, en composant ses Leçons de littérature française, grecque et latine, a copié textuellement ses auteurs ; tandis que l’auteur qui a fait le livre ridicule déjà cité, a cherché à s’approprier l’œuvre d’autrui en défigurant ses auteurs, et, avec plus d’assurance encore, a osé citer des hommes qui n’ont jamais écrit sur l’art alimentaire, et qu’il n’a jamais vus ni connus !
Dans le discours préliminaire de mon Pâtissier royal parisien, j’ai réfuté fortement ces livres ridicules, archives de l’ignorance et de l’erreur ; car tout homme de sens ne peut se refuser à l’évidence de cette vérité incontestable : que les arts et métiers ont un langage qui leur est propre ; que l’homme qui le méconnaît en écrivant sur une matière qu’il ignore, se donne un ridicule extrême aux yeux des praticiens. Persuadé que pour composer un livre pratique il faut de toute nécessité bien connaître la matière que l’on veut analyser et démontrer, ne puis-je donc pas m’écrier hautement : Ô ignorance de la matière ! combien tu égares les hommes audacieux et intéressés ! car ce n’est que l’appât du gain qui peut décider un écrivain à entreprendre et à composer un mauvais livre. Puis, quel dérèglement d’esprit de vouloir faire parler des morts qui n’ont jamais rien dit ! il est des convenances qu’on ne peut enfreindre sans blesser son propre jugement et celui des autres. Mais le charlatanisme est capable de tout ; et notre compilateur, pour se donner les apparences d’un homme du métier, s’est permis de citer les noms de nos grands maîtres, dont il n’a trouvé la réunion que dans mes ouvrages. Lorsque j’ai rendu cet hommage public de ma reconnaissance en rappelant au souvenir de mes confrères les noms des Iliot, des Dalégre, des Sauvant, des Lefèvre, des Sabatier, des Mécélier, j’étais loin de penser qu’un plagiaire avilirait ces noms justement réputés, en les ajustant à des recettes indignes de leurs beaux talents. Ces hommes, l’orgueil de la cuisine française à la fin du dix-huitième siècle, n’existaient plus, je pense, au commencement de la révolution de 93, puisqu’il est vrai qu’aucun d’eux ne fut pour rien dans les développements de la cuisine moderne, dont j’ai signalé les effets et les causes (Voyez mon Maître-d’hôtel français.). Mais si je n’ai pas connu ces grands personnages, du moins en ai-je entendu parler souvent par les hommes en vogue du jour qui furent leurs élèves. Aussi ai-je cité avec empressement les noms des Robert, des Laguipière, des Lacour, des Chand, des Bardés, des Richaud, des Lasne, des Boucher, des Legagneur, des Riquette, des Loyez, et une infinité d’hommes justement renommés ; et je suis indigné de voir un compilateur assez osé pour dire les avoir connus et fréquentés, et cela pour citer des ouvrages qui n’existent pas, pour se donner les airs de parler de nos grandes célébrités. Ah ! si les hommes de bouche des maisons des grands seigneurs de la cour de Louis XVI avaient produit quelques livres élémentaires sur la cuisine, qu’ils ont sans doute perfectionnée par leurs travaux, certes, je me serais fait un devoir de les faire connaître par des citations, comme je l’ai fait dans mon Parallèle de la cuisine ancienne et moderne, en citant l’ouvrage du fameux Vincent La Chapelle. Si seulement un seul de ces grands maîtres avait eu la pensée d’écrire, son ouvrage serait resté un modèle dans les détails et l’ensemble de la science gastronomique, et je me serais bien certainement empressé de l’indiquer à mes confrères comme une source de lumières dont la bienfaisante clarté devait influer sur le reste de leur existence, en rendant leurs travaux plus faciles et leur apprentissage moins pénible et moins long. Voilà des vérités incontestables et que les pirates de la littérature doivent s’appliquer pour ne les oublier jamais.
Encore un plagiat ! tout récemment, j’ai vu l’annonce dans un journal de la seconde édition (les charlatans de la librairie savent multiplier les éditions sans beaucoup se gêner ; le vulgaire seul s’y laisse prendre) d’un autre petit livre, véritable mélange d’audace et d’incapacité. Il faut être en effet bien dépourvu de facultés intellectuelles pour composer un aussi misérable recueil de compilations : et l’on appelle cette rapsodie, le Bréviaire du gastronome ! Oui, gastronome sans argent.
Ô aimable et gaie science de la gastronomie ! que de souillures tu reçois de ces hommes étrangers à tes moindres délices ! Ils ont la folie de discourir de l’art culinaire (si cher aux gourmands), et ils ne savent pas même ce que c’est. Ils n’ont jamais vécu que d’aliments ordinaires, et ils veulent parler de la cuisine moderne (science portée de nos jours à son dernier degré de splendeur et d’élégance), et en parler pour en médire. Mais en dépit de ces vains censeurs, dont la médiocrité se trahit à chaque page qu’ils écrivent, j’ai voulu réhabiliter mon art, et donner les preuves incontestables de la stérilité de leur imagination. L’homme d’esprit compose de sa propre inspiration. Le génie crée et n’imite pas.
J’ai donc fait acheter, pour deux misérables francs, ce Bréviaire qu’un M. Martin a donné au public ; et j’y ai d’abord remarqué que l’auteur a l’heureuse idée de s’écrire à lui-même une lettre pour se complimenter sur son admirable production ! Esprit superbe et borné, je vais vous démontrer l’excès de votre présomption. Et en effet, ce livre, soi-disant le Bréviaire du gastronome, est un vrai tissu d’inepties et de charlatanisme ; toutes ses pages en portent le cachet ineffaçable, et un seul paragraphe de la lettre placée en tête m’a révélé la profondeur d’esprit et le savoir de notre plagiaire.
Il prétend « que les amphitryons doivent discuter les menus de leurs dîners avec leurs chefs d’office : » ce mot de chef d’office seul caractérise ce soi-disant gastronome. Mais quelle cupidité, quel vil intérêt peut pousser cette espèce d’hommes à vouloir s’emparer du savoir des autres ? Parce qu’ils ont reçu un peu d’éducation, ils se croient capables de tout faire et de tout entreprendre.
Tout le monde sait, excepté les gens qui vivent dans la médiocrité, que le chef d’office fut, en tout temps et en tout lieu, chargé de la confection de l’office, qui veut dire, préparer, faire toutes les aimables friandises qui doivent composer le dessert d’une table opulente : et pour acquérir ce beau talent de l’office, la vie de l’homme suffit à peine.
L’office n’a donc rien de commun avec la cuisine, quoique ces deux arts se prêtent un mutuel secours pour le service d’une table bien ordonnée (vrai délice de la gastronomie). Ainsi, un dessert dressé avec élégance, confectionné d’après les préceptes de l’art, caractérise le chef d’office habile ; tandis que la rédaction d’un menu et son exécution bien faite révèlent la science du chef de cuisine. Voilà donc deux états bien distincts ; j’espère que ces preuves suffiront pour démontrer l’extravagance de notre plagiaire. Ailleurs il s’exprime encore de la même manière.
Il rapporte « que le prince Kourakin, alors ambassadeur à Paris, alla en 1810 visiter les cuisines de l’empereur pour interroger les chefs d’office. » Enfin, quelques pages plus loin :
« Si la fortune, dit-il, ne vous permet pas d’avoir un chef d’office, vous pouvez vous contenter d’un cordon bleu ! Vous ne prendrez votre cuisinière, ni trop vieille, ni trop jeune. » Ô ignorance des hommes et des choses ! ô vain compilateur ! quelle confusion doit être la vôtre ! ici, la preuve est certaine, vous confondez le chef d’office et le chef de cuisine ; et sans beaucoup de peine, je démêle l’artifice banal de votre lettre flatteuse et aujourd’hui peut-être bien amère.
Dans son Histoire de la cuisine en France, M. Martin compose de grandes phrases pour ne rien dire de vrai : c’est un ramas de grands mots vides de sens et de noms illustres cités pour faire des parallèles, ou le pédantisme et l’erreur brillent également ; et tout cela, pour faire parade d’érudition ! Mais vous autres, compilateurs qui avez tant de jactance et de savoir, composez donc un seul volume qui soit réellement à vous : alors nous verrons la profondeur de votre génie. Mais que dis-je ? ces gens d’esprit ne sauront jamais écrire sur les arts et métiers que pour les mutiler et les avilir. En voici encore une preuve incontestable (page 14 de l’Histoire de la cuisine en France).
Et de quel droit, écrivain sans mission, insultez-vous à la science culinaire ? Quoi ! vous porterez toujours des jugements insensés et téméraires ! « Les noms, dites-vous, de nos mets ont quelque chose de barbare et d’étranger comme nos mets eux-mêmes. » Quelle injustice ! quelle fausseté ! Les mets de la cuisine française portent au contraire les noms les plus illustres de la noblesse de France : à la Reine, à la Dauphine, à la Royale, à la d’Artois, à la Xavier, à la Condé, à la d’Orléans, à la Chartres, à la Penthièvre, à la Soubise, à la Conti, à la Montmorency, à la Villeroi, à la Pompadour, à la Mirepoix, à la Matignon, à la Montgolfier, à la Mazarine, à la Richelieu, à la Colbert. Je puis encore ajouter à ces noms illustres et très français : à la Parisienne, à la Française, à la Lyonnaise, à la Bordelaise, à la Provençale, à la Périgord, à la Périgueux, à la Montpellier, à la Normande, à la Bretonne, à la Bourguignotte, à la Magnonnaise, à la Saint-Denis, à la Saint-Cloud, à la Compiègne, et tant d’autres semblables qui échappent à ma mémoire. Bien certainement ces noms appartiennent à la France et n’ont rien de barbare.
Mais qu’importe à M. Martin, pourvu qu’il parle à tort et à travers, et qu’il écrive toujours sa pitoyable pensée ? À la suite de cette incartade contre nos mets, il en fait une plus misérable encore : « Le peuple, dit-il, le plus vif, le plus inventif, n’a pas, le croirait-on ! une seule sauce à lui ; il emprunte ses aliments et l’idiome pour rendre visible à l’œil sa pensée, à l’allemande, à l’espagnole. » Quelle démence ! avant d’écrire, comprenez donc le sens de ce dont vous vous emparez. Lorsque Louis XIV donna un dauphin de France pour roi à l’Espagne (ce grand roi lui-même était né d’une archiduchesse d’Autriche, et il épousa une infante d’Espagne), les cuisiniers de cette époque voulant consacrer le souvenir de cette alliance, rapportèrent sans doute en France cette sauce brune que nous appelons, il est vrai, à l’espagnole ; mais nous l’avons depuis tellement perfectionnée, qu’elle ne ressemble plus en rien à ce qu’elle était dans l’origine. Quant à la sauce allemande, elle fut sans doute importée chez nous après quelque grande noce ; et nous conservons encore avec respect le nom de cette sauce blonde, que nous avons rendue aussi veloutée que parfaite. Par conséquent, nous pouvons dire, sans craindre d’être taxés de vanité, que ces sauces étrangères sont tellement changées dans leurs préparations, qu’elles sont depuis longtemps toutes françaises. Honneur soit donc rendu aux cuisiniers du dix-huitième siècle et à ceux du siècle présent, qui ont eu assez de bon sens pour maintenir les noms de ces sauces nationalisées !
Mais sachez, ô le plus intrépide des compilateurs ! sachez qu’aucune sauce étrangère n’est comparable à celles de notre grande cuisine moderne. J’ai pu en faire les différences : j’ai vu l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne et l’Italie, et j’ai rencontré partout nos cuisiniers occupant les premières places dans les cours étrangères. Mais je veux encore vous convaincre par l’analyse des sauces que nous servons tous les jours dans nos grandes maisons.
J’ajouterai donc à notre espagnole et à notre allemande, la sauce au suprême, la sauce à l’estragon, la sauce ravigote, la sauce au vert prés, la sauce béchamel, la sauce financière, la sauce Périgueux, la sauce tortue, la sauce matelote, la sauce au vin de Champagne, la sauce à la régence, la sauce à la bourguignotte, la sauce esturgeon, la sauce poivrade, la sauce chevreuil, la sauce aigre-doux, la sauce piquante, la sauce salmis, la sauce tomate, la sauce au levraut liée au sang, la sauce parisienne, la sauce Robert, la sauce raifort, la sauce magnonnaise, la sauce provençale, la sauce au beurre d’écrevisses, la sauce au homard, la sauce aux crevettes, la sauce aux huîtres, la sauce au beurre d’anchois, la sauce à la crème, la sauce à la pluche, la sauce au beurre et aux câpres. Ensuite nous avons encore francisé : la sauce italienne, la sauce vénitienne, la sauce hollandaise, la sauce russe, la sauce polonaise, la sauce portugaise, la sauce milanaise.
Nous avons encore les purées que nous servons sous les entrées : la purée de champignons, la purée de navets, la purée de marrons, la purée de pois, la purée de céleri, la purée d’oseille, la purée de cardes, la purée de pommes de terre, la purée d’oignons (Soubise), la purée de lentilles, la purée de haricots à la bretonne.
Eh bien, qu’en dites-vous ? Vous reconnaissez, je présume, la distance infinie qu’il y a, de la jactance et du faux savoir, à la connaissance réelle et à la pratique.
« C’est, dites-vous, du siècle de Louis XIV que date l’étude et la science des sauces en France. » Ici encore, ignorance pleine et entière. C’est sous Louis XII que l’on vit dans Paris seulement, et pour la première fois, des sauciers, des rôtisseurs et des pâtissiers.
Page 27. « Sous le consulat et l’empire, vous dites que la cuisine, grâce aux travaux de Beauvilliers et de Baleine, fit de notables progrès. » Inconcevable erreur, si elle n’est pas volontaire. Oser citer comme les régénérateurs de la science culinaire des hommes vulgaires qui ne furent jamais connus comme praticiens, mais tout simplement comme traiteurs du second ordre ! Si au contraire vous aviez cité la maison Robert, vous eussiez dit une vérité incontestable.
Dans mon Maître-d’Hôtel Français, j’ai analysé les causes et les effets de la décadence et de la renaissance de la cuisine moderne. Ses progrès récents sont dus à un concours de circonstances bien extraordinaires, puisqu’il est vrai de dire que cette révolution de 93, qui voulait tout frapper pour tout détruire, a donné à la France actuelle des hommes de génie dans tous les arts industriels, et la cuisine française aura aussi ses praticiens.
Dans ce même ouvrage, j’ai cité avec vénération les noms des Robert, des Richaud, des Laguipière, des Lasne, des Boucher, des Riquette, des Avice, comme ayant le plus contribué à la régénération de l’art culinaire. J’ai également cité avec respect et empressement les hommes de réputation du règne de Louis XVI. Ainsi, les noms des Sauvant, des Dalègre, des Mécélier, des Lefèvre, des Mésier, appartiennent à l’ancien régime, et ne furent pour rien dans nos grands travaux de la cuisine moderne. Voilà ce que notre compilateur n’a pas su. Aussi le voyons-nous confondre tous ces noms indistinctement, quand il s’écrie, page 25 : « Quel siècle que celui des Lasne, des Sauvant, des Mécélier, des Richaud, des Chaud, des Robert ! »
Enfin, page 28, notre triste plagiaire procède encore avec sa jactance accoutumée : « L’Almanach des gourmands, nous dit-il, fit une véritable révolution dans la langue et dans les habitudes du siècle. Avant son apparition, un homme du monde eûtrougi de parler cuisine. » Eh quoi ! ne sait-on pas qu’avant 93 la noblesse de France savait allier à toutes les grâces de l’esprit cette fleur d’urbanité qui fait tout le charme d’un bon dîner, et que les nobles de ce temps-là se glorifiaient de savoir découper à table et de savoir bien faire les honneurs de leurs festins ? Justes appréciateurs d’un bon cuisinier et d’un bon dîner, loin d’avoir à rougir de parler de cuisine, ils en parlaient toujours avec plaisir ; ils honoraient de leur estime leurs cuisiniers, comme le font encore les seigneurs d’aujourd’hui. Mais ces compilateurs ne savent écrire que pour dénigrer et rabaisser les arts et métiers.
M. Grimod de la Reynière était né gourmand et littérateur ; il avait connu l’ancien régime, et vu les désastres de notre révolution ; et après le règne de la terreur, il pensa qu’il était sage et nécessaire de composer son Manuel des amphitryons, afin de remettre en honneur les convenances que les nouveaux riches devaient observer. Son Almanach des gourmands a rappelé une infinité de traits gastronomiques et spirituels. Il a sans doute opéré quelque bien pour la science culinaire, mais il ne fut pour rien dans les rapides progrès que la cuisine moderne a faits depuis la renaissance de l’art.
Cet accroissement remarquable est dû aux génies de nos cuisiniers contemporains et à des causes extraordinaires, telles que les grandes fêtes données à l’occasion de nos victoires, surtout celles de l’Hôtel-de-Ville de Paris, qui furent des plus magnifiques ; la création d’une nouvelle noblesse ; enfin l’établissement des nombreuses maisons du gouvernement, des maréchaux de France, des ministres et des ambassadeurs, toutes fort bien organisées. Les hommes de talent qui les dirigeaient rivalisaient d’un nouveau zèle, afin que la cuisine de ces grandes maisons obtînt de la réputation. Mais, je le répète encore, c’est aux grands dîners donnés par le prince de Talleyrand, lors de son ministère aux affaires étrangères, et au célèbre Robert, qu’est dû l’accroissement de la cuisine moderne, et non pas à l’auteur de l’Almanach des gourmands.
Enfin, à propos d’ustensiles de cuisine, il prétend que le choix de ces ustensiles est aussi difficile à faire que celui des livres qui doivent composer la bibliothèque d’un homme opulent ; et sur ce chapitre il fait encore d’autres bévues.
Il recommande, par exemple, que « les tables de cuisine soient en chêne et de six pouces d’épaisseur : » tandis que nos tables sont toujours de préférence en hêtre, ce bois étant plus convenable pour nos travaux par sa blancheur ; le chêne sert dans nos cuisines à faire des tablettes, qui sont toujours adossées au pourtour de la cuisine. Après quoi, il parle « d’égrugeoir, de couteau à trousser, de marmites de fer, et de soufflets. » J’espère que voilà des ustensiles bien connus de l’auteur, mais bien inconnus dans nos cuisines. Dans l’état qu’il donne d’une batterie de vingt-quatre casseroles assorties, ce qui permettrait de servir quatre, et même six ou huit entrées, il demande deux bains-marie, tandis qu’il en faudrait au moins huit, puisque chaque entrée dans le principe doit avoir sa sauce particulière. Puis il fait de grandes démonstrations, pour dire que les maîtres doivent faire étamer la batterie tous les deux mois ; et nous, praticiens, nous recommandons et faisons étamer tous les mois. Enfin, il passe sous silence le mortier et la turbotière.
Dans son chapitre IV, sur la cuisine de santé, il prétend qu’il est essentiel « de connaître l’effet que chaque aliment produit sur chaque tempérament, afin de choisir, nous dit-il, ceux qui sont les plus convenables à nos goûts et à notre santé. » Mais son savoir expire là, sans nous fournir comparaison d’un aliment avec un autre. Plus loin il remarque « que le feu détruit ou calcine toutes les substances offertes trop longtemps à son action dévorante. » Sans doute ; le feu a détruit même des villes entières, par son action dévorante.
Mais dites-moi donc, habile homme, où en serait la science du cuisinier, si nous n’étions maîtres de tempérer l’action du feu toujours soumise à notre volonté ? Ensuite, on n’exprime point les sucs de nos aliments de la manière que vous le dites. Pour exprimer le suc de certaines substances, il faut les presser. C’est donc par la pression seulement que nous pouvons obtenir les sucs exprimés, car le feu n’est pour rien dans cette opération. Mais vous avez sans doute voulu dire, que c’est par la coction que le cuisinier doit obtenir les sucs nutritifs de nos aliments.
Mais voici qui est bien plus fort. Je lis, page 46, « que les grands seigneurs, qui ont de nombreux cuisiniers, sont accablés de maladies et d’infirmités. »
Il faut être, en vérité, bien mal inspiré pour écrire de telles pauvretés. Certainement il ne m’appartient pas de juger quelles sont les causes des maladies des gens qui vivent dans l’opulence ; mais il suffit d’avoir un peu de bon sens, et d’observer autour de soi, pour s’apercevoir que le pauvre ouvrier, ainsi que l’artisan et vous-même peut-être, pauvre compilateur, étant privés de nourriture succulente, n’êtes pas moins sujets aux maladies qui affligent la fragile existence de l’homme. Tous les jours nous voyons des veuves dans l’indigence, après avoir épuisé le peu de ressources qu’elles possédaient pour secourir leurs maris, qui, après de longues souffrances, expirent à tout âge. Nous voyons des pères, des mères, des enfants, sacrifier tout au monde pour sauver leurs familles mourantes par suite de maladie ; et si nous portons nos regards vers les hôpitaux, c’est dans ces asiles de douleur que nous pourrons reconnaître combien le corps humain est miné à tout âge par toutes les maladies connues pour le malheur de l’humanité.
Il prétend aussi, page 47, que, « dans tous les climats de l’Europe, le cuisinier est presque toujours le mortel le plus gras et le mieux nourri de la maison, parce qu’il respire et hume sans cesse les vapeurs et l’essence de tous les mets, dont il n’offre à son maître que les fibres ou les cendres souvent meurtrières. » Je répondrai d’abord à ce compilateur (sans doute à teint blême et livide), que la classe d’hommes qui professent l’état de cuisinier est laborieuse, et celle des plagiaires peu courageuse ; que, malgré nos pénibles travaux, nos aliments doivent nous profiter ; mais qu’il en est bien autrement pour les plagiaires ; car ils s’abîment, ils se dessèchent pour effacer la trace de leurs usurpations. Du reste, c’est en vain qu’ils prétendent dénigrer la cuisine moderne et ses praticiens : il m’est trop aisé de les réfuter. Selon eux, les vapeurs qui s’exhalent de nos casseroles contiennent l’esprit le plus nutritif de nos aliments. Mais, messieurs, rendez-vous donc compte, une fois dans votre vie, des faits que vous voulez avancer et soutenir. Depuis que j’ai lu toutes vos folles observations, j’ai fait l’expérience suivante : j’ai extrait la vapeur du couvercle d’une casserole, dans laquelle j’avais préparé une poularde avec une excellente mirepoix, et, à plusieurs reprises, j’eus bientôt une cuillerée de cette vapeur, selon vous si parfaite et si nourrissante : je ne lui trouvai qu’un goût fade et insipide.
Le compilateur ajoute que « ces vapeurs et ces exhalaisons (selon lui nutritives) étant toujours condensées, sont dans une distillation perpétuelle ; » ce qui n’est pas d’une conséquence rigoureuse, et ce qui prouve seulement que notre homme ne sait pas même ce que c’est qu’un alambic.
Je vais donc lui en donner la description, et lui en apprendre l’usage : mais il aura beau alambiquer ses pensées et ses ouvrages littéraires, il n’obtiendra jamais qu’une vapeur sans esprit ; son génie acrimonieux sera calciné en marc terreux.
« Cet appareil à distiller se compose de plusieurs pièces. La première, de la cucurbite (ou chaudière), destinée à recevoir les substances soumises à la distillation. La cucurbite porte deux tuyaux, dont un est placé au fond pour laisser sortir le reste de la distillation ; l’autre à la partie supérieure pour charger l’alambic ; celui-ci prend le nom de chapiteau. Le chapiteau sert à recevoir les vapeurs causées par l’ébullition dans le liquide. Ce chapiteau est entouré d’un vase qui fait corps avec lui. Ce vase est rempli d’eau froide qu’on renouvelle de temps en temps, et qui sert à condenser les vapeurs dans la tête du chapiteau ; le chapiteau doit avoir un collet tout autour, pour diriger le liquide qui s’est formé par la condensation dans le tuyau, et l’empêcher de retomber dans l’alambic.
« Ces deux ou trois pièces ne suffisent pas pour la distillation, il en faut une autre qu’on nomme serpentin. Le serpentin n’est autre chose qu’un long tuyau tourné en spirale ou hélice faisant cinq à six révolutions. Le bout du tuyau du chapiteau s’adapte dans l’orifice supérieur du serpentin, qui est entièrement plongé dans une tonne d’eau froide qu’on nomme pipe ou réfrigérant.
« Comme il est fort essentiel que cette eau soit toujours le plus froide possible, il y a, dans toutes les distilleries bien entendues, un réservoir d’eau froide qui la porte continuellement par un tuyau dans le fond de la tonne, tandis que l’eau supérieure, qui s’est échauffée, s’échappe par un tuyau de trop-plein, et va se perdre ensuite. Pour recevoir la liqueur qui est distillée, et qui doit être froide au sortir du serpentin, on se sert d’un vase de bois, fait dans le genre des cuviers, avec des douves et des cercles ; il est fermé par-dessus d’un couvercle percé de deux trous, dont un pour recevoir la liqueur, et l’autre pour laisser sortir l’air que le liquide chasse.
« Maintenant, le mécanisme de la distillation s’opère ainsi qu’il suit :
« Lorsque l’alambic est chargé, c’est-à-dire lorsqu’il est plein aux trois quarts de sa capacité, on lute bien toutes les jointures, celle du chapiteau avec la cucurbite, et celle du chapiteau avec le serpentin, afin qu’aucune vapeur ne sorte que par l’extrémité inférieure du serpentin ; on fait alors le feu sous la chaudière ou cucurbite.
« Quand la liqueur est en ébullition, les vapeurs s’élèvent dans le chapiteau, et, à cause de la fraîcheur de l’eau dans laquelle plonge le serpentin, sont attirées vers lui et s’y condensent. Le liquide, obligé de faire plusieurs circonvolutions avant d’arriver à l’orifice inférieur, achève tout à fait de se refroidir et sort entièrement froid de l’alambic. » Voilà comment se produisent les effets de la distillation ; il n’est pas difficile de voir la différence énorme qu’il y a entre les vapeurs distillées à l’alambic et les vapeurs causées par l’ébullition de nos mets préparés dans des casseroles fermées de couvercles. Et si nous avons dans nos travaux quelques opérations tant soit peu chimiques, ce n’est pas assurément dans la vapeur qu’elles se trouvent. Mais dites-moi, M. le plagiaire : dans quelle misérable cuisine avez-vous vu cuire la pièce de bœuf à gros bouillon et dans des marmites découvertes ? Ne serait-ce pas chez le traiteur où vous prenez vos repas si modestes et si peu instructifs ?
Quant au corps de l’ouvrage proprement dit, l’auteur s’y montre partout le même. D’abord, il a pillé dans mon vocabulaire les noms des potages, des grosses pièces, des entrées, des rôts et des entremets que j’avais consignés dans la 9e partie de mon Pâtissier Royal Parisien : ce qu’il appelle la richesse du gastronome ; tandis que j’avais donné ce vocabulaire dans l’intention d’être utile à nos jeunes confrères : privés d’éducation, afin qu’ils puissent écrire un menu un peu correctement. C’est ainsi qu’il a donné à son plagiat une apparence de nouveauté. C’est de la même manière qu’il a trouvé et pris dans mon Maître-d’hôtel français la division de mes menus en deux traités, et qu’il en a fait la cuisine bourgeoise et la grande cuisine. Mais voyons un peu la composition de ses menus, et prenons d’abord pour exemple celui de la page 81.
Il y marque deux relevés, dont un de morue à la maître-d’hôtel, et le second un brochet à la régence. C’est trop plaisant en vérité ! Faire un relevé avec de la morue, et pour comble de maladresse, le placer en parallèle de mon brochet à la régence, qui est une des grosses pièces de cuisine les plus somptueuses et les plus élégantes que j’aie composées étant en Angleterre chez le prince régent. Ainsi le compilateur a pensé que la morue pouvait aller pour relevé, et surtout en face d’un brochet, lequel par la composition de sa garniture coûterait plus de 150 francs. Mais c’est ainsi que se caractérise l’imitation bornée ; car réellement, il est de toute impossibilité d’établir des différences entre les choses que l’on ignore. Mais poursuivons.
Puisqu’il ose parler de santé et de cuisine incendiaire, nous allons lui démontrer combien ce premier menu serait funeste, servi tel qu’il est composé, et que son auteur peut lui-même être considéré par les amphitryons et les praticiens comme un véritable incendiaire. C’est ici que cette épithète doit s’appliquer de tout point : en effet, ses deux potages sont mal assortis, sa morue n’est autre chose qu’un aliment de salaison : notre brochet a une sauce succulente. Puis ses deux grosses pièces se composent d’une poularde à l’indienne, et d’un quartier de chevreuil mariné et pour relevé, quelle démence ! cette sauce indienne est composée de safran et de piment, et la sauce chevreuil est aromatisée et poivrée. Dans ses quatre entrées, il marque un sauté de volaille aux truffes et un pâté chaud à la financière ; et pour entremets, des truffes au vin de Champagne.
Ô dieu des festins, tu ne tonnes pas… ! Mais tant d’indignités ne resteront pas impunies. Je veux fournir les preuves incontestables que ce misérable menu, étant exécuté par les mains d’un cuisinier vulgaire, est capable par sa composition d’incendier le corps le plus sain, et de le jeter ensuite dans un dérèglement tel, qu’il pourrait provoquer une autre sorte d’orgie non moins funeste, et des débauches qui détruisent bientôt le tempérament le plus robuste.
Voilà les beaux préceptes de ces compilateurs qui osent parler de cuisine de santé, en donnant des ordonnances empoisonnées (le menu est véritablement l’ordonnance d’un dîner) : et si je voulais suivre l’un après l’autre tous ces menus, partout je ferais voir des lambeaux de mon Maître-d’hôtel, où mes menus sont mutilés et défigurés ; et cela, pour les rendre méconnaissables. C’est ainsi que dans le second menu du livre de M. Martin, je trouve noté une croûte aux champignons, pour aller, selon lui, en face d’un croque-en-bouche de contreflan, ce qui n’est pas supportable ; et dans son troisième menu, il tombe dans la même faute. Pour quatre grosses pièces d’entremets, il donne une oie braisée aux racines, pour être servie en parallèle d’un pâté de poularde aux truffes. Puis dans ce même menu de trente-deux entremets, il en décrit dix-sept de douceur, et quinze de légumes. Ailleurs, il donne un potage à l’essence d’anis ; et pour six à huit couverts, il marque un saumon à la royale. Cette grosse pièce est une des plus riches que j’aie composées, et on ne peut réellement la servir que dans un dîner de douze, seize, ou vingt-quatre entrées. Mais que lui importe ? il le donne pour un misérable dîner de deux entrées ; et pour un autre dîner encore de deux entrées, il a marqué une noix de bœuf à la Godard, l’une des plus grosses pièces de la cuisine française. Enfin dans un dîner de trente-deux entrées, il donne six relevés de potages ; savoir : un rostbif de mouton, pour aller en face d’une pièce de bœuf à la Godard ; puis un turbot pour aller en parallèle de barbillons ; et ensuite des aloses, pour être servies en face d’un cabillaud. J’espère que voilà six grosses pièces joliment assorties.
Ô médiocrité ! que tu es malhabile quand tu veux contrefaire le génie des arts et métiers ! Notre compilateur ne sait pas que le plus difficile de la science du cuisinier, est de savoir rédiger un menu dont tous les mets doivent se trouver en parfaite harmonie, surtout d’une variété soutenue. Si du moins il avait copié textuellement, il aurait fait quelque chose de bien ; mais ces Messieurs ne savent que tronquer leurs larcins, afin d’en cacher l’origine.
Si je voulais poursuivre mes observations critiques, je ne finirais pas ; il me faudrait écrire un gros volume. Je veux cependant rappeler à M. l’auteur Martin, pour dernière observation, le potage à l’essence d’anis. Inconcevable ignorance. Ô Momus ! Ô gastronomie ! Un potage à l’essence d’anis, quelle drogue médicinale, quelle extravagance, quel mauvais génie inspire les compilateurs ! Je veux, avant de finir ma trop légitime censure, donner à ces Messieurs quelques notions raisonnées sur l’opinion que nous portons, nous autres hommes de bouche, sur la confection des potages, et surtout ceux de la cuisine moderne.
Le potage, dans l’ensemble d’un bon dîner, doit tenir la première place ; et si les sauces font l’excellence d’un dîner, je considère le potage comme devant être essentiellement la chose bonne par excellence.
C’est au potage qu’est donnée la prérogative de commencer un bon dîner ; et lorsqu’à table un gastronome en rencontre un qui révèle la science du cuisinier, aussitôt la plus douce joie se répand sur son visage ; son regard observateur admire l’élégance du service, des grosses pièces et des entrées ; en même temps que son estomac prodigieux se prépare à de copieuses digestions. C’est alors qu’il exprime hautement sa satisfaction à l’amphitryon, qui est heureux à son tour de pouvoir lui offrir un splendide repas ; et si parfois le gastronome à table se donne de mortelles indigestions, cette mort glorieuse est digne d’illustration. Nos annales gourmandes en font mention.
Je le répète, les potages doivent être considérés comme l’agent provocateur d’un bon dîner. Je sais aussi que les hommes qui restent stationnaires dans les arts et métiers, ne conçoivent pas ces vérités frappantes, qui nous donnent de l’émulation, et nous font exceller dans la science, tandis que l’aveugle routine se perpétue par la paresse et l’ignorance ; mais en dépit des vains compilateurs, je veux venger la science gastronomique, je veux par mes travaux rendre un éclatant hommage aux hommes de mérite qui honorent l’art culinaire.
Que mon état s’élève et devienne florissant, c’est le but de mes veilles et de mes travaux. Ce noble désir fut toujours l’âme de mon émulation ; et si j’exprime ainsi ma pensée, ce n’est pas certes par vanité. Mais lorsque l’homme sacrifie sa fortune (ses économies), son talent et son repos au développement et aux progrès de l’état qu’il professe ; celui-là, ce me semble, a acquis le droit de dire la vérité tout entière. Mais loin de moi la pensée de croire mes ouvrages parfaits : l’essentiel en toutes choses est d’ébaucher la matière, et ces Messieurs conviendront sans doute que mes livres portent le cachet de la nouveauté. Mais je ne puis me défendre d’un sentiment d’indignation, lorsque je vois mon état mutilé par des hommes étrangers à sa connaissance.
Je le dis hardiment, fort de ma propre estime, je me résigne à leurs critiques quelque injustes qu’elles puissent être ; j’ai la conviction que mes livres auront rendu quelques services aux praticiens, et par-dessus toutes choses, d’avoir défendu l’art culinaire contre ces détracteurs qui se disent Français en dénigrant une partie de notre industrie nationale, justement appréciée par nos amphitryons et recherchée des étrangers.
« Depuis plus d’un demi-siècle nos ragoûts comme nos modes font le tour de l’Europe. »
(Extrait du Journal de Paris, 25 juin 1814.)
Je pourrais encore citer des articles le passage suivant :
« Défendons-nous de cet esprit de dénigrement qui affaiblit l’émulation, décourage le génie lui-même, et finirait par éteindre le feu sacré de la cuisine française, »
Dans la première édition de mon Pâtissier royal parisien, j’avais donné quelques modèles de coupes d’entremets, dont plusieurs devaient porter des cristaux, dans lesquels j’invitais les praticiens à faire prendre les gelées d’entremets à la glace ; ce procédé peut être conservé. Cependant, par expérience, je préfère les gelées moulées et renversées ensuite sur des cristaux plats, qui doivent également se poser sur mes coupes nouvelles, ainsi que les dessins de la planche 25 le représentent ; ces cristaux excèdent d’un pouce le diamètre de la coupe.
On pourrait également remplacer ces cristaux par des fonds plats d’argent, dont le bord serait relevé en forme de soucoupe ; mais je préfère les cristaux, comme plus élégants et plus distingués.
J’ai composé mes nouveaux dessins d’après ces réflexions. J’ai donc pensé que sur la table d’un général, il ne serait point déplacé de servir les entremets de douceur sur la coupe (n° 1), portée par un trophée militaire ; et que chez un artiste ou savant, on devrait servir sur leurs tables la coupe ornée de lyre (n° 5), ou la coupe ornée de génies (n° 2), ou bien celle que j’ai composée de détails égyptiens.
En général, je voudrais que ce genre de coupes nouvelles fût exécuté à l’avenir dans les grandes argenteries ; elles feraient honneur à l’orfèvrerie française, en donnant plus d’élégance et de richesse à notre second service. J’ai la conviction de ce que j’avance : l’expérience nous démontre toujours la justesse de nos pensées ; et comme j’ai été assez heureux pour faire exécuter chez M. Odiot des dessins en orfèvrerie dans le goût de mes nouvelles coupes, par ce résultat, le second service répond parfaitement à l’élégance et à la richesse du premier. Aussi l’argenterie de M. le baron de R *** est sans contredit l’une des plus élégantes et des plus belles de Paris. Elle fait honneur à la fabrique de M. Odiot. Mais en considération des développements que mon art est encore susceptible de recevoir, tant pour son élégance que pour son accroissement, je ne puis m’empêcher de faire des observations sur certaines cassolettes d’argent imaginées par les orfèvres pour remplacer les casseroles d’argent ordinaires, dans lesquelles nous servons nos entremets de légumes.
Comment se peut-il qu’on ait imaginé de donner la forme de cassolettes à un objet qui doit remplacer les casseroles ordinaires que nous servons toujours sur leurs plats d’entremets, ce qui remplace parfaitement le plat d’entrée du premier service ? Ce plat d’entrée a onze pouces de diamètre ; celui du second service n’en a que dix ; la table se trouve donc, par ce résultat, également garnie dans les deux services de cuisine. Cette observation est si vraie, que les soupières composées par les orfèvres pour les potages, sont exécutées d’après les principes que je réclame et que j’ai moi-même suivis pour composer les dessins de mes nouvelles coupes d’entremets. Je veux dire que le plateau des soupières est d’un plus grand diamètre que la soupière elle-même, tandis que ces cassolettes, que l’on rencontre cependant dans les grandes argenteries, ne conviennent nullement à leur destination ; car, après tout, comment vouloir que cette casserolette, dont les trois pieds ne posent sur rien, puisse remplacer le vide que le plat d’entrée laisse sur la table dès qu’il est ôté ? Si au moins ces trois pieds de la cassolette, si son socle triangulaire, étaient portés sur un socle rond élevé, sur quatre griffes de lion ; le pied aurait alors plus de richesse et d’élégance ; mais rien de tout cela n’existe, et cet objet est entièrement manqué. Les faux fonds de ces cassolettes sont par trop plats, et leurs couvercles sont plus plats encore ; de manière que nous ne pouvons pas même servir, dans ces espèces de casseroles d’argent, nos entremets de légumes auxquels elles sont destinées ; au lieu que dans nos casseroles d’argent ordinaires, nous pouvions servir des truffes au vin de Champagne, des fonds d’artichauts, des cardes, des sikels et autres entremets semblables.
Voilà des faits incontestables : il me semble qu’à l’avenir ces sortes d’objets ne doivent plus entrer dans aucune argenterie distinguée. On pourrait bien aisément les remplacer par des formes plus gracieuses, plus convenables, et plus en harmonie avec l’élégance et le service de la belle argenterie moderne.