Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Extrait : "Le moment n'est pas venu où l'on pourra écrire l'histoire des manœuvres allemandes en France pendant la guerre, et cette étude n'a pas la prétention d'en tracer le tableau. Ce n'est qu'une carte pour en suivre les cheminements pendant que les révélations éclatent et que la répression se poursuit, comme on publie des cartes du front pour permettre de comprendre les opérations militaires."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :
• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 101
Veröffentlichungsjahr: 2015
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Les buts secondaires de l’Allemagne : espionnage, contrebande et sabotage. – Son but essentiel : défection diplomatique et militaire brisant la coalition. Les exemples monténégrin, russe et italien.
Les plans de rapprochement franco-allemand avant la guerre. – Caillaux et le document vert. – Les bons Ottomans. – La question d’Alsace-Lorraine. – Comment le pacifisme international sert le militarisme prussien. – Socialistes unifiés et anarchistes : le rôle de Jaurès, – Les mutineries militaires de mai 1913. – Miguel Almereyda. – Le Courrier Européen et le Bonnet Rouge.
Le moment n’est pas venu où l’on pourra écrire l’histoire des manœuvres allemandes en France pendant la guerre, et cette étude n’a pas la prétention d’en tracer le tableau. Ce n’est qu’une carte pour en suivre les cheminements pendant que les révélations éclatent et que la répression se poursuit, comme on publie des cartes du front pour permettre de comprendre les opérations militaires.
Les faits qui paraissent déjà établis, replacés à leurs dates et résumés dans leur suite, laissent voir, à défaut de leurs ressorts secrets, un enchaînement déjà révélateur.
Pour mesurer l’importance de chaque affaire et de chaque agent, il faut ne jamais perdre de vue le but essentiel que l’Allemagne a poursuivi.
Comme dans toutes les guerres, elle attache le plus grand prix à pénétrer nos secrets militaires et elle a perfectionné et multiplié l’espionnage sous sa forme traditionnelle. À la mi-décembre 1915, pour repousser le reproche de manque de vigilance, le ministre de l’Intérieur publiait une statistique d’après laquelle les faits d’espionnage avaient motivé 1860 arrestations. Le plus grand nombre des affaires était encore à l’instruction, mais les conseils de guerre avaient déjà prononcé pour ce crime 163 condamnations, dont 64 à mort. Le compte rendu des procès d’espionnage n’a presque jamais été permis, et c’est même le plus petit nombre des condamnations qui a été annoncé par la presse !
Les conditions économiques de la guerre rendent presque aussi important pour l’Allemagne de s’approvisionner que de se renseigner, et ses efforts pour échapper au blocus dont les alliés l’enserrent ont amené le législateur à définir par la loi du 4 avril 1915 un nouveau délit : le commerce avec l’ennemi. Le Code pénal, dans son article 77, ne prévoyait que la fourniture des vivres, armes ou munitions qui servent directement à la guerre. Tout ce qui renforce la résistance économique devient dans la guerre moderne du plus grand prix pour les empires centraux. D’ailleurs, les transformations que la science fait subir aux matières premières donnent une valeur guerrière à ce qui semblerait d’abord en avoir le moins. Dans l’affaire des carbures, l’accusation, sans parler du chef d’accaparement, relève à la fois la fourniture de ferro-silicium à Krupp, avant la guerre, mais en vue de celle-ci, et la vente de cyanamide, qui devait, par le canal d’une usine suisse-allemande, la Lonza, parvenir à l’Allemagne. Le ferro-silicium ne pouvait servir qu’à l’armement ; le cyanamide est un engrais, mais l’accusation fait remarquer que cet engrais peut être utilisé pour la fabrication de l’acide nitrique et devenir ainsi un élément d’explosifs.
Enfin, l’importance des questions de matériel, l’industrialisation de la guerre donnent au sabotage un rôle qu’il n’avait jamais eu dans les guerres du passé.
Mais, si précieux que lui soient les résultats de détail qu’elle attend de ses espions, de ses ravitailleurs, de ses saboteurs, l’Allemagne veut bien davantage. Dans chacun des pays que sa démesure a fédérés contre elle, elle vise à recruter plus que des complices isolés, un parti pro-allemand qui puisse, à un moment donné, détacher de la coalition l’État où il triompherait, ou, s’il n’arrive pas à s’emparer du pouvoir, briser la force militaire de la nation par la propagande défaitiste. Le petit Monténégro et l’immense Russie ont vu jouer la même manœuvre et l’Italie lui a dû sa défaite de Tolmino.
La répétition du procédé permet de le définir. L’action politique pour la paix séparée, la propagande pour la démoralisation militaire se tiennent et font l’essentiel de ce que Georges Valois a appelé la guerre d’arrière-front. Elles enveloppent et couvrent d’ailleurs facilement les formes inférieures et plus grossières d’intelligence avec l’ennemi, toute la menue monnaie des espionnages et des trahisons. Quand un parti se sera formé autour de ce programme secret de la tractation avec l’Allemagne, on imagine bien que les hommes politiques qui en sont les tenants ne seront pas des surveillants très attentifs des faits d’espionnage, de sabotage et de contrebande par lesquels des criminels de droit commun travailleront à favoriser ceux que ces misérables hommes d’État, dans leur pensée, ne regardent déjà plus comme l’ennemi. La défection diplomatique par la paix séparée, la défection militaire par la désertion et la fraternisation, voilà ce que l’Allemagne cherche essentiellement pour dissoudre la coalition qu’elle a provoquée, et les services que les agents lui peuvent rendre ne prennent toute leur valeur qu’à proportion qu’ils concourent à ce but.
Dans chaque État, l’Allemagne a naturellement trouvé les champions de la paix séparée parmi ceux qui avaient été avant la guerre les partisans de l’entente avec elle. Parmi ceux-ci, beaucoup se seront retournés de toute la colère de leur désillusion contre la puissance qui les avait dupés, mais non pas tous. Or, un parti pro-allemand existait au début de 1914 dans tous les États, à quelque constellation diplomatique qu’ils appartinssent officiellement. Il y avait un clan germanophile aussi fort aux Communes d’Angleterre et à la cour du Tsar que dans le Parlement de l’Italie agrégée à la Triple Alliance. Il y en avait un en France. Le rapprochement franco-allemand était l’objet avoué et public de toute une politique. Dans d’autres pays, l’ambition germanique a pu s’appuyer sur des sentiments nationaux : les activistes suédois, les Sinnfein irlandais sont des partis nationalistes. L’Allemagne, qui ne néglige aucune carte, aurait aimé trouver jusque dans les ambitions françaises un moyen de manœuvrer la France. La politique coloniale lui en avait fourni autrefois l’occasion. Il faut relire là-dessus Kiel et Tanger, mais depuis que l’Empire était devenu colonisateur, sa politique mondiale ne l’opposait pas moins à la France que la question d’Alsace-Lorraine.
Les rancunes anti-anglaises, vivaces dans l’Éclair d’Ernest Judet, ne pouvaient plus depuis le conflit marocain être le gage d’un rapprochement franco-allemand. À défaut d’intérêts nationaux, les intérêts financiers offraient une base pratique à cette politique qui s’incarna pour l’opinion dans le nom de Joseph Caillaux. La pénétration allemande dénoncée par Léon Daudet et Louis Bruneau avait des meneurs qui visaient autre chose que des accords économiques. Caillaux venait de prendre la présidence du Conseil quand éclata l’affaire d’Agadir (27 juin - 1er juillet 1911). Tout le monde sait comment, pour obtenir les mains libres au Maroc, il céda une partie du Congo, et comment il a toujours triomphé de ce traité du 4 novembre que l’opinion française ressentit douloureusement.
L’accusation fut alors portée contre lui d’avoir négocié par-dessus la tête de son ministre des Affaires étrangères, M. de Selves, et à l’insu de celui-ci, ce qui nous aurait valu des clauses plus onéreuses. À la commission des affaires étrangères du Sénat, Caillaux donna sa parole qu’il n’en avait rien fait. M. de Selves, invité à confirmer cette déclaration de son président, se tut poliment et donna sa démission. Caillaux tomba. Quand il fut revenu aux affaires, Gaston Calmette voulut publier dans le Figaro une pièce dite : « le document vert » relative à ce secret du président.
Le bruit courut que c’était une dépêche interceptée par laquelle l’Allemagne recommandait à ses agents de tenir bon, Caillaux concédant plus que son ministre des affaires étrangères. On n’en connaît point encore la teneur exacte. En effet, Doumergue pria Barthou d’obtenir que cette pièce, dont la divulgation aurait eu des inconvénients d’ordre international, ne fût pas publiée, et Calmette y consentit. Quand celui-ci eut été tué par Mme Caillaux, ses frères trouvèrent le « document vert » dans son portefeuille et le remirent au Président de la République. Il ne fut pas produit à la cour d’assises ; mais, comme Me Chenu y avait fait allusion, Caillaux exigea du gouvernement un certificat proclamant son « loyalisme ».
La lumière n’est pas faite davantage sur les services d’ordre financier qui furent rendus à l’Allemagne au cours de cette négociation à l’occasion de la crise bancaire qui sévit à Berlin en septembre 1911.
Mais pour voir des intérêts financiers, en conflit avec l’intérêt français, servir la politique allemande, il suffit de rappeler le placement de deux emprunts turcs en France dans l’année qui précéda la guerre, et où la mission Liman von Sanders rendit évidente aux plus inattentifs la sujétion de la Turquie à l’Allemagne.
C’est le premier de ces emprunts, dont le souvenir a été réveillé à l’occasion de l’affaire Bolo et que Caillaux s’est si vivement défendu d’avoir autorisé.
À proprement parler, le gouvernement n’a pas à autoriser en temps de paix l’émission d’un emprunt quelconque.
L’appel au crédit public est aussi libre que la négociation d’une obligation hypothécaire chez un notaire ; seule, l’admission à la cote de la Bourse peut être refusée. Mais les banques d’émission ont, en trop de circonstances, intérêt à la bienveillance du gouvernement pour que, d’ordinaire, un veto officieux ne soit pas obéi.
La Turquie germanisée avait créé pour cent millions de bons du Trésor 5 p. 100 émis à 475 francs et remboursables au pair de 560 francs en quatre ans. Au mois de mai 1913 la banque Périer-Bauer se chargea d’en placer la moitié à Paris moyennant l’énorme commission de 100 francs par titre.
Le cabinet Barthou s’opposa à l’émission, et l’affaire traîna, mais le 2 décembre, il fut renversé sur la question de l’immunité de la rente par Joseph Caillaux aidé de Malvy.
Le lendemain 3 décembre, la déclaration légale était faite au timbre et, le 6, les Finances avisaient les Affaires étrangères que les représentants de la maison Périer et Cie avaient refusé de renoncer à l’émission des bons ottomans.
Le même jour seulement, 6 décembre, la convention définitive était signée à Constantinople entre le gouvernement ottoman et la banque. On en peut lire le texte par extraits et en vérifier la date au verso de chaque bon.
La date de cette convention fait preuve que, jusqu’au dernier moment, la banque avait hésité à passer outre à l’opposition du gouvernement français. Mais Caillaux renversa ce gouvernement et, avant qu’il le remplaçât, pendant l’interrègne ministériel, l’opération devint un fait accompli.
Quand j’ai pris possession, le 11 décembre, des services du ministère des Finances, la question de l’emprunt Périer était réglée.
Ce fa presto eut une conséquence inattendue : les lois fiscales exigent un délai entre la déclaration au timbre et l’appel au public. La banque Périer s’était tellement pressée que l’enregistrement lui infligea une amende de 8 125 000 francs.
À la Chambre, Caillaux dut s’engager à n’en pas faire remise comme il était pourtant d’usage et à profiter de la contravention fiscale pour sanctionner la faute d’ordre national.
Mais quelques mois plus tard, un nouvel emprunt, cette fois de 500 millions de rente 5 p. 100, était tranquillement émis sur le marché de Paris par la Banque Impériale Ottomane.
Quant à l’amende de la banque Périer, le tribunal de la Seine jugea qu’elle n’était pas due et la bonne nouvelle fut câblée à Bolo alors en Amérique.
La politique Caillaux se heurtait sans cesse à un obstacle qui la condamnait à l’hypocrisie. Les puissants intérêts financiers dont elle s’inspirait n’osaient pas avouer que le rapprochement franco-allemand c’était la ratification du traité de Francfort et l’abandon définitif de l’Alsace-Lorraine.
Politique exclusive de tout accord général, formel, avec la puissance d’outre-Rhin, tant que n’aurait pas été réglée conformément à nos principes, à nos traditions, la question d’Alsace-Lorraine.
Or, c’était folie pure d’attendre de la paix et du consentement de l’Allemagne ce règlement, mais ce n’était qu’au nom d’un nouvel idéal qu’on oserait proposer aux Français de renier leur revendication nationale. Les pacifistes se chargèrent de formuler le reniement que le clan politico-financier pratiquait sans oser le dire. Ils avouèrent que, pour se rapprocher de l’Allemagne, il fallait renoncer à l’Alsace-Lorraine, renoncer même à demander pour elle liberté et justice dans le cadre de l’Empire, acquiescer à l’exigence allemande, d’après laquelle son autonomie pourrait être la conséquence du rapprochement et ne devait pas en faire la condition.
C’est un scandale autant qu’une évidence que tout ce qui, dans le monde, faisait profession de pacifisme, et dans la mesure même où il professait le pacifisme, a fait les affaires de l’empire le plus militariste et le plus belliqueux du monde moderne.