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En 1234, Thibaut IV, comte de Champagne, était couronné roi de Navarre à Pampelune, scellant l’union de deux territoires éloignés et contrastés. Malgré près de 800 kilomètres de distance, des différences de langues, de coutumes et de gouvernance, Champagne et Navarre unirent leurs destinées sous un gouvernement commun pendant près d’un siècle. Cet assemblage d’apparence anecdotique dans l’histoire de l’Occident médiéval se révéla le socle de l’union définitive d’un royaume pyrénéen au royaume de France lorsque Henri IV fut couronné en 1590 roi de France et de Navarre. Comment cette union a-t-elle pu se faire ? Comment a-t-elle pu perdurer et qu’elles en ont été les multiples conséquences ? Cet essai se propose de donner une réponse à ces questions.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Pédiatre de formation, Michel Ferlet est un passionné de l’histoire. Il s’intéresse au Moyen Âge, une période où, par une série d’événements inattendus, les comtes de Champagne sont devenus rois de Navarre. Après avoir étudié les rois de France et le comté de Champagne, il raconte avec précision cette page peu connue de l’histoire, alliant rigueur d’historien et curiosité d’un conteur moderne.
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Seitenzahl: 119
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Michel Ferlet
Le mariage de la Champagne
et de la Navarre au Moyen Âge
© Lys Bleu Éditions – Michel Ferlet
ISBN : 979-10-422-7433-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Marie et tous les membres de ma famille.
Toute puissance est faible, à moins que d’être unie.
Jean de la Fontaine
L’historien est un artisan de la mémoire.
Jacques Le Goff
Il existe dans l’histoire de beaucoup de pays des périodes confuses qui demeurent des sujets de polémique longtemps après. L’auteur n’a nullement eu l’intention de se positionner dans cette histoire commune de la Champagne et de la Navarre. À partir d’une riche bibliographie, il a fait un choix afin de comprendre et retracer cette singularité médiévale, cet accident dynastique selon certains historiens, qui a permis, au XIIIe siècle, aux derniers comtes de Champagne de devenir puis de demeurer rois de Navarre.
Michel Ferlet est pédiatre. Il est originaire de Bar-sur-Seine dans l’Aube. C’est dans la suite logique des livres sur les rois de France et sur le comté de Champagne qu’il s’est intéressé à cette période singulière du Moyen Âge au cours de laquelle, par une conjonction de facteurs aussi inattendus qu’imprévisibles, des comtes de Champagne furent rois de Navarre.
Le 1er juillet 1199 était célébré en la cathédrale de Chartres le mariage de Thibaut III, comte de Champagne, et de Blanche, infante de Navarre. Comme beaucoup de mariages princiers à cette époque, cette union entre un comte et une infante serait sans doute restée inaperçue, si elle n’avait été le prélude d’une longue histoire qui allait, trente-cinq années plus tard, unir dans un gouvernement commun la Champagne et la Navarre, puis, plus d’un siècle après, la Navarre et la France.
Le premier comte de Champagne élevé au titre de roi de Navarre fut Thibaut IV le chansonnier. La couronne fut ensuite, par le biais de l’hérédité, portée par les derniers souverains de Champagne avant d’être unie à celle de France à la mort de Jeanne, leur dernière comtesse. Après le décès de Charles IV le Bel, les règles successorales séparèrent la Navarre de la Champagne, ainsi que la Navarre du domaine royal. Il fallut attendre le couronnement d’Henri IV en 1589, pour que la couronne de Navarre soit de nouveau associée à celle de France. Ainsi, en près de trois siècles et demi, après avoir cheminé de la tête d’un roi sur celle d’un comte, l’ornement était repassé sur celle d’un roi et le paradoxe est que ce fut un roi de Navarre, Henri III, qui devint roi de France sous le nom d’Henri IV.
Quand on parlait des rois français, à partir du XVIe siècle, on les qualifiait de rois de France et de Navarre. En pratique, il n’y avait qu’une seule couronne pour deux territoires contigus, l’un d’une superficie de 10 391 km2 et un autre plus petit à cheval sur les Pyrénées dont la surface ne dépassait guère 1350 km2. Celui-ci n’était qu’une partie du royaume médiéval dont avaient hérité les comtes de Champagne.
Car il y eut autrefois une seule Navarre dans un seul royaume. Celui-ci, bien qu’il fut le plus petit des royaumes chrétiens de la péninsule ibérique, tint par sa position géographique un rôle essentiel au temps de l’Occident chrétien au Moyen Âge. Affaibli dans sa superficie à la suite de guerres avec les Castillans, il dut lutter pour défendre ses frontières et préserver son unité et son indépendance. Ce ne fut qu’en 1530, après une guerre de près de vingt-ans, que la Navarre fut divisée à la suite d’un accord entre Charles Quint et François Ier. Il y eut alors une Navarre française1, transpyrénéenne, (la merindad de ultra puertos) et une autre Espagnole, cis pyrénéenne (Alta Navarra).
Bien qu’incorporées à deux États différents, les deux Navarre resteront unies dans le Pays basque dont elles constituent actuellement deux des sept provinces. Avant que leur titre ne disparaisse lors de la Révolution française, seuls les princes de la Basse Navarre avaient conservé le titre de rois.
Au Moyen Âge, la Champagne avait ses comtes et la Navarre ses rois. Près de 800 kilomètres à vol d’oiseau séparent Troyes de Pampelune. Champenois et Navarrais s’exprimaient dans des langues différentes. Ils s’étaient combattus à Roncevaux. Tous deux avaient des coutumes et des règles institutionnelles différentes. Tous deux défendaient leur indépendance à travers une identité forte. Et quand ils faisaient la guerre, c’était soit contre un ennemi commun, soit contre un voisin qui cherchait à les affaiblir ou à les faire disparaître en tant qu’État.
Mariage de raison, l’union du comté de Champagne et du royaume de Navarre fut la conjonction de plusieurs facteurs.
Elle se construisit dans le prolongement du rapprochement entre les royaumes Francs et les royaumes de la Péninsule au cours de ce qui fut qualifié de croisades d’Espagne. Avant que les mariages princiers et les traités n’unissent des princesses et des rois Francs à des rois et des infantes espagnoles, la présence de chevaliers Francs aux côtés des Espagnols dans les guerres contre les Maures, l’ouverture des frontières aux ordres monastiques français et l’essor du pèlerinage de Compostelle constituèrent des éléments essentiels du rapprochement entre Français et Espagnols, ainsi qu’entre Champenois et Navarrais.2
Elle fit intervenir des facteurs géopolitiques. La pénétration des Maures avait créé au nord de la péninsule ibérique un foyer de résistance sur lequel s’étaient greffés plusieurs royaumes. Rois de Castille et de Léon, rois d’Aragon et de Navarre, quand ils ne luttaient pas contre les Maures, se combattaient dans une volonté de conquêtes. Parmi tous, la Navarre qui sortait fragilisée de ses guerres avec la Castille3 défendait son intégrité territoriale et son avenir4. De son côté, la Champagne au faîte de sa renommée économique avec ses foires étendait son influence vers le sud et renforçait sa place dans l’échiquier féodal. Parmi les royaumes limitrophes de la Navarre figurait celui des Capétiens, amoindri après la séparation de Louis VII et d’Aliénor, qui songeait à sécuriser sa frontière méridionale, notamment face à l’Angleterre des Plantagenets, laquelle, par le puissant duché d’Aquitaine, convoitait les Pyrénées. Enfin, pour les souverains pontifes, la présence aux portes des Pyrénées de la puissante maison de Champagne se révélait particulièrement utile dans la lutte contre les Maures. En appelant à la guerre sainte en terre hispanique, ils portaient le flambeau de la chrétienté dans l’Occident médiéval peu de temps après le schisme de 1054 qui avait séparé l’Église de Rome de celle de Constantinople.
Enfin, il y eut les règles successorales en Navarre, qui, à la suite d’éléments conjoncturels, firent d’un descendant de la fille cadette d’un monarque l’héritier d’une couronne médiévale.
Quels qu’en aient été les fondements, une telle fusion entre un royaume et un comté, inédite dans sa nature, fut le reflet d’échanges (traités, mariages, conflits) entre rois Capétiens, rois Plantagenêt et rois de la péninsule ibérique.
Beaucoup d’éléments pouvaient faire penser que cette union serait éphémère et ce d’autant plus que la majorité des Francs qui avaient combattu à cette période aux côtés des rois hispaniques, avait été invitée à retourner dans leurs domaines. En outre, malgré les accords et les liens familiaux, le nord de la péninsule ibérique demeurait une poudrière. Indépendamment d’un objectif commun, les ambitions de certains se heurtaient aux prétentions des autres. L’avenir d’un territoire pouvait dépendre d’un traité (par exemple le traité de Guadalajara5 en 1207) d’une croisade (la croisade contre les Albigeois en 1226 puis celle d’Aragon en 1285), d’une guerre, d’un partage ou d’un mariage. Or, si le rapprochement qui relia le comté de Champagne à la couronne de Navarre fut relativement court (un peu moins d’un siècle), celui qui allait lier le royaume des Garcia et des Sanche à la France des Robert, des Philippe et des Louis se construisit sur plusieurs siècles. Car après la mort de Charles IV le Bel, même si la couronne de Navarre fut séparée du royaume, elle resta unie à la France par les maisons d’Évreux, de Foix et d’Albret. Deux cent soixante et un ans séparèrent la mort du dernier des Capétiens directs du couronnement d’Henri IV. À partir de cette date, le nouveau royaume de Navarre issu de la Paix des Dames en 1529 s’accrochait définitivement au royaume de France.
Dans le souci de préserver leur avenir, Navarrais et Champenois travaillèrent à ce que l’union de leur royaume et de leur comté perdure. À l’équivalence de n’importe quelle alliance, il y eut des concessions et des renoncements, des oppositions et des soutiens, des temps de guerres et des temps de paix. Les nouveaux rois de Navarre trouvèrent l’appui des rois capétiens durant les périodes troubles survenues au cours de leur présence dans le royaume. Dans le souci d’asseoir leur souveraineté dans l’échiquier médiéval, ils trouvèrent l’appui de l’Église de Rome pour, par l’onction du sacre, placer leurs règnes sous la bénédiction divine. Quels qu’en aient été les moyens, ils transmirent à leurs successeurs un royaume intègre, pacifié, modernisé et qui avait conservé sa place aux côtés des autres royaumes péninsulaires. Deux siècles plus tard, la Navarre fut divisée.
La création de deux Navarre redonna à la chaîne pyrénéenne son rôle de frontière naturelle entre deux États. Il y eut Saint Palais au nord et Pampelune au sud. Ce furent les chefs-lieux de la Navarre française et de la Navarre espagnole. Cette séparation n’empêcha pas de maintenir, à défaut d’un ensemble géographique réunifié, une intégrité culturelle à l’ancien royaume. Car même si la Navarre est divisée en deux depuis le XVIe siècle, elle a gardé son unité pleine au sein du Pays basque6, l’Euskal Herria où s’entretient une langue spécifique parlée, l’Eskuara,7 ou écrite par les eskualdunak et où se perpétuent des us et coutumes identitaires comme les concours de force, les danses et les chorales de chants basques.
Comment et pourquoi deux territoires aussi éloignés géographiquement, dotés chacun d’une âme et d’une identité fortes, ont-ils pu s’unir, comment cette union a-t-elle pu perdurer, quelles en ont été les conséquences politiques, économiques et culturelles, voilà sans doute des questions légitimes que se posent des curieux de l’Histoire.
Première partieLe contexte politique et religieux
En 711, une troupe arabo-berbère menée par Tariq Ibn Ziyad franchissait le détroit de Gibraltar. Elle allait conquérir les villes les unes après les autres et déferler sur la presque totalité de la péninsule ibérique. L’invasion s’étala sur près de trois siècles. Les Arabes chassèrent les Wisigoths. Ils auraient poursuivi leur progression au-delà des Pyrénées s’ils n’avaient été arrêtés à Moussais en 732 par les armées de Charles Martel. Après une tentative d’implantation au sud de la Gaule, ils s’étaient repliés en Espagne qu’ils occupaient en presque totalité. Leur progression fut telle qu’ils constituèrent du VIIIe au XVe siècle un espace politique berbère de part et d’autre du détroit de Gibraltar, dressant face à l’occident chrétien un empire islamique unissant les destinées du Maghreb et d’Al-Andalus.
Face à eux s’était dressé au nord un noyau d’opposition avec à l’ouest le royaume des Asturies et à l’est, la marche d’Espagne voulue par l’empereur Charlemagne. Ce fut sur ces deux territoires que naquirent les comtés et les royaumes du nord.
Le comté de Barcelone naquit en 801 et devint indépendant en 873.
Le royaume de Navarre fut le premier des royaumes pyrénéens avec la désignation du premier de ses rois, Ignico Arista en 824. Initialement dénommé royaume de Pampelune fondé par les Basques et les Vascons, il deviendra royaume de Navarre à partir du XIIe siècle.
Le royaume de Navarre s’identifia et accompagna l’émergence d’autres royaumes. En 910, celui de Léon, en 1035 celui d’Aragon puis en 1230 celui de la Castille qui avait absorbé le royaume de Léon. Son nom est à rattacher aux multiples châteaux construits au nord et à l’ouest de l’Ebre pour contrer la progression des Maures.
Le plus à l’ouest, le royaume du Portugal, se créa en 1139 à partir d’un comté qui se détacha du royaume de Léon. Il atteindra ses frontières définitives en 1238.
Parmi tous ces territoires, il y avait le Pays basque, terre d’une langue identitaire aux multiples paysages dont le peuple avait été identifié par les légions romaines quand celles-ci pénétrèrent par le nord dans la péninsule Ibérique. À la fin du VIIIe et au début du IXe