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Extrait : "L'homme, quel qu'il soit, est une créature complexe. Émile Zola a défini l'art : la nature vue à travers un tempérament, et voici la nature infinie dans sa substantialité et indéfinie dans ses manifestations, en antagonisme avec le tempérament, qui en est une particularisation définie et variable, pour l'accomplissement d'une œuvre qui sera leur synthèse à l'un et à l'autre selon l'une et l'autre."
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Seitenzahl: 751
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Une gloire infâme auréole d’ombre le nom du Marquis de Sade.
Juste rétribution d’une vie que l’on suppose toute entière vouée à l’apologie du crime, ce triste privilège lui est échu de figurer dans la langue pour résumer, en sa brièveté de monosyllabe, la plus noire, la plus horrible des folies sexuelles.
On pourra donc s’étonner qu’un volume tout entier soit consacré à l’étude d’un tel homme et d’une telle œuvre. Les lecteurs peu renseignés et que l’étude effraye, sont persuadés qu’il est suffisant de connaître sur ce sujet les quelques phrases écœurées des dictionnaires, et qu’il est inutile de descendre au fond des gémonies où le Marquis dort avec ses livres, pour voir si dans cette immonde poussière, quelque chose n’est pas resté qui vaille le regard et l’analyse.
Qu’on ne s’y trompe point. En cette œuvre curieuse que nous faisons paraître aujourd’hui, la plus documentée, la plus complète qui ait jamais été écrite sur le « Divin Marquis », l’auteur n’a pas voulu que le « monstre » dont il s’occupe fut « embelli par son art ». Il a travaillé en psychologue et en savant sur une étonnante matière, il a disséqué froidement son sujet et s’il rend compte de ses recherches en un style facile et souriant, la grave pensée qui les inspira n’en apparaît pas moins toute entière.
Le Marquis de Sade eût-il été celui que la légende nous a peint sous d’épouvantables couleurs (et la légende seule s’est occupée de lui jusqu’à ce jour), qu’il n’en serait pas moins utile de demander à ses livres comme à sa vie le secret de l’horreur qui s’y attache.
Une âme aussi sombre appartient à la science, au même titre que celle de tous les criminels, puisqu’aussi bien, et nous le disions tout à l’heure, son nom sert à cette même science pour étiqueter une aberration.
C’est donc d’un passionnant problème de psychologie que s’est occupé l’érudit aimable de l’Amour aux Colonies, et c’est la solution de ce problème qu’il nous apporte en son livre magistral.
Fruit d’un labeur considérable, ce livre projette une lumière définitive sur ce cas unique dans l’histoire des mœurs. Les Mémoires du temps, les archives de la Bastille, les archives de l’hospice de Charenton, tout a été lu, analysé, fouillé et, de l’examen impartial des pièces authentiques de ce procès jamais révisé, il résulte, étrange constatation pour les esprits prévenus, que le marquis de Sade fut, au point de vue des mœurs, à peine un peu plus libertin que les roués de son époque et qu’il n’a jamais été fou.
Il ne s’agit pas cependant d’une réhabilitation. De ce qu’il existe, jusqu’à un certain point, un désaccord entre la vie du Marquis et ses monstrueuses doctrines, ces dernières n’en subsistent pas moins. L’aventure n’en est-elle pas plus singulière et digne de fixer l’attention du philosophe, au sortir des livres fangeux et sanglants du Marquis, de rencontrer un gentilhomme au ton de son époque, frivole et musqué, mais galant et courtois, débitant des fadeurs aux femmes en chair et en os qu’il lui arriva de croire aimer, mais vivant la double vie de son rêve où tous les raffinements de la torture lui semblaient le seul condiment possible de la volupté.
Le Marquis de Sade fut un perverti cérébral, il est impossible de trouver la preuve d’un seul crime commis par lui. Il ne fut jamais fou, au sens vulgaire du mot, et son internement à Charenton, sous le prétexte officiellement invoqué d’aliénation mentale, fut, en réalité, dû à l’imprudente publication d’un violent pamphlet ou plutôt d’un roman à clef dont Joséphine de Beauharnais était l’héroïne fort malmenée.
La perversion de cet homme reste, en tout cas, démontrée. Sa théorie du vice toujours récompensé et de la vertu toujours punie ; sa définition du plaisir qui consiste pour lui, dans la sensation la plus forte qu’il soit possible d’éprouver, c’est-à-dire : la torture de l’être soumis aux caprices dû débauché ; ses paradoxes effarants sur la morale et la politique et, chose étrange, une curieuse prescience de la plupart des problèmes qui agitent l’opinion de nos jours, tout cela suffit pour faire de de Sade l’un des plus magnifiques sujets qu’un psychologue puisse analyser.
Cette analyse, on la trouvera dans le livre du Dr Jacobus, faite de main d’expert et d’une façon définitive.
La physionomie la plus énigmatique et la plus troublante du XVIIIe siècle est désormais fixée.
L’ÉDITEUR.
Cette étude sur le Marquis de Sade et son œuvre, considérée au quadruple point de vue littéraire, médical, philosophique et social, devrait clore la série complète de notre œuvre personnelle sur l’AMOUR, ses ABUS, PERVERSIONS et CRIMES.
Nous avions débuté par l’Amour aux Colonies, en 1892, puis continué par l’Ethnologie du sens génital, les Lois génitales et Les Bases de la Psychologie passionnelle.
Notre éditeur a voulu publier en anglais ses divers ouvrages avant de les publier en français, et leur traduction a excité la curiosité médicale en Angleterre, et surtout en Amérique. Il n’a été jusqu’à présent publié en français que l’AMOUR AUX COLONIES (1re édition), une 2me, revue et considérablement augmentée, étant prête, et enfin l’ANATOMIE DE L’AMOUR.
Mais ayant eu entre les mains, vers le mois de décembre 1900, un exemplaire en allemand de l’ouvrage du docteur Eugène Duehren, il nous a paru qu’il ne nous était pas permis de retarder la publication de notre étude sur le Marquis de Sade, déjà en chantier à cette époque.
Il ne fallait pas laisser à un étranger le soin de projeter la lumière de la vérité historique (si singulièrement travestie jusqu’à présent) sur une figure, peut-être la plus originale de tout ce XVIIIe siècle, si fécond cependant en hommes si remarquables.
En conséquence, nous avons activé l’achèvement de notre étude qui comprenait primitivement un fort volume de 6 à 700 pages et nous l’avons livrée à notre éditeur dès le mois de janvier dernier.
Ce manuscrit était à l’impression et nous avions commencé la correction des premières épreuves quand le 25 mars, nous avons eu entre les mains la traduction française de l’ouvrage du docteur Eugène Duehren , avec préface par Octave Uzanne.
Partant de deux points de vue différents, les deux auteurs sont arrivés à une conclusion presque identique sur le Marquis de Sade et son œuvre, et quand le lecteur aura terminé la lecture de notre travail, il trouvera une appréciation critique qui ressortira nettement de l’ensemble de l’étude raisonnée de la vie et des œuvres du marquis. Voici d’abord comment Duehren le qualifie en dernier ressort : « C’est le 2 juin 1740 qui vit naître l’un des hommes les plus remarquables du XVIIIe siècle, disons même de l’humanité moderne en général (pages 276 et 277). Il s’ensuit de là que les œuvres du Marquis de Sade CONSTITUENT UN OBJET DE L’HISTOIRE ET DE LA CIVILISATION AUTANT QUE DE LA SCIENCE MÉDICALE.
Cet homme étrange nous a dès l’abord inspiré un vif intérêt. Nous cherchions à le comprendre pour pouvoir l’expliquer, et nous acquîmes bientôt la conviction que le médecin, de même, ne saurait puiser dans un pareil cas les renseignements les plus importants que dans l’histoire de la civilisation. DE SADE, COMME INDIVIDU, ne peut être éclairci que si on l’examine comme phénomène historique. » (page 130).
« Il y a encore un autre point de vue qui fait des ouvrages du Marquis de SADE, pour l’historien qui s’occupe de la civilisation, pour le médecin, le jurisconsulte, l’économiste et le moraliste, un véritable puits de science et de notions nouvelles. Ces ouvrages sont surtout instructifs, par cela même qu’ils nous montrent TOUT CE QUI DANS LA VIE SE TROUVE EN ÉTROITE CONNEXITÉ AVEC L’INSTINCT SEXUEL, qui, comme l’a reconnu le Marquis de Sade avec une perspicacité indéniable, influe SUR LA PRESQUE TOTALITÉ DES RAPPORTS HUMAINS D’UNE MANIÈRE QUELCONQUE. Tout investigateur qui voudra déterminer l’importance SOCIOLOGIQUE de l’Amour, devra lire les ouvrages principaux du Marquis de Sade. Non pas au même niveau que la faim, mais AU-DESSUS, l’amour préside au mouvement de l’univers. » (pages 372, 373).
En lisant ces appréciations allemandes que nul Français n’avait encore osé formuler, nous avons acquis la preuve irréfutable que notre étude était vraie, saine et non immorale, et qu’elle venait à son heure, à l’aube du XXe siècle.
Mais où nous nous séparons nettement du docteur d’Outre-Rhin, c’est quand il prétend prouver que le Marquis de Sade, comme homme privé et littérateur est la synthèse complète du XVIIIe siècle en général et de la nature française en particulier. À ce compte-là, si le XVIIe siècle a été dénommé le Siècle de Louis XIV, le XVIIIe siècle serait alors le siècle du Marquis de Sade. C’est une erreur formidable, et qui prend sa source dans la GALLOPHOBIE dont fait preuve à chaque instant, un homme aussi érudit que M. Eugène Duehren. Il va jusqu’à parler de la politique moderne française à propos du Marquis. C’est aller, il nous paraît, un peu trop loin, et nous avons cru de notre devoir de ne pas laisser des assertions aussi erronées et aussi fantaisistes, sans les malmener un brin.
Nous avons donc remanié la 3me partie de notre manuscrit pour rompre quelques plumes avec l’écrivain gallophobe et lui montrer la vérité du vieux proverbe « QUI TROP EMBRASSE MAL ÉTREINT » et nous conclurons ainsi à la fin du deuxième volume qui paraîtra après celui-ci : « L’ŒUVRE DU MARQUIS DE SADE EST LE FRUIT VÉNÉNEUX ET POURRI D’UN SIÈCLE DISSOLU, MAIS C’EST UN EFFET ET NON UNE CAUSE ».
Dr JACOBUS X…
Paris, le 13 mars 1991.
Un écrivain moderne, Octave Uzanne, dans sa préface de l’ouvrage du marquis de Sade, Idée sur les Romans, s’exprime ainsi qu’il suit, sur le compte de ce dernier.
« Il existe, nous en convenons, en littérature, des liaisons dangereuses, et il faut une certaine hardiesse pour associer son nom à celui d’un homme avili par lui-même et justement méprisé du public. Nous ne ferons pas ici un plaidoyer en faveur de de Sade dont nous serions plus volontiers l’accusateur que l’avocat, mais nous estimons comme une défaillance, lorsque le but est honorable, de conserver l’anonyme dans un travail purement bibliographique et consciencieux. Ce n’est assurément pas sans une légitime pudeur que nous entreprenons cette préface : mais il faut avouer que la bibliographie est – qu’on nous passe le mot – une manière de chiffonnier, qui doit remuer souvent bien des immondices. Devant d’informes amas où fermente le vice, les uns reculent avec effroi, tandis que d’autres plus audacieux, plus courageux, moins petits maîtres si l’on veut, s’approchent avec circonspection et prudence et, guidés par cette noble conviction d’être utiles à tous, se mettent bravement et patiemment à fouiller l’or de matière avec la bonne foi d’un Parent Duchatelet. – Nous osons, une fois par hasard, pousser nos investigations dans le Montfaucon littéraire où grouillent pêle-mêle tant d’œuvres monstrueuses et sanguinaires ; puissions-nous au moins réunir ici, une fois pour toutes, des documents suffisants à l’incessante curiosité des lettrés ».
Ces lignes étaient écrites en 1878. À cette époque, il fallait que l’auteur en veine d’écrire un livre sur le Marquis de Sade et que l’éditeur assumant la tâche ingrate de le publier fussent tous deux cuirassés du triple airain dont parle le poète.
Ce qui le prouve, c’est la lettre à l’éditeur, publiée en tête de l’opuscule cité plus haut et les lignes terminant la biographie du Marquis. « Nous n’avons abordé la biographie de de Sade qu’avec la constante préoccupation d’arriver à son œuvre. L’homme a été sacrifié, nous n’avons guère mieux parlé de lui que ne l’eût fait un dictionnaire biographique : nous ne pouvions cependant embrasser l’œuvre d’un écrivain sans côtoyer son existence, et dans cette terrible confection d’une préface, écrasé entre la couverture et le texte même d’un ouvrage, on a toujours à craindre la voix anxieuse de l’éditeur qui vous crie le : Ne quid nimis de Térence, alors même que, le plus souvent, les documents se pressent sous la plume. Devenons donc, si vous le voulez bien, le froid nomenclateur des ouvrages du citoyen Comte de Sade ».
Nous n’aurons pas les mêmes scrupules que M. Octave Uzanne. Nous avons d’abord la bonne fortune de posséder un éditeur érudit, véritable continuateur du tant regretté Liseux, et qui n’hésite pas à publier un ouvrage dont le sujet a rapport aussi bien à la science médicale qu’à la littérature. Après nos travaux sur l’Ethnologie du sens génital, les abus, crimes, aberrations et perversions de l’amour et la physiologie et psychologie de l’amour, il nous a paru intéressant d’étudier au point de vue tant physiologique que psychique les œuvres de l’apôtre matérialiste du coït anti-physique, de l’homme qui ne voit dans l’amour que la passion bestiale assouvie au milieu des plus affreuses tortures infligées à la victime. De Sade a eu le triste privilège de faire dénommer sadisme cet amalgame de luxure et de cruauté, vocable qu’oublia Littré, mais qu’ont adopté les écrivains modernes.
Était-ce un fieffé scélérat ou un fou monstrueusement érotique ? Ni l’un ni l’autre. Un de nos plus éminents confrères, le sagace autant que sincère docteur Cabanès, s’exprime ainsi dans sa plaquette La Prétendue Folie du Marquis de Sade . « On n’écrira pas de longtemps l’histoire vraie du Marquis de Sade. Outre que la pénurie de documents rend la tâche déjà malaisée, celle-ci est rendue plus difficile encore par l’extrême rareté des œuvres attribuées à cet étrange et fatal personnage. Mais en attendant que soit composée la biographie définitive, chacun peut apporter sa contribution, si modeste soit-elle. »
Le docteur Cabanès conclut en disant que de Sade n’était nullement un fou ! Était-ce alors un scélérat, capable d’exécuter de sang-froid, tous les exécrables forfaits commis par les héros de ses romans ? Encore moins ! « L’Homme qui est le sujet de cette étude a été diversement jugé. On s’est plu à le noircir de propos délibéré, en s’appuyant sur une tradition fantaisiste qui s’est perpétuée jusqu’à nous. Cette tradition n’est pas d’accord avec les faits. L’érotisme sanguinaire du “divin” marquis fut plus virtuel que réel, il se manifesta plutôt par des écrits que par des actes ». Docteur Cabanès, loc. cit. .
Pour nous, après une étude très approfondie du Marquis de Sade et de son œuvre, nous avons la conviction intime et nous n’hésitons pas à le déclarer ici, que cet homme était un dégénéré inverti, et nous espérons le prouver au lecteur. Ce qui nous a surtout frappé dans le fatras chaotique des deux œuvres (Justine et Juliette) qui lui ont donné sa triste réputation, c’est la connaissance complète de tous les vices, abus, perversions et crimes sexuels. Les théories qu’il met dans la bouche de ses personnages sont expliquées par la pathologie moderne et les scènes érotico-sanguinaires sorties de sa plume, sont des réalités vécues ; à chaque sujet des romans de de Sade on peut appliquer un nom pathologique bien défini et trouver pour en justifier l’exactitude des exemples pris dans les annales criminelles.
De même que Téniers ne peignait que des paysans et ivrognes flamands, et que Zola fait parler ses personnages avec des termes grossiers et orduriers en nous décrivant des amours basses et triviales, de même de Sade ne parle que d’ενκωνεp, εvxoλεp, violer, châtrer, etc.
C’est un écrivain d’un genre tout particulier, mais c’est un écrivain. Prenez les personnages des romans de Zola, ils ne sont pas plus immoraux que ceux de de Sade. Sauf les mots obscènes qu’on ne leur fait pas prononcer, ils agissent avec autant d’impudeur. De Sade est donc le père du naturalisme actuel et nous le démontrerons au cours de cette étude.
Pour en terminer, nous dirons de suite que ceci est un document nouveau pour l’édification du travail définitif qui clôturera toute la série de nos œuvres. Et comme l’histoire du sadisme en fera naturellement partie, il était nécessaire d’étudier d’abord le père du sadisme et son œuvre.
Nous ne saurions trop le répéter à satiété, nous écrivons un ouvrage autant littéraire que médical, conçu dans un but philosophique, en vue des gens sérieux qui veulent étudier la bête humaine et ses étranges faiblesses et non pour les petits jeunes gens des lycées, pas plus que pour les pseudo-pucelles hystériques qui aiment les romans terribles – qu’on veuille bien ne pas perdre de vue le but de notre ouvrage et le lire avant de crier « haro sur le baudet » comme dans la fable de La Fontaine.
Dr JACOBUS X…
Paris, le 1er octobre 1990.
Comment faut-il étudier de Sade et son œuvre ? – Un homme ne saurait se comprendre sans l’étude de son ascendance et celle du milieu social dans lequel il a vécu. – Justesse des théories d’Émile Zola dans le Roman Expérimental. – L’ascendance. – La Laure de Pétrarque. – Fabrice de Sade. – La Légende de Sibylle de Puymaure. – Le mari tué par l’amant.
Les autres ancêtres. – Le Père du marquis de Sade. – Les Descendants du Marquis.
L’enfance et l’adolescence de de Sade. – Les Portraits du Marquis. – La Jeunesse. – La vie de l’homme fait.
Histoire du Mariage du Marquis. – Premières débauches de de Sade. – Le Pavillon du Parc aux Cerfs de Louis XV. – Le Premier emprisonnement à Vincennes. – Les séjours en Prison du Marquis.
Comment faut-il étudier De Sade et son œuvre ? – L’homme, quel qu’il soit, est une créature complexe. Émile Zola a défini l’art : la nature vue à travers un tempérament, et voici la nature infinie dans sa substantialité et indéfinie dans ses manifestations, en antagonisme avec le tempérament, qui en est une particularisation définie et variable, pour l’accomplissement d’une œuvre qui sera leur synthèse à l’un et à l’autre selon l’une et l’autre.
Cette conception est exacte en tant qu’absolue, c’est-à-dire à condition que la Nature et le Tempérament soient deux entités abstraites, indépendantes l’une de l’autre et que leurs rapports soient de même ordre ou analogiquement complémentaires. Nécessairement ces rapports sont de deux sortes : 1° de la nature au tempérament ; 2° du tempérament à la nature, et ainsi ils sont d’abord consécutifs et ensuite réciproques. Or, à cause du positivisme selon quoi procède l’évolution intelligente du siècle on croit, d’après un panthéisme qu’expriment des hypothèses scientifiques, que la Nature est la résultante phénoménique de lois qui la régissent et maintiennent dépendants les uns des autres non seulement les créatures, mais encore les organes qui les composent. Ainsi la Nature est déjà l’éternelle et immense synthèse des résultats multiformes dérivés de ce principe unique et indéfinissable, la Matière, par le moyen d’un ensemble de lois qui se compliquent et s’enchevêtrent pour constituer son pouvoir créationnel, qu’on appelle scientifiquement : déterminisme. Pour l’auteur qui adopte comme base de sa philosophie cette vérité scientifiquement rationnelle, le déterminisme de l’intelligence et de la passionnalité aura pour raison d’être la composition matérielle de son être physiologique.
Aussi Émile Zola, acceptant les théories de Claude Bernard et les transposant de la science à la littérature, écrira, pour définir la conception méthodique de son œuvre : « Ainsi donc, nous (les romanciers) nous appuyons sur la physiologie pour continuer la solution du problème et résoudre scientifiquement la question de savoir comment se comportent les hommes dès qu’ils sont en société . »
La société est un phénomène naturel, une conséquence directe et absolue de l’existence de l’homme qui en est le principe matériel, et quelles que soient les affinités qui font s’agglomérer telles et telles races pour former un peuple à qui des lois particulièrement seront utiles à cause de ses mœurs, quelle que soit la personnalité de ce peuple et son rôle dans l’humanité, l’individu seul importe parce qu’il est l’infiniment petit, cause fondamentale de cet infiniment grand et que : « la science expérimentale ne doit pas s’inquiéter du pourquoi des choses, elle explique le comment, pas davantage . »
Le pourquoi est douteux, il est la probabilité que la foi peut seule radicalement imposer, mais dont l’intégrale démonstration est faite pour le comment que l’on constate, que l’on analyse, que l’on possède au point de pouvoir indéfiniment reproduire le même phénomène, à condition toutefois d’user des mêmes éléments qui le provoquent. Alors l’écrivain affirme que : « les romanciers naturalistes observent et expérimentent, et que toute leur besogne naît du doute où ils se placent en face des vérités mal connues, des phénomènes inexpliqués jusqu’à ce qu’une idée expérimentale éveille brusquement un jour leur génie et les pousse à instituer une expérience pour analyser les faits et s’en rendre maître , » et plus loin : « Dès ce jour, la science entre donc dans notre domaine, à nous romanciers, qui sommes à cette heure les analystes de l’homme dans son action individuelle et sociale. » Puis : « Nous continuons par nos observations et nos expériences la besogne du physiologiste qui a continué celle du physicien et du chimiste, » et cela parce que « le déterminisme domine tout ».
« Nous continuons », déclare Émile Zola. Donc il accepte la méthode rationnelle et scientifique du déterminisme pour en user à l’égard des passions, et il en résume ainsi la théorie : « Sans me risquer à formuler des lois, j’estime que la question d’hérédité a une grande influence dans les manifestations intellectuelles et passionnelles de l’homme ». Ceci est pour la physiologie que la littérature continue, mais, pour la physique et la chimie qu’elle continue elle-même, il ajoute : « Je donne aussi une importance considérable au milieu , » et il conclut : « Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de l’individu sur la société et de la société sur l’individu. »
Ce qui précède est extrait d’une remarquable étude sur le Roman Expérimental, de L.M. Richard publiée dans le Mercure de France (n° de septembre 1900). Nous ne saurions mieux démontrer le lemme suivant : un homme ne saurait se comprendre sans l’étude de son ascendance et celle du milieu social dans lequel il a vécu.
Nous reconnaissons toute la justesse des théories d’Émile Zola dans le Roman Expérimental. Et nous les appliquons à l’Étude de la vie de son maître de Sade, le véritable père du naturalisme comme nous le verrons plus loin. Prenons donc d’abord l’homme, son ascendance, sa vie, le milieu dans lequel il a vécu, et nous aurons alors tous les éléments nécessaires pour apprécier l’œuvre, froidement et sans aucun parti pris, pas plus pour l’accuser que pour le défendre.
« C’était le jour où les rayons du soleil portèrent le deuil pour leur créateur, que je succombai à l’amour, ne m’apercevant pas, que vos beaux yeux, Madone, me ligotèrent. »
Qui ne les connaît, les vers célèbres du plus célèbre sonnet de Francesco Petrarca, en l’honneur de la première rencontre avec sa Laure, de la Madone Laure, de la Bien-aimée ? Avec cette Laure, à qui nous devons les fleurs les plus odoriférantes de la poésie d’amour dans la langue du monde la mieux faite pour le chanter. Comment se trouve-t-elle, cette apparition céleste, ce symbole des plus tendres sentiments dans un livre sur le marquis de Sade ?
Cette Laure, que Pétrarque a vue pour la première fois le mémorable vendredi de la semaine sainte de l’année 1327 (6 avril) à l’église Santa-Chiara à Avignon, Laure était la fille du Chevalier Audibert de Noves et la femme du puissant et féal noble Hugues de Sade, l’ancêtre du marquis. Ainsi une bizarrerie de la nature fait descendre un homme qui dans l’amour n’a vu que le côté purement bestial, d’une femme pour laquelle le divin Pétrarque a éprouvé l’amour le plus pur et le plus ardent, et qui acceptant cet amour platonique du poète, s’est toujours conduite en chaste épouse et en honnête femme.
Dans toutes les bonnes et mauvaises heures de la maison de De Sade, Laure en est restée l’ange tutélaire et a fait l’objet constant d’une vénération dévouée, partagée avec Pétrarque. D’après Jules Janin, c’était la Dame Blanche de la maison de Sade, sa gloire et sa fierté.
Tous les descendants de cette noble famille de Provence, ne cessaient de tourner passionnément leurs regards vers la vallée de Vaucluse, pleine de calme et de soleil, jadis chantée par les sublimes stances du poète. Gloire et honneur éternel au divin Pétrarque ! Le Marquis de Sade lui-même pour qui rien n’était sacré, dans son plus horrible roman (Juliette) s’incline devant celui de qui est sortie la gloire de sa maison « l’illustre chanteur de Vaucluse » !
Comment en un plomb vil, l’or pur s’est-il changé ?
C’est ce qui nous reste à étudier.
Fabrice de Sade. – Hugues de Sade eut de la belle Laure un fils unique, Fabrice. Il mourut pendant que ce fils était encore jeune et ne put pourvoir à son éducation. Sa mère férue d’amour pour Pétrarque n’eut jamais d’affection pour cet enfant qui lui rappelait trop un vieux mari épousé pour sa fortune et sa position. Si le vieil Hugues avait eu le corps de la femme, l’amoureux Pétrarque en avait captivé le cœur.
Croissant en liberté comme un sauvageon dans une forêt, Fabrice, dans le milieu féodal du XIVe siècle, développa ses instincts. Il était fort et riche. D’après la légende, il usait et abusait, à l’égard de ses jeunes vassales, de ses droits de jambage et de cuissage. Il poussait le sans-gêne jusqu’au cynisme le plus éhonté, et quand il rencontrait sur ses terres une vassale qui lui plaisait, il se satisfaisait sur elle, de gré ou de force, même en présence de ses vassaux ou de ses hommes d’armes. Un bon coup de dague faisait prompte justice du rustre qui manifestait la moindre désapprobation. La religion ne refrénait point ses instincts, car il était irréligieux, chose rare à son époque. Le meurtre était, avec le viol, son passe-temps favori. Sa lubricité s’exaltait à la vue, aux émanations du sang. Voilà l’ancêtre qui a produit 4 siècles plus tard l’écrivain érotico-sanguinaire, dont nous retraçons la vie.
Qu’y a-t-il de vrai dans cette légende ? Elle est connue dans le Comtat-Venaissin, au pays de Valréas, où se trouve encore le château de de Sade. Et ses arrière-petits-fils jouissent dans la contrée de l’estime générale, car ils sont pieux, chastes et profondément attachés à leurs devoirs de famille. Le pacant prouvençao sait bien que le bisaïeul fut un homme taré, mais dans son honnêteté native, il n’en fait pas retomber la responsabilité sur ses descendants.
La légende de Sibylle de Puymaure. – En 1350, le vieil Hugues était allé depuis longtemps en paradis, où sa femme n’avait pas tardé à le rejoindre. Fabrice ayant agrandi à coups d’épée le domaine paternel, songea à se pourvoir d’un héritier et tourna ses vues vers la fille du baron de Puymaure.
Puymaure était un château du Rhône semblable aux burgs du Rhin, un nid de brigands féodaux, dont les revenus aléatoires provenaient de prétendus droits de péage sur le fleuve, d’extorsions diverses et de vols à main armée.
Mais si la dot de la demoiselle Sibylle de Puymaure était légère, sa beauté était incomparable, même dans le pays d’Arles, où le croisement des races grecque et sarrazine a produit des femmes d’une rare beauté.
Fabrice l’avait vue et depuis l’avait désirée d’un désir violent, tyrannique, qui, pour lui, était l’amour. Avec la brutale franchise d’un homme qui ne connaît point d’obstacles à ses passions, il avait dit au frère aîné de Sibylle :
« Je suis amoureux de ta sœur ». Et Honorat de Puymaure lui avait répondu : « Épouse-la ».
Honorat, que la caducité prématurée du comte de Puymaure faisait le chef réel de la famille, savait fort bien à qui il livrait sa sœur ; mais il avait lui-même les femmes en peu d’estime et ne voyait dans le mariage de Sibylle avec le fortuné seigneur d’Apt que les avantages d’une riche alliance.
Quant à la demoiselle, sachant que tôt ou tard, il lui faudrait subir un mari qu’on lui imposerait, elle s’était pourvue d’un amant. Elle aimait et elle était aimée avec passion. L’écuyer de son père, un jeune et beau garçon de 25 ans, le sire de Raphel, risquait chaque nuit sa vie pour coucher avec elle. Il était obligé de grimper sur les toits pour descendre par une lucarne jusqu’à l’escalier qui conduisait à sa chambre.
De son côté la jeune fille était surveillée, épiée. Les périls exaltaient leurs plaisirs. Chacun de leurs baisers avait les ardeurs suprêmes du premier et du dernier jour.
Depuis la visite de Fabrice, et bien que son frère ne lui eût rien dit, Sibylle se sentait menacée. Souvent, le regard dur et pénétrant d’Honorat plongeait dans le sien pour en surprendre le secret. Ses femmes étaient interrogées sur l’emploi de toutes ses heures, sur ses propos et son humeur, sa gaieté ou sa mélancolie. Elle trembla d’être devinée, non pour elle-même, mais pour son amant, et un matin le supplia de renoncer à la revoir. Raphel n’y consentit point sans larmes. « La mort lui eût été moins pénible », disait-il, et il s’en alla.
Quelques minutes plus tard, aux premières lueurs de l’aube, Honorat rentra chez sa sœur. « Sibylle, dit-il avec calme et sans émotion, un voleur ne s’est-il pas introduit chez toi cette nuit ? » Et lui présentant un anneau : « Cet anneau t’appartient peut-être ? Celui que je viens de tuer l’avait au doigt. »
Sibylle saisit l’anneau, qu’elle porta à ses lèvres ; puis elle pâlit, ses dents se serrèrent et elle tomba sans connaissance, sans avoir dit un mot, ni jeté un cri.
Honorat l’abandonna aux soins de ses femmes et s’éloigna, silencieux et indifférent. Il fut défendu au château de prononcer le nom de Raphel et tout fut dit. On crut que Sibylle mourrait ; mais tout à coup elle se rattrapa à la vie avec une énergie nouvelle. Elle s’était aperçue qu’elle était enceinte de Raphel. Elle voulut vivre pour son enfant. C’était du courage, car les principes de son frère lui étaient bien connus ; elle ne devait attendre de lui ni pitié ni pardon. Sa faute découverte, elle était morte.
Sur ces entrefaites, le seigneur d’Apt et de Vaucluse reparut et demanda la main de Sibylle. Huit jours plus tard, le chapelain de Puymaure bénissait l’union des deux époux. Cette union étrange ne fut pas plus malheureuse que tant d’autres formées sous de meilleurs auspices.
Certes, le lendemain du mariage il eût été impossible de satisfaire à l’ancienne coutume espagnole qui voulait que le mari exposât au balcon de la chambre conjugale la chemise de sa femme rougie du sang virginal. Mais lorsque Fabrice se réveilla le matin dans les bras de sa belle épouse, il avait tant bu la veille qu’il ne se rappela plus de rien et crût avoir enfoncé une… porte fermée, quoiqu’elle fût largement ouverte.
Il en fut quitte pour avoir un fils un mois plus tôt qu’il ne s’y attendait, et tout le monde fut frappé de la ressemblance de l’enfant avec son grand-père, Hugues le vieux. Ce nouveau-né était beau et fort. Son père en fut flatté. Sa mère l’aima avec idolâtrie.
Quatre années se passèrent de la vie uniforme des seigneurs féodaux. Un jour, une vieille femme vint dire à Sibylle de Sade que quelqu’un qu’elle croyait mort depuis quatre ans avait échappé à ses ennemis et lui donnait rendez-vous à l’ermitage du Mont Ventoux. C’était de la part du pèlerin Raphel.
Sibylle s’y rendit et retrouva l’homme qui, le premier, avait fait vibrer son cœur et à qui elle avait donné les prémices de sa virginité.
Ce qui se passa entre ces deux amants, le lecteur le conçoit sans peine. Sibylle craignant d’être épiée en venant à l’ermitage, dit à Raphel de se présenter au château d’Apt pour lui apporter un chapelet. Raphel promit d’y venir avant de se séparer de son amante.
Le mari tué par l’amant. – Depuis longtemps Sibylle ne partageait plus la couche de son époux. Monseigneur, dont la chasse allumait la soif et aiguisait l’appétit, aimait à prolonger le repas du soir et ne se passait guère de l’aide de ses serviteurs pour gagner son lit. Sa femme se retirait avant la fin du repas, peu jalouse d’assister à l’orgie qui le terminait. Les sons rauques des trompes de chasse annonçant le départ des chasseurs après le repas, la remplirent d’une appréhension anxieuse et elle regretta le rendez-vous donné.
C’était dans la chambre de Laure qu’elle avait résolu de recevoir Raphel. Cette pièce communiquait avec sa chambre à coucher d’un côté ; de l’autre avec un oratoire. Celui-ci avait une porte sur les jardins intérieurs du château fort. Elle s’était dit qu’en cas d’alarme, son amant pourrait fuir par l’oratoire.
Une heure ne s’était pas écoulée depuis le départ des chasseurs lorsqu’on vint la prévenir qu’un pèlerin de Jérusalem sollicitait l’honneur de l’entretenir. Elle se tenait en ce moment dans l’oratoire ; elle donna l’ordre de l’introduire dans la salle voisine. Raphel parut et trouvant Sibylle accompagnée d’une de ses femmes, joua d’abord son rôle hypocrite, récita l’histoire de ses voyages en Palestine et offrit à la dame châtelaine un chapelet et une croix du Jardin des Oliviers. Sibylle donna la croix à sa suivante et lui dit de lui amener son fils afin qu’il reçût la bénédiction du saint personnage. Cette cérémonie faite, elle congédia alors sa femme de chambre.
Raphel, enfin seul avec Sibylle lui raconta comment, laissé pour mort par Honorat, il avait été ramassé par une bonne femme qui avait pansé ses blessures. Il s’était sauvé d’abord en Italie, puis en Orient où il avait fait fortune ; il proposa à son amante de fuir avec lui.
– Ô ! mon Raphel, s’écria la jeune femme, ce serait le paradis et je te suivrais en enfer !
– C’est tout ce que je désirais savoir, répondit Raphel. En rentrant en Provence, j’avais l’espoir de te trouver libre, et j’ai pris toutes les dispositions pour notre voyage. J’ai de l’or sur moi ; j’ai à quelques heures de Puymaure, des chevaux et des valets armés qui attendent mes ordres. Le seul péril – mais il est grand – est dans notre sortie des domaines de ton seigneur. Pour sortir des terres de Vaucluse, il nous faut marcher au moins une journée, puis marcher pendant toute une nuit.
– Je marcherai, fit la jeune femme avec énergie.
– Nous serons poursuivis. Il nous faut dix heures avant de rejoindre nos gens.
– S’il le faut, nous périrons ensemble ! N’est-il pas préférable que nous ajournions notre départ jusqu’au moment où j’aurai pu me procurer des chevaux ?
– Non, non, s’écria Sibylle, savons-nous ce qui peut survenir d’ici quelques jours. En te quittant à l’Ermitage, j’ai aperçu une femme qui courait devant moi. Nous a-t-elle espionnés ? N’est-ce pas la femme que tu m’envoyas, la mendiante qui, sachant notre rendez-vous à l’Ermitage aura voulu surprendre nos secrets ? Je n’ai pu l’atteindre, mais elle ou une autre… qu’importe ? Si notre secret ne nous appartient plus, nous ne sommes plus assurés de vivre jusqu’à demain.
Raphel parut embarrassé. Il eût préféré retourner sur ses pas, amener des chevaux. Mais le soupçon d’une trahison le frappa. S’il en était ainsi, le départ le plus prompt serait le meilleur.
– Quand seras-tu prête ?
– Cette nuit.
– À quelle heure et à quel endroit nous trouverons-nous ?
À son tour, Sibylle réfléchit. Après le couvre-feu, toutes les portes du château étaient gardées. Profiter du sommeil de Fabrice n’était pas possible, à moins de corrompre des hommes de garde, moyen fort hasardeux. Il fallait comme la veille simuler une promenade sur le mont Ventoux et fuir avant le repas du soir.
– Mais, objecta Raphel, nous n’aurons pas marché pendant deux heures que l’on sera déjà à notre poursuite.
– Nous nous cacherons.
– N’auront-ils pas leurs chiens ?
Sibylle frémit. Ah ! balbutia-t-elle. Et elle vit d’un côté la vengeance de Fabrice sur leur tête, au château et à l’ermitage ; de l’autre, la meute féroce prête à les dévorer.
Les seigneurs de ce temps avaient des chiens de guerre, des dogues plus terribles que des loups.
– Ô mon amour, dit-elle, je suis ton mauvais génie ! abandonne une femme qui ne peut que t’entraîner à l’abîme. Renonce à moi, Raphel, et disons-nous adieu. Autrement, ajouta-t-elle en jetant ses beaux bras autour du cou de son amant, il ne nous reste plus que le choix de la mort.
– Tu dis vrai, fit soudain une voix sortie de l’oratoire, et le seigneur Fabrice apparut devant le couple adultère terrifié.
Vêtu du costume de cuir fauve qu’il portait à la chasse, sa dague nue à la main, il appuyait sur eux un regard pesant de haine et de cruelle ironie.
– Il ne vous reste plus, répéta-t-il, que le choix de la mort, et je veux vous l’offrir.
Raphel, alors, se leva et répliqua fièrement : « Sire Fabrice, je ne suis plus l’écuyer de Puymaure ; je suis chevalier du Saint-Empire. C’est en champ clos qu’il convient de vider notre querelle. »
– Un loyal chevalier, répartit Fabrice, n’emprunte pas la robe d’un moine fourbe. Je ne connais de toi que le traître qui m’a ravi l’honneur. Il me faut ton sang, celui de la femme qui a souillé mon lit, et celui du bâtard, le fruit de votre crime.
– Mon enfant ! s’écria Sibylle éperdue en serrant son fils dans ses bras.
– Quoi ! fit Raphel, tu n’épargnerais point ce pauvre innocent !
– Et toi, tu veux que j’élève ton bâtard ?
– Que mon sang rachète ma vie. Frappe !
– C’est affaire à mon bourreau. Je souillerais ma dague !
– Voici mon poignard, dit Raphel en tirant l’arme cachée sous sa robe.
– Donne-le donc à Sibylle.
– Je suis prêt à m’en frapper, mais fais donc grâce à cette femme et à son enfant !
– Donne ton poignard à Sibylle, te dis-je, insista Fabrice, qui saisissait l’idée d’une vengeance neuve et atroce. Donne-le lui qu’elle te frappe, et je lui fais grâce de la vie ainsi qu’à ton bâtard.
À l’éclair de haine et de cruauté qui brillait dans les yeux de Fabrice, Raphel vit qu’il parlait sérieusement.
– Jure Dieu que tu tiendras ta promesse ! s’écria-t-il.
– Je le jure sur mon salut éternel, s’écria Fabrice. Celui de vous deux qui tuera l’autre, aura la vie sauve et pourra s’en aller avec l’enfant.
Alors Raphel, le visage éclairé d’une joie sublime, tombant à genoux devant Sibylle, découvrit d’une main sa poitrine et de l’autre lui tendit le couteau. « Chère Sibylle, dit-il, pour sauver ce petit être conçu par toi dans les délices de notre amour, satisfais le désir de ce barbare ; mourir pour toi et par toi me sera doux.
Frappe, je t’en supplie ma bien-aimée. Frappe ici, au cœur. »
Mais elle, de la main, écartait le couteau, et blême d’horreur, se rejetait en arrière.
– Sibylle ! implorait Raphel en se penchant vers elle et en lui prodiguant les plus doux noms de l’amour.
Mais, au contact du fer, la main de la malheureuse se retirait comme à la piqûre d’un reptile. De sourds gémissements soulevaient sa poitrine. Ses regards erraient éperdus. Raphel n’attendait plus rien que de l’excès même de son désespoir. En effet, exaspérée, à demi folle, Sibylle recouvra un moment son énergie et se révolta.
– Non, s’écria-t-elle. Frappe toi-même, Raphel, ta main ne tremble pas. Que la plus faible périsse ! Que je meure pour toi, pour notre enfant, que toi seul tu peux protéger ! Ô mon cher amour, n’es-tu pas déjà mort une fois pour ta Sibylle ! C’est à mon tour de mourir !… Que cet enfant, ton sang, ton image, reçoive de moi la vie pour la seconde fois !
Fabrice assistait à ces débats avec une joie sombre ; mais le dénouement lui était préférable encore.
– Allons ! dit-il, un peu de courage ! Finissons la comédie, ou je reprends ma parole et vous périrez tous trois. Me ferez-vous coucher ici !
– Ah ! c’en est trop ! s’écria Raphel, et bondissant d’un élan subit sur son bourreau. – Défends-toi, ou péris toi-même ! Et il lui plongea son arme dans la gorge.
Fabrice poussa un seul cri terrible et tomba. À ce cri, les serviteurs accoururent de tous côtés et se précipitèrent vers leur seigneur, interrogeant Sibylle, immobile et pétrifiée d’épouvante.
Le meurtrier avait disparu.
– C’est le moine, dit une vieille qui rôdait depuis une heure dans la cour. Mais personne ne fit attention à ce qu’elle disait ; il fallut pour qu’on l’écoutât, que cette accusation fût répétée par la femme de chambre de Sibylle. Des hommes d’armes furent enfin lancés sur les chemins. Mais on avait déjà perdu un temps précieux et les rochers de Vaucluse prêtèrent au poursuivi une retraite où il put attendre la nuit.
Sibylle, pressée de questions au sujet du drame qui s’était passé sous ses yeux, gardait toujours son effrayant silence. Enfin quelques heures plus tard, on vint lui apprendre que son mari avait rendu le dernier soupir.
– Que l’on n’accuse personne, dit-elle, c’est moi qui l’ai tué.
Heureusement on la crut folle…
La légende ajoute que le fils de Raphel étant mort, ce fut son frère posthume, né quelques mois après la mort de Fabrice, qui devint le chef de la famille de Sade. Il y a toujours un fonds de vérité dans les légendes, si enjolivées qu’elles soient. Il est exact que Fabrice de Sade, seigneur cruel et luxurieux, fut assassiné dans son château d’Apt. Un pareil ancêtre dans les ascendants du marquis serait un fameux argument en faveur des lois de l’atavisme.
Les autres Ancêtres. – La légende ne fait mention que, de Fabrice, mais Hugues de Sade laissa plusieurs fils, dont l’un, Paul de Sade, fut nommé archevêque de Marseille et confident de la reine Yolande d’Aragon. Il mourut en 1433 et légua ses biens à la cathédrale de Marseille.
Hugues ou Huguenin de Sade, le troisième fils du vieil Hugues et de la belle Laure, fut l’ancêtre des trois branches de la maison, celles des Mayan, d’Eiguières et Tarascon.
Son fils aîné Jean de Sade, était un savant jurisconsulte qui fut nommé Premier Président du Premier Parlement de la Provence par Louis II, roi d’Anjou, tandis que son frère Elzéar de Sade, Grand Chancelier de l’anti-Pape Benoît XIII, rendit de si grands services à l’empereur Sigismond, que celui-ci lui permit de porter l’Aigle Impérial d’Allemagne dans ses armoiries, où cet emblème existe encore.
Pierre de Sade, de la branche d’Eiguières ou de Tarascon (on ne peut préciser exactement) fut le premier gouverneur de Marseille (1565-1568). Il débarrassa la ville de tous ses mauvais éléments.
Jean-Baptiste de Sade, évêque de Cavaillon depuis 1665, écrivit des Réflexions chrétiennes sur les psaumes pénitentiaires, (Avignon, 1698). Il mourut le 21 décembre 1707.
Joseph de Sade, seigneur d’Eiguières, né en 1684, combattit en 1713 à Landau et Friedberg, fut fait chevalier de l’Ordre de Malte en 1716, prit part comme colonel, de 1736 à 1745, aux campagnes en Bohême, sur le Rhin et en Flandre. Nommé gouverneur d’Antibes en 1746, il y fut assiégé par les Autrichiens, les Sardes et la flotte anglaise. Devenu Maréchal de camp en 1747, il mourut le 29 janvier 1761.
Son fils Hippolyte de Sade, à qui Voltaire envoya pour son mariage, le 12 novembre 1733, une pièce de vers, lui répondit immédiatement par une autre pièce en employant la même mesure de vers (Journal de la Cour et de Paris, 1732 et 1733), et (Revue Rétrospective. Paris, 1836). Il servait dans la Marine Royale, se distingua au combat naval d’Ouessant, en 1778, et mourut troisième chef d’escadre, en pleine mer, à bord de son navire, en 1788.
Jacques-François-Paul-Alphonse de Sade, l’oncle de notre marquis de Sade, exerça sur celui-ci la plus grande influence, et pour cela, il nous faut en parler d’une manière plus détaillée. Il naquit en 1705, comme troisième fils de Gaspard-François de Sade, se voua à l’étude de la théologie et devint vicaire général des archevêques de Toulouse et Narbonne (1735). Il resta ensuite pendant de longues années à Paris, où il passa son temps d’une manière un peu profane pour un vicaire général, dans la société galante qui entourait la belle Madame de la Popelinière, la favorite du Maréchal de Saxe. C’était un élégant et spirituel écrivain qui s’adonna d’abord à tous les plaisirs frivoles de la noblesse du XVIIIe siècle. Mais il finit par dire adieu et renonça à Satan, à ses pompes et à ses œuvres et se retira dans une solitude champêtre, près de la fontaine de Vaucluse, où il vécut en véritable ermite ascétique, consacrant ses loisirs à célébrer le bon génie de la maison, la belle Laure. Elle devint pour François de Sade, l’objet d’un culte qui fut l’occupation du reste de sa vie. Il écrivit à Saumane, cet ouvrage sur Pétrarque et sa Laure qui est encore aujourd’hui indispensable à tout lettré érudit qui fait des recherches sur la vie de Pétrarque. L’ouvrage fut publié à Anvers, sous le titre de Mémoires sur la vie de Pétrarque (1764, 3 vol.). François de Sade publia aussi une excellente traduction des œuvres complètes du poète italien, et finalement les Remarques sur les premiers poètes français et les troubadours, ouvrage fort intéressant et très important pour l’histoire du XIVe siècle. Il mourut le 31 décembre 1778.
Si l’on recherche la part de l’atavisme dans la maladie morale du marquis de Sade, il faut la faire remonter à cet oncle. On sait, en effet, qu’en vertu des lois de l’hérédité, il arrive fort souvent que le fils n’a rien ou à peu près de son père et a toutes les qualités ou défauts de l’oncle. Or le neveu a les goûts frivoles et peut-être dissolus de cet abbé galant du XVIIIe siècle ; il a comme lui la manie d’être auteur et se montre comme lui bibliophile.
Mais si l’oncle ne consacra que sa jeunesse à l’amour, le neveu fit de la volupté théorique et pratique le but de sa vie entière et à la fin de ses jours, au lieu de se faire ermite, mourut dans l’impénitence finale.
Le Père du Marquis de Sade. – Le père du marquis de Sade, Jean Baptiste François Joseph de Sade naquit en 1700, prit d’abord la carrière militaire, puis alla ensuite en Russie comme ambassadeur en 1730, et en fin en 1733 à Londres. Il s’allia avec les Bourbons par son mariage avec Marie Éléonore de Maillé, nièce du cardinal de Richelieu, et dame d’honneur de la princesse de Condé. Le grand Condé avait également épousé une demoiselle de Maillé. En 1738, le comte de Sade fut nommé gouverneur général des pays de la Bresse, Bugey et Valromey. Il acheta plus tard le domaine de Montreuil près de Versailles où il se retira en simple particulier, fréquentant avec zèle les exercices religieux de l’abbaye de Saint-Victor qui joue un certain rôle dans Justine. Il mourut le 24 janvier 1767 et laissa plusieurs manuscrits d’anecdotes, de pensées morales et philosophiques, ainsi qu’une volumineuse correspondance sur les guerres des années 1741 à 1746.
Les Descendants du Marquis. – Le marquis ne tient presque rien de son père, sauf son goût d’écrivain, et il procède surtout de l’oncle. Ses descendants ont-ils hérité de sa maladie morale ? Non, heureusement pour cette noble famille, une des plus estimées de la Provence.
Le fils aîné du marquis, Louis Marie de Sade naquit à Paris en 1764. Il eût comme parrain le prince de Condé, et comme marraine la princesse de Conti. Il servit comme officier dans les armées du Roi et sauva un homme au péril de sa vie. Au commencement de la Révolution, il émigra et rentra à Paris à la fin de 1794. Il se fit graveur sur cuivre pour vivre, tous les biens de la famille ayant été confisqués sous la Terreur. Il écrivit ensuite une Histoire de la Nation Française (Paris, 1805), ouvrage basé sur de profondes recherches et devint membre de l’Académie Celtique. Il rentra ensuite sous Napoléon Ier dans l’armée, combattit à Iéna et fut blessé à Friedland. Il mourut assassiné en Espagne le 9 juin 1809 par des guerilleros.
On comprend les motifs qui nous interdisent de nous occuper des autres membres de la famille de Sade depuis la mort de ce fils aîné du marquis. Contentons-nous de dire que ce sont des gens pieux, d’une loyauté et d’une honorabilité indiscutables.
L’enfance et l’adolescence du Marquis. – Ce fut le 2 juin 1740, sous Louis XV, que naquit cet homme, figure la plus curieuse du XVIIIe siècle et même de l’humanité moderne en général. Il vint au monde dans la maison du grand Condé et reçut les noms et le titre de Donatien, Alphonse, François, marquis de Sade. Disons en passant, qu’à la mort de son père, il aurait dû échanger son titre contre celui de comte, qui était l’apanage des aînés de sa famille, mais il a acquis une telle réputation quand il était encore marquis, que la notoriété publique n’a jamais voulu le connaître autrement que sous le titre de marquis. Les roués et blasés du XVIIIe siècle qui prisaient fort ses œuvres, accolaient même à ce titre l’épithète de « divin ».
À l’âge de 4 ans, on le confia à sa grand-mère, à Avignon, alors terre papale. Un peu plus âgé, devenu déjà grandelet, on l’envoya à l’abbaye d’Ébreuil, chez son oncle l’abbé littérateur qui l’éleva avec soin et lui donna de 7 à 10 ans la première instruction de l’enfance.
À 10 ans, il fut envoyé à Paris, au collège Louis-le-Grand, dans la rue Saint-Jacques, établissement qui passait alors pour le premier de France. On ne s’y contentait pas de donner aux élèves une instruction soignée ; on perfectionnait et on développait leurs connaissances en les obligeant à faire des discours en public, à donner des représentations théâtrales, à préparer des dissertations et des discussions littéraires et religieuses.
Mais le système de punitions se ressentait du régime datant du Moyen Âge et MM. les élèves qui avaient fauté, recevaient sur leur derrière, de magistrales et pédagogiques fessées.
À cette époque de l’enfance vers la 12e ou 13e année, quand la puberté arrive et fait d’un enfant un adolescent, le caractère de cet enfant se développe pendant que le corps se forme, et en peu de temps, on constate de grands changements qui font que l’on ne reconnaît quelquefois pas, à 15 ans, les enfants que l’on a perdus de vue à 12 ou 13 ans, avant la puberté. C’est là un fait physiologique bien connu. Or, au point de vue de la thèse qui nous occupe, on n’a aucune espèce de renseignements, sur ce que faisait le petit marquis dans le collège Saint-Jacques. Avait-il des goûts pédérastiques, résultat d’une inversion native ? ou bien a-t-il fait la connaissance de jeunes gens dépravés qui l’ont souillé et lui ont inculqué leurs vices ? Dans notre volume de l’Inversion sexuelle (Tome II de l’Ethnologie du sens génital. Carrington Éditeur) nous avons, en nous rappelant ce que nous avions observé pendant notre enfance dans trois établissements scolaires du Languedoc et de la Provence (un pensionnat, un lycée et un collège) signalé les funestes et fâcheux effets de l’introduction d’enfants invertis nés au milieu d’enfants sans tare de ce genre. Et plus tard, dans notre longue carrière médicale, nous avons retrouvé de part le monde, occupant quelquefois des positions sociales élevées, certains de ces invertis nés ou acquis, de ces anciens copains de collège qui étaient devenus des sodomistes et des pédérastes endurcis. Notre ouvrage complète l’œuvre magistrale des savants allemands Kraft-Ebing et Moll qui ont présenté l’inversion sous son vrai jour de maladie. Le médecin ne doit pas plus craindre d’étudier la pourriture morale de l’âme qu’il ne craint à l’amphithéâtre la putréfaction physique de la carcasse humaine, ceci soit dit en passant.
Quoi qu’il en soit, si nous pouvions avoir des renseignements exacts sur l’adolescence du marquis et ses habitudes sexuelles, nous tiendrions le fil d’origine qui nous conduirait à travers les détours de cette âme si compliquée et si ténébreuse. Mais, ne pouvant le posséder, car la famille actuelle de Sade ne donnera à personne des documents de ce genre, nous en sommes réduits aux conjectures et contraints de nous faire une opinion médicale sur le cas du Marquis, en nous basant uniquement sur ses faits, gestes, actes et écrits : ce n’est guère qu’à la fin de ce volume que nous pourrons formuler une opinion ayant quelque valeur, opinion que nous chercherons à étayer le plus possible de preuves, sinon convaincantes, du moins plausibles.
Les Portraits du Marquis. – On ne sait même pas comment de Sade était physiquement. D’après Octave Uzanne (Idée sur les Romans) c’était pendant son séjour au collège de Saint-Jacques « un adorable adolescent dont le visage délicieux, pâle et mat, éclairé de deux grands yeux noirs, portait déjà cette empreinte langoureuse du vice qui devait déjà corrompre tout son entourage. Il avait ce je-ne-sais-quoi de traînant et de caressant dans la parole qui attirait vers lui d’une sympathie invincible et cette tournure bercée sur les hanches, cette grâce mollement féminine qui lui procurèrent dès l’internat, ces amitiés honteuses sur lesquelles on ne saurait insister. »
Octave Uzanne accuse donc nettement de Sade d’être un inverti et d’avoir débuté au collège Saint-Jacques par des habitudes pédérastiques. Nous ne connaissons pas les documents réels sur lesquels l’auteur s’est basé pour faire une pareille déclaration. Il est probable qu’il ne l’a pas créée de toutes pièces car le signalement physique qu’il donne de de Sade est bien celui d’un inverti passif, et par suite inverti né, ce qui lèverait un coin du voile qui nous cache la vraie nature morale du marquis. Prenons-en toujours acte en attendant mieux.
Selon Lacroix, de Sade avait une taille mignonne, des yeux bleus et des cheveux blonds et bien frisés. Marciat : le Marquis de Sade et le sadisme paru dans l’ouvrage tout récent du savant aliéniste Lacassagne « Vacher l’Éventreur et les Crimes sadiques » (Lyon, Paris 1899, Masson et Stork, éditeurs).
Un écrivain allemand a créé un portrait imaginaire de de Sade. « Le jeune vicomte (pourquoi vicomte ?) était d’une beauté si extraordinaire que toutes les dames qui le voyaient, même comme enfant, s’arrêtaient pour l’admirer. Aux charmes de son extérieur, il joignait une grâce naturelle dans tous ses mouvements, et son organe était si harmonieux que sa voix seule pénétrait au fond du cœur de toutes les femmes. Son père le fit toujours habiller à la dernière mode, et le costume rococo de cette époque faisait valoir encore plus la charmante figure du jeune homme. Qui sait si dans d’autres circonstances, l’auteur de Justine et Juliette ne serait pas devenu le type d’infamie qu’il a été, et s’il aurait été autant remarqué des femmes dans le costume vilain et sans goût de notre époque Justine et Juliette, Leipsig, 1874.
De ce qui précède, on peut simplement conclure que le marquis, étant adolescent, avait un physique fort agréable. Malheureusement, nous n’avons de lui aucun portrait authentique. Dans un opuscule Les Fous célèbres, publié vers 1810, on trouve une très mauvaise lithographie qui est censée représenter le marquis, mais qui est de pure invention. On a découvert depuis, deux autres portraits à Bruxelles. Le premier, fort mal exécuté, se trouve dans un cadre ovale et doit provenir de la collection de M. de la Porte « Les Crimes de l’amour etc., Bruxelles, 1881). L’autre portrait, qui est très bien fait, représente le marquis entouré de démons qui lui soufflent dans l’oreille, et porte la signature « H. Biberstein ». Ce dernier aurait fait partie de la collection d’un certain M. H… à Paris. Très probablement ces portraits sont imaginés. Certainement la vraie reproduction du marquis doit figurer dans la collection des portraits de la famille ? Mais personne n’a pu le reproduire sans son autorisation.
La Jeunesse. – Nous ne savons pas non plus dans quel état d’esprit le marquis de Sade a quitté le collège Louis le Grand. Selon l’écrivain allemand, mentionné plus haut, qui a reconstruit la vie de de Sade avec une imagination hardie le jeune homme, dès sa plus tendre enfance, se montra fort attaché à la littérature et aurait même fondé, pour ainsi dire, un système philosophique, à son usage particulier, basé sur l’épicuréisme le plus complet. Outre ses études d’École, il cultiva aussi les Beaux-Arts. Ce fut un musicien capable, un excellent danseur, habile à l’escrime ; il s’essaya aussi à la sculpture et au dessin. Il passait des journées entières dans les galeries de tableaux, surtout dans celles du Louvre, de Fontainebleau et de Versailles, perfectionnant ainsi de plus en plus son goût artistique.
Paul Lacroix dit de son côté que le marquis aimait beaucoup la musique. (La Vérité sur les Deux Procès Criminels de de Sade, bibliophile Jacob. Revue de Paris 1837.) La description qu’il fait de la galerie de tableaux de Florence, dans Juliette, constate bien qu’il connaissait la peinture et visitait le Musée.
Jules Janin croit que de Sade a quitté le collège, déjà devenu « un fanatique du vice », dans la même année (1754) où Maximilien de Robespierre y entrait. Il aurait donc à peine eu 14 ans.
La vie de l’homme fait. – Après sa sortie du collège, le Marquis de Sade entra au service dans le Régiment des Chevau-Légers, devint ensuite Sous-Lieutenant au Régiment du Roi, Lieutenant de Carabiniers et finalement capitaine dans un Régiment de Cavalerie et, en cette qualité, prit part à la guerre de Sept ans en Allemagne-Selon P. Lacroix, (loc. cit.) il ne serait rentré à Paris qu’en 1706, et son père lui reprochant plusieurs folies de jeunesse essaya déjà de le marier.
Marciat (loc. cit.) a prouvé que de Sade était déjà à Paris en 1763. Il avait alors 23 ans, l’âge de toute la fougue et de toute l’ardeur sexuelles. Dans la collection d’autographes de Michelet (de Bordeaux) vendue à Paris, en mai 1880 on trouve une lettre du marquis, datée de Vincennes du 2 novembre 1763, dans laquelle on donne comme date de son mariage le 17 mai 1763. Selon Marciat, ce qui milite en faveur de cette date, c’est le fait que le fils aîné du marquis, Louis Marie de Sade, devint, en 1763, Lieutenant au Régiment de Soubise. Il aurait donc eu au plus 19 ans et si son père ne s’était marié que plus tard, en 1767, comme on l’a dit, le fils aurait eu à peine 15 ans. Il est vrai qu’à cette époque les jeunes gentilshommes devenaient officiers de bonne heure. Mais les preuves, comme on le verra plus bas, existent de la date du 17 mai 1763 comme étant celle du mariage du marquis.
Histoire du Mariage du marquis de Sade. – L’histoire de ce mariage a été racontée d’une manière très détaillée par le bibliophile Jacob, (Paul Lacroix) d’après les communications d’un contemporain, M. Lefébure. Nous la trouvons insérée dans un volume des « Curiosités de l’Histoire de France, 2e série P.L. Jacob, Paris, Adolphe Delahays. Libraire. Éditeur, Paris, 1856. Nous l’y prenons in extenso, persuadé que le lecteur ne pourra que gagner à savourer la prose d’un auteur comme Paul Lacroix.
Le marquis de Sade revint à Paris en 1766, après avoir fait la guerre en Allemagne et gagné sur le champ de bataille le grade de capitaine de cavalerie. Son père, qui lui reprochait plusieurs folies de jeune homme, avait hâte de le marier, dans l’espérance de le forcer par là à une conduite plus sérieuse. M. de Montreuil, président à la cour des aides, se trouvait lié d’amitié avec le père du marquis, et les deux amis délibérèrent ensemble d’ajouter à leur ancien attachement un nouveau gage de durée, en mariant leurs enfants. M. de Montreuil avait deux filles, l’une âgée de vingt ans, l’autre de treize, toutes les deux également jolies, bien élevées, mais bien différentes d’humeur et de beauté. L’aînée était brune de teint, avec les yeux et les cheveux noirs, grande, majestueuse, remplie de talents, et pourtant exclusivement occupée de dévotion, négligente de plaire et dépourvue de toute chaleur de cœur, excepté dans l’exercice des vertus chrétiennes. La cadette, au contraire, qui, malgré son extrême jeunesse, avait déjà l’apparence physique de l’âge de puberté, n’était pas moins avancée du côté de l’intelligence : le principal caractère de sa figure consistait dans une expression de douceur angélique et de grâce suave que réfléchissaient ses yeux en harmonie avec sa peau blanche et sa blonde chevelure ; mais cette nature fraîche et délicate à l’extérieur devait bientôt se déclarer susceptible des passions les plus fougueuses et les plus fortes ; la religion n’était pas un frein capable de l’arrêter.