Le miroir des mondes - Mirabelle C. Vomscheid - E-Book

Le miroir des mondes E-Book

Mirabelle C. Vomscheid

0,0

Beschreibung

Suite à son emménagement dans un petit village de Lorraine avec son époux et ses deux enfants, Aurore espère enfin connaître les joies de la vie de famille. En fait d'une vie paisible et harmonieuse, la jeune femme se retrouve plongée dans un cauchemar sans fin dans lequel elle va devoir affronter l'horreur comme elle ne l'a jamais connue. Tout commence par une découverte macabre aux tréfonds de la forêt par Cathy, la belle-fille d'Aurore, qui disparaît peu de temps après, sans laisser aucune trace. Pour comprendre sa disparition, Aurore sillonne à son tour les chemins de la forêt de Haye et rencontre une étrange sorcière qui va la conduire, elle et sa famille dans des dimensions parallèles dans l'espoir de retrouver Cathy. Mais à chaque nouveau monde visité, les visiteurs sont confrontés à des situations de plus en plus extravageantes. Parviendront-ils à retourner dans leur monde et à retrouver Cathy sans risquer de mettre leur vie en péril ?

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 606

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Merci à Richard Géhénot, illustrateur et auteur, pour la réalisation de la couverture, ainsi que la mise en page de la 4ème de couverture.

SOMMAIRE

Prologue

1. Les Terry

2. L'invitation

3. Les mystères de la forêt

4. Le cauchemar

5. La chaumière

6. Davina et Melvina

7. À la recherche de l'impossible

8. Le retour de Florian

9. En territoire inconnu

10. Lueur d'espoir

11. L'histoire de Davina

12. Enquête en cours

13. Retour dans l'anormalité

14. Course-poursuite

15. Retour en terre inconnue

15. Chez Melvina

16. Attention danger !

17. Rencontres troublantes

18

.

Contamination

19. La potion magique

20. Sauvés ?

21. Une troublante découverte

22. À la croisée des autres mondes

23. Troublante rencontre

24. Prisonniers

25. Quand le cauchemar se répète

26. Retour à la maison ?

27. Prisonniers

28. Quand les doubles maléfiques se rencontrent

29. Retrouvailles en terrain miné

30. Traversée dans les immondicités de la forêt

31. Le parc

32. Le grand sage de la forêt

33. Retour à la case départ

34. En terrain connu

35. Retour chez Davina

36. Quand les frontières sont fermées

Épilogue

Prologue

Dans les profondeurs de la forêt de Haye....

Sur un chemin recouvert de broussailles et de ronces, qui n'avait pas été foulé depuis fort longtemps, une vieille femme de taille moyenne avançait, le dos courbé, d'un pas alerte vers la clairière, une fiole remplie d'une curieuse potion dans la main. Un choucas au plumage d'un noir de jais, qui contrastait avec les cheveux roux crépus de sa maîtresse, était perché sur son épaule gauche, à l’affût de tout mouvement. Son œil clair lui donnait un regard inquisiteur, presque inquiétant. Tout à coup, le petit corbeau poussa un cri strident à la vue d'un vautour qui venait de se percher sur la cime d'un arbre.

« Calme-toi, Picaro, fit sa maîtresse d'une voix chevrotante. Cet oiseau de malheur ne te fera aucun mal. »

La vieille femme tapota son dos pour le rassurer puis, le regard mauvais, elle leva la tête vers l'importun. La méchanceté qui se dégageait de ses yeux enlaidissait son visage qui rappelait celui d'une vieille sorcière. Elle tendit son index en direction du vautour et ouvrit la paume de sa main, de laquelle jaillit une boule d'énergie qui pulvérisa le pauvre rapace. Quelques plumes brunes virevoltèrent dans les airs, puis ce fut à nouveau silencieux.

« Voilà une bonne chose de faite, fit l'étrange sorcière, satisfaite. Nous pouvons continuer notre marche tranquillement ».

Les deux silhouettes reprirent la route et parvinrent à la clairière, endroit stratégique de leur mission. La vieille femme stoppa sa marche et le choucas bomba le buste, puis ils attendirent. L'herbe se mit alors à ondoyer et les branches des arbres encerclant la clairière se refermèrent sur les deux visiteurs, plongeant l'endroit dans un monde de ténèbres. Une brise légère se leva, suivie d'un éclair qui projeta une lueur bleutée dans le ciel devenu soudainement noir. La sorcière tourna le visage vers les cieux, puis tendit les bras et lâcha la fiole qui se fracassa sur le tapis de verdure. En l'espace d'un instant, l'herbe se transforma en un tas de cendres et les arbres à proximité perdirent leurs feuilles qui roussirent avant de finir à leur tour à l'état de poussière. La vieille femme admira le résultat et soupira de contentement.

« Nous pouvons partir, s'exclama-t-elle joyeusement à l'adresse du choucas. Notre mission est accomplie ».

Elle fit alors claquer son index et son pouce, geste qui eut pour effet la matérialisation d'un gigantesque tourbillon de lumière qui s'ouvrit sur un couloir en spirale dont l'issue était des plus incertaines. La vieille femme avança d'un pas, accompagnée de Picaro sur son bras droit, puis s'engagea dans le vortex. Le tourbillon se referma derrière les deux acolytes. Il ne résidait plus aucune trace de leur passage dans la forêt de Haye, hormis le tapis de verdure carbonisé.

1. Les Terry

Aurore, levée depuis cinq heures du matin, s'affairait dans la cuisine et préparait le petit-déjeuner pour Cathy et Maxime, les deux enfants de son époux. Âgée de trente-quatre ans, la jeune femme pensait avoir enfin trouvé le bonheur en épousant Florian et sa famille dix mois plus tôt. Mais la réalité lui avait montré une toute autre image de ses attentes. Depuis qu'elle s'était immiscée chez les Terry, elle avait le sentiment d'être une étrangère. Même Florian ne lui avait pas facilité la tâche en accrochant un portrait de grande taille de sa défunte épouse juste au dessus de la cheminée. Cette peinture avait été réalisée deux ans avant le décès de Marie à l'occasion de ses trente-huit ans. Sur cette toile, la jeune femme rayonnait dans toute sa splendeur avec sa magnifique chevelure brun acajou qui retombait en une belle cascade autour de ses épaules. Les traits délicats du visage et la douceur de son regard ne pouvaient laisser quiconque indifférent, y compris Aurore. Lorsque Florian restait là, debout, à observer ce portrait, la tristesse s'affichait sur son visage. Ce sentiment affligeait Aurore qui voyait en Marie une rivale, même si celle-ci n'était plus de ce monde. Comment pourrait-elle, dans ces conditions, se prendre pour la maîtresse de maison et trouver ses marques alors que la défunte hantait chaque recoin de la demeure ? Florian avait beau lui répéter qu'elle était désormais la femme de sa vie, elle n'en était toujours pas convaincue. Florian aimerait toujours Marie et Aurore n'était pas certaine de pouvoir rivaliser avec son fantôme. Elle avait surtout le sentiment de vivre dans l'ombre de cette dernière.

Tout en pressant une orange, le regard de la trentenaire se posa sur le jardin dont elle était très fière. Un magnifique tapis de velours d'un vert irréprochable s'étendait sur toute la propriété, derrière laquelle se dressaient les premiers arbres qui conduisaient à la forêt de Haye. On avait même un accès direct à cette dernière, grâce au portillon qu'Aurore avait installé l'hiver précédent. À ses heures perdues ou quand elle était déprimée, la jeune femme empruntait le chemin boisé et allait se ressourcer au milieu de la nature, accompagnée de son chien, Palmito, un Terre-Neuve blanc de dix ans, dont elle ne se séparait que très rarement. C'était un chien fortement handicapé, aveugle de naissance et souffrant de crises d'épilepsie. Il était son seul réconfort avec cette végétation environnante quand elle ruminait des idées noires. Aurore était satisfaite d'habiter tout au bout d'une impasse près de la forêt, loin des autres habitations tout en restant proche des commodités de la ville. Elle pouvait ainsi y promener Palmito en toute quiétude sans craindre un accident de la route.

Malgré tout le confort qui l'entourait, elle n'était pas heureuse. Elle sentait en permanence la présence de Marie au-dessus de sa tête telle l'épée de Damoclès. Pour lui faire plaisir et lui montrer sa bonne foi, Florian avait suggéré, quelques mois plus tôt, d'acheter une nouvelle demeure. Il avait conscience que son épouse actuelle ne se sentait pas chez elle et il espérait que l'acquisition d'une maison effacerait ses dernières craintes. Après de nombreuses recherches, le couple avait enfin trouvé son bonheur et avait emménagé en mars dernier, à Méréville, petit village de Lorraine à proximité de Nancy. Aurore pensait que ce changement permettrait à chacun de prendre un nouveau départ, mais dans les faits, la situation était bien plus compliquée. Parallèlement au fantôme de Marie, sa belle-fille de dix-sept ans ne cessait de la pousser à bout, tandis que son beau-fils de quatorze ans la regardait comme si elle venait d'une autre planète. La jeune femme finissait par se dire qu'elle n'était pas faite pour être mère. Pourtant, elle ne lésinait pas sur les moyens pour y parvenir. Chaque matin, Aurore s'évertuait à concocter un délicieux petit-déjeuner pour ses deux beaux-enfants dans l'espoir d'obtenir leur sympathie et leur gratitude. En dépit de ses efforts, Cathy et Maxime avalaient leur repas sur le pouce sans même la remercier ou lui adresser la parole. Ils allaient jusqu'à ignorer la présence de Palmito comme s'ils dédaignaient tout ce qui la touchait de près. Tout enfant se réjouirait d'avoir un animal à la maison. Eux s'en moquaient éperdument. Que devait-elle donc faire pour les attendrir et avoir une place dans leur cœur ?

D'un pas lourd, Aurore monta les escaliers qui conduisaient aux chambres des enfants. Elle frappa à la porte de Cathy, puis, en l'absence de réponse, réitéra son geste. Elle finit par entrer, ouvrit les volets et secoua doucement sa belle-fille par l'épaule. Cathy marmonna quelques jurons, puis replongea la tête dans son oreiller.

— Il faut que tu te lèves Cat ! Je te rappelle que tu passes ton bac de français ce matin.

— Laisse-moi tranquille, bougonna-t-elle.

— Tu ne viendras pas te plaindre si tu arrives en retard, répondit Aurore d'un ton las.

Elle n'insista pas, laissa sa belle-fille seule et retourna à la cuisine en soupirant.

Cathy attendit d'être certaine que sa belle-mère n'était plus à l'étage, puis ouvrit un œil et regarda l'affichage digital de son réveil.

« Déjà cette heure » ! s'écria-t-elle d'un ton rageur.

L'adolescente s'extirpa de sa couette qu'elle avait enroulée tout autour d'elle, se mit au bord du lit et se leva. Encore endormie, elle se dirigea vers la salle de bain, jeta un regard au miroir et grimaça en voyant sa tête. Elle n'aimait pas le reflet que lui renvoyait celui-ci. Pourtant, elle avait tout pour plaire. De superbes cheveux blond cendré, quoi que décoiffés pour le moment, encadraient un visage ovale aux traits bien dessinés. Elle avait un teint opalescent, des yeux vert clair au regard attendrissant ainsi que des pommettes saillantes et une silhouette de mannequin. En dépit de son apparente fragilité, Cathy n'était pas un ange. Elle savait s'affirmer et était caractérielle. Aurore était la mieux placée pour le savoir ! L'adolescente observait, l'air bougon, ses cheveux en bataille et les gros cernes qui cerclaient ses yeux. Elle finit par se détourner du miroir et pensa au petit-déjeuner qui l'attendait dans la cuisine. Elle se coifferait et se maquillerait une fois l'estomac rempli.

L'adolescente se mit à sourire au souvenir de l'approche des vacances qui débuteraient dans exactement neuf jours. La belle vie l'attendait d'ici peu ! Dormir, flemmarder, lire, surfer sur le net, que pouvait-elle espérer de mieux ? Que Lucas serait de la partie. Ils se connaissaient depuis l'école maternelle, mais récemment leur amitié avait évolué et s'était peu à peu transformée en de nouveaux sentiments. Lucas n'était plus le même et s'était métamorphosé. C'était un jeune homme de 19 ans maintenant. De grande taille, il avait une carrure imposante avec ses larges épaules sur lesquelles retombaient une ondulante crinière de cheveux noir de jais. Sa peau d'une agréable teinte halée était mise en valeur par ses pommettes et son menton saillants mais bien ciselés. Ses yeux d'un bleu ténébreux lui donnaient un côté mystérieux qui faisaient battre le cœur des jeunes femmes qu'il rencontrait. Contrairement à ses camarades, il privilégiait en priorité les études et ne se laissait pas divertir par les filles de son entourage, aussi belles et charmantes pouvaient-elles être. Mais ce qui plaisait beaucoup à Cathy, était leurs centres d'intérêt communs et leurs longues discussions sur des sujets diversifiés, une relation basée sur l'amitié que Cathy aimerait voir évoluer. Léa, son amie, prétendait que l'adolescente avait toutes ses chances. Cependant Cathy craignait de ne pas être au goût du jeune homme physiquement. De quoi auraient-ils l'air ensemble ? Elle paraissait minuscule à côté de lui avec son petit mètre soixante alors que lui la dépassait d'une bonne vingtaine de centimètres.

Si seulement sa mère était encore en vie ! Elle pourrait lui donner de précieux conseils pour séduire Lucas. Malheureusement, la défunte était décédée quatre ans plus tôt dans un terrible accident de voiture. Elle n'était pas morte immédiatement et avait été transportée à l'hôpital de Brabois où elle avait rendu son dernier soupir quelques heures plus tard. Elle souffrait de graves blessures internes qui avaient touché les organes vitaux .

Depuis, Cathy n'avait toujours pas réussi à faire le deuil de celle qu'elle admirait plus que tout. Ce n'était pas cette Aurore que son père avait épousée qui remplacerait sa mère. Elle n'avait rien de semblable. Elle était si effacée et impersonnelle que c'en était effarant. Elle aimerait tant que cette femme débarrasse le plancher. Hélas, son père y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Pourtant, Aurore était banale, selon Cathy. Elle n'exerçait même pas de vrai métier. Elle écrivait ! Et le comble, ses romans étaient destinés aux adolescents. Quoi qu’il en soit, sa notoriété ne se limitait qu'à la région. Pourtant, à entendre sa belle-mère, c'était déjà un bon commencement. « Elle prend ses rêves pour la réalité », se moqua Cathy. Aurore lui avait même suggéré de lire l'un de ses ouvrages afin d'avoir son avis. L'adolescente lui avait tourné le dos pour lui faire comprendre que cela ne l'intéressait pas et avait espéré au plus profond d'elle-même la blesser. Malgré tout, la tentation avait été grande de lire en secret l'un de ses romans. Suite à ses lectures, elle l'avait encore plus haïe. Que pouvait-elle bien savoir du monde des ados ? En réalité, Cathy refusait d'admettre que sa belle-mère avait un certain talent et qu'elle voyait juste quand elle décrivait ses personnages et leurs états d'âme. Mais jamais, elle n'irait le lui avouer. Plutôt mourir !

Cathy détestait plus que tout sa belle-mère pour avoir pris la place de sa mère, et encore plus pour avoir volé le cœur de son père. Elle pourrait faire tout ce qu'elle voudrait, jamais elle ne la remplacerait. Les dents serrées et le cœur lourd, elle essuya la larme qui venait de couler le long de sa joue, puis renifla un bon coup. À nouveau sûre d'elle-même, elle descendit les escaliers, le buste bien droit, toujours vêtue de son pyjama dont le haut recouvrait à peine le nombril.

Aurore la vit arriver dans l'encadrement de la porte, morose. Son regard se porta sur sa coiffure.

— Quoi ? cracha Cathy.

— Tu aurais pu passer la brosse dans tes cheveux, répondit-elle sans l'ombre d'un reproche.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ! marmonna la jeune fille entre ses dents. Tu n'es pas ma mère et tu n'as pas à me dicter ce que je dois faire.

Aurore sentit son cœur se serrer. Mais que devait-elle faire pour que les conflits avec Cathy cessent ? Pour l'amadouer, elle lui dit gentiment :

— Tes cheveux sont si beaux ! Tu devrais les détacher plus souvent. Tu as l'air bien plus mûre coiffée ainsi. Cette horrible coiffure que tu traînes en permanence sur le dessus de ta tête ne te met pas en valeur, tu sais.

Cathy lui lança un regard meurtrier. De quoi se mêlait-elle ? Puis elle se servit dans le frigo et but directement dans la bouteille de lait.

— Je t'ai pressé un jus d'orange maison comme tu les aimes », souligna Aurore.

Cathy haussa les épaules et ignora sa belle-mère. Elle prit le pot de Nutella dans le placard et tartina généreusement la tranche de pain rassis. Encore une fois, elle délaissa les toasts qu'Aurore avait fait griller. Blessée, Aurore finit par perdre son calme. Elle ôta son tablier qu'elle jeta sur le plan de travail, puis quitta la cuisine en claquant la porte derrière elle. Un sourire de satisfaction se dessina sur les lèvres de la jeune fille. « Bon débarras ! »

Un homme robuste d'une quarantaine d'années, à la chevelure poivre et sel coupée en brosse, les joues creuses hérissées d'une barbe de deux jours, fit son entrée dans la cuisine cinq minutes plus tard, étonné de l'air furieux de son épouse.

— Pourquoi Aurore est-elle en colère ? demanda-t-il à sa fille.

— Bonjour papa, claironna Cathy en l'embrassant sur la joue.

— Cathy, tu n'as pas répondu à ma question ! fit-il, exaspéré.

— Je n'en ai aucune idée. Quand je suis arrivée dans la cuisine, elle était déjà mal lunée. »

Florian hocha la tête comme pour l'approuver. Il ne remettait jamais en doute les paroles de sa fille et croyait tout ce qu'elle pouvait lui raconter. Il ne comprenait d'ailleurs pas les conflits qui opposaient Cathy et Aurore. Il était convaincu que sa nouvelle épouse se faisait des idées et que les enfants l'adoraient. Comment pourrait-il croire le contraire là où Cathy faisait preuve d'une amabilité surprenante à l'égard de sa belle-mère en présence de son père ? Quant à Maxime, il se montrait assez indifférent. En revanche, le garçon prenait un malin plaisir à fouiller dans les affaires d'Aurore dès qu'elle avait le dos tourné afin de lui jouer de mauvais tours, histoire de la titiller pour le plaisir. C'est ainsi qu'Aurore passait des heures à se demander où elle avait mis son collier, ses clefs de voiture ou encore la clé USB sur laquelle elle sauvegardait ses textes. Un jour, il était même allé jusqu'à effacer son fichier. La jeune femme était entrée dans une colère noire, puis s'était calmée quand Maxime lui avait rappelé qu'elle devait bien avoir un exemplaire sur le bureau de son ordinateur.

— Ils ont l'air délicieux ces toasts grillés, souligna Florian.

— Tu n'as qu'à les prendre, je n'ai plus faim, répondit Cathy en poussant son bol qu'elle laissa traîner sur la table. Tu penses pouvoir me déposer au lycée ? s'empressa-t-elle de demander.

— Je croyais que ta mère...

— Aurore, corrigea Cathy, dédaigneuse.

— Oui, qu'Aurore pourrait te déposer. Je dois être au bureau pour 8 heures au plus tard, je n'ai vraiment pas le temps. Désolé, ma chérie.

— Mais, papa, c'est un jour important pour moi, je passe mon bac de français.

— Aurore saura très bien t'épauler. Elle est très compréhensive, tu sais.

« Oui, c'est ça ! pensa Cathy, furieuse. Et elle va encore jouer les mères poules ».

Excédée, Cathy remonta en quatrième vitesse les marches. Elle se faufila dans la salle de bain et ressortit une demi-heure plus tard avec ses cheveux blonds ébouriffés sur la tête, maintenus par une quantité phénoménale de laque et les yeux barbouillés de crayon noir ainsi qu'un fard à paupières gris foncé qui lui donnait un regard encore plus rebelle. Elle enfila un jean troué aux genoux et un tee-shirt noir qui ne dépassait pas le nombril. Et enfin, elle se glissa dans des bottes à talon aiguille. Elle espérait ainsi exaspérer celle qu'elle détestait plus que tout. Cependant, quand elle redescendit les escaliers pour se diriger vers le garage, son regard se porta sur un post-it qu'Aurore avait fixé sur la porte.

« Comme tu ne sembles pas apprécier ma compagnie, je pense que tu préféreras prendre le bus. Un départ est prévu à 7H32 devant la mairie. Ne traîne pas ! Tu pourrais être en retard pour ton bac de français. »

Estomaquée, l'adolescente ouvrit la bouche en grand de fureur. Maxime qui passait à ses côtés, l'observa, un sourire narquois.

— Aurore t'a plantée ! C'est pas d'chance pour ce jour si important. Tu l'as bien cherché, ma vieille !

— Lâche-moi les bask ! grinça-t-elle. J'aurais sa peau, je peux te le garantir.

— T'es grave, toi !

— Fous-moi la paix !

Elle remonta les escaliers, en martelant chacun de ses pas et hurla un « papaaaaaaaa » pleurnichard qui resta sans effet. Celui-ci était déjà parti.

— Elle t'a quand même bien eu sur ce coup, Aurore », poursuivit son frère, persiflant.

Cathy lui lança un regard noir et s'empressa de mettre la main sur sa carte de bus, furibonde. Quand elle la trouva, elle troqua ses bottes contre des baskets, puis se dépêcha de rejoindre le bus. Elle arriva à l'arrêt, complètement essoufflée avec une foulure à la cheville. Elle avait couru à en perdre haleine et en voulait plus que tout à son horrible belle-mère. Elle promit de se venger et de lui faire passer les pires vacances qu'elle ait jamais eues.

2. L'invitation

Deux semaines s'étaient écoulées depuis que Cathy avait passé son bac de français. Les animosités entre elle et sa belle-mère se poursuivaient et l'adolescente profitait de ses vacances pour en faire voir de toutes les couleurs à Aurore qui, elle, voulait seulement enterrer la hache de guerre. En vain, Cathy était résolue à lui pourrir la vie, quoi que sa belle-mère fasse. Elle se montrait pourtant d'une extrême gentillesse à son égard et lui proposait toutes sortes d'activités dans le but de lui faire plaisir et de passer du temps avec elle. Rien n'y faisait, Cathy était d'une ingratitude désespérante. Heureusement, son frère avait lâché du lest et préférait laisser Aurore tranquille. Ce n'est pas qu'il était devenu soudainement gentil, mais il pensait qu'il obtiendrait plus de faveurs pour les deux longs mois d'été s'il parvenait à se montrer un temps soit peu calme et agréable. En outre, il savait que sa belle-mère racontait tout à leur père et celui-ci n'approuvait pas les manigances de son fils. Maxime lui reprochait de ne pas avoir le même comportement avec sa sœur. Son père était aveugle quand il s'agissait de Cathy qui pourtant faisait bien plus de peine à Aurore que lui n'en faisait. Maxime jouait certes avec les nerfs de sa belle-mère, cependant seulement par jeu, alors que sa sœur cherchait à atteindre Aurore par toutes les ruses inimaginables dans l'espoir que cette dernière finirait par battre en retraite et quitterait définitivement la maison. Cathy ne supportait pas la seule idée qu'elle remplace sa défunte mère. Maxime, en revanche, trouvait qu'Aurore assurait bien son rôle de belle-mère, même si cela lui était difficile à reconnaître. Malgré tout, c'était plus fort que lui, il fallait qu'il lui joue de mauvais tours, histoire de mettre un peu d'ambiance dans cette maison qu'il jugeait lugubre.

Ainsi, en cette deuxième semaine de juillet, fidèle à ses principes, il se leva tôt pour profiter de la fraîcheur matinale et tondre la pelouse. Il devait bien avouer que son acte de bravoure n'était pas dépourvu de tout intérêt. Il voulait faire d'une pierre deux coups : montrer d'une part qu'il participait aux tâches de la maison et, en parallèle, faire rager sa sœur et Aurore en les réveillant en sursaut grâce au bruit mélodieux de la tondeuse. C'est vrai que c'était sadique de leur faire une telle vacherie pendant les vacances d'été. Il fallait bien qu’il se défoule pour oublier cette nuit horrible durant laquelle les moustiques n'avaient pas cessé de tourner autour de lui tels de sales petits vampires, ce qui lui avait valu une nuit blanche. Il voulait prendre sa revanche sur les deux femmes de la maison qui dormaient profondément alors que lui était réveillé depuis longtemps.

Maxime, un sourire aux lèvres, se rendit dans l'appentis en sifflotant, heureux de ce qu'il concoctait. Il sortit la tondeuse et la mit en marche. Les cris ne se firent pas attendre. Cathy réagit au quart de tour. Furieuse, elle ouvrit violemment les volets qui rebondirent sur les murs et foudroya son frère du regard. Les cheveux hirsutes et les yeux aussi noirs que du charbon, elle se mit à l'invectiver :

— T''es complètement barj ou quoi ? T'as vu l'heure ? Qu'est-ce qui te prend de passer la tondeuse ?

Maxime n'eut pas le temps de répliquer que sa belle-mère, beaucoup plus calme que Cathy, poussa les volets nonchalamment, toute engourdie et encore ensommeillée et observa son beau-fils, le front plissé.

— C'est gentil de vouloir m'aider Maxime, commença-t-elle pour amadouer l'adolescent, mais ce n'était pas si pressé tu sais. Ça pouvait attendre encore quelques heures, voire quelques jours...

— Pour une fois que je veux aider, c'est comme ça qu'on me remercie », rétorqua-t-il d'un ton qui se voulait révolté.

Intérieurement il se réjouissait d'avoir réveillé la gente féminine. Que ne ferait-il pas pour donner un peu d'animation dans cette baraque ? C'était trop hilarant de voir leurs têtes de déterrées ! Il fit semblant d'être en colère et laissa la tondeuse en plan. Aurore, en voyant la réaction de son beau-fils, suggéra aux deux adolescents d'un air qui se voulait détendu :

— Bon, puisque tout le monde est réveillé, pourquoi ne profiterions-nous pas de cette belle journée ensoleillée pour faire une sortie ?

— Cause toujours, marmonna Cathy qui n'était pas encore remise de son réveil en fanfare. Ce sera sans moi, j'ai autre chose à faire que de perdre mon temps à flâner au milieu des champs pour regarder les oiseaux piailler. »

Sans perdre patience, Aurore lui demanda calmement :

« Et qu'as-tu planifié d'important ?

— Rien qui ne t'intéresserait !

— Dis toujours.

— Ça ne te regarde pas, répondit-elle un peu trop brutalement. »

Aurore commençait à voir rouge. Elle supportait de moins en moins l'insolence de sa belle-fille et était décidée à ne pas laisser passer l'affaire. Maxime, heureux d'avoir semé la zizanie sans en subir les conséquences, regarda les deux filles s'affronter ouvertement. La journée promettait d'être géniale !

— Que cela te plaise ou pas, je suis responsable de toi. Et il est de mon droit de savoir ce que tu fais et où tu vas !

— Tu n'as aucun droit sur moi, lui cracha Cathy au visage. Tu n'es pas ma mère. Ton seul droit est celui que t'a accordé papa en t'acceptant dans la maison.

— Je te prierais de me parler sur un autre ton, jeune fille.

— Je te prierais de me parler sur un autre ton, singea Cathy en se moquant de sa belle-mère. Qu'est-ce que tu crois ? Que tu peux remplacer ma mère ?

— Bien sûr que non, répliqua Aurore, livide. Mais nous pourrions faire en sorte que tout se passe au mieux dans cette maison en nous respectant les uns et les autres.

— Si c'est ce que tu veux, commence par respecter ma vie privée et arrête de me dire tout ce que je dois faire, lâcha Cathy avec véhémence.

— Mais...

— Et arrête d'être à mes pieds comme un petit chien ! Ce n'est pas comme ça que tu gagneras mon cœur.

Aurore regarda Cathy, hébétée. Que lui avait-elle donc fait pour qu'elle se montre aussi méchante et qu'elle lui en veuille autant ? Elle était blessée par son comportement et abandonna la partie. Elle referma la fenêtre et on ne la vit plus de la journée.

— Tu ne crois pas que tu y es allée un peu fort cette fois-ci avec Aurore ? fit remarquer Maxime d'un ton neutre.

— Tu ne vas quand même pas prendre sa défense ! Tu ne vois pas qu'elle veut piquer la place de maman.

— Moi non plus, ça ne m'amuse pas qu'elle remplace maman, mais il faut te faire une raison, maman ne reviendra jamais et Aurore n'est pas si mauvaise que ça !

— Tu racontes n'importe quoi, rétorqua-t-elle en pleurnichant, maman sera toujours avec nous. Même papa ne peut pas l'oublier. La preuve, il a accroché son portrait dans le séjour. »

Aurore qui écoutait toute la conversation derrière les volets sursauta à l'évocation du tableau. Ce maudit tableau qu'elle ne supportait plus. Elle devait avoir une discussion avec Florian. Cela ne pouvait plus durer.

— Je n'aime pas sa façon qu'elle a de fouiner dans mes affaires, poursuivit Cathy.

— Tu te trompes sur toute la ligne, ma vieille. Elle essaie de se faire aimer, ce n'est pas plus compliqué que ça !

— Elle peut toujours courir. Jamais je ne l'aimerai. Et toi, tu tombes dans son piège. Tu n'es qu'un imbécile et tu ne vaux pas mieux qu'elle.

— Garde tes insultes pour toi, se rebiffa Maxime.

— Si tu arrêtais de dire n'importe quoi. On dirait que tu prends sa défense.

— Je ne prends pas sa défense mais je suis réaliste. Il faut que tu te mettes dans le crâne qu'elle fait partie de notre vie que tu le veuilles ou pas ! Alors autant essayer de faire avec et d'obtenir ce qu'il y a de mieux pour nous.

— Ouah, quel génie mon p'tit frère. Je n'aurais pas trouvé mieux.

— C'est ça, paye-toi ma tête. T'es vraiment vénère ! Tu regretteras le jour où elle t'enverra paître, car là il sera trop tard pour l'avoir dans ta poche. »

C'est justement ce que pensait Aurore. Elle n'avait plus l'intention de se laisser insulter et manipuler par ses deux beaux-enfants. S'ils ne voulaient pas de sa gentillesse, elle la garderait pour elle et les ignorerait désormais. Elle ne descendit pas dans la cuisine pour leur préparer leur habituel petit-déjeuner et, à la place, se lova dans son fauteuil en osier favori pour y commencer la lecture d'un thriller. Quand au bout de deux heures ses yeux la fatiguèrent, elle s'interrompit pour faire une pause, puis sortit de sa chambre et se glissa dans un bain moussant dans lequel elle se prélassa pendant une bonne heure. La matinée passa finalement très vite. Elle descendit au rez-de-chaussée, fit une incursion dans le séjour et trouva ses deux horribles garnements vautrés dans la banquette à regarder un film d'horreur. Ils ne changeraient donc jamais ! Pourquoi ne profitaient-ils pas du soleil pour aller prendre l'air ? Aurore les ignora et se dirigea dans la cuisine où elle se prépara un sandwich à base de fromage et de légumes frais.

« Qu'est-ce qu'on mange ? lança tout à coup Maxime à l'autre bout de la pièce.

— Vous êtes assez grands pour vous débrouiller seuls apparemment. Alors faites comme bon vous semble, moi je m'en vais. »

Maxime observa sa belle-mère, les sourcils froncés.

— C'est de ta faute, reprocha-t-il à sa sœur.

— Qu'est-ce que tu racontes ? cracha celle-ci.

— Elle refuse de préparer notre repas et elle se casse je ne sais où.

— Et alors ? C'est cool, on va pouvoir manger ce qu'on veut et on a la maison pour nous tout seuls.

— Tu es vraiment trop nulle ! Je me barre aussi.

Cathy jeta à peine un coup d’œil à son frère qui venait de quitter la pièce, hypnotisée par le film. Ce ne fut qu'une fois que celui-ci fut terminé qu'elle finit par se rendre compte que la maison était bien silencieuse. Au lieu de se préoccuper de ce changement inhabituel, elle poussa un cri de joie.

« YES ! lâcha-t-elle dans un cri hystérique. Mon crétin de frère n'est plus dans mes pattes et ma cinglée de belle-mère a décampé ! Que pouvais-je espérer de mieux ? »

Elle se mit à danser le youpala sur la banquette, le regard allumé et les cheveux ébouriffés, elle avait tout l'air d'une folle à lier. La voie était libre pour faire tout ce qu'elle voulait dans la maison. Elle réfléchit un court instant à ce qu'elle allait faire, un index posé sur ses lèvres, puis se rua sur le téléphone du salon tel un animal affamé. Et si elle en profitait pour inviter Lucas ? Il n'allait pas être facile à convaincre, mais Cathy savait user de son charme pour désamorcer le plus récalcitrant des garçons du lycée. Elle se calma un instant, puis composa le numéro et prit sa voix enjôleuse dès qu'elle entendit la voix de sa victime à l'autre bout du fil.

— Salut Lucas ! Comment ça va ?

Lucas ne répondit pas immédiatement.

— Je vais bien mais si je savais à qui j'ai affaire, cela m'éclairerait beaucoup, finit-il par dire d'un ton posé.

— C'est Cathy », répondit-elle.

Silence à l'autre bout de la ligne.

— Cathy Terry, précisa-t-elle.

— Ah oui ! Désolé Cathy de ne pas avoir pensé à toi tout de suite, mais en ce moment j'ai un peu la tête ailleurs. »

Sympa, songea Cathy pour elle-même. Apparemment, elle n'était pas le centre de ses intérêts. Cela faisait toujours plaisir d'être reléguée au dernier rang. Bon, elle n'allait pas prendre la mouche pour si peu.

— Comment vas-tu ? poursuivit-il.

— Ça va, fit-elle, penaude, tout à coup très intimidée.

— Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu de tes nouvelles ! Que me vaut ton appel ?

— Je me demandais, commença-t-elle en se raclant la gorge si ça te dirait de passer à la maison pour manger une pizza et pourquoi pas aller faire un tour ensuite. Comme c'est les vacances et que nous ne sommes pas encore revus depuis fin juin, je me disais que ce serait sympa.

— Aujourd'hui ? s'exclama-t-il, étonné.

— Oui. Pourquoi ça te pose problème ?

— Non, non ce n'est pas ça, mais j'aime bien être prévenu un peu en avance.

— Bon si ça te gêne, ce n'est pas grave, on remet ça à une autre fois.

— Après tout, tu as raison, c'est les vacances et je n'avais rien planifié de particulier aujourd'hui.

— Quand veux-tu que je vienne ?

— Maintenant si tu es libre.

— Et bien ! C'est ce qu'on appelle de l'improvisation de dernière minute !

— Je t'attends alors.

Cathy raccrocha et descendit au sous-sol où se trouvait le congélateur, puis elle choisit une pizza qu'elle glissa immédiatement dans le four. Lucas serait là d'ici un quart d'heure. Il habitait dans une petite ville à côté de Méréville à Ludres. Le jeune homme se déplaçait tout le temps en moto et il lui était même arrivé d'inviter Cathy à faire une promenade avec elle sur les petites routes de la Lorraine. Ces moments volés, Cathy ne risquait pas de les oublier. C'était les rares fois où elle pouvait se coller contre lui sans que cela prête à confusion.

La jeune fille jeta un coup d’œil au miroir de l'entrée et fit la grimace. Elle devait faire un brin de toilette. Elle se dépêcha de passer à la salle de bain afin de prendre une douche rapide et donner de l'allure à ses cheveux qu'elle n'avait toujours pas coiffés depuis le matin. En dix minutes, elle fut littéralement métamorphosée. Elle avait mis une jupe courte évasée noire surmontée d'un tee-shirt mauve noué à la taille et elle avait soigneusement coiffé ses cheveux en une queue de cheval haute. A cela, elle avait ajouté un peu d'eau de toilette qu'elle avait empruntée à Aurore et mis une touche de maquillage sur ses yeux et ses joues. Prête en un temps record, elle redescendit en quatrième vitesse quand elle entendit la sonnette de l'entrée retentir. Elle ouvrit à Lucas, plus sexy que jamais !

— Je peux entrer ? demanda-t-il.

— Oui, bien sûr, fit Cathy, hypnotisée par ses yeux envoûtants.

Cathy, qui, habituellement se montrait très sûre d'elle, perdait tous ses moyens à chaque fois qu'elle se retrouvait face à Lucas. Elle avait beau le connaître depuis la maternelle, il lui faisait toujours la même impression. En grandissant, ses sentiments s'étaient transformés en amour. Elle n'était pas certaine que l'affection du jeune homme ait évolué de la même manière que la sienne et craignait d'être ridicule si elle le lui avouait ouvertement. Cependant, elle n'en pouvait plus de cette situation et espérait lui faire comprendre d'une façon ou d'une autre ce qu'elle ressentait réellement pour lui. Ils étaient maintenant suffisamment grands pour vivre une histoire d'amour ! Cathy s'était mis en tête de le conquérir, mais comment le pourrait-elle si elle était paralysée quand il était à ses côtés ?

— Viens par ici ! dit-elle sur un ton qui se voulait léger.

— C'est sympa chez toi !

— Je préférais quand nous étions dans la maison de Ludres avec maman, c'était beaucoup plus chaleureux.

— Cette maison a l'air aussi accueillante que l'ancienne, souligna Lucas.

— Oui, mais ici ce n'est pas pareil. Il n'y a plus maman et Aurore essaie de nous imposer sa loi.

Cathy préférait ne pas s'engager sur une voie dangereuse. Elle n'avait pas invité Lucas pour qu'ils parlent de sa belle-mère. Pour une fois que celle-ci n'était pas à la maison, elle devait en profiter pour faire ce qu'elle voulait et oublier son existence. Pour couper court à la conversation qui s'annonçait désagréable, elle lui suggéra de déjeuner dehors.

— Excellente idée ! s'exclama-t-il, ravi.

— Nous allons nous installer sur la terrasse.

— Tu es quand même bien lotie ici ! fit remarquer Lucas une fois qu'ils furent dehors. Une balancelle, un barbecue, des fauteuils, que demander de mieux pour flemmarder ?

— C'est vrai, tu as raison. Tu peux m'aider à mettre la table ?

— Oui, bien sûr.

Ils revinrent les bras chargés de paquets de gâteaux apéritifs, d'une bouteille de Coca-Cola, d'assiettes en plastique et de verres. Puis ils s'installèrent dans les chaises longues, et ce fut soudain silencieux. Lucas ferma un instant les yeux, ce qui fit sourciller Cathy. Il était à son aise contrairement à elle.

— Que c'est bon d'être ici au calme ! murmura-t-il en inspirant profondément.

— Je ne savais pas que tu appréciais autant le calme au milieu de la verdure.

— J'adore ça. C'est bien mieux que de se pavaner en boîte ou au café, tu ne trouves pas ? Ici tu respires et tu te refais une santé !

— On croirait entendre mes parents, lâcha Cathy, ironique.

Le jeune homme se mit à rire et Cathy regrettait déjà ses paroles. Ce n'était pas de cette manière qu'elle allait attirer les faveurs de Lucas. Elle devait faire un effort. Elle aussi aimait bien la campagne, mais dans une certaine mesure. L'été, elle trouvait agréable de prendre l'air et de voir les animaux sauvages s'animer au milieu des arbres ou des champs, en revanche, l'hiver, c'était mortel. Comment pouvait-on apprécier un paysage désolé où le gris dominait dans ces conditions ?

— Ferme les yeux, lui ordonna Lucas. Tu vas mieux apprécier ce qui t'entoure.

Cathy, le front plissé, planta son regard dans le sien sans faire ce qu'il lui demandait.

— Ce n'est pas la peine de me regarder comme ça. On dirait que je te demande d'aller décrocher la lune ! Allez, ferme les yeux.

Cathy finit par obéir et se laissa bercer par sa voix.

— Maintenant, concentre-toi sur les bruits et les odeurs qui t'entourent. Tu vas te rendre compte que tu perçois bien plus de choses que lorsque tu as les yeux ouverts.

Cathy continua de faire ce que Lucas lui dictait et constata qu'il avait raison. Elle perçut de nombreuses fragrances florales et fruitières qu'elle ne remarquaient même pas quand elle se rendait dans le jardin. C'était magique toutes ces odeurs agréables qui flottaient dans l'air. Les bruits environnants étaient eux aussi nouveaux à ses oreilles. Elle entendait principalement le chant des oiseaux, mais pas seulement. Elle crut percevoir le bruit d'un criquet et même plus loin le brame d'un cerf. Il y avait aussi les aboiements de quelques chiens, mais pour les entendre, elle n'avait pas besoin de fermer les yeux. Sa rue en était remplie !

— Alors ? fit Lucas.

— Tu as raison, c'est dingue tous les sons et les odeurs que l'on peut percevoir.

— Il suffit de t'ouvrir à la nature tout simplement. Elle est là pour nous apaiser. C'est le problème de notre civilisation actuelle. Les hommes sont si occupés à courir dans tous les sens qu'ils ne prennent même plus le temps de savourer ce qui est à leur portée comme la faune et la flore qui sont pourtant des éléments bien plus naturels pour se détendre que les anti-dépresseurs que des millions de gens avalent pour éliminer leur stress. Une promenade en forêt est bien plus réparatrice pour l'organisme. Si les hommes prenaient conscience de l'importance de la nature autour d'eux, ils respecteraient bien plus ce qu'ils considèrent comme être un dû. Ils la détruisent et se détruisent en même temps au lieu de profiter de tout ce qu'elle leur donne.

Cathy était époustouflée par le discours de Lucas. Elle le connaissait depuis longtemps, et pourtant, jamais elle n'aurait soupçonné une seule seconde qu'il se sentait aussi concerné par l'écologie. Car c'était bien de ça qu'il parlait ! Ses airs de loubard avec sa veste en cuir et sa moto n'étaient qu'une façade pour paraître comme les autres. Il avait conscience que tout adolescent sortant du moule était mal vu. Il avait trouvé une solution en revêtant ce « costume de motard ». Cependant il ne considérait pas sa moto comme un piège pour attirer les filles et épater la galerie, elle lui était très utile pour se faufiler n'importe où dans les coins les plus reclus de la forêt.

— Tu ne partages pas mon opinion ? voulut-il savoir.

— Bien sûr que si ! C'est important de préserver notre environnement.

— Je ne te parle pas de ça, mais des plaisirs simples d'être en contact avec la faune et la flore. C'est une source inestimable et quand tu apprends à y faire attention, ce sont les plus belles choses que l'on puisse avoir sur Terre. D'ailleurs que dirais-tu d'aller nous promener quand nous aurons fini de déjeuner afin que je t'initie aux plus belles merveilles du monde ? lui proposa-t-il d'un air complice.

— Pourquoi pas ? Je suis curieuse d'apprendre à tes côtés tout ce qui concerne les animaux et la nature !

— Tu ne seras pas déçue, je peux te le garantir. Et on a de la chance, le soleil est avec nous.

3. Les mystères de la forêt

Une fois qu'ils eurent terminé leur repas, les deux adolescents ne s'attardèrent pas sur la terrasse et débarrassèrent rapidement la table, puis quittèrent la maison. Cathy ne s'inquiétait pas de l'absence de son frère et de sa belle-mère, trop contente d'être seule avec Lucas. Les deux jeunes gens traversèrent le jardin pour rejoindre la sortie de derrière qui conduisait directement en forêt. Le soleil, bien haut dans le ciel, rayonnait dans toute sa splendeur au-dessus de la cime des arbres qui opposaient leur vert éclatant au bleu azuré du ciel. Lucas et Cathy, main dans la main, se laissèrent happer par la forêt, à l'abri de la chaleur et des regards. Ils empruntèrent le sentier principal durant quelques minutes sans dire un mot, puis, toujours silencieux, tournèrent à gauche sur un petit chemin recouvert de ronces avant de bifurquer sur une allée plus large sillonnée de cailloux. Elle conduisait vers une clairière qui, à l'horizon, apparaissait comme un immense puits de lumière qui attira inexorablement Lucas et Cathy. Quand ils arrivèrent à l'entrée, ils furent déçus de découvrir que les lieux n'avaient absolument rien de magique. Les arbres qui bordaient la clairière se réduisaient à des troncs et branches calcinés et le carré de cendre qui recouvrait le sol laissait deviner l'emplacement de ce qui avait dû être un beau tapis de verdure. La zone était très délimitée, car seule la première rangée d'arbres était touchée par ce phénomène. Derrière, les lieux étaient envahis par une végétation luxuriante avec des arbres qui dressaient fièrement leur feuillage d'un vert éclatant tandis que les buissons et ronces s'enroulaient autour des troncs pour former un rempart épais infranchissable. Ce contraste était si frappant qu'il laissa les deux adolescents sans voix. Finalement, Cathy se décida à parler.

— As-tu une idée de ce qu'il s’est passé ici ? C'est vraiment étrange cette zone dévastée.

— Je n'en ai pas la moindre idée, répondit Lucas d'un haussement d'épaules. Cela n'a pas l'air d'un incendie, la zone est bien trop délimitée pour que ce soit le cas.

— Qu'est-ce que c'est alors ?

— Ça me fait penser à quelque chose qui ressemblerait à une combustion spontanée mais pas sur un être humain, sur un objet qui se serait enfoncé dans le sol pour brûler sans toucher les alentours.

— C'est vraiment glauque cette histoire.

Lucas scruta l'horizon comme s'il espérait trouver un indice ou quelque chose qui pourrait donner un sens à ce qui s'était produit dans cette clairière. Malheureusement, il n'y avait rien pour l'éclairer.

— Je ne vois vraiment pas ce qui aurait pu provoquer ça. Moi qui voulais te montrer les mille merveilles de la forêt, je suis loin du compte.

— Si nous allions ailleurs ? suggéra Cathy, peu rassurée. Ce trou mort me fiche vraiment la trouille.

— Tu as raison, fichons le camp d'ici.

Ils parcoururent des yeux la clairière et Lucas montra du doigt un petit chemin à l'opposé de l'endroit d'où ils venaient.

— Et si nous allions par là ?

— Tu ne crois pas que nous devrions faire demi-tour au lieu de continuer à nous enfoncer dans les bois. Je ne connais absolument pas ce coin.

— Raison de plus pour aller voir ce qu'il y a de l'autre côté.

Lucas avait le goût de l'aventure, chose qui aurait plu à Cathy en temps normal, mais en cet instant, elle n'avait qu'une envie, rebrousser chemin et rentrer en lieu sûr chez elle. Lucas n'était pas de son avis. Il trépignait d'impatience à l'idée de ce qui pouvait se cacher de l'autre côté de la forêt. Cathy n'osa pas le contredire et le suivit, frissonnante de peur. Il passa devant elle, puis glissa sa main dans la sienne, un sourire aux lèvres.

— Allez, viens, il n'y a rien à craindre !

— Si tu le dis, marmonna-t-elle.

La voie était encore plus étroite que le dernier chemin qu'ils avaient emprunté. D'énormes troncs d'arbres en barraient de temps à autre l'accès, si bien qu'ils devaient les escalader au grand désarroi de Cathy et ils devaient se battre avec des orties et des ronces qui leur griffaient les jambes. Cathy regrettait d'avoir choisi sa jupe courte. Si elle avait su, elle aurait porté son bon vieux jeans qui aurait fait l'affaire dans ces circonstances. L'accès devenant de plus en plus difficile, Lucas proposa de changer de direction et ils s'engagèrent sur un nouveau chemin plus facile à arpenter. L'allée était large bien que guère plus engageante. Les arbres se refermaient au-dessus des deux adolescents en un épais feuillage qu'aucune lumière ne pouvait filtrer et les enfermait dans une pénombre lugubre. Cathy appréciait de moins en moins cette sortie qu'elle espérait romantique. Les promesses de Lucas avec les bienfaits de la nature n'étaient plus qu'un vague souvenir. La végétation qui les entourait était tout sauf accueillante. Elle ne faisait qu'accroître le stress de la jeune fille qui avait la chair de poule à chaque bruit inconnu. Même le craquement d'une branche morte la faisait sursauter. Cathy était aussi tendue que la corde d'un arc et Lucas ne faisait rien pour détendre l'atmosphère, car il continuait à marcher en silence. Cette angoisse dura un bon quart d'heure avant que n'apparaisse enfin un filet de lumière qui perçait au loin.

— Ce n'est pas trop tôt ! s'exclama Cathy, soulagée. J'ai bien cru que j'allais devenir claustrophobe au milieu de ce rempart de feuilles !

— Pourquoi vois-tu toujours le côté négatif des choses ? lui reprocha Lucas. Tu préférerais avoir un toit en béton au-dessus de ta tête peut-être ?

Cathy allait lui répondre que oui mais s'abstint de toute réponse, Lucas ne comprendrait pas. Il avait l'air d'être en totale harmonie avec ce qui l'entourait. Il suffisait de le voir inspirer profondément et fermer les yeux pour le constater.

— Regarde par là ! murmura-t-il tout à coup. Tu vois que ça valait la peine de se déplacer jusqu'ici.

Cathy suivit des yeux la direction que lui indiquait son ami. Son regard s'arrêta sur un magnifique faon qui faisait des cabrioles au milieu d'un parterre de fleurs sauvages de toutes les couleurs pour essayer d'attraper un papillon.

— Alors ? Tu regrettes toujours d'être venue ?

Cathy secoua la tête et s'approcha de lui en souriant pour lui plaquer un baiser sur le coin des lèvres.

— Merci, lui chuchota-t-elle à l'oreille.

Lucas la regarda droit dans les yeux, puis lui prit le menton et lui embrassa tendrement les lèvres.

— Qui disait que cet endroit donnait la chair de poule ? ironisa-t-il. Te voilà rassurée ?

— OK, tu avais raison. On ne va pas en faire tout un plat Et pour te montrer ma bonne foi, nous allons poursuivre notre balade au fin fond de la forêt. »

Pour le persuader qu'elle se sentait à l'aise dans cet environnement, elle se mit à courir et s'éloigna de lui en riant. De temps en temps elle se retournait et lui criait :

« Tu vois, je me sens terriblement bien ici !

Puis elle repartait de plus belle en penchant la tête en arrière, les bras écartés, les yeux dirigés vers le ciel sans vraiment regarder où elle courait. Soudain, elle s'arrêta dans son élan pour à nouveau regarder derrière elle et vit, horrifiée, que Lucas n'était plus là. Son cœur se mit à battre la chamade et des gouttes de sueur perlèrent sur son front.

« Lucas, si tu essaies de me faire peur en te cachant, ce n'est pas drôle ! Montre-toi ! »

Les yeux de Cathy sautèrent d'un tronc d'arbre à un autre avec l'espoir que la tête de Lucas apparaîtrait, mais elle ne le vit pas. Les lieux étaient plongés dans un silence assourdissant qui lui faisait froid dans le dos. Même le pépiement des oiseaux s'était arrêté.

« Lucaaas ! cria-t-elle. Où es-tu ? Je t'en supplie, réponds-moi. »

Pas de réponse. Elle revint sur ses pas et marcha ainsi pendant une vingtaine de minutes, mais Lucas n'était nulle part. Cathy ne savait pas quoi faire. Elle embrassa à nouveau les lieux du regard, puis ses yeux se posèrent sur un faible rayon de lumière qui pointait au loin. Lucas se serait-il rendu là-bas pour voir ce qu'il y avait ? C'était possible d'autant qu'un chemin de terre bien dégagé y conduisait. Dans sa folie momentanée à courir sans regarder où elle allait, elle n'avait pas dû le remarquer. Cathy décida de prendre cette nouvelle direction sans savoir où cela allait la conduire. C'était sa dernière chance de retrouver Lucas. Elle marcha d'un pas alerte durant une dizaine de minutes et le point lumineux qu'elle avait aperçu se précisa. Il s'agissait d'un rayon de soleil qui se reflétait sur la fenêtre d'une chaumière très bien camouflée par la végétation qui recouvrait ses murs de lierre et son toit de mousse. Cette habitation tout à fait inattendue était à l'abri des regards grâce à cette couche épaisse de verdure qui la rendait presque invisible, sans compter qu'elle avait été bâtie dans un creux, ce qui la rendait encore plus discrète. Intriguée, Cathy voulut aller la voir de plus près. Elle se dirigea vers la porte d'entrée laissée entrouverte. Elle n'eut qu'à la pousser de la main et se faufiler à l'intérieur. Cathy avança prudemment dans le couloir étroit plongé dans la pénombre. Il régnait une odeur de moisi et de mort qui lui fit froid dans le dos. Malgré tout, Cathy ne s'échappa pas en courant et poursuivit son analyse des lieux. Elle nota que le couloir donnait accès à deux pièces dont les portes se trouvaient l'une en face de l'autre. Elle hésita un bref instant, puis se décida pour celle de gauche. Là encore, la porte n'était pas enclenchée et elle n'eut qu'à la pousser d'un doigt pour qu'elle s'ouvre. Les lieux avaient pour seule lumière celle des rayons du soleil qui pénétraient par l'unique lucarne de la pièce. En son centre ne se dressait aucun meuble. En revanche, les quatre pans de mur étaient occupés par des étagères sur lesquels reposaient des bocaux et des fioles remplies de fluides d'une curieuse texture. Cathy avait le sentiment d'avoir pénétré dans un laboratoire interdit. Elle s'approcha à pas de loup de l'une des étagères, puis ses yeux, enfin habitués au manque de luminosité, scrutèrent le contenu des bocaux. Quand elle découvrit ce qu'ils conservaient, elle poussa un cri de terreur qui raisonna jusque dans la forêt. Ce cri n'échappa pas à Lucas qui avait involontairement quitté l'allée de cailloux que lui et Cathy avaient pris pour aller observer une famille d'écureuils qui avait fait son nid dans le tronc d'un arbre mort. Lorsque Lucas était revenu sur ses pas et qu'il avait vu que Cathy n'était plus là, il l'avait cherchée partout sans la trouver. Ce cri qui s'échappait de la gorge de la jeune fille le glaça jusqu'aux os. Pourquoi criait-elle ainsi et où se trouvait-elle ? Il tendit l'oreille, puis suivit la direction du cri et emprunta le même chemin que Cathy. Il courut à grandes enjambées avant de voir à son tour la chaumière camouflée. Contrairement à Cathy, il entra d'un pas vif à l'intérieur. La jeune fille qui s'était écartée des étagères pour se mettre près de la lucarne, sursauta quand elle entendit la porte de l'entrée claquer et poussa un nouveau cri de terreur qui permit à Lucas de la situer. Il se précipita dans la pièce et se retrouva à ses côtés. Il la prit dans ses bras pour la réconforter. Une fois calmée, Lucas vit à son tour les étranges fioles et bocaux qui remplissaient les étagères.

— La vache ! s'écria-t-il. C'est quoi ce matos ?

— Toi qui as réponse à tout, je pensais que tu me le dirais, lâcha Cathy, ironique.

— C'est un labo pour faire des expériences ou quoi ?

— Ça y ressemble, confirma Cathy. Il faut être complètement cinglé pour mettre des têtes d'animaux dans des bocaux et des... d'ailleurs c'est quoi ça ? demanda-t-elle, la gorge nouée en pointant son doigt sur une fiole.

Lucas pencha la tête comme pour mieux observer le contenu de la fiole.

— Ça ressemble à la patte d'un petit animal, du style d'un rongeur, dit-il.

— Ça me donne la nausée. C'était ça ce que tu voulais me montrer en me parlant des mille merveilles de la nature ? ironisa Cathy.

— Très drôle, rétorqua Lucas, sarcastique.

— C'était sensé être une balade romantique avec les petits oiseaux qui chantent, la nature qui nous sourit, moyennant quoi, nous nous retrouvons dans une étrange baraque, glauque de chez glauque, avec des cadavres d'animaux. Je suis sensée réagir comment à ton avis ?

— Ça va ! s'énerva Lucas. Je ne pouvais pas deviner que tu allais m'attirer dans un truc pareil.

— Que j'allais t'attirer ? Mais je rêve, c'est toi qui as voulu venir de ce côté pour satisfaire ta curiosité et voir ce que l'on pourrait découvrir.

Tandis que Cathy déblatérait sur Lucas, ce dernier continuait à observer les lieux. Ses yeux se posèrent sur une étuve située dans un coin de la pièce. Il n'eut que deux pas à faire pour la rejoindre. Devait-il soulever le couvercle pour voir son contenu ? Il n'était pas vraiment certain de vouloir le savoir. Cependant, sa curiosité fut la plus forte. Il posa sa main sur la poignée dans le but de l'ouvrir lorsque Cathy poussa un nouveau cri hystérique :

— Ce sont des yeux ! Des yeux bordel de merde !

Lucas se planta à ses côtés et observa, stupéfait, la paire d'yeux qui semblaient le regarder.

— Dans quel merdier on s'est fourré ? On ferait peut-être mieux de se casser d'ici.

— Mais on dirait que tu as encore plus la trouille que moi ! s'exclama Cathy, presque ravie. Maintenant qu'on est ici, autant faire le tour de cette chaumière.

— Pourquoi tu y tiens tant ? Je croyais que tu voulais qu'on fasse demi-tour.

— Ça, c'était avant. Tu vois, je suis comme toi : je suis curieuse.

— La curiosité n'est pas toujours la meilleure compagne », rétorqua Lucas.

Il pivota sur lui-même et ses yeux se posèrent à nouveau sur l'étuve qui l'attirait plus que tout le reste. Il devait savoir ce qui se cachait à l'intérieur. Il prit Cathy par la main et la tira vers l'objet tant convoité.

— Puisque tu es avide de savoir, commença-t-il, nous allons regarder ensemble ce qu'il y a dedans.

— Aurais-tu peur Lucas ?

— Qu'est-ce que tu crois ? Que sous prétexte que je suis un mec, je dois faire preuve de courage ? Oui, j'ai la trouille au point de vouloir pisser dans mon froc. Tu es contente ?Maintenant, tu m'assistes ou pas ?

— Pendant qu'on y est, tu voudrais peut-être que j'ouvre moi-même ce machin ?

— Non, laisse tomber, je vais le faire moi-même... on ne sait jamais, quelque chose pourrait nous sauter à la gorge. »

Cathy fit un pas en arrière.

— C'est encourageant ! persifla-t-elle.

— Prête ?

Cathy répondit par un hochement de tête. Lucas ne parvint pas à soulever le couvercle qui pesait lourd, alors il le fit glisser sur le côté dans un bruit de métal strident. Quand l'étuve fut à moitié ouverte, les deux adolescents se penchèrent pour voir son contenu. Cathy fit un bond en arrière, horrifiée, puis poussa un cri de terreur qui se propagea très loin dans la forêt. Son hurlement fit détaler les deux lièvres qui se trouvaient à proximité, tandis que la rangée de corbeaux perchés sur un chêne se brisa en quelques secondes et tous prirent leur envol rapidement pour fuir ce lieu si dérangeant. Quant à Lucas, il était pétrifié et avait perdu toutes ses couleurs, aussi blanc qu'un cadavre.

« Je sens que je vais gerber », lâcha-t-il en reculant.

Il sortit en trombe de la pièce et se précipita dehors où il rendit son dernier repas. Allégé d'un poids sur l'estomac, il ne se sentait pas mieux. Il avait toujours devant les yeux la découverte macabre de ce qu'il venait de voir. Cathy le rejoignit. Elle ne se sentait pas bien non plus, mais ne vomit pas.

— On a bien vu la même chose ? bredouilla-t-elle, confuse.

— Si tu fais allusion au corps de l'enfant sans vie qui se trouvait dans l'étuve, oui, maugréa-t-il.

— Il est peut-être toujours en vie.

— Tu débloques ou quoi ? Comment voudrais-tu que ce gamin soit toujours en vie ? Tu as vu la même chose que moi !

— Et ce liquide dans lequel il était plongé ?

— Je vois où tu veux en venir... je suppose que le corps a été placé dans ce liquide pour qu'il ne se décompose pas.

— Mais pour quelle raison ?

— Comment le saurais-je ? Tu en sais autant que moi.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Tu veux retourner faire un tour dans la chaumière ?

— Pas question d'y remettre les pieds. Foutons le camp d'ici au plus vite et quittons cette forêt maudite ! Tu parles d'une initiation à la nature, je m'en souviendrai toute ma vie.

— Garde tes reproches pour toi. Je ne pouvais pas deviner que nous allions nous retrouver dans une situation pareille.

Cathy ne préféra pas répondre. Lucas était susceptible et il valait mieux ne pas s'aventurer sur une discussion qui s'annonçait houleuse. Les deux adolescents se turent, ne jetèrent pas un dernier regard vers la chaumière et rebroussèrent chemin en prenant la voie la plus directe. Lucas qui avait une excellente mémoire se souvint de toutes les directions qu'ils avaient suivies et n'eut aucun mal à s'orienter. Ils marchèrent d'un pas rapide et sortirent de la forêt une petite heure plus tard sans aucun regret. Cathy était heureuse de voir le portillon de la maison. Elle le poussa et Lucas lui enjoignit le pas. Ils traversèrent le jardin et Cathy nota la présence d'Aurore. Elle était déjà revenue. Pour une fois, elle se demandait si elle ne pourrait pas discuter avec sa belle-mère de leur double découverte dans les bois. Mais Lucas posa un doigt sur ses lèvres qui signifiait qu'il ne souhaitait pas engager la conversation sur le sujet.

Les deux adolescents passèrent devant Aurore qui les observa du coin de l’œil, et Lucas lui dit bonjour. Puis les deux adolescents montèrent dans la chambre de Cathy et s'affalèrent sur son lit, encore troublés par leur découverte.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Que veux-tu que je te réponde ? fit Lucas d'un haussement d'épaules.

— On pourrait peut-être en parler au flics ? Il y avait un enfant mort là-bas.

— Pour être honnête, je préférerais rester en dehors de cette histoire. Si quelqu'une apprenait que c'est nous qui avons découvert ce cadavre, cela pourrait nous retomber dessus.

— Là je ne te suis plus du tout ! Pourquoi voudrais-tu qu'on ait des ennuis ? Il faut signaler ces monstruosités. Il pourrait y en avoir d'autres.

À cette idée, Lucas frissonna.

— J'ai un mauvais pressentiment, argua-t-il, voilà pourquoi je n'ai pas envie de dire quoi que ce soit. Je crois qu'on devrait oublier et ne plus retourner là-bas.

— Moi qui pensais que tu étais droit, je me suis bien plantée !

— Tu ne comprends pas ce que j'essaie de te dire Cathy ? On court au-devant des ennuis. »

Cathy ne partageait pas l'opinion du jeune homme. Il ne changerait pas d'avis. À quoi bon insister ?