Le Moine et le Philosophe ou la Croisade et le Bon Vieux Temps - Ricard Saint-Hilaire - E-Book

Le Moine et le Philosophe ou la Croisade et le Bon Vieux Temps E-Book

Ricard Saint-Hilaire

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Beschreibung

J’ai vu la calomnie, le meurtre, l’assassinat réunis sous les prétendues bannières des lys et de la religion, poursuivre, égorger les citoyens, sans pitié pour l’enfance, la vieillesse, le sexe, la beauté ; les égorger devant les temples de la justice et de la Divinité, devant les palais de l’administration, toutes vainement invoquées par le cri et le sang des victimes. J’ai vu l’incendie dévorer les guérets ; j’ai vu les maisons démolies, la terre des tombeaux fouillée et les ossemens des hérétiques jetés pour dernière proie aux défenseurs de l’autel et du trône.  
Tandis que les uns, semblables aux vampires, s’acharnaient sur les cadavres, les autres, et parmi eux des enfans et des femmes plus affreuses que les sorcières de Machbeth, les mains entrelacées, dansaient autour des assassins et des morts, prédisant de nouveaux forfaits, invitant par des cris féroces Dieu et le Roi à la joie de leurs horribles festins ; et, tout à la fois, vomissant contre eux les plus abominables injures. Dieu, s’écriaient-ils, parlait à son peuple pour lui ordonner le massacre et l’extermination. Dieu se fit homme pour demander le sang des hommes ; et le Roi !… Prince auguste, que n’avez-vous entendu leurs blasphêmes !…

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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LE MOINE

ET LE PHILOSOPHE,

ou

LA CROISADE ET LE BON VIEUX TEMPS.

ouvrage critique et philosophique.

 

PAR RICARD SAINT-HILAIRE.

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385742256

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE CET OUVRAGE.

LE PÉLERINAGE.

CHAPITRE PREMIER. Situation de l’Europe. — Les premiers Croisés.

CHAPITRE II. La famille de Lansac.

CHAPITRE III. Miracles. — Florestan et Gabrielle.

CHAPITRE IV. Amazones chrétiennes. — La mission du Glaive.

CHAPITRE VI. Le Moine et Laurette.

CHAPITRE VII. L’oraison de quiétude.

CHAPITRE VIII. Leçon de théologie transcendante.

CHAPITRE IX. Scandale puni.

CHAPITRE X. Les Juges d’Alais dans le XIme siècle, ou la Justice de ce temps-là.

CHAPITRE XI. Suite de la théologie transcendante.

CHAPITRE XII. Tempête apaisée.

CHAPITRE XIII. Le métier d’Abraham.

CHAPITRE XIV. Le Moine et l’Iman.

CHAPITRE XV. Les Nonnes d’Antioche.

CHAPITRE XVI. L’Iman vole les églises.

CHAPITRE XVII. Jérusalem. — Transport du Moine.

CHAPITRE XVIII. Laurette chassée du sérail.

CHAPITRE XIX. L’Amour et le Désert.

CHAPITRE XXI. Suite. — Le Croisé.

CHAPITRE XXII. Encore la Justice d’Alais. — Jérusalem.

CHAPITRE XXIII. Le nouveau peuple de Dieu.

CHAPITRE XXIV. La maladie des prophètes.

CHAPITRE XXV. Le Saint-Sépulcre et la Piscine.

CHAPITRE XXVII. Satan et le Moine.

CHAPITRE XXIX. Absolution de Laurette.

CHAPITRE XXX. Le Frère et la Sœur.

CHAPITRE XXXI. Le Vieillard et le Moine.

CHAPITRE XXXII. Les opinions du Vieillard.

CHAPITRE XXXIII. La Prière du Vieillard.

CHAPITRE XXXIV. L’ombre de Samuel

CHAPITRE XXXV. L’âne du Moine, et comment il arriva que l’ânesse de Balaam parla.

CHAPITRE XXXVII. Le Festin et les Tombeaux.

CHAPITRE XXXVIII. Miracle et Martyre.

CHAPITRE XXXIX. Suite de l’âne du moine. — Annales de la famille Balaam.

LE RETOUR DE LA CROISADE.

CHAPITRE PREMIER. Départ de Florestan. — Résultat des croisades.

CHAPITRE II. Le Moine latin et le Moine grec.

CHAPITRE III. Le Pilote. — Naufrage au port.

CHAPITRE V. Gabrielle chevalier errant. La Fontaine des Rêves.

CHAPITRE VI. Le Chevalier des Zéphirs.

CHAPITRE VIII. La vraie Croix. — Les Kalendes.

CHAPITRE IX. Florestan à Marseille. — Utilité des Indulgences.

CHAPITRE X. Suite. — Florestan et le Prédicateur.

CHAPITRE XI. Gabrielle. — Peines de l’absence.

CHAPITRE XII. Suite. — L’Église de Village.

CHAPITRE XIII. Gabrielle désespérée. — La Sorcière.

CHAPITRE XIV. Gabrielle. — Le Sabbat.

CHAPITRE XV. Suite. — Florestan. — Le Cimetière.

CHAPITRE XVI. Le Baron et les Moines.

CHAPITRE XVII. La Justice du Baron.

CHAPITRE XVIII. Les Moines dans la trappe.

CHAPITRE XIX. Le véritable Croyant.

CHAPITRE XX. Miracle sur miracle.

CHAPITRE XXI. Funérailles de Gabrielle. — Le Baron va chercher le tibia d’Élisée.

CHAPITRE XXII. Le Chevalier des Mœurs.

CHAPITRE XXIII. Voyage de Florestan. — L’Ange, le Vieillard.

CHAPITRE XXIV. L’Albigeoise. — Arrivée de Florestan à Lansac.

CHAPITRE XXV. Retour après une longue absence. — Le chien de Gabrielle.

CHAPITRE XXVI. Le Croisé suivit le chien fidèle. — Florestan au tombeau de Gabrielle.

CHAPITRE XXVII. Le Chevalier des Mœurs, et sa suite près de Lansac.

CHAPITRE XXVIII. L’Ange. — Résurrection de Gabrielle.

CHAPITRE XXIX. Le chevalier des Mœurs. — Les infidèles fidèles. — Florestan. — Gabrielle. — Coup de théâtre.

CHAPITRE XXX. Suite. — L’Ange. — Consolation.

CHAPITRE XXXI. Comment le Croisé est reçu dans son château.

CHAPITRE XXXII. Les Serfs assiégent les Moines. — Florestan excommunié.

CHAPITRE XXXIII. Florestan réformateur.

CHAPITRE XXXIV. Le véritable Christianisme.

CHAPITRE XXXV. Solyman, le comte de Lansac, Laurette.

CHAPITRE XXXVI. Florestan emprisonné par les moines. — L’Ange.

CHAPITRE XXXVII. Reconnaissance. — Transaction. — La famille de Lansac cède ses biens aux moines, et les moines fondent une messe.

CHAPITRE XXXVIII. Le but de la Croisade atteint. — La famille de Lansac quitte sa terre natale. — Conclusion.

MOTIFSDE CET OUVRAGE.

J’ai vu la calomnie, le meurtre, l’assassinat réunis sous les prétendues bannières des lys et de la religion, poursuivre, égorger les citoyens, sans pitié pour l’enfance, la vieillesse, le sexe, la beauté ; les égorger devant les temples de la justice et de la Divinité, devant les palais de l’administration, toutes vainement invoquées par le cri et le sang des victimes. J’ai vu l’incendie dévorer les guérets ; j’ai vu les maisons démolies, la terre des tombeaux fouillée et les ossemens des hérétiques jetés pour dernière proie aux défenseurs de l’autel et du trône.

Tandis que les uns, semblables aux vampires, s’acharnaient sur les cadavres, les autres, et parmi eux des enfans et des femmes plus affreuses que les sorcières de Machbeth, les mains entrelacées, dansaient autour des assassins et des morts, prédisant de nouveaux forfaits, invitant par des cris féroces Dieu et le Roi à la joie de leurs horribles festins ; et, tout à la fois, vomissant contre eux les plus abominables injures. Dieu, s’écriaient-ils, parlait à son peuple pour lui ordonner le massacre et l’extermination. Dieu se fit homme pour demander le sang des hommes ; et le Roi !… Prince auguste, que n’avez-vous entendu leurs blasphêmes !…

J’ai vu la justice, j’ai vu… mais disons en un mot tous les crimes, j’ai vu 1815 dans le midi.

Moi-même poursuivi par des misérables… Je ne veux point parler de moi, mais je dois faire connaître les circonstances qui m’ont porté à écrire cet ouvrage.

Réfugié au sein d’un peuple chrétien et religieux, tolérant et hospitalier ; réfugié parmi les protestans des montagnes, avec les veuves et les orphelins des protestans de la plaine, je voyais leurs larmes et j’entendais dans le lointain les rugissemens des barbares qui réclamaient les victimes échappées à leur fureur, et menaçaient le peuple hospitalier. Ils menaçaient vainement ; le Cévenol, d’une main tenant le soc, et de l’autre son épée, invoquant son Roi, priant l’Éternel, mit les proscrits à côté de sa charrue et continua à féconder ses guérets en se préparant aux combats.

À cette odieuse époque à laquelle on a voulu, bien mal à propos[1], comparer la terreur de 1793, plus générale sans doute, mais certainement moins odieuse en morale, car du moins en 1793 le crime se présentait franchement : on vit se renouveler toute la bassesse, tout le ridicule, toutes les momeries, tous les forfaits de la ligue.

Alors, comme du temps de Mayenne, l’étranger dominait dans nos villes, la superstition ultramontaine débitait ses funestes maximes, et mettait le poignard assassin dans les mains des fanatiques. Du temps de Mayenne, et même après sa chute, les compagnons d’Henri iv, ceux qui l’avaient porté sur leurs épaules de de-là la rivière de Loire[2], étaient calomniés, maudits, proscrits, pillés et égorgés. En 1815, les enfans de ces guerriers subissaient un sort pareil ; si la Saint-Barthélemi générale ne fut pas renouvelée, le projet en fut, il est permis de le croire, médité et arrêté.

À mesure que les cœurs se corrompaient, on multipliait les pratiques extérieures, on remplaçait les bonnes œuvres par des pénitences ; on se croyait innocent parce qu’on était absous, et agréable au ciel parce qu’on était en horreur à la terre.

Il était permis de tromper, de calomnier, de dénoncer, de piller, d’égorger les protestans ; « car les protestans sont des enfans du diable, des gueules noires (gorjo negro), noircies au feu d’enfer ; leur religion a été faite par un ivrogne, leurs femmes se prostituent publiquement dans les casernes[3]. »

En conséquence, si d’un côté on les égorgeait, de l’autre on en faisait des chrétiens ; on vit les principaux fonctionnaires et habitans d’une grande ville tenir sur les fonts baptismaux quelques misérables de la lie de la populace que la crainte du poignard ou les tentations de la misère décidaient à changer de religion, et célébrer dans des orgies publiques le triomphe de Jehovah sur Baal. Les temples étaient fermés ou livrés aux flammes ; les livres saints, objets continuels de la haine des orthodoxes, étaient déchirés et foulés aux pieds ; on destituait les fonctionnaires hérétiques[4] ; quelques-uns changeaient de religion, lâches qui déclaraient par leur apostasie se mettre à la tête des persécuteurs, car tout transfuge s’engage nécessairement à livrer ses frères. Judas renia son maître et le vendit.

Cependant les confréries se peuplaient de nombreux adeptes, et de partout on invoquait le retour des anciens jours. Un homme, dont je ne désignerai pas les fonctions, par respect pour elles, disait : nous ne serons heureux que lorsque la sainte inquisition sera rétablie. Un autre débitait dans un lieu que je ne désignerai pas non plus, quoique son discours ait été imprimé par ordre, qu’il fallait réduire les protestans à la vie animale.

Un trait fera connaître l’esprit de ce temps. J’étais dans une commune rurale dont tous les habitans sont réformés ; tous, hormis une femme, jadis servante de ferme et sans fortune ; un agriculteur l’épousa, et ne l’inquiéta jamais sur sa religion. Elle était alors veuve ; sans égard pour la mémoire et les bienfaits de son époux, elle obséda son fils jusqu’à ce qu’elle lui eût fait renier la religion de son père ; elle le forma au catholicisme et à la délation ; elle lui inspirait la haine de ses frères. La nuit elle errait de hameau en hameau, de maison en maison pour épier les larmes, et courait à la ville les dénoncer aux Autrichiens, et au comité directeur ; présentant à ce dernier, en preuve de la pureté de sa foi, ses calomnies contre le prochain, et l’apostasie de son jeune fils.

Tel orthodoxe, quelques années auparavant, frappait avec amitié dans la main d’un hérétique, qui l’eût alors avec joie percé d’un glaive pris sur l’autel.

Un écrivain a dit, avec plus de vérité qu’il ne le voulait peut-être : Les ligueurs d’autrefois seraient les royalistes d’aujourd’hui.

Quelle fut ma surprise de me voir entouré de tant de simples, d’idiots, de fanatiques enragés ! comment trouvais-je dans leur bouche, et dans toute leur pureté, les prétentions, les doctrines du Pape Grégoire VIII, du moine Mathieu, d’Escobar et de Malagrida ! je vis alors clairement que les véritables athées sont les fanatiques et les superstitieux ; non-seulement ils ne croient pas à la présence réelle, en honneur de laquelle, pourtant, ils versaient tout le sang des hérétiques ; mais ils ne croient pas en Dieu ; (j’en ai fait convenir plus d’un) ; ils ont des fétiches, des dieux, et point de Dieu. C’est le paganisme des Gentils joint au fanatisme sanguinaire des Hébreux.

Leur religion est toute en pratiques ; leur foi est l’esclavage, la servitude et le meurtre ; leur doctrine, la seule, c’est la toute-puissance de l’Église, et la réprobation des hérétiques. L’État est dans l’Église, le pape est le maître du ciel et de la terre.

Je fis tout ce qu’il était possible de faire dans ma position ; j’attaquai les scélérats pendant leur triomphe même ; je voulus les faire punir, et mettre un terme à leurs crimes ; je ne réussis à rien qu’à attirer sur moi leurs poignards, qu’à être victime moi-même, je dois le dire pour mon honneur, puisqu’un tribunal[5] a retenti des terribles reproches adressés par un avocat aux magistrats du Gard ; que les journaux de la France, et sans doute ceux de l’étranger, les ont répétés ; et que l’histoire indignée les inscrira dans ses pages sanglantes.

En 1815, la France fut en proie à une nouvelle irruption de barbares, mais ces barbares étaient sortis de nos rangs ; il y a parmi nous un peuple qui en est encore au siècle des croisades ; quand ce peuple, maudissant les hommes du 19e siècle, couverts des lauriers du génie et des palmes civiques, parut sur la scène, on aurait pu croire que les sicaires de Montfort, de l’ermite Pierre et des Seize s’étaient jadis endormis comme Épiménide, et s’étaient réveillés tous ensemble à la voix de l’Étranger, maître de la France trahie, pour lui aider à la dévaster, pour détruire les monumens des arts, et renverser les flambeaux des lettres et des sciences que Wellington ne pouvait emporter.

Je crus donc utile de combattre les opinions de ceux que je ne pouvais faire punir ; je conçus et j’exécutai l’Ouvrage que je présente au public ; je l’écrivis dans l’indignation de mon âme, et j’avais sous les yeux tant de gens qui soutenaient ces doctrines pernicieuses, que tout naturellement je me trouvai conduit à imiter leur langage ; je feignis donc qu’un Jésuite et un Dominicain tenaient la plume ; et j’écrivis comme ils écriraient s’ils osaient en entier dévoiler leur âme et leurs prétentions, convenir des conséquences de leurs principes, et avouer où ils voudraient nous conduire. Depuis lors, j’ai adouci, j’ai effacé beaucoup de passages, et j’ai écrit ma dernière partie sans la supposer l’ouvrage d’un autre. De cette manière j’ai pu varier mes discours et mon style.

Mon moine est un vrai moine, un béat de bonne foi, il expose ouvertement ses principes, et il se conduit conséquemment à ses opinions.

Mon philosophe est toujours tolérant et modéré ; et quoique le fanatisme et la superstition aient causé sa ruine et celle de sa famille, il ne cesse point d’être religieux ; il est vrai que sa religion, qui est le véritable christianisme puisqu’elle le rend bienfaisant et généreux envers tous les hommes, n’est pas plus la religion des fanatiques, qu’elle n’est le christianisme des docteurs en droit canon et en théologie.

Cet ouvrage pourra m’attirer de nombreux ennemis ; mais j’espère qu’il sera certain, pour tous mes lecteurs de bonne foi, que c’est l’horreur du crime, quelque masque qu’il porte, qui l’a inspiré ; et que mon dessein a été d’être utile en cherchant à ramener les hommes à la saine morale et à la vérité.

Je ne citerai qu’un fait pour donner une idée de la terreur qui régnait dans Nîmes. Un protestant se réfugia dans un tas de fumier, on lui donnait à manger au bout d’une fourche, et il y resta jusqu’à ce que ses habits ayant été percés par les vers, il ne put plus supporter les tourmens que lui occasionnait la multitude des vers accourus pour le dévorer, et qui le dévoraient. Il se détermina enfin à fuir ce triste réduit. Il eut le bonheur de parvenir à sortir de la ville.

Expression d’un écrit du temps.

Telles étaient en partie les injures qu’on vomissait contre les protestans. On vit des bandes disserter dans les rues et dans les corps-de-garde sur la damnation des hérétiques. Une seule famille a eu cinq hommes égorgés ; l’un d’eux disait sous les coups des bourreaux : je meurs pour ma religion… Belle religion ! lui répondit un assassin, elle a été faite par un ivrogne. Dès le commencement de la réforme, on calomnia les protestans auprès du peuple ; le Roi et les parlemens se joignirent au clergé, et le peuple trompé par ses guides conçut contre les protestans une haine qu’il crut juste, et qu’on nourrit en lui avec du sang. Cette haine existe dans toute sa force. Sur les montagnes de la Lozère, où l’on n’a point vu de protestans, on croit encore qu’ils ne sont pas faits comme les autres hommes. Ce sont des espèces de monstres dont la bouche est noircie par le diable, et de là vient le nom de

gorjo negro

qui leur est donné dans le Languedoc par les catholiques.

On était souvent fort embarrassé pour les remplacer dans des cantons protestans. On y formait, en garde nationale, pour protéger la propriété, la basse canaille sans propriété. Dans un village, on épura la municipalité protestante, et on nomma maire ou adjoint, un galérien, seul catholique, je crois. M. le maire ou adjoint se fit chef de bande. Il est mort sur l’échafaud après avoir égorgé un prêtre.

Cour d’Assises de Riom.

DISCOURS

OU

SERMON PRÉLIMINAIRE

DU JÉSUITE.

Mes très-chers frères,

L’œuvre du démon s’est accomplie, vous savez lire, vous savez écrire ; vous lisez et vous écrivez. C’est malgré nous, vous ne l’ignorez pas. Nous n’avons cessé de déclamer, de crier, de prêcher, d’invectiver contre les lumières, les savans et les philosophes. Nous vous avons signalé le danger de leurs fausses doctrines. Nous les avons brûlés d’abord sous le nom d’hérétiques ; nous avons ensuite essayé de les faire brûler comme philosophes seulement ; nous n’avons réussi pour lors qu’à les faire envoyer en prison ou en exil, mais nous avons fait brûler leurs livres. Cependant ces livres sont sortis de leurs cendres, et non comme le phénix, un à un, mais par milliers. Ce n’est donc pas notre faute si vous lisez et écrivez ; si vous lisez de mauvais livres, et si vous en composez quelquefois.

Nous avons mis à l’Index la plupart des ouvrages français écrits avec un certain agrément. Nous avons défendu de lire la Bible même, livre très-dangereux. On y trouve à côté des armes dont nous nous servons pour vous forcer à marcher dans la bonne route, des armes pour repousser l’esclavage et le despotisme. Cette manière d’agir a fait dire à un philosophe à courtes vues : « Je ne sais si la congrégation de l’Index n’a pas le sens commun, ou si c’est nous qui en manquons, mais il est sûr qu’il n’y a pas un seul bon livre de piété ou de morale, dans notre langue, qu’elle n’ait proscrit[1]. »

La congrégation ne manque pas de sens ; n’ayant pu vous empêcher d’apprendre à lire, nous voudrions vous laisser, seulement pour vos menus plaisirs, la Cuisinière bourgeoise, les Quatre fils Aymon et l’Almanach de Pierre Larivey, bien supérieur à celui de Liège ; il ne contient que les jours et les mois. Obligés de vous donner des prières et des fragmens de l’Évangile, nous vous les présentâmes dans une langue morte. Si vous aviez voulu rester dans l’ignorance, vous auriez toujours regardé vos prêtres comme des oracles ; nous vous aurions conduits au ciel par le droit chemin ; vous nous auriez laissé le gouvernement des choses d’ici-bas, et tout aurait été le mieux possible dans le meilleur des mondes. Nous aurions fait la pluie et le beau temps, et vous ne seriez pas réduits à attendre quand vous avez besoin de pluie qu’elle tombe d’elle-même, ou que le soleil se lève comme il lui plaît. Vos offrandes ont cessé, nous ne faisons plus de miracles.

Vous y auriez beaucoup gagné, mes très-chers frères ; d’abord, vous seriez pauvres.

Les richesses sont un obstacle au salut. Dieu a dit : les riches n’entreront pas dans le royaume des cieux.

Nous, nous serions riches, et la difficulté d’aller au ciel ne nous effraierait pas, nous y allons de droit.

Vous, vous vivriez et vous auriez vécu toujours en paix, sous la tutelle de l’Église et sous le fouet des seigneurs. Vos pères étaient fort heureux, vous le seriez vous-mêmes.

Pour vous émanciper malgré nous, et arracher le fouet des mains de la noblesse, ce fouet tressé pour vous rendre sages et vous forcer à vivre saintement et heureusement, il a fallu je ne sais combien de guerres, de massacres, de révoltes, car nous avons défendu vos intérêts jusqu’au bout. Nous avons guerroyé contre vous ; nous vous avons massacrés sans écouter une fausse pitié ; nous guerroierons, et nous vous massacrerons tant que nous le pourrons pour vous remettre sous la tutelle et sous le joug, c’est-à-dire, pour votre bien. Tout le mal dont vous vous plaignez est arrivé par votre faute. Vous êtes coupables de votre sang répandu par nos mains, à plus forte raison de notre sang répandu par les vôtres. Si vous aviez obéi sans murmurer, nous ne vous aurions pas exterminés, vous n’auriez pas même reçu des coups de fouet. Quand l’esclave est battu, il a tort d’avoir forcé son maître à le battre. Vous pouviez donc n’être ni tués ni battus ; que n’étiez-vous contens ! nous l’étions, tout l’aurait été ; l’ancien temps était donc le bon temps. Plût à Dieu ! fussions-nous aujourd’hui comme alors !

Au lieu de voir les peuples soulevés contre le trône et l’autel, demandant des constitutions et la tolérance religieuse ; nous verrions les peuples soumis et respectueux ; s’il y avait quelques récalcitrans, l’épée, l’excommunication et le bûcher ôteraient aisément la brebis galeuse du milieu du troupeau. On paierait la dîme et les censives ; les droits de bannalité, d’albergue, de cuissage, et autres pareils, ou en nature ou du moins en argent. Les seigneurs bâtiraient des châteaux-forts, et iraient, de-là, faire des excursions sur les grandes routes ; les chevaliers errans mettraient les enchanteurs à la raison ; le clergé exorciserait les rats, les mouches ; et, comme jadis, il n’y aurait sur la terre ni voleurs sur les grands chemins, ni rats, ni démons, ni enchanteurs, ni possédés, et surtout point de philosophes : on verrait alors le nouveau règne de Dieu, par le moyen des chevaliers, des exorcismes, des excommunications, des croisades, dragonnades et auto-da-fé, toutes choses nobles et saintes.

Vous n’avez plus voulu de ce bon temps. Le jour où l’un de vous sut lire, vos malheurs commencèrent ; l’esprit de rébellion s’empara de ce premier lecteur ; et, de l’un à l’autre, il fit de tels progrès que nous n’avons pu réussir à vous exterminer tous, pour votre bien. Le résultat de vos lectures, le voici : Vous êtes éclairés, mais indévots ; libres, mais malheureux ; vous nous avez enlevé la terre, et nous vous avons fermé le Ciel ; et, sur cette terre, où vous vivez sans foi et sans loi, vous êtes possédés du démon.

Ah ! mes très-chers frères ! il vous vaudrait cent fois mieux ne savoir pas lire ; vous battriez encore pendant la nuit l’eau des marais pour empêcher les grenouilles de troubler le doux sommeil de la châtelaine ; mais, peut-être le lendemain, vous honorerait-elle d’un coup-d’œil ; vous paieriez les censives, mais vous auriez des seigneurs pour vous protéger ; vous nous paieriez la dîme, mais nous ferions des miracles ; quand vous seriez ensorcelés, nous chasserions les démons de vos corps. Que de biens vous avez perdus, et nous aussi !

Enfin, le mal est fait ; vous savez, et vous voulez lire. Il faut donc vous donner de bons ouvrages ; il faut chercher le remède au mal, dans le mal même ; vous voulez la gazette le matin, le journal semi-périodique l’après-midi, des romans le soir ; eh bien ! vous aurez la gazette, les romans et le journal. Nous, ministre de Jehovah, et chevaliers de la vieille-roche, nous vous faisions déjà des gazettes et des journaux, et nous avons décidé de vous faire aussi des romans. De cette manière, si vous voulez absolument lire, vous lirez des livres orthodoxes et conservateurs des bonnes doctrines ; vous lirez jusqu’au moment où nous pourrons vous empêcher de lire, d’écrire, et de penser ; car, si nous vous permettons tout cela, c’est par tolérance ou plutôt par impuissance.

Vous connaissez ceux qui font la gazette et le journal ; les vieilles pécheresses écrivent des romans canoniques ; nous, (c’est-à-dire moi et lui ; moi, ex-Jésuite, et lui, ex-Dominicain), écrivons l’histoire et faisons des histoires. Vous en avez déjà lu beaucoup de notre façon, sans nous en croire les auteurs : vous lirez celle-ci, sachant bien que c’est notre ouvrage : vous voilà prévenus. D’ailleurs, vous connaîtrez aisément à l’amour de Dieu qui s’y fait jour de partout, que lui et moi, nous deux enfin seuls, pouvons l’avoir écrite.

Cette histoire est véritable ; elle est extraite d’un vieux manuscrit trouvé dans un antique monastère situé près de la ville de Lansac, en Languedoc, patrie de nos héros. Son authenticité est prouvée par les biens immenses dont ce couvent était en possession depuis la première croisade, et dont la piété de nos héros l’avait doté, comme vous verrez.

Cette histoire vous enseignera la manière de faire votre salut, d’éviter les embûches du malin, de vous délivrer du péché, et comment il faut se conduire avec les hérétiques et les infidèles. Vous verrez avec quelle profusion l’Église répand ses trésors sur les peuples croyans et dévoués ; comment Dieu récompense et punit, et par quelles voies merveilleuses l’Église établissait sa domination, c’est-à-dire celle du Christ, sur toute la terre, et fermait les portes de l’enfer, en conséquence de ces paroles, les portes de l’enfer ne prévaudront point.

Pour vous mettre à même de recueillir tout le fruit possible de la lecture de cette benoîte histoire, il faut d’abord poser les grands principes :

1o. Dieu est le maître du ciel et de la terre.

2o. Il créa l’homme pour en être servi et adoré ; et il a dit comment il veut l’être.

3o. L’Église est établie par Dieu même.

De ces trois grandes vérités découlent les trois grandes conséquences suivantes :

1o. L’Église, ayant la mission d’expliquer et d’interpréter la parole de Dieu, est aux droits de Dieu sur la terre, puisqu’elle dit qu’il l’a dit.

2o. Ceux qui ne servent pas Dieu comme il veut l’être, c’est-à-dire comme l’Église déclare qu’il le veut, par exemple, ceux qui portent leurs offrandes à Samarie et non à Jérusalem, et ceux qui ne portent point d’offrandes du tout, sont hérétiques ou philosophes, c’est-à-dire rebelles.

3o. Être mis hors de l’Église, c’est-à-dire être excommunié ; en d’autres mots, être déclaré rebelle, c’est être hors la loi divine et humaine.

Ces vérités, ces principes et leurs conséquences, concourent tous à prouver la plus importante des vérités, devant laquelle toutes les autres pâlissent, savoir :

Que Dieu étant le maître des peuples et des rois, l’Église est maîtresse des uns et des autres.

L’État est dans l’Église, et non l’Église dans l’État ; car il serait absurde de prétendre que Dieu est soumis aux hommes ; elle a donc le droit de détrôner les rois et de châtier les peuples qui transgressent ses commandemens.

Et, en dernier résultat :

Le ciel et la terre étant à Dieu, qui est représenté par l’Église, laquelle est représentée par les prêtres, le ciel et la terre appartiennent donc aux prêtres. Les hommes sont usufruitiers de la terre ; l’Église est propriétaire. : c’est dans l’ordre des choses. Dieu est immortel, l’Église est éternelle ; les hommes meurent.

Les philosophes jeteront de hauts cris ; cependant, ces conséquences sont tellement justes, qu’il est impossible d’en tirer d’autres des grands principes posés ci-dessus, et dont l’orthodoxie ne peut être contestée.

Je n’entrerai pas maintenant dans la discussion de ces vérités éternelles ; je les prouverai, en racontant l’histoire de mes héros par les passages textuels des livres sacrés et les argumens de la théologie. Mais pour donner une idée de la faiblesse des raisons de nos adversaires, je vais exposer leur principale objection contre le droit de propriété et de suprématie temporelle de l’Église.

Le Sauveur, allèguent-ils sans cesse, a dit : Mon royaume n’est pas de ce monde.

Je réponds : Qu’importe ! ou vous êtes hérétiques, ou vous devez convenir que l’Église a le droit d’expliquer les paroles du Sauveur, et ces paroles ont le sens qu’elle y découvre. Si vous êtes hérétiques, la discussion est finie ; vous êtes hors de l’Église, excommuniés, damnés, et notre réponse est péremptoire. Vous savez comment nous vous répondons, quand nous le pouvons.

Si vous n’êtes pas hérétiques, il est aisé de vous prouver par les canons, les huiles, les décrétales, et par les traditions historiques et théologiques, que l’Église a décidé que le royaume de Dieu, c’est-à-dire le sien, est de ce monde ; donc, Dieu l’a dit ainsi, en paraissant dire tout le contraire.

Il est des points contestés relativement à la doctrine des premiers temps ; mais il est un fait à l’abri de toute controverse : c’est la prétention de l’Église et des prêtres à décider de tout, à gouverner partout, à s’emparer de tout. Voilà, j’ose le dire, la véritable perpétuité de la foi[2] ; le ministre Claude en aurait convenu. Tant de rois excommuniés, rasés, cloîtrés, dépossédés, occis ; tant de villes saccagées, d’hérétiques massacrés, de royaumes mis en proie, certifient, de reste, la doctrine constante de notre sainte-mère Église. Sans vous rapporter des exemples pris hors de la France, ni remonter aux premiers temps de notre histoire, il suffira de vous citer Henri iv, dont vous parlez si souvent, fustigé sur les épaules de ses ambassadeurs ; et les derniers états-généraux de l’ancienne France[3], dans lesquels la doctrine du temporel fut victorieusement soutenue par le clergé. Or, cette doctrine, remontant ainsi jusques aux apôtres, instruits par leur divin maître, est une preuve sans réplique ; en outre de notre droit d’interprêter en tout temps les paroles de Jésus, que Jésus ne disait pas ce qu’il semblait dire.

Enfin, le bon sens et la raison sont encore pour nous. Quoi ! faibles raisonneurs, vous voudriez que Jésus eût entendu dire : la terre n’est pas à moi ! Et à qui donc est-elle, je vous prie ? Mon royaume n’est pas de ce monde, signifiait, ne vous y méprenez pas, mon royaume, c’est-à-dire mon pays, n’est pas ce monde, ou dans ce monde ; en d’autres termes : Je ne suis pas homme, comme je le parais être : mon royaume est l’autre monde, c’est-à-dire, est au ciel, ou est le ciel ; en d’autres termes : Je suis Dieu ; il était Dieu : vous en convenez ; et par cela seul vous convenez du reste. La terre est à lui ; il ne pouvait pas dire le contraire sans mentir : Dieu ne peut mentir ; donc il ne l’a pas dit : eût-il menti, la terre n’en serait pas moins à Dieu ; donc la terre est à l’Église ; donc elle est aux prêtres, et par conséquent à nous, c’est-à-dire à moi, ex-jésuite, et à lui, ex-dominicain.

Ce point établi, l’on voit que l’Église a le droit de gouverner la terre, d’ouvrir et de fermer les portes du Ciel ; et cette histoire démontrera combien il serait heureux pour les hommes qu’elle fût en possession de tous ses droits. En exécutant ses commandemens, tous les hommes iraient au ciel, comme ils y allaient dans le bon vieux temps.

Ô jours de triomphe et de gloire ! quand reviendrez-vous restituer aux disciples du Christ les clefs du Ciel et de la terre, et le glaive à deux tranchans que l’hérésie et la philosophie nous ont enlevés ? Quand reviendrez-vous foudroyer les impies qui ont escaladé l’autel ?

Ce sont les mœurs, la foi, les merveilles de cette heureuse époque que nous nous proposons de vous faire connaître et aimer, en vous racontant l’histoire de la famille de Lansac.

Puissent nos gazettes, nos romans, nos histoires, faire ce que n’ont pas fait nos sermons ! Puissiez-vous, nos très-chers frères, puissiez-vous brûler vos livres et vous laisser brûler vous-mêmes, s’il le faut, pour votre félicité dans ce monde et dans l’autre ; ou tout au moins puissiez-vous rentrer au bercail avec des cœurs simples et croyans, et surtout les mains pleines : c’est la loi et les prophètes. In nomine, etc., etc. Amen.

Encyclopédie.

Bossuet s’efforça de prouver que l’Église n’a jamais

varié

.

Claude

était son antagoniste, et lui est bien supérieur comme dialecticien.

Sous Louis

XIII

, le clergé y professa les doctrines les plus ultramontaines.

Note de l’Éditeur.

LE PÉLERINAGE.

CHAPITRE PREMIER.Situation de l’Europe. — Les premiers Croisés.

L’empereur Frédéric régnait en Allemagne. Alexis Comnène disputait aux successeurs des califes les débris de l’empire d’Orient. Philippe Ier, prince faible et voluptueux, portait le titre de Roi de France ; et le maître du Monde, le vicaire de Dieu, ou en des termes équivalens, le serviteur de ses serviteurs, le grand Urbain dictait à l’univers les ordres de l’Éternel.

Les enfans de Mahomet, sortis de l’Arabie, avaient porté leurs armes et leur impiété dans les trois parties du monde. L’Asie et l’Afrique avaient subi leur joug. L’Europe avait vu le moment où la croix allait tomber devant les soldats de l’erreur. L’Espagne était conquise, la France avait été au moment de l’être. L’empire de Constantin s’écroulait comme un vieil édifice long-temps battu par les orages. Le Croissant s’avançait de ruines en ruines vers les remparts de la seconde Rome, et préparait ce vol impie qui devait l’élever un jour sur les tours de Sainte-Sophie, à la place même de la croix renversée, du sommet de la métropole impériale, dans la fange de ses rues.

Déjà, funeste présage de ces jours de honte, Jérusalem, patrie des prophètes, cité sainte où Dieu, prenant un corps humain, souffrit la mort la plus ignominieuse pour nous donner la vie éternelle. Jérusalem, théâtre de tant de merveilles, où Dieu répandit d’une main si prodigue des faveurs refusées au reste du monde. Jérusalem, qui ne sut se défendre qu’une fois, et dont jamais la victoire ne couronna les efforts, gémissait dans un honteux esclavage, et voyait les infidèles insulter aux chrétiens, à Dieu même, sur le tombeau profané de son fils. L’accès au Saint-Sépulcre était presque interdit à la piété et aux larmes. Les pélerins étaient repoussés des remparts de Sion, et ceux qui, bravant tous les dangers, entraient dans ses murs sacrés, y vivaient comme leur divin maître y mourut, dans l’opprobre et les tourmens. Les chrétiens, exclus de Jérusalem ou souffrant dans son enceinte désolée, gémissaient et priaient. Le ciel entendit leurs cris.

En ce temps-là, vivait un saint homme nommé Pierre, ermite et picard, pélerin et inventeur du chapelet ; du chapelet ! arme toujours victorieuse du péché et de l’enfer ; confortation des jeunes servantes du Christ et consolation des vieilles dévotes ; du chapelet, à la fois arsenal de la théologie et magasin de la grâce.

Le pélerin mouillait de ses larmes les pierres du Saint-Sépulcre. Tout-à-coup, le Christ lui-même parut à ses yeux. « Tes pleurs, lui dit-il, n’ont pas vainement coulé ; tes gémissemens sont montés jusqu’à moi ; les jours de la délivrance s’approchent. Je t’ai choisi. Quitte les murs de l’antique Sion, rends-toi dans ceux de la Sion nouvelle ; mon vicaire te donnera mes ordres, il te dira de parcourir l’Europe, et d’appeler les maîtres et les esclaves sous les étendarts de l’Église. Rois, peuples fidèles, levez-vous ; prenez les armes et marchez ! Jérusalem sera délivrée ; Mahomet tombera devant vous, et les portes du ciel, comme celles de la cité sainte, s’ouvriront pour vous recevoir. »

Ainsi dit le fils de Dieu. L’ermite tourna ses pas vers la ville de St.-Pierre.

Il commença dans Rome même à publier les volontés de l’Éternel et du Pape. Il parcourut ensuite l’Italie, l’Allemagne et la France. À sa vue, les peuples et les Rois sortirent comme d’un sommeil léthargique, et les cris de vengeance s’élevèrent tout-à-coup des cités et des campagnes, des palais et des chaumières.

Les grands de l’Église et de la terre se réunirent sous le trône pontifical dans les champs de Plaisance ; la sainte expédition y fut résolue ; la délivrance de Jérusalem y fut jurée. Vains sermens ! le matin écrits sur le sable, les vents du soir les dissipèrent. Dieu réservait la gloire de former l’avant-garde chrétienne à la France, cette patrie des braves, cette noble terre toujours prête à s’armer à la voix de l’honneur et du ciel. Le Pape accourut dans un pays où les sermens de vaincre sont le gage de la victoire ; et dans le concile de Clermont en Auvergne, au milieu des prêtres et des princes, il annonça la guerre sacrée. Les princes tombèrent à ses genoux, et se relevèrent avec la croix rouge sur l’épaule ; croix sanglante, signe des combats, symbole de la foi, but de leurs travaux et récompense de leurs vertus. Le Pape les bénit, et de la même main repoussa le Roi de France, l’adultère Philippe, rebelle à l’Église et à Dieu, l’excommunia, et le maudit. Pouvait-il, d’une manière plus éclatante, prendre possession du sceptre temporel ! Il marquait les grands de la terre du signe de vasselage, frappait des foudres sacrées le plus noble des Rois, et mettait hors de l’Église tous ceux qui oseraient le reconnaître pour leur souverain.

Le roi de France, terrassé par cette main divine, fut contraint de remettre à son fils le sceptre du royaume ; et les princes, agenouillés aux pieds du Saint-Père, en se relevant pleins d’un noble courage, s’écrièrent : Diex el volt ! (Dieu le veut !) et coururent aux armes.

Tous les royaumes infidèles furent donnés au premier occupant, à la charge d’en faire hommage au saint-siége.

Indulgence plénière et pardon général de tous les péchés.

Et pour paie militaire, le droit de prendre partout tout ce qui serait nécessaire au succès de la guerre sainte.

Ainsi, des royaumes en cette vie, le Paradis à la mort ; en deux mots, le pillage et la gloire ! La noblesse pouvait-elle ne pas reconnaître la voix du ciel même, dans l’ordre du départ et des combats ?

Les ministres des autels se croisèrent comme leurs ouailles. Ils devaient planter la croix sur les remparts des cités conquises, et présider aux conseils des guerriers, c’est-à-dire gouverner l’armée et les pays soumis.

Dieu le veut ! ce cri vola de montagne en montagne, de royaume en royaume ; et toute l’Europe, comme la France, s’écria : Dieu le veut !

Les nations étaient véritablement chrétiennes ; personne alors ne doutait du pouvoir de l’Église. Les incestueux, adultères, voleurs, assassins, parjures, faux témoins, et la foule, toujours si nombreuse, de ceux qui avaient des dettes et n’avaient nulle envie de les payer, se rangèrent sous sa bannière. Tous les scélérats se croisèrent. Que dis-je ? scélérats, ils cessèrent de l’être ; la croix rouge, dont leur épaule gauche était couverte, attestait que le sang du rédempteur avait coulé pour expier leurs crimes.

À cette époque, les nations étaient dans l’attente prochaine du dernier jour[1]. Les planètes devaient se détacher de leurs orbites et rouler dans l’espace ; le soleil s’éteindre, et les trompettes de l’Apocalypse appeler les vivans et les morts aux champs de Josaphat. Dans ce pressant danger, les hommes se précipitèrent sous les bannières de l’Église, afin que le juge suprême les trouvât en état de grâce, et que la trompette céleste, au lieu de sonner pour eux les tourmens de l’enfer, leur fût le signal de la vie éternelle, récompense des justes.

Dieu le veut ! les moines sortirent de leurs couvens ; les ouvriers quittèrent leurs ateliers ; les laboureurs abandonnèrent la charrue ; les enfans désertèrent la maison paternelle ; les femmes délaissèrent leurs époux et n’en reconnurent plus d’autre que le fils de Dieu : tous se rangèrent à côté de l’ermite Pierre, ou, plus impatiens encore de s’ouvrir les portes du ciel, se précipitèrent sans délai vers les mers de l’Orient.

Les routes furent couvertes de croisés, n’emportant avec eux que leurs armes et une foi vive et sincère. Ils partaient, dépourvus de tout, mais assurés de ne manquer de rien ; il faut aux armées profanes d’immenses magasins de vivres et d’habits ; la Providence s’occupe d’elles comme de toute la nature, sans les dispenser de veiller à leur conservation. Pour le seul peuple de Dieu, la Providence a les soins d’une mère tendre : la manne tombe sur le camp de Moïse ; les cailles viennent en relever le goût ; les vêtemens d’Israël, au lieu de s’user, s’alongent, croissent avec lui : tel qui sortit d’Égypte enfant avec une petite veste à l’anglaise, des souliers en pantoufles, et un petit chapeau d’usurier, se voit, au bout de quarante ans, sans avoir changé de veste, de souliers ni de chapeau, par exemple, s’il a pris parti dans la cavalerie hébraïque, des bottes à la russe, un énorme chapeau bolivar, et un manteau de gendarme, qui le couvre lui et son âne[2]. Laissant donc les soins vulgaires aux guerriers profanes, que les armées sacrées, sans magasins, sans préparatifs et sans inquiétudes, marchent dans leur force et dans leur foi ! Si le doux Jésus nourrit avec cinq pains cinq mille hommes qui n’allaient pas combattre pour lui, laissera-t-il souffrir de la faim, dans des lieux cultivés, tant d’hommes couverts de fer, vigoureux, entreprenans, et décidés à vaincre ? Non, non ; Dieu sèmera devant leurs pas ; la terre enfantera les moissons : ils n’auront qu’à recueillir.

Ainsi partit la populace chrétienne, dans le plus grand dénûment ; mais il fallait aux nobles des chevaux, des armures, pour eux, pour leurs écuyers, pour leurs hommes d’armes. L’Église donnait le droit de prendre pendant le voyage, mais il fallait acheter ce qui était nécessaire pour se mettre en route. Les nobles engagèrent leurs domaines ; les évêques, les abbés, leur donnèrent, en échange de ces biens, inutiles au salut, tout ce qui pouvait les mettre à même d’aller combattre et mourir saintement, peu d’or, l’or était rare, mais beaucoup de bénédictions.

L’ermite se vit à la tête d’une foule innombrable, chantant les psaumes où le roi-prophète ordonne de massacrer les enfans d’Israël, d’écraser sur la pierre la tête des enfans à la mamelle, et brûlant du désir de prouver sa foi par ses œuvres.

Trois cent mille croisés, conduits par des chefs différens, s’avancèrent vers Jérusalem. Une de ces armées, en traversant l’Italie, ramena le Pape dans la ville sainte, et le rétablit sur le trône de saint Pierre. L’Église recueillit ainsi, dès le premier moment, une partie du fruit de ses travaux.

Cent mille hommes suivirent l’ermite : ce guerrier missionnaire, supérieur par le nombre de ses troupes aux plus grands potentats, était plus remarquable encore par sa dévotion et son humilité que par sa puissance. Ô miracle d’abaissement et de gloire ! il marchait à la tête de son armée, en sandales, les reins ceints d’une corde, le chapelet à la main, et donnant le pas à une chèvre, comme pour dire aux peuples que Dieu se sert des plus faibles créatures.

L’Éternel donna bientôt à ses fidèles d’éclatantes preuves de son amour ; ils voulaient, en délivrant le tombeau du Sauveur, obtenir la vie éternelle : le Sauveur leur accorda le prix avant d’avoir reçu le service ; il leur envoya mille fléaux ; les champs de Hongrie se couvrirent de leurs cadavres ; la plupart de ces bienheureux croisés furent envoyés au ciel par le moyen du glaive, du feu, du poison, des maladies de toute espèce. Ceux qui survécurent châtièrent l’insolence des faux sectateurs du Christ, qui, loin de concourir au succès de la sainte croisade, cachaient leurs récoltes et leurs bestiaux ; ils furent poursuivis, forcés dans leurs retraites, dépouillés et massacrés (a).

Ainsi, partout où les peuples osèrent résister, ils furent exterminés, ou ils exterminèrent ; et de cent mille soldats partis avec l’ermite, à peine vingt mille arrivèrent-ils sur les bords du Bosphore.

Les Grecs les accueillirent d’abord en frères. Mais bientôt les perfides, méditant la trahison, se plaignirent des croisés. Ces guerriers catholiques, disaient-ils, pillent, brûlent les maisons, les champs, les palais, les chaumières. Ils dévastent même les églises. On connaît l’astuce des Grecs ; cependant, en principe, je croirais à ces pillages, même à la dévastation des églises ; car ces exécutions auraient été selon la loi : tout Romain a les schismatiques et leurs temples en horreur. N’y chante-t-on pas en langue vulgaire ; n’y communie-t-on pas sous les deux espèces, et surtout, n’y repousse-t-on pas l’autorité du Pape ? Ces palais, ces chaumières, ces temples, devaient donc être détruits ; mais, ne pouvant les détruire, ne pouvant exterminer les Grecs, sans un danger imminent, la prudence exigeait de différer l’attaque, le pillage et l’extermination jusques au moment où l’on serait devenu les plus forts.

L’empereur, abusé par les cris des perfides, fit transporter en Asie la milice catholique ; là, sur des rives fertiles, elle se remit de ses fatigues, et bientôt, renforcée par de nouveaux croisés, elle se précipita sur les états de Soliman, Soudan de Nicée.

Ministres des vengeances du Seigneur ; les soldats orthodoxes, ravagèrent, brûlèrent, exterminèrent, sans miséricorde. Leur rage était égale à leur dévotion. Elle fit périr les Turcs sans distinction d’âge ni de sexe ; elle inventa des supplices pour les punir longuement de leur idolâtrie. Ils furent enfin moissonnés eux-mêmes. Les Sarrazins les traitèrent comme ils en étaient traités ; ils les égorgèrent sans pitié, massacrant les malades, les soldats désarmés, les vieilles femmes et les moines… Et les moines, ô sacrilége !

Les infidèles et les hérétiques invoquèrent le droit de représailles ; si je les tenais dans les cachots de la sainte inquisition, je les forcerais d’avouer qu’un massacre ordonné par l’Église est une œuvre pie, tandis qu’une simple irrévérence envers un moine est un crime abominable. Manquer aux prêtres, c’est manquer à Dieu. On offense le prince dans son ambassadeur, c’est incontestable.

À peine trois mille Croisés échappèrent au fer de Soliman. Ils retournèrent à Constantinople ; on les y désarma sous prétexte de mettre un terme à leur brigandage. Dieu permet quelquefois l’humiliation de son épouse.

D’autres armées marchèrent sur les pas de l’armée de l’ermite, sous le commandement du saint prêtre Godescald, d’Émicon et quelques autres, au nombre de plus de deux cent mille combattans, et périrent de la même manière sous le fer des Hongrois et de Soliman.

Tant de désastres ne décourageaient point les chrétiens ; ils brûlaient, au contraire, du désir de venger ceux dont la mort avait arrêté les triomphes. Ils se rassemblaient dans cent lieux à la fois sous les ordres des princes et des grands.

Le comte de Vermandois, le duc de Normandie, l’illustre Godefroy, et le sage Raymond, comte de Toulouse, se préparaient à de plus heureux combats.

Les indulgences, la crainte de la fin du monde et le pillage, furent les véritables causes des croisades.

Historique. Voyez

la Bible

.

(

a

)

L’histoire a conservé le souvenir de la punition d’une ville impie. Elle osa fermer ses portes à l’armée ecclésiastique. En vain ses habitans furent-ils aidés par la rage, le désespoir et Satan, ils ne purent résister à cent mille guerriers armés pour la bonne cause. Ses défenseurs furent tous massacrés, et avec eux les femmes, les enfans, les vieillards ; d’après les lois divines et les exemples de Moïse, de Josué et du peuple chéri.

(Les Notes marquées a, b, etc. sont du Jésuite ou du Dominicain.)

CHAPITRE II.La famille de Lansac.

Dieu le veut ! Ce cri continuait à retentir dans toute l’Europe. Les échos seuls de Lansac ne l’avaient point redit. Les habitans de cette ville, imitateurs fidèles de leur maître, gardaient un silence honteux. Raymond, souverain de l’Occitanie, invitait les grands de ses états à se croiser avec lui ; tous se croisaient ; et le comte de Lansac dédaignait et la voix de son seigneur et ses nobles exemples.

Le château de Lansac était situé dans la partie du comté de Saint-Gilles près Toulouse, où plus tard les Albigeois levèrent une tête menaçante ; les foudres de l’Église les frappèrent ; le fer des catholiques les extermina ; mais avant cette heureuse époque d’extirpation, il y avait dans ce pays une certaine résistance aux ordres du doux Jésus, entretenue par l’exemple de certains seigneurs, jaloux du pouvoir de son épouse, notre sainte mère Église, et surtout par l’exemple du comte de Lansac.

Ce seigneur commandait à de riches vassaux, à des serfs nombreux ; ils l’adoraient. Au lieu de les gouverner en tyran capricieux, il les gouvernait en père. Quand il leur infligeait une punition c’était, non pour user du droit de punir, mais pour s’acquitter d’un devoir dont l’accomplissement intéressait le bien-être de ses sujets. Il avait voyagé dans toute l’Europe, pour connaître les mœurs des peuples. Il était revenu dans son château avec une épouse choisie, non parmi les plus nobles, mais parmi les plus aimables. Il avait toujours bravé l’opinion quand le parti qu’elle blâmait lui paraissait le plus sage ou le plus utile ; aussi, quoique noble, il savait lire, il était même soupçonné de savoir écrire, et ne s’en défendait pas. On l’accusait de lire de mauvais livres, par exemple, les ouvrages de Cicéron et de Lucrèce, c’était un philosophe.

Vous devez penser quelle instruction il donnait à sa famille. Il avait deux enfans, Florestan et Laurette. Florestan était le plus beau des hommes, le meilleur des fils, le plus tendre des amans. Il savait lire et écrire, il faisait des vers, jouait de la lyre, et croyait que le Ciel avait mis les serfs et les vilains au-dessous de lui pour qu’il les protégeât. Il voyait dans sa noblesse une magistrature et des devoirs rigoureux. Vaillant et sensible, Quinte-Curce et Virgile étaient ses auteurs favoris. On en aurait pu faire un chanoine ou un évêque, mais il était tolérant, examinait toutes les opinions, et ne maudissait personne. Encore un scélérat de philosophe ! Cependant il rendit de grands services à l’Église ; l’amour opéra sa conversion.

À l’époque de la croisade, Florestan avait vingt ans, Laurette en avait quinze. Laurette tenait de la nature tous les charmes qui plaisent, toutes les vertus qui font aimer. À la régularité des traits, elle joignait la beauté des formes, l’élégance à la simplicité, et l’on voyait qu’un jour, quand la nature aurait en elle développé tous ses trésors, et qu’une pensée plus profonde, occupant son âme, répandrait sur son visage cette expression de mélancolie, sans laquelle on ne plaît qu’aux yeux, et qui seule donne des chaînes à l’amour ou du sentiment au désir, elle aurait autant de majesté que de grâce ; et que la puissance de ses charmes serait encore plus dans leur action sur le cœur que dans la perfection de leur beauté. Adorée de tous ses entours, chérissant sa famille et ses vassaux, se trouvant toujours des larmes auprès des malheureux, et ne mettant à ses bienfaits de bornes que son pouvoir, elle était d’une extrême facilité de caractère. Elle voulait ce qu’on voulait pour elle. Ne concevant point la tromperie, elle ne craignait jamais d’être trompée. Bienveillante pour tous, elle voyait partout de la bienveillance pour elle. C’était la femme de la nature, mais de la bonne nature. Elle eût, comme Ève, cueilli la pomme fatale, non pour déplaire à Dieu, mais pour faire plaisir au serpent ; mais certes, elle n’eût pas incité son amant à faillir.

Elle savait lire et lisait peu. Les livres étaient rares. Le français était alors un jargon détestable et méprisé ; d’ailleurs les habitans du midi l’ignoraient entièrement. La langue romane ou langue d’Oc, leur langue maternelle, était, comme elle l’est encore, pittoresque, abondante et mélodieuse, mais jamais elle ne produisit aucun ouvrage digne de mémoire, dans un pays où, grâce à un idiôme rempli de voyelles, et à une imagination vive et mobile, tout le monde est, sinon poëte, au moins versificateur. Quelques vers amoureux et fades étaient trop peu remarquables pour créer une littérature. Les troubadours furent, peut-être, des hommes aimables, mais en général ils manquèrent de goût et d’instruction, et surtout de noblesse dans le caractère et d’élévation dans la pensée. Quand on n’a ni l’un ni l’autre, on n’a qu’un talent faux, et l’on n’influence ni son siècle, ni l’avenir.

Laurette ne lisait donc pas faute de livres, et surtout à cause de ses continuelles occupations. Une femme trouve toujours dans sa famille l’emploi de son temps. Elle ne savait pas écrire : le comte ne pensait point que la science de l’écriture fût utile au bonheur des femmes ; elles doivent, disait-il, être à même de connaître les livres et hors d’état d’en faire ; ma fille n’écrira ni billets doux, ni romans ; une femme ne peut occuper sa plume qu’à l’un ou à l’autre, ou à tous les deux. Elle n’écrivit point de roman, mais sa vie en fut un, et le zèle de la maison du Seigneur, dont nous sommes dévorés, nous force à écrire nous-mêmes ses merveilleuses aventures. Il était dit que la famille du comte, et le comte, feraient précisément tout le contraire de leur volonté. La Providence se plaît à contrarier les vues orgueilleuses des philosophes. Laurette sortit, malgré son père, de l’obscurité ; et les noms du comte et de ses enfans sont, par nous, écrits dans les fastes de la théologie, de cette science qu’il méprisait.

Quant à la comtesse, son mérite était dans son amour ; elle avait les qualités comme les défauts de son époux, mais par imitation.

On n’est plus surpris de la tranquillité de cette famille et de ses serviteurs au milieu du mouvement général. Le comte désapprouvait la croisade. Les faveurs du ciel eussent été inconnues dans cette riche contrée, sans l’amour et les moines.

Non loin du château de Lansac, s’élevait celui d’un baron, la terreur de ses vassaux, ignorant et barbare. Ses volontés étaient sa loi ; ses caprices sa justice ; mais s’il était impérieux et féroce, il avait la foi ; il fut le défenseur le plus ardent de l’Église : aussi exigea-t-elle qu’il restât dans ses terres pour la secourir contre les hérétiques.

Le baron était père d’une fille de l’âge à peu près de Laurette ; d’un caractère plus impétueux, d’une physionomie plus prononcée et plus mâle ; son imagination voyait tout dans les extrêmes ; elle aimait Florestan avec ardeur : cet amour, sa première pensée, loin de se démentir jamais, avait acquis de jour en jour une force nouvelle. Gabrielle devenait meilleure en aimant davantage. La société de la famille de Lansac adoucissait ce caractère altier, et fixait cette imagination impétueuse et mobile.

Entre les châteaux du baron et du comte, un saint homme avait jadis établi sa demeure. De son vivant, il avait guéri les malades par l’application des simples. Après sa mort, ses successeurs les guérissaient par l’attouchement de ses reliques. Il était mort en odeur de sainteté. Les miracles du saint portèrent d’autres ermites à bâtir leurs cellules contre la sienne ; ils embrassèrent enfin une règle austère, firent des vœux, et l’ermitage devint couvent. Le monastère était étroit et mal construit ; les Pères voulaient le réédifier : le comte s’y opposa. Je permis, dit-il, à un ermite de s’établir dans une grotte, et non de construire une maison ; je ne permis jamais aux nouveaux venus d’adosser de nouvelles maisons contre la première, encore moins de bâtir un monastère. Long-temps le comte eut raison ; mais enfin, par un heureux hasard, on découvrit une donation du terrain occupé par l’ermite, faite par les ermites qui l’avaient occupé jadis. Le couvent fut donc édifié malgré le comte ; mais il retint une superbe prairie traversée par une rivière aux bords de laquelle on voulait construire le nouvel édifice ; il refusa d’abandonner à l’abbé la seigneurie d’une partie des terres du comté, dont la cession avait été faite aux Pères, par un ancien roi d’Arragon, comte de Lansac. L’abbé rapportait copie de l’acte, l’original manquait. La contestation était soumise à la décision du comte de Toulouse, et le procès, quitté et repris mille fois, allait être jugé pour la centième, quand on prêcha la croisade. Le comte injuriait les moines, les traitait de faussaires et de voleurs ; les moines répondaient à ses injures devant les hommes, par des actes écrits, et devant Dieu, par des prières. Ils priaient en faveur de leur implacable ennemi, comme tout dévot moine en use le matin… et le soir.

Ne pouvant lui faire abjurer l’hérésie, ils résolurent de l’envoyer en Palestine. Si le comte se croisait et mourait pendant la croisade, il était sauvé malgré ses opinions philosophiques. De cette manière on le forçait d’entrer au ciel, comme il est prescrit aux bonnes âmes d’en agir envers les païens : compelle eos intrare. Les bons moines rendaient ainsi le bien pour le mal.

Leurs prières trouvèrent grâce en faveur du mécréant. La volonté du ciel s’expliqua bientôt par des signes non équivoques.

CHAPITRE III.Miracles. — Florestan et Gabrielle.

L’auteur véridique, le Saint-Chroniqueur, et les manuscrits authentiques qui nous guident dans notre travail, attestent et prouvent, par des procès-verbaux et des complaintes, les miracles inouis dont les terres du philosophe furent le théâtre ; les monumens dont les débris existent encore, et la tradition conservée à Lansac parmi les croyans et les fidèles, achèvent de mettre ces miracles hors de doute.

Les étoiles tombèrent du ciel ; la lune ensanglantée éclaira de sa lumière effroyable les morts qui, sortant des tombeaux, erraient autour de l’église, en poussant des cris lamentables. Les saints des chapelles y répondirent par des gémissemens, et le Christ du village par des larmes véritables.

Le bruit de ces merveilles se répandit dans toute l’Occitanie ; les princes de l’Église ordonnèrent des prières ; on exposa les châsses des bienheureux ; les fidèles accoururent à Lansac en criant : Il faut apaiser le ciel ! Le baron et la belle Gabrielle ne furent pas des derniers. Le père offrit aux moines son bras pour servir la bonne cause, et la fille alla se prosterner aux pieds des autels.

Comme elle priait, une voix sortit du sanctuaire : C’est à toi, s’écria-t-elle, c’est à toi de désarmer le courroux céleste. Au rapide éclat d’une flamme blanche et légère, elle vit la sainte Vierge, l’enfant Jésus dans ses bras, s’avancer et lui sourire ; la flamme disparut ; Gabrielle resta seule dans l’horreur des ténèbres ; ses forces l’avaient abandonnée. Un spectre la saisit et la déposa mourante hors de l’église dont les portes se refermèrent tout-à-coup avec un bruit épouvantable. Gabrielle reprit enfin, sans oser regarder derrière elle, la route de son château ; la pâleur sur le front, la terreur dans l’âme, et cherchant vainement à découvrir ce que Dieu lui demandait.

Tant de miracles ne faisant ouvrir les yeux ni au comte ni à Florestan, la grêle détruisit les récoltes ; les rivières débordèrent ; les démons s’emparèrent des dévotes ; les vieilles femmes, remarque le Chroniqueur, furent toutes possédées ; elles remplissaient de cris et d’imprécations les rues de Lansac, les avenues du château, les portiques de l’église. Les moines sortirent en procession de leur sainte demeure, en demandant à Dieu de fermer les cataractes du ciel, de chasser le malin du corps des vieilles femmes et de faire connaître ses volontés. Dix mille fidèles, accourus de cent villages différens, marchaient pieds nus à la suite des moines. Gabrielle et Laurette, anges d’innocence et de beauté, portaient les bannières de Marie, et l’on aurait pu croire en voyant les images de la mère de Dieu, et les deux chrétiennes qui les exposaient aux yeux des fidèles, que la bonne Vierge, mécontente de l’œuvre du peintre inhabile, était descendue du ciel sous les traits de deux mortelles, pour opposer à l’infidélité de la toile des images vivantes de ses charmes et de sa vertu. Le comte et le baron soutenaient le dais sous lequel le prêtre portait dévotement le corps du Seigneur Jésus. Devant eux marchaient les démoniaques. La procession se rendit à l’église ; on exorcisa les malades, et l’on prescrivit aux démons l’ordre de quitter le pays. Les uns obéirent, les autres déclarèrent qu’ils ne se retireraient qu’après le départ du comte et de son fils pour la Terre-Sainte.