Le naufrage de La Jeannette dans l'océan glacial arctique - Ligaran - E-Book

Le naufrage de La Jeannette dans l'océan glacial arctique E-Book

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Extrait : "Avant de présenter au lecteur les différents membres de l'expédition arctique projetée par M. Bennett, nous devons lui faire connaissance avec le navire destiné à leur servir de demeure pendant les longs mois qu'ils seront sans doute condamnés à passer au milieu des glaces polaires. La Jeannette est un navire mixte, gréé en barque. C'est un navire bas et élancé, qui a été construit pour le compte du gouvernement anglais."

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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Après que le steamer eut sombre. (D’après un grand dessin du Graphic.)
Chapitre préliminaire

Lorsque, en 1881, on apprit la perte du navire la Jeannette, ce fut dans toute l’Europe un sujet de profonde émotion. Aux États-Unis, l’intérêt public fut excité plus vivement que partout ailleurs.

La plupart des membres de l’expédition étaient Américains. Un Américain, M. James Gordon-Benett, propriétaire du grand journal le New-York Herald, avait eu l’initiative de l’entreprise et en avait fait tous les frais. Ayant acheté, en 1878, au Havre, le navire Pandora, il l’avait baptisé du nom français Jeannette, et l’avait envoyé à San Francisco pour y compléter son armement, puis il en avait fait hommage au gouvernement des États-Unis.

La Jeannette devait tenter de trouver une voie navigable conduisant, à travers les mers polaires, de la côte américaine à la côte de Sibérie.

Depuis que la Jeannette avait quitté San Francisco, le New-York Herald avait publié les correspondances des divers membres de l’expédition. Un de ses rédacteurs, M. Collins, était attaché à l’expédition à titre de reporter. Puis, tout à coup, les nouvelles avaient cessé d’arriver et, après une longue et inutile attente, il devint certain qu’un désastre était survenu.

Le gouvernement américain avait alors envoyé un de ses bâtiments le Rodgers, à la recherche de la Jeannette. Le Rodgers parvint à recueillir et à transmettre des nouvelles, mais il périt, lui-même, bientôt après.

Au reçu des nouvelles envoyées par le Rodgers, M. J. Gordon-Benett envoya (par voie de terre, cette fois) un de ses collaborateurs, M. J. Jackson, dans la direction du pôle nord par la côte de Sibérie, en lui donnant pour mission de chercher les traces des malheureux disparus, et de les secourir. Il eut la chance de rencontrer les rares survivants de la Jeannette, et, dirigé par eux, il put connaître, dans tous ses détails, la fin tragique de ses compatriotes. Il put recueillir dans diverses cachettes les papiers laissés par eux pour qu’on les trouvât au cas où ils mourraient en chemin. Grâce aux récits des quelques malheureux qui avaient échappé à la mort, par une série d’évènements presque miraculeux, il fut possible de connaître dans tous ses détails le dénouement du drame qui avait eu les mers arctiques pour théâtre et avait été le plus épouvantable de tous ceux qu’eût jamais enregistré l’histoire des explorations polaires.

Les lettres écrites par les membres de l’expédition, les documents laissés par eux et, trouvés après leur mort, les renseignements recueillis par M. Jackson, les récits des survivants ont été recueillis par nous, tels quels, en 1882.

À cette heure-là tout était intéressant. Mais si les renseignements scientifiques qui, alors, étaient dans toute leur première fraîcheur, ont conservé pour les hommes d’étude toute leur valeur première, ils ne sauraient plus prétendre à passionner, comme ils l’ont jadis passionné, l’esprit de la grande masse des lecteurs.

De ce drame de la Jeannette, une seule chose reste éternellement émouvante, c’est le drame lui-même, avec les péripéties qui l’ont immortalisé.

Toutes les lettres et tous les documents dans lesquels ceux qui en ont été les acteurs ou les témoins l’ont raconté se trouvent réunis ici et non plus par ordre chronologique, comme ils l’étaient précédemment, – alors qu’ils n’étaient que des documents, – mais classés de façon telle que, si nous ne nous trompons pas complètement, ils forment, dans leur ensemble et par leur suite régulière le plus émouvant de tous les romans d’aventures.

CHAPITRE PREMIER« La Jeannette » – Son équipage

Portrait de la Jeannette. – Réparations qu’elle subit avant d’entreprendre son voyage. – De Long. – Chipp. – Danenbower. – Melville. – Ambler. – Collins. – Newcomb. – Dunbar. – Les hommes de l’équipage.

Le Navire.

 

Avant de présenter au lecteur les différents membres de l’expédition arctique projetée par M. Bennett, nous devons lui faire faire connaissance avec le navire destiné à leur servir de demeure pendant les longs mois qu’ils seront sans doute condamnés à passer au milieu des glaces polaires.

La Jeannette est un navire mixte, gréé en barque. C’est un navire bas et élancé, qui a été construit pour le compte du gouvernement anglais. Il était primitivement destiné à servir d’aviso et de transport pour l’escadre de la Méditerranée. Mais quand il fut achevé, la marine de Sa Majesté britannique, n’en ayant plus besoin, le fit mettre en vente. Il fut acheté par le capitaine Allan Young, yachtman anglais distingué qui avait déjà pris part à l’heureuse expédition de sir Léopold MacClinctock, à la recherche des restes de Franklin. Son nouveau propriétaire, après un court voyage dans les mers arctiques, le vendit à M. Bennett, qui le destinait à l’usage que nous savons. C’est ce que l’on appelle un navire haut sur quille, – c’est-à-dire dont la quille s’en va en forme de coin, – de sorte qu’on peut espérer, s’il vient à être pris dans les glaces, qu’il sera soulevé par leur pression, au lieu d’être écrasé, comme il arrive d’ordinaire aux navires à fond aplati ou à flancs perpendiculaires.

Après la cérémonie du baptême, la Jeannette ne tarda pas à prendre le chemin de l’Amérique, emportant à son bord le capitaine de Long et sa famille. Nous ne nous arrêterons point aux quelques petits incidents qui purent survenir pendant la traversée du Havre à San Francisco ; d’ailleurs aucun de ces incidents ne mérite de fixer notre attention. Nous dirons seulement que le voyage dura cinq mois et demi et que le capitaine de Long choisit la route du détroit de Magellan au lieu de celle du cap Horn.

Comme nous l’avons dit, M. Bennett rivait acheté la Jeannette afin de l’offrir au gouvernement des États-Unis pour une expédition au pôle nord.

Par acte du 27 février 1879, le Congrès accepta cet offre et autorisa le secrétaire de la marine à se charger de l’armement du navire. Ce dernier avait, à la vérité, fait ses preuves dans les mers arctiques, pendant le voyage exécuté par le capitaine Allan Young ; néanmoins on crut nécessaire de le remettre au dock pour le réparer.

La Jeannette fut donc, dès son arrivée à San Francisco, envoyée à Mare Island, où le secrétaire de la marine était autorisé à prendre, dans les arsenaux de l’État, tous les matériaux nécessaires pour la mettre en état d’affronter les périls de l’expédition à laquelle on la destinait. La seule restriction apportée à cette autorisation était qu’aucune des dépenses pour les réparations ou les améliorations faites au navire ne devait rester à la charge du département de la marine. Il était, en outre, enjoint au secrétaire par l’acte du Congrès, de faire vérifier, avant d’en prendre charge, si le navire était réellement approprié à un voyage d’exploration dans les mers polaires. À Mare Island, la Jeannette subit donc une inspection minutieuse, après laquelle les ingénieurs déclarèrent que, vu les dangers du voyage qu’elle allait entreprendre, il était prudent de la renforcer, pour qu’elle pût supporter plus facilement la pression des glaces. Ce n’était là, toutefois, qu’une mesure de précaution, puisque ce navire était d’une excellente construction et possédait la force ordinaire des navires de ce tonnage. De grands travaux furent néanmoins entrepris pour satisfaire au desideratum des ingénieurs, et M. Bennett en paya tous les frais. On changea les anciennes chaudières de la Jeannette, qu’on remplaça par des neuves, et on mit tout en œuvre pour qu’elle fût dans les meilleures conditions possibles au moment de son départ : des barreaux de fer furent placés à l’avant et à l’arrière des chaudières pour soutenir les flancs du navire. Son extrême-avant fut, jusqu’à une dizaine de pieds du faux-pont, rempli de solides madriers bien calfatés. Des hilloires additionnelles et des madriers de six pouces d’épaisseur furent ajoutés à la charpente ordinaire pour renfoncer son petit-fond. En outre, le fond fut réparé partout où il en avait besoin. Toutes ces réparations et améliorations furent faites avec tant de soin, qu’un pouvait raisonnablement croire que la Jeannette était en état de surmonter tous les périls ordinaires qu’on est accoutumé à rencontrer dans la navigation des mers polaires.

Après avoir donné à nos lecteurs la description de l’instrument, il nous reste à leur présenter ceux qui étaient destinés à s’en servir.

 

Le lieutenant de Long,

commandant de l’expédition.

 

De Long est né à New-York, dans le courant de l’année 1844, d’une famille d’origine française, comme son nom, au reste, le fuit deviner. Nous ne possédons que fort peu de détails sur sa famille, et ne connaissons rien de véritablement intéressant sur les années de son enfance, jusqu’à l’âge de seize ans, époque où il fut admis à l’Académie navale sur la présentation d’un membre du Congrès, M. Benjamin Wood. Grâce à ses facultés naturelles et à son assiduité, il s’y distingua bientôt : il en sortit le dixième sur cinquante, avec le grade d’aspirant de marine. Le 1er décembre 1866, il était promu à celui d’enseigne et devenait successivement maître en mars 1868, et lieutenant en mars 1869.

Ce fut vers cette époque qu’étant envoyé rejoindre l’escadre américaine qui croisait dans les mers d’Europe, il fit la connaissance de miss Emma Wotton, qui fut plus tard mistress de Long. Le père de cette jeune fille, le capitaine Wotton, habitait le Havre, où il était à la tête de la Compagnie des Paquebots du Havre à New-York. Le capitaine Wotton tenait généreusement sa maison ouverte à tous ses compatriotes, et particulièrement aux officiers de la flotte. Ce fut grâce à cette circonstance que les deux jeunes gens se rencontrèrent et s’éprirent l’un de l’autre. De Long demanda au capitaine la main de sa fille ; mais, avant de l’obtenir, il fut rappelé à New-York. Peu de temps après, M. Wotton étant allé lui-même faire un voyage en Amérique, de Long réitéra, ses insistances auprès de lui et en obtint cette réponse : « Partez pour votre croisière dans les mers du sud de l’Amérique, et si, quand vous reviendrez, dans un an, vos sentiments, pus plus que ceux de ma fille, n’ont changé, elle sera votre femme. » joyeux de cette réponse, de Long partit rejoindre son navire, le Lancaster, qui l’attendait à Norfolk. Un peu avant son départ, de Long reçut la nouvelle de la mort de sa mère, avec laquelle il vivait à Williamsbourg ; son père était mort quelques années auparavant. Il dut donc revenir pour les obsèques, auxquelles assista M. Wotton, qui conduisit le deuil avec lui. Immédiatement après cette triste cérémonie, de Long repartit pour le sud. Mais comme deux des côtés les plus saillants de son caractère étaient l’énergie et la persévérance, il revint à New-York aussitôt sa croisière terminée, et se rendit directement chez le frère de sa fiancée, à qui il se présenta en lui adressant gaiement ces paroles : « Eh bien, Jack, me voici ; le temps est passé, je m’en vais la chercher. » À la vérité, l’année fixée par M. Wotton n’était pas encore complètement écoulée, quand de Long arriva au Havre et se présenta dans les bureaux de l’agence des Paquebots du Havre à New-York ; néanmoins le capitaine donna son consentement, et le mariage fut célébré abord du navire de guerre Shanenhoah, car on était alors au milieu de l’hiver 1870-71, époque pendant laquelle, on se le rappelle, tout mariage célébré en France était déclaré nul.

En 1873, de Long prit part, en qualité de second à bord de Sa Juniata, qui était commandée par le capitaine Braine, à l’expédition envoyée à la recherche du Polaris. Ce voyage lui fournit l’occasion de se distinguer par une entreprise des plus hardies, qui, sans doute plus tard, lui valut l’honneur d’être choisi pour commander la Jeannette. La Juniata se trouvant bloquée par les glaces, dans le port d’Upernavick, sur la côte occidentale du Groenland, il obtint de son commandant l’autorisation d’équiper une petite chaloupe à vapeur pour tenter de continuer les recherches plus au nord. Il surveilla lui-même l’armement de ce petit bâtiment, qui n’avait que trente-cinq pieds de long, et qui reçu le nom de Petite Juniata, et partit, avec un équipage d’élite, à la recherche du navire disparu et de l’équipage du capitaine Buddington. Il essaya d’abord de remonter la baie de Melville, en longeant la côte, pour traverser cette baie à la hauteur du cap York, qui était le but de son expédition ; mais craignant d’être pris dans les glacés, il dut renoncer à ce plan et chercher à trouver un passage au milieu des îles de glaces flottantes. Ces premières tentatives furent inutiles ; plusieurs fois même il fut obligé de rétrograder. Enfin, ayant eu la bonne fortune de trouver un passage ouvert, il s’avança droit dans la direction du cap York. Cinq jours après son départ, la Petite Juniata fut assaillie par une épouvantable tempête, à un moment où, pour économiser le combustible, toutes ses voiles étaient dehors. Pendant trente heures, il lui fallut lutter contre cette tempête arctique, mille fois plus terrible que celles des basses latitudes. À chaque instant, elle était menacée d’être écrasée au milieu des centaines d’icebergs qui l’entouraient, ou d’être ensevelie sous les débris de ces montagnes de glace qui, se heurtant les unes contre les autres, s’abîmaient en projetant au loin leurs éclats. Enfin, la tempête s’apaisa et la mer se calma. À ce moment, le cap York était en vue, à huit milles environ. De Long désirait ardemment y parvenir, mais il était inabordable par terre à cause des glaces qui bordaient le rivage. D’un autre côté, la Petite Juniata ne pouvait prolonger son voyage, faute de combustible, car le capitaine Braine avait donné l’ordre formel à de Long de regagner le port d’Upernavick dès qu’il aurait épuisé la moitié de sa provision de charbon. L’ordre de virer de bord fut donc donné, malgré le regret de de Long d’abandonner l’entreprise au moment où il touchait le but qu’il s’était proposé d’atteindre, et après tant de dangers courus. De retour à Upernavick, il trouva dans le port de cette station le navire la Tigress, qui, lui aussi, venait dans ces parages pour participer à la recherche du Polaris et de son équipage. De Long, désireux de poursuivre l’œuvre qu’il avait commencée, demanda au capitaine Grœr, qui commandait le navire, de l’accepter à son bord avec les gens qui l’avaient accompagné dans sa première tentative ; mais celui-ci, voulant se réserver en entier l’honneur de l’entreprise, lui refusa. Ce refus, toutefois, ne découragea point le jeune lieutenant ; il essaya de reprendre une seconde fois le chemin du nord avec sa chaloupe, et ne fut arrêté que par le manque de charbon.

D’après un dicton du sud : « Quiconque a bu des eaux du Rio Grande y reviendra avant de mourir » ; mais on pourrait dire, avec non moins de raison, pour le nord : « Quiconque a vu les glaces éternelles de l’Arctique voudra les revoir. » De Long n’avait point échappé à l’influence fascinatrice de ces régions : le premier voyage dont nous venons de retracer un des épisodes avait fait naître en lui un véritable enthousiasme pour tout ce qui a trait aux régions polaires : de retour dans sa patrie, il se mit à étudier avec ardeur tous les ouvrages écrits sur le pôle nord, et à lire les relations des hardis marins qui, au péril de leur vie, se sont aventurés dans ces régions mystérieuses. Le tableau de leurs misères et de leurs infortunes, loin de ralentir son ardeur, ne faisait que l’exciter ; et comme l’enthousiasme est contagieux, il savait inspirer aux autres les sentiments qui l’animaient. D’ailleurs, personne plus que lui ne déploya de persévérance et de réflexion dans les préparatifs de l’expédition de la Jeannette.

GEORGE W. DE LONGCommandant de la JeannetteNé en 1844 à New-York.Mort le ? (fin octobre 1881).
CH.W. CHIPPLieutenant de la JeannetteNè à Kingston en 1848.très probablement perdu en mer.

De Long est un homme d’un physique superbe et d’une constitution vigoureuse ; il a six pieds de haut et des formes véritablement athlétiques. Ceux qui ont vécu dans son intimité le dépeignent comme un homme d’excellentes manières, conteur agréable et spirituel. C’est, en outre, un observateur clairvoyant des hommes comme des choses, à qui ses voyages ont fourni un fonds sérieux de connaissances. Il aime sa profession avec fierté.

Charles W. Chipp,

premier lieutenant.

 

Le lieutenant Chipp, qui part en qualité d’officier exécutif à bord de la Jeannette, n’en est pas non plus à ses débuts dans la navigation des mors arctiques : lui aussi était abord de la Juniata, dans son voyage à la recherche du Polaris, pendant lequel il fut toujours le premier à s’offrir comme volontaire dès qu’une mission périlleuse se présenta. C’est ainsi qu’il accompagnait de Long dans sa dangereuse expédition à bord de la Petite Juniata.

Le lieutenant Chipp est né à Kingston, dans l’état de New-York, en 1818. Il entra à l’Académie navale en 1803. Il passa ses premières années de service maritime en qualité d’aspirant à bord du Contocook, de l’escadre des Indes occidentales, en 1868 ; du Franklin, dans l’escadre d’Europe, et du Gvard. Il s’embarqua ensuite, comme enseigne, à bord de l’Alaska, de l’escadre d’Asie, à laquelle il resta attaché pendant trois ans, avec le même grade. Cette croisière, tout en lui fournissant l’occasion d’acquérir de l’expérience, lui permit aussi d’étudier les sujets les plus variés et les plus intéressants. Le 12 juillet 1870, il fut promu au grade de master et envoyé ensuite en Corée, où il prit part à l’attaque des forts de la rivière Sallé. Étant à bord du Nonocacy, il participa aux combats du 1er, du 9, du 10 et du 11 juin 1871, et prit le commandement de la compagnie de Mokee, quand ce brave officier fut tué à l’assaut du fort du Condi.

Plus tard, il assista avec ses collègues à une grande fête donnée en leur honneur par la Cour de Siam à Bankok. Ce fut au mois de février 1873, qu’il se rendit à bord de la Juniata. Après son retour, il fut envoyé à Santiago de Cuba pour arrêter le massacre des derniers prisonniers du Virginius, et ramener ceux-ci aux États-Unis. En 1874, il retourna à bord de la Juniata qui se rendait à Key-West, rendez-vous d’où elle fut envoyée rejoindre l’escadre d’Europe, et croisa depuis les côtes de Norvège jusqu’à celles du Levant. Attaché au mois de mai 1876 au service des torpilles, à Newport, il passait, au mois de septembre de la même année, à bord de l’Ashuelot, qui faisait partie de l’escadre d’Asie. Il y resta jusqu’en mars 1879, époque où il reçut l’ordre de rejoindre la Jeannette. Il a donc eu neuf ans et huit mois de service effectif à la mer. Sous tous les rapports, c’est un marin instruit et pratique, et son choix a reçu l’approbation de tous les marins.

 

John Wilson Danenhower,

deuxième lieutenant.

 

Maître Danenhower, qui occupe le troisième rang hiérarchique à bord de la Jeannette, est né à Chicago, dans l’Illinois, le 30 septembre 1849. Il est entré à l’Académie de marine en 1866. En 1870, il était à bord du Plymouth en qualité d’aspirant, qu’il conserva pendant deux ans soit à bord de ce navire, soit à bord de la Juniata, qui, tous les deux, faisaient partie de l’escadre d’Europe. Il fut ensuite promu au grade d’enseigne après un examen au concours et servit sur le Portsmouth pendant les voyages d’exploration et d’hydrographie faits par ce navire de 1871 à 1874. Il fut alors invité à passer l’examen de master, à la suite duquel il reçut sa commission. En 1874, il fut attaché à l’observatoire naval de Washington, d’où il passa au service des signaux, dirigé par le commodore Parker. Il s’embarqua plus tard sur le Vandalia, où il resta jusqu’en juillet 1878, époque où il reçut l’ordre d’aller au Havre rejoindre la Jeannette. Maître Danenhower est un jeune homme d’un mérite supérieur à celui de la moyenne des officiers distingués de la marine des États-Unis, qui se font d’ordinaire remarquer par leurs qualités professionnelles et leur savoir. Depuis qu’il est entré dans la marine, il a des états de service effectif plus chargés qu’aucun des officiers de sa promotion. Pendant l’expédition de la Jeannette, il remplira le rôle d’hydrographe en même temps que celui de lieutenant en second.

JOHN W. DANENHOWERDeuxième lieutenant la JeannetteNé le 30 septembre 1849, à Chicago, et revenu à New-York, – un œil perdu, l’autre compromis.
GEORGE W. MELVILLEIngénieur de la JeannetteNé le 19 janvier 1841, à New-York, Sauvé.
La Jeannette complète son chargement dans la baie Saint-Laurent.
 

Georges W. Melville,

sous-ingénieur de la marine.

 

Les glaces des mers arctiques ne sont point inconnues non plus au sous-ingénieur Melville, qui remplissait les fonctions d’ingénieur en chef à bord de la Tigress, pendant le voyage de celle-ci, dont nous avons parlé. Ses services furent tellement appréciés, pendant le cours de cette expédition, que le commandant de la Tigress en fit l’éloge le plus flatteur dans le rapport qu’il adressa, après son retour, au secrétaire de la marine. D’ailleurs, M. Melville possède la confiance entière de son commandant actuel, le lieutenant de Long. À bord de la Jeannette, outre son service professionnel, il sera chargé de plusieurs branches des travaux scientifiques que doivent entreprendre les membres de l’expédition, de la partie minéralogique et de la partie zoologique.

L’ingénieur Melville est né à New-York, le 19 janvier 1841, et suivit les cours d’une école publique de cette ville. Après avoir fait tout son stage d’ingénieur, il entra dans la marine en 1861, avec le grade de sous-ingénieur de 3e classe. Pendant la guerre de sécession, il servit abord des navires de guerre Michigan, Dakota et Wachusett ; il passa ensuite dans le service des torpilles de l’escadre de blocus du Nord et de l’Atlantique, où il fut élevé au grade de sous-ingénieur de 2e classe en 1862. Après la guerre, il fut nommé sous-ingénieur de 1er classe et s’embarqua sur le Chattanoga. Il fut ensuite envoyé successivement à bord du Tacony, du Penobscot, du Lancaster et du Portsmouth. Il quitta ce dernier navire et entra aux chantiers de la marine à Boston, puis à New-York et enfin à Philadelphie. Appelé de nouveau à la mer en 1873, il s’embarqua sur la Tigress qu’il quitta pour le Tennessee. Il venait de passer son examen pour le grade d’ingénieur en chef, dans lequel il avait obtenu le 5e rang sur la liste, quand il fut appelé à bord de la Jeannette. M. Melville a douze ans et neuf mois de mer ; c’est un homme d’une taille colossale et dans la force de l’âge.

 

Le docteur James Markam Marshal Ambler,

chirurgien de « la Jeannette ».

 

Le docteur Ambler, fils du docteur Carey Ambler, est né dans le comté de Fauquier (État de Virginie), le 30 décembre 1818. Il a fait ses premières études à Washington et à Lee College, dans son pays natal. Il se rendit ensuite à l’Université du Maryland, où il prit ses différents grades. Après l’obtention de son diplôme ; de docteur, il pratiqua la médecine, pendant trois ans, à Baltimore. Il quitta ensuite la médecine civile en 1874, pour entrer dans la marine en qualité d’aide-chirurgien. Il fut d’abord attaché à bord de la corvette Kanaas, et fit, avec celle-ci, une croisière dans les Antilles. Il fut ensuite envoyé abord du vaisseau amiral Minnesota, qui resta pendant deux ans stationné dans le port de New-York. De là, il entra à l’hôpital de la marine. Enfin, en 1877, il fut promu au grade de chirurgien.

JÊROME J. COLLINSCorrespoudant du New-York HeraldNé à Cork (Irlande), mort le ? (fin octobre 1881).
LE D’JAMES MM. AMBLERMédeein de la JeannetteNé le 30 décembre 1884, en Virginie, mort le ? (fin octobre 1881).

C’est un homme de six pieds, fortement constitué et d’un physique agréable. Comme médecin, il est entièrement dévoué à son art, et fera, nous en sommes sûrs, tout ce qui sera en son pouvoir pour remplir noblement sa mission humanitaire.

 

Jérôme Collins, météorologiste,

correspondant du New-York Herald.

 

Jérôme J. Collins est né à Cork, en Irlande, le 17 octobre 1841 ; son frère était négociant et manufacturier, et, pendant vingt-deux ans, c’est-à-dire jusqu’en 1861, fit partie du conseil de la ville. Le jeune Jérôme Collins fit ses études à l’école de Mansion-House, qui était dirigée par les frères de Saint-Vincent. De très bonne heure, son goût pour les sciences exactes se dessina. À l’âge de seize ans à peine, il devenait l’élève de sir John Benson, ingénieur du port de la ville de Cork. Sous l’habile direction de ce maître, le jeune élève fit de rapides progrès dans son art, et fut bientôt nommé sous-ingénieur de la ville. En cette qualité il fut chargé d’un grand nombre de travaux importants sur la rivière ou dans le port ; mais celui qui lut fit le plus d’honneur est la construction du pont de North-Gate, sur lequel son nom a été gravé, et qui lui valut les félicitations de ses concitoyens.

Voyant que son pays natal ne pouvait offrir un champ assez vaste pour son activité, il se rendit en Angleterre. La crise financière de 1866 étant survenue, il se décida à passer dans le Nouveau-Monde, où il ne tarda pas à se créer une place honorable par les travaux remarquables dont il dirigea l’exécution.

Toutefois ce n’est point comme ingénieur, mais comme météorologiste, que M. Collins a surtout sa renommée, car ce n’est point par un novice que les variations atmosphériques doivent être observées à bord de la Jeannette ; M. Collins a, en effet, droit à l’éternelle reconnaissance de ses contemporains et des générations à venir, pour sa belle découverte des lois qui président au développement et à la transmission des tempêtes à travers l’Océan Atlantique, lois qui permettent de prédire plusieurs jours à l’avance l’arrivée des tempêtes sur les côtes d’Europe. Cette seule découverte le place certainement au rang des premiers savants de notre époque.

Mais, à côté du savant, existe l’homme honnête, courageux, affectionné, gai et tendre, qui laisse derrière lui un souvenir cher à tous ceux qui ont ressenti le charme qu’il sait exercer sur tous ceux qui l’entourent.

 

Raymond L. Newcomb, naturaliste

taxidermiste de l’expédition.

 

Raymond L. Newcomb est né à Salem, dans le Massachussets, en janvier 1840 ; c’est un des descendants des Newcomb qui se distinguèrent pendant la révolution de 1776. Son grand-père prit part à la bataille de Lexington et servit, pendant toute la durée de la guerre, dans une compagnie d’artillerie. Son père est encore dans le commerce à Salem.

CAPITAINE WILLIAM DUNBARPhoto des glaces de la JeannetteNé en 1834 à New-Londres (Connecticut), très probablement perdu en mer.
RAYMOND L. NEWCOMBNaturaliste de la JeannetteNé à Salem, janvier 1849. Sauvé.

Comme taxidermiste et comme ornithologiste, il jouit de l’estime des sociétés savantes. D’ailleurs, c’est à la recommandation du professeur Baird, du Smithsonian-Institut, qu’il doit la place qu’il occupe à bord de la Jeannette. En 1878, il avait déjà été envoyé, par ce corps savant, sur les bancs de Terre-Neuve, pour y recueillir des spécimens d’histoire naturelle. Il est certain que les travaux qu’il accomplira à bord de la Jeannette, lorsqu’ils viendront au jour, seront accueillis avec une vive reconnaissance par le monde savant, dont il sera le seul représentant dans cette exploration des mers polaires.

 

Le capitaine Dunbar,

pilote des glaces.

 

Le poste de pilote des glaces est de ceux qui demandent une longue expérience de la navigation dans les mers polaires, jointe aussi à beaucoup de prudence ; aussi a-t-on choisi, pour remplir ce poste important à bord de la Jeannette, un homme qui fréquente les mers glaciales depuis trente-cinq années.

Le capitaine Dunbar est né en 1844 à New-London, dans le Connecticut. Depuis sa jeunesse, sauf dans les quatre années qui viennent de s’écouler, pendant lesquelles il a été engagé à la chasse du phoque et de l’éléphant de mer, il a toujours navigué à bord de navires baleiniers. Pendant sa longue carrière de marin, il a fait la pêche dans l’Océan Atlantique aussi bien que dans l’Océan Pacifique, et dans les mers arctiques comme dans les mers antarctiques. Homme d’un esprit inventif et plein d’inspirations subites dans les moments difficiles, il peut rendre les plus grands services à une expédition dans les mers polaires, où il faut toujours compter avec l’imprévu.

M. Dunbar termine la liste des membres de l’expédition que nous pouvons considérer comme formant l’état-major. Il nous reste donc maintenant à donner la liste des hommes d’élite choisis par le lieutenant de Long pour composer l’équipage de la Jeannette. Nombre d’entre eux mériteraient certes, une mention spéciale pour leurs états de services et leur conduite héroïque dans certaines circonstances de cette terrible expédition ; mais la suite du récit mettra en lumière, nous l’espérons, les mérites respectifs de chacun. Au reste, nous aurons à revenir sur quelques-uns d’entre eux.

Liste des hommes de l’équipage.Jack COLE, maître d’équipage.Carl-August GORTE, matelot.Alfred SWEETMAN, maître charpentier.Peter-Edward JOHNSON, matelot.William NINDERMAN, charpentier.Henry WILSON, matelot.George-Washington BOYD, charpentier.Edward STAR, matelot.Walter LEE, machiniste.Hans ERICKSON, matelot.George LANDERTACK, chauffeur.Henry-Hansen KNACK, matelot.Louis-Philipp NOROS, matelot.Nelse IVERSON, matelot.Herbert-Wood LEACH, matelot.Albert George KUEHNE, matelot.James H. BAUTLET, matelot,Ah SAM, cuisinier (chinois).Henri-David WARREN, matelot.Long SING, boulanger (chinois).George-Stephenson MAKSON, matelot.ALEXIS chasseur indien.Adolf DUESSLER, matelot.ANEQUIN, chasseur indien.
CHAPITRE DEUXIÈMEDépart de San Francisco

Triste état de l’atmosphère pendant les jours qui précèdent le départ de la Jeannette. – Baie de San Francisco. – Aspect du port et des jetées au moment du départ. – Ce qui se passe à bord du navire. – Adieux du capitaine de Long et de sa femme. – Courage de cette dernière.

Depuis plusieurs jours, le temps est inconstant et désagréable. Dimanche, les vents fixés à l’ouest soufflaient avec une extrême violence : des nuages d’une poussière aveuglante rendaient presque impossible toute promenade, au dehors aussi bien que dans les rues de San Francisco, et les habiles prédisaient une période de mauvais temps. Hier, cependant, le vent s’est modéré, mais vers le soir, un gros nuage sombre s’est élevé de la mer et une pluie fine s’est mise à tomber. « La Jeannette aura vilain temps pour partir demain », se répétaient les flâneurs autour de la Bourse des marchandises ; « quelles ténèbres du diable elle aura pour quitter la côte ! » ajoutaient d’autres augures de malheur. Ce matin, le ciel était encore très chargé ; cependant quelques changements favorables se sont opérés peu à peu et, vers midi, le soleil se hasarda à se montrer de temps en temps entre de gros nuages. D’un autre côté, les embarcations qui rentraient au port rapportaient qu’au dehors une brise légère soufflait du sud-ouest, c’est-à-dire dans une direction favorable à la Jeannette. Or, comme le désir est le père de la pensée, on prétendait que la nature s’était apaisée et avait imposé silence aux éléments pour favoriser le départ de l’expédition.

La baie de San Francisco, si belle dans ses proportions, n’a pas d’égale parmi tous les ports de l’univers sous le rapport de la hardiesse et du pittoresque des collines qui forment son enceinte ; et celui qui, du sommet des collines étagées qui forment Telegraph-Hill (nom si cher aux premiers Californiens), eût plongé ses regards dans la baie qui s’étend à ses pieds, eût joui d’un de ces spectacles qu’on n’oublie jamais.

La Jeannette reposait sur ses ancres à moitié chemin entre la terre ferme et l’île Yerba Buena. On voyait les matelots se promener nonchalamment et avec insouciance sur le pont ou accoudés sur la lisse, portant leurs regards du côté de la ville de la richesse et du plaisir dont peut-être ils ne parcourront plus jamais les rues. Ils étaient presque muets. Le silence qui précède ordinairement le bruit et l’agitation du moment des adieux régnait alors sur le pont du navire. Tout était prêt pour le départ et on n’attendait plus que le capitaine. Tous les bateaux de plaisance de la flotille du Yacht-Club de San Francisco étaient là autour de la Jeannette silencieuse, allant et venant au milieu d’une multitude d’autres embarcations de tous genres et de toutes dimensions, depuis le schooner coquet avec toutes ses voiles dehors jusqu’à l’impertinent petit you-you.

À la vérité, on s’attendait à traverser une foule nombreuse, rassemblée le long des jetées pour assister au départ de la Jeannette, mais on ne pensait pas rencontrer une foule si enthousiaste et si avide de voir le capitaine de Long au moment où il quitterait la rive. Le moment du départ est fixé pour trois heures, et, si le capitaine n’était pas encore à bord, du moins il arrivait sur le port.

Quels « Cheers » et quels « Good-Bye » sortirent alors comme une explosion de la poitrine de tous les gens rassemblés sur le port et sur les jetées ! Le capitaine arrivait en compagnie de mistress de Long et de Jérôme Collins. En fendant la foule, ces messieurs levèrent leurs chapeaux pour répondre aux acclamations dont ils étaient l’objet. L’enthousiasme était alors à son comble aussi bien parmi les simples marins qui encombraient la jetée, que chez le millionnaire qui était venu là pour honorer l’intelligence et le courage. Sur tous les points d’où l’on pouvait apercevoir la Jeannette, depuis les quais et les jetées jusqu’au sommet de Telegraph-Hill, on ne voyait qu’une foule grouillante, agitée, qui, depuis des heures, attendait le départ du navire. La jetée Mieg elle-même, qui se trouve au nord de la ville, était encombrée de trois fois plus de monde qu’elle n’en pouvait porter ; mais la police était impuissante à contenir la foule. Bon nombre de voitures n’avaient pu arriver jusqu’au port, et les personnes qui s’y trouvaient avaient été obligées de descendre pour s’approcher et contempler une dernière fois la Jeannette, au moment, où celle-ci, levant ses ancres, faisait ses préparatifs de départ. Réellement le spectacle que présentait la baie tenait plus de la féerie que de la réalité. Partout on distinguait les blanches voiles du Yacht-Club sillonnant rapidement la baie sous l’impulsion d’une brise fraîche et donnant un air animé à la surface des flots. Avec une jumelle, il était impossible de lire les noms de toutes ces embarcations, mais on pouvait cependant reconnaître le Frolie, au commodore Harrison, le Consuelo, le Cornelius O’Connor, l’Axaba, le Starled-Fanon, le Clara, le Magic, l’Ida, le Sappho-Livvehj, le Virgeis, le Laura, le Queen of the Bay, le Tivilight, le ileryflower, l’Enseratd, etc.

Maintenant laissons, pour quelques instants, la parole à M. Collins : « L’ancre est levée, dit-il, le propulseur se meut lentement, poussant la Jeannette en avant, juste assez pour nous faire comprendre que nous sommes en route. Les chapeaux et les mouchoirs que l’on agite sur les jetées d’embarquement et même de tous les points de San Francisco d’où l’on peut nous voir nous disent assez que les bons habitants de cette ville nous accompagnent de leurs vœux, quoique nous ne puissions les entendre. Le capitaine et le premier lieutenant sont sur le pont : l’ordre de pousser trois cheers est donné ; les matelots grimpent dans les agrès ; le sifflet de la machine donne le signal : Hurrah ! hurrah ! nous sommes définitivement partis. La flottille du Yacht-Club, sous les ordres du commodore Harrison, nous accompagne. Avec quelle grâce ces jolies embarcations, comme autant de mouettes aux ailes blanches, effleurent la surface des flots, à côté de notre navire qui s’avance majestueusement vers le goulet ! Elles ne nous quitteront qu’à la barre.

Pendant ce temps-là, mistress de Long était dans la cabine avec son mari, M. William Bradford, l’artiste qui a représenté avec tant de bonheur les scènes arctiques, et M. Brooks, de l’Académie des sciences. Elle se montrait pleine d’espérance et prédisait à l’expédition un véritable succès. Aimable et charmante femme ! tout le monde avait appris à la respecter, elle avait été la vie de notre famille de la Jeannette, depuis que cette famille avait été organisée. Si nous désirions acheter quelque objet pour notre usage, nous ne le faisions jamais sans la consulter.

Cependant le moment suprême de la séparation approche, la Jeannette a passé la Porte-d’Or. Boum ! boum ! c’est le canon qui salue la Jeannette. La batterie vomit des nuages de fumée blanche et épaisse qui s’en vont en roulant sur la mer. Nous entendons les acclamations de la garnison et nous y répondons. C’est l’armée qui salue la marine : Blood is thicher than water. Adieu, braves soldats, puissent toujours vos canons saluer ainsi vos amis et devenir la terreur de nos ennemis ! À ce moment, les embarcations de plaisance, encombrées de spectateurs qui forment des vœux pour le succès de notre entreprise, se rangent sur l’arrière de la Jeannette, et baissent leurs pavillons en signe d’adieux. De notre côté, nous agitons nos chapeaux et nos mouchoirs ; mais le navire trace toujours son sillon dans les flots sous l’impulsion d’une légère brise. Nous voici arrivés au niveau des deux pointes de la baie ; la Jeannette va franchir le seuil de l’immense Océan Pacifique pour s’éloigner vers l’ouest, afin d’éviter les vents contraires du nord-ouest qui règnent le long de la côte. Les petits remorqueurs qui couraient devant nous commencent à ressentir l’effet de la houle. Le commandant de Long fait un signal au commodore Harrison de s’approcher avec le Frolie pour prendre mistress de Long et quelques amis restés à bord et la ramener à terre. Le Frolie s’avance ; un canot de la Jeannnette est descendu à la mer. C’est l’heure des adieux, l’heure où le mari et la femme vont se séparer. En ce moment cruel, bien des femmes eussent faibli. Mistress de Long, avec un courage vraiment héroïque, tendit la main à chacun des officiers et, leur adressant quelques paroles d’espérance, leur dit : "Au revoir !" Plus d’un spectateur désintéressé de cette scène émouvante eût pu taxer cette femme d’indifférence, car c’était l’heure où son mari, plus de la moitié d’elle-même, allait se séparer d’elle pour affronter les dangers d’une mer inconnue, et quelle mer, l’Océan glacial ! Cependant il eût pu aussi distinguer les larmes qui roulaient dans tous les yeux. »

« Enfin, dit M. Bradford, racontant cette scène, de Long, se tournant vers moi, me dit : "Il est temps. " Il descendit alors avec sa femme dans le canot, où je les suivis. Quand tout fut prêt : "Nage, dit-il aux rameurs en leur désignant le Frolie de la main. " Il est impossible de dépeindre le silence poignant, oppressé, qui régna dans le canut pendant ce trajet. Pas un mot ne fut échangé ; les coups secs des avirons contre les tolets et le clapotis des lames à l’avant du bateau étaient les seuls bruits qui frappaient nos oreilles. Quand nous fûmes rangés le long du petit yacht, de Long pressa sa femme dans ses bras, et leurs lèvres se rencontrèrent ; puis, lui serrant une dernière fois la main, il lui dit simplement : "Au revoir !" Alors, mistress de Long monta sur le yacht, où, se penchant sur la lisse pour considérer encore une fois son mari, elle le contemplait avec des yeux où il était facile de reconnaître à quelles terribles angoisses elle était en proie, tandis que, du fond de son cœur, une ardente prière montait au ciel, pour amener la bénédiction de l’Éternel sur son voyage. Les regards et l’attitude de sa femme parurent faire hésiter de Long ; mais, reprenant aussitôt de l’empire sur lui-même, il se retourna vers les matelots, et d’une voix forte leur dit : "Nagez, mes amis. " Ceux-ci se courbèrent à l’instant sur leurs avirons, et quelques minutes plus tard le canot abordait la Jeannette. Nous suivions chacun de ses mouvements ; nous vîmes de Long gravir les degrés de l’échelle, et, aussitôt qu’il fut à bord, la Jeannette s’éloigna. Nous restâmes sur le pont du Frolie et, sans échanger une parole, nous suivions des yeux la Jeannette qui se confondait peu à peu avec l’horizon. Quand elle eut disparu, mistress de Long me dit : "Nous descendrons à l’intérieur, si vous le voulez bien, car je sens le besoin d’être seule. " Je me rendis aussitôt à son désir. Mais dès que nous fûmes descendus, tel était l’empire que cette femme possédait sur elle-même, peut-être aussi aidée par la confiance inébranlable qu’elle avait dans l’entreprise de son mari, elle reprit complètement ses sens et entama la conversation. Jamais je n’ai vu, et je n’espère plus voir une seconde fois chez une femme un courage semblable à celui dont mistress de Long me donna l’exemple en cette circonstance. »

CHAPITRE TROISIÈMETraversée de San Francisco à Oonalachka

État des esprits à bord de la Jeannette quand on eut perdu de vue les forts de San Francisco. – Le mal de mer. – Le calme. – Superbes couchers de soleil. – Occupations du naturaliste. – Les Albatros,– Aménagement à bord. – La cabane de M. Gollins. – Ah Sam, le chef chinois, et ses talents culinaires. – Le Steward. – Qualités et défauts de la Jeannette. – La vie à bord. – Les attributions de chacun. – Un courant. – Les brouillards. – L’île d’Ougalgo. – Description de cette île par MM. Collins et Newcomb. – Illiouliouk.

Ce fut le soir seulement, en nous avançant de plus en plus sur l’Océan Pacifique, que nous comprîmes enfin que notre voyage était commencé. Nous pûmes alors envisager l’avenir et songer à toutes les éventualités qu’il nous réservait peut-être. À ce moment, pas un de nous ne laissa échapper un mot faisant allusion au but de notre voyage ; mais il était facile de comprendre, en voyant nos fronts soucieux, qu’un même objet absorbait toutes nos pensées. Quand l’heure du dîner arriva,– c’était notre premier repas abord,– la conversation roula uniquement sur les mets qui nous furent servis. Il était évident qu’un accord tacite régnait entre nous, pour ne point amener la conversation sur le sujet qui nous préoccupait tous ; chacun préférant rester livré à ses réflexions. Naturellement des liens invisibles et difficiles à rompre rattachaient encore le cœur d’un bon nombre d’entre nous à cette terre que nous venions d’abandonner.

Le départ d’amis et de parents qu’on venait de quitter, la séparation toujours triste d’un mari et de sa femme dans de telles circonstances étaient des motifs suffisants pour imposer le silence au plus loquace d’entre nous, n’eût-il été que simple spectateur de ces adieux touchants.

Au reste, nous sentions tous qu’il fallait deux ou trois jours pour nous accoutumer complètement à notre nouvelle existence, et reléguer au fond de notre mémoire, à l’état de simple souvenir, notre attachement pour la terre ferme.

Pour ma part, j’étais animé des meilleures intentions et parfaitement prêt à me plier à toutes les exigences de la situation, et peut-être y serais-je parvenu, si un certain mouvement phénoménal, proportionné naturellement à la force des vagues, n’était venu me convaincre que, pour être réellement philosophe, un homme doit rester à terre. Les anciennes, mais toujours renaissantes sensations du mal de mer furent poussées, chez moi, à un degré d’intensité que je n’avais jamais, ou du moins que j’avais rarement éprouvé : tous les plaisirs de la table me devinrent indifférents pendant deux jours environ, et me firent préférer la position horizontale. Eût-on laissé tout le pont à ma disposition, on ne m’eût pas décidé à monter l’échelle ; non, on ne m’eût pas même décidé à mettre le pied sur le premier échelon. Quoique chargée autant qu’elle pouvait l’être sans dépasser les limites de la prudence, la Jeannette faisait preuve d’une trop grande mobilité et produisait, en effet, sur un pauvre homme de terre, des désastres si graves et si pénibles que, je l’avoue, je ne ménageai pas les expressions les moins flatteuses à l’égard des marins en général, mais surtout à l’égard du constructeur de notre navire en particulier.

D’autres, au reste, partageaient ma misère. Je pouvais entendre, en effet, des bruits non équivoques qui annonçaient assez que les propriétaires de certaines autres cabines du carré avaient gravement à se plaindre et payaient religieusement le tribut d’usage au dieu de la mer. Je ne veux citer aucun nom, mais le nombre des malades était grand, malgré les efforts de certains d’entre nous pour cacher leur détresse. Efforts en vérité trop héroïques dans une circonstance aussi dénuée de poésie, surtout quand les preuves les plus palpables attestaient que le tyran, la mer, les tenait dans ses griffes et les secouait sans merci ; mieux valait reconnaître franchement sa faiblesse. Il est des gens qui ne veulent jamais l’avouer, d’autres qui sont francs. Notre pilote de glaces, le capitaine Dunbar, qui, pendant trente-cinq ans, a navigué à bord des baleiniers, m’a dit qu’il était toujours pris du mal de mer, lorsqu’il s’embarquait après plusieurs mois de séjour à terre. Quand un vieux loup de mer comme celui-là est malade, comment des gens appelés par vocation à vivre sur l’élément solide ne se ressentiraient-ils pas des hauts et des bas pendant les jours qu’ils passent à bord ? Néanmoins, comme avec le temps on triomphe de tous les obstacles, au bout de quelques jours nous étions habitués aux mouvements du navire et avions acquis le pied marin. À partir de ce moment, la vie redevint charmante, car, à bord d’un navire, pouvoir modeler ses mouvements sur ceux du roulis et du tangage, n’est rien moins qu’un immense progrès ; et devenir capable de conserver son déjeuner, en est incontestablement un plus immense encore ; mais venir se mettre à table et manger avec appétit est le plus immense qu’on puisse faire. Personne ne me contredira.

Le temps était extrêmement agréable : je parle, bien entendu, au point de vue du voyageur ; aux yeux du marin, il en était tout autrement : un calme délicieux, une mer tranquille, à peine ridée par quelques lames arrondies, berçait notre navire. Quelquefois même la surface de l’Océan était aussi unie que celle d’un étang. Rarement les vagues étaient assez fortes pour incommoder même un petit canot de plaisance. De temps en temps, une légère brise plissait l’eau, qui se confondait avec l’horizon et la faisait miroiter aux rayons du soleil. Pendant les douze premiers jours de notre voyage, la mer avait une teinte bleu-indigo superbe, mais si foncée qu’il eût été difficile d’imaginer que ses eaux étaient transparentes ; on eût dit plutôt une immense nappe de mercure ou d’huile, tant ses mouvements étaient lents et paresseux.

De grands rideaux de cumulus apparaissaient à l’horizon, s’élevaient vers le zénith, puis, quelques heures après, couvraient toute la voûte céleste. Mais bientôt la brise les chassait, laissant derrière eux un bleu intense, ou traînant quelques cirrhus floconneux, ressemblant à autant d’icebergs charriés par les courants de l’Océan. Parfois ces nuages prenaient les formes les plus fantastiques. Un soir, c’était un splendide coucher de soleil voilé par un rideau sombre aussi noir que l’encre, tranchant sur un fond doré resplendissant dont les teintes allaient en s’atténuant pour tourner au jaune et au vert. Souvent, au contraire, l’auréole du soleil rayonnait sur un fond noir de nuages sombres ; dans ce cas, les effets étaient renversés, les ombres se détachaient sur un fond de lumière superbe et donnaient au tableau une splendeur extraordinaire. Trop beaux pour durer quelques minutes, ces tableaux grandioses me laissaient juste le temps de retracer sur le papier leurs principaux caractères et la relation de leurs différentes parties et de noter quelques-unes de leurs teintes. Plus tard, je recommençais mon dessin avec plus de soin afin d’aider notre artiste à reproduire sur la toile les scènes sublimes que le créateur peignait pour nous dans le ciel. Jour par jour, ces scènes d’une admirable beauté se succédaient avec une merveilleuse variété, surtout vers le coucher du soleil. Pour moi, l’étude de la forme des nuages offre un intérêt particulier au point de vue de la connaissance du temps à venir. Bien que nous fussions isolés et réduits à nos propres observations, nous avons généralement prévu les changements de temps avec une grande exactitude pendant la première période de notre voyage vers le nord. Depuis notre départ, le 8 juillet, la température de l’eau a peu varié, à la surface de la mer, pendant les douze premiers jours de notre traversée. Aussitôt qu’elle baissa, nous pûmes observer un changement marqué dans sa couleur qui, du bleu foncé, passa au vert sale. Cette brusque variation fut pour nous l’indice de l’existence d’un courant qui nous eût entraînés au sud-sud-ouest si nous n’avions chauffé à haute pression. Mais son influence ne si fit pas longtemps sentir, et le 24 nous voguions dans des eaux tranquilles et de couleur bleu pâle dont la température allait en s’élevant à mesure que nous avancions. Comme cette température était notée à chaque heure, notre livre de loch porte une série de renseignements qui pourront être utiles à ceux qui voudront étudier les caractères physiques de l’Océan Pacifique.

Village Tchoutche.

Au sud du 50’ de latitude nord, le règne animal semblait limité aux oiseaux de mer, à leurs parasites et aux tortues.

Les occupations de notre naturaliste se bornèrent jusque-là à conserver, au moyen de composés arsenicaux, les dépouilles de quelques albatros voraces et confiants, qui persistaient à suivre le sillage du navire et à s’élancer sur tous les détritus d’aliments qu’on jetait par-dessus le bord. Mais quelques-uns de ces détritus cachaient un hameçon attaché à une ligne pendant à l’arrière. Quand un albatros avalait un de ses appétissants morceaux, il comprenait vite de quoi il s’agissait. Alors commençait un combat qui finissait toujours par la capture du pauvre volatile, lequel, tiré hors de son élément, venait échouer sur le pont. L’albatros, avec ses immenses ailes et ses pieds palmés, est dans l’impossibilité de s’échapper, car il ne peut prendre essor sur une surface plane et rigide. Il se bornait donc à battre des ailes, et restait prisonnier, promenant, avec un étonnement mêlé de frayeur, ses yeux de gazelle sur les gens de l’équipage et sur les agrès du navire.

Les albatros communs à queue courte, dont nous avons pris un bon nombre, mesurent de sept à huit pieds d’envergure. Leur hauteur, quand ils se tiennent droits, dépasse trente pouces. Chose étrange, ces oiseaux, qui vivent constamment sur la surface de l’Océan et qui dorment sur les vagues, ont le mal de mer comme le plus vulgaire terrien dès qu’ils sont sur le pont d’un navire. Tous ceux que nous avons pris chancelaient pendant un instant et expectoraient sur le pont tout le contenu de leur estomac. J’attribuai d’abord ce résultat à la frayeur, mais je remarquai ensuite que plusieurs de ces oiseaux, une heure après leur capture, laissaient tomber de leur bec une espèce de liquide ressemblant à une sécrétion analogue à la salive produite sous l’influence du mal de mer lorsque celui est au paroxysme de son intensité. Bien qu’ils n’aient pas l’air méchant, ces oiseaux vous frapperaient fort bien aux jambes ou vous briseraient un ou deux doigts, s’ils en trouvaient l’occasion. Pour se poser sur les flots, ils replient leurs longues ailes, véritables voiles triangulaires, d’un air aussi gauche et aussi embarrassé que possible. Lorsqu’ils veulent s’élever, on dirait qu’ils ont besoin d’emmagasiner de l’air sous eux, car ils s’ébattent rapidement avant de prendre leur essor. Au moment où ils s’abaissent pour prendre du repos, ils élèvent très haut l’extrémité de leurs ailes, de sorte que celles-ci forment un plan incliné ; arrivés près de la vague, ils allongent leurs pieds en avant comme pour prendre l’eau et s’arrêter. De cette façon ils peuvent descendre au milieu d’une mer très grosse sans être couverts par les vagues.

Tout le plumage, mais surtout les grandes plumes de ces oiseaux, donnent asile à une multitude de curieux parasites. Parmi ces derniers, il en est qui ont jusqu’à de pouce de long avec une grosseur proportionnée.

Pendant que nous étions au sud du 40’ de latitude, nous apercevions de temps en temps des tortues qui flottaient à la surface de la mer, quand celle-ci était calme. Cependant nous n’essayâmes d’en prendre aucune, ces amphibies ne valant pas à nos yeux la peine qu’on se dérangeât pour les capturer. D’ailleurs, les tortues, en général, ne méritent nullement la réputation que leur a faite Bardwell Slote. Aussi les laissâmes-nous dormir en paix et même ronfler, si tel était leur bon plaisir. Sous cette latitude, nous voyions aussi quelques poulets de la mère Carey et des pétrels tournoyer autour du navire. Plus au nord, les puffins, les goélands, les guillemots et quelques autres espèces firent leur apparition ; mais tous se tenaient, pour chercher leur nourriture, à une distance qui les mettait à l’abri des séductions du lard et des autres morceaux délicats et alléchants que nous avions l’intention de jeter à la mer, et qui eussent suffi pour entraîner la perte d’oiseaux moins défiants.

Vous ayant entretenu de la mer, du ciel et des oiseaux qui planent dans les airs, il n’est peut-être que temps d’appeler maintenant votre attention sur notre navire, de vous en dépeindre les qualités ; car c’est en lui que, pour un temps, se résumera notre univers.

Vous savez qu’à notre départ de San Francisco le navire était chargé jusqu’à couler bas, c’est-à-dire depuis la ligne du pont presque jusqu’à la quille. Il en résultait que son tirant d’eau était considérablement augmenté, et qu’avec une mer un peu houleuse, le pont était toujours humide et dépourvu de confort. Mais comme notre provision de charbon diminuait à raison de cinq tonnes par jour, la Jeannette se releva de bonne heure et nous eûmes alors les pieds secs. Cependant on ne pourrait employer un steamer très rapide pour les expéditions arctiques, à cause de l’énorme quantité de charbon qu’il faudrait emporter. Avec la vitesse qu’elle possède, la Jeannette pourra rendre tous les services qu’on peut attendre d’elle au milieu de la banquise, car, en employant simultanément les voiles et la vapeur, elle pourra acquérir une vitesse suffisante pour profiter d’une occasion favorable.

Toutes voiles dehors, la Jeannette porte : une grand-voile, un hunier et une voile de perroquet sur son grand mât ; une trinquette, une voile carrée ou hunier et une voile de perroquet sur son mât de misaine ; enfin une voile d’étai, un foc et un clinfoc sur son mât d’artimon ; en outre, un foc-ballon.

Toutes ces voiles neuves ont été confectionnées avec le plus grand soin à Mare Island. En outre, nous avons deux autres jeux de voiles de réserve prêts à servir, et dont l’un est complètement neuf. Les manœuvres courantes sont également neuves, et le mât de misaine, ainsi que le grand mal, sont pourvus de vergues, de flèches mobiles, qu’on peut manœuvrer du pont, ce qui évite aux matelots de grimper au sommet des mâts pour ferler les voiles. La mâture est solidement construite, avec l’inclinaison prononcée qu’on retrouve dans tout navire construit en Angleterre. Tout le monde se rappelle ce schooner long, bas, aux allures déhanchées, qui apparaît toujours dans les romans maritimes, juste au moment où le héros va dire ou faire quelque chose d’important. Eh bien, si la Jeannette