Le Notre Père - Collectif - E-Book

Le Notre Père E-Book

Collectif

0,0

Beschreibung

EditorialLes Pères ont largement commenté Le Notre Père, qui est la prière par excellence, et ce, non seulement dans le cadre de la catéchèse baptismale, mais aussi tout au long de leur vie. Dans le numéro 116 de Connaissance des Pères de l’Église, nous avons fait une présentation générale de leurs commentaires ; désormais, avec le changement de traduction de la sixième demande, nous sommes amenés à voir comment les Pères ont traduit et commenté cette demande. Après un aperçu des commentaires qu’ils en ont faits, Régis Courtray étudie « les traductions latines anciennes de cette sixième demande », ce qui l’amène à reprendre la question des traductions de la Bible, à constater leur diversité, avant de voir quelle interprétation les Pères en ont donnée et de mettre en évidence leur actualité. Puis Lorenzo Perrone explique comment, à partir du commentaire du Notre Père, Origène pose le problème de la tentation, comment il « nous suggère d’entendre les mots “Fais que nous n’entrions pas dans l’épreuve” comme s’ils signifiaient : “Fais que nous ne succombions pas à la tentation” » (p. 25). Plus largement, la tentation est donc vue par Origène « comme une chance que Dieu nous donne d’apercevoir l’utilité des épreuves et de nous connaître nous-mêmes grâce à elles » (p. 30). C’est déjà toute la question du combat spirituel, que reprendront les Pères du désert, qui est posée. Revenant au côté latin, Paul Mattei fait ressortir l’apport de Cyprien de Carthage, en proposant, tout d’abord, une nouvelle traduction de son commentaire de la sixième demande du Notre Père de l’évangile de Matthieu, et en dégageant son enjeu, sans oublier l’influence de Tertullien.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 121

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



« Ne nous laisse pas entrer dans la tentation. L’Écriture nous montre dans ces paroles que celui qui n’a pas parfaitement pardonné à ceux qui l’offensent et qui n’a pas offert à Dieu son cœur pur de toute tristesse, illuminé par la lumière de la réconciliation avec le prochain, manquera la grâce des biens pour lesquels il a prié et, par un vaste jugement, sera livré à la tentation et au malin, afin d’apprendre à se purifier de ses fautes en cessant de blâmer les autres. La tentation veut dire ici la loi du péché, que ne portait pas le premier homme quand il fut créé […].

Car selon l’Écriture, il y a deux modes de tentations. L’un porte au plaisir, l’autre à la douleur. L’un est délibéré, l’autre involontaire. L’un engendre le péché, et il nous a été ordonné par l’enseignement du Seigneur de prier pour ne pas y entrer, quand il dit : “Ne nous laisse pas entrer dans la tentation.” L’autre protège du péché, en renversant par des adjonctions volontaires de peines notre penchant à l’aimer […].

Mais nous, dès lors que nous avons découvert les desseins du malin, détachons-nous de la tentation volontaire, afin de pas écarter de l’amour divin notre désir, et endurons noblement, avec patience, la tentation involontaire qui nous arrive, afin de manifester que nous avons préféré à la nature le Créateur de la nature. »

Maxime le Confesseur

Commentaire du Notre Père.

Sommaire

Le Notre Père

À propos de la nouvelle traduction

CPE n° 148

Éditorial — Marie-Anne VANNIER

Quelques réflexions patristiques sur la sixième demande du Notre Père — Marie-Anne VANNIER

Les traductions latines de la sixième demande du Notre Père — Régis COURTRAY

La tentation salutaire : l’interprétation origénienne de la sixième demande du Notre Père — Lorenzo PERRONE

« Et ne soumets pas à la tentation » (Mt 6, 13a). La sixième demande du Pater dans Cyprien de Carthage, De dominica oratione 25-26 — Paul MATTEI

Ne nos inferas/inducas in temptationem (Mt 6, 13). La sixième demande du Notre Père selon S. Augustin — Jaime GARCÍA ALVAREZ

Actualité des Pères de l’Église

Éditorial

Les Pères ont largement commenté le Notre Père, qui est la prière par excellence, et ce, non seulement dans le cadre de la catéchèse baptismale, mais aussi tout au long de leur vie.

Dans le numéro 116 de Connaissance des Pères de l’Église, nous avons fait une présentation générale de leurs commentaires ; désormais, avec le changement de traduction de la sixième demande, nous sommes amenés à voir comment les Pères ont traduit et commenté cette demande. Après un aperçu des commentaires qu’ils en ont faits, Régis Courtray étudie « les traductions latines anciennes de cette sixième demande », ce qui l’amène à reprendre la question des traductions de la Bible, à constater leur diversité, avant de voir quelle interprétation les Pères en ont donnée et de mettre en évidence leur actualité.

Puis Lorenzo Perrone explique comment, à partir du commentaire du Notre Père, Origène pose le problème de la tentation, comment il « nous suggère d’entendre les mots “Fais que nous n’entrions pas dans l’épreuve” comme s’ils signifiaient : “Fais que nous ne succombions pas à la tentation” » (p. 25). Plus largement, la tentation est donc vue par Origène « comme une chance que Dieu nous donne d’apercevoir l’utilité des épreuves et de nous connaître nous-mêmes grâce à elles » (p. 30). C’est déjà toute la question du combat spirituel, que reprendront les Pères du désert, qui est posée.

Revenant au côté latin, Paul Mattei fait ressortir l’apport de Cyprien de Carthage, en proposant, tout d’abord, une nouvelle traduction de son commentaire de la sixième demande du Notre Père de l’évangile de Matthieu, et en dégageant son enjeu, sans oublier l’influence de Tertullien.

Finalement, Jaime García Alvarez reprend les différents commentaires qu’Augustin consacre au Notre Père et précise comment Augustin envisage la question de la tentation, ce qui permet aussi de comprendre quelles sont les analogies et les différences avec Origène.

Recherchant toujours l’hebraica veritas, les Pères se sont efforcés de trouver la traduction la plus juste de la sixième demande du Notre Père et en ont dégagé l’enjeu. Ainsi ont-ils tracé un chemin qu’il est bon de revisiter au moment où une modification intervient dans la traduction du Notre Père.

Marie-Anne VANNIER

Quelques réflexions patristiques sur la sixième demande du Notre Père

Le Notre Père est avec le Symbole de foi l’un des textes les plus commentés par les Pères de l’Église, tant dans la catéchèse que dans des lettres ou des réflexions sur la prière ou sur l’Oraison dominicale. C’est, en effet, la prière du Seigneur, celle que le Christ a donnée à ses Apôtres comme une synthèse de son enseignement, une sorte de testament, une « Parole abrégée » (Rm 9, 28), qui les met en dialogue avec le Père. C’est là le sommet de la prière, en lien, dans ses deux premières demandes, avec le kaddish ; en même temps c’est une prière unique, où le Fils reprend les paroles que le Père lui a transmises. D’autre part, en tant que Verbe incarné, il connaît les désirs humains et y fait droit dans le Notre Père, qui est à la fois une prière individuelle et la prière de l’Église.

Les Pères l’ont immédiatement compris et se réfèrent au Notre Père dès la Didachè et la Lettre de Polycarpe aux Philippiens (6, 2), en invitant à le reprendre trois fois par jour[1]. Cyrille de Jérusalem est le premier à préciser qu’il intervenait, dans la liturgie, avant la communion, Augustin rappelle que le Notre Père était expliqué aux catéchumènes à qui il revenait ensuite de le réciter à leur baptême.

Les Pères ont également été les premiers à réfléchir sur la traduction du Notre Père et ils furent, sans le savoir, des précurseurs de la nouvelle traduction du Notre Père, qui est déjà utilisée depuis la Pentecôte en Belgique et qui le sera en France à partir du 3 décembre. Cette traduction est essentiellement une clarification de la sixième demande, qui en constitue d’ailleurs la seule variante, par rapport à la version œcuménique de 1966. Cette sixième demande avait largement fait difficulté[2], car en disant : « Ne nous soumets pas à la tentation », elle aurait pu amener à faire penser que Dieu nous tenterait. Cette formulation remplaçait une version plus ancienne, disant : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation ». Après quelque vingt années d’étude précise du texte grec, l’expression retenue est : « Ne nous laisse pas entrer en tentation », ce qui implique, au contraire, le rôle bienveillant de Dieu et davantage de liberté pour l’homme.

En fait, le problème vient de ce que Jésus a dû apprendre le Notre Père à ses disciples en araméen et la version dont on dispose, tant en Matthieu 6, 13 qu’en Luc 11, 4 est en grec : μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν. Le terme peirasmos désigne à la fois l’épreuve et la tentation. Dans le texte du Notre Père, il renvoie à la tentation (cf. Ex 17, 7). Quant au mode utilisé, c’est « le factitif ou le permissif, qui se traduit en français par un auxiliaire précédant le verbe. Si le verbe signifie “entrer”, il signifie au factitif “faire entrer” ou, au sens permissif : “laisser entrer”. Alors, dans la traduction française se pose la question de savoir sur quoi il faut faire porter la négation : “fais que nous n’entrions pas” ou bien “ne fais pas que nous entrions”, ou encore, au sens permissif[3] : “ne nous laisse pas entrer”. C’est ce dernier sens, philologiquement défendable, qui a été finalement retenu[4] ».

N’étant pas exégète, nous nous limiterons à la manière dont les Pères ont commenté le Notre Père en général et la sixième demande en particulier, alors qu’ils n’avaient pas été rendus attentifs au problème par la traduction de 1966.

Le commentaire de l’Oraison dominicale et le texte biblique de référence

Pour commenter l’Oraison dominicale, les Pères se sont, tout d’abord, interrogés sur la raison des deux versions du texte chez Matthieu et chez Luc. Ainsi Origène, dans son Traité de la prière (§ 18), écrit-il : « On dira peut-être que les deux prières ont le même contenu, qu’elles sont les mêmes, d’abord données, développées à la multitude, puis livrées à un disciple qui pouvait être absent au moment où Jésus avait prononcé le discours rapporté par Matthieu, ou qui l’avait oublié avec le temps. » Un siècle plus tard, Augustin verra dans la version de Luc[5] un résumé de celle de Matthieu, qui est reprise dans la liturgie depuis la Didachè.

Quant au texte dont ils disposaient, c’était soit le texte grec, soit l’une des versions de la Vetus Latina, et plus tard de la Vulgate qui disait : Et ne inducas nos in temptationem. Ainsi les Pères étaient-ils confrontés aux mêmes problèmes que nous. D’ailleurs, Tertullien, l’un des premiers commentateurs du Notre Père, écrit en commentant la sixième demande : « Que le ciel nous préserve de croire que Dieu peut nous tenter[6]. » Une ligne avant, il avait explicité le texte de l’Écriture en ajoutant à : Ne nos inducas in temptationem, id est : ne nos patiaris induci ab eo qui temptat : « Ne nous conduis pas en tentation, c’est-à-dire : ne permets pas que nous soyons conduits par celui qui tente. » Une telle glose permet de ne pas imputer la tentation à Dieu, dans cette tentation du mal[7]. Souvent, les Pères ont procédé de cette manière. Nous allons donc envisager un certain nombre de leurs textes pour voir ce qu’il en est. Comme nous ne pouvons envisager l’ensemble des textes patristiques grecs et latins en l’espace de cet article, nous nous limiterons à quelques commentaires significatifs : ceux de Cyprien de Carthage, d’Origène, de Grégoire de Nysse, d’Ambroise de Milan, de Jean Cassien et d’Augustin.

Quelques commentaires significatifs de la sixième demande

Cyprien de Carthage

Tertullien avait montré que la tentation ne vient nullement de Dieu. Cyprien adopte une perspective légèrement différente, en précisant que

l’adversaire ne peut rien contre nous, sans la permission préalable de Dieu. Aussi, toute notre crainte et notre attention doivent se tourner vers Dieu, car dans nos tentations, le pouvoir du Malin dépend du pouvoir de Dieu […]. Le pouvoir lui est accordé, soit pour notre châtiment, soit pour notre gloire. Cette demande nous rend attentifs à notre faiblesse […]. Si d’abord nous faisons profession d’humilité, si nous rendons à Dieu tout ce que nous demandons, avec crainte et révérence, nous pouvons être assurés que sa bonté nous l’accordera[8].

C’est le rôle de la liberté et la relation à Dieu que Cyprien fait ressortir ici. La tentation ne vient en aucun cas de Dieu, mais il peut la permettre en tant que mise à l’épreuve. Il revient alors à l’être humain de reconnaître ses limites et de choisir. L’analyse de Cyprien, conditionnée certainement par l’expérience des lapsi, implique déjà une réflexion d’ordre anthropologique.

Origène

Cette réflexion est largement développée, à la même époque, par Origène. En bibliste, il rappelle, à partir des textes, la réalité de la tentation, mais marqué aussi par le platonisme, il souligne également la lutte de la chair contre l’esprit. Plus largement, il assimile la tentation au combat spirituel qui est le fait de tout chrétien, ce qui l’amène à dire : « Nous devons donc demander, non point d’échapper à la tentation – ce qui est impossible – mais de n’être pas surpris par elle[9]. » Il n’en demeure pas moins que chacun reste libre. En effet, « Dieu dispose toutes les âmes raisonnables, en vue de leur vie éternelle, mais elles demeurent libres ; grâce à leur liberté, elles peuvent s’élever et gravir le sommet de la perfection ; ou bien, par négligence, s’enliser dans telle ou telle forme de mal[10] ». Plus nettement encore que Cyprien, Origène fait ressortir le rôle constitutif de la liberté dans le choix que chacun fait de sa vie, en relation ou non avec Dieu.

Comme Cyprien également, il dégage l’enjeu ontologique et éthique de la tentation, ce qui l’amène à écrire :

Tous, sauf Dieu, ignorent ce que notre âme a reçu de Dieu, même nous. Mais la tentation le manifeste, pour nous apprendre à nous connaître, et par là, nous découvrir notre misère ; et nous obliger à rendre grâce pour les biens que la tentation nous a manifestés[11].

C’est finalement notre statut d’êtres créés en relation avec notre créateur que la tentation nous fait comprendre, à l’encontre de l’orgueil qui nous amènerait à vouloir la toute-puissance par nous-mêmes, ce qui n’est pas sans actualité à notre époque où le transhumanisme, par exemple, préconise cette auto-divinisation de l’homme. En partant d’une analyse précise des textes bibliques, Origène va très loin dans la réflexion sur la tentation.

Grégoire de Nysse

En revanche, Grégoire de Nysse, qui a consacré de longues homélies au Notre Père, est plus bref. Il n’en commente la sixième demande qu’à la fin de sa cinquième et dernière homélie sur le Notre Père, et de manière rapide. Il opte pour la traduction : « Ne nous mets pas à l’épreuve, mais délivre-nous du mal[12]. »

À la différence de ses prédécesseurs, il ne s’interroge pas sur les différentes formes de tentations et sur leur enjeu éthique, mais il apporte un élément nouveau, en se demandant si les termes d’épreuve et de mal ne

désignent pas la même réalité. Si ne pas être mis à l’épreuve, c’est être en dehors du mal, et si quand on est mis à l’épreuve, on est nécessairement dans le mal, si « l’épreuve » et le « mal » ne sont pour le sens qu’une seule et même chose[13].

Pour l’éviter, il exhorte à se « tenir à l’écart des réalités de ce monde ». Préconise-t-il un retrait du monde ou un détachement qui permet d’être dans le monde, sans être du monde ? Il semblerait opter pour la seconde hypothèse.

Ambroise de Milan

Dans le bref commentaire qu’il fait de la sixième demande du Pater dans le cadre du De sacramentis, Ambroise de Milan souligne, comme Origène, l’importance du combat spirituel. Ainsi écrit-il :

Considère ce que tu dis : « Et ne permets pas que nous soyons induits en une tentation que nous ne pouvons pas soutenir. » Il ne dit pas : Ne nous induis pas en tentation, mais comme un athlète, il veut une épreuve à la dimension de la condition humaine, et que chacun soit délivré du mal, c’est-à-dire de l’ennemi, du péché[14].

L’épreuve est importante, car elle met en œuvre la liberté, mais en même temps, et comme Grégoire de Nysse, cette fois, il s’en remet à la miséricorde de Dieu pour être délivré du mal. Ambroise est conscient que la liberté et le mal ne se situent pas au même niveau. Ainsi précise-t-il ce qui vient de Dieu et ce qui revient à l’être humain.

Jean Cassien

Jean Cassien procède de la même manière. Il souligne que la demande