Le Nouvel antisémitisme - Henri Deleersnijder - E-Book

Le Nouvel antisémitisme E-Book

Henri Deleersnijder

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Beschreibung

Toulouse mars 2012, Bruxelles mai 2014, Paris janvier 2015, Copenhague février 2015. On tue à nouveau des Juifs en Europe, soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement de l’Allemagne hitlérienne. On y profane des cimetières juifs et on y moleste des personnes – dont des enfants – simplement parce qu’elles sont juives. Il arrive même qu’on y force l’entrée d’un appartement occupé par une famille juive ou qu’on y séquestre un jeune homme de même confession, jusqu’à le mettre à mort, sous prétexte que « les Juifs, ça a de l’argent ». D'où vient cette haine protéiforme ? Comment s'explique, quelques décennies à peine après la Shoah, le retour de l'antisémitisme sur le Vieux Continent ? En quoi se différencie-t-il de l'antijudaïsme qui l'a précédé durant des siècles ? Et quid de l'antisionisme actuel, cette hostilité à l'Etat d'Israël qui pourrait bien n'être que le cache-sexe d'une ancestrale judéophobie ? C’est à ces diverses questions, à coup sûr interpellantes, que tente de répondre ce livre à l’actualité brûlante. Il vise à faire prendre conscience de la dangerosité à laquelle s’expose notre société si elle se laisse entraîner non seulement par les théories du complot et du négationnisme, mais aussi par les funestes passions de la xénophobie et du rejet de l’Autre en général – musulman et rom en particulier, maintenant réfugié fuyant la guerre. Il y va de la pérennité du vivre-ensemble.

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Seitenzahl: 254

Veröffentlichungsjahr: 2016

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LE NOUVEL ANTISÉMITISME

Avatars d’une haine ancestrale

Avenue du Château Jaco, 1 - 1410 Waterloo

www.renaissancedulivre.be

Renaissance du Livre

@editionsrl

Le nouvel antisémitisme

Henri Deleersnijder

Couverture : Emmanuel Bonaffini

ISBN :978-2-507-05384-0

© Renaissance du livre, 2016

Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans une banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique ou de toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.

henri deleersnijder

Le nouvel antisémitisme

Avatars d’une haine ancestrale

«Quand vous entendez dire du mal des juifs,dressez l’oreille, on parle de vous.»

Frantz Fanon

Préambule

Tout n’a-t-il pas déjà été dit et redit sur l’antisémitisme ? Pourquoi se lancer dans un énième décryptage historique de cette vieille et funeste passion de l’Europe ? Et en quoi cette haine protéiforme serait-elle vraiment nouvelle aujourd’hui ? Ces questions, et d’autres qui y sont liées, furent particulièrement interpellantes avant d’entreprendre l’écriture de ce livre. Elles s’ajoutaient à une autre crainte, prégnante au plus haut point : réserver tant d’espace aux innombrables expressions de l’hostilité à l’égard des Juifs, n’était-ce pas rendre trop visible cette redoutable et meurtrière animosité ? Lui faire trop de publicité en quelque sorte ? Mieux vaudrait peut-être laisser dormir la bête, de peur qu’elle ne se réveille…

Mais, justement, voilà pas mal de temps maintenant qu’elle est sortie de son sommeil, si tant est qu’elle s’y soit totalement adonnéedepuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On avait cru que la Shoah avait définitivement étouffé les pulsions de mort qui avaient causé la disparition de près des deux tiers des Juifs d’Europeet que l’humanité assagie – non seulement sur le Vieux Continent – avait enfin souscrit à l’impérieuse injonction du philosophe Adorno : « Penser et agir en sorte qu’Auschwitz ne se répète pas. » Il n’en fut rien, comme l’ont en particulier montré le génocide du Rwanda en 1994 et les massacres perpétrés en ex-Yougoslavie au cours de la même décennie. Comme si, à l’instar des dieux, la haine avait toujours soif.

Les débuts du xxie siècle ne sont pas là pour nous rassurer. Nos sociétés ne sont toujours pas à l’abri de la funeste dérive faisant de l’Autre le responsable de souffrances ou de manquements personnels. L’irrépressible besoin d’un bouc émissaire sévit toujours, avivé par une crise qui a tous les aspects d’une mutation mondiale. Ce rejet d’autrui, qui empoisonne l’idéal du vivre-ensemble, se traduit non seulement par de la xénophobie et du racisme, mais aussi par ces plaies sociales que sont l’homophobie, le sexisme ettelle ou telle discrimination sans nom mais toujours blessante, notamment à l’égard des musulmans et des « gens du voyage ». Et quand il s’agit de la judéophobie, terme forgé au xixe siècle par Léon Pinsker, on est véritablement en présence d’une psychose pour ce médecin juif polonais. Depuis, même s’il est parfois controversé aujourd’hui au même titre que celui d’islamophobie, le mot a été popularisé par le politologue français Pierre-André Taguieff.

Puisque de jeunes générations de tous horizons risquent, par inadvertance ou regrettable amnésie, de réemprunter les chemins tortueux de la détestation des Juifs, il nous a paru urgent de dénoncer les manifestations actuelles de cette frénésie. En la mettant dans une perspective historique, de quoi voir ce qu’il y a d’ancien en elle et ce qu’elle comporte de spécifiquement nouveau. D’où, après un passage en revue des actes et propos antijuifs récents, le long parcours proposé au fil des pages, dont les différentes scansions ont pour titres : l’Antiquité païenne : entre répulsion et attraction ; l’antijudaïsme chrétien ; ombre et clarté des Lumières ; l’antisémitisme racial ; à gauche et à droite : regards sur la judéophobie ; les fantasmes complotistes ; ambiguïtés de l’antisionisme ; l’entreprise négationniste;les habits neufs de l’antisémitisme.

Au terme de cette éprouvante traversée qui a volontairement donné la parole aux témoins du passé et auteurs du présent, de quoi donner plus de corps ou de vécu au propos, nous voilà condamnés à une vigilance sans fin. Celle qui nous contraint à avoir l’«âme sentinelle», comme nous le recommandait déjà en son temps François Mauriac lorsque, dans sa préface au livre de Léon Poliakov intitulé Bréviaire de la haine (1951), il écrivait : « Puisse la lecture de ce bréviaire […] nous mettre en garde contre les retours en nous de l’antique haine que nous avons trouvée dans notre héritage et que nous avons vue fructifier abominablement aux sombres jours d’Adolf Hitler. » Si la lecture de notre essai historico-politique pouvait contribuer à cette prise de conscience, nous avons la faiblesse de croire qu’elle n’aura pas été totalement inutile.

1

Aperçu des actes et propos antijuifs récents

Toulouse 2012, Bruxelles 2014, Paris et Copenhague 2015. Quatre villes et trois années marquées par des tueries antijuives, survenues dans trois pays européens. Le 19 mars, dans la Ville rose, après avoir exécuté à bout portant quelques jours avant deux militaires français à Montauban, Mohamed Merah abattroisenfants et leur professeur à l’école juive Ozar Hatorah. Le 24 mai, en plein cœur de la capitale belge, quatre personnes – dont deux touristes israéliens – sont tués au Musée juif de la ville par Mehdi Nemmouche, sur lequel pèse à ce jour un faisceau d’indices « graves et concordants ». Le 9 janvier, dans la foulée du massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo deux jours plus tôt par les frères Kouachi, Amedy Coulibaly, converti à l’islam radical, retient en otage vingt-six clients de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris:il y assassine quatre personnes de confession juive, dont un employé et trois clients. À Copenhague enfin, le 15 février à 0h50, après qu’il a été l’auteur d’une première fusillade lors de la conférence«Art, blasphème et liberté d’expression», Omar Abdel El-Hussein loge une balle dans la tête d’un garde posté devant la grande synagogue, blessant au passage aux bras et aux jambes deux policiers du service de renseignement de la police.

France

Ainsi donc, soixante-dix ans après la fin de la Shoah en Europe, on y tuait à nouveau des Juifs, directement et simplement parce qu’ils étaient juifs. En France, l’année 2012 avait déjà été marquée par un pic de violences antisémites, en plus du carnage de Toulouse, comprenant à la fois les agressions verbales et physiques contre des personnes : 614 contre 389 l’année précédente, ce qui représente une augmentation de 58 %1. En 2013, 423 actes de même nature sont recensés, y compris les dégradations ou voies de fait, en particulier contre des synagogues. Mais rien qu’au«premier trimestre 2014, le nombre d’actes antisémites s’est élevé à 169, soit en augmentation de 44 % comparativement au même trimestre de l’année précédente2» :on y relevait, pêle-mêle, 21 violences caractérisées, 24 dégradations et faits de vandalisme,51propos et gestes menaçants, série à laquelle s’ajoutent 12 tracts et courriers et 61 inscriptions diverses, le tout marqué du sceau de la judéophobie. Enfin, de 105 en 2013, le nombre d’actes avec violences physiques est passé à 241 en 2014 – ce qui représente une hausse de 130 % –, selon le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif)3.

Dans l’Hexagone, où la population juive n’atteint même pas 1 %, l’année 2014 s’inaugurait par un « Jour de colère » marqué au plus haut point par la détestation des Juifs. Le 26 janvier, en effet, au cours d’une manifestation anti-Hollande, furent lancés des propos racistes et scandés de virulents slogans antisémites. Parmi ces derniers, l’année où la République allait fêter les soixante-dix ans de la Libération de Paris, furent proférés les cris de « Juif : casse-toi, la France n’est pas à toi ! », « Juif, hors de France ! », « Juif, Licra : on n’en veut pas ! ». D’où provenaient ces vociférations ? De groupuscules d’extrême droite radicale, auxquels ont pu se mêler des catholiques intégristes, certains jeunes issus de l’immigration nord-africaine et des partisans de l’humoriste controversé Dieudonné M’Bala M’Bala. Ce fut là une journée qui n’est pas sans rappeler, avec les différences et nuances qui s’imposent, celle du 6 février 1934 où les ligues hostiles à la République parlementaire et plusieurs associations d’anciens combattants marchèrent vers le Palais-Bourbon. Le journal L’Action française ne s’y est pas trompé qui, dans son éditorial du 6 février 2014 titré « Sur les pavés, la rage », écrivait:«Les mânes des patriotes tombés le 6 février 1934, il y a tout juste quatre-vingts ans, auraient-elles inspiré à François Hollande la sage décision de reculer sur le projet familiophobe?Qu’on compte en tout cas sur l’Action française, dont le retour de plus en plus affirmé commence à inquiéter le pays légal et les chiens de garde de l’oligarchie pour porter la contradiction là où ça fait mal!Elle le doit aux morts du 6 février 1934, elle le doit à la France4.»

La même année 2014 s’achevait par un braquage antisémite à Créteil. Le 1erdécembre, dans cette paisible ville du Val-de-Marne, trois agresseurs pénètrent dans l’appartement d’un couple formé d’un homme de 21 ans et de sa compagne âgée de 19 ans : cagoulés et gantés, armés d’un fusil à canon scié et d’un pistolet, ilsexigent«argent, cartes bancaires et bijoux», ainsi que«ordinateurs et téléphones portables » selon des sources policières5. Les victimes seront pieds et poignets ligotés, et la jeune femme violée. Le motif de cette attaque barbare?L’argent, puisque pour ces malfaiteurs«être juif signifiait que l’on avait de l’argent6». Cette violente agression ne manqua pas de provoquer de la stupeur dans le quartier du port de la ville. D’autant que, le 10 novembre précédent, un homme de 70 ans y avait été roué de coups à son domicile, en raison de sa religion selon le parquet de Créteil. Étant donné la similitude du modus operandi, le soupçon se porta sur les mêmes forbans. Ici, c’était«un îlot de tranquillité», observa Shlomo Senior, le rabbin de la synagogue Kiryat-El. Qui renchérira : « On se dit que puisque une telle agression est arrivée une fois, elle peut se reproduire7. »

En juillet 2014 enfin, en marge des manifestations pro-palestiniennes organisées dans le pays pour protester contre l’opération «Bordure protectrice»de l’armée israélienne à Gaza, on assista à des dérapages antisémites. Alors que les défilés dans les villes de province se déroulent dans le calme, sans incident majeur en tout cas, celui du 13 juillet à Paris donne notamment lieu à des heurts devant la synagogue de la rue de la Roquette (XIe arrondissement), aux alentours de la place de la Bastille, lieu hautement symbolique. Les rassemblements de soutien aux Gazaouis des 19 et 20 juillet, non autorisés dans la capitale, dégénèrent quant à eux très gravement : le premier, sur le boulevard Barbès (XVIIIe arrondissement), où des échauffourées se produisent entre manifestants et forces de l’ordre, à coups de pierres et de gaz lacrymogènes ; le second, à Sarcelles, ville du Val-d’Oise connue pour son cosmopolitisme, où une officine tenue par un pharmacien de nationalité française et de confession juive et une épicerie casher font l’objet d’attaques. Ce qui fera dire à son maire François Pupponi (PS) : « Nous n’avions jamais vécu cela. […] Si le modèle de Sarcelles tombe, je crains pour l’avenir du pays.8 »

Fait hautement révélateur à ce propos, au cours de ces journées de surchauffe protestataire, on avait pu entendre – à côté de « Hitler avait raison », en particulier – les cris de « Mort aux Juifs ! » et « On va vous cramer ». Début 2006, le « gang des Barbares », lui, était déjà passé aux actes en la matière, à sa façon du moins. Le 21 janvier de cette année-là, dirigé par un Français musulman d’origine ivoirienne du nom de Youssouf Fofana, âgé de 26 ans, il enlève Ilan Halimi, un Français de 23 ans, de confession juive. Celui-ci est séquestré et torturé pendant trois longues semaines dans une cité HLM de Bagneux (Hauts-de-Seine) dans l’espoir du versement d’une rançon. Le 13 février, Ilan est découvert agonisant le long des voies ferrées du RER C à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’Essonne. Il mourra peu après son transfert à l’hôpital.

Cette sordide affaire eut un retentissement médiatique énorme en France, aggravée par son caractère antisémite. Quant aux mem­bres du gang – une vingtaine au total –, ils se sont évertués, au cours de leur procès, à nier cette dimension de leur forfait. En fait, certains d’entre eux se sont contentés de dire : « Un Juif, c’est riche.»Tel n’était pas le cas de la famille de leur victime, loin de là. Mais le stéréotype avait produit ses funestes effets9. Dernier rebondissement de ce sinistre événement : le 2 mai 2015, la plaque en mémoire d’Ilan Halimi, posée en 2011 au pied d’un jeune chêne dans un jardin du centre-ville de Paris, rebaptisé de son nom, a été retrouvée brisée. La dépouille du « Jeune Parisien du XIIe arrondissement / Victime de l’antisémitisme » est, elle, désormais à l’abri de toute profanation puisqu’elle a été transférée au cimetière de Guivat Shaoul à Jérusalem-Ouest.

Dans l’Hexagone, plusieurs cimetières juifs – ainsi que certains musulmans et chrétiens – ont été profanés. En Alsace particulièrement. Le 12 février 2015, soit un peu plus d’un mois après les attentats djihadistes contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris et trois jours avant l’exécution d’un homme à la grande synagogue de Copenhague, 250 tombes sont dégradées et le monument à la mémoire de la Shoah est profané à Sarre-Union, bourg de 3 000 habitants situé dans le Bas-Rhin. Ce cimetière juif avait déjà été profané à cinq reprises depuis 1945, notamment en 2001. Cette fois, ce sont cinq adolescents de 15 à 17 ans, des mineurs sans antécédents judiciaires, qui ont saccagé les sépultures. Et, selon les informations données au lendemain desfaits par le procureur de la République, leur mobile était bel et bienl’antisémitisme, comme l’attestent leurs«“saluts nazis”, des crachats sur des symboles juifs comme l’étoile de David, ou le fait d’avoir prononcé les mots “sales juifs”, “sale race” ou “Heil Hitler”10 ». Il n’est pas rare, en effet, que les pierres tombales victimes de ces agissements soient maculées de croix gammées ou bombées du sigle « SS » et de l’énigmatique nombre 88 (pour « Heil Hitler », la lettre « H » étant la huitième de l’alphabet).

Belgique

En plus de la tuerie du 24 mai au Musée juif de Bruxelles, la Belgique a connu en 2014 des incidents inquiétants, au premier rang desquels se sont détachées les agressions physiques (au nom­bre de six, comme en 2013), toutes perpétrées dans un lieu public. La plus tangente a été commise à Anvers, où s’est produite une tentative de meurtre : « Samedi 15 novembre 2014, un juif orthodoxe de 31 ans a été poignardé en pleine rue à Anvers. La victime qui se dirigeait vers la synagogue a été attaquée à la hauteur du pont surla Kievitstraat. Au moment des faits, la rue était bondée de monde; sans avertissements, l’assaillant a planté un objet contondant dans le cou de la victime. Il a ensuite continué son chemin. La victime a été prise en charge par des passants. L’assaillant, un homme caucasien, recherché par les forces de police, aurait entre 20 et 25 ans et mesurerait environ 1m7011. » C’est la population orthodoxe, parce que la plus repérable, qui se trouve la plus exposée à ce genre d’attaques.

D’autres personnes ont été prises pour cibles à Bruxelles, lamême année, en raison de leur appartenance – réelle ou supposée – à la communauté juive. À Anderlecht, par exemple, des visiteurs du Mémorial national aux martyrs juifs ont essuyé des jets de projectiles le 14 septembre. Mais c’est à l’issue de la manifestation du 19 juillet, dont les participants protestaient contre l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, qu’un groupe de jeunes concentrés près de la gare Centrale a crié le slogan « Mort aux Juifs », tout en mettant le feu à un drapeau israélien et un américain. Joël Rubinfeld, le président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA), a estimé que cette manifestation aurait dû être interdite, comme le fut d’ailleurs le même jour celle de Paris : « La Ville de Bruxelles […] n’a pas voulu le faire et la conséquence est qu’il y a eu des dégradations, des slogans racistes ont été scandés, il y a eu des appels à tuer des Juifs et des personnes ont été agressées physiquement. Quelques semaines après l’attaque du Musée Juif, c’est plus qu’inquiétant.12 »

Alarmant aussi fut, le 30 juillet, le refus d’un médecin de soigner une dame juive de 90 ans. Le Centre Wiesenthal, qui a publié pour l’année 2014 le top 10 des pires débordements antisémites et antisionistes, a accordé à ce fait la première position de son classement:«Docteur belge qui a refusé de soigner la côte cassée d’une femme juive de 90 ans, […] pendant l’opération Bordure protectrice contre le Hamas à Gaza. Alors qu’il était de garde, coup de téléphone. Un homme explique que sa mère […] souffre et a besoin de soins. Son nom et son adresse confirment ses originesjuives. “Envoyez-la à Gaza pour quelques heures, elle n’aura plusmal. Je refuse de venir”, répond le médecin, avant de raccrocher13.»

Agressions physiques, agressions verbales et menaces diverses, là ne s’arrête pas la liste des offenses. En 2014, en effet, alors qu’ils ne s’élevaient – façon de parler – qu’à cinq en 2013, les actes de vandalisme et de déprédation atteignent le nombre de onze14. Le plus souvent, ces actes ont visé des synagogues et des écoles, autrement dit des bâtiments communautaires juifs, mais aussi des habitations : début d’incendie criminel contre la synagogue d’Anderlecht, inscription « HITLER » en jaune sur un mur d’une école d’Anvers, mots « SALE JUIF » tagués sur la devanture d’un magasin d’un commerçant d’origine juive. Dansleur majorité, ces déjections scripturales ont été faites durant la période de l’opération « Bordure protectrice », soit en juillet-août, et surtout à Bruxelles. Enfin, en ce qui concerne les graffitis, insultes, mena­ces dans des lieux publics, affichage, utilisation d’objets nazis et propos tenus sur Internet, leur nombre tend à augmenter depuis 2008. Et encore, ne sont pris en compte en Belgique par Antisemitisme.be – en partenariat avec le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme – que les plaintes déposées auprès des forces de police par une victime ou un témoin de faits antisémites.

Il convient de mentionner aussi les « signalements sur internet15 », réseau fertile en débordements, eux-mêmes facilités par l’anonymat : au nombre de 30 en 2012, ils passent à 21 en 2013 et montent à 36 en 2014 ; le thème « annihilation des Juifs » est ici présent dans 40 % des cas recensés. Phénomène auquel s’adjoignent, en plus des commentaires antisémites sur la page Facebook des journaux, divers actes à « valeur idéologique ajoutée », qu’ils soient verbaux, symboliques ou écrits. Se classe au sein des premiers l’annonce suivante, entendue le 31 janvier 2014 dans le train reliant Liège à Bruxelles via Namur, avant l’arrivée à Ottignies : « Mesdames et messieurs, nous allons à Auschwitz. Tous les Juifs sont priés de descendre prendre une petite douche16. » Parmi les deuxièmes, alliant provocation antisystème et gestuelle antisémite, s’est illustrée la quenelle, popularisée par Dieudonné : consistant à tendre un bras vers le bas et à placer la main opposée sur l’épaule du bras tendu, elle a accompagné des insultes à un étudiant juif à Bruxelles et s’est vue exhibée notamment sur des terrains de football. Du côté de la troisième forme de signalements idéologiques, s’est distingué un écrit bien lisible figurant sur la vitrine d’un café turc de Saint-Nicolas, près de Liège : « L’entrée est autorisée aux chiens, mais aux sionistes en aucune façon17! » On était alors le 23 juillet, mais déjà le 25 juin précédent avait été aperçue à Bruxelles, « [l]ors d’une manifestation tenue […] en soutien aux palestiniens maintenus en détention administrative dans les prisons israéliennes […], une pancarte où était inscrit “Boycott Israël ! ! ! Anti-sionniste [sic] ! Anti-juif !”18 »

Les personnes visées sont donc bien désignées dans cette chasse aux relents tellement anciens. Ce qui fait dire dans son Rapport 2014 au site Antisemitisme.be déjà mentionné : « Du 1er janvier au 31 décembre 2014, 109 signalements antisémites ont été recensés en Belgique. La hausse des actes antisémites avoisine 70 % par rapport à 2013 (64 signalements), 26 % par rapport à 2012 (80signalements) et égalise l’année record de 2009 où nous avions recensé 109 incidents dû [sic] principalement à l’importation du conflit au Proche-Orient avec l’opération “Plomb durci”19. Le con­texte est cependant différent, entre 2009 et 2014, les sites communautaires ont connu une augmentation drastique des mesuresde sécurité jusqu’à connaître après l’attentat du Musée Juif, le 24mai 2014, une présence militaire devant leurs bâtiments. De nombreux témoignages de membres de la Communauté juive vont dans le sens d’un climat très pesant où les juifs s’empêchent de ne pas afficher trop clairement leur judaïté quitte à la cacher(changement de nom sur les réseaux sociaux, cacher les signes ostensibles comme l’étoile de David, la kippa ou encore la mezouza souvent mise du côté intérieur des portes d’entrée de logement,alors que la tradition veut qu’elle soit fixée à l’entrée extérieure d’une pièce)20.»Et que dire alors de ces enfants qui, à l’aube de leur vie, sont ciblés parce que«juifs», souvent contraints par suite de cette stigmatisation répétée de quitter les écoles publiques pour se réfugier dans des écoles juives, la religion dans ce cas de figure n’étant pas prioritaire dans la décision de leurs parents.

Danemark

À Copenhague, en décembre 2012, c’est de l’ambassadeur mêmed’Israël, Arthur Avnon, que sont venus les conseils de prudence à observer par ceux qui, à l’aide de signes religieux distinctifs, affichent en public leur appartenance au judaïsme. Un appel à la discrétion est repris par Jan Hansen, directeur de l’une des plus anciennes écoles juives d’Europe, la Carolineskolen fondée en 1805 dans la capitale danoise:«Ce n’est pas quelque chose que nous disons officiellement mais effectivement si la question est soulevée nous dirions à nos élèves d’y réfléchir à deux fois avant d’entrer dans certains quartiers de Copenhague avec une kippa sur la tête ou une étoile de David21.»Il faut dire que ces suggestions intervenaient à la suite du lancement de pierres et de cocktailsMolotov contre l’ambassade d’Israël, le 19 novembre.

Et pourtant, à en croire le grandrabbin Bent Lexner de la synagogue de Copenhague au printemps 2000,«il n’y a pas d’antisémitisme au Danemark22». Avis partagé à la même époque par Jacques Blum, le président de la communauté juive du Danemark, laquelle compte environ 8 000 membres pour 5,4 millions d’habitants:«[…] il faut souligner qu’il n’y a pas de traditions antisémites au Danemark, bien qu’il existe aujourd’hui un parti d’extrême-droite.23»On se souvient, en effet, qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale des milliers de Juifs danois ont échappé à la déportation, les autorités politiques de Copenhague les ayant fait passer dans le pays neutre que constituait la Suède. Précisons à ce sujet que, bien qu’occupé, le pays n’était pas en guerre avec l’Allemagne nazie et qu’il a souvent servi d’aire de repos pour les soldats de laWehrmachtde retour du front. Ceci dit, en 2000, M.Blum mettait déjà un bémol à l’image philosémite du royaume de Hamlet:«[…] les Juifs sont acceptés tant qu’ils ne se font pas remarquer, et appréciés…parce qu’ils ne sont pas musulmans. L’attitude danoise à l’égard de ces derniers est extrêmement négative et dans l’esprit de la population, un bon Juif est un Danois24. »

Quoi qu’il en soit, les deux attentats du 15 février 2015 ont produit un électrochoc énorme dans ce petit pays scandinave où, d’après l’office statistique européen Eurostat, il fait si bon vivre. L’été 2014, les bombardements israéliens dans la bande de Gaza, consécutifs aux tirs de roquettes sur Israël, avaient cependant entraîné pas moins de 29 incidents antisémites, recensés en juillet et dans les quinze premiers jours d’août, allant des insultes aux agressions physiques, pas toujours virtuelles. Ce qui représentait un chiffre plus élevé en la matière que pour toute l’année 200925.En janvier de cette année 2014 déjà, comme s’il s’agissait d’un effetd’annonce du pire qui allait se produire, Moran Jakob, 17 ans, fils d’un père musulman et d’une mère juive israélienne, avait fait les frais d’une ambiance en train de se détériorer, lui qui avait participé à un«groupe de parole»relatif à l’antisémitisme à Copenhague:«J’ai entendu que quelqu’un m’appelait “cochon juif”, me disait d’aller en enfer et m’a jeté une pierre. J’ai essayé de protéger ma copine, bien sûr, parce qu’ils ont tenté de la frapper, et l’un d’entre eux a sorti un couteau, un petit couteau, et m’a poignardé à la jambe26.»

Et, après qu’une«marche à la kippa»eut été organisée par unesérie d’élus en guise de protestation contre le climat délétère en trainde s’installer,«moins d’une semaine plus tard, l’école juive Carolineskolen était vandalisée dans la nuit, avec des graffitis antisémites et des vitres brisées27». Voici un exemple des messages haineux portés contre cet ancien et vénérable établissement scolaire:«Pas de paix avec vous bande de porcs sionistes. »Encore une fois, comme dans d’autres pays de l’Union européenne durant la mêmeséquence chronologique, la confusion entre Israël, sionisme et religion juive avait produit ses ravages…

Ailleurs, en Europe

La plupart des États de l’Union européenne (UE) ont vu, en 2014, une importante augmentation d’incidents antisémites. Rien qu’aux Pays-Bas, il y en eut 71% en plus, selon une organisation juive néerlandaise:171 au total, contre 100 l’année d’avant;le nom­bre d’agressions physiques, lui, y est passéde trois en 2013 àsix en 2014. En Allemagne, comme dans d’autres pays de l’UE, lesmanifestations pro-palestiniennes de juillet 2014 ont été émaillées de slogans antisémites:à Berlin, un homme portant une kippa était battu au coin d’une rue et, selon une vidéo mise en ligne par le quotidien israélienHaaretz,«un imam [y appelait] à l’extermination des Juifs sionistes, demandant à Allah de les “tuer jusqu’au dernier”28». Une autre vidéo montrait des manifestants d’origine arabe en train de«scand[er] dans une rue de Berlin “Juif, Juif, saletéde lâche” ou “les sionistes sont des fascistes”29». Le Royaume-Unin’a pas échappé à ce genre de flambées en 2014:rien que pour le mois de juillet,«les agressions antisémites [y] ont été aussi nombreuses qu’au cours des six mois précédents30»selon leCommunity Security Trust;si l’on tient compte de l’ensemble de l’année, on dénombre pas moins de 1168 agressions diverses (croix gamméessur des tombes juives, tweets insultants, menaces de mort, etc.), cequi représente le double de l’année précédente. Celle de novem­bre aurait pu être particulièrement meurtrière:« “Où sont cesputains de juifs?”, ont hurlé, à Birmingham, quatre hommes armésde couteaux à l’entrée d’un temple maçonnique qu’ils avaient pris pour une synagogue31.»

Il n’est pas toujours aisé d’évaluer avec précision le nombre d’incidents antisémites se produisant dans les différents pays del’UE, car il n’y a qu’une moitié environ d’entre les Vingt-Huit quipublient des statistiques officielles à ce sujet. Chiffres publics ou non, au sein du Vieux Continent européen, la Hongrie détient la palme en matière d’antisémitisme. Quantité d’incidents s’y sont multipliés en 2012. Et l’année suivante, à l’occasion de la tenue à Budapest du Congrès juif mondial, du 5 au 7 mai, la fièvre a encore monté d’un cran au moins. Des insultes, accompagnées du salut hitlérien, furent adressées aux participants réunis près de la grande synagogue de la capitale hongroise:les trois personnes responsables de ces agissements seront immédiatement appréhendées et condamnées à des peines de prison. Mais le 4 mai déjà, desreprésentants de l’extrême droite s’étaient rassemblés devant le Parlement pour dénoncer ce congrès en terre magyare.«On nous dit qu’il faut se souvenir de l’Holocauste, l’enseigner à l’école,mais c’est pour mieux masquer les crimes du sionisme et les péchésd’Israël32», lançait un député du parti Jobbik du nom de Márton Gyöngyösi. On put aussi y entendre, lâchée par une participante:«Ils viennent nous provoquer jusqu’ici33.»

Les choses ne se calmèrent pas en 2014. Cette année-là, aux environs du 15 mars (date de la Fête nationale en mémoire de la Révolution de 1848), furent profanées des tombes juives dans le cimetière de Tatabánya proche de Budapest, avec les immanquables croix gammées et cette inscription négationniste:«Il n’ya pas eu et il n’y aura jamais d’holocauste34.»Un comble, révélé par le Centre Wiesenthal, fut cependant atteint en août de la même année quand un certain Mayor Mihaly Zoltan Orosz procéda à la pendaison de deux mannequins, l’un à l’effigie de Benjamin Netanyahou et l’autre de Shimon Peres. Pour justifier son«exploit», cet individu affirma que« “l’État terroriste juif” tentaitd’annihiler les Palestiniens et qu’il s’opposait, lui,“aux efforts fournis par la franc-maçonnerie pour gouverner le monde”. Sur la pancarte accrochée au “corps” de Peres on pouvait lire:“Je suisun criminel de guerre, un bâtard génocidaire, c’est pour ces raisonsque je reçois la punition que je mérite:la mort par pendaison!Jevais rejoindre mon maître, Satan, car les flammes de l’Enfer m’attendent!”35»No comment.

Même s’ils n’ont pas toujours atteint ce degré d’ignominie, des incidents sont aussi survenus récemment au sein des autres nations européennes. En Italie, en mai 2014, avaient été tagués des graffitis antisémites – avec croix gammées, encore et toujours – sur les murs d’un magasin de produits alimentaires de Colli Portuensi, aucentre de Rome:«Juifs, quittez Colli36.»Fin janvier, dans le districtde la capitale italienne également, c’était le graffiti«Hanna Frank bugiardona»(«Anne Frank énorme menteuse») – avec l’inévitable svastika – qui défigurait un mur. En Grèce, pays con­sidéré par l’Anti-Defamation League comme le pays le plus antisémite en Europe et où le parti néonazi Aube dorée a fait son entréeau Parlement en 2012, douze tombes du cimetière juif de Thessalonique – l’ancienne«Jérusalem des Balkans»– ont été profanées fin mai 2014. Par ailleurs, en 2013, l’intellectuel juif marxiste Savas Mikhail y a été l’objet d’une campagne diffamatoire de la part de l’extrême droite qui le dénonçait comme étant«un agent de la conspiration juive mondiale contre la Nation grecque, pour provoquer une guerre civile et établir un régime judéo-bolchévique37». Tandis que, à l’autre extrême de l’échiquier politique grec,le compositeur Mikis Theodorakis affirmait le 12 février 2012:«Il y a un complot international dont le but est d’achever la destruction de mon pays38.»Ce qui était lourd de signification puisqu’il avait déclaré à la télévision l’année précédente, le 3 février:«Oui, je suis antisémite et antisioniste. J’aime le peuple juif et j’ai vécu avec lui, mais les Américains juifs se cachent derrière tout […]. [Ils] sont derrière la crise économique mondiale qui a aussi touché la Grèce39.»

À l’autre bout de l’Europe, dans cette Scandinavie où les rapports entre citoyens ont durant si longtemps été dépourvus de violences majeures et où prévalait une grande générosité en matière d’immigration, l’antisémitisme a là aussi progressé ces dernières années. On a pu s’en apercevoir au Danemark. La Suède