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Après la tragédie de la Shoah, ce crime absolu, on pouvait croire que le monde était désormais débarrassé de l’antisémitisme. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il n’en est rien. Depuis les deux premières décennies du XXIe siècle, on profane des cimetières juifs, on moleste des personnes – dont des enfants – parce qu’elles sont juives, et on assassine des Juifs. Un peu partout en Europe, mais singulièrement en France. D’où vient cette haine protéiforme ? En quoi se différencie-t-elle de l’antijudaïsme qui l’a précédée durant des siècles ? Et quid de l’antisionisme, cette hostilité systématique à l’État d’Israël ? C’est à ces diverses questions, et bien d’autres, que ce livre à l’actualité brûlante tente de répondre. Il vise à faire prendre conscience de la dangerosité à laquelle s’expose la société quand elle se laisse entraîner par la funeste dérive de l’antisémitisme. Et comme toute connaissance est une réponse à une question, cet ouvrage est conçu sous la forme d’un dialogue entre un père et son fils.
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Seitenzahl: 117
Veröffentlichungsjahr: 2020
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DIS, C’EST QUOI
l’antisémitisme ?
Henri Deleersnijder
Dis, c’est quoi l’antisémitisme ?
Renaissance du Livre
Drève Richelle, 159 – 1410 Waterloo
www.renaissancedulivre.be
Directrice de collection : Nadia Geerts
Maquette de la couverture : Aplanos
Mise en page : Morgane De Wulf
Illustrations : © Dominique Maes
e-isbn : 9782507057022
dépôt légal : D/2020.12.763/05
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est strictement interdite.
Henri Deleersnijder
DIS, C’EST QUOI
l’antisémitisme ?
Préface de Joël Kotek
Préface
On ne peut que se féliciter de la publication d’un ouvrage sur l’antisémitisme : un sujet tabou, s’il en est, dans notre pays.
En Belgique, en effet, l’antisémitisme est une non-question, un angle mort. Le sujet ne divise pas, il est tout simplement occulté, tant par le monde médiatique, académique que politique. La tuerie qui frappa le Musée juif en 2014 n’y a rien changé : elle n’a provoqué aucune prise de conscience particulière. Pourtant nos hommes politiques ne sont pas sans savoir qu’à ce jour seuls les lieux spécifiquement juifs – y compris les crèches et les mouvements de jeunesse – sont l’objet d’une surveillance militaire quotidienne. Un constat s’impose : aucune étude universitaire sérieuse n’a été menée sur le sujet ces dernières années par nos prestigieuses universités belges, sauf exception (VUB) et ce, à cause d’une espèce de gêne idéologique voire culturelle qui tient au fait que le monde des Sciences sociales, par son inclination politique allant nettement à gauche, n’est pas à l’aise avec l’idée que l’on puisse, d’abord, s’intéresser isolément à la stigmatisation des Juifs et, par ailleurs, risquer d’interroger les préjugés d’autres populations discriminées, entendez les Belges d’origine arabo-musulmane.
Pour être les premières victimes de discriminations raciales (mais non de violence raciste) et pour être soi-disant « sémites » (un concept absurde !), d’aucuns refusent d’interroger leur relation pour le moins complexe aux Juifs, que ceux-ci soient qualifiés ou non de sionistes. Si l’extrême droite est le terrain privilégié de l’antisémitisme, celui-ci n’est pas plus étranger à l’extrême gauche qu’au monde arabo-musulman et ce, depuis la naissance même de l’Islam. Il est clair qu’aujourd’hui, c’est surtout du côté des cités que surgissent les principales menaces sur les Juifs d’Europe occidentale. Nul besoin de rappeler que les auteurs des dix-sept personnes assassinées, depuis 2006, en France et en Belgique parce que (supposées) juives, l’ont été de la main de jeunes musulmans radicalisés, de Merah à Coulibaly en passant par Nemmouche à Bruxelles.
En dépit de leur gentrification avérée et de leur blanchiment supposé, le statut symbolique des Juifs n’a pas varié. Les boucs émissaires d’hier restent ceux d’aujourd’hui et, circonstance déroutante, leurs agresseurs ne sont pas ceux que nos scientifiques et/ou journalistes espéraient pouvoir dénoncer. Ainsi, non seulement l’antisémitisme n’a pas disparu mais il est devenu, comme le souligne cet excellent ouvrage, plus que jamais global. Qu’on le veuille ou non, l’antisémitisme contemporain est syncrétique. Il a tout simplement élargi sa « clientèle ».
Pour conclure, je ne puis que me réjouir de cette publication, d’autant qu’elle est l’œuvre, certes d’un ami, mais davantage encore d’un auteur qui n’a pas peur de s’attaquer à des questions complexes et/ou qui fâchent. Non sans brio. Je songe à ses autres études, ici sur le populisme, là sur l’Europe, le négationnisme ou l’antisémitisme. Cette fois-ci, à nouveau, l’exercice de notre auteur n’a pas été des plus aisés puisqu’il a choisi d’expliquer cette haine coutumière des Juifs à son propre fils que l’on soupçonne aussi éclairé que son père tant l’ouvrage est savant.
Henri Deleersnijder réussit ce tour de force d’expliquer une chose aussi complexe que l’antisémitisme de façon claire et savante, je l’ai dit, sans pour autant sacrifier à la facilité. Le fait est que cette synthèse vient à point nommé pour éclairer, non seulement nos adolescents mais aussi, somme toute, toute personne de bonne volonté – politiques, journalistes, éducateurs – désireuse de s’informer et de comprendre cette « plus longue haine », pour reprendre l’expression du regretté historien britannique Robert Wistrich.
Joël Kotek
« Comment cela a-t-il été possible ? » Telle est la question que mon fils me répéta à plusieurs moments durant les jours de commémoration du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau par les Soviétiques le 27 janvier 1945.
Et moi, je lui répétai que ce n’était rien d’autre que la conséquence ultime de la haine antisémite. Une hostilité envers les Juifs dont les origines remontent très loin dans le temps et dont la Shoah fut l’expression la plus radicale.
Mais pourquoi en vouloir à ce point aux Juifs ?
Question essentielle, qui me donne l’occasion de te faire remarquer que cette hostilité systématique, nourrie de préjugés profondément ancrés dans l’inconscient des antisémites, informe beaucoup plus sur ceux-ci que sur les personnes visées. Ce qui me fait dire qu’il n’y a pas de « question juive », mais bien un « problème antisémite ».
Dans une large acception de ce substantif – employé par commodité, faute de mieux –, on peut l’admettre, tout en rappelant que, scientifiquement parlant, les races n’existent pas, puisque nous appartenons tous à l’espèce humaine. Par conséquent, il ne peut y avoir de « race juive ». Ceux qui l’évoquent ou en sont persuadés sont manifestement des antisémites.
Ceci dit, on peut affirmer que le racisme est le rejet de ceux qui sont différents, par leur couleur de peau en priorité, comme c’est le cas pour les Noirs, et que l’antisémitisme, lui, prend pour cible certains qui, bien que dépourvus de marques visibles distinctives, sont pourtant considérés comme semblables entre eux. Alors que tous les types humains coexistent chez les Juifs.
Mais telle n’était déjà pas l’opinion d’Édouard Drumont, auteur de La France juive, ouvrage sorti en 1886 et qui eut un retentissement énorme. On pouvait notamment y lire que les Juifs ont le « fameux nez recourbé, les yeux clignotants, les dents serrées, les oreilles saillantes, les ongles carrés au lieu d’être arrondis en amande, le torse trop long, le pied plat, les genoux ronds, la cheville extraordinairement en dehors, la main moelleuse et fondante de l’hypocrite et du traître. Ils ont assez souvent un bras plus court que l’autre.1 »
Un délire racial, dira-t-on. Sauf qu’à l’automne 1941, en pleine Occupation, sera organisée au palais Berlitz à Paris l’exposition « Le Juif et la France », dont le but déclaré d’éducation populaire était d’apprendre aux Français à « reconnaître les Juifs par leurs caractéristiques physiques ».
Quelle horreur ! Et quand le mot est-il apparu ?
Il a été employé pour la première fois en 1860, dans le monde savant, par le Juif autrichien Moritz Steinschneider et propulsé dans la presse en 1879 par le journaliste allemand Wilhelm Marr, à l’occasion de la fondation d’une « Ligue antisémite ». La même année aussi, il publie à Berlin son essai polémique La victoire du judaïsme sur le germanisme où il définit les Juifs comme race. Ainsi commençait la fortune d’un vocable qui allait désormais remplacer celui s’appliquant à l’ancienne hostilité aux Juifs, c’est-à-dire l’« antijudaïsme ». Nous y reviendrons plus tard. En cette seconde moitié du XIXe siècle prenait consistance ce qu’il convient de nommer l’« antisémitisme racial ». La philologie a joué un rôle capital dans l’émergence de cette conception.
Eh bien, au XIXe siècle, des linguistes émettent l’hypothèse qu’une langue originelle commune aurait été autrefois celle des peuples dits « indo-européens » ou « aryens », vivant entre le nord de l’Inde et les rivages de l’océan Atlantique. Dans cet espace eurasien de la planète sont d’ailleurs encore parlées aujourd’hui quantité de langues où l’on peut déceler bon nombre de racines apparentées. S’est alors mise en place une théorie selon laquelle les Aryens étaient les ancêtres des Européens, et singulièrement des Allemands puisque « indo-européen » se dit « indo-germanisch » dans la langue de Goethe. Quant aux langues sémitiques, parlées par les Juifs et les Arabes, elles sont le propre des Sémites – mot issu de celui de « Sem », le fils de Noé – dont le berceau se situe en Orient.
Résultat : on est insensiblement passé de notions philologiques – les langues indo-européennes (romanes, germaniques, slaves) et sémitiques (hébreu, arabe, syriaque, éthiopien) – à des notions pseudo-scientifiques (les races), nourries d’une conviction ethnique : les Aryens, autrement dit la race blanche, sont supérieurs aux Sémites. Éloquent à cet égard est le point de vue exposé en 1845 par l’indianiste Christian Lassen, d’origine norvégienne et professeur à l’université de Bonn : « Parmi les peuples caucasiens, nous devons certainement accorder la palme aux Indo-Germains. Nous ne pensons pas que cela est dû au hasard, mais nous croyons que cela doit découler de leurs talents supérieurs et plus vastes. L’histoire nous apprend que les Sémites ne disposent pas de l’équilibre harmonieux, de toutes les forces de l’âme qui caractérise les Indo-Germains. La philosophie, elle aussi, n’est pas l’affaire des Sémites ; ils n’ont fait que prendre quartier chez les Indo-Germains […]. Leurs représentations et leurs vues absorbent trop leur esprit pour qu’ils puissent s’élever avec sérénité vers la contemplation des idées pures.2 »
L’antisémitisme, dont l’usage immédiatement devenu courant a désigné la haine des Juifs (et non des Arabes), les enfermait dans une appartenance soi-disant biologique dont ils ne pouvaient sortir. Ce fut déjà le cas au tournant des XVe et XVIe siècles après la prise de Grenade en 1492, laquelle mettait fin à la Reconquista. Les Juifs sont alors chassés d’Espagne, à moins qu’ils ne se convertissent au christianisme par le baptême. Mais les convertis de force sont bientôt soupçonnés d’observer en secret les rites du judaïsme. Un nombre élevé de ces Marranes, terme provenant vraisemblablement de l’espagnol marrano (« cochon »), seront mis à mort par l’Inquisition chargée de faire la chasse aux « faux convertis », autrement dit de débusquer le Juif sous le masque du chrétien.
Cette pratique où s’illustra Torquemada fit en sorte qu’un « vrai chrétien » ne l’était plus par son appartenance à la religion du Christ mais par la pureté de ses origines et – glissement hautement pervers – par la pureté de son sang. Du coup, un Juif baptisé restait, quoi qu’il fasse, un « fils de Satan », rejoignant ces autres agents du Malin que seront également le musulman et la femme vue comme une sorcière.
Le racisme moderne était alors en gestation, qui allait bientôt aussi s’alimenter, dans le courant des XVIIIe et XIXe siècles, à travers une fringale classificatrice embrassant aussi bien les êtres humains que les animaux et les végétaux.
C’est ce que je vais tenter de t’expliquer. La science s’est nourrie de l’Histoire naturelle (1749-1789) de Georges Buffon et de De l’origine des espèces (1859) de Charles Darwin. Leurs recherches furent prolongées par d’autres. Paul Broca fut de ceux-là. Ce médecin français, fondateur de l’École d’anthropologie de Paris, a fait avancer l’anthropologie des crânes. Pour celui qui a découvert le « centre de la parole » (dit « aire de Broca »), il existerait trois grands « types » chez les êtres humains : les « éthiopiques » ou « nègres », les « mongoliques » et les « caucasiens ». Et c’est l’écart avec le groupe primitif des singes qui constitue, d’après lui, l’indice objectif de tout progrès organique : dans cette optique, les Noirs seraient en bas de la « série humaine ».
À la fin de sa vie cependant, ayant fait « l’expertise de crânes d’hommes préhistoriques, c’est-à-dire “sauvages”, qui offraient un volume moyen supérieur à ceux des Parisiens civilisés3 », ce pionnier libre-penseur de l’imagerie médicale dut bien déchanter : notre crâne n’est qu’un os, uniquement un os…
Georges Vacher de Lapouge ne s’arrêta pas à ce genre de considérations. Ce magistrat républicain français, qui abandonna sa carrière de juriste pour embrasser celle d’anthropologue, se mit à la recherche de critères morphologiques susceptibles d’étayer sa vision hiérarchisée des races dans le monde, laquelle sera exposée dans son ouvrage L’Aryen. Son rôle social (1899). Pour lui, l’espèce humaine se répartit en dolichocéphales et brachycéphales. Les premiers ont le crâne plus long que large : ce sont les Blancs, aryens comme il se doit, porteurs de grandeur. Les seconds ont une boîte crânienne plus large que longue : c’est une race « inerte et médiocre ».
Et quelle est la place des Juifs dans cette typologie raciale ? Il s’agit d’une « race ethnographique », répond Lapouge, qui sera vaincue par la victoire des Aryens sur elle. Telle est, brossée à grands traits, la pensée de ce précurseur de l’eugénisme, hanté par la décadence minant son pays du fait même de « la substitution du brachycéphale au dolichocéphale dans la possession du pouvoir ». Les liens avec le futur antisémitisme nazi tombent évidemment sous le sens.
Mais ces théories sont restées marginales, j’imagine… Ne me dis pas qu’on a pu croire sérieusement à ce genre d’idées délirantes dans le milieu intellectuel du XIXe siècle !
Détrompe-toi. On la trouvait déjà chez le diplomate français Arthur de Gobineau, auteur de l’ouvrage Essai sur l’inégalité des races humaines, publié en 1853-1855. Point d’antisémitisme déclaré dans les quatre volumes qu’il comporte ; une hantise de la dégénérescence, en revanche, les traverse. La civilisation est le fleuron de la seule race blanche, estime Gobineau, mais celle-ci, au contact des races sémitiques et de couleurs (noire et jaune), s’est progressivement flétrie. Ce sont donc les métissages qui, au cours des grandes séquences chronologiques de l’histoire de l’humanité, ont amené l’irréversible souillure qui sera fatale à l’homme blanc. Pessimisme garanti, on le voit, mais le mythe aryen était bien mis en selle.
Non, à vrai dire. Car on a peine à imaginer aujourd’hui à quel degré d’incandescence s’était installée en France, dans le dernier quart du XIXe siècle, la manie de vouloir repérer à tout prix les membres de la communauté juive au sein de la population française. Cette idée fixe, je te l’ai dit, était avivée par la diffusion grandissante des sciences biologiques, dont les instrumentalisations politiques ont eu des effets pernicieux.