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Voici plusieurs années maintenant qu’un vent mauvais se lève sur l’Europe. Sur la scène politique de ses pays, tant de l’Est que de l’Ouest, on assiste au retour de partis qualifiés tantôt d’extrême droite, tantôt de nationalistes et tantôt de populistes. La plupart des Parlements du continent – y compris en Belgique – comptent des élus de ces formations se nourrissant sans vergogne des peurs collectives quant à un avenir incertain et faisant leur fonds de commerce d’un cocktail explosif où se côtoient démagogie, antiparlementarisme et antiélitisme d’une part, et, de l’autre, hantise de l’immigration, de l’islam et de l’insécurité. Des ingrédients, à coup sûr, périlleux pour la démocratie. Surtout quand s’y adjoint, facteur des pires dérives, un nationalisme pur jus. D’où l’appellation « national-populisme » retenue dans ce livre. Elle colle intimement au phénomène dont ses pages font une minutieuse radioscopie, avant de proposer quelques moyens de le contrer. Car il y va de l’intérêt des peuples qui, par inadvertance ou une regrettable amnésie, pourraient à nouveau se laisser séduire par les sirènes les entraînant vers les plus redoutables écueils liberticides. Cela s’est déjà vu dans le passé, dans les années 1930 notamment. En tirant la sonnette d’alarme, cet ouvrage en appelle à la vigilance.
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Seitenzahl: 249
Veröffentlichungsjahr: 2014
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DÉMOCRATIES EN PÉRIL
L’Europe face aux dérives du national-populisme
Henri Deleersnijder
Démocraties en péril
Renaissance du Livre
Avenue du Château Jaco, 1 – 1410 Waterloo
www.renaissancedulivre.be
couverture: emmanuel bonaffini
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est strictement interdite.
HENRI DELEERSNIJDER
Démocraties en péril
L’Europe face aux dérives du national-populisme
À Carine
« La démocratie, c’est le fait de voir son semblable en tout homme. »
Alexis deTocqueville
« L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre. »
RobertSchuman
« Le patriotisme, c’est l’amour des siens.
Le nationalisme, c’est la haine des autres. »
RomainGary
Préambule
Voilà plusieurs années maintenant qu’un vent mauvais se lève sur l’Europe. Sur la scène politique de ses pays, tant de l’Est que de l’Ouest, on assiste au retour de partis qualifiés tantôt d’extrême droite, tantôt de nationalistes et tantôt de populistes. Ce sont là des termes qui, dans les médias, sont fréquemment utilisés l’un pour l’autre. Et, de fait, les thématiques que ces formations mettent en évidence peuvent en général être désignées par ces trois termes. Si la signification du premier (extrême droite) et du deuxième (nationalisme) ne pose pas de problème majeur de compréhension, il n’en va certainement pas de même du troisième, populisme, vocable flou par excellence, véritable auberge espagnole d’un vocabulaire idéologique en mal de précision. Il est devenu tellement malléable qu’il sert souvent, volontairement ou non, à stigmatiser les couches populaires. Ce n’est évidemment pas notre intention. Mais comme il est maintenant suremployé dans l’espace public, nous pensons qu’il est illusoire de vouloir faire l’impasse sur lui. Raison pour laquelle il nous semble urgent de procéder avec minutie à son décryptage. C’est donc comme objet d’étude que nous l’ausculterons, en étant bien conscient du caractère mouvant de la réalité qu’il recouvre.
En février 1848, Marx et Engels écrivaient au début de leurManifeste: « Un spectre hante l’Europe : c’est le spectre du communisme. » Et si aujourd’hui, depuis la chute du mur de Berlin, l’effondrement des régimes communistes et le triomphe d’un ultralibéralisme sans états d’âme, c’étaient plutôt les populismes qui, comme une onde de choc, dans leurs diverses manifestations, étaient en train de gagner tour à tour les États européens et de saper peu à peu le socle des valeurs sur lesquelles ceux-ci reposaient depuis 1945 ? Des populismes se nourrissant sans vergogne des peurs collectives quant à un avenir incertain et faisant leur fonds de commerce d’un cocktail explosif où se côtoient démagogie, antiparlementarisme et antiélitisme d’une part, et, de l’autre, hantise de l’immigration, de l’islam et de l’insécurité. Des ingrédients, à coup sûr, périlleux pour la démocratie. Surtout quand s’y adjoint, facteur des pires dérives, un nationalisme pur jus.
D’où l’appellation « national-populisme » retenue ici, introduite en 1984 dans la littérature politique par le sociologue et historienPierre-André Taguieff1. Elle présente l’avantage de se démarquerdes objectifs poursuivis par lesnarodnicki,autrement dit les « populistes » russes de la fin duxixesiècle, et par les membres duPeople’s Partyaméricain au tournant duxxe, objectifs résolument connotés à gauche puisqu’ils visaient à jeter les bases d’unesociété plus juste, moins dure en tout cas pour ceux qui n’avaient que leur travail comme moyen de subsistance2. Elle colle plus intimement, en outre, au phénomène dont nous nous proposons plus particulièrement de faire la radioscopie – et qui flirteavec la droite extrême – avant de tenter de proposer quelques moyens de le contrer. Car il y va de l’intérêt des peuples qui, par inadvertance ou une regrettable amnésie, pourraient à nouveau se laisser séduire par des sirènes les entraînant vers le plus redoutable des écueils liberticides. Cela s’est déjà vu dans le passé, comme on le sait. Dans les années 1930 notamment.
Chapitre 1
Un état des lieux alarmant
Europe du Nord
EnNorvège, le 22 juillet 2011, Anders Breivik perpétrait le massacre de septante-sept personnes. Après avoir fait exploser une camionnette piégée dans le quartier des ministères d’Oslo et causé la mort de huit victimes, ce tueur de 32 ans se dirigea vers l’île d’Utoya située à une quarantaine de kilomètres de la capitale du royaume scandinave. Et là, arborant un déguisement de policier, armé jusqu’aux dents, il ouvrit froidement le feu sur de jeunes travaillistes qui participaient à un camp d’été. Soixante-neuf d’entre eux, pour la plupart grands adolescents, furent ainsi abattus.
En fait, ces gestes meurtriers méthodiquement menés avaient selon toute vraisemblance été planifiés de longue date puisque, quelques heures avant les attentats, leur auteur avait posté sur Internet un véritable manifeste composé de 1518 pages. Portant le titre de2083 : A European Declaration of Independance,ce texte, se présentant le plus souvent comme un copié-collé des obsessions de l’extrême droite, pourfendait la soi-disant islamisation du Vieux Continent ainsi que toute forme de multiculturalisme qui serait en train de le gangrener. Il constituait de plus une dénonciation tout aussi démente des « marxistes culturels » et autres « multiculturalistes », considérés comme les complices de la dégénérescence en cours de l’Europe. D’où cette profession de foi qu’on pouvait y lire : « Pour contourner la censure des médias marxistes et culturels, nous sommes obligés de lancer des opérations brutales qui provoqueront des pertes. […] Je serai perçu comme le plus grand monstre (nazi) jamais connu depuis la Seconde Guerre mondiale. »
C’est peu dire que de tels propos donnent froid dans le dos. Ils ne peuvent surgir, s’est-on dit après la nouvelle du carnage, qued’un cerveau malade. Sauf que leur auteur, fort de son bon droit,a prétendu dès l’ouverture de son procès le 16 avril 2012 qu’il n’était en rien un « schizophrène paranoïde » et qu’il tenait à assumer la pleine responsabilité de ses actes : à cet égard, le jugement prononcé le 24 août de la même année et le condamnant à vingt et un ans de prison a répondu à ses vœux. « Loup solitaire », il l’est par ailleurs, mais l’idéologie qui l’anime n’est pas néeex nihilo.Sa logorrhée, expédiée à plusieurs centaines de personnes, fait particulièrement allusion aucounterjihad,un mouvement raciste d’après le 11-Septembre pour lequel l’islam est devenu l’ennemi principal de l’Occident chrétien et qui déversesur la Toile quantité de messages – par sites et blogs interposés –contre les musulmans. Le terroriste Breivik, parti en croisade contrel’« Eurabia » au nom d’un soutien indéfectible à un nationalisme blanc, est donc bel et bien le sinistre emblème d’une doctrine aux plus criminelles visées.
Quelques jours après le massacre, l’écrivain norvégien Erik Fosnes Hansen a fait part de son sentiment : « Anders Behring Breivik : depuis que j’ai vu son visage et que j’ai lu son nom pour la première fois, j’ai su qu’il s’imprimerait pour toujours dans notre conscience collective. Comme l’incarnation du malabsolu, le pire criminel que notre pays ait connu depuis laSeconde Guerre mondiale. Le narcissisme des photos qu’il publie sur Internet, ridicules en d’autres circonstances, posant dans toutes sortes d’uniformes et de déguisements ; son sourire satisfait quand on le conduit en prison ; son héroïsme bricolé et son idéologie du surhomme ; tout cela est insupportable3. » Et, s’adressant à son « cher petit pays », il ajoutait notamment : « Cet attentat est directement dirigé contre notre façon de vivre4. »
L’électrochoc provoqué par cette tuerie fut, en effet, d’autant plus intense qu’elle s’était produite dans une région nord-européenne historiquement réputée pour ses rapports sociaux dépourvus d’aspérités. Et pourtant, c’est d’abord en Scandinavie que sont apparues, dès le début des années 1970, les formationspopulistes du continent européen. Nées d’une protestation antifiscale, elles vont progressivement intégrer dans leurs programmesla limitation de l’immigration extra-européenne – musulmane au premier chef – et le thème porteur de l’insécurité prétendument liée à celle-ci. En Norvège, par exemple, le Parti du progrès (FrP), formation de la droite populiste anti-immigration dont Breivik fut membre avant d’en être exclu en 2006 et qui est dirigé aujourd’hui par une femme politique du nom de Siv Jensen, obtenait 22,09 % des voix aux élections législatives du 12 septembre 2005, contre 32,73 % au Parti travaillistede Jens Stoltenberg ; après ce score historique, le meilleur depuis sa création en 1973, il atteint 24,3 % et gagne encore deux sièges deplus au Storting (Chambre unique du Parlement) lors du scrutin du 14 septembre 2009. Mais, à la suite des attaques du22 juillet, il n’obtient que 11,5 % des suffrages aux électionslocales de septembre 2011, les conservateurs et travaillistes enregistrant ce jour-là – malgré un taux d’abstention élevé (40,8 %) –une grande victoire.
Dans les premiers temps, l’émergence de cette mouvance norvégienne doit beaucoup à deux leaders au caractère bien trempé: Anders Lange d’abord, qui crée le « Parti d’Anders Lange pour la réduction importante des taxes et impôts et la limitation des interventions publiques » (ALP) et n’hésite pas en 1973 à exhiber une épée de Viking lors de sa première intervention sur unplateau de télévision ; Carl I. Hagen ensuite, qui succède à Langedécédé en 1974 et à qui l’on doit le nom de « Parti du progrès », formation qu’il va diriger de 1976 à 2006. Avec cette présidence du FrP par un homme politique issu du monde de l’entreprise, favorable au libre-échange en matière économique mais moins à la libre circulation des personnes, le rejet des migrants musulmans s’affirme de plus en plus. En témoignent les propos qu’il tientà Bergen en 2005, au cours d’une conférence : « Ils [les musulmans] ont, de la même manière qu’Hitler, depuis longtemps, dit les choses clairement et que sous le long terme leur but est d’islamiser le monde. Ils sont venus de loin, ils ont été jusqu’en Afrique et ils sont maintenant en Europe, et nous devons les combattre. »
Cette islamophobie, on la retrouve également aujourd’hui auDanemark. Ce n’était pas prioritairement le cas lorsqu’y naîten 1972 le Parti du progrès (FP). À l’époque, à l’instar du premierFrP de Norvège, cette formation résumait volontiers son programme au slogan« no tax ». Son fondateur, Mogens Glistrup,avocat de profession et fiscaliste réputé, avait eu l’audace d’affirmeren 1971, au cours d’un entretien télévisé, que « les personnes qui pratiquent l’évasion fiscale sont de véritables héros, comparables à ceux qui ont rallié la résistance à l’occupation allemande ». Mais comme il mit sa pratique en concordance avec ses propos, il fut condamné pour avoir sciemment éludé l’impôt, ce qui lui valut d’être incarcéré de 1983 à 1984. De la scission du FP en 1995 naît le Parti du peuple danois (DF), tracté par Pia Kjærsgaard qui avait assuré l’intérim de la présidence du FP durant la détention de Glistrup.
Avec cette ancienne et énergique aide-soignante à domicile, qui reste certes opposée à ce qu’elle estime être la rage taxatoire de son pays, l’accent politique est de plus en plus mis sur la préférence nationale, d’où la formule incantatoire « Les Danoisd’abord,et le Danemark est le pays des Danois » qu’elle prise entre toutes. Payer des impôts, d’accord, mais à condition que les ressources publiques soient en priorité versées aux habitants de souche, et non aux immigrés accusés de puiser de façon éhontée dans la corbeille financière de l’État sans avoir contribué à l’alimenter. Cet ostracisme en gestation, étonnant dans un royaume connu jusque-là pour sa générosité en matière sociale, ne fera que gagner du terrain par la suite, le DF contribuant à y dicter largement l’agenda politique. C’est que, depuis sesrésultats aux législatives de novembre 2001 et février 2005 – 12 %,puis 13,2 % des voix – et les élections anticipées de novembre 2007 où il décroche 14 %, il n’a cessé de soutenir legouvernement libéral-conservateur minoritaire au pouvoir, appuiqui va perdurer durant dix bonnes années. Les élections de septembre2011 pour le Folketing (Parlement), au cours desquelles il obtient12,3 % des suffrages, ont cependant amené un changement de majorité à Copenhague, favorable cette fois à une gaucheconstituée de quatre partis dont il ne sera pas un partenaire de coalition.
Mais avant cette alternance, et jusqu’à sa démission de la présidence du DF en 2012, Pia Kjærsgaard a défendu avec vigueur, en nouvelle « dame de fer » et sans modération rhétorique, ses thématiques de prédilection. Contre l’immigration : « Le parti du peuple danois n’accepte pas que le Danemark se transforme en une société multiethnique. » Contre les musulmans : « Ils ont une autre religion et une autre culture qui rendent l’intégration difficile. » Contre l’ouverture européenne : « Le royaume est devenuune passoire. Il est essentiel de maintenir ce qui caractérise un État national : ses frontières. » D’où sa satisfaction de voir que les conditions du regroupement familial, del’accès à la protection sociale pour les étrangers et les possibilités de mariage mixte s’étaient considérablement durcies aucours des années ayant suivi l’an 2000et, le 11 mai 2011, de prendre actede la réintroduction des contrôles à l’entrée du pays, les déplacements dans l’espace Schengen étant rendus moins aisés. « C’est un grand jour pour le Danemark5», s’exclamera-t-elle, triomphante, en compagnie des députés de son parti réunis au siège du Parlement.
Le national-populisme danois aurait-il déteint sur la physionomie politique de laFinlande? C’est fort possible, même si la chose ne manque pas de surprendre. Voilà, en effet, un pays où la présence étrangère était extrêmement limitée jusqu’il y a peu, les sujets de friction portant avant tout surl’intégration des 7000 Somaliens qui y résident sur une population de 5,3 millions d’habitants : le premier est arrivé en 2009. C’est cependant dans cette démocratie privilégiant le consensus, pourvue d’une forme d’enseignement souvent prise comme modèle en Europe, qu’a été fondé en 1995 un mouvement populiste dit des Vrais Finlandais (PS), succédant au Parti rural finlandais (SMP) de Veikko Vennamo qui avait obtenu 10,5 % des suffrages en mars 1970 et déclina par la suite après avoirparticipé au gouvernement. Aux élections législatives du 17 avril2011, par contre, cette nouvelle formation identitaire obtient 19,1 % des voix, soit autant que les sociaux-démocrates et un peu moins que les conservateurs (20,4 %). Percée considérable par rapport aux 4,1 % des législatives de 2007 et qui est essentiellement due à la personnalité de son chef Timo Soini.
Ce « Robin des bois des Finlandais », défenseur replet des petites gens et charmeur à sa façon, n’a pas son pareil pour animer un plateau de télévision où il s’entend à répondre avec drôlerie ou bonhomie aux questions des journalistes. Le propos est en général simpliste, mais toujours percutant. Non comme chez feu Tony Halme, catcheur professionnel de son état et apparenté au groupe du PS au Parlement de 2003 à 2007, qui traita de « lesbienne » la populaire présidente de la République de l’époque Tarja Halonen au cours d’une émission de radio. Pas de dérapages de cette teneur chez Soini, ni de sorties xénophobes avérées. En revanche, dès qu’il s’agit de remettre en cause les élites, les immigrés et l’Union européenne, les réparties et les piques se font plus cinglantes. En ce qui concerne les premières : « Nous défions les élites. » À l’adresse des deuxièmes : « Si vous venez en Finlande avec un permis de travail, bienvenue ! Ce qui irrite les gens, c’est quand vous n’apprenez pas la langue et que vous vivez aux dépens des autres. » La troisième ne s’en sort pas mieux : « L’Europe trait la Finlande comme une vache à lait » ou « Je refuse de gaspiller notre argent. Les Finlandais ne veulent pas qu’on se moque d’eux. »
Pas étonnant qu’un chantre de la « finlandité » comme lui, par ailleurs défenseur de l’État-providence, soit un eurosceptique convaincu. D’où son refus de voir ses concitoyens mettre la main au portefeuille pour renflouer les pays de la zone euro en difficulté, tels que la Grèce et le Portugal. Le parti de Timo Soini n’est évidemment pas le seul en Europe à nourrir ce type de prévention, le désir d’un « entre-soi national » y étant de plus en plus répandu. Même le gouvernement entré en fonction le 23 juin 2011 et composé de six partis – sans le sien – ne reste pas insensible aux voix tentantes qui distillent à petites doses les avantages que la Finlande engrangerait en s’éloignant d’une Union européenne dont elle fut pourtant, dès son adhésion en 1995, une excellente élève. Mais, à ce jour, elle n’y cède pas.
Si la formation des Vrais Finlandais est issue d’un parti agraire qui ne remettait pas en cause le régime démocratique, il n’en va pas de même enSuèdeoù – ô ironie – le Parti des démocrates suédois (SD), fondé en 1988, est sorti d’un terreau néonazi. Il faut savoir que, préservé de l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale, ce royaume scandinave d’un peu moins de 10 millions d’habitants – patrie de la social-démocratie – a vu de petits mouvements d’extrême droiteoccuper après 1945 les marges minoritaires de son échiquier politique, mis à part celui de la Nouvelle Démocratie (ND), d’inspiration populiste et néolibérale, qui s’affirma électoralement en 1991 mais s’effondra déjà au lendemain des législativesde 1994. Le SD, lui, a longtemps été considéré comme infréquentable par les partis de la droite modérée et le demeure encore actuellement. En rompant avec ses fondamentaux nazis en 1999,il a cherché à se donner un vernis de respectabilité. Mue qui ne porta ses fruits que récemment : aux élections générales du 19 septembre 2010, il a recueilli 5,7 % des voix, ce qui lui a permis d’accéder au Parlement, la barre des 4 % étant indispensable pour y avoir une représentation. Le voilà donc présent au Riksdag (Parlement) avec vingt députés, sur un total de 349.
Cette percée doit beaucoup au charisme de son dirigeant Jimmie Akesson, à peine âgé de 31 ans au moment de ce succès électoral. Il a le look BCBG, l’élégance qui sied, des lunettes d’intellectuel, bref une allure diamétralement opposée à la caricature du skinhead. Mais sous l’affabilité du ton s’expriment,avec résolution, des idées xénophobes prenant prioritairement comme cible l’immigration musulmane. Éloquent est à cet égardun clip électoral de moins d’une minute, diffusé par son parti avantles élections de 2010 : on y voit une retraitée du pays se déplaçant péniblement à l’aide d’un déambulatoire vers unguichet de la Sécurité sociale ; arrivent et la dépassent sans ménagement un groupe de femmes en burqa poussant des landaus. Message d’une clarté flagrante : l’État-providence est menacé par la présence grandissante sur le sol suédois d’étrangers extra-européens. Lesquels, au dire du SD, constituent un danger pour la société suédoise : « Tous les immigrants ne sont pas des criminels, mais bien sûr, il y a une connexion6. »
À présent néanmoins, la coalition gouvernementale minoritaire, dirigée parle Premier ministre conservateur Fredrik Reinfeldt, n’a pas intégré dans sa gestion la dimension discriminatoire amenée dans le débat public par la formation d’extrême droite. Il n’empêche que la victoire remportée en septembre 2010 par Akesson et sa formation, saluée par un triomphant « Aujourd’hui, nous avonsécrit l’Histoire », a changé la donne d’un pays traditionnellementgénéreux en matière d’asile et quasi continuellement dominé depuis 1932 par le Parti social-démocrate. Un parti qui, avec seulement 30,9 % récoltés ce jour-là, enregistrait son score le plus bas depuis 1914.
Europe de l’Ouest
À l’instar des pays scandinaves, leRoyaume-Unis’est longtemps cru préservé des errances de l’extrémisme de droite. Pensezdonc. Une nation qui limita dès 1215 avec laMagna Cartales pouvoirs du souverain, garantit en 1679 avec l’Habeas Corpusla liberté individuelle contre toute arrestation arbitraire, jeta en1689 avec leBill of Rightsles bases de la monarchie parlementaireet,last but not least, résista dès 1940 avec Churchill à l’offensive hitlérienne, ne pouvait que constituer un rempart indestructible face aux attaques tendant à entamer son ADN démocratique. Et pourtant, c’est bien parmi les sujets de sa Gracieuse Majesté que va être prononcé un discours enflammé sur les questions relatives à l’immigration, au multiculturalisme et au communautarisme, jusque-là absentes du débat public.
Le 20 avril 1968 à Birmingham, le député conservateur Enoch Powell, ancien professeur de latin et de grec, termine son réquisitoire par une péroraison qui restera dans les annales de l’histoire politique britannique : « Je contemple l’avenir et je suis rempli d’effroi. Comme les Romains, “je vois le Tibre écumant de sang”7. » Il faut dire que l’auteur de ce discours dit « des fleuves de sang », de retour des États-Unis, y avait été frappé par de violents affrontements raciaux à Chicago et Detroit ainsi quepar l’assassinat le 4 avril de Martin Luther King. Il craignait certespour son pays de tels conflits interethniques sanglants, mais appréhendait encore plus la façon dont ses concitoyens allaient être plongésde factodans une société multiculturelle par suite del’arrivée chez eux de populations issues du nouveau Commonwealth. En s’opposant auRace Relations Actintroduit par lestravaillistes et destiné à préserver les droits des immigrés, il avait mis en quelque sorte les pieds dans le plat. Mal lui en prit, car il suscita un lever de boucliers – y compris dans son parti tory –,vit sa carrière politique bientôt stoppée et fut même la cible d’une chanson des Beatles («Get Back »). Par contre, il fut soutenu par toute une frange populaire de la nation.
Depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts de la Tamise. Lesquestions relatives au flux migratoire et à la coexistence au mêmeendroit de communautés culturellement différentes, longtempsrestées en suspens ou considérées comme taboues, ont été happéesoutre-Manche par des partis nationalistes. Ces derniers temps, en effet, on peut y entendre des propos qui, insidieusement, rencontrent de plus en plus d’oreilles bienveillantes. LeBritish National Party (BNP) et le United Kingdom Independence Party (UKIP) en sont les principaux auteurs. La première de ces formations politiques est née, en 1982, d’une scissionsurvenue au sein du National Front (NF), lequel puisait depuis sa création fin des années 1960 dans un logiciel résolument pro-nazi. Présidée aujourd’hui par Nick Griffin, diplômé en droit de Cambridge et membre du Parlement européen depuis 2009, elle « s’engage à enrayer le flux migratoire non-européen ». Plus besoin non plus, depuis 2010, d’être de type caucasien pour y adhérer, même si le but ultime est de restaurer la suprématie blanche au Royaume-Uni, celle-là même qui existait avant 1948(année de la première grande immigration). Préférence nationaleoblige, l’islam fait l’objet de toutes les attentions suspicieuses et ses ressortissants sont instamment invités à quitter le territoire.
Si le BNP d’extrême droite traîne à l’évidence une image de dureté, il n’en va pas de même pour l’UKIP dont la ligne idéologique se veut plus modérée, en dépit de son farouche attachement à la cohésion nationale prioritairement entachée pour ellepar l’immigration. Fondé en 1993, il a très tôt été rejoint par des conservateurs opposés à l’Union européenne. Ce qui ne manque pas d’étonner puisque, partisan de l’indépendance duRoyaume-Uni, il ne compte pas moins de treize députés à Strasbourg (soit 16,5 % des voix), alors que le BNP n’en a que deux et qu’il n’a récolté que 1,9 % des voix aux législatives de 2010. C’est peu dire que, avec septante-cinq conseillers locauxet deux représentants à la Chambre des lords, il a le vent en poupe. Son président-fondateur europhobe, Nigel Farage, a le port élégant mais l’esprit mordant. Entémoigne cette apostrophepeu amène adressée en février 2010 à Herman Van Rompuy, président du Conseil européen : « [Vous avez] le charisme d’une serpillière humide et l’aspect d’un petit guichetier de banque. » Pire : « [Vous avez l’intention d’être] l’assassin de la démocratie européenne et de toutes les nations européennes. » Et de surenchérir, en guise d’estocade : « Vous n’avez aucune idée de ce que peut être un pays uni, tout cela parce que vous venez de Belgique, qui est plutôt un non-pays. » Jugement étonnant proféré par l’élu d’un État qui a voulu en son temps la naissance de ce « non-pays »…
En ce Royaume-Uni où le rejet de l’immigration bat aujourd’hui tous les records par rapport aux opinions nationales du continent8, il convient d’évoquer aussi l’English Defence League (EDL), créée par Tommy Robinson en juin 2009 en réponse à une manifestation organisée deux mois plus tôt par des extrémistes musulmans contre des militaires anglais revenant d’Afghanistan. Arborant volontiers la croix de saint Georges par patriotisme, la Ligue recrute sur Facebook et à l’occasion de matchs de football ; elle se défend, par ailleurs, d’être raciste et affirme s’opposer aux intégristes musulmans qu’elle soupçonne de vouloir imposer la charia dans la société britannique. Ses opposants, eux, y voient une nouvelle formation xénophobe, résolument d’extrême droite. « Ils veulent, estime le magazineLes InRocksdu 22 juin 2010, sauver leur pays du péril islamiste à coups de bastons et de défilés. »
Et si c’était à coups de bulletins de vote que le Royaume-Uni voulait sortir de l’Union européenne ? C’est là une perspective moins hypothétique qu’on ne pourrait le croire. Le Premier ministre David Cameron, inquiet de la poussée de l’UKIP dans l’opinion publique et de voir les tories le rejoindre en masse, envisagerait de soumettre à ses concitoyens un référendum portant sur la question du maintien dans l’UE à certaines conditions: limiter, par exemple, la libre circulation des travailleurs dans l’espace européen, lui-même ouvert depuis le 1erjanvier 2014 aux immigrants roumains et bulgares. Par contre, « aux yeux des milieux d’affaires, dont le Premier ministre, fils d’un courtier de la City, est proche, les travailleurs venus d’Europe de l’Est représentent un atout9. » Voilà le chef du gouvernement sur la corde raide ! Il sait pertinemment bien, ce qui est confirmé par un sondage réalisé pourThe Observeren novembre 2013,que 46 % de ses concitoyens jugent que l’UE est une « mauvaise chose » et qu’un nombre élevé d’entre eux ne verrait pas d’un mauvaisœil que leur pays prenne ses distances vis-à-vis du continent. Leschiffres de ce sondage sont en total décalage avec ceux enregistrés pour la Pologne, l’Allemagne et la France dont les citoyens se montrent en général plus satisfaits de faire partie de l’UE. Le fossé serait-il en train de se creuser entre le Royaume-Uni etl’Europe ? se demande en substanceLe Soirdu 2 décembre 2013.Pas que lui, à vrai dire.
Il existe deuxFrance. L’une est la patrie des droits de l’homme, héritière du mouvement des Lumières et des principes de 1789. C’est elle qui est partie à l’assaut de l’Europe des despotes, porteuse de « Cet air de liberté au-delà des frontières » qui « Auxpeuples étrangers […] donnait le vertige » (Jean Ferrat). C’est également de son peuple assiégé en 1871 qu’a surgi l’insurrection fraternelle de la Commune de Paris et de la plume courageuse d’un de ses écrivains alors au faîte de la gloire – Émile Zola – qu’a jailli, en pleine affaire Dreyfus, le « J’accuse… ! » du 13 janvier 1898. Et c’est enfin à sa Résistance, immortalisée parLe Chant des partisans10, que l’honneur d’un pays soumis à la botte nazie et au régime de Vichy a pu être sauvé de l’infamie.
Jean-Marie Le Pen se place dans la filiation de l’autre France, marquée par une indéfectible opposition à la tradition universaliste des Lumières et au legs républicain de la Révolution française. On navigue ici dans les eaux troubles du fascisme, décrites par Zeev Sternhell dans son ouvrageNi droite ni gauche. L’Idéologie fasciste en France11. Pour cet historien israélien, Vichy n’est pas un accident ou une parenthèse : au contraire, la « révolution nationale » promue par ce régime, qui a supprimé en 1940 la République au profit d’un « État français », est la concrétisation d’une idéologie puisant sa source dans lexixesiècle. L’Action française sera le véhicule principal de ce programme de restauration et Charles Maurras son infatigable inspirateur. Pour lui, en effet, le patrimoine de la nation a été victime d’uneentreprise de colonisation, les pouvoirs publics de la France étantpassés aux mains de ce qu’il nomme les quatre « États confédérés », émanant de l’étranger : le protestant, le juif, le franc-maçon, le métèque. Et le redoutable procureur de préciser : « Il s’agit de savoir si nous sommes chez nous en France ou si nous n’y sommes plus […]. Ce pays-ci n’est pas un terrain vague. Nous ne sommes pas des bohémiens nés par hasard au bord d’un chemin. […] La génération qui se sacrifiera pour le [notre sol] préserver des barbares et de la barbarie aura vécu une bonne vie. Pour notre part, voilà vingt ans que nous ne servons pas d’autre cause, en littérature et en politique12. »
À ce jour, le président d’honneur du Front national (FN) a mis bien plus que deux décennies pour servir une cause semblable. Le 5 octobre 1972, à l’initiative du mouvement activiste Ordre nouveau, cet ancien député poujadiste des années 1950 est choisi pour présider le jeune FN, association de plusieurs groupuscules néofascistes. Pour ce nouveau parti, les débuts sont discrets13. Pas de résultats probants, en tout cas, aux premièresélections auxquelles il se présente : la présidentielle de 1974 n’apporte que 0,76 % des suffrages exprimés à son fondateur ; même topo, encore plus pitoyable, aux législatives de 1978 ; en 1981, qui verra la victoire de la gauche du Programme commun et l’accession au pouvoir de François Mitterrand, son président n’obtient même pas les 500 signatures indispensables pour faireacte de candidature. En fait, il devra attendre l’année 1983 pour que sa formation fasse irruption sur le devant de la scène : les élections municipales partielles de Dreux (Eure-et-Loir) du 11 sept