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Extrait : "Il s'agit de la famille ; de l'asile où nous voudrions tous, après tant d'efforts inutiles et d'illusions perdues, pouvoir reposer notre coeur. Nous revenons bien las au foyer... Y trouvons-nous le repos ? IL ne faut point dissimuler, mais s'avouer franchement les choses comme elles sont : il y a dans la famille un grave dissentiment, et le plus grave de tous."
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● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
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Seitenzahl: 295
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Il s’agit de la famille ;
De l’asile où nous voudrions tous, après tant d’efforts inutiles et d’illusions perdues, pouvoir reposer notre cœur. Nous revenons bien las au foyer… Y trouvons-nous le repos ?
Il ne faut point dissimuler, mais s’avouer franchement les choses comme elles sont : il y a dans la famille un grave dissentiment, et le plus grave de tous.
Nous pouvons parler à nos mères, à nos femmes, à nos filles, des sujets dont nous parlons aux indifférents, d’affaires, de nouvelles du jour, nullement des choses qui touchent le cœur et la vie morale, des choses éternelles, de religion, de l’âme, de Dieu.
Prenez le moment où l’on aimerait à se recueillir avec les siens dans une pensée commune, au repos du soir, à la table de famille ; là, chez vous, à votre foyer, hasardez-vous à dire un mot de ces choses. Votre mère secoue tristement la tête ; votre femme contredit, votre fille, tout en se taisant, désapprouve… Elles sont d’un côté de la table ; vous de l’autre, et seul.
On dirait qu’au milieu d’elles, en face de vous, siège un homme invisible, pour contredire ce que vous direz.
Comment nous étonnerions-nous de cet état de la famille ? Nos femmes et nos filles sont élevées, gouvernées, par nos ennemis.
Ennemis de l’esprit moderne, de la liberté et de l’avenir. Il ne sert de rien de citer tel prédicateur, tel sermon. Une voix pour parler liberté, cinquante mille pour parler contre… Qui croit-on tromper par cette tactique grossière ?
Nos ennemis, je le répète, dans un sens plus direct, étant les envieux naturels du mariage et de la vie de famille. Ceci, je le sais bien, est leur faute encore moins que leur malheur. Un vieux système mort, qui fonctionne mécaniquement, ne peut vouloir que des morts. La vie pourtant réclame en eux, ils sentent cruellement qu’ils sont privés de la famille, et ne s’en consolent qu’en troublant la nôtre.
Ce qui perdra ce système, c’est la force apparente qu’il a tirée récemment de son unité, et la confiance insensée qu’elle lui donne.
Unité morale ? association réelle des âmes ? nullement. Dans un corps mort, tout élément, si vous le laissez à lui-même, s’éloignerait volontiers ; mais cela n’empêche pas qu’avec des cadres de fer on ne puisse serrer un corps mort, mieux qu’un corps vivant, en faire une masse compacte, et cette masse, la lancer.
L’esprit de mort, appelons-le de son vrai nom, le jésuitisme, autrefois neutralisé par la vie diverse des ordres, des corporations, des partis religieux, est l’esprit commun que le clergé reçoit maintenant par une éducation spéciale, et que ses chefs ne font pas difficulté d’avouer. Un évêque a dit : « Nous sommes jésuites, tous jésuites. » Aucun ne l’a démenti.
La plupart cependant ont moins de franchise ; le jésuitisme agit puissamment par ceux qu’on lui croit étrangers, par les sulpiciens qui élèvent le clergé, par les ignorantins qui élèvent le peuple, par les lazaristes qui dirigent six mille Sœurs de charité, ont la main dans les hôpitaux, les écoles, les bureaux de bienfaisance, etc.
Tant d’établissements, tant d’argent, tant de chaires pour parler haut, tant de confessionnaux pour parler bas, l’éducation de deux cent mille garçons, de six cent mille filles, la direction de plusieurs millions de femmes, voilà une grande machine. L’unité qu’elle a aujourd’hui pouvait, ce semble, alarmer l’État. Loin de là, l’État, en défendant l’association aux laïques, l’a encouragée chez les ecclésiastiques. Il les a laissés prendre près des classes pauvres la lus dangereuse initiative : réunion d’ouvriers, maisons d’apprentis, associations de domestiques qui rendent compte aux prêtres, etc., etc. L’unité d’action, et le monopole de l’association, certes, ce sont deux grandes forces.
Eh bien, avec tout cela, chose étrange, le clergé est faible. Il y paraîtra demain, dès qu’il n’aura plus l’appui de l’État. Il y paraît dès aujourd’hui.
Armés de ces armes et de celle encore d’une presse active qu’ils y ont jointe nouvellement, travaillant en dessous les salons, les journaux, les Chambres, ils n’ont point avancé d’un pas.
Pourquoi n’avancez-vous point ?… Si vous voulez cesser un moment de crier et gesticuler, je vais vous le dire. Vous êtes nombreux et bruyants, vous êtes forts de mille moyens matériels, d’argent, de crédit, d’intrigue, de toutes les armes du monde… Vous n’êtes faibles qu’en Dieu !
Ne vous récriez pas ici. Raisonnons plutôt ; essayons, si vous êtes des hommes, de voir ensemble ce que c’est que religion. Hommes spirituels, vous ne la mettez pas apparemment tout entière dans les choses matérielles, dans l’eau bénite et l’encens. Dieu doit être pour vous, comme pour nous, le Dieu de l’esprit, de la vérité, de la charité.
Le Dieu du Vrai s’est révélé en ces deux siècles, plus qu’il ne l’avait fait dans les dix siècles précédents. Par qui cette révélation s’est-elle accomplie ? Non par vous, mais par ceux que vous appelez laïques, et qui ont été les prêtres du Vrai. Vous ne pouvez montrer aucune des grandes découvertes, aucun des travaux durables qui restent sur la voie de la science.
Le Dieu de la charité, de l’équité, de l’humanité, nous a permis de substituer un droit humain au droit cruel du Moyen Âge. Vous en maintenez la barbarie. Ce droit exclusif ne supprimait la contradiction qu’en tuant le contradicteur. Le nôtre admet les différences ; des tons divers il fait l’harmonie ; il ne veut pas que l’ennemi meure, mais qu’il devienne ami, qu’il vive… – « Sauvez les vaincus, » dit Henri IV après la bataille d’Ivry. – « Tuez tout, » dit le pape Pie V aux soldats qu’il envoie en France avant la Saint-Barthélemy.
Votre principe est le vieux principe exclusif et homicide, qui tue ce qui le contredit. Vous parlez fort de charité ; elle n’est pas difficile, lorsqu’on a soin, comme vous faites, d’en excepter l’ennemi.
Le Dieu qui a apparu de nos jours dans la lumière des sciences, dans la douceur des mœurs et dans l’équité des lois, pourquoi le méconnaissez-vous ?
C’est là que vous êtes faibles, parce que là vous êtes impies ; une chose vous manque entre toutes, qui est la religion.
Ce qui fait la gravité de ce temps, j’ose dire sa sainteté, c’est le travail consciencieux, qui avance sans distraction l’œuvre commune de l’humanité et facilite à ses dépens le travail de l’avenir. Nos aïeux ont rêvé beaucoup, disputé beaucoup. Nous, nous sommes des travailleurs, et voilà pourquoi notre sillon a été béni. Le sol que le Moyen Âge nous laissa encore plein de ronces, il a produit par nos efforts une si puis sante moisson, qu’elle enveloppe déjà et va cacher tout à l’heure la vieille borne inerte qui crut arrêter la charrue.
Et c’est parce que nous sommes des travailleurs, parce que nous revenons fatigués tous les soirs, que nous avons besoin, plus que d’autres, du repos du cœur. Il faut que ce foyer soit vraiment notre foyer, et cette table notre table, et que nous ne trouvions pas, pour repos chez nous, la vieille dispute qui est finie dans la science et dans le monde, que notre femme ou notre enfant ne nous dise pas sur l’oreiller une leçon apprise et les paroles d’un autre homme.
Les femmes suivent volontiers les forts. Comment se fait-il donc ici qu’elles aient suivi les faibles ?
Il faut bien qu’il y ait un art pour prêter la force aux faibles. Cet art ténébreux, qui est celui de surprendre la volonté, de la fasciner, de l’assoupir, de l’anéantir, je l’ai cherché dans ce volume. Le dix-septième siècle en eut la théorie ; le nôtre en continue la pratique.
Usurpation ne fait pas droit. Ceux-ci, pour une usurpation furtive, ne sont ni plus forts ni meilleurs. Le cœur seul et la raison donnent droit au fort près du faible, non certes pour l’affaiblir, mais bien pour le fortifier.
L’homme moderne, l’homme de l’avenir, ne cédera pas la femme aux influences de l’homme du passé. La direction de celui-ci, c’est, comme on va le voir, un mariage, plus puissant que l’autre ; mariage spirituel… Mais qui a l’esprit à tout.
Épouser celle dont un autre a l’âme, jeune homme, souviens-t’en, c’est épouser le divorce.
Cela ne peut aller ainsi. Il faut que le mariage redevienne le mariage, que le mari s’associe la femme, dans sa route d’idées et de progrès, plus intimement qu’il n’a fait jusqu’ici, qu’il la soulève, si elle est lasse, qu’il l’aide à marcher du même pas. L’homme n’est pas innocent de ce qu’il souffre aujourd’hui, il faut aussi qu’il s’accuse. Dans ce temps de concurrence ardente et d’âpres recherches, impatient chaque jour d’avancer vers l’avenir, il a laissé la femme en arrière. Il s’est précipité en avant, et elle, elle a reculé… Que cela n’arrive plus. Voyons ; reprenez-vous la main. N’entendez-vous pas que votre enfant pleure ?… Le passé et l’avenir, vous l’alliez chercher dans des routes différentes, mais il est ici ; vous trouverez l’un et l’autre tout ensemble au berceau de cet enfant !
10 janvier 1845.
Le sujet du volume qu’on va lire, indiqué dans deux ou trois de mes leçons, n’a pu y être traité. Il est de nature trop intime.
Il présentait une difficulté grave, celle de parler avec convenance d’une matière où nos adversaires ont fait preuve d’une incroyable liberté. Omnia munda mundis, je le sais bien. Cependant j’ai mieux aimé souvent les laisser échapper quand je les tenais que de les suivre dans les marais et la vase.
Première partie. De la direction au dix-septième siècle. J’ai pris mes preuves historiques chez les plus purs et les meilleurs de mes adversaires, non chez ceux qui me donnaient plus de prise. Le dix-septième siècle était celui où je pouvais trouver des témoignages écrits ; c’est le seul qui n’ait pas craint de mettre en pleine lumière la théorie de la direction.
Je pouvais multiplier les citations à l’infini. Ceux qui viennent de lire l’Histoire de Louis XI savent le prix que j’attache à la vérité minutieuse du détail. J’ai cité peu, exactement, et soigneusement vérifié. Les falsificateurs que nous prenons en flagrant délit à chaque pas de nos études historiques sont bien hardis de parler d’exactitude. Ils peuvent dire à leur aise ; ils ne réussiront jamais à nous faire mettre en face de leurs noms des noms connus pour la loyauté.
Seconde partie. De la direction en général, et spécialement au dix-neuvième siècle. Une sérieuse enquête sur les faits contemporainsm’a donné cette seconde partie pour résultat. J’ai vu, écouté, interrogé ; j’ai pesé les témoignages, et les ai rapprochés d’un grand nombre de faits analogues que je savais depuis longtemps. Ces faits plus anciens et cette enquête nouvelle, j’ai tout contrôlé devant le jury intérieur que je porte en moi.
Troisième partie. De la Famille. Je n’ai eu nullement la prétention de traiter ce vaste sujet. Je voulais indiquer seulement ce que le mariage et la famille sont dans leur vérité, et comment le foyer, ébranlé par une influence étrangère, peut se raffermir.
J’ai cru devoir finir par un mot à mes adversaires. J’ai écrit sans haine. Je dirai volontiers (tout au rebours du païen) : « Ô mes ennemis ! il n’y a pas d’ennemis. » – Si ce livre, sévère pour les prêtres, avait quelque effet dans l’avenir, ce sont eux surtout qu’il aurait servis. Plusieurs d’entre eux en ont jugé ainsi, et ils n’ont pas fait de difficulté de répondre à nos questions… Oui, puisse ce livre, tout faible qu’il est, avancer l’époque où le prêtre, redevenu homme, libre d’un système artificiel (absurde, impossible aujourd’hui), rentrera dans la nature et prendra sa place au milieu de nous.
La préface de la troisième édition se trouve à la fin du volume.
Réaction dévote de 1600. Influence des jésuites sur les femmes et les enfants. – La Savoie, les Vaudois ; violence et douceur. Saint François de Sales.
Tout le monde a vu au Louvre le gracieux tableau du Guide qui représente l’Annonciation. Le dessin est incorrect, la couleur fausse, et pourtant l’effet séduisant. N’y cherchez pas la conscience, l’austérité des vieilles écoles ; vous n’y trouveriez pas davantage la main jeune et forte des maîtres de la Renaissance. Le seizième siècle a déjà passé, et tout a molli. La figure où le peintre s’est évidemment complu, l’ange, selon les raffinements de cette époque blasée, est un mignon enfant de chœur, un chérubin de sacristie. Il a seize ans, la Vierge dix-huit ou vingt. Cette Vierge, nullement idéale, toute réelle, et d’une réalité faible, n’est qu’une jeune demoiselle italienne que le Guide a prise chez elle, dans son petit oratoire, et sur un prie-Dieu commode, tel que les dames en avaient.
Si le peintre s’est inspiré d’autre chose, ce n’est pas de l’Évangile, mais bien plutôt des romans dévots de l’époque, ou des sermons à la mode que débitaient les jésuites dans leurs coquettes églises. La Salutation angélique, la Visitation, l’Annonciation, étaient le sujet chéri sur lequel on avait dès longtemps épuisé toutes les imaginations de la galanterie séraphique. En voyant ce tableau du Guide, on croit lire le Bernardino ; l’ange parle latin comme un docte jeune clerc ; la Vierge, en demoiselle bien élevée, répond dans son doux italien. (« O alto signore, etc.) »
Ce joli tableau est de conséquence comme œuvre caractéristique d’une époque déjà mauvaise, œuvre agréable et délicate, qui n’en fait que mieux sentir la grâce suspecte, le charme équivoque.
Rappelons-nous les formes doucereuses que prit la réaction dévote de ce temps, qui est celui d’Henri IV. On est tout étonné, le lendemain du seizième siècle, après les guerres et les massacres, d’entendre partout glapir cette douce petite voix… Les terribles prêcheurs des Seize, les moines qui portaient le mousquet aux processions de la Ligue, s’humanisent tout à coup ; les voilà devenus bénins. C’est qu’il faut bien essayer d’endormir ceux qu’on n’a pas pu tuer. L’entreprise, au reste, n’était pas si difficile. Tout le monde avait sommeil après cette grande fatigue des guerres de religion ; chacun était excédé d’une lutte sans résultat, où personne n’était vainqueur ; chacun connaissait trop bien son parti et ses amis. Le soir d’une si longue marche, il n’était si bon marcheur qui n’eût envie de reposer ; l’infatigable Béarnais, s’endormant comme les autres, ou voulant les endormir, leur donnait l’exemple, et se remettait de bonne grâce aux mains du père Cotton et de Gabrielle.
Henri IV est le grand-père de Louis XIV, Cotton le grand-oncle du P. la Chaise : deux royautés, deux dynasties, celle des rois, celle des confesseurs jésuites. L’histoire de celle-ci serait fort intéressante. Ils régnèrent pendant tout le siècle, ces aimables Pères, à force d’absoudre, de pardonner, de fermer les yeux, d’ignorer ; ils allèrent aux grands résultats par les plus petits moyens, par les petites capitulations, les secrètes transactions, les portes de derrière, les escaliers dérobés.
Les jésuites avaient à dire que, restaurateurs obligés de l’autorité papale, c’est-à-dire médecins d’un mort, ils ne pouvaient guère choisir les moyens. Battus sans retour dans le monde des idées, où pouvaient-ils reprendre la guerre, sinon dans le champ de l’intrigue, de la passion, des faiblesses humaines ?
Là, personne ne pouvait les servir plus activement que les femmes. Quand elles n’agirent pas avec les jésuites et pour eux, elles ne leur furent pas moins utiles indirectement, comme instrument et moyen, comme objet de transactions et de compromis journaliers entre le pénitent et le confesseur.
La tactique du confesseur ne différait pas beaucoup de celle de la maîtresse. Son adresse, à lui comme à elle, c’était de refuser parfois, d’ajourner et de faire languir, de sévir, mais mollement, puis enfin de s’attendrir, par trop grande bonté de cœur… Ce petit manège, infaillible près d’un roi galant et dévot, obligé d’ailleurs de communier à jours fixes, mit souvent l’État tout entier dans le confessionnal. Le roi pris et tenu là, il fallait qu’il satisfit, de manière ou d’autre. Il payait ses faiblesses d’homme par des faiblesses politiques, tel amour lui coûtait un secret d’État, tel bâtard une ordonnance. Parfois, on ne le tenait pas quitte à moins de donner des gages ; pour garder telle maîtresse, par exemple, il lui fallait livrer son fils. Combien le P. Cotton en passa-t-il à Henri IV pour obtenir de lui l’éducation du Dauphin !
Dans cette grande entreprise de saisir partout l’homme au moyen de la femme, et par la femme l’enfant, les jésuites rencontraient plus d’un obstacle, un surtout bien grave : leur réputation de jésuites. Ils étaient déjà beaucoup trop connus. On peut lire dans les lettres de saint Charles Borromée, qui les avait établis à Milan et singulièrement favorisés, les caractères qu’il leur donne : intrigants, brouillons, insolents sous formes rampantes. Leurs pénitents mêmes, qui les trouvaient fort commodes, ne laissaient pas par moments d’en prendre dégoût. Les plus simples voyaient bien que des gens qui trouvaient toute opinion probable n’en avaient aucune. Ces fameux champions de la foi, en morale étaient des sceptiques ; moins encore que des sceptiques, car le scepticisme spéculatif pourrait laisser quelque sentiment d’honneur, mais un docteur en pratique, qui sur tel acte dit oui, et oui sur l’acte contraire, doit aller baissant toujours de moralité et perdre non seulement tout principe, mais, à la longue, le cœur !
Leur mine seule était leur satire. Ces gens, si habiles à s’envelopper, suaient le mensonge ; il était tout autour d’eux, visible et palpable. Comme un laiton mal doré, comme les saints joujoux de leurs églises pimpantes, ils luisaient faux à cent pas : faux d’expression, d’accent, faux de geste et d’attitude, maniérés, exagérés, souvent mobiles à l’excès. Cette mobilité amusait, mais elle mettait en garde. Ils pouvaient bien apprendre une attitude, un maintien ; mais les grâces apprises, les allures savamment obliques, onduleuses et serpentines, ne sont rien moins que rassurantes. Ils travaillaient à se faire simples, humbles, petits, bonnes gens… La grimace les trahissait.
Ces gens à mine équivoque avaient pourtant près des femmes un mérite qui rachetait tout, ils aimaient fort les enfants. Il n’y avait pas de mère, de grand-mère, ni de nourrice qui les flattât davantage, qui trouvât mieux, pour les faire rire, le petit mot caressant. Dans les églises de jésuites, les bons saints de la Société, saint Xavier ou saint Ignace, sont peints souvent en nourrices grotesques, tenant dans leurs bras, berçant et baisant le divin poupon. C’est aussi sur leurs autels, dans leurs chapelles parées, qu’on a commencé de faire ces petits paradis sous-verre, où les femmes aiment à voir l’enfant de cire couché dans les fleurs. Les jésuites aimaient tant les enfants, qu’ils auraient voulu les élever tous. Nul d’entre eux, si savant qu’il fût, ne dédaignait d’être régent, d’enseigner la grammaire et d’apprendre à décliner.
Cependant il y avait bien des gens, de leurs amis, même de leurs pénitents, de ceux qui leur confiaient leur âme, qui pourtant hésitaient à leur confier leurs fils.
Ils auraient bien moins réussi auprès des enfants et des femmes, si leur bonheur ne leur eût donné pour auxiliaire un grand enfant, fin et sage, qui justement avait tout ce qui leur manquait pour inspirer confiance, une charmante simplicité.
Cet ami des jésuites, qui les servit d’autant mieux qu’il ne se fit pas jésuite, créa naïvement, au profit de ces politiques, ce qu’ils auraient cherché toujours, le genre, le ton, le vrai style de la dévotion aisée. Le faux ne prendrait jamais l’ombre de vie qu’il peut prendre, s’il n’avait eu un moment vrai.
Avant de parler de François de Sales, je dois dire un mot du théâtre où il agit.
Le grand effort de la réaction ultramontaine, vers 1600, était aux Alpes, en Suisse, en Savoie. On travaillait fortement sur les deux pentes ; seulement on y employait des moyens tout autres : on montrait des deux côtés deux visages différents, face d’ange et face de bête ; celle-ci, de bête féroce, dans le Piémont, contre les pauvres Vaudois. En Savoie et vers Genève, on se faisait ange, ne pouvant guère employer que la douceur contre des populations que les traités garantissaient, et qui auraient été couvertes contre la violence par les lances de la Suisse.
L’agent de Rome, en ces quartiers, fut le célèbre jésuite Antonio Possevino, le professeur, l’érudit, le diplomate, le confesseur des rois du Nord. Il organisa lui-même les persécutions contre les Vaudois du Piémont, et il forma, dirigea son élève, François de Sales, à gagner par adresse les protestants de Savoie.
Cette terrible histoire des Vaudois, dois-je en parler ou m’en taire ? En parler ? Elle est trop cruelle ; personne ne la racontera sans que la plume n’hésite, et que l’encre, en écrivant, ne blanchisse de larmes. Si pourtant je n’en dis rien, on ne sentira jamais le plus odieux du système, l’artificieuse politique qui fit employer des moyens tout opposés en des questions semblables : ici la férocité, là une étrange douceur. Un seul mot, et j’en serai quitte. Les bourreaux les plus cruels furent des femmes, les pénitentes des jésuites de Turin ; les victimes furent des enfants ! Au seizième siècle, on les détruisait ; il y eut quatre cents enfants de brûlés en une fois dans une caverne ; au dix-septième, on les volait. L’édit de pacification, accordé aux Vaudois en 1655, promet pour grâce singulière qu’on n’enlèvera plus leurs enfants âgés de moins de douze ans ; au-dessus de cet âge, il est permis de les prendre.
Ce nouveau genre de persécutions, plus cruel que les massacres, caractérise l’époque où les jésuites entreprirent de s’emparer partout de l’éducation des enfants. Ces plagiaires impitoyables, qui les enlevaient à leurs mères, ne voulaient autre chose que les élever à leur guise, leur faire abjurer leur foi, leur faire haïr leur famille, les armer contre les leurs.
Ce fut, comme je l’ai dit, un professeur jésuite, Possevino, qui renouvela la persécution vers le temps qui nous occupe. Le même, enseignant à Padoue, eut pour élève le jeune François de Sales, qui déjà avait passé un an à Paris, au collège de Clermont. Il était d’une de ces familles de Savoie, très militaires, très dévotes, qui pendant si longtemps ont fait la guerre à Genève. Pour la guerre de séduction qu’on voulait commencer alors, il avait toutes les armes : dévotion tendre et sincère, parole vive et chaude, charme singulier de bonté, de beauté, de gentillesse. Ce charme, qui ne l’a senti dans le sourire des enfants de Savoie, naïfs, mais si avisés ?
Toute la grâce du ciel avait plu sur celui-ci, il faut bien le croire, puisque, avec ce mauvais temps, ce mauvais goût, ce mauvais parti, parmi le monde fin et faux qui l’exploita, il resta pourtant saint François de Sales. Tout ce qu’il a dit ou écrit, sans être irréprochable, est charmant, plein de cœur, d’une gentillesse originale d’enfant de génie, qui, tout en faisant sourire, n’attendrit pas moins. Partout ce sont de vives sources qui jaillissent, des fleurs et des fleurs, de petits ruisseaux qui courent, comme par une jolie matinée de printemps après la pluie. Il y a peut-être à dire qu’il s’amuse tant aux fleurettes, que souvent ce n’est plus bouquet de bergère, mais bouquet de bouquetière, comme dirait sa Philothée ; il les prend toutes, il en prend trop ; il y en a, dans le nombre, de couleurs mal assorties et baroques. C’est le goût du temps, il faut l’avouer ; le goût savoyard en particulier ne craint pas le laid ; une éducation de jésuite ne fait pas haïr le faux.
Mais, quand même il n’eût pas été un si charmant écrivain, l’attrait singulier qui était en sa personne n’eût pas moins agi. Sa blonde et douce figure, qui fut toujours un peu enfantine, ravissait au premier regard ; les petits enfants, sur les bras de leurs nourrices, ne pouvaient, dès qu’ils l’avaient vu, en ôter leurs yeux. Lui, il les aimait fort aussi ; il leur passait volontiers la main sur leur petite tête. « Voilà mon petit ménage, disait-il, voilà mon petit ménage. » Les enfants allaient après lui, les mères suivaient les enfants.
Petit ménage ? petit manège ? parfois l’un ressemble à l’autre. Enfant d’apparence, au fond le bonhomme était très fin. S’il permet aux religieuses tel et tel petit mensonge, faut-il croire qu’il se les soit refusés toujours à lui-même ?… Quoi qu’il en soit, le vrai mensonge fut moins dans ses paroles que dans sa position ; il fut évêque pour donner l’exemple d’immoler au pape les droits des évêques. Pour l’amour de la paix, pour couvrir les divisions des catholiques d’une apparente union, il rendit aux jésuites le service essentiel de sauver leur Molina accusé à Rome ; il obtint que le pape imposât silence aux amis et aux ennemis de la grâce.
Cet homme, de nature si douce, ne s’en tint pas cependant aux moyens de douceur et de persuasion. Dans son zèle de convertisseur, il appela au secours des moyens moins honorables, l’intérêt, l’argent, les places, enfin l’autorité, la peur ; il fit aller le duc de Savoie de village en village, et lui conseilla enfin de chasser les derniers qui refusaient d’abjurer leur foi. L’argent, très puissant dans ce pays pauvre, lui semblait un moyen si naturel et tellement irrésistible, qu’il alla jusque dans Genève marchander le vieux Théodore de Bèze, et lui offrit de la part du pape quatre mille écus de pension.
C’est un spectacle de le voir, évêque et prince titulaire de Genève, tourner autour de la ville, en faire le siège, organiser contre elle, par la Savoie, par la France, une guerre de séduction. L’argent, l’intrigue, n’y suffisaient pas. Il fallait un charme plus doux pour amollir et fondre cet inabordable glacier de logique et de critique. Des couvents de femmes furent fondés, pour attirer, recevoir les nouvelles converties, pour leur offrir une amorce puissante d’amour et de mysticisme. Ils sont restés célèbres par les noms de madame de Chantal et de madame Guyon. La première y commença les molles dévotions de la Visitation ; la seconde y écrivit son petit livre des Torrents, qui semble inspiré des Charmettes, de Meillerie, de Clarens, comme la Julie de Rousseau, moins dangereuse à coup sûr.
Saint François de Sales et madame de Chantal. Visitation. – Quiétisme. Résultats de la direction dévote.
Saint François de Sales était fort populaire en France, et surtout dans les Bourgognes, qui gardaient, depuis la Ligue, un puissant levain de passions religieuses. Le parlement de Dijon le pria d’y venir prêcher. Il fut reçu par son ami André Frémiot, qui, d’abord conseiller au Parlement, était devenu archevêque de Bourges. Fils d’un président fort estimé à Dijon, il était frère de madame de Chantal, et par conséquent grand-oncle de madame de Sévigné, petite-fille de celle-ci.
Les biographes de saint François et de madame de Chantal, pour rendre la rencontre romanesque et merveilleuse, supposent, avec peu de vraisemblance, qu’ils ne se connaissaient point, qu’ils avaient à peine entendu parler l’un de l’autre ; ils s’étaient vus seulement dans leurs songes ou leurs visions. Au carême que le saint prêcha à Dijon, il la remarqua entre toutes les dames, et, descendant de la chaire : « Quelle est donc, dit-il, cette jeune veuve qui écoutoit si attentivement la parole de Dieu ? – C’est ma sœur, dit l’archevêque, la baronne de Chantal. »
Elle avait alors (en 1604) trente-deux ans ; saint François en avait trente-sept. Elle était née par conséquent en 1572, l’année de la Saint-Barthélemy. Elle apporta en naissant quelque chose d’austère, mais de passionné, de violent. Elle n’avait que six ans ; un gentilhomme huguenot lui donne des bonbons, et elle les jette au feu. « Monsieur, voilà comme les hérétiques brûleront en enfer, parce qu’ils ne croient pas ce que Notre-Seigneur a dit. Si vous donniez un démenti au Roi, mon papa vous feroit pendre ; qu’est-ce donc de donner tant de démentis à Notre-Seigneur ? »
Avec toute sa dévotion et sa passion, c’était un esprit positif. Elle avait très bien gouverné la maison et la fortune de son mari. Elle administra sagement celles de son père et de son beau-père. Elle demeurait chez ce dernier, qui autrement n’eût pas laissé son bien aux jeunes enfants de madame de Chantal.
C’est un enchantement de lire les vives et charmantes lettres par lesquelles s’ouvre la correspondance de saint François de Sales avec « sa chère sœur et sa chère fille. » Rien de plus pur, de plus chaste, mais aussi, pourquoi ne le dirions-nous pas ? rien de plus ardent. Il est curieux d’observer l’art innocent, les caresses, les tendres et ingénieuses flatteries dont il enveloppe les deux familles de Frémiot et de Chantal ; le père d’abord, le bon président Frémiot, qui, dans sa bibliothèque, commence à faire de pieuses lectures et songe au salut ; le frère ensuite, l’ex-conseiller, archevêque de Bourges ; il écrit tout exprès pour lui un petit traité sur la manière de prêcher. Il ne néglige nullement le beau-père, le rude baron de Chantal, vieux débris des guerres de la Ligue, qui est la croix de sa belle-fille. Mais de tous, les petits enfants sont ceux auxquels il fait le mieux sa cour ; il a pour eux mille tendresses, mille caresses pieuses, telles qu’un cœur de femme, de mère, les eût à peine trouvées. Il prie pour eux, et il veut que ces petits le mettent dans leurs prières.
Une seule personne est difficile à apprivoiser dans cette maison, le confesseur de madame de Chantal. Il faut apprendre, dans cette lutte du directeur contre le confesseur, tout ce qu’il peut y avoir d’adresse, de ménagements habiles, de ruse, dans une ardente volonté. Ce confesseur était un dévot personnage, mais borné, de petit esprit, de petites pratiques. Le saint veut être son ami ; il soumet d’avance à ses lumières les conseils qu’il pourra donner. Il rassure habilement madame de Chantal, qui n’était pas sans scrupule sur son infidélité spirituelle, et qui, se sentant sur une pente si douce, craignait d’avoir abandonné la rude voie du salut. Il ménage ce scrupule pour mieux le lever ; doit-elle l’avouer au confesseur, il lui fait entendre finement qu’elle peut s’en dispenser.
Il déclare en vrai vainqueur qui n’a rien à craindre, qu’à la différence de l’autre, inquiet, chagrin, jaloux, qui veut être seul obéi, lui, il ne l’oblige à rien, il la laisse tout à fait libre. Nulle obligation, sinon celle de l’amitié chrétienne, dont le lien est appelé par saint Paul le lien de perfection. Tous les autres liens sont temporels, même celui de l’obéissance ; mais celui de la charité croît avec le temps ; il est exempt du tranchant de la mort. La dilection est forte comme la mort, dit le Cantique des Cantiques.
Il lui dit ailleurs, avec beaucoup de naïveté et d’élévation : « Je n’ajoute pas un seul brin à la vérité ; je parle devant le Dieu de mon cœur et du vôtre ; chaque affection a sa particulière différence d’avec les autres ; celle que je vous ai a une certaine particularité qui me console infiniment, et, pour tout dire, qui m’est extrêmement profitable. Je n’en voulois pas tant dire, mais un mot tire l’autre, et puis je pense que vous le ménagerez bien. » (14 oct 1604.)
Dès ce moment, l’ayant toujours présente devant les yeux, il l’associe non seulement à sa pensée religieuse, mais, ce qui étonne, aux actes même du prêtre. C’est généralement avant ou après la messe qu’il lui écrit ; c’est à elle, à ses enfants, qu’il pense, dit-il, au moment de la communion. Ils font pénitence aux mêmes jours, communient ensemble, quoique séparés ; il l’offre à Dieu, lorsqu’il lui offre son Fils.
Cet homme rare, en qui une telle union n’altéra jamais un moment la sérénité, put s’apercevoir bientôt que l’âme de madame de Chantal était loin d’être aussi paisible. C’était une nature forte, un cœur profond. Le peuple, la bourgeoisie, les sérieuses familles de robe dont elle sortait, apportaient au monde un esprit plus âpre, mais plus sincère et plus vrai, que les races élégantes et nobles, usées au seizième siècle. Les derniers venus étaient neufs ; vous les trouvez partout, ardents, sérieux, dans les lettres, dans la guerre, dans la religion ; ils donnent au dix-septième tout ce qu’il eut de grave et de saint. Celle-ci, pour être une sainte, n’en avait pas moins des abîmes de passion inconnue.
Ils s’étaient quittés depuis deux mois à peine, lorsqu’elle lui écrivit qu’elle voulait le revoir. Et, en effet, ils se réunirent à moitié chemin, en Franche-Comté, au célèbre pèlerinage de Saint-Claude. Là elle fut heureuse ; là elle versa tout son cœur, se confessa à lui pour la première fois, et fit entre ses mains le vœu si doux à déposer en des mains aimées, vœu d’obéissance.
Six semaines ne sont pas passées ; elle lui écrit qu’elle voudrait le voir encore. Ce n’est plus qu’orages en elle, que tentations ; elle est entourée de ténèbres, de doutes, même sur la foi ; elle n’a plus de force pour vouloir ; elle voudrait voler, hélas ! elle n’a pas d’ailes !… Et au milieu de ces choses grandes et tristes, cette grave personne semble un peu enfant ; elle aurait envie qu’il ne la nommât plus Madame, mais ma sœur, ma fille, comme il l’appelait quelquefois.
Ailleurs elle dit cette parole sombre : « Il y a quelque chose en moi qui n’a jamais été satisfait. » (21 nov 1604.)
La conduite du saint mérite d’être observée. Cet homme, si fin ailleurs, ne veut entendre ici qu’à moitié. Loin d’attirer madame de Chantal à la vie religieuse qui l’eût mise dans sa main, il essaye de la raffermir dans sa place de mère, de fille, près de ses enfants, près de deux vieillards dont elle est la mère aussi. Il l’occupe de ses devoirs, de ses affaires, de ses dettes à payer. Pour ses doutes, il n’y faut pas réfléchir, ni raisonner. Elle lira parfois de bons livres ; comme tels, il lui conseille quelques mauvais traités mystiques. Si l’ânesse regimbe (il désigne ainsi la chair, la sensualité), on peut la flatter de quelques coups de discipline.
Il paraît avoir très bien senti à cette époque que les rapprochements entre deux personnes si unies de cœur n’étaient pas sans inconvénient. Aux prières de madame de Chantal, il répond avec prudence : « Je suis lié ici pieds et mains ; et pour vous, ma bonne sœur, l’incommodité du voyage passé ne vous étonne-t-elle pas ? » Ceci est écrit en octobre, à la veille d’une saison assez rude dans le Jura et aux Alpes : « Nous verrons entre ci et Pâques. »
Elle alla à cette époque le voir chez sa mère ; puis, se retrouvant seule à Dijon, elle devint fort malade. Occupé de controverse à cette époque, il semblait la négliger. Il écrivait de moins en moins, éprouvant sans doute le besoin d’enrayer dans cette route rapide. Pour elle, toute cette année (1605) se passe violemment entre les tentations et les doutes ; elle ne sait plus à la fin si elle ne va pas s’enterrer aux Carmélites, ou bien se remarier.