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L'angoisse peut prendre bien des formes, l'épouvante revêtir bien des aspects. Alors oubliez ce que vous pensez savoir sur l'horreur et préparez-vous à frissonner... À travers les huit récits de ce recueil, vous découvrirez que l'épouvante est polymorphe et qu'elle peut se muer dans de nombreux genres littéraires. En parcourant ces différentes histoires, fantastique, science-fiction ou encore thriller mettront vos sens et votre psychologie à l'épreuve. Alors, êtes-vous prêts à entamer ce voyage au coeur de l'étrange ? Saurez-vous démêler le vrai du faux ? Ou sombrerez-vous inéluctablement dans la folie ? Ce livre est une compilation d'histoires totalement indépendantes les unes des autres, de tailles et de narrations différentes. Cependant, un thème les réunit toutes : l'angoisse. Au-delà de cela, divers genres y sont explorés, comme le fantastique, la science-fiction, le thriller... L'objectif de ce recueil est de montrer comment une même émotion peut être développée de différentes manières, dans des récits complètement distincts sur la forme et pourtant assez semblables sur le fond. La diversité de ce livre fait que n'importe qui pourra y trouver son compte ou découvrir de nouveaux genres ne lui étant pas forcément familiers. Comme les nouvelles n'ont aucun lien entre elles, l'ordre de lecture importe peu, ce qui permettra à chacun d'appréhender cet ouvrage comme il le souhaite.
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Seitenzahl: 419
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Ce premier et très court récit raconte l'histoire d'un homme, Arthur Bach, revenu à la vie après un accident de voiture. Mais, comme vont rapidement le constater ses proches, cette expérience l’a changé à jamais. Il se pourrait que ce miracle soit, en réalité, une malédiction...
Un homme se réveille au milieu d'une forêt lugubre, dans une atmosphère hivernale, sans aucun souvenir de qui il est, ni comment il est arrivé là. Sa quête de réponses le mènera accidentellement à la mort... jusqu’à ce qu’il se réveille une fois de plus au même endroit. À partir de là, il revivra les mêmes évènements en boucle, prenant petit à petit le contrôle de son destin pour tenter de percer le mystère dans lequel il est emprisonné.
Pendant la Première Guerre Mondiale, un jeune soldat français du nom de Jean Lecordier et son unité tentent de survivre dans les terribles tranchées devenues leur foyer. Mais entre les combats, la peur, l’insalubrité et les tensions internes, une présence mystérieuse semble profiter du chaos pour semer davantage le trouble dans le coeur de Jean et de ses compagnons. Mais, comme tout le monde le sait, la guerre peut rendre fou. Le mystère s'épaississant chaque jour est-il l’invention de l’esprit torturé du jeune soldat ou bien réel et cachant quelque chose de plus obscur ?
Afin de s’éloigner des tensions que subit leur famille, Marie et son fils Théo décident de partir en vacances chez une amie, dans un village perdu au milieu des montagnes, coupé du reste du monde. Alors que Marie pense profiter du calme pour se ressourcer, Théo disparaît. Elle va alors partir à sa recherche et ce qu’elle va découvrir dépasse toutes les pires horreurs qu’elle aurait pu imaginer.
Après un drame absolument tragique dont elle se sent responsable, Naomi perd littéralement le sommeil, jusqu’à être dépossédée de sa capacité à dormir. Ses insomnies feront subir un véritable enfer à son corps et son esprit, l’empêchant de distinguer le vrai du faux, le réel du cauchemar. Entre hallucinations, dépression et deuil, cette histoire vous fait entrer dans la tête d’une femme traversant un supplice psychologique extrêmement intense. À moins qu’une force extérieure ne soit à l’oeuvre…
Depuis la mort de sa jeune nièce Lola, Anissa se bat entre son propre deuil et celui de sa soeur Iris, rongée par le désespoir. C’est en allant entretenir la tombe de Lola, comme elle a l’habitude de le faire, qu’Anissa remarque une chose étrange : quelqu’un semble fleurir les tombes d’inconnus d’un bout à l’autre du cimetière. Intriguée, elle décide de se lancer dans une enquête pour tenter de découvrir l’identité de cet individu, qui est en réalité bien plus mystérieux qu’elle l’imagine.
Hiram, un ancien criminel aujourd’hui repenti, vit une existence loin d’être parfaite. Constamment sous protection policière pour sa propre sécurité, il est persuadé que son ancien patron est déterminé à se venger de sa trahison. Profondément traumatisé par l’évènement ayant conduit à sa délation, Hiram, bien que suivi par une psychiatre, est devenu paranoïaque et psychotique, ce qui pousse ses gardes du corps à ne pas le prendre au sérieux. Mais peut-être est-il finalement le seul à avoir raison. Ou bien sa détresse psychologique l’entraînera sur un chemin dont il ne pourra jamais revenir…
Dans ce dernier récit, tout aussi court que le premier, nous suivons Zoé Saint-Clair, une journaliste enquêtant sur la disparition d’une jeune fille en plein milieu de montagnes hivernales, en proie à une violente tempête. Les indices qu’elle s’efforce de suivre au coeur du blizzard l’amèneront dans une situation aussi énigmatique que glaciale.
1-MAUDIT MIRACLE
2-HITCH
3-LE MYSTÈRE DES TRANCHÉES
4-IRRASSASIABLE
5-SOMNOVORE
6-L’HOMME QUI FLEURISSAIT LES TOMBES
7-SOMBRE DÉSARROI
8-SANGLANT BLIZZARD
La nuit. Sombre. Glaciale. Effrayante. Dans le petit bois, la lueur de la lune, masquée par quelques nuages menaçants, doit se frayer un chemin entre les branches semblables à des griffes. Au loin, un hibou hulule de manière inquiétante. Des ombres passent et repassent sans arrêt.
Au milieu de tout ça, une innocente créature se promène. La nuit est son seul moment de paix. Car les humains ont peur de l’obscurité, peur de ce qu’ils ne peuvent pas voir. Le jeune faon avance doucement, protégé des vents glaciaux du rude hiver par la végétation qui l’entoure. Mais il est encore jeune et il ignore les dangers qui l’attendent s’il continue sa route.
Bientôt, les branches ne le protègent plus et le froid l’envahit. Ses sabots heurtent quelque chose. Bien plus dur que de la terre gelée. L’odeur n’est pas la même ici. Le vent est un peu plus intense. Tout à coup, deux lumières éblouissantes l’aveuglent. Le faon s’immobilise, pétrifié par l’incompréhension. Les lumières dévient leur trajectoire et un énorme bruit s’ensuit. Le faon s’enfuit, pris de panique.
L’automobiliste s’appelle Arthur Bach. Il prend cette petite route de campagne tous les jours depuis des années. Il connaît ses virages alambiqués comme sa poche. Il n’y croise jamais personne. Il a tellement l’habitude qu’il roule souvent bien au-delà des limitations de vitesse. Jusque-là, cela ne lui avait jamais posé de problème. Mais, jusque-là, il n’avait jamais croisé de faon dans la pénombre, en pleine nuit hivernale.
Il a réussi à voir l’animal avant de le percuter. Assez tôt pour pouvoir l’éviter mais trop tard pour s’en sortir indemne. Sans cette plaque de verglas, peut-être n’aurait-il pas atterri dans le fossé. Et sans ce faon, peut-être ne serait-il pas en train de se vider de son sang au beau milieu de nulle part.
Il faut une nuit entière et une épouse anxieuse pour retrouver Arthur. Sophie Bach a l’habitude que son mari rentre tard le soir. Mais, cette fois, elle avait senti qu’il se tramait quelque chose de grave. Elle avait attendu des heures avant de se décider à appeler la police. Jusqu’au petit matin, les policiers ont passé le trajet qu’Arthur avait l’habitude d’emprunter au peigne fin. La priorité de Sophie était, avant tout, de ne pas inquiéter son fils, Nicolas. Lorsque l’enfant lui a demandé où était son papa, elle a répondu que les gentils hommes en bleu allaient le retrouver. Et elle n’avait pas tort, mais elle ne s’attendait pas à ce que ce soit dans ces conditions.
Évidemment, après une nuit à agoniser dans le fossé d’une route de campagne, sa ceinture de sécurité lui comprimant la cage thoracique, des morceaux de verres dans les yeux et sous la peau, Arthur est en piteux état.
Quand Sophie arrive sur les lieux, il est bien trop tard. Un cortège de policiers et de pompiers bloque la route. La portière de la voiture de son époux a été découpée et le corps en a été extrait. En le voyant, Sophie se précipite vers lui, les larmes aux yeux et la terreur au ventre, mais elle est arrêtée par des policiers.
— C’est mon mari ! proteste-t-elle.
— Je suis désolé, vous devez laisser les pompiers faire leur travail, tente de la calmer un policier d’une voix compatissante et professionnelle.
— Comment va-t-il ? Appelez une ambulance ! s’exclame-telle, paniquée. Pourquoi il n’y a pas d’ambulance ?!
Hélas, Arthur ne prendra pas d’ambulance en direction de l’hôpital, plutôt un corbillard en direction de la morgue. Délicatement, les soldats du feu le placent dans un sac mortuaire.
De son côté, c’est en voyant cette poche noire, que l’on aperçoit qu’au moment des tragédies, que Sophie réalise enfin ce qui se passe. Ses jambes tremblent et elle tombe à genoux en sanglotant aux pieds des agents de police. Ceux-ci tentent de la réconforter comme ils peuvent.
— Nous sommes navrés…, déplorent-ils d’un timbre grave.
Puis, la civière transportant le sac mortuaire passe devant eux. Tous sont profondément tristes pour cette femme. Malheureusement, il est parfois impossible de sauver tout le monde.
Mais, tout à coup, une secousse stoppe la civière. Le sac bouge. Les pompiers s’écartent instinctivement. Le souffle de tout le monde se coupe devant l’étrange évènement.
Les mouvements s’arrêtent et le calme revient, suspendant le temps pendant un instant. Puis, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la fermeture s’ouvre de l’intérieur. Devant les regards stupéfaits de l’assemblée, Arthur Bach se relève d’entre les morts. Le haut de son corps meurtri apparaît au grand jour, il s’assoit sur la civière comme s’il se levait de son lit.
Un silence glaçant règne dans la brume hivernale. Finalement, le ressuscité fait un geste. Sa main se dirige vers son visage et, du bout des doigts, il retire le morceau de verre planté dans son oeil gauche. Il observe le fragment tranchant avant de reporter son attention sur les autres. Il ne semble pas surpris, désorienté, ni même apeuré. En vérité, son expression est totalement neutre, comme s’il ne ressentait rien.
Sophie n’a jamais été croyante, pourtant, à ce moment-là, le seul mot qui lui vient à l’esprit est « miracle ».
Les mois passent et Arthur ne révèle aucune séquelle physique de son accident. Il a retrouvé sa maison, son fils, son épouse, son travail. Même ses voisins bruyants. Tout est rentré dans l’ordre.
Mais Sophie est inquiète. Cela fait plusieurs fois qu’il oublie Nicolas à la sortie de l’école. Depuis qu’il a défié la fatalité, Arthur est différent, distant et froid.
Un soir, après avoir dîné, Sophie lui demande d’aller border Nicolas, pour essayer de renouer des liens avec lui. Arthur n’émet aucune opposition à l’idée, mais ne montre aucun enthousiasme non plus.
— Pourquoi les voisins crient tout le temps ? demande le garçon dans son lit, pendant que son père termine de le coucher.
— Parce qu’il est alcoolique et qu’il la bat quand il est soûl, répond son père d’un air complétement détaché.
— Il faudrait appeler les hommes en bleu qui t’ont sauvé pour l’aider.
— On l’a déjà fait mais ça n’a servi à rien. Un jour, il la tuera et ce sera terminé, déclare placidement Arthur.
Sur ces mots glaçants, il éteint la lumière.
— Tu me fais un bisou ? réclame Nicolas.
Mais son père a déjà fermé la porte.
Il rejoint sa femme à la cuisine et l’aide à débarrasser la table. Au-dessus de l’évier, il reste immobile un instant avant de s’emparer du couteau qu’il s’apprêtait à nettoyer. Avec un regard semblant appartenir à un autre, il enfonce la lame dans sa paume et regarde le sang couler. Il semble fasciné par ce spectacle jusqu’à ce que la voix de son épouse l’interrompe.
— Tu t’es coupé ?
Lentement, il tourne un visage sans expression vers elle.
— En effet, répond-t-il simplement.
Une semaine après ces évènements, Sophie rentre chez elle en colère. Sur le palier, elle n’entend pas les voisins se disputer, ce qui est inhabituel. Mais elle n’y prête guère attention, trop énervée contre son mari.
— Tu l’as encore oublié, s’écrie-t-elle une fois en face de lui, dans le salon de l’appartement familial, après avoir indiqué à Nicolas d’aller dans sa chambre.
— Exact, répond Arthur.
— Qu’y a-t-il ? s’enquiert-elle. Pourquoi ne vas-tu jamais chercher ton fils à l’école ? Pourquoi ne lui fais-tu pas de bisou le soir ?
— Parce que je ne l’aime pas, coupe-t-il court à l’interrogatoire, d’un timbre monocorde.
Sophie se fige, l’estomac noué. La réponse de son époux lui glace le sang.
— Je ne me souviens plus l’avoir un jour aimé, continue-t-il sur le ton de la réflexion. Toi non plus, d’ailleurs. Je crois que si, mais je n’arrive pas à me souvenir de ce que ça faisait. Et je ne me sens même pas coupable ou triste pour ça. Je ne ressens rien.
— Que t’arrive-t-il, Arthur ? se met à sangloter la mère de famille. Depuis ton accident, tu es différent.
— Mon accident m’a changé, oui, confirme-t-il. J’ai fait un tour dans le monde des morts et, maintenant, je ne ressens plus rien du tout. Je ne sais plus ce que sont la douleur, la tristesse, la joie ou le bonheur. Je me coupe la main, je n’ai pas mal. J’abandonne mon enfant, ça ne me fait rien. Je suis vide de toute émotion.
Il incline la tête et poursuit :
— Aujourd’hui, j’ai fait une expérience. J’ai sonné chez les voisins, un couteau à la main. Je me suis dit que régler son compte à un ivrogne violent ferait naître en moi un sentiment de justice ou bien de culpabilité. Nous nous sommes battus, il a retourné l’arme contre moi. Je n’ai même pas senti la lame se planter dans ma chair. Ça m’a permis de prendre le dessus. J’ai enfoncé le couteau dans sa poitrine cinquante-trois fois sous les yeux de sa fiancée. Et je n’ai absolument rien ressenti. Je me suis alors tourné vers la pauvre femme et je l’ai égorgée. Encore une fois, rien.
Sophie est morte d’effroi. Les propos de son mari n’ont pas de sens. Elle a peur d’ouvrir la bouche. Elle se contente de pleurer de manière muette et incontrôlable.
— J’ai toujours le couteau sur moi, reprend-t-il. Ça me donne une idée.
Il le sort de sa poche.
— Pour ressentir quelque chose, peut-être devrais-je m’attaquer à quelqu’un proche de moi ? suggère-t-il flegmatiquement.
D’un coup, Arthur se jette sur sa femme. En voulant se défendre, celle-ci renverse un vase qui se brise en heurtant le plancher. Sans sourciller, il lui plante le couteau dans le ventre et l’accompagne au sol. Agonisante, Sophie parvient tout de même à s’emparer d’un morceau de vase brisé et l’enfonce dans la gorge d’Arthur. Il s’écroule à côté d’elle.
— Merci, chuchote-t-il en souriant.
Ensemble et au même moment, les deux époux poussent leur dernier souffle, tous deux meurtriers et victimes.
Nicolas est toujours dans sa chambre. Il y a quelques heures, sa mère lui a ordonné de s’y rendre et de n’en sortir que lorsqu’elle ou son père viendront le chercher. D’après les propos de Sophie, les deux parents devaient avoir une petite discussion.
En bon enfant sage et obéissant, Nicolas a obtempéré sans broncher. Et voilà des heures qu’il attend, serrant sa peluche favorite très fort contre son torse. Depuis les cris et le bruit de vase brisé, il n’entend plus rien, même pas les disputes habituelles des voisins. Il se demande alors ce qui a poussé les adultes à se taire d’un coup.
Puis, alors que l’inquiétude laisse place à l’angoisse, un son lui parvient enfin. Des pas se dirigent vers sa porte. Il n’ose pas ouvrir la bouche, de peur qu’on le rabroue et qu’on le laisse enfermé dans sa chambre un peu plus longtemps.
Les pas s’arrêtent. La poignée pivote. La porte s’ouvre en grinçant. C’est alors qu’Arthur apparaît. Le papa de Nicolas n’est pas comme d’habitude. Ses vêtements sont tachés de rouge et quelque chose de tranchant semble planté dans son cou. Il attrape le bout de vase et le retire d’un coup sec, sans même grimacer. C’est à ce moment-là que Nicolas remarque le long couteau qu’il tient dans l’autre main.
Arthur jette le morceau de vase par terre et fait un pas dans la chambre de son fils.
— Ça va, Papa ? demande le garçon. Où est Maman ?
— Maman est partie, répond le père en fermant la porte derrière lui. Mais ne t’inquiète pas, tu la rejoindras très bientôt.
Il est seul. Ses paupières sont toujours closes, mais il le sait. Il le sent. Au fond de lui-même. C’est d’ailleurs l’unique chose qu’il ressent. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à percevoir la moindre sensation extérieure, comme si son corps était anesthésié.
Lorsqu’il se décide enfin à ouvrir les yeux, c’est comme s’il s’agissait de la première fois. Ce faisant, il constate ce qu’il avait déjà compris : il est bien seul. Seul au milieu de nulle part, allongé sur le sol glacial d’une forêt, le nez dans la neige. Se souvenant qu’il peut respirer, il pousse un soupir qui fait voler les quelques flocons ayant recouvert son nez. Puis, restant immobile, à plat ventre, il commence à bouger les yeux pour observer ce qui l’entoure. Il ne voit que du blanc et croit discerner une certaine odeur de bois et de champignon.
Vérifiant que son corps est encore fonctionnel, il remue les bras et bouge les jambes. Prenant appui sur le sol enneigé, il tente finalement de se redresser. Dans un léger râle, il réussit à se traîner jusqu’à un arbre, duquel il s’aide pour se mettre debout.
S’écartant un peu du tronc, il fait quelques pas droit devant lui avant de s’arrêter. Il pivote un instant sur lui-même, examinant la blanche forêt qui l’entoure. Hormis quelques lointains et lugubres cris d’oiseaux, tout est calme. Chaque arbre est recouvert d’une épaisse couche de neige, à l’instar du sol, rendant quasiment indiscernable toute végétation. La visibilité est réduite à cause du brouillard opaque semblant l’avoir pris au piège. À sa place, n’importe qui prendrait peur et appellerait probablement à l’aide. Mais, pour le moment, il est bien trop désorienté pour réagir.
Afin de se débarrasser de la neige et de la terre abîmant ses vêtements, il s’époussette de manière automatique et, ainsi, remarque qu’il n’est pas particulièrement chaudement vêtu. Autour de lui, le froid semble régner en maître, jusqu’à dominer la nature elle-même, pourtant, il n’en ressent pas les effets. Il n’a ni froid ni chaud. Les sensations, les odeurs et les sons semblent flous, presque inatteignables.
Après ces quelques observations, une inéluctable question vient enfin frapper son esprit.
Où suis-je ?
Il a beau tenter de se replonger dans ses souvenirs, il n’a aucun moyen de se rappeler comment il a atterri ici. Une question en amenant une autre, une interrogation plus effrayante encore l’assaille.
Qui suis-je ?
Il fait appel à sa mémoire autant qu’il peut, mais rien à faire, il ne se souvient de rien. Il essaie alors de trouver des indices. Il fouille d’abord dans ses poches, mais celles-ci sont vides. Puis, son regard s’attarde un instant sur ses mains.
Il a la peau noire, des ongles courts, les doigts légèrement abîmés mais semblant encore pleins de jeunesse et de souplesse. Étrangement, aucune de ces caractéristiques ne lui remémore quoi que ce soit le concernant. Rien ne lui semble familier, pas même son propre corps. Il a l’épouvantable sentiment de ne pas être à sa place. Il ne se sent plus seul, mais carrément en pleine imposture.
Il relève les yeux. Il tente de se souvenir de son nom, de son adresse, de son métier, d’un proche, de n’importe quel détail susceptible de l’aider à comprendre la terrible situation dans laquelle il est emprisonné. Mais rien.
Ne désirant aucunement dépérir ici en attendant que le froid s’insinue inévitablement en lui, il se décide à se déplacer. Au début, il erre au milieu du brouillard, à la recherche d’un quelconque sentier ou passage camouflé par la neige persistante. Il mémorise des points de repère pour être certain de ne pas tourner en rond ou pour revenir sur ses pas si toutefois cela s’avéreait nécessaire. Il ne sait peut-être plus d’où il vient, mais il compte pourtant bien retrouver son chemin.
Au bout de quelques mètres de marche seulement, son ouïe particulière l’interpelle. Entre deux crissements de chaussures sur le sol enneigé, il distingue un bourdonnement qu’il ne met pas longtemps à identifier. Il s’agit en effet d’un moteur de voiture. Ce qui signifie qu’une route passe tout près d’ici.
Son instinct prend le dessus et il accourt vers le bruit à toute vitesse. Une poignée de secondes plus tard, le voilà arrivé à une route de bitume verglassée, coupant la forêt dans sa longueur et plongée dans l’obscurité à cause des arbres s’étendant au-dessus d’elle et obstruant le passage de la lumière.
Malheureusement, malgré son court temps de réaction, il arrive trop tard. La voiture qu’il a entendue doit déjà être loin, maintenant. Mais, au moins, il est désormais sur la bonne voie. Cette route mène forcément quelque part et, apparemment, elle semble être utilisée régulièrement. Rien ne lui garantit qu’il retrouvera la mémoire en suivant cette piste, mais sa priorité est de rejoindre la civilisation.
Tel un esprit égaré, l’anonyme vagabond entame alors son périple vers une destination inconnue. Un pas après l’autre, il arpente cette route de campagne perdue au milieu de nulle part, les flocons s’écrasant sur ses épaules et le vent fouettant son visage sans qu’il en ressente les effets.
Tandis qu’il marche du côté droit de la route, il lève légèrement son bras gauche, ferme le poing et sort son pouce. Un geste universel, créé pour les âmes dans le besoin comme la sienne. De cette manière, si quelqu’un passe à côté de lui, il saura qu’il a besoin d’aide.
Après quelques minutes, c’est d’ailleurs exactement ce qui se produit. Venant de son dos, l’amnésique discerne le son caractéristique d’un vieux moteur de 4x4. Le pouce toujours en l’air, il tourne la tête pour attirer l’attention du conducteur. Ce dernier semble être prêt à lui porter assistance car le véhicule ralentit en arrivant à son niveau, jusqu’à s’arrêter totalement.
Le vieux 4x4 se gare maladroitement sur le bas-côté et le chauffeur ouvre la fenêtre pour interpeller le vagabond.
— Ça va, mon vieux ? lance-t-il depuis l’habitacle. Vous venez d’où comme ça ?
L’amnésique s’approche de la voiture et, pour la première fois, il entend sa propre voix.
— Je…, bredouille-t-il. Je ne sais pas vraiment. Je suis perdu.
Une voix qu’il pense reconnaître, mais qui lui est également étrangère. C’est comme si elle appartenait à quelqu’un d’autre.
— Vous devez avoir froid. Allez, montez, lui propose gentiment l’automobiliste.
Sans hésiter, il accepte et prend place sur le siège passager. Pour le mettre à l’aise, le conducteur, à l’épaisse barbe brune et portant un gros pull à carreaux, engage la conversation :
— Alors, où allez-vous, tout seul dans le froid, comme ça ?
— Je ne sais pas… J’aimerais simplement rejoindre la ville la plus proche.
— La ville ? répète le chauffeur sur un ton amusé tout en redémarrant la voiture. Tout ce qu’on peut trouver à moins de quarante kilomètres à la ronde, c’est un village et encore ! Je vais à Snowflake, je peux vous y déposer si vous voulez. Le nom n’est pas très original mais c’est calme et les gens y sont simples. Il y a beaucoup de routiers qui s’arrêtent là-bas. Je suis sûr que l’un d’entre eux pourra vous déposer dans une grande ville.
— Merci beaucoup, vous me sauvez la vie.
— Pas de quoi. C’est rare de croiser des auto-stoppeurs par ici, je dois dire. Ça met un peu d’animation.
Retirant sa main droite du volant, l’automobiliste la tend vers son passager.
— Je m’appelle Duke, enchanté, se présente-t-il. Et vous ?
L’amnésique hésite un peu avant de serrer la main de Duke, perturbé par le fait de ne pas avoir de réponse à une question aussi simple.
— Je… Je ne m’en souviens plus, avoue-t-il finalement.
— Oh, je vois…, fait Duke en replaçant sa main, ne semblant pas affolé par la confession de l’auto-stoppeur. Eh bien, on a qu’à vous trouver un surnom.
Il réfléchit en grattant sa barbe broussailleuse :
— Voyons voir… Vous faites de l’auto-stop. Vous êtes donc ce qu’on appelle par ici un « hitchhicker », n’est-ce pas ? Que pensez-vous de « Hitch » ?
— Hitch ? répète l’anonyme, perplexe.
— Ouais ! s’exclame Duke, un large sourire se dessinant sous sa pilosité faciale. Ça vous va bien, non ?
Le baptisé passe son nouveau surnom dans sa tête plusieurs fois pour tenter de s’y accoutumer et, faute de mieux, accepte finalement la proposition de son sympathique camarade.
— Oui… Je suppose que ça fera l’affaire, décrète-t-il, un petit rictus à la commissure des lèvres.
— Haha ! s’esclaffe Duke, satisfait, en dirigeant son regard vers son passager. Va pour Hitch, alors !
Mais alors que les deux hommes commencent à faire connaissance, l’attention du conducteur dévie de la trajectoire empruntée par le véhicule et, à cause du brouillard et du nuage de neige constant, il n’a pas le temps de remarquer l’immense branche effondrée au milieu de la route.
Lancé dans sa course, le 4x4 heurte l’obstacle de plein fouet et tout devient soudainement noir.
La solitude. Voilà la première chose qu’il ressent, une fois de plus, avant même de séparer les paupières. Cette fois, contrairement à la première, il ne tarde pas à ouvrir les yeux. Allongé sur le sol enneigé de cette forêt cauchemardesque, la sensation est la même que tout à l’heure. À l’exception près que sa mémoire semble lui faire moins défaut.
Pour ce qui paraît être la seconde fois en très peu de temps, il s’éloigne du sol et se redresse. Il observe autour de lui. Pas de doute, il est au même endroit. Il reconnaît ce tronc sur lequel il s’est appuyé, cette racine sur laquelle il a trébuché. Il avait pris soin d’établir mentalement des points de repère au cas où il devrait retourner sur ses pas, mais il n’avait pas envisagé de revenir ici en un claquement de doigts.
D’ailleurs, que s’est-il passé ? Comment a-t-il atterri ici ? Il se souvient de son réveil, de la marche dans la forêt, puis de la route et de Duke. Et…
Hitch.
Ensuite, il y a eu l’accident et le voilà ici de nouveau. A-t-il rêvé ou bien halluciné ? Cela expliquerait l’étrange sensation qu’il avait d’habiter un autre corps que le sien. Mais en s’y attardant plus en détail, il remarque que ce sentiment bien particulier n’a, hélas, pas disparu.
Il observe ses mains. Ce sont toujours les mêmes. Elles ne tremblent pas. Malgré le gel et la neige paralysant la nature autour de lui, il n’a pas froid. Que se passe-t-il ? Est-il drogué ? Tout ceci n’est-il qu’un délire psychédélique ? Depuis combien de temps cela dure-t-il ?
Tant de questions auxquelles il ne trouvera pas de réponses en restant planté au milieu des arbres frigorifiés. Il doit bouger. Quelqu’un doit pouvoir l’aider. Il n’est pas apparu dans ce bois par enchantement, quelqu’un sait forcément quelque chose à son sujet. Guidé par ce maigre espoir, il entame donc un nouveau périple vers l’inconnu.
Grâce aux points de repère qu’il avait établis plus tôt, il parvient maladroitement à s’orienter dans la forêt au manteau blanc. Après quelques fausses pistes, un son réconfortant vient le rassurer sur la direction à suivre. Le vrombissement lointain d’un moteur lui indique qu’il est sur la bonne voie. Encore quelques mètres à crapahuter au milieu de la végétation recouverte de givre et il arrive à la route. Une nouvelle fois, foulant le sol de bitume, il avance sans savoir vers où et lève le pouce à l’attention des potentiels automobilistes.
Après quelques minutes, un 4x4 s’arrête pour lui porter assistance.
— Ça va, mon vieux ? lance le chauffeur à la barbe broussailleuse depuis l’habitacle. Vous venez d’où comme ça ?
C’est bien lui. Duke. Le vagabond n’en revient pas. Il n’a donc pas inventé cet homme de toute pièce. Ou, si tel est le cas, il continue de rêver.
— Je…, bredouille-t-il. Je ne sais pas vraiment. Je suis perdu. Une nouvelle fois, sa propre voix le surprend.
— Vous devez avoir froid. Allez, montez, lui propose gentiment Duke.
Sans hésiter, il accepte et prend place sur le siège passager. Pour le mettre à l’aise, le conducteur, son bonnet de laine cachant son crâne chauve et son gros pull à carreaux sur le dos, engage la conversation :
— Alors, où allez-vous, tout seul dans le froid, comme ça ?
— Je ne sais pas…, rétorque l’auto-stoppeur, un effroyable sentiment de déjà-vu le hantant profondément. J’aimerais simplement rejoindre la ville la plus proche.
— La ville ? répète le chauffeur sur un ton amusé tout en redémarrant la voiture. Tout ce qu’on peut trouver à moins de quarante kilomètres à la ronde, c’est un village et encore ! Je vais à Snowflake, je peux vous y déposer si vous voulez. Le nom n’est pas très original mais c’est calme et les gens y sont simples. Il y a beaucoup de routiers qui s’arrêtent là-bas. Je suis sûr que l’un d’entre eux pourra vous déposer dans une grande ville.
Perturbé par le fait que le bon samaritain semble n’avoir aucun souvenir de lui, le vagabond hésite un léger instant avant de reprendre les mots de la dernière fois :
— Merci beaucoup, vous me sauvez la vie.
— Pas de quoi. C’est rare de croiser des auto-stoppeurs par ici, je dois dire. Ça met un peu d’animation.
Retirant sa main droite du volant, l’automobiliste la tend vers son passager.
— Je m’appelle Duke, enchanté, se présente-t-il. Et vous ?
Moins hésitant que la fois précédente, l’amnésique serre énergiquement la main de Duke en lui lançant un sourire.
— Hitch, affirme-t-il.
— Hitch ? répète Duke en fronçant les sourcils, avant de renvoyer son rictus à son voyageur. Ça vous va bien !
Replaçant sa main sur le volant en riant, il poursuit :
— C’est drôle comme nom. Surtout pour un auto-stoppeur. Si j’avais dû vous en trouver un, c’est probablement celui que j’aurais choisi. D’ailleurs, c’est votre vrai prénom ou un surn… ?
Mais avant que Duke n’ait pu terminer sa phrase, Hitch se rend compte qu’ils arrivent bientôt à la fin du parcours, à l’endroit fatidique où tout s’était terminé la première fois. Dans un réflexe, il porte son attention à la route et aperçoit, à travers le brouillard, la fameuse branche ayant mis fin à son précédent périple.
— Attention ! hurle-t-il de toutes ses forces, juste à temps pour permettre à Duke de se rendre compte du danger imminent.
Malheureusement, l’intervention de Hitch a lieu une fraction de seconde trop tard et, malgré le coup de volant du conducteur pour éviter l’obstacle, la fatalité se produit. La voiture heurte de plein fouet l’énorme branche et, lancée dans son élan, elle se retourne et effectue une série de tonneaux. Hitch est éjecté du véhicule et il retrouve les sensations corporelles qu’il avait perdues lorsque sa peau râcle le bitume. Le 4x4 continue sa course folle, emportant Duke dans le fossé, une quinzaine de mètres plus loin.
Le calme revient. Le silence de la nature hivernale étouffe de nouveau tout le reste. Et Hitch est allongé à plat ventre sur le sol. Seulement, cette fois, se relever s’avérera bien plus difficile. Il est gravement blessé, au milieu d’une route de campagne impossible à situer sur une carte, seul. Car, en dépit de ses hurlements destinés à Duke, ce dernier ne répond pas. Il doit être blessé ou, plus probablement, mort. Hitch est de nouveau livré à lui-même au coeur de l’inconnu.
Rassemblant ses forces, il rampe jusqu’au bord de la route, sans réellement savoir ce qu’il cherche à atteindre. Il n’est pas dit qu’une voiture passe de sitôt dans le coin, mais si cela arrive, il y a fort à parier qu’elle suive le tragique exemple du tacot de Duke. Hitch n’est donc pas en sécurité sur la route.
Alors qu’il rampe sur les bris de verre et les copeaux de bois à la recherche d’un endroit plus sûr, il sent la forêt l’appeler à elle, comme si elle était la seule à pouvoir le protéger du monde extérieur. Ou bien comme si elle cherchait à le piéger entre ses racines et ses ronces. Mais Hitch n’a pas le choix. Après tout, la forêt est ce qu’il connaît le mieux dans les alentours.
Trainant son corps abîmé jusqu’au fossé, il traverse les buissons pour se mettre à l’abri. En relevant un peu la tête, il remarque qu’un petit sentier peu entretenu et recouvert de neige mène à une minuscule cabane se dressant entre les arbres, à une bonne vingtaine de mètres de là.
Concentrant toute la volonté qu’il lui reste, il cherche d’abord à appeler à l’aide. Mais la voix si singulière qui avait fait vibrer ses cordes vocales s’éteint avant de pouvoir quitter sa bouche. Ses blessures et les appels à l’aide ont eu raison d’elle. Tant pis, il lui reste ses bras.
Se tortillant tel un serpent, il rampe, se frayant difficilement un chemin sur la terre gelée, et parvient, après moults efforts, à la cabane qu’il visait. Elle est en piteux état, mais semble tout de même utilisée de temps en temps. Avec un peu de chance, il trouvera quelqu’un susceptible de lui venir en aide, ou bien un moyen de contacter les secours.
La porte principale étant cadenassée, il cherche à attirer l’attention en frappant comme il peut sur la taule et le bois dont est constituée la petite bicoque de fortune. Sans résultat apparent, Hitch, toujours sans voix et agonisant, décide de contourner la cabane. Non sans mal, il parvient à arpenter un bosquet pour se retrouver de l’autre côté.
Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il tombe enfin sur une forme de vie, cachée dans la végétation. Hélas, ce n’est pas l’aide qu’il espérait et, en voyant ces deux oursons blottis l’un contre l’autre, il comprend qu’aucun humain ne l’attend au tournant.
Les deux boules de poils prennent peur et grognent contre celui qu’elles considèrent comme une menace. Mais Hitch est impuissant et il ne peut rien faire lorsqu’il sent le poids d’une créature bien plus lourde que lui écraser ses jambes déjà blessées. La douleur qu’il ressent à cet instant ravive la voix qu’il avait égarée.
Dans un râle de souffrance, il parvient à se tourner vers son assaillant. Au-dessus de lui, un ours gigantesque s’apprête à lacérer de ses immenses griffes son corps meurtri, mettant ainsi fin à ses supplices. Prisonnier de la fatalité, il voit la puissante patte s’abattre sur lui et tout devient soudainement noir.
Un léger sifflement précède le silence. Puis, la solitude revient. Une solitude qu’il commence à connaître. Un silence presque réconfortant.
Il ouvre les yeux et, sans surprise, il fait face au voile blanc auquel il s’est désormais habitué. Il se relève, observe autour de lui. Pas de doute, il est au même endroit. C’est la troisième fois qu’il se réveille ici, au coeur de cette forêt morbide et enneigée. En tout cas, à sa connaissance. Car il pourrait bien s’agir de la centième fois, il ne s’en rendrait même pas compte.
Ses souvenirs ne remontent pas plus loin qu’il y a quelques minutes. Pourtant, il semble déjà avoir vécu cette journée plusieurs fois. Il tente de s’accrocher à des repères temporels à l’aide du soleil, mais les arbres, la neige et le brouillard masquent sa visibilité. Aucun moyen de deviner l’heure qu’il est. Ce qui est sûr, c’est qu’il fait encore jour et que la luminosité ne semble pas avoir baissé depuis son premier éveil. Pourtant, si quelqu’un s’amusait à le droguer afin de lui faire revivre la même journée inlassablement, il aurait besoin de temps pour le déplacer. Et Hitch n’a pas l’impression qu’il se soit passé des heures depuis l’accident.
Mais, après tout, qu’en sait-il ? Il est complètement désorienté. L’attaque de l’ours pourrait très bien avoir eu lieu il y a trente secondes ou bien il y a trois ans, cela ne ferait aucune différence.
L’étrange sensation d’habiter le mauvais corps est toujours présente. Ses mains semblent appartenir à quelqu’un d’autre, tout comme son corps. Une chose reste en tout cas constante : il sait qu’il ne doit pas rester immobile. Même s’il ne ressent pas la température négative geler ses doigts, il sait qu’il ne tiendra pas longtemps en restant planté comme un arbre au milieu de la forêt. Et maintenant qu’il connaît un peu les lieux, il pourra rapidement atteindre la route. Si tout se déroule de la même façon, il réussira à éviter la branche à temps, cette fois. Toutes les chances sont de son côté. Et, de toute façon, ce n’est pas en restant ici qu’il tirera au clair le mystère dans lequel il est écroué.
Retrouvant alors ses repères, il entame sa marche vers la route. Le son lointain d’un moteur retentit de nouveau, lui indiquant qu’il se dirige dans la bonne direction. Une fois arrivé au bord de la route, il reprend son habitude consistant à fermer le poing et lever le pouce.
Il a mis moins de temps à atteindre la route, cette fois, ce qui signifie, en toute logique, que Duke mettra plus longtemps à le rejoindre. En effet, lorsque le vieux 4x4 arrive à son niveau, Hitch a eu le temps de parcourir trois bonnes centaines de mètres.
— Ça va, mon vieux ? lance le chauffeur à la barbe broussailleuse depuis l’habitacle. Vous venez d’où comme ça ?
— Je suis un peu perdu, répond Hitch en souriant chaleureusement, plus confiant que les fois précédentes. J’aimerais rejoindre Snowflake.
— Ça tombe bien ! se réjouit l’automobiliste. C’est exactement là que je me rends. Montez !
Duke ouvre la portière à l’auto-stoppeur pour l’inviter à prendre place.
— C’est gentil à vous, le remercie Hitch. Vous me sauvez la vie !
— Pas de quoi. C’est rare de croiser des auto-stoppeurs par ici, je dois dire. Ça met un peu d’animation.
Laissant son passager s’installer, l’automobiliste tend la main droite vers lui.
— Je m’appelle Duke, enchanté, se présente-t-il. Et vous ?
Sans une once d’hésitation, l’amnésique serre énergiquement la main de Duke en lui lançant un sourire.
— Hitch, affirme-t-il.
— Hitch ? répète Duke en fronçant les sourcils, avant de renvoyer son rictus à son voyageur. Ça vous va bien !
Remettant en marche le moteur, il fait repartir son véhicule sur la route verglassée.
— Il faut être prudent, le prévient Hitch. J’ai vu des branches effondrées sur la route. Avec une visibilité pareille, ça peut vite devenir dangereux.
— Vous avez raison, concède Duke, ce genre d’accidents arrive souvent dans le coin. Sur des routes de campagne désertes comme celle-ci, on pense être tout seul et que rien ne peut nous arriver, mais on oublie vite que le danger est partout. Surtout avec cette météo. Je ne sais pas pourquoi des humains sont venus jusqu’ici pour bâtir des villages, on n’est pas faits pour vivre dans de telles conditions. Enfin, vous me direz, pour ce qui est des villages par ici…
Interrompant Duke dans son monologue, Hitch pointe vigoureusement un index vers la route en s’écriant :
— Attention !
Aussitôt, le conducteur freine sèchement, tout en évitant de déraper. Grâce à l’avertissement de son passager, il avait maintenu une allure raisonnable lui permettant de s’arrêter sans dégât.
Le véhicule stoppe donc sa course à un mètre de la branche qui a déjà eu raison de lui au moins deux fois dans la mémoire de Hitch. Les deux hommes restent un instant muets, secoués par l’arrêt brutal et le pic d’adrénaline qu’ils viennent d’expérimenter.
— Eh ben, lâche Duke dans un soupir de soulagement. Heureusement que vous m’avez prévenu. Sans ça, je ne sais pas ce qui se serait passé.
Hitch jette un oeil par la fenêtre, retraçant le chemin qu’il a parcouru en rampant, il n’y a pas si longtemps.
— Moi non plus, souffle-t-il gravement.
Repassant la première vitesse, Duke s’apprête à repartir.
— Snowflake n’est plus très loin, indique-t-il. Espérons que nous ne croiserons pas d’autres mauvaises surprises d’ici là.
Pendant que la voiture contourne doucement l’imposant obstacle, Hitch laisse traîner son regard en direction de la forêt, repensant à l’ours et à sa mort récente.
— Espérons-le.
Le reste du trajet se passe sans encombre et, comme l’avait signalé Duke, un panneau estampillé « BIENVENUE À SNOWFLAKE » se fait rapidement apercevoir sur le bord de la route.
— On arrive, confirme le chauffeur. En voiture, c’est rapide, mais à pied et dans le froid, ça fait un bout. Vous avez de la chance d’être tombé sur mon vieux tacot finalement !
— En effet, opine Hitch. Je vous dois une fière chandelle.
— Ça me fait plaisir. On ne rencontre pas grand-monde par ici.
Le village se dessine à travers la brume tandis que le 4x4 se rapproche.
— Vous comptez aller où, maintenant ? s’interroge Duke en s’arrêtant au feu rouge se dressant à l’entrée de l’agglomération.
— Je ne sais pas, avoue Hitch, qui ne s’attendait pas à arriver jusqu’ici. Peut-être que quelqu’un pourra m’accompagner à la ville la plus proche.
— La grande ville la plus proche est à au moins quarante kilomètres, mais il y a beaucoup de routiers qui s’arrêtent dans le coin. Peut-être que l’un d’eux pourra vous aider.
— Je l’espère.
Le feu passe au vert. Sans attendre, Duke avance, pressé d’arriver au bar voisin pour se réchauffer autour d’un verre.
Mais c’est au moment où le véhicule s’engage sur l’intersection que Hitch entend un son strident provenant de sa droite. Il tourne aussitôt la tête et découvre avec effroi qu’un gigantesque camion vient de surgir du brouillard opaque à toute vitesse. Mais il est trop tard pour l’éviter, le poids-lourd est lancé dans sa course folle et plus rien ne pourra l’arrêter. Le vieux 4x4 de Duke n’est pas de taille face à l’imposant semi-remorque, qui le heurte de plein fouet.
Hitch est en première ligne. Il est ébloui par la lumière aveuglante des phares du camion, puis tout devient soudainement noir.
Une nouvelle fois, l’obscurité ténébreuse de son inconscient laisse place à la blancheur glaciale de la neige tapissant ce sol qu’il connaît désormais par coeur. Après la vue, c’est l’odorat qui lui revient. Il sent l’humidité, le froid, la végétation. Il recouvre ensuite l’ouïe, ce qui lui permet de discerner le son du vent sifflant entre les branches, apportant avec lui de sinistres flocons. Ses cinq sens lui reviennent, mais il a toujours l’impression qu’il ne s’agit que d’un écho lointain.
Il semble piégé dans un rêve. Ou plutôt, dans un cauchemar. Mais il sait que ça ne peut être aussi simple. Il ignore d’où il tire une telle information, mais il sait qu’il est impossible de trouver la mort dans un songe. Lorsque le rêve devient trop intense, le cerveau fait simplement en sorte que le corps se réveille. Or, voilà au moins la troisième fois qu’il expérimente ce qu’aucun mortel ne devrait avoir à subir plus d’une fois. Qui plus est, s’il était réellement emprisonné dans un rêve, il ne pourrait se poser la question. Malgré ses nombreuses failles, en ce qui concerne le monde de l’imaginaire, l’esprit humain est plutôt bien fait. Il sait faire la différence entre réalité et rêverie. Même dans le cas d’un rêve lucide, Hitch ne se demanderait pas si tout ceci n’est qu’un cauchemar, il en serait persuadé. Le simple fait qu’il doute lui prouve que ce mystère cache quelque chose de bien plus complexe.
Laissant son intellect théoriser sur les raisons de sa présence ici, Hitch se demande où il a obtenu toutes ces connaissances sur la psychologie humaine. Pour la première fois, il a le sentiment d’avoir tissé un lien avec sa vie passée, si toutefois celle-ci a existé un jour.
Coupant court à ses réflexions, il se relève, se débarrasse de la neige et la terre recouvrant ses vêtements, puis reprend ses repères. Il s’apprête à s’élancer une fois de plus dans son habituelle course vers la route, mais s’arrête avant d’avoir effectué le premier pas.
Une question lui traverse l’esprit. Combien de fois devra-t-il parcourir cette forêt ? Combien de fois devra-t-il rencontrer Duke ? Combien de fois devra-t-il mourir ? Peut-être que tout ceci est un message ? Peut-être que quelque chose lui indique qu’il suit le mauvais chemin ? Il a essayé de trouver sa voie de manière logique et rationnelle, en mettant en place des points de repère afin de ne pas se perdre, mais jusque-là, cette technique ne l’a mené qu’à des impasses. Peut-être devrait-il essayer une autre méthode ?
C’est en se basant sur cette pensée qu’il décide de tourner les talons, puis de plonger au coeur de la forêt blanche, empruntant une direction lui étant complètement inconnue. Après tout, il ne risque pas grand-chose. D’après son expérience, la pire chose qui puisse lui arriver est d’être renvoyé une nouvelle fois au point de départ. Prenant son courage à bras-le-corps, il fait donc le pari de se perdre volontairement au milieu des arbres mornes.
Durant des dizaines de minutes, il s’aventure, explore et louvoie, s’enfonçant à chaque pas davantage vers l’inconnu. Il se force à regarder ses pieds pour ne pas savoir où il se trouve, espérant tomber tôt ou tard sur un refuge ou de l’aide.
Il marche ainsi durant ce qui semble durer une éternité, la neige s’accumulant sur ses épaules, le givre commençant à envahir ses cheveux et ses sourcils. Pourtant, il n’a toujours pas froid. Il ne ressent ni fatigue ni soif. Il n’a pas faim non plus. Malgré l’effort, il ne transpire pas. C’est lorsqu’il commence à se demander pourquoi il semble si insensible qu’un élément éloigne son esprit de la question.
Dans le coin de son champ de vision, il aperçoit ce qu’il cherche depuis son départ. Là, au milieu des branchages glacés, se dresse un abri. Une petite cabane, probablement utilisée par des chasseurs ou des gardes forestiers. Elle ne semble pas totalement à l’abandon, mais Hitch doit avouer qu’elle n’a pas l’air de servir bien souvent. Tant pis, il doit tenter sa chance.
Se frayant un chemin à travers les arbustes et les buissons, il parvient à rejoindre la cabane en quelques minutes.
— Il y a quelqu’un ? appelle-t-il à l’aide.
Il s’approche pour ouvrir la porte, mais remarque qu’elle est cadenassée. Dans un réflexe mêlé à un espoir vain, il frappe sur la taule de toutes ses forces.
— Il y a quelqu’un ?! s’égosille-t-il.
Sans aucune réponse, il recule d’un pas, afin d’avoir une vision d’ensemble de la bicoque de fortune. Ce faisant, un souvenir lui revient subitement en mémoire. Il s’immobilise un instant, pétrifié par l’idée que la crainte qui grandit en son sein devienne bientôt réalité.
Il tourne la tête vers la gauche, ce qui lui permet de discerner un bourdonnement lointain, qui lui confirme ce qu’il pense : la route n’est pas loin. Il reporte son attention sur la cabane et la reconnaît enfin. Ce n’est pas la première fois qu’il vient chercher de l’aide ici. Tous ses espoirs s’envolent aussitôt car il sait qu’il n’en obtiendra pas. Il ne croisera aucun humain dans les parages. En revanche…
Un grognement, dans son dos, attire son attention. En se retournant, il constate qu’il s’agit en fait de deux grognements, provenant chacun d’une boule de poils cherchant à défendre son territoire. Et si les deux petits oursons lui font face, cela ne peut signifier qu’une chose : la mère n’est pas loin.
Cette idée a à peine le temps de se frayer un chemin dans l’esprit de Hitch qu’un craquement suivi d’un rugissement l’obligent à faire volte-face. Mais il est déjà trop tard pour éviter l’attaque. La seule chose qu’il peut apercevoir est l’énorme patte griffue s’abattant fatalement sur lui.
Puis, tout devient soudainement noir.
Comme il l’avait anticipé, la pire chose qui pouvait lui arriver était de revenir au point de départ. Cette fois, il n’a plus de temps à perdre. À peine a-t-il recouvré ses sens qu’il se relève et s’apprête à partir.
Cette situation angoissante commence presque à devenir lassante. Il aimerait obtenir des réponses ou, au moins, trouver un peu de paix. Si son heure a sonné, il est prêt à l’accepter, mais, dans ce cas, pourquoi ne le laisse-t-on pas mourir tranquillement ? C’est comme si quelque chose d’invisible le raccrochait à la vie. Comme s’il avait une mission à mener à bien et qu’il était condamné à revivre cette journée tant qu’il ne l’a pas accomplie. Seulement, en admettant qu’il y ait une quelconque raison à sa présence ici, il n’a aucune idée de ce que ça peut être. Il ne connaît même pas son véritable nom.
Quoi qu’il en soit, il ne compte pas demeurer ici éternellement. Il lui reste encore plusieurs options à explorer pour briser cette boucle infernale. Sa dernière tentative ne lui a pas apporté les résultats escomptés, mais il doit avouer que le pari était osé.
Il repense à Duke. Après avoir réussi à lui faire éviter la branche, il pourrait peut-être parvenir à l’alerter à temps pour le camion également. Ou bien, peut-être que Duke n’est pas la bonne solution ? Peut-être est-il condamné à mourir avant d’arriver à Snowflake ? Dans tous les cas, Hitch ne perdra pas grand-chose à retenter sa chance avec celui qui l’a baptisé ainsi. Un accident de plus lui est désormais égal. Il commence déjà à perdre le compte de ses morts.
Néanmoins, il a d’autres idées en tête. En essayant de retrouver son chemin, il a fini par mourir et en essayant de se perdre, le résultat fut le même. Pourquoi alors ne pas tenter de combiner les deux ? Maintenant qu’il connaît les zones de danger, Hitch peut très bien réussir à les contourner tout en étudiant le reste inexploré de la forêt. Avant de savoir où aller, il devrait peut-être d’abord savoir où il est.
Évitant donc les secteurs boisés qu’il a déjà sillonnés, il se lance à la conquête de l’inconnu. Enjambant les buissons givrés et slalomant entre les arbres glacés, il prête particulièrement attention aux points de repère que ses précédentes expéditions lui ont permis de mettre en place. De cette manière, il s’éloigne de la route où il rencontre habituellement Duke et évite surtout le territoire des ours. Il ne veut plus jamais avoir affaire à cette terrible patte griffue. Il préfère encore se perdre et mourir de froid dans les bois.
Mêlant course d’orientation d’un genre bien singulier et divagation volontaire, Hitch passe l’heure suivante à parcourir la forêt au manteau blanc, observant autour de lui tel un explorateur découvrant une nouvelle terre sauvage. Car, jusque-là, toujours aucun signe de vie ou de civilisation humaine. Par cette météo, c’est à peine si les insectes osent mettre le nez dehors. Quelques cris d’oiseaux lui tiennent toutefois compagnie durant son périple, mais ils semblent si éloignés qu’ils deviennent rapidement plus patibulaires que réconfortants.
Puis, finalement, au terme d’une longue marche, Hitch, ni essoufflé ni transpirant, perçoit un son ne provenant pas de la nature l’entourant. Le bruit d’un véhicule, bien plus imposant que celui de Duke, s’approche de lui à vitesse modérée. Le son est tout près. Si près qu’il lui suffit de courir sur quelques mètres pour en atteindre la source.
Il débouche alors sur une autre route verglassée, ressemblant à celle qu’il a déjà empruntée, à l’exception que celle-ci semble un peu plus grande et fréquentée. Au loin, deux phares transpercent la brume à hauteur d’homme. Probablement inquiet de ce temps capricieux, le chauffeur ne roule pas très vite et Hitch en profite pour se placer au milieu de la route. Afin d’être certain d’être vu, il agite énergiquement les bras au-dessus de sa tête.