Bienvenue Sur Terre - Tome 3 - Maël Sargel - E-Book

Bienvenue Sur Terre - Tome 3 E-Book

Maël Sargel

0,0

Beschreibung

Comme le raconte Arkanys Ayashi dans son journal, en 114 après le Renouveau, Krigs Maskin s'empare de Mandrak et déclare la guerre à Dannaviscia. Voulant à tout prix accomplir la dernière volonté de son père, ce brillant stratège n'hésite pas à manipuler, tuer et tout détruire sur son passage. Dans sa quête de pouvoir, il se retrouvera confronté à Menerm Tenttur, futur Benefactori, et aux Douze Valeureux de Gorne, qui lutteront corps et âmes afin de défendre leur patrie. Officiellement, le but de Krigs Maskin est d'obtenir l'indépendance des Trois Pays du Nord. Mais, en réalité, son véritable objectif est beaucoup plus obscur...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 643

Veröffentlichungsjahr: 2021

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



« Je ne vais pas vous conter l’histoire de Dannaviscia dans ce journal car il faudrait y consacrer un livre entier. »

Arkanys Ayashi (78-129), Benefactori de 117 à 129, Le Journal d’Arkanys.

Sommaire

Prélude

Chapitre 1: Préambule

Chapitre 2: Tensions

Chapitre 3: Piégé

Chapitre 4: Stratagèmes

Chapitre 5: Crise

Chapitre 6: Déclaration De Guerre

Chapitre 7: Chaos

Chapitre 8: Le Prince De Gorne

Chapitre 9: Les Douze Valeureux De Gorne

Chapitre 10: Conquête

Chapitre 11: La Bataille De Snag-Ren

Chapitre 12: Défaite

Chapitre 13: Le Conquérant Fou

Chapitre 14: Contre-Attaque

Chapitre 15: Un Nouveau Membre

Chapitre 16: Cheval De Troie

Chapitre 17: Infiltration

Chapitre 18: Le Siège d’Arkplatz

Chapitre 19: Errare Humanum Est

Chapitre 20: Capitulation

Chapitre 21: Le Triomphe Du Mal

Chapitre 22: Retranchement

Chapitre 23: Sanctions

Chapitre 24: L’Île De Kren-Kar

Chapitre 25: Dans Le Ventre De La Bête

Chapitre 26: Le Calme Avant La Tempête

Chapitre 27: L’Assaut Du Port De Varnal

Chapitre 28: Victoire Amère

Chapitre 29: Regrets

Chapitre 30: La Feinte De Soko

Chapitre 31: La Chute Du Prince

Chapitre 32: Sacrifice

Chapitre 33: Amour De Jeunesse

Chapitre 34: Duperie

Chapitre 35: La Vision

Chapitre 36: La Naissance Du Leader Masqué

Chapitre 37: Le Tyran Balafré

Chapitre 38: Rédemption

Chapitre 39: Dénouement

Chapitre 40: Imprévus

Chapitre 41: L’Opération Mirage

Chapitre 42: La Dernière Bataille

Chapitre 43: Allégeance

Épilogue

PRÉLUDE

Cela fait presqu’un an que l’Exilée est revenue des Terres d’Hogosha. Presqu’un an qu’elle a complété le Journal d’Arkanys avant de le refermer pour toujours. Elle avait promis à Hostia qu’elle reviendrait et elle a tenu parole.

À son retour, les membres du Kankou l’ont accueillie comme une reine. Comme si elle était partie pendant des années. Elle n’était pas rentrée tout de suite à Patrona Urbs. Elle avait exploré le Pulveris Crater pendant quelques temps. Okina elle-même ne sait pas vraiment ce qu’elle cherchait. D’autres trésors comme le journal du Tyran Balafré, peut-être ? Ou bien, elle espérait trouver des survivants du massacre dont les Servus Pulvis avaient été les auteurs ? En réalité, ce n’est pas cet espoir-là qui l’a fait errer dans le désert de poussière. Au fond d’elle, elle le sait.

Ce qu’elle espérait bêtement découvrir était, en fait, une trace de Sora et Kara Ochiru, les Protecteurs d’Exilés. Les parents de celui qu’elle appelait Yusha avant qu’il se transforme en Unoculus, le Benefactori borgne. Évidemment, elle n’a rien trouvé. Les Ochiru ont disparu il y a quasiment huit années, à présent. Seulement, entendre parler d’eux dans le Journal d’Arkanys a fait remonter des émotions chez Okina.

La culpabilité la ronge depuis qu’elle a poussé Yusha du Tectum, le toit du Colossus. Elle a fait cela pour sauver la population. Et cette affection particulière pour la vie d’autrui, cet amour pour le peuple qu’elle a dirigé pendant un temps, c’est toujours ce qui l’anime, aujourd’hui.

Après avoir passé des semaines dans le Pulveris Crater sans rien trouver, elle s’était finalement décidée à rentrer. Hostia, Dux, Romulus et Remus lui avaient bien sûr demandé une nouvelle fois si elle allait se présenter aux élections de la toute nouvelle République qu’elle avait elle-même mise en place, mais elle leur avait répondu que ce n’était pas dans ses projets.

Maintenant qu’elle connait dans son intégralité la vie d’Arkanys Ayashi, elle porte un regard différent sur ses camarades et amis. Elle savait qu’ils avaient tous souffert, certains plus que d’autres, certains moins. Mais, au bout du compte, leurs destins avaient tous fini par se croiser, ce qui les avait amenés à cet instant précis.

- Que comptes-tu faire, alors ? avait voulu savoir Dux.

- Je ne sais pas, avait-elle répondu. J’aimerais continuer d’aider les gens et, pour ça, je pense que le mieux est de reprendre mes études de médecine, si c’est encore possible. Après avoir ôté tant de vies, en sauver quelques-unes soulagera peut-être ma conscience…

Elle avait réfléchi un instant, avant d’ajouter :

- Toutefois, il y a quelque chose qui m’intrigue et que j’aimerais étudier de plus près.

En effet, dans son journal, Arkanys avait parlé de la Grande Guerre de Dannaviscia, s’étant déroulée de 114 à 118, soit plus de dix ans avant l’arrivée d’Okina sur Terre. Elle voulait en savoir plus sur cette période trouble de l’Histoire et sur cette région du Nord semblant fascinante.

Pendant que la République Benefactorienne se mettait tranquillement en place de son côté, l’Exilée, quant à elle, passait son temps au Tabularium, l’étage du Colossus dédié au savoir et à la connaissance, regroupant un nombre d’archives ahurissant. Elle avait lu de nombreuses choses sur les Douze Valeureux de Gorne, ces douze guerriers qu’elle, Dux et Yusha avaient empoisonnés au tout début de la Révolte de l’Exilée, afin de libérer Hostia et les autres femmes de la Salle Rouge. Encore un acte qu’Okina regrette amèrement.

Elle avait lu d’autres noms tels que celui d’Énée, un homme d’à peu près son âge ayant participé à la guerre quand il n’était qu’un enfant et qui est, aujourd’hui, devenu Gouverneur de Dannaviscia. Il aspire à présent à continuer sa carrière politique au sein du futur Sénat.

Elle l’avait rencontré lors de ses voyages professionnels à Capitis et interrogé, puis ils s’étaient revus à plusieurs reprises. Étrangement, les moments qu’Okina passe avec lui sont les seuls durant lesquels elle parvient à oublier un peu Yusha et tous les actes horribles qu’elle a dû commettre pour en arriver là.

Grâce à son témoignage et à toutes les informations qu’elle a pu récolter, l’Exilée a décidé de partir vers le Nord, afin de mettre la main sur quelque chose pouvant potentiellement sauver la Terre ou, du moins, aider ses habitants. En tout cas, c’est ce qu’elle espère.

Après ces très longs mois de recherches et d’investigations, elle est retournée voir les membres du Kankou pour leur demander aide et conseil.

- J’ai un nouvel objectif, avait-elle déclaré, déterminée. Je pars pour Dannaviscia.

CHAPITRE 1

Préambule

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Voilà la question que chaque habitant de Gorne, Gerevis et Mandrak se pose, aujourd’hui. Il n’a suffi que d’une seule chose : l’avidité d’un homme.

Comme pour toute histoire, le mieux, pour raconter celle de la Grande Guerre de Dannaviscia, est de commencer par le commencement.

Bien que cet événement majeur de l’Histoire de l’Humanité soit tombé dans l’oubli après la Grande Migration – comme la plupart du savoir terrien – il a bel et bien eu lieu ; il y a des siècles, comme des dizaines de millions d’années auparavant, un météore s’est écrasé sur Terre pour y faire d’énormes dégâts. Encore aujourd’hui, la provenance de cet astéroïde reste un mystère. Même si l’espèce humaine commençait déjà à régresser, du fait, entre autres, du trop grand nombre d’individus la composant, sa technologie aurait dû lui permettre de prévoir le crash de la météorite. Alors, pourquoi n’a-t-elle pas réussi à anticiper la catastrophe ? Aurait-elle pu l’empêcher ? Personne ne le saura jamais. Bien que l’immense pierre spatiale ait été oubliée depuis, les Hommes ont quand même eu le temps de lui donner un nom avant qu’elle soit ensevelie par les éléments. Ils appelèrent cette pierre « Calista ».

Au fil du temps, le berceau de la vie dans l’univers subit les effets de Calista. Peu à peu, la topographie de la Terre se mit à changer, les séismes donnèrent naissance à de nouvelles montagnes et volcans ; les mers et les lacs s’asséchèrent ; le mouvement des plaques tectoniques métamorphosa le paysage terrestre, si bien que les astronautes eux-mêmes ne reconnaissaient quasiment plus leur planète.

Calista eut également un impact très important sur la faune et la flore. Une grande partie des espèces vivantes, pour la plupart déjà menacées d’extinction, disparurent et les survivantes mutèrent pour donner naissance à des plantes ainsi qu’à des animaux d’une hostilité et d’une férocité stupéfiantes.

Ajoutés à tout cela les milliers d’années de pollution et ce que la planète avait déjà subi à cause de l’activité humaine et la Terre devint très rapidement le pire endroit de la galaxie. Un véritable enfer invivable.

Cela faisait déjà bien longtemps que l’Humanité était à la recherche d’un nouvel astre ayant la possibilité de l’accueillir. Alors, quand Mirakuru découvrit Hiyoku en 30 avant le Renouveau, les humains ne perdirent pas de temps et, en une quinzaine d’années seulement, ils furent prêts à coloniser cette nouvelle planète et quittèrent la Terre. Enfin, une partie d’entre eux, du moins. Car seulement trois milliards de Terriens eurent la chance d’embarquer sur les arches et de participer à la Grande Migration, laissant leurs congénères dépérir sur cette planète devenue toxique qu’ils appelaient autrefois la leur.

Des décennies plus tard, en l’an 53, alors que la Terre continuait d’avancer inexorablement vers sa fin, naquit Orak Maskin, l’homme à l’origine du mal qui allait bouleverser Dannaviscia. En vieillissant, Orak devint un aventurier et il consacra sa vie à la recherche ainsi qu’à l’étude d’artefacts mystiques. Il parcourut la Terre entière afin de trouver des objets dignes de venir s’ajouter à sa collection. Ainsi, il arpenta Uporea, le continent capital de la planète, jusque dans ses moindres recoins. Il traversa les Territoires Civilisés et les Territoires Reculés de Capitis pour se rendre dans les Territoires Sauvages. Il rencontra des exilés, des ermites, des parias, des tribus de nomades ancestrales entièrement composées de femmes possédant des pouvoirs incroyables… Il vit ce qu’aucun homme n’avait pu voir avant lui. Cependant, tout ceci ne lui suffisait pas. Il en voulait toujours plus.

C’est pourquoi, quelque temps après la naissance de son fils Krigs et le décès de sa compagne durant l’accouchement, Orak se mit en quête de trouver l’emplacement de Calista, la légendaire pierre venue du ciel dont il avait entendu parler mille-et-une fois.

Après de longues années de recherche, ses aventures le menèrent à elle. Elle se situait au Nord d’Uporea, dans la région surnommée la Trinité Nordique et qu’on appelle plus communément Dannaviscia. Quand il découvrit enfin une infime partie de la météorite après avoir creusé le sol pendant des semaines, il fut subjugué par la beauté d’une telle chose. Le rocher spatial scintillait d’une lumière bleutée et Orak tomba immédiatement sous son charme. Il réussit à en détacher un bout de petite taille, mais assez gros pour tenir dans la paume d’une main, et l’attacha ensuite autour de son cou, en pendentif. Plus tard, il nomma ce médaillon « Deletrix ».

Après cela, il ne voyagea plus, toujours plus obsédé par sa découverte. Il fit un nombre incalculable d’expériences scientifiques sur Deletrix pour savoir de quoi était capable Calista. Il était fasciné par le pouvoir de la pierre et il fit subir tout un tas d’expérimentations à Saturna, une jeune exilée qu’il avait recueillie lorsqu’elle n’était encore qu’un nourrisson et que son fils Krigs avait pris pour petite sœur. Il découvrit alors que Calista n’était pas seulement une arme destructrice de planètes, mais qu’elle était également une source d’alimentation surpuissante comme personne n’en avait jamais vue. Quelle ironie. Ce qui avait condamné la Terre était probablement la seule chose qui pouvait la sauver.

Seulement, le pouvoir de Deletrix était trop fort pour un simple humain. Petit à petit, l’esprit et le corps d’Orak Maskin se détériorèrent. Il perdit la tête et commença à rêver de conquête. Il était persuadé d’être le seul de son espèce à connaître tous les secrets de l’univers, à côtoyer la puissance divine. Il croyait être l’élu des dieux, si toutefois ils existaient. Dans tous les cas, il savait qu’il était un être supérieur. Il avait vu le futur et il devait prendre le contrôle de la planète pour lui imposer sa vision. C’était sa mission.

Cependant, malgré sa volonté inébranlable, il ne parvint jamais à accomplir sa tâche car les dégâts que Deletrix avait fait endurer à son corps étaient trop importants. Il allait bientôt mourir et il en était conscient.

Par conséquent, il passa les dernières années de sa vie à essayer d’immuniser son fils aux nocifs effets de la pierre. Malgré ses nombreux échecs, il ne se découragea pas et mit finalement au point un remède. Puis, en 96, Orak perdit la vie, alors que Krigs n’était âgé que de seize ans. Sur son lit de mort, le père donna une dernière mission à son enfant. Celle d’achever la sienne.

En grandissant, Krigs Maskin, toujours accompagné de Saturna, se servit de Deletrix pour se faire un nom. Il s’engagea dans l’Armée pour apprendre à se battre, mais il n’alla pas plus loin que la formation militaire. Il eut la chance de vieillir à une époque où les tensions entre le pays de Mandrak et le reste de la Trinité étaient palpables.

En résumé, certains Mandrakiens et Mandrakiennes réclamaient l’indépendance. Ils ne voulaient plus faire partie de Dannaviscia. Ils souhaitaient être sous les ordres directs du Benefactori sans avoir à passer par l’Ordre de la Trinité et Stapler Nos, le Porte-parole des Trois Pays du Nord, qui, selon eux, ne les représentait pas convenablement et déformait les propos du peuple. Cette situation politique était une aubaine pour Krigs, qui en profita pour rallier les séparatistes à sa cause.

En quelques courtes années, il devint le leader des Intrépides – le nom que les séparatistes s’étaient donné. Maintenant à la tête des fauteurs de troubles de Mandrak, il disposait d’une armada d’hommes et de femmes en colère, prêts à se battre pour obtenir leur liberté. Toutefois, il ne s’agissait pas de guerriers. Maskin voulait de véritables combattants pour mener à bien son dessein.

Sa prochaine étape était de s’emparer de l’Armée du pays. Son objectif était le contrôle. Dans un premier temps, celui de Dannaviscia puis, à long terme, de la Terre tout entière. Pour pouvoir imposer la vision de son père au monde, il n’avait pas le choix, il devait déclencher une guerre.

CHAPITRE 2

Tensions

An 114 après le Renouveau, Catacombes de Havenbok.

Dans les souterrains morbides de la capitale mandrakienne, Krigs Maskin et les Intrépides se sont réunis en secret, comme ils ont l’habitude de le faire. Ils ont plusieurs endroits où se rencontrer et ils changent à chaque fois, afin de ne pas attirer l’attention des forces de l’ordre, qui les surveillent déjà de près.

Les Intrépides commencent à inquiéter l’Ordre de la Trinité. Pour Krigs, c’est une bonne chose. Cela veut dire que le Gouvernement les prend au sérieux. L’Ordre, et plus particulièrement les représentants de Mandrak, ont peur qu’une guerre civile éclate. Maskin sourit toujours lorsqu’il entend ces mots : « guerre civile ». Si seulement ils savaient ce que le fils d’Orak cherche à accomplir… Une guerre civile n’est qu’une bagarre d’enfants dans une cour de récréation en comparaison.

Les tensions n’ont jamais été aussi fortes. Pour contrer la menace que représentent les Intrépides et pour assurer la sécurité du reste de la population, le Duc Tehr a accentué la présence militaire sur le sol de Mandrak. Des soldats patrouillent dans les rues jour et nuit, au cas où un attentat devrait être déjoué. Cependant, l’Armée reste tout de même discrète. Les opposants au Gouvernement dénoncent un régime qui préfère faire taire son peuple et déformer ses propos plutôt que de l’écouter. Si l’État attaque publiquement les séparatistes, il leur donne raison aux yeux du reste du monde et il fera des Intrépides des martyrs. Tout le monde se rallierait donc à leur cause. Tehr l’a bien compris. Krigs aussi.

Le Duc est intelligent, il le sait. Et il a l’air d’aimer sincérement ses sujets, ce qui est rare, dans ce monde comme dans les autres. En revanche, cette situation ne plait pas à la Comtesse Edgervin, qui souhaiterait davantage de discipline au sein de la population. Pas étonnant pour une ancienne militaire. Toutefois, même si elle a beaucoup de pouvoir, elle doit obéir aux ordres de Tehr et Tehr doit se plier aux décisions de l’Ordre de la Trinité, dont ils font tous deux partie, avec, bien sûr, le Baron Ifnny.

Dans chacun des trois pays composant Dannaviscia, le Duc et le Comte sont ceux qui ont le plus de pouvoir. Vient ensuite le Baron, qui est en bas de l’échelle du trio de commandement, même s’il est évidemment bien plus puissant que les citoyens lambdas. En réalité, le Baron joue surtout le rôle de conseiller : il participe à la vie politique du pays et propose des idées mais, au final, c’est le Duc, ou parfois le Comte, qui prend les décisions. Maskin a saisi tout cela depuis bien longtemps. Il s’est entraîné toute sa vie à devenir un conquérant. Il connait les rouages de la politique et de la stratégie, qu’elle soit martiale ou non.

À Mandrak, Tehr et Edgervin sont peut-être les décisionnaires mais c’est Ifnny qui a le plus de pouvoir, indirectement. Contrairement à la Comtesse qui a débarqué de nulle part et qui a aussitôt trouvé un fauteuil à sa taille au Siège de l’Ordre de la Trinité, le Baron, lui, a toujours vécu dans ce monde. Son père était également Baron, tout comme son père avant lui. Ifnny est issu d’une famille noble et, depuis sa naissance, on lui a toujours inculqué les valeurs de la politique et de l’aristocratie. Sans parler du fait qu’en vieillissant, il a côtoyé de très nombreuses personnes de pouvoir. Il a même des amis ayant à leur disposition une ligne directe avec le Benefactori, à ce qu’on dit. En bref, il est l’homme le plus influent du pays, même s’il n’en a pas forcément conscience. Contrairement à Krigs qui, quant à lui, a compris que c’était Ifnny qu’il fallait d’abord cibler pour avoir une chance d’accéder au Général de l’Armée de Mandrak, Leg Grenell.

Depuis tout à l’heure, Maskin est perché sur la petite estrade trônant au milieu des ossements symétriquement disposés et entonne un discours. Il arrive bientôt à sa réplique finale.

- Ces militaires dans les rues n’ont pour autre objectif que de nous effrayer. Nous ne devons pas nous laisser intimider. S’ils patrouillent tous les jours et toutes les nuits, c’est parce que ce sont eux qui ont peur de nous.

Chacune de ses phrases est ponctuée par des cris et des hochements de tête approbateurs.

- Mes amis, nous sommes si proches du but. Nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant. Nous devons avoir foi en la cause plus que jamais. Nous obtiendrons ce que nous voulons. Par la force, s’il le faut ! Bientôt, nous n’aurons plus à répondre de nos actes auprès de l’Ordre. Le seul véritable pouvoir sur cette Terre est celui du Benefactori.

Évidemment, Krigs n’en pense pas un mot. Pour lui, le seul véritable pouvoir sur cette Terre réside en Calista et en Deletrix. Mais, pour le moment, il vaut mieux ne pas trop s’attirer les foudres du Gouvernement Planétaire. Il préfère attendre d’avoir pris le contrôle d’au moins un des Trois Pays du Nord.

- Et nous n’avons aucunement besoin d’intermédiaire entre lui et nous. Nous n’avons pas besoin de Stapler Nos ou des aristocrates. Nous n’avons pas besoin de Dannaviscia. Nous pouvons nous débrouiller seuls. Nous ne sommes pas inférieurs aux membres de l’Ordre de la Trinité !

- Ouais ! gronde la petite foule à l’étroit entre les murs ornés d’os.

- Nous allons prendre ce pays en mains et le mener comme nous le souhaitons ! proclame Krigs. Vive l’indépendance !

- Vive l’indépendance ! répètent les Intrépides à l’unisson.

- Vive la liberté !

- Vive la liberté !

- Et vive Mandrak !

Des applaudissements et des sifflements de joie rebondissent sur les parois des Catacombes peu éclairées. Krigs adresse un geste fier à ses hommes, avant de descendre de l’estrade.

Saturna se tient là, droite, les mains jointes devant elle, le regard dur, scrutant la foule. Elle n’a que trente-et-un ans – trois de moins que Krigs –, pourtant elle fait plus vieille que lui. Il faut dire qu’elle en a bavé durant son enfance et son adolescence, surtout à cause d’Orak Maskin.

Ce dernier n’a jamais été doux avec elle. Il la malmenait et ne lui laissait presque aucun répit. Il lui faisait subir tout un tas d’expériences dangereuses et plus extravagantes les unes que les autres. Il ne la traitait pas comme un être humain. Malgré tout, elle a survécu. C’est une force de la nature et si elle avait besoin d’une raison pour accepter de continuer à endurer toutes ces atrocités, elle la trouvait en Krigs. Celui-ci sait pertinemment qu’elle et lui ne sont pas du même sang, pourtant, depuis les premiers instants où il a posé les yeux sur elle, lorsqu’elle était bébé, il l’a considérée comme sa petite sœur. Saturna n’a jamais eu d’affection pour Orak, à juste titre. Néanmoins, elle sait que Krigs aimait son père et qu’il veut lui faire honneur. Voilà pourquoi elle le suit dans sa croisade folle. Il n’existe pas plus grande loyauté qu’entre ces deux-là.

Krigs sourit en passant à côté d’elle. Il lui offre son coude et Saturna passe son bras à l’intérieur. Ensemble, ils arpentent la foule et serrent quelques mains.

Du moins, c’est ce que fait Krigs. Car Saturna, elle, ne se sent pas à son aise au milieu des gens. Même au sein des Intrépides, ils la dévisagent et la dissèquent du regard. Ce n’est pas sa faute, mais cette femme aux cheveux très courts, au visage carré et à la peau recouverte de cicatrices mettrait mal à l’aise n’importe qui. Ses yeux sont creux et remplis de haine, son teint est pâle. Quand on la regarde, on a l’impression qu’il s’agit d’un cadavre s’étant échappé de la morgue.

Elle est tout le contraire de son frère adoptif qui, lui, réussit à inspirer confiance à chaque passant qu’il croise grâce à son charisme, ses cheveux noirs et laqués toujours impeccables, son sourire enjôleur et sa magnifique cape dorée qu’il porte constamment sur le dos et qui met en valeur le médaillon dont il ne se sépare jamais.

En tout cas, en apparence. Car, Saturna est bien placée pour le savoir, à l’intérieur, le meneur des Intrépides est exactement comme elle. Un cœur dur comme Deletrix et aussi glacial que l’était son pays il y a des milliers d’années. Tout ce qu’il veut, c’est conquérir le monde. Même s’il doit le détruire pour cela.

Tandis que Krigs continue ses sourires hypocrites et ses serrages de mains, Saturna lui glisse quelque chose à l’oreille.

- Il y a une femme qui veut te voir.

- Il y a beaucoup de gens qui souhaitent me voir, chère sœur, rétorque-t-il sans quitter la foule des yeux.

- Elle dit qu’elle a peut-être un moyen de rentrer en contact avec Ifnny, souligne-t-elle.

La tête de Maskin se tourne vivement vers sa sœur adoptive. Elle a piqué sa curiosité.

- Où est cette femme ?

- Dans la Salle des Crânes, indique-t-elle. Je lui ai dit d’attendre là.

- Mène-moi à elle.

Après quelques signes à leur public, Krigs et Saturna tournent les talons et se dirigent vers la Salle des Crânes. Cette salle est une petite pièce creusée dans la terre, bien connue des amateurs des Catacombes de Havenbok. Elle porte ce nom parce qu’elle est entièrement décorée de crânes humains. Pas une seule autre partie du squelette n’y est exposée.

Quand ils pénètrent dans la Salle des Crânes, une femme est assise sur une sorte de trône fabriqué entièrement avec des têtes de morts, patientant. En voyant Krigs arriver, elle se lève d’un bond.

- Monsieur Maskin ! s’exclame-t-elle. C’est un honneur de vous rencontrer ! Je suis une Intrépide. Je vous avais déjà vu faire un discours, mais je ne pensais pas vous parler en face à face un jour.

Elle se tourne et observe le siège sur lequel elle était installée.

- Je suis vraiment désolée si ce trône était le vôtre, je ne voulais en aucun cas vous manquer de respect ou profaner quoi que ce soit…

- Ce n’est rien, la coupe Krigs. Ce siège était là bien avant moi et le sera sûrement bien après.

Il sourit à la femme, qui se calme un peu.

- Excusez-moi, je suis un peu nerveuse.

- Vous dites savoir comment approcher le Baron Ifnny ? questionne-t-il, ne perdant jamais son objectif de vue.

- C’est possible, oui, confirme-t-elle.

- Je vous écoute.

- Eh bien, voilà, commence-t-elle. Je suis mère d’un garçon. Un merveilleux garçon. Il a des amis venant de la Ceinture du Pouvoir de Havenbok, mais appartenant à la classe moyenne, comme nous. L’autre fois, il est allé jouer chez l’un d’entre eux et j’ai dû aller le chercher. C’est là que j’ai compris que son ami était le fils d’une domestique. Et pas n’importe laquelle. En discutant avec elle, j’ai appris qu’elle travaillait pour le Baron. Ils habitent carrément dans la même maison, vous y croyez ? J’ai aussi cru comprendre, au fil de notre conversation, qu’elle commençait à en avoir marre de servir les puissants et de ne pas être récompensée comme il se doit. À un moment, elle a même sous-entendu soutenir moralement les Intrépides. C’est là que je me suis alors souvenue vous avoir entendu dire que pour déstabiliser le Gouvernement, il fallait, en premier lieu, atteindre le Baron Ifnny.

- Votre vivacité d’esprit va peut-être nous être d’une grande aide, chère madame, la félicite Krigs.

Il plonge ses yeux marrons dans ceux de la femme, avant d’ajouter :

- Quand puis-je rencontrer cette domestique ?

CHAPITRE 3

Piégé

Le Baron Rike Ifnny est son titre. Certains hommes et femmes d’importance parviennent à dissocier leur titre et leur fonction de leur vie privée, mais pas lui. Il a été élevé comme ça. Depuis qu’il est venu au monde, on lui répète que le plus important, c’est qu’il devienne Baron. Et il doit le rester, quoi qu’il arrive, même s’il ne sait pas bien pourquoi. De toute façon, que pourrait-il faire, autrement ? Il n’a été formé à rien d’autre, il n’a jamais eu le droit de s’intéresser à autre chose. On ne lui a jamais demandé son avis.

Il a bien quelques rêves, comme tout le monde. L’un d’entre eux est de devenir musicien. Il l’a toujours souhaité. Son père l’a inscrit très jeune à des cours de violon. Et Rike aime en jouer. Mais il ne fera jamais carrière. Il n’est pas assez doué pour cela. Son rêve restera donc à tout jamais un fantasme.

Dissocier sa vie privée de sa vie professionnelle est quasiment impossible pour lui. Tous les amis qu’il a, il se les est faits par stratégie politique. Depuis tout petit, c’est son père qui lui dit avec qui il a le droit de s’entendre ou non. « Le plus important en politique, c’est d’avoir des amis bien placés », lui répétait-il sans arrêt. Aujourd’hui, le père Ifnny est mort, mais les amis sont restés. Quand Rike organise des sorties ou des repas avec eux pour se détendre, il arrive toujours un moment où le travail revient sur le tapis. Même ses connaissances les plus proches l’appellent « Baron » ou « Baron Ifnny ». Peu sont ceux à l’avoir déjà appelé « Rike ».

Ce soir ne fait pas exception à la règle. Il est sorti non pas par envie mais parce qu’on l’a invité. Il ne voulait pas y aller, il aurait préféré rester chez lui, tranquillement, avec Jenda, Treya et Kéonne, ses deux filles et son épouse.

Heureusement qu’elles sont à mes côtés, se dit-il souvent.

Même si, bien sûr, Kéonne occupe, elle aussi, un poste important en politique grâce à son mari, avec elle, au moins, il peut discuter d’autres choses que des problèmes que rencontre leur pays. Bien que certains repas soient parfois agités quand ils abordent des sujets sur lesquels ils ne sont pas d’accord.

Par ailleurs, il est impoli de refuser une invitation, ses parents le lui ont appris. Il se rend donc au spectacle sordide, à contrecœur. L’invitation lui a été envoyée par un propriétaire d’arène et Maître de Maison de Combats. Rike ne se souvient ni du nom de l’homme ni de celui de l’arène et il s’en fiche. Ce genre de choses ne l’a jamais intéressé.

Les Combats de Titans sont moins présents à Dannaviscia qu’à Capitis, mais ils existent tout de même. Surtout dans les grandes villes comme Havenbok. Mais, cela rapporte moins de rations que dans les autres pays d’Uporea. Les gens ne sont pas très friands de ce genre de spectacles barbares, ici. Ifnny aime à penser que c’est parce que les habitants du Nord sont plus civilisés que ceux du Sud.

Grâce à sa large culture générale, Rike le sait, les Combats de Titans ont été inventés avant la Grande Migration. Toutefois, Dannaviscia s’en passa très bien pendant des années. Elle pourrait parfaitement vivre sans, aujourd’hui aussi, mais cela est lucratif pour le Benefactori, étant lui-même à la tête de ce business. Et personne ne voudrait contredire un tel personnage. Du moins, le Baron n’en a jamais rencontré et il espère que ça ne lui arrivera jamais. Ceux qui osent s’attaquer au pouvoir n’ont aucune valeur ni limite. Les gens comme ça sont particulièrement dangereux.

Il est arrivé devant l’arène. L’édifice est grand, mais plus petit que le bâtiment accueillant l’Ordre de la Trinité. À Capitis, les arènes doivent être deux ou trois fois plus gigantesques. Rike n’ose même pas imaginer l’effet que cela doit faire de se retrouver face au Colossus, à Patrona Urbs. Il l’a déjà vu sur des photos et des vidéos, mais jamais en vrai. Et il ne le veut pas. Secrètement, il espère que personne ne l’y invitera jamais, car il serait obligé d’accepter.

Il y a du monde. Les gens font la queue devant l’entrée, en se bousculant. Ifnny sort son invitation numérique de la poche intérieure de sa veste et l’agite en l’air à l’attention des agents de sécurité. Il n’a jamais aimé la foule et n’a jamais vraiment eu à s’en préoccuper. Faire la queue est un concept qui lui est étranger. Deux gardes l’aperçoivent et accourent vers lui afin de l’escorter vers une porte réservée aux VIP. Ensemble, ils empruntent un ascenseur donnant directement sur la loge qui lui servira de perchoir durant le combat. Une immense baie vitrée fait office de mur devant lui. Face à elle, un canapé confortable magnifiquement brodé est disposé. Des deux côtés de celui-ci, il y a des tables recouvertes de toutes sortes de mets. La baie est interactive, elle lui montrera les points de vue des différentes caméras et il pourra choisir d’afficher en grand ou en petit ceux qu’il veut, afin de ne manquer aucune miette de l’affrontement.

- Installez-vous, suggère un des gardes. Notre Maître sera bientôt là.

Les deux agents de sécurité le saluent d’un hochement de tête et quittent la pièce de la même manière qu’ils y sont venus. Rike suit les conseils du garde et s’installe sur le canapé en soupirant.

Enfin un moment de tranquillité, pense-t-il.

Mais cela est de courte durée. Quelques instants après, les portes de l’ascenseur s’ouvrent à nouveau et le propriétaire en sort.

- Désolé de vous avoir fait attendre, Monsieur le Baron, s’excuse-t-il. J’avais quelques affaires à régler.

Ifnny se lève. Les deux hommes se serrent la main.

- Mais, c’est tout naturel, ne vous en faites pas.

Rike dit cela, mais s’il était à la place de son hôte, jamais il n’aurait fait attendre son invité. Il a toujours eu le sens des bonnes manières.

- Puis-je vous offrir un verre ? propose-t-il.

- Volontiers, accepte poliment Ifnny.

Le Maître de Maison de Combats verse une boisson alcoolisée dans deux sublimes verres qui étaient posés sur la table depuis l’arrivée du Baron. Rike doit l’avouer, depuis tout à l’heure, la bouteille lui faisait de l’œil. Il est amateur de ce genre d’alcool et, après avoir trinqué, il se délecte du breuvage qu’il sent parcourir son œsophage.

- Asseyons-nous, suggère le propriétaire de l’arène.

Ifnny a appris très jeune à garder les noms des personnes qu’il rencontre en mémoire mais, cette fois, pas moyen de se souvenir de celui de son hôte. Il doit se faire vieux et, après tout, ce n’est pas très grave. Cet individu n’est pas d’une importance capitale. Il est plutôt riche, mais pas assez puissant pour inquiéter Rike.

- Le combat va commencer, annonce l’homme, la mine enthousiaste, en entendant la sonnerie.

Ifnny sourit également, bien qu’il préférerait être n’importe où ailleurs. Il se demande ce que le Maître de Maison va lui demander. Car, évidemment, les gens n’invitent jamais un Baron sans aucune raison. Le Combat de Titans n’est qu’un prétexte. Cet homme a forcément une requête à lui soumettre. Mais, pour le moment, il ne semble pas prêt à parler. Il se décidera sûrement plus tard.

L’affrontement se déroule. Du sang gicle, des yeux sont éjectés de leurs orbites sous les coups de massues, de la chair est découpée par des lames dentelées, des vertèbres craquent sous le propre poids de leurs propriétaires quand ils s’écrasent sur une plateforme.

Ceci n’est pas pour moi, songe Rike.

Si l’objectif était de divertir quelqu’un, l’hôte aurait dû inviter la Comtesse Edgervin. Elle, au moins, se serait amusée. Elle raffole de ces combats violents et mortels. Ce qui a toujours étonné Ifnny, d’ailleurs. Elle qui prône sans cesse l’ordre et la discipline, elle prend un malin plaisir à assister à des combats à mort désordonnés et barbares. Rike pense que ce qu’elle aime surtout, c’est la violence. Peu importe la forme qu’elle prend.

Les gradins sont presque remplis. Le public hurle et applaudit, ce qui fait trembler les murs. Ils apprécient réellement ça. Rike ne le comprend vraiment pas.

Étant donné le faible nombre de Titans participant au combat, celui-ci se termine rapidement. Le gagnant est un archer multiplement Invictus du nom de Temen Murr. Chaque flèche qu’Ifnny l’a vu décocher a atteint sa cible. Mais le Baron s’en soucie peu. Il attend, à présent, la demande de son hôte.

- Le spectacle vous a-t-il plu, Monsieur le Baron ? se soucie ce dernier.

- C’était très divertissant, ment Rike.

- Parfait, c’est ce que j’espérais.

Le Maître de Maison se lève.

- Merci d’avoir accepté mon invitation.

Ifnny l’imite.

- Merci à vous de m’avoir invité, reformule-t-il comme on le lui a appris.

- Bien sûr, c’est toujours un plaisir.

- Plaisir partagé.

Les deux hommes rient poliment et le propriétaire d’arène poursuit.

- J’espère que vous ferez bonne route jusqu’à chez vous. Souhaitez-vous que je vous fasse raccompagner ?

Rike est dubitatif. Il ne s’attendait pas à ça. Cet homme l’invite dans son arène, regarde un Combat de Titans avec lui et… c’est tout ? Aucune requête particulière ? Aucune ruse politique ? Tout ceci le met encore plus mal à l’aise que s’il avait réclamé quelque chose. Rike n’a pas l’habitude. Finalement, il est venu pour rien. Il aurait mieux fait de rester chez lui. Remarque, ce n’est pas plus mal. Il pourra se coucher de bonne heure au lieu de rester à discuter pendant des heures avec un homme qui ne veut rien entendre d’autre que « vous avez tout à fait raison, j’accepte votre proposition ».

- C’est très attentionné, mais je saurai me débrouiller, je vous remercie, décline-t-il avec amabilité.

Ifnny se dirige vers la sortie et son hôte le suit. Il appelle l’ascenseur quand le Maître de Maison de Combats reprend.

- Oh, j’oubliais, dit-il en se dirigeant vers un petit meuble sur lequel est posée une enveloppe en papier.

Sur Terre, le papier est extrêmement rare. Celui d’origine naturelle, du moins. Mais, certaines entreprises fabriquent génétiquement des arbres dans le seul but de produire du papier. Les arbres sont éphémères, ils meurent très rapidement et rien n’y pousse, mais quelques riches matérialistes sont heureux de pouvoir encore coucher sur papier leurs écrits.

Il s’empare de la lettre et la tend à Rike.

- Ceci est un cadeau pour vous.

- Merci beaucoup, cher ami, répond le Baron en prenant l’enveloppe dans sa main.

- Pouvez-vous me rendre un service ?

Nous y voilà.

- Je vous écoute, accorde l’invité.

- Pouvez-vous l’ouvrir une fois que vous serez chez vous ?

- Naturellement.

L’ascenseur est arrivé.

- Bonne soirée, Monsieur le Baron.

- Bonne soirée.

Rike pénètre dans la cage, avant de quitter l’arène.

Arrivé devant la porte de sa villa, il fait pivoter la poignée et entre. La porte n’était pas verrouillée. C’est normal, sa famille et sa domestique sont là. Il consulte son holowatch. Vu l’heure tardive qu’il est, Kéonne, Jenda et Treya doivent probablement être au lit. Il appuie sur l’interrupteur, mais rien ne se passe. Il réitère l’opération, mais la maison reste plongée dans le noir. L’électricité n’est plus une source fiable de nos jours. Il s’en occupera plus tard.

Il profite de la lumière extérieure offerte par la fenêtre pour ouvrir la lettre afin d’en connaitre le contenu. Qu’est-ce que cette enveloppe peut bien renfermer ? Tout ceci est très intriguant. Il détache le sceau et déplie la feuille. Seulement trois phrases y sont inscrites :

« Vive l’indépendance !

Vive la liberté !

Vive Mandrak ! »

Il s’agit de la devise des Intrépides, les séparatistes semant la terreur dans les rues de Havenbok et à travers le pays tout entier. Qu’est-ce que cela signifie ?

- Bonsoir, Baron Ifnny, s’élève une voix dans l’obscurité en même temps qu’un son provenant d’un instrument désaccordé.

Rike sursaute. Dans la pénombre, une lueur bleue scintille.

- Qui êtes-vous ? lance-t-il fébrilement en tentant de distinguer celui qui se trouve en face de lui.

L’homme se penche en avant et le haut de son corps entre dans la lumière. L’éclat bleuté provient du médaillon qui pend à son cou. Il tient le violon d’Ifnny entre les mains et s’amuse à pincer les cordes avec ses doigts.

- Vous ne me reconnaissez pas ?

Rike l’a reconnu, évidemment. Tout le monde connait ce visage. Sa bouche s’entrouvre et il écarquille les yeux.

- Nous ne nous sommes jamais rencontrés convenablement, je le crains, déplore l’intru. Je me présente, mon nom est Krigs Maskin, je suis à la tête de ceux que l’on appelle les Intrépides.

Ifnny commence à comprendre ce qui se trame.

- Je sais qui vous êtes, affirme-t-il. Que me voulez-vous ?

- J’aurais besoin d’un service.

Rike désigne la lettre d’un geste.

- C’est vous, ça ?

- En effet. Le Maître de Maison de Combats avec qui vous avez passé la soirée est un vieil ami et un fervent soutien à notre cause.

Krigs le connait depuis longtemps. À une époque, afin de gagner un peu de rations, Saturna se battait dans des arènes de combats et son frère adoptif était son coach. Sans parent, les deux adolescents avaient dû se débrouiller comme ils pouvaient pour gagner leur vie. Dès que le mouvement des Intrépides avait pointé son nez, le propriétaire d’arène s’y était tout de suite intéressé.

Effectivement, les personnes travaillant dans le milieu des Combats de Titans à Mandrak ont tout intérêt à voir leur pays se détacher de Dannaviscia pour voler de ses propres ailes. Encore une fois, l’intermédiaire qui est actuellement en place entre le Benefactori et eux ne facilite pas leur mode de vie. Le Benefactori est connu pour être le propriétaire du Colossus, l’arène la plus titanesque et importante de toute la planète. Le centre névralgique des Combats de Titans. Il est donc tout à fait logique que le dirigeant du Gouvernement Planétaire encourage cette pratique, contrairement à l’Ordre de la Trinité. Sous la direction directe du Benefactori, les affaires des propriétaires d’arènes et des Maîtres de Maisons de Combats seraient florissantes. C’est pourquoi, la quasi-totalité d’entre eux soutient Krigs Maskin et les Intrépides.

- À quoi tout ce cirque vous a servi ? le brave le propriétaire des lieux.

- Ce n’était qu’une diversion, cher Baron. Une simple diversion.

- Pour me détourner de quoi ?

Rike commence à paniquer.

- Où est ma famille ? saisit-il subitement. Comment êtes-vous entré ?

Krigs pose le violon contre le pied de la table derrière laquelle il est installé.

- Pas ici. Et vous devriez faire plus attention à la manière dont vous traitez votre personnel, conseille-t-il d’un air détaché. Qui aurait cru qu’une aussi charmante domestique comploterait contre son employeur ?

- Où sont ma femme et mes filles ?

Ifnny réglera la question de la servante plus tard. Pour l’instant, tout ce qui l’intéresse est sa famille.

- En ma possession, dévoile finalement le séparatiste.

La Baron s’avance d’un pas, les poings fermés.

- Je vous jure que si…

Krigs lève une main pour l’arrêter.

- Mais en sécurité, complète-t-il.

Un mélange de soulagement et de peur se lit dans les yeux de Rike.

- Pour le moment… précise Maskin en se levant de sa chaise. Et elles le resteront à une seule condition.

Les yeux d’Ifnny s’humidifient.

- Laquelle ?

Les lèvres de Krigs s’écartent pour laisser place à un sourire carnassier sur lequel reflète la lumière d’un réverbère provenant de la rue.

- À partir de maintenant, je veux que vous fassiez exactement ce que je vous dis.

CHAPITRE 4

Stratagèmes

Ce matin, l’élite de Mandrak s’est retrouvée au Palais Souverain. Il y a un Palais comme celui-ci dans chaque capitale de Dannaviscia : à Soko, Arkplatz et à Havenbok. C’est dans ce dernier qu’une réunion entre le Duc Tehr, la Comtesse Edgervin, le Baron Ifnny et le Général Grenell a lieu en ce moment.

À l’époque de sa création, les dirigeants de la Trinité Nordique avaient pensé à hiérarchiser ces Palais Souverains. Appeler celui de Gorne le numéro un, celui de Mandrak le numéro deux et celui de Gerevis le numéro trois. Mais, ils s’étaient dit que cela allait créer des jalousies entre les Trois Pays. Ils ont donc décidé de donner le même nom à tous les édifices.

À Dannaviscia, l’autorité la plus puissante est celle de l’Ordre de la Trinité. Peu importe ce qui se passe dans les Palais Souverains, tout est soumis à l’Ordre. Dans les Palais Souverains, les hommes et femmes de pouvoir se réunissent pour discuter de questions politiques et pour prendre des décisions locales, qui n’affecteront pas d’autres pays que le leur. Au Siège de l’Ordre de la Trinité, ces mêmes personnes se rassemblent toutes ensemble, cette fois pour prendre des décisions communes.

Aujourd’hui, les représentants de Mandrak ont décidé de se rencontrer afin de faire le bilan sur le mouvement des Intrépides et savoir quelles directions prendre pour la suite.

- Soixante-quatre arrestations, onze morts, dix-huit blessés grièvement, depuis le début de la crise, énumère le Général.

Leg Grenell commence à se faire vieux. Autrefois, il était plus fort et costaud qu’une douzaine d’Optimus. Il aurait pu porter le Colossus à lui seul, s’il l’avait souhaité. C’était un soldat. Un chien de guerre. Une machine à tuer. Il obéissait toujours aux ordres sans discuter. Il était capable de massacrer des ennemis par dizaines, armé seulement d’un couteau. En tout cas, c’est ce qu’Edgervin l’a souvent entendu raconter, probablement pour l’impressionner.

Les deux individus viennent du même milieu : l’armée. La Comtesse suppose que c’est pour cette raison qu’elle attire le Général. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, Grenell n’est plus ce qu’il a pu être par le passé. C’est un homme d’une cinquantaine d’années – un vieillard, sur cette planète – portant la barbe et s’étant visiblement laissé aller sur la nourriture après avoir été promu. Malgré ses kilos en trop et son crâne dégarni, son uniforme est toujours impeccable. Il voue un profond respect à l’honneur, l’ordre et la discipline. Voilà quelque chose qu’Edgervin apprécie chez lui.

- Et dans nos rangs ? cherche-t-elle à savoir.

- Trente-deux morts, quatre-vingts blessés dont vingt-et-un grièvement.

- Ce n’est pas vrai ! tempête la Comtesse. Ça fait des années qu’ils sont là, à se balader dans nos rues, tuant ceux qui veulent les protéger. Il est temps d’agir !

Le Duc Tehr lève les mains en signe d’apaisement.

- Calmez-vous, Comtesse. Calmez-vous.

- Je ne suis pas près de me calmer après avoir entendu les chiffres que Leg vient de nous donner.

Grenell a un petit rictus en entendant qu’Edgervin l’appelle par son prénom, ce qui est inhabituel. Son léger sourire s’estompe en une seconde lorsqu’il se souvient du sujet du débat.

- Nous avons joué assez longtemps la carte de la diplomatie, continue la Comtesse. Que comptez-vous faire, Monsieur le Duc ? Rester assis sur votre trône en attendant que l’orage passe ? Combien de temps allez-vous encore patienter avant de comprendre que l’affrontement est inévitable ?

Tehr se penche en avant et pose les mains à plat sur la table. Le Duc est beaucoup plus jeune que le reste du groupe. Néanmoins, il est peut-être celui qui a le plus d’expérience. Grenell est un général, pas un politicien. Edgervin était une militaire bien avant d’entrer en politique. Quant à Ifnny, il baigne certes dans ce milieu depuis toujours, mais il n’a pas la moitié de l’ambition ou de l’intelligence de Tehr.

Avec ses cheveux blonds parfaitement taillés, sa moustache frétillante et son élégante cravate toujours nouée autour de son col, on pourrait croire qu’il descend tout droit d’une lignée d’aristocrates importants. Pourtant, ce n’est pas le cas. Sa famille était riche, mais ne connaissait pas grand-chose en politique. Il a suivi cette voie seul et il a réussi. Pourquoi ? Parce qu’il sait ce que veut le peuple et il parvient toujours à lui dire ce qu’il veut entendre. Il n’est pas comme la Comtesse, à vouloir toujours foncer dans le tas tête baissée. Il est bien plus tactique et calculateur.

- Effectivement, les chiffres sont alarmants, concède-t-il. L’Armée Mandrakienne a perdu énormément de ses soldats face à un groupe indépendantiste apparemment non-entrainé au combat. Cela prouve qu’il y a bien un problème dans notre pays. Et, entendez-moi bien, je ne dis pas que nous ne devons pas agir, simplement que nous devons rester discrets. Si nous persécutons la partie de la population qui se sent déjà persécutée, nous lui donnons raison et d’autres soldats risquent de venir grossir les rangs de notre ennemi. Ce n’est pas du tout ce que nous voulons.

- Arrêtez d’utiliser du jargon militaire, nous ne sommes pas en guerre, intervient le Général.

- Pas encore, souligne le Duc.

Edgervin tape du poing sur la table :

- Nous devons être plus fermes avec le peuple. Dois-je vous rappeler que le Gouvernement Planétaire n’est pas une démocratie ? Nous leur laissons trop d’aise. Comment fait le Benefactori pour contrôler ses sujets, à Capitis, d’après vous ? Vous pensez qu’il les laisse former des clans séparatistes complotant pour prendre le contrôle de son pays ? Non, il envoie ses soldats exécuter le moindre dissident ! Voilà comment il maintient l’ordre. Et nous devrions suivre son exemple.

- Le Benefactori contrôle ses citoyens par la peur et le respect, explique calmement Tehr. C’est comme ça que ça se passe sur l’ensemble de la planète. Seulement, dans notre cas, il est trop tard. Cela fait des années qu’une révolte se prépare. Autrement dit, le peuple a perdu le respect et la peur que le Gouvernement lui inspirait auparavant.

- Raison de plus pour les mettre à genoux tant qu’il est encore temps ! insiste la Comtesse.

- Laissez-moi finir, je vous prie, requiert le Duc d’un ton ferme mais respectueux. Quand je dis « le peuple », je veux dire « une partie du peuple ». Nous n’avons aucune donnée sur le nombre d’Intrépides conspirant contre nous, je vous le concède. Cependant, je ne pense pas trop m’avancer en disant qu’ils représentent moins de la moitié de la population, sinon nous ne serions pas assis là à avoir cette conversation. Cette moitié est déjà perdue, nous sommes d’accord. C’est donc l’autre moitié qui nous intéresse. Si nous lançons un assaut contre les Intrépides pour les massacrer, cela fera d’eux des martyrs et nous perdrons la moitié qu’il nous reste pour toujours. Il faut jouer sur la confiance que la majeure partie du peuple a encore en nous. Les Intrépides s’opposent à l’État, l’État s’oppose donc aux Intrépides. Tout le monde comprend cela et cela est logique. Mais, nous ne voulons pas avoir l’image d’un gouvernement prêt à déclencher une guerre civile rien que pour écraser ses ennemis et faire taire les conspirationnistes. Nous devons être plus subtils. Les Intrépides n’ont cure de nous et de nos menaces. Au contraire, si nous nous intéressons à eux, cela signifie qu’ils nous inquiètent et Krigs Maskin en est conscient. Leur objectif est de nous provoquer. Si nous les attaquons de front, nous leur donnons exactement ce qu’ils veulent. Ils ne craignent pas les foudres de leurs dirigeants, ils les appellent à eux. Ce qu’ils craignent, en revanche, ce sont celles de leurs semblables. Nous devons réussir à retourner le peuple contre eux. S’ils perdent la confiance de leurs concitoyens, ils perdent tout. Les oppressés devenus oppresseurs redeviendront les oppressés. Voilà la stratégie à adopter. Voilà ce qui causera leur perte. Voilà ce qui nous assurera la victoire.

La salle reste silencieuse pendant un moment. Tout le monde est stupéfait, tant par l’intelligence que par le machiavélisme du Duc. La Comtesse Edgervin regarde Tehr d’un air amer. Elle sait qu’il a raison, mais elle a trop d’orgueil pour l’avouer. Après avoir entendu tout ça, elle se sent stupide de ne pas y avoir pensé avant. Quand on compare ses arguments avec ceux du Duc, elle a l’air d’une brute épaisse sans cervelle.

- Alors ? lance Tehr à la cantonade. Qu’en pensez-vous ?

Il se tourne d’abord vers le Général.

- C’est vous les politiciens, se dédouane ce dernier.

Puis, vers la Comtesse.

- Vous êtes celui qui prend les décisions finales, de toute façon, crache-t-elle en faisant la moue.

Et enfin, vers le Baron, qui reste silencieux.

- Baron Ifnny, on ne vous a pas beaucoup entendu, aujourd’hui, remarque le Duc. Vous semblez fatigué. Vous avez eu une nuit difficile ?

- On peut dire ça, acquiesce-t-il vaguement.

- L’avenir de notre pays est en train de se jouer et Monsieur le Baron fait la sieste ! tonne Edgervin.

- Je ne faisais pas la sieste, comme vous dites, Madame la Comtesse, se défend Ifnny. J’écoutais simplement d’une oreille attentive, contrairement à vous.

Edgervin veut répliquer quelque chose, mais elle ne trouve rien. Elle se contente de lancer au Baron un regard méprisant.

- Mes amis, nous avons déjà assez de conflits comme cela au sein de notre nation, n’en créons pas de nouveaux entre nous, les détend Tehr.

Les deux politiciens redeviennent professionnels et reportent leur attention sur le Duc.

- Très bien, conclut celui-ci. Nous avons notre base de travail. Nous connaissons la stratégie à adopter.

Il regarde l’horloge accrochée au mur, au-dessus de la porte. Un très ancien modèle, fonctionnant encore avec des aiguilles électroniques.

- Madame et Messieurs, notre réunion touche à sa fin. Merci d’y avoir participé. J’ai rendez-vous avec Monsieur Nos dans quelques minutes, je lui ferai part de ce sur quoi nous sommes tombés d’accord aujourd’hui.

Il se lève et salue ses collègues, qui l’imitent aussitôt.

- Messieurs, Madame.

Il quitte ensuite la Salle de Réunion pour se diriger vers son bureau, où Stapler Nos, le Porte-parole de Dannaviscia, l’attend, quelques étages plus haut.

Les politiciens rassemblent leurs affaires avant de suivre leur supérieur.

La Comtesse est la première à partir. Cette réunion n’a pas été très agréable pour elle. Aucune de ses propositions n’a été retenue. Elle sait que le Duc est un stratège politique incomparable et elle espère que sa manœuvre va fonctionner. Car, s’il s’avère que Tehr s’est trompé, Mandrak n’en a plus pour longtemps et, dans ce cas, ses quatre plus hauts dignitaires seront les premiers à perdre leurs têtes.

Leg Grenell est le deuxième à s’éclipser, suivi de près par Rike Ifnny.

- Général ! l’interpelle ce dernier dans les couloirs du Palais Souverain.

Le militaire barbu se retourne.

- Qu’y a-t-il, Baron Ifnny ?

- Vous avez une minute ? J’aimerais vous parler.

- Je vous écoute.

Rike lance des regards inquiets dans toutes les directions.

- Pas ici. On pourrait nous entendre.

- Comment ça ? De quoi parlez-vous ?

Ifnny se penche près de l’oreille de Grenell.

- La menace de Krigs Maskin est plus importante que vous ne l’imaginez, murmure-t-il.

Leg pose des yeux intrigués sur le Baron, mais reste muet.

- Suivez-moi, déclare-t-il finalement.

Les deux compères sortent du Palais Souverain en toute hâte, faisant bien attention de ne pas se faire remarquer.

Bien que peu de monde sache que cela est dû à Calista, la technologie de Dannaviscia est plus évoluée que celle du reste de la Terre. Il y a bien longtemps, des hommes ont trouvé des gisements de pierre tout à fait surprenants. Des fragments du rocher stellaire s’étant écrasés un peu plus loin. Ils les ont exploités et s’en sont servis pour construire tout un tas de choses telles que des véhicules, des armes, des appareils électroniques… Voilà pourquoi, la Trinité Nordique est la seule région du monde possédant une ligne automobile, comme sur Hiyoku. La différence avec la nouvelle planète des humains est qu’ici, les voitures ne sont pas automatiques. Cependant, il est tout de même plus aisé de circuler sur une route aménagée et sécurisée que sur un chemin de graviers, de poussière ou de terre peu entretenu.

C’est cette ligne automobile que le Baron et le Général ont emprunté pour venir jusqu’ici. Ils sont devant un grand bassin, sur le site de nettoyage et de recyclage des eaux. Encore une technologie de pointe à laquelle seules les grandes villes comme Patrona Urbs ou Thenas ont accès. L’eau est une denrée précieuse et de plus en plus rare sur Terre, surtout depuis le crash de Calista. Il est donc important de la préserver.

Tandis qu’ils avancent jusqu’au bassin, Leg commence à s’impatienter.

- Vous n’avez rien voulu me dire dans la voiture, maintenant qu’attendez-vous ?

- Ce que je vais vous révéler, Général, est une information de la plus haute importance. Si jamais elle venait à s’ébruiter, cela pourrait précipiter le déclenchement de la guerre civile qui nous menace.

- Je sais me taire, croyez-moi, assure le gradé.

- Krigs Maskin m’a contacté, dévoile gravement Ifnny.

Il s’arrête, Grenell est en face de lui, dos au bassin.

- Je vous demande pardon ? s’écrie celui-ci.

- Il menace ma famille et il veut que je lui obéisse, divulgue le Baron.

- Que veut-il exactement ?

- Que j’approuve toutes les décisions du Duc Tehr.

- Pourquoi ça ?

- Vous ne comprenez pas ? semble s’étonner le politique.

- Non, affirme le militaire, les sourcils froncés.

Rike est tendu. Il soupire légèrement.

- Tehr travaille pour Maskin, révèle-t-il dans un souffle. C’est un Intrépide.

Les yeux de Leg s’écarquillent.

- Quoi ? Mais comment est-ce possible ?

- Il l’a toujours été. Et je pense qu’il y a d’autres espions au sein du Gouvernement, suppute le Baron.

- Sa stratégie a plutôt l’air intéressant, pourtant.

- Tehr est très intelligent, il sait comment manipuler son auditoire.

- Si même le Duc est compromis, que pouvons-nous faire ?

- Je ne sais pas, Général. Je ne sais pas… désespère le politicien.

Les deux hommes restent face à face, sans rien dire. Grenell regarde le sol, tentant de digérer ce qu’il vient d’entendre.

Comment allons-nous nous en sortir ? se demande-t-il, démoralisé.

Rike jette un œil à son holowatch, puis s’adresse de nouveau à son collègue.

- Je suis réellement navré, Leg, croyez-moi.

Le Général ne comprend pas.

- Navré de quoi ?

- De vous avoir menti afin de gagner du temps.

- Gagner du temps ? Mais de quoi parlez… ?

Avant qu’il n’ait le temps de terminer sa phrase, le crâne de Leg Grenell explose dans un nuage rouge. Ce n’est qu’ensuite qu’une détonation retentit. Le corps sans vie chute dans le bassin.

Ifnny a accompli la mission que Krigs Maskin lui avait confiée. La synchronisation entre le sniper et lui était parfaite.

Il se penche pour contempler son œuvre. Il voit avec tristesse le cadavre du Général s’enfoncer dans l’eau sale, dispersant le sang qui s’échappe de sa tête dans le bassin tout entier. Ça y est, il l’a fait. À présent, il ne peut plus reculer. Le Baron Rike Ifnny est désormais un traître.

CHAPITRE 5

Crise

La peur est une chose que Krigs Maskin n’a pas souvent connue. La rage, l’ambition et même le plaisir sont généralement les émotions qui dirigent ses actes et ses choix. Son père lui a appris que la peur était une faiblesse. Selon Orak, la peur empêche de voir les choses clairement. Et, les dernières personnes à avoir droit de se voiler la face en ce monde sont, sans aucun doute, les dieux ou, du moins, leurs messagers. Pour Krigs et son père, le destin de l’Humanité repose sur les Maskin. Maintenant qu’Orak n’est plus là, c’est à son fils de continuer à faire vivre ses croyances. C’est à lui d’achever ce qu’il a commencé. C’est pourquoi, Krigs ne peut pas se permettre de flancher. Il ne peut pas se permettre d’avoir peur.

Pourtant, pour la première fois depuis longtemps, le porteur de Deletrix a éprouvé un léger sentiment d’effroi à l’idée de voir tous ses espoirs s’effondrer, quand il a entendu le Baron Rike Ifnny avouer au Général Leg Grenell que le leader des Intrépides menaçait sa famille. Krigs a cru qu’Ifnny était en train de le trahir.

Il suivait toute la scène depuis les Catacombes grâce à des dispositifs d’enregistrement mis en place par Saturna. Le Baron était arrivé un peu en avance par rapport à ce qui était convenu. Saturna n’était pas prête. Il lui fallait encore un peu de temps pour charger son fusil de précision.

Grâce au pouvoir que renferme Deletrix et à la connaissance que lui a léguée son père, au fil des années, Krigs a pu créer des armes ultra-évoluées pour la planète où elles ont été construites.

Sur Terre, la plupart des armes sont des armes blanches. Des couteaux, des épées, des machettes, des haches… Ça fait des siècles que la technologie terrestre régresse. Cela date de bien avant la Grande Migration, même si celle-ci n’a rien arrangé. Petit à petit, l’espèce humaine s’est retrouvée au milieu d’un monde mêlant avancées futuristes et technologies du passé. La région du globe ayant le moins souffert de cette régression est, encore une fois, Dannaviscia.

À tout niveau, la Trinité Nordique semble plus évoluée que le reste du monde. Ceci est notamment dû à Calista. Paradoxalement, l’endroit où s’est écrasé le poison qui a contaminé la Terre est également l’endroit qui a le moins subi les effets dudit poison. Au contraire, même.

Calista a offert à Dannaviscia les bienfaits du venin tandis qu’elle a intoxiqué le reste de la planète de tous ses méfaits. Cependant, personne au sein des Trois Pays du Nord ne connait la véritable puissance de Calista. Personne ou presque. Krigs connait Deletrix et sait comment s’en servir. Il sait donc comment créer ou améliorer des armes pour les rendre surpuissantes et, ainsi, terrasser ses ennemis. Certaines sont d’ailleurs déjà fabriquées, pour d’autres, c’est en cours.

Bientôt, il pourra armer les Intrépides et régner sur Mandrak. Toutefois, Deletrix ne suffira pas. Il lui en faudra plus. Et, la seule chose plus puissante que le médaillon est la météorite elle-même, qui se trouve au Sud de Gorne. Voilà pourquoi Krigs doit d’abord prendre le contrôle de Dannaviscia avant de s’attaquer au monde entier. Une fois Calista en sa possession, il sera invincible, exactement comme le souhaitait Orak.

Mais, il n’en est pas encore à ce stade. Pour l’instant, c’est Mandrak qui l’intéresse. Et son plan commence à prendre forme. Ifnny l’a aidé à tuer Grenell. Il lui a amené sur un plateau d’argent et lui a servi directement dans son assiette.

En attendant que Saturna soit prête à faire feu, il avait une petite chance de s’en tirer ou, en tout cas, d’essayer. Mais il n’a rien tenté. Il a même menti à propos du Duc Tehr pour gagner du temps. C’était très malin de sa part, Krigs doit l’admettre. Comme il s’en doutait, le Baron sera un allié de taille dans ce conflit. Et, à présent, il en est sûr, Ifnny est prêt à absolument tout pour revoir sa famille saine et sauve. De toute façon, il est allé trop loin. Il n’y a plus de retour en arrière possible, pour lui. Il n’a plus rien à perdre. Ce qui veut dire qu’il est entièrement dévoué à Maskin.

Une fois la mission accomplie et l’assassinat effectué, Rike Ifnny était retourné à ses occupations, comme si de rien n’était, pendant que certains Intrépides se débarrassaient du corps de Leg Grenell, sur ordres de Krigs. Ils avaient balancé le cadavre dans la Mer Iktras, la mer entourant Dannaviscia et bordant Havenbok.