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Il y a plus d'un siècle, l'espèce humaine a colonisé une nouvelle planète fertile, paisible et calme, qu'elle a baptisée Hiyoku. Une jeune femme, Okina Unmei, se retrouve impliquée dans une affaire de meurtre. Comme tous les criminels, elle est exilée sur Terre, planète dirigée par un tyran, nommé le Benefactori, où règnent le chaos et l'anarchie. Afin de survivre, elle se bat tel un gladiateur dans des combats d'arènes très réputés, créés pour lutter contre la surpopulation et distraire les gens. Entre dangers naturels, complots et trahisons, la jeune femme va devoir lutter pour se faire un nom parmi les Terriens...
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Seitenzahl: 476
Veröffentlichungsjahr: 2020
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CHAPITRE 1 : Hiyoku
CHAPITRE 2 : Okina Unmei
CHAPITRE 3 : Une soirée inoubliable
CHAPITRE 4 : Coupable
CHAPITRE 5 : Bienvenue sur Terre
CHAPITRE 6 : Pulveris Crater
CHAPITRE 7 : Yusha Ochiru
CHAPITRE 8 : Représailles
CHAPITRE 9 : Maître Raeda
CHAPITRE 10 : Invictus
CHAPITRE 11 : L’Exauceur de Vœux
CHAPITRE 12 : L’Exilée de la Maison Raeda
CHAPITRE 13 : Servus Pulvis
CHAPITRE 14 : Liberté
CHAPITRE 15 : Les Terres d’Hogosha
CHAPITRE 16 : Phantasiae
CHAPITRE 17 : Frontière
CHAPITRE 18 : Le Protecteur et l’Exilée
CHAPITRE 19 : Comme le voulait la prophétie
CHAPITRE 20 : Le Tueur de Mythe
CHAPITRE 21 : Fortis Strenuus
CHAPITRE 22 : Un seul Champion
CHAPITRE 23 : Patrona Urbs
CHAPITRE 24 : Optimus
CHAPITRE 25 : Le Benefactori
CHAPITRE 26 : Manipulé
CHAPITRE 27 : Trahison
CHAPITRE 28 : Complot
CHAPITRE 29 : Révolte
CHAPITRE 30 : Un vieux compte à régler
CHAPITRE 31 : Le tyran déchu
CHAPITRE 32 : Renaissance
CHAPITRE 33 : Démons du passé
CHAPITRE 34 : Utopie
CHAPITRE 35 : Vivre ensemble ou mourir seul
CHAPITRE 36 : Manigances
CHAPITRE 37 : Evasion
CHAPITRE 38 : Justice
CHAPITRE 39 : Soulèvement
CHAPITRE 40 : Un nouveau chef
CHAPITRE 41 : Unoculus
CHAPITRE 42 : La fin d’un règne
CHAPITRE 43 : Une nouvelle ère
Il y a plus d’un siècle et demi, un nouveau système solaire a été découvert. Une navette, faisant partie de l’expédition ayant pour but de cartographier cette partie de l’univers, dévia de sa trajectoire et vint s’écraser sur une planète inhabitée. Seul un astronaute d’origine japonaise survécut au crash. D’après la légende, ce dernier s’appelait Mirakuru. Etant donné les faibles chances de survie de Mirakuru et de son équipage, aucune mission de sauvetage ne fut engagée pour les retrouver. Perdu sur cette planète inconnue, l’astronaute lui-même savait qu’il n’avait aucune chance de rester en vie bien longtemps. Pourtant, il comptait bien aller jusqu’au bout de sa mission. Il sortit de l’épave avec son matériel afin de cartographier la zone.
En foulant le sol, Mirakuru s’attendait à trouver un désert dangereux s’étendant à perte de vue. Qu’elle ne fut pas sa surprise lorsque qu’il découvrit que la surface de cet astre était recouverte d’immenses étendues de verdure, le sol dissimulé par toutes sortes de végétaux qu’il n’avait jamais vus auparavant. Il n’avait pas eu à aller bien loin pour tomber sur des lacs et même des rivières. Il découvrit plus tard que la planète avait également donné naissance à des fleuves, des mers et des océans.
Quand la combinaison de l’astronaute fut à court d’oxygène, il décida d’enlever son casque pour pouvoir respirer l’air de cette planète et sentir la chaleur du soleil sur sa peau. Alors qu’il pensait suffoquer, brûler ou geler, Mirakuru fut agréablement surpris de constater que l’air de cette planète était respirable et, mieux encore, davantage que celui de la Terre, souillé par plus de 15 milliards d’êtres humains et des millénaires de pollution. En levant les yeux, il constata que le ciel était inondé d’un magnifique bleu très clair. Là encore, un spectacle que les humains n’avaient plus la chance de pouvoir observer sur leur planète natale.
La balise GPS et le système de communication de la navette étaient hors services. Mirakuru était seul, livré à lui-même. Pendant les mois qui suivirent, il essaya de réparer ses appareils et en profita pour faire quelques mesures et observations. Ainsi, il découvrit que la planète sur laquelle il venait de s’échouer possédait les mêmes caractéristiques physiques que celle sur laquelle il était né. Il put expérimenter ses théories durant les six années qu’il passa sur cet astre perdu, attendant que quelqu’un vienne le chercher.
Quelques mois après le crash, l’astronaute réussit à réparer le système de communication. Malheureusement, il ne réussit pas à contacter le vaisseau amiral de l’expédition, sans doute à cause des interférences dues aux champs magnétiques de la planète ou d’un astre voisin. Toutefois, il possédait tout de même la possibilité d’envoyer un message aux terriens. Ce qu’il fit. A cause de la distance les séparant, ces derniers reçurent son message seulement deux ans plus tard. Ils en informèrent immédiatement l’expédition, qui réceptionna les ordres encore deux années plus tard et se lança à la recherche de Mirakuru.
Durant tout ce temps, l’astronaute put constater qu’une année sur cette planète correspondait à trois-cent-soixante-cinq jours et qu’une journée correspondait à peu près à vingt-quatre heures terrestres. Il survécut en se nourrissant des fruits, des légumes et des plantes qui pullulaient sur la planète. Tout ce qu’il ingurgitait était comestible et même meilleur que tout ce qu’il avait pu manger dans sa vie. Etrangement, aucune forme de vie animale ne peuplait la planète, si ce n’était quelques petits insectes.
Après de nombreuses analyses et expérimentations, l’espèce humaine confirma les théories de Mirakuru. Cette planète était presque la sœur jumelle de la Terre, à son commencement. Même superficie, gravité semblable, à égale distance de leur soleil, même température en moyenne, un noyau de la même composition, deux pôles glaciaux, des mers, des océans et même une lune similaire.
Depuis des millénaires, sur Terre, les humains n’avaient de cesse de répéter qu’ils devaient protéger leur planète, en prendre soin avant qu’il ne soit trop tard. Malheureusement, à l’époque de la découverte de ce nouvel astre, il était déjà trop tard. Cela faisait de nombreux siècles que la planète était devenue un véritable enfer, irrespirable et surpeuplé. L’Humanité n’allait pas laisser passer une chance pareille.
Les différents gouvernements se mirent d’accord pour construire une flotte immense de gigantesques vaisseaux spatiaux. Tout fut mis en place en quelques années seulement. Trois milliards d’êtres humains furent déplacés jusqu’à cette nouvelle planète afin de prendre un nouveau départ en essayant de ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé. Uniquement des personnes utiles à la société et à l’économie mondiale furent sélectionnées. Les quelques places restantes dans les arches furent vendues aux enchères. Et c’est ainsi, qu’il y a cent-vingt-sept ans, l’Humanité colonisa officiellement cette planète. Mais, il fallait lui trouver un nom et qui de mieux placé pour la baptiser que celui qui l’avait découverte. Quand on avait demandé à Mirakuru comment il souhaitait nommer ce nouveau monde, il s’était souvenu du premier mot qui lui était venu à l’esprit en posant pour la première fois le pied sur le sol fertile de l’astre encore inhabité, contemplant la verdure s’étalant à perte de vue : hiyoku.
An 127 après le Renouveau. L’Humanité a appris de ses erreurs. Elle ne fera pas subir à Hiyoku, la planète fertile, le même sort qu’elle a fait subir à la Terre. Ici, la pollution n’existe pas. Absolument tout est recyclable et biodégradable. On ne détruit pas les forêts, on les aide à prospérer. On trouve des compromis qui profitent à tous.
L’histoire de Mirakuru est une légende, pas une croyance. Il ne s’agit pas d’un texte religieux. D’ailleurs, la religion n’existe pas sur cette planète. Regardant en arrière et constatant tous les conflits que la religion a engendrés, le Gouvernement Planétaire a pris la décision radicale d’abolir toutes formes de croyances divines sur Hiyoku.
Le Gouvernement Planétaire a été mis en place afin d’éviter que les humains s’autodétruisent. Un gouvernement unique dirige la planète. C’est une démocratie avec, à sa tête, la Présidente Sho, qui a été élue pour cinq ans.
Les guerres de territoires n’ont pas lieu d’être, étant donné que les frontières n’existent pas. Seule la politique persiste. Les Terres sont divisées en Kinjo, dirigés par des Préfets. Le Kinjo de Tora est le centre névralgique de la planète.
C’est ici que vit Okina Unmei, une jeune femme d’une vingtaine d’années pleine de vie et d’espoir. Avec un père médecin et une mère chercheuse en laboratoire pharmaceutique, Okina était comme destinée à se lancer dans des études de médecine dès qu’elle en eue l’âge. Si l’Humanité veut garder ses cent-dix ans d’espérance de vie ainsi que ses quatre milliards d’habitants sur cette planète, elle a besoin de médecins. La médecine fera toujours des progrès, on ne pourra jamais guérir toutes les maladies du monde car de nouveaux virus inconnus pointeront toujours le bout de leur nez sans crier gare. C’est ce que les parents d’Okina lui ont toujours enseigné.
Ryo et Shin Unmei sont très fiers de leur fille. Le chômage n’existe pas sur Hiyoku et les travaux pénibles sont effectués par des robots et des intelligences artificielles. Personne ne peut vraiment se plaindre de sa situation. Uniquement des personnes riches et influentes avaient eu la chance de pouvoir redémarrer à zéro au moment du Renouveau. Les familles peuplant la planète aujourd’hui sont leur héritage. Autrement dit, sur Hiyoku, la différence entre les classes sociales est beaucoup moins flagrante que sur Terre, à l’époque, et personne ne vit dans la misère. Mais, devenir médecin est un honneur que peu de gens ont la chance de recevoir.
Aujourd’hui, c’est le grand jour pour Okina. Elle s’apprête à passer un concours pour accéder à des études supérieures. La science ayant nettement progressé en un siècle grâce, notamment, à la biodiversité végétale de Hiyoku ainsi qu’à la technologie de pointe – prothèses high-techs, implants cybernétiques, etc. – et la plupart des infirmiers et infirmières ayant été remplacés par des robots, le nombre de places en études de médecine est très faible. C’est pourquoi, au cours de l’année scolaire, différents exposés sont organisés, éliminant un duo d’élèves à chaque fois. Il ne reste, à présent, plus que deux duos : Okina et son amie Nakama et les frères Shissu. C’est aujourd’hui que tout va se jouer.
Evidemment, la jeune femme n’a pas arrêté de penser à son exposé toute la nuit, ce qui l’a empêché de fermer l’œil. Elle a finalement réussi à s’endormir quelques heures avant que son réveil sonne.
Ryo et Shin sont dans la cuisine, prenant leur petit déjeuner.
- Okina ! Tu vas être en retard ! Dépêche-toi ! crie le père.
Dans sa chambre, la jeune femme ouvre les yeux et regarde l’heure que son réveil projette au plafond. Constatant qu’elle s’est rendormie sans s’en rendre compte, elle se lève d’un bond, s’habille à tout vitesse, et fuse hors de sa chambre. La nuit qu’Okina vient de passer est peut-être une des dernières qu’elle passera chez ses parents. Si elle gagne le concours, elle pourra enfin prendre son envol et quitter le cocon familial. Arrivée en haut de l’escalier, elle manque de trébucher sur son chat.
- Ninjin, ne reste pas dans mes pattes, grogne-t-elle.
En temps normal, elle aurait pris l’animal dans ses bras et l’aurait couvert de bisous et de câlins. Ce chat roux et corpulent fait entièrement partie de la famille et Okina l’aime plus que tout au monde. Mais il s’agit d’un jour particulier pour elle, un jour très important. Elle veut faire les choses bien.
Elle descend les marches à toute allure, embrasse ses parents rapidement et s’empare d’un juushii, un fruit très juteux et rempli de vitamines poussant en abondance sur Hiyoku.
- Je mangerai sur la route, je n’ai plus le temps.
Okina se précipite vers la porte et l’ouvre.
- Bonne chance, lui lance Shin.
- Merci ! A ce soir !
La porte claque.
Arrivée à l’Académie de Médecine de Tora, Okina se rend compte qu’il lui reste encore du temps devant elle et en profite pour aller se débarbouiller aux toilettes. Elle a couru sur tout le chemin séparant sa maison de l’AMT, le long de la ligne automobile, en engloutissant son juushii. Comme son nom l’indique, le juushii est un fruit gorgé de jus et pas vraiment pratique à manger. Dans la précipitation, la jeune femme a oublié ce détail et elle s’est rapidement retrouvée barbouillée d’une substance jaunâtre sucrée du nez au menton. Passer son visage sous l’eau ne peut donc lui faire que le plus grand bien.
Une fois que sa bouche n’est plus collante, elle relève la tête, le visage encore humide, et observe son reflet dans le miroir interactif. Le regard plongé dans ses propres yeux, elle se concentre sur son exposé et récite son texte tout bas. Pendant un instant, elle panique. Et si elle a un trou de mémoire en plein milieu de la présentation ? Si le stress lui fait dire n’importe quoi ? Ou si Nakama n’a pas pu venir ? Elle prend une grande inspiration, se calme et se reconcentre. Le regard de nouveau déterminé, elle lance :
- Séchage mains et visage.
Sur ces mots, un puissant jet d’air chaud sort du mur, faisant virevolter ses longs cheveux châtains dans tous les sens. Elle tourne ensuite les talons et quitte la pièce.
En entrant dans l’amphithéâtre, Okina constate que les frères Shissu ont déjà commencé leur exposé, une projection holographique très détaillée flotte derrière eux. Elle regarde l’holowatch fixée à son poignet et se rend compte qu’elle a une minute de retard. Elle a dû passer plus de temps dans les toilettes qu’elle ne le pensait. Elle s’approche en silence de Nakama afin de ne pas déranger la présentation en cours.
- Salut, lui chuchote-t-elle. Ils ont commencé depuis longtemps ?
- Salut. Oui, le jury commençait à s’impatienter, alors l’horaire a été avancé au dernier moment. Ils ont bientôt terminé.
- Tu aurais pu me prévenir.
- Tu devrais regarder tes messages. Et tu es toujours la première arrivée, d’habitude.
Okina consulte son holowatch et constate qu’elle a, en effet, reçu plusieurs messages de son amie.
- Désolée, je n’ai pas dormi de la nuit.
- C’est censé me rassurer ?
Avant qu’Okina ne puisse répondre, les lumières se rallument et les deux frères retournent à leur place.
- Ça va être à nous, murmure Nakama.
Après quelques instants silencieux et pesants, durant lesquels les juges griffonnent des notes sur leurs tablettes, l’air impassible, l’un d’eux appelle les deux jeunes femmes à venir se présenter sur l’estrade.
Stressées mais confiantes, les deux camarades se mettent en place en face des imposants gradins inoccupés. Okina tapote sur son holowatch et un écran d’accueil sous forme d’hologramme s’affiche, flottant dans l’air. Après quelques manipulations, les lumières s’éteignent et un schéma holographique du corps humain s’affiche derrière elle.
Nakama prend la parole en premier, puis, pendant à peu près un quart d’heure, les deux élèves étalent des formules scientifiques énigmatiques, énumérant des mots et des noms incompréhensibles pour le commun des mortels. L’exposé arrivant à son terme et sous les conseils de sa mère, Okina se permet d’émettre une remarque, ce qui ne manque pas d’étonner sa camarade de classe, qui n’était au courant de rien.
- De récentes études ont démontré que le kenjinoku utilise naturellement sa sève pour se protéger du venin de kuroumori. En partant de cette information, nous pourrions utiliser la sève de kenjinoku afin de guérir les brûlures provoquées par le venin de kuroumori.
Les juges, jusque là impassibles, esquissent tous un petit sourire en entendant cette réflexion très pertinente.
- Eh bien… De nouvelles recherches sont déjà à l’étude, mais je vous félicite d’y avoir pensé, lance un membre du jury. Merci. Les résultats seront affichés à dix sept heures dans le hall de l’Académie.
La lumière revient et Okina adresse un sourire confiant à Nakama. Sa stratégie a fonctionné, elle les a épatés.
Son regard se pose à présent sur les frères Shissu. Suma et Shitto Shissu ne devraient pas être ici, tout le monde le sait. Suma est probablement aussi intelligent qu’Okina, mais son frère, lui, n’a clairement pas les capacités intellectuelles pour être encore dans la course à ce stade de la compétition. Peut-être que le fait que leur père soit Okuno Shissu, le Préfet du Kinjo de Tora, aide un peu. Bien sûr, ils ne le reconnaîtront jamais mais, s’ils sont ici, c’est uniquement parce qu’ils ont été pistonnés. Mais, Okina en est presque sûre, cela ne durera pas.
En voyant ses yeux se poser sur lui, Suma adresse un hochement de tête respectueux à Okina. Shitto, en revanche, la regarde d’un air méprisant et, après avoir glissé un mot à l’oreille de son frère, les deux compagnons se lèvent et se dirigent vers la sortie. Tout n’est pas encore joué, mais Okina est confiante. De toute façon, à dix sept heures, elle sera fixée.
16H59. Okina et Nakama attendent impatiemment devant le tableau holographique de savoir si elles auront le droit ou non d’accéder aux études supérieures dont elles rêvent. Elles n’avaient eu aucun cours de la journée, seulement leur examen. Okina avait invité son amie à passer la journée chez elle, comme quand elles étaient enfants.
Les deux camarades de classe se connaissent depuis leur plus jeune âge. Le père de Nakama, Seigi Tomodachi, travaille dans le même service que Ryo. C’est la raison pour laquelle Nakama s’est, elle aussi, lancée dans des études de médecine. Les deux jeunes femmes sont très fusionnelles. Elles avaient tenté de tuer le temps en se remémorant de vieux souvenirs et en jouant aux jeux vidéo mais, en réalité, elles étaient aussi tendues l’une que l’autre. Okina était fatiguée mais trop stressée pour dormir. Les deux camarades n’avaient pas cessé de consulter leurs holowatchs, au cas où il y aurait du nouveau concernant l’horaire ou les résultats en eux-mêmes, mais rien. Ne pouvant plus attendre, elles s’étaient rendues à l’AMT à seize heures et avaient patienté, scrutant le tableau holographique.
17H00. Ça y est, c’est l’heure. C’est maintenant que se jouent leurs destins. Les frères Shissu sont en retard. Le sang d’Okina bouillonne dans ses veines.
Pourquoi les résultats ne s’affichent pas ? se demande-t-elle. Il est pourtant l’heure.
Tout à coup, une colonne s’affiche. Okina s’empresse de déchiffrer les indications que donne le tableau. Elle voit les noms de ses concurrents : « SHITTO et SUMA SHISSU : RECALÉS ». Son cœur bat la chamade, son regard descend et s’arrête sur son nom et celui de sa camarade. Elle distingue un mot en majuscules : « ADMISES ». Elle s’y prend à deux fois pour être sûre qu’elle ne s’est pas trompée de ligne, puis saute dans les bras de Nakama en hurlant de joie.
- Félicitations, fait une voix dans son dos.
Elle se retourne et se rend compte que la personne qui vient de la féliciter n’est autre que Suma Shissu.
- Merci, répond-elle, un peu étonnée.
- Votre exposé était très bien aussi, intervient Nakama, restant très fair-play. Ça a dû se jouer à pas grand-chose.
- Je sais à quoi ça s’est joué.
Il adresse un regard malicieux et un petit sourire à Okina.
- Ta remarque sur le venin de kuroumori était très pertinente. J’avoue que je ne savais même pas que des études avaient été faites à ce sujet.
- Merci. Ma mère travaille dans un laboratoire pharmaceutique, alors…
- Ah oui, je vois. Je sais ce que ça fait d’avoir des parents bien placés.
Okina n’avait jamais vraiment discuté avec Suma jusque là, mais elle est étonnée qu’il prenne si bien son échec. Son frère, en revanche, n’accueille pas la nouvelle avec le même enthousiasme.
- C’est pas vrai ! C’est votre faute ! Vous avez fait les yeux doux aux juges, je vous ai vues ! Vous ne méritez pas cette place !
- Shitto, ça ne va pas ou quoi ? essaie de le raisonner son frère. Calme-toi. On a perdu, elles ont gagné. C’est le jeu. Elles ont été plus fortes que nous, c’est comme ça.
- Elles t’ont retourné le cerveau, à toi aussi, c’est ça ?
- Arrête de dire n’importe quoi. Va m’attendre dehors.
Shitto lance un regard noir aux jeunes femmes, mais obéit tout de même à son ainé.
Suma se tourne vers Okina et Nakama.
- Excusez-le. Il n’est pas méchant, c’est juste qu’il se laisse souvent emporter par ses émotions. Et ce concours comptait beaucoup pour lui. Mais je suis sûr que c’est également votre cas.
- Il n’y a pas de mal, on comprend, rétorque Nakama. Et, oui, il était très important pour nous aussi.
- Eh bien, je vous souhaite de réussir dans ce que vous entreprendrez. Ne gâchez pas votre chance. Ni votre potentiel.
- On te le souhaite aussi. Merci et bon courage pour la suite.
Après ce court échange, Suma rejoint son frère à l’extérieur pour essayer de le calmer.
Toujours plantées devant le tableau, les deux amies n’en reviennent pas. Okina se tourne vers Nakama.
- Il faut fêter ça.
- Il y a la remise des diplômes dans quelques jours.
Okina incline la tête et regarde son amie d’un air désespéré.
- Je voulais parler d’une vraie fête.
Sur ces mots, elle décroche un minuscule objet de son holowatch et le place dans son oreille. Elle fait glisser ses doigts sur l’appareil à son poignet et annonce à son père qu’elle est admise. Après plusieurs cris de joie et félicitations méritées, elle soumet l’idée d’organiser une petite soirée avec quelques amis pour l’occasion. Puis elle raccroche et regarde Nakama.
- Mes parents travaillent ce soir, on a la maison pour nous toutes seules toute la nuit ! Préviens le plus de monde possible. Ce soir, on se lâche.
Le soir venu, la maison des Unmei est envahie par une trentaine de personnes. Okina n’est même pas sûre de connaître tout le monde, mais elle s’en fiche. Elle a travaillé toute l’année pour en arriver là, ce soir elle relâche simplement la pression. La végétation luxuriante de Hiyoku n’a pas offert à l’Humanité que des médicaments. Elle lui a également fait cadeau d’une multitude de nouveaux alcools, tous différents les uns des autres. Ce sont ces différentes boissons qui coulent à flot chez Okina, ce soir. Il est tôt, mais certains ont déjà commencé à boire. Cette soirée promet d’être inoubliable.
Quelques heures plus tard, la fête bat son plein quand Okina aperçoit deux têtes qu’elle connaît assez bien passer la porte de chez elle. Elle s’empresse d’aller à leur rencontre.
- Je ne m’attendais pas à vous voir ici.
- Si ça te dérange, on peut partir, répond Suma Shissu.
- Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Restez.
- Tiens, on a apporté une bouteille.
Suma tend la bouteille qu’il a dans la main à son hôte, qui l’accepte volontiers.
- Je ne crois pas que c’est ce qui manque, rétorque Okina en souriant.
L’invité surprise lui rend son rictus, puis redevient sérieux.
- Mon frère a quelque chose à vous dire, à Nakama et à toi.
- Je ne suis pas sûre qu’elle soit en état de comprendre quoi que ce soit, mais je vais l’appeler quand même.
Quelques instants plus tard, les quatre camarades sont regroupés. Shitto prend la parole.
- Je tenais à m’excuser pour ce que j’ai dit tout à l’heure, je ne le pensais pas. Je me suis emporté et je le regrette. Félicitations pour avoir remporté le concours.
Il ne pense pas un mot de ce qu’il dit, cela se voit. Son frère l’a même sûrement fait répéter plusieurs fois avant de venir. Mais, Okina trouve tout de même le geste touchant.
- C’est déjà oublié. Profitez de la fête, buvez, dansez. Lâchez-vous, on est là pour ça. Je vais mettre la bouteille au frais.
Quand Okina revient de la cuisine, la musique a encore augmenté de volume. Elle sonde rapidement la pièce du regard à la recherche de Nakama, ne voulant pas la laisser seule, vue la dose d’alcool qu’elle a ingurgitée. Elle constate qu’elle discute avec Shitto dans un coin. Ou plutôt, que Shitto lui hurle dessus et qu’elle ne comprend rien. Elle remarque que Suma les observe, quelques mètres plus loin, l’air inquiet. Shitto et Nakama se déplacent, probablement pour chercher un endroit plus tranquille. Suma leur emboîte discrètement le pas. Okina décide de les suivre elle aussi, pour savoir ce qui se trame. Elle s’apprête à entamer sa filature quand une amie un peu alcoolisée, qu’elle n’a pas vue depuis longtemps, lui fait perdre le visuel. La jeune femme éméchée la félicite en se concentrant pour articuler et repart en titubant vers la piste de danse en entendant une chanson qui, visiblement, lui plaît.
Une fois débarrassée d’elle, Okina se met à la recherche de Nakama et des frères Shissu. Elle arpente les marches menant au premier étage en slalomant entre les invités et arrive devant la porte de sa chambre, au bout du couloir. Elle entend des voix provenant de l’intérieur de la pièce. Ce sont celles des deux frères.
- Tu te rends compte de ce que tu as fait ?!
- Je… Je ne voulais pas…
- On est dans la merde, tu comprends ça ?! Tu peux plus reculer, maintenant.
- Mais tu es vraiment sûr qu’elle est…
- Je fais des études de médecines, oui j’en suis sûr !
- Appelle Papa, je ne veux pas être envoyé là-bas. S’il te plaît, appelle Papa, il saura quoi faire !
- C’est déjà fait, il va envoyer des hommes. Calme-toi, ça va aller, ok ?
Ne comprenant pas ce qui se passe, Okina décide d’entrer dans la pièce. Le spectacle qui se dessine sous ses yeux est insoutenable. Nakama est étendue sur le sol, dans une mare de sang, un trou dans le crâne. Au pied de Shitto, gît un trophée qu’Okina avait gagné à un concours de littérature quand elle était plus jeune. Le bout des doigts du benjamin est taché de sang.
Les frères Shissu la regardent, sans savoir quoi faire, l’air paniqué. Okina fait de même jusqu’à se rendre compte de la gravité de la situation. Elle se jette d’un bond à terre, au chevet de son amie.
- Nakama ! Qu’est-ce qui s’est passé ?!
En guise de réponse, les deux jeunes hommes se précipitent vers la sortie et disparaissent dans le couloir.
Dans la panique, Okina s’empare du trophée maculé de sang traînant sur le plancher, tentant de comprendre. Elle se rend compte que la musique s’est arrêtée. Elle entend des pas lourds monter l’escalier. Soudain, des agents de la Force de Sécurité du Kinjo de Tora apparaissent au bout du couloir.
Les agents de la FSK – Force de Sécurité des Kinjo – sont les gardiens de la paix de Hiyoku, ils protègent les citoyens et font en sorte de maintenir la sécurité sur la planète.
Entrant violemment dans la chambre d’Okina, ils pointent leurs armes sur elle en lui ordonnant de lâcher ce qu’elle tient dans la main. Abasourdie, elle s’exécute. Les agents lui passent les menottes et l’embarquent avec eux.
La fête est finie. En effet, cette soirée sera inoubliable. En regardant le tableau holographique dans le hall de l’Académie, Okina avait raison de penser que son destin se jouerait aujourd’hui. Elle avait simplement fait une petite erreur de timing.
Après son arrestation, Okina avait été transférée au Kinjo de Ryu, le Kinjo de la Justice, afin d’y être jugée. Sur Hiyoku, il n’y a pas de longs procès durant des mois. Les avocats n’existent pas. Le Gouvernement Planétaire vise un taux de criminalité frôlant le zéro. Pour eux, c’est le seul moyen de maintenir une paix durable au sein de la société. Les criminels sont extrêmement mal vus par la population, peu importe le crime dont ils sont accusés.
Okina avait passé toute la nuit en cellule, attendant son jugement. Elle n’avait, évidemment, pas fermé l’œil une seconde.
- Je vous répète que je n’y suis pour rien ! Appelez mes parents, ils vous le diront.
- Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça, jeune fille. Je ne suis que le gardien de cellule. Le soleil se lève, ça va bientôt être à toi.
Okina n’en revient pas. Elle est enfermée ici pendant que les véritables coupables sont libres comme l’air. C’est elle, la victime. Son amie vient de mourir. Elle a simplement essayé de l’aider, qu’y a-t-il de mal à cela ?
- Unmei, tu as de la visite.
Enfin, ses parents ont été informés de la situation. Ça va aller, ils trouveront le moyen d’arranger ça. Tout cela n’est qu’un énorme malentendu.
En entrant dans le parloir, Okina aperçoit ses parents. Shin semble effrayée, tandis que Ryo la regarde d’un air furieux. Elle s’assoit.
- Qu’est-ce qui t’as pris, Okina ?! fulmine le père.
- Mais, enfin, Papa… Ce n’est pas moi. Je n’ai rien à voir dans cette histoire. Je n’ai tué personne.
- Nous le savons, s’empresse de la rassurer sa mère. Mais ce n’est pas nous qui déciderons de ton jugement. Sais-tu qui est le véritable responsable ?
- Oui. Ce sont les frères Shissu, je les ai vus. Shitto a frappé Nakama avec le trophée de littérature que j’avais gagné au concours du Kinjo de Hebi.
Le sentiment de colère que traduit l’expression de Ryo se transforme en peur et l’air effrayé de Shin se durcit encore plus.
- Nous sommes perdus, lâche le père de famille.
- Nous savons qui sont les vrais coupables, il suffit de les dénoncer.
- Ça ne marche pas comme ça, espèce de naïve !
Okina n’a jamais vu son père dans cet état. Il lui fait presque peur.
- Mais il y a forcément des preuves. De l’ADN, des empreintes et pleins d’autres indices. C’est pratiquement impossible de camoufler un crime de nos jours.
- Tu penses réellement qu’ils vont s’attarder sur ce genre de détails ? Tu es contre les enfants de la deuxième personne la plus puissante de cette planète. Tu vas obligatoirement perdre.
- Mais… Qu’est-ce qu’on peut faire ? Vous n’allez pas me laisser comme ça.
- Nous ne pouvons plus rien pour toi. Tu m’as menti. Tu devais faire une petite fête avec quelques amis. Les Shissu n’avaient rien à faire dans ma maison. Tout cela est ta faute. Tu viens tout juste d’obtenir les clés de ton avenir et tu les jettes à la poubelle. Tu m’as énormément déçu. Et tu fais honte à notre famille. Tu es une criminelle, à présent. Tu seras donc traitée comme telle.
Sur ces mots, le gardien annonce la fin de la visite. Sans un mot de plus, les deux parents se lèvent et se dirigent vers la sortie. Ryo détourne le regard et file droit devant lui. Shin, quant à elle, marche à reculons en regardant sa fille, des larmes coulant le long de ses joues. Ils quittent la pièce, laissant Okina seule.
Abasourdie, cette dernière ne parvient pas à se lever. Elle est sous le choc. Le regard vide, la bouche béate et une larme se frayant tout doucement un chemin sur son visage, elle repasse les paroles de son père dans sa tête. Pourquoi a-t-il réagi de cette manière ? Okina a toujours fait aveuglément confiance à ses parents. Elle savait – ou, du moins, elle pensait – que, quoi qu’il puisse arriver, ils seraient toujours là pour elle. Et, aujourd’hui, elle apprend brutalement qu’elle s’était lourdement trompée.
Comprenant qu’elle n’entend même pas ce qu’il dit, le gardien la prend par le bras et l’escorte jusqu’à sa cellule.
- Je viendrai te chercher quand ce sera ton tour.
Effectivement, une heure plus tard, le gardien revient la chercher pour l’emmener au Grand Tribunal de Ryu.
Comme son nom l’indique, le Grand Tribunal de Ryu est un établissement immense qui a dû couter une fortune à construire. La taille de cet édifice signifie probablement quelque chose. C’est un message de dissuasion : « Enfreignez la loi, et vous aurez à faire à nous. » On raconte que le tout premier QG de l’Humanité sur Hiyoku a été bâti ici. D’après certaines histoires, ce serait même ici que le Gouvernement Planétaire a été fondé, avant de se déplacer vers le Kinjo de Tora qui était un endroit plus stratégique. Ce bâtiment est plein d’histoire. Des bas-reliefs retraçant la légende de Mirakuru ornent les murs. Le plafond est situé à des dizaines de mètres au-dessus de la tête d’Okina. Il s’agit, vraisemblablement, du plus ancien bâtiment de toute la planète. Mais Okina n’a pas la tête à admirer cette architecture prodigieuse. Elle doit se concentrer sur autre chose.
Est-ce que Shitto et Suma seront là ? Okuno Shissu sera-t-il présent ? Comment peut-elle assurer sa défense ? Peut-elle prouver son innocence ?
Toutes ces questions trouveront bientôt des réponses. En pénétrant dans la gigantesque pièce dans laquelle elle va être jugée, Okina aperçoit Okuno accompagné de ses deux fils derrière la barre des témoins. Le père ne laisse rien paraître, son air sévère habituel sur le visage. Shitto semble avoir honte, mais a l’air confiant et rassuré. Quand le regard de la jeune femme se pose sur Suma, ce dernier baisse les yeux. Il semble triste pour elle et a l’air rongé par la culpabilité. Ce moment hantera probablement ses cauchemars jusqu’à la fin de ses jours, mais il doit estimer avoir fait ce qui était juste pour protéger sa famille.
La juge s’adresse à Okina.
- Prenez place, je vous prie.
La femme, âgée d’une soixantaine d’années, désigne d’un geste un cercle au sol, au centre de la pièce. Okina s’exécute. Une fois ses deux pieds posés à l’intérieur du cercle, un champ de force s’illumine tout autour d’elle, l’empêchant de s’échapper si jamais l’envie lui prenait. La juge prend la parole.
- Okina Unmei, vous êtes suspectée du meurtre ayant eu lieu hier soir sur la personne de Nakama Tomodachi. J’appelle à la barre des témoins Shitto Shissu.
Shitto se lève et prend place.
- Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé, exactement ?
- Okina avait organisé une soirée pour fêter l’obtention de son diplôme. Un peu plus tôt dans la journée, j’avais eu des propos mal placés envers elle et Nakama. Je me suis donc rendu à la fête, accompagné de mon frère, afin de m’excuser. Je voulais également présenter mes excuses à Nakama, mais je ne la trouvais pas. Nous sommes donc montés au premier étage et c’est là que nous avons découvert Okina, se tenant au-dessus du corps de Nakama, un objet ensanglanté dans la main.
- Merci, ce sera tout. J’appelle, à présent, Suma Shissu.
Shitto échange sa place avec celle de son frère.
- Monsieur Shissu, qu’avez-vous fait après avoir découvert Mademoiselle Unmei penchée sur le cadavre de Mademoiselle Tomodachi ?
- Eh bien, tout d’abord, sous le coup de la panique, nous nous sommes rapidement éloignés d’Okina. Une fois en sécurité, j’ai contacté mon père, qui est le Préfet du Kinjo de Tora, car je ne savais pas quoi faire d’autre. Des agents de la FSKT ont débarqué quelques instants après.
- Merci, veuillez retourner à votre place. J’appelle Monsieur Okuno Shissu, Préfet du Kinjo de Tora.
Okuno s’avance jusqu’à la barre, le dos droit et le torse bombé. Il a l’habitude de parler en public et cela se voit. Il est dans son élément.
- Préfet Shissu, expliquez-nous ce que vous avez fait après avoir reçu l’appel de votre fils.
- Mon fils semblait paniqué. Ce qui était arrivé avait l’air d’être grave. J’ai immédiatement lancé l’alerte sur les holowatchs de la FSKT et une équipe est arrivée sur place quelques secondes plus tard.
- Qu’ont vu exactement vos agents en arrivant dans la maison des Unmei ?
- D’après leur rapport, en entrant dans la chambre d’Okina Unmei, ils ont découvert cette dernière à genoux à côté du corps de la victime, l’arme du crime dans la main.
- Merci, Monsieur le Préfet.
- Puis-je me permettre une remarque, Madame la Juge ?
- Je vous en prie.
- Je sais qu’Okina Unmei a essayé de faire accuser mes enfants durant sa détention. Afin de disculper tous soupçons, je tenais à dire que Shitto et son frère se sont rendus à cette fête pour s’excuser, comme ils l’ont dit. Ils ne se seraient pas donné cette peine s’ils avaient voulu assassiner leur camarade quelques minutes après. Qui était Nakama Tomodachi par rapport à Okina Unmei ? Certains diraient qu’elles étaient amies. Peut-être. Personnellement, je pense que Mademoiselle Unmei voyait en Mademoiselle Tomodachi une personne possédant les mêmes capacités qu’elle. Voire de meilleures. Nakama aurait pu se révéler être une ennemie redoutable pour la future carrière d’Okina. Je vais vous donner mon avis, Madame la Juge. Je pense qu’Okina Unmei a tué Nakama Tomodachi et a voulu faire accuser mes enfants afin d’éliminer la concurrence.
- Merci beaucoup pour cette analyse très pertinente, Monsieur le Préfet. Avez-vous autre chose à ajouter ?
- Non, ce sera tout.
- Très bien, veuillez retourner à votre place. Nous allons délibérer.
Okina est pétrifiée. Elle n’arrive pas à croire ce qui lui arrive. Elle se dit que c’est sûrement un cauchemar et qu’elle va se réveiller. Tous ses mensonges. Toutes ses tromperies. Okuno Shissu n’a pas l’air d’être à son coup d’essai et il semblait connaître le sujet quand il parlait d’éliminer la concurrence. C’est la parole d’une pauvre fille seule, abandonnée par ses parents contre celle d’une des familles les plus puissantes de la planète. Elle n’a aucune chance de s’en tirer.
Pourquoi une enquête un peu plus approfondie n’est-elle pas ouverte ? se demande-t-elle. Ils verraient que je n’y suis pour rien dans tout cela.
Ayant terminé de délibérer en messes-basses avec ses collègues, la juge se tourne vers la cour.
- Nous déclarons l’accusée…
Okina sait déjà quel mot va sortir de la bouche de cette femme. C’est à ce moment précis qu’elle se rend compte de quelque chose d’atroce. Peu importe ce qui est vrai ou faux, ce qui compte, à la fin, c’est ce que les gens considèrent être la vérité. Même s’il s’agit, en réalité, d’un mensonge.
- Coupable !
L’espace. Silencieux. Glacial. Infini. Coincée dans ce minuscule appareil au milieu du néant, Okina aurait angoissée à la vue de ce spectacle, si elle était consciente.
Depuis la découverte de Hiyoku, la science a fait un bond en avant considérable. Ainsi, un voyage Hiyoku-Terre ne prend qu’un peu plus d’une année terrestre et demie, aujourd’hui.
Après avoir été jugée coupable, Okina avait été envoyée sur le Rougoku, un vaisseau pénitentiaire constamment en orbite autour de Hiyoku. Comme tous les criminels, elle avait été dépossédée de ses biens et avait dû enfiler une combinaison cryogénique. Elle était restée quelques heures sur l’immense vaisseau avant que sa capsule soit prête.
Le sort qui attend les criminels selon la loi mise en place par le Gouvernement Planétaire est simple et est le même quelque soit le délit commis. Ceux-ci sont expulsés de Hiyoku avec interdiction d’y remettre les pieds – en admettant que cela soit possible. Les criminels sont donc condamnés à l’exil sur Terre jusqu’à la fin de leurs jours. Ainsi, le Gouvernement Planétaire laisse une chance aux condamnés de rester en vie. Les habitants de Hiyoku n’ont pas mis les pieds sur Terre depuis la Grande Migration. Aucun d’entre eux ne sait à quoi peut bien ressembler la planète sur laquelle leur espèce a vu le jour. Et, de toute façon, personne ne s’y intéresse. Ça fait des siècles que la Terre se meurt. C’est une planète agonisante datant d’une époque révolue. Les criminels y sont envoyés dans une capsule cryogénique, qui permet à son hôte de rester en hypersommeil jusqu’à son arrivée sur la planète.
Une fois que celle d’Okina était prête, la jeune femme avait pris place à bord, angoissée et perdue. Quand elle avait senti la température diminuer et son inconscient prendre peu à peu le dessus, elle avait secrètement prié pour ne jamais se réveiller. Quel intérêt y a-t-il à continuer de vivre ? Tous ses espoirs se sont envolés. Même ses parents l’ont abandonnée. Elle n’a plus d’avenir. Quand elle reviendra à elle, ce sera sur une planète hostile dont elle ne connaît absolument rien.
En effet, un an et sept mois après son départ, sa capsule s’écrase au beau milieu d’un désert de poussière et de gravier. Okina émerge difficilement de son hibernation. D’abord, elle panique, désorientée. Puis, se remémorant où elle est, elle se calme. Elle peut apercevoir l’extérieur grâce à la vitre située au niveau de son visage. La cabine est programmée pour atterrir sur le dos. Okina aurait donc dû voir le ciel, mais la seule chose qu’elle peut contempler dehors est un nuage de poussière ou un brouillard épais, elle ne saurait le dire. C’est peut-être un mélange des deux. S’il s’agit bien de brume, elle ne ressemble pas à celle qu’elle a déjà pu observer sur Hiyoku. Celle-ci est presque orangée et ne semble pas naturelle.
La jeune femme commence à étouffer dans cet espace extrêmement confiné. La porte de la capsule s’ouvre. Elle va enfin pouvoir respirer. Du moins, c’est ce qu’elle croit. Aussitôt libérée de son appareil, elle prend une grande inspiration, suivie d’une quinte de toux telle qu’elle n’en a jamais connue auparavant. Elle s’extirpe difficilement de sa cabine pour prendre l’air, mais ça ne fait qu’empirer. Plus elle essaie de respirer, plus sa gorge la brûle. Ne réussissant pas à se mettre debout, elle s’accroche à la capsule et glisse sur le sol poussiéreux. Elle parvient petit à petit à s’habituer à la composition de l’air et sa toux diminue. Après quelques efforts, elle se redresse et s’adosse au véhicule spatial.
Elle contemple ce qui se trouve autour d’elle. A cause du brouillard, elle ne voit pas à plus de cinq mètres, mais aperçoit un paysage désolé au sol stérile. Cette planète est l’extrême opposé de celle de laquelle elle vient. Elle se demande ce qu’elle a fait pour mériter ça et se souvient qu’elle a été piégée. A présent, elle est destinée à rester ici jusqu’à sa mort. Et cette dernière arrivera probablement très rapidement si elle ne parvient pas à se remettre sur ses jambes.
Elle se demande si des gens vivent ici. Pas seulement dans les environs, mais sur cette planète. Et si c’est le cas, comment survivent-ils ? Que mangent-ils ? Même avec le meilleur engrais de la galaxie et le meilleur agriculteur de tous les temps, rien ne peut pousser sur ce sol.
Sur Hiyoku, on ne mange pas de viande. Ça a toujours été comme ça. Du moins, c’est ce qu’Okina a toujours connu. On grignote seulement quelques insectes frits à l’apéritif, de temps en temps. La végétation de la planète est tellement dense que les habitants y trouvent tous les nutriments dont ils ont besoin. Et, en plus, si Okina se souvient bien de ses cours d’Histoire, les animaux dont les humains se nourrissaient étaient mis à mort dans ce que l’on appelait des abattoirs et ces bâtiments polluaient énormément. Quelques animaux avaient, bien sûr, voyagé avec les humains à l’époque du Renouveau, mais très peu, de peur que certaines espèces détruisent l’écosystème de la planète. Il s’agissait surtout d’animaux domestiques, comme des chiens ou des chats.
Okina pense à Ninjin. Avec toute cette histoire, elle l’avait complétement oublié. Elle ne le reverra plus jamais, lui non plus. Il va beaucoup lui manquer.
Se reconcentrant sur le présent, la jeune femme se rend compte qu’elle peut enfin se servir de ses jambes. Elle se redresse et regarde autour d’elle. Toujours aucun signe de vie. Elle est perdue au milieu de nulle part, sans repère. Elle ne sait pas où aller. En marchant tout droit, peut-être qu’elle tombera sur une ville ou un village. Ou simplement une maison. Même une grotte lui irait, du moment qu’elle trouve une personne susceptible de lui venir en aide. Cette planète ne peut pas être entièrement déserte.
Se replongeant une nouvelle fois dans ses souvenirs d’école, elle se souvient qu’à l’époque où l’Humanité a colonisé Hiyoku, la Terre était peuplée de plus de quinze milliards d’habitants. Certes, c’était il y a plus d’un siècle et trois milliards d’entre eux sont partis repeupler leur nouvelle planète, mais une douzaine de milliards de personnes, ça ne disparaît pas comme ça.
Okina n’arrive pas à se décider de la direction dans laquelle elle doit aller. Elle tremble. Après plus d’une année et demie en cryostase, il est normal qu’elle se sente faible. La capsule permet à son hôte de rester en vie, mais c’est tout. Son ventre gargouille. Ses lèvres sont sèches. Elle doit se nourrir et s’hydrater. Et, avec la chaleur pesante qui règne ici, elle ne tiendra pas longtemps sans boire.
La jeune femme fouille dans la cabine mais ne trouve rien. Ces appareils sont très rudimentaires et à usage unique. Ils permettent d’aller d’un point A à un point B, et ça s’arrête là. Et, bien sûr, aucun équipement de survie ne se trouve à bord. Le Gouvernement Planétaire ne va pas gaspiller des ressources pour de vulgaires criminels.
Jusqu’à présent, Okina trouvait le système judiciaire de sa planète totalement juste. Mais, maintenant qu’elle est de l’autre côté de la barrière, elle le trouve tout simplement inhumain. Elle n’avait même pas eu son mot à dire. Aucun droit de plaider sa cause. Son procès n’avait même pas duré dix minutes. Et avec un seul mot d’une seule personne, sa vie avait basculé définitivement.
Son genoux droit lâche sous son poids et elle manque de s’écrouler par terre. Elle se rattrape de justesse à l’appareil. Son corps n’est pas totalement remis. Il lui faut des nutriments. Elle doit impérativement se mettre en route.
Au moment où elle allait entamer son périple à travers le brouillard, Okina entend un bruit lointain. Elle tend l’oreille, mais ne reconnait pas le son. Le bruit se rapproche. Cela peut signifier deux choses : soit qu’elle va vivre, soit qu’elle va mourir. Elle a l’impression de discerner des voix. Elle n’est pas toute seule. Qu’elle que soit ce qu’elle entend, c’est rapide et ça se dirige droit sur elle.
Alors qu’elle scrute le brouillard pour tenter d’y voir plus clair, une silhouette étrange apparaît. D’un coup, ce qui ressemble à un véhicule sort du brouillard à toute vitesse et frôle Okina de seulement quelques centimètres. Elle trébuche et tombe sur le dos. En s’écrasant sur sol, elle sent les graviers lui rentrer dans la peau, à travers sa combinaison.
Le véhicule, sur lequel sont perchés trois hommes et une femme qui n’ont pas vraiment l’air amical, s’immobilise quelques mètres plus loin. La machine possède quatre roues et seulement le squelette d’une carrosserie customisé. L’engin est beaucoup trop petit pour transporter les quatre passagers, mais ça ne semble pas les déranger. Le pilote et le co-pilote sont assis à l’avant dans ce qui semble être des sièges et les deux autres sont debout à l’arrière, se tenant à ce qui reste de la carrosserie. Une fumée étrange s’échappe d’un tuyau à l’arrière et le bourdonnement assourdissant de l’appareil s’arrête d’un coup.
Sur Hiyoku, tous les véhicules sont électriques et l’électricité est produite grâce au vent, au soleil, aux rivières et aux déchets corporels des habitants qui servent de carburant aux centrales électriques. A part les intelligences artificielles et leurs programmeurs, personne ne sait conduire. Et personne n’en a besoin. Les véhicules conduisent tout seuls grâce à des ordinateurs et suivent une voie bien spécifique qu’on appelle « la ligne automobile ». De cette façon, les accidents de la route n’arrivent jamais et tout le monde peut se déplacer librement en voiture, à condition d’en avoir les moyens. Pour les plus pressés, il existe aussi des taxis volants. Ce sont des drones qui survolent la ville et qui vous amènent exactement là où vous voulez, sans aucun risque. Mais, bien évidemment, ce n’est pas gratuit. Okina a déjà entendu parler de véhicule roulant à ce qu’on appelait autrefois l’essence. L’essence était fabriquée avec du pétrole. Mais, quand les humains ont quitté la Terre pour s’installer sur Hiyoku, cela faisait longtemps que cette ressource avait été épuisée.
La femme et l’homme à l’arrière sautent de leur perchoir, tandis que les deux hommes à l’avant s’extirpent de leur fauteuil. La femme s’avance vers Okina, toujours allongée sur le dos, une hache à la main, suivie de près par ses compagnons. Ils ont tous l’air plus sales les uns que les autres et leurs vêtements paraissent très étranges aux yeux d’Okina. Le pilote est vêtu d’une sorte de veste en cuir sans rien en dessous. Il prend la parole, ce qui laisse à la jeune femme le temps d’apercevoir ses dents cassées et sales.
- Tiens, tiens, tiens. Qu’est-ce qu’on a là ? En voilà une belle prise. Ça faisait longtemps que le ciel ne nous avait pas envoyé un cadeau pareil.
Okina met quelques instants avant de comprendre qu’il parle d’elle. L’homme s’approche de la jeune femme paniquée et sourit de ses dents usées.
- Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi ?
- Elle nous rapportera un max si on la vend, intervient la femme.
- Tu as sûrement raison. Ce n’est pas souvent qu’on tombe sur une exilée vivante.
Il tourne le dos à Okina et glisse à la femme :
- On l’embarque, mais fait très attention à elle. Elle est précieuse.
L’homme désigne ensuite la capsule cryogénique d’un geste.
- Les autres ! Mettez-moi ce truc en pièces et chargez-les dans la bagnole !
Okina, toujours à terre, assiste à toute la scène sans savoir quoi faire. La femme, faisant deux têtes de plus qu’elle et étant trois fois plus large, s’approche d’elle. Okina commence à prendre peur. La femme s’empare d’elle et la met sur son épaule comme s’il s’agissait d’un vulgaire sac à patates. Okina tente de se débattre, mais ses efforts sont vains. La femme se tourne vers les siens. Okina se retrouve donc la tête à l’envers, le dos de sa ravisseuse lui cachant la vue.
Tout à coup, elle entend un son étrange semblable à deux bouts de bois qui s’entrechoquent, puis elle discerne un bruit sourd. La femme la laisse tomber comme si elle n’était qu’un pantin et la tête d’Okina vient heurter le sol de graviers. Elle est un peu sonnée, mais elle distingue la femme dégainer sa hache et se lancer droit devant elle en poussant une sorte de cri de guerre. Elle entend ensuite ce qu’elle interprète comme les sons d’une bataille. Après avoir bien repris ses esprits, elle se tourne et s’aperçoit, en effet, qu’un homme encapuchonné, un épais bâton à la main se bat contre les quatre compagnons, une sorte de cape virevoltant majestueusement dans l’air. Tout en esquivant superbement les coups, le gourdin du mystérieux agresseur vient frapper violement les jambes et le visage de ses adversaires, brisant leurs os sous le choc. Okina peut les entendre craquer de là où elle est.
Bientôt, pratiquement toute l’équipe est à terre. Il ne reste plus que la femme. Elle tente d’asséner un coup de hache au visage de son ennemi, mais celui-ci esquive et parvient à attraper son bras, lui faisant lâcher son arme. L’homme encapuchonné enroule son bras autour de celui de son adversaire et lui brise le coude d’un geste précis. La femme tombe à genoux dans un hurlement de douleur. L’homme aurait pu s’arrêter là, mais il décoche un coup violent au visage de sa victime, qui s’écroule sur le sol. Probablement pour s’assurer qu’elle ne se relèvera pas, il répète l’opération plusieurs fois avec une férocité inouïe, ce qui ne manque pas de faire gicler du sang un peu partout.
Okina est toujours au sol, l’arcade sourcilière saignant légèrement. Elle ne sait pas quoi faire. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Elle se contente d’assister, incrédule, à la scène. L’homme est dos à elle. Il se redresse, essoufflé, et retire sa capuche. Okina commence à avoir peur qu’il lui fasse subir le même sort que celui qu’il a fait subir aux quatre individus gisant sur le sol, inconscients ou morts. Il tourne la tête vers elle. Son visage est recouvert du sang de la femme dont il vient d’exploser le crâne. Il lui sourit chaleureusement et lance :
- Bienvenue sur Terre.
Okina est à terre. Abasourdie par ce qu’elle vient de voir. Le contraste entre l’extrême violence dont l’homme a fait preuve et le sourire accueillant qu’il lui a lancé la laisse dubitative.
Le mystérieux agresseur s’approche d’elle. La jeune femme sursaute et, par réflexe, recule de quelques centimètres.
- N’aie pas peur, je suis là pour t’aider. Ça va ?
Okina a été trahie par la justice de sa planète, elle a voyagé dans l’espace pendant plus d’un an et demi et elle vient de se faire attaquer par une bande de sauvages qui avait l’intention de la vendre comme un vulgaire objet. Comment pourrait-elle se sentir bien ?
- Ça peut aller, se contente-elle de répondre.
Elle regarde autour d’elle, tentant d’assimiler toutes les informations, puis reporte son attention sur son sauveur.
- Qui es-tu ?
- Eh bien, disons que je suis ton protecteur.
- Et ces gens ?
- On les appelle les Pilleurs du Désert. De véritables charognards. Leurs cibles favorites, ce sont les capsules cryogéniques qui s’écrasent dans le Pulveris Crater. Ils vendent ça en pièces détachées, ça leur rapporte un max. Et s’ils peuvent trouver un exilé au passage, c’est le jackpot.
- Pourquoi les as-tu tués ?
- C’était eux ou nous, ma jolie.
Il lui tend la main.
- Tu peux te lever ?
- Je pense, oui.
Un peu hésitante, Okina attrape la main de son protecteur avant que ce dernier la tire délicatement vers lui pour la remettre sur ses jambes.
- Ça va ? Tu tiens debout ? La cryostase affaiblit considérablement le corps humain. Il te faut manger et boire. Tu peux marcher ?
- Ça dépend jusqu’où.
- De toute façon, si tu restes ici, tu meurs. Il n’y a pas de quoi s’alimenter dans le Pulveris Crater.
- C’est quoi le Pulveris Crater ?
- C’est là où on est. C’est le nom de ce désert.
Le protecteur regarde autour de lui et ses yeux se posent sur l’étrange véhicule à quelques mètres de là.
- Je suis un piètre pilote, mais c’est notre moyen le plus sûr et le plus rapide pour quitter cet endroit. Tu grimpes avec moi ?
Okina dévisage l’homme un moment.
- Ce n’est pas comme si j’avais le choix.
- Non, pas vraiment. Attends, je vais t’aider.
Le visage toujours maculé du sang de sa victime, le protecteur place le bras d’Okina derrière sa tête et pose sa main sur son épaule, tandis qu’il la supporte avec son autre bras. Les deux compagnons d’infortune se déplacent jusqu’au véhicule et s’installent à l’avant.
- Merci, lance timidement la jeune femme, une fois à l’intérieur.
Le mystérieux sauveur démarre l’engin et un bruit assourdissant résonne dans un nuage de poussière.
En effet, l’homme n’est pas très bon conducteur. Il entame sa course beaucoup trop vite et Okina est projetée dans le fond de son siège. Le véhicule effectue un dérapage quelques mètres plus loin afin de faire demi-tour. La course est lancée. Les deux compagnons foncent à toute allure à travers le désert à bord de la machine infernale. Okina n’a jamais été autant secouée de toute sa vie et a l’impression qu’ils risquent à tout moment d’exploser. Elle aurait volontiers essayé de discuter avec son sauveur pour en savoir plus sur lui et sur cette planète, mais le bourdonnement extrêmement bruyant de l’appareil rend toute conversation impossible. Traçant à travers le Pulveris Crater, les cheveux au vent, Okina se demande ce qui va advenir d’elle, à présent. Avec tout ce remue-ménage, elle n’avait pas eu le temps de se pencher réellement sur la question. Et, pour la première fois de son existence, elle se rend compte qu’elle n’a absolument aucune idée de ce que l’avenir lui réserve.
Tout à coup, le véhicule sursaute. Okina a l’impression que son dos se brise en mille morceaux. Le sursaut est suivi d’un freinage absolument incontrôlé et d’un tonneau spectaculaire. La voiture atterrit sur son flanc droit et Okina se félicite d’avoir attaché à sa taille ce qui ressemble à une ceinture de sécurité improvisée. Elle remercie également le squelette de la carrosserie, à présent complètement détruit, d’avoir protégé sa tête. Son protecteur a, apparemment, eu le même reflexe qu’elle puisque sa ceinture est également bouclée. Ils sont tous les deux vivants. C’est un véritable miracle.
- Rien de cassé ? s’enquiert le pilote.
- Non. Je ne crois pas.
Les deux compagnons réussissent à s’extirper de l’engin sans encombre.
- Tout va bien ? insiste l’homme.
- J’ai failli mourir deux fois en seulement quelques minutes, mais à part ça, tout baigne.
- Eh bien, c’est comme ça. La vie, ici, consiste à essayer de la garder le plus longtemps possible.
- C’est horrible.
- Peut-être. Je n’ai connu que ça, alors je ne peux pas vraiment dire.
- Pourquoi tu me protèges ?
L’homme esquisse un petit sourire malicieux.
- Parce que c’est ma mission.
Il s’éloigne afin de constater les dégâts.
- On a heurté une crevasse. La roue s’est détachée. C’est irréparable. On va devoir continuer à pieds. Je savais que ce tas de ferrailles ne nous emmènerait pas loin.
Il ramasse son bâton, qui a été éjecté du véhicule pendant l’accident, et avance d’un pas décidé, sachant, visiblement, où il va.
- En route. Il ne faut pas traîner ici, c’est dangereux.
- Dangereux ?
- Oui, à cause des plantes carnivores, des mauvaises herbes toxiques…
Okina est prise par une quinte de toux.
- Ça va ?
- Ça va aller. C’est juste… l’air. De quoi est-il composé ?
- Ça, je n’en sais rien. Je dirais de pollution, essentiellement. Ne t’inquiète pas, tu t’y habitueras vite.
- Tu as parlé d’herbes et de plantes. Des végétaux poussent, ici ?
- Oui, mais ils sont loin d’être comestibles. C’est d’ailleurs plutôt l’inverse. Ce sont eux qui cherchent à nous dévorer.
- C’est épouvantable.
- Ce n’est pas tout. Il y a aussi des animaux qui vivent dans le Pulveris Crater.
- Ah oui ?
- Oui. Des neurovores…
- Des neurovores ? Qu’est-ce que c’est ?
- Ce sont de minuscules insectes. Des parasites qui se frayent un chemin comme ils peuvent dans le cerveau de leur victime pour s’en délecter. De véritables saletés.