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Après avoir instauré une République sur Terre, l'Exilée, Okina Unmei, part à la recherche du premier volume du Journal d'Arkanys Ayashi, le Tyran Balafré. Grâce à ce journal, elle découvre comment l'ancien Benefactori a gravi les échelons jusqu'à atteindre le pouvoir absolu. Au fil de sa lecture, Okina se rend compte qu'Arkanys était un personnage plus intéressant et complexe qu'il n'y paraît et qu'ils ont plus de choses en commun qu'elle ne l'imaginait. Dans un récit conté par le tyran en personne, découvrez les origines du Benefactori le plus mystérieux de l'Histoire...
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Seitenzahl: 393
Veröffentlichungsjahr: 2020
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Chapitre 1: La Quête De l’Exilée
Chapitre 2: À Ceux Qui Liront Ce Journal
Chapitre 3: Prémices
Chapitre 4: L’Ermite Des Montagnes
Chapitre 5: Le Réveil Du Brasier
Chapitre 6: La Tribu De Shimaï
Chapitre 7: Le Rituel De Jouto
Chapitre 8: Épopée
Chapitre 9: Le Serpent Des Lacs
Chapitre 10: La Fin Du Voyage
Chapitre 11: Oasis
Chapitre 12: Retour Au Présent
Chapitre 13: Nouvelle Vie
Chapitre 14: Zalia
Chapitre 15: Soif De Pouvoir
Chapitre 16: Diviser Pour Mieux Régner
Chapitre 17: Coup Monté
Chapitre 18: Ascension
Chapitre 19: La Vérité Importe Peu
Chapitre 20: Le Testament
Chapitre 21: Un Nouveau Champion
Chapitre 22: La Chute
Chapitre 23: Héritage
Chapitre 24: Le Roi De Vastitas
Chapitre 25: Avidité
Chapitre 26: Le Lion d’Algali
Chapitre 27: La Clé Du Succès
Chapitre 28: Le Cœur Du Pouvoir
Chapitre 29: L’Ultime Combat
Chapitre 30: Sanctus Terra
Chapitre 31: Le Seigneur Écarlate
Chapitre 32: Heure De Gloire
Chapitre 33: Un Coup d’Avance
Chapitre 34: Divinité Mortelle
Chapitre 35: Phase Finale
Chapitre 36: Consécration
Chapitre 37: Les Douze Guerriers Venus Du Nord
Chapitre 38: La Salle Rouge
Chapitre 39: Les Protecteurs d’Exilés
Chapitre 40: Le Retour De Scavenger
Chapitre 41: La Légende De l’Exilée
CHAPITRE 1
L’Exilée n’a jamais aussi bien porté son surnom. Okina s’est retirée de la politique. De la civilisation. Elle aime l’idée qu’elle ait apporté la paix sur Terre. Même si, bien sûr, elle sait que ce n’est pas entièrement vrai. Cette planète ne sera jamais en paix. C’est un monde agonisant qui finira bientôt par s’éteindre, comme ses habitants. Elle n’en est pas arrivée là toute seule. Beaucoup de personnes – de bonnes comme de mauvaises – lui sont venues en aide. Elle a dû faire des sacrifices. D’énormes sacrifices. Elle le voit encore chuter du Colossus lorsqu’elle ferme les yeux. C’en est trop pour elle. Elle ne peut plus faire ça.
C’est pourquoi, après avoir remplacé la dictature par la république, Okina devait s’éloigner de tout. Seule, elle s’enfonce dans le Pulveris Crater, en direction des Terres d’Hogosha. Elle a un nouveau but. Trouver le premier volume du Journal d’Arkanys. Elle a trouvé une partie de cet ouvrage dans ce qui étaient, autrefois, les quartiers personnels d’Arkanys Ayashi, l’ancien Benefactori. Cet homme était un monstre. Okina a pu le constater à plusieurs reprises. Mais, en consultant son journal, la jeune femme a découvert qu’il s’agit, en réalité, d’un personnage fascinant.
Comment en est-il arrivé à faire de telles atrocités ? Comment a-t-il obtenu sa place de leader absolu et tyrannique ? Voilà les questions que se pose l’Exilée.
Elle a atteint les Terres d’Hogosha. La première fois qu’elle est venue ici, elle s’attendait à trouver un désert sordide et sans vie. Et, à cause de Scavenger, c’est exactement ce que cet endroit est devenu, aujourd’hui. Hormis quelques shredders rôdant parmi les restes de cadavres recouverts de poussière, il n’y a que la mort et la désolation, ici.
Okina se dirige vers la maison d’Hogosha. C’était dans ces ruines qu’Arkanys fouillait, la dernière fois qu’elle l’a vu. Il était visiblement à la recherche d’un objet ou bien… d’un journal. C’est ici qu’a eu lieu leur affrontement final. Elle sent encore le sang chaud couler sur son visage au moment où Yusha a tranché la gorge du tyran.
Son corps est là. Ayant entamé sa décomposition. Sans sa tête. Elle se revoit dans l’arène, brandissant le crâne balafré.
« À partir d’aujourd’hui, je suis votre nouveau Benefactori. À partir d’aujourd’hui, tout va changer. »
Non loin de là, le corps de Scavenger gît sur le sol. La dépouille est en partie putréfiée et enveloppée par la poussière, mais on peut tout de même apercevoir son visage et sa blessure à la gorge. Il s’est vidé de son sang sur une terre qu’il avait lui-même inondée de l’hémoglobine de ses propres habitants.
« J’ai un vieux compte à régler avec le Benefactori. »
Tels avaient été ses mots. De quoi parlait-il ? Okina ne l’a jamais su. Elle avait vu son nom dans les premières pages du deuxième volume du journal, mais elle avait été interrompue par Hostia et elle n’a jamais pu terminer sa lecture depuis. Peut-être qu’elle connaitra bientôt l’histoire unissant ces deux hommes. Elle l’espère. C’est pour cela qu’elle a parcouru le désert. Pour trouver des réponses. Et elle ne partira pas tant qu’elle n’en aura pas trouvées.
Sans perdre plus de temps, elle se met donc à la recherche du fameux journal intime. Pendant des heures, elle fouille parmi les gravats et les débris calcinés. Puis, au moment où elle commence à perdre espoir, elle le voit. Au milieu de la poussière et des graviers. Une antiquité. Un très vieux livre en papier. « Le Journal d’Arkanys », parvient-elle à déchiffrer sur la couverture, après avoir dépoussiéré l’objet. Le manuscrit est épais. Il relate les prémices d’une vie entière. La vie de l’homme qu’elle a destitué de son trône. Elle veut connaître son histoire.
Elle s’assied en tailleur, à même le sol. Et, les mains tremblantes d’excitation, elle ouvre le livre et commence sa lecture.
CHAPITRE 2
À ceux qui liront ce journal, si toutefois quelqu’un le trouve un jour, sachez, tout d’abord, que les Terres d’Hogosha ne correspondent pas à l’idée qu’en ont les habitants des villes. Il s’agit d’un endroit paisible, où il fait bon vivre. Je n’ai encore jamais mis les pieds sur les Territoires Civilisés, mais on m’a raconté ce que les gens de là-bas pensent de nos Terres. Je suis ici depuis un bon moment, maintenant. J’ai souffert pour en arriver là. Je n’ai pas traversé seul les montagnes et le Pulveris Crater. Mais vous allez tout comprendre, si vous continuez votre lecture.
Je suis Arkanys Ayashi et voici mon histoire.
Je ne viens pas d’ici. Pour ce monde, je suis un étranger. Pourtant, étrangement, je me sens chez moi. Je suis né sur Hiyoku. Tous les habitants de cette planète connaissent l’histoire de sa découverte. La légende de Mirakuru, cet astronaute s’étant écrasé sur la sœur jumelle de la Terre. Et qui a découvert, par hasard, que l’humanité pouvait vivre sur cet astre. Enfin, une partie de l’humanité. Tout le monde n’a pas eu la chance d’embarquer dans les immenses vaisseaux spatiaux, au moment de la Grande Migration. C’était pour le bien de l’espèce humaine, d’après ce qu’ils disaient. On nous dépeint la vie sur Hiyoku comme paisible, calme et heureuse. Personnellement, je ne vois pas les choses ainsi.
Je suis né en 78 après le Renouveau, dans le Kinjo de Saru, en bordure de la Mer Reisui. Et la vie y était tout sauf paisible. Le Gouvernement Planétaire de Hiyoku affirme que la criminalité sur la planète est proche de zéro et que les écarts entre les classes sociales sont quasiment inexistants. Ce sont des mensonges. Mentir, c’est ce que ce gouvernement sait faire de mieux.
Ces informations étaient peut-être véridiques dans les autres Kinjo. Mais, dans le Kinjo de Saru, je peux vous assurer que les choses étaient bien différentes. J’étais encore jeune, mais mon père, Obana Ayashi, m’a expliqué le fonctionnement de la Ligue.
La Ligue de Saru était une organisation criminelle travaillant secrètement avec le Gouvernement Planétaire. Juste après le Renouveau, le Gouvernement n’avait pas encore mis en place le système d’expulsion pour les criminels. Un conflit éclata. Certaines personnes trouvèrent que la vie sur cette nouvelle planète n’était pas celle qu’on leur avait promise. Il y eut beaucoup d’arrestations. Ne sachant pas quoi faire de ses prisonniers, le Gouvernement déplaça tous les criminels dans le Kinjo de Saru, encore inhabité. Les tensions se calmèrent peu à peu et tout rentra dans l’ordre sur l’ensemble de Hiyoku. Excepté dans le Kinjo de Saru. Les criminels engendrèrent d’autres fauteurs de troubles. Le crime organisé se développa. Le Gouvernement Planétaire sentit ce Kinjo lui glisser entre les doigts. Il ne pouvait pas expulser des milliers d’habitants comme ça. Il n’en avait pas les moyens. Le Président conclut alors un marché avec une des cellules criminelles, la Ligue de Saru. Il nomma leur chef Préfet, son rôle étant de maintenir l’ordre dans le Kinjo. En échange, le Gouvernement ferma les yeux sur les activités de la Ligue et récompensa gracieusement ses membres pour leur contribution. Ainsi, la Ligue de Saru put éliminer la concurrence et s’accaparer le Kinjo de Saru. Chaque commerce leur appartenait. Chaque habitant du Kinjo devait leur rendre des comptes.
Mon père était un membre de la Ligue. C’est, du moins, ce que je crus pendant des années. Mais, un jour comme les autres, alors que mon père, ma mère et moi étions réunis autour de la table de la salle à manger, des hommes et des femmes armés forcèrent la porte de notre maison et nous menacèrent. Mon père se défendit, mais ses adversaires étaient supérieurs en nombre. Durant le bref combat qui fit rage au beau milieu de la cuisine, je me cachai derrière ma mère, Seika Ayashi. Quand la bataille prit fin, l’homme qui semblait diriger les autres colla la tête de mon père sur la table, à quelques centimètres des assiettes et plaça un couteau sous sa gorge. Ma mère n’eut de cesse de me dire de rester derrière elle.
- Tu n’es pas le seul espion, Obana, siffla l’homme, à l’oreille de mon père. Le Gouvernement n’est pas le seul à en avoir. La Ligue en possède aussi. Je ne vais pas te tuer. Pas tout de suite. Je veux que tu ailles dire à tes supérieurs que ceci est la première et dernière sommation. Nous avons un accord. Depuis des décennies, il n’a jamais été enfreint. Grâce à mon père et à son père avant lui. Je ne vous laisserai pas nous doubler. Tu ferais mieux de partir le plus vite possible pour le Kinjo de Tora, faire ton rapport. Une guerre peut éclater n’importe quand. Et tu ne voudrais pas qu’il arrive malheur à ta famille, n’est-ce pas ?
Mon père resta silencieux un instant. Puis, l’homme resserra son emprise sur lui.
- Tu m’as compris, Obana ?
- Oui, j’ai compris.
- Je l’espère pour toi.
Il relâcha mon père. Les hommes et les femmes qui nous tenaient en joue baissèrent leurs armes, avant de quitter la maison. L’homme ayant violenté mon père lui adressa un dernier regard.
- Sale traître.
Sur le moment, je ne compris pas bien ce qui s’était passé. Et mes parents refusèrent de m’expliquer. Ils se contentèrent d’essayer de me rassurer. Aujourd’hui, je comprends. Obana Ayashi n’était pas un simple membre de la Ligue de Saru. Il travaillait en secret pour le Gouvernement Planétaire. Un espion. Son rôle était probablement de veiller à ce que tout se passe convenablement. Ou alors, le Président Sho préparait quelque chose contre la Ligue. Peut-être voulait-il que sa fille soit à la tête de ce Kinjo ? Elle était jeune mais, d’après ce qu’on disait, elle avait un bel avenir politique devant elle. Je ne le saurai jamais. Seulement, la Ligue avait, elle aussi, des espions. Au sein même du Gouvernement. C’est comme cela qu’ils avaient appris le double-jeu d’Obana.
Mon père partit donc pour le Kinjo de Tora, capitale de Hiyoku, malgré les larmes de ma mère. Moi, je ne comprenais pas, mais, elle, devait sûrement savoir que c’était la dernière fois qu’on le voyait. Officiellement, Obana Ayashi est mort en se noyant accidentellement dans la Mer Reisui. Officieusement, le Gouvernement Planétaire l’a fait tuer à cause de ce qu’il savait.
La Ligue de Saru augmenta les taxes de notre famille. Afin de compenser la trahison, dirent-ils. Pendant les mois qui suivirent, ma mère fit tout pour tenter de rembourser nos dettes. Désespérée, elle se tourna vers les jeux d’argent. Elle passa des journées entières dans les casinos. Mais, ce qu’elle ne prit pas en compte, c’est que ces casinos appartenaient à la Ligue et, évidemment, les croupiers trichaient pour ne pas la laisser gagner. Elle perdit le peu d’argent qu’il nous restait dans les machines à sous et aux tables de cartes.
Je me souviendrai toute ma vie de ce jour. J’étais dans ma chambre, en train de jouer aux cartes, seul. En réalité, je cherchais un moyen de tricher pour pouvoir gagner à chaque fois. Ma mère déboula dans ma chambre.
- Arkanys, nous ne devons pas rester là, s’écria-t-elle. Viens, suis-moi.
À ce moment, je compris. C’était allé trop loin. On ne peut pas avoir des dettes envers la Ligue de Saru éternellement. On paye forcément un jour. De sa vie, s’il le faut.
Elle m’attrapa la main et me traîna dehors en toute hâte. Je la suivis sans dire un mot. Détalant dans la rue comme des fous, sans même savoir où nous allions, nous entendîmes les voix des hommes qui nous poursuivaient, derrière nous. Ma mère m’ordonna d’escalader le grillage d’une usine de recyclage, avant de me suivre. Tandis que nous arpentions les détritus attendant d’être recyclés et que nous évitions les immenses machines automatisées, Seika stoppa sa cavale.
- Maman, dis-je, que fais-tu ? Il faut continuer. Ils vont nous rattraper.
Son regard s’arrêta sur une fleur aux pétales d’un bleu magnifique et elle sourit. Elle se baissa, puis la cueillit.
- Tu sais ce que c’est ? me demanda-t-elle.
- Maman, viens !
- C’est une fleur d’Eyen. Elles ne poussent que dans les usines de recyclage. Elles sont immortelles. Vraiment immortelles. Elles ont la particularité de ne jamais faner, même une fois cueillies.
Elle déposa un doux baiser sur la fleur et la glissa dans la petite poche de ma chemise, sur ma poitrine.
- Garde-la précieusement à côté de ton cœur. Comme ça, je serai toujours auprès de toi, quoi qu’il arrive.
- Maman…
- Tu es fort, Arkanys. Aussi fort que ton père.
Une larme coula sur sa joue.
- Je suis tellement fière de toi.
Elle embrassa longuement mon front.
- Je t’aime, mon fils.
Puis, elle tourna les talons et disparut en direction des voix qui nous poursuivaient. Quelques gouttes salées se frayèrent un chemin sur mon visage, mais je ne dis rien. Je me contentai de m’enfuir dans la direction opposée. Je savais qu’elle faisait cela pour mon bien. La Ligue de Saru nous aurait traqués. Et elle nous aurait trouvés, un jour ou l’autre. Mais, s’ils tuaient la mère, ils n’auraient plus besoin de chercher le fils. Et c’est exactement ce qui s’est passé.
Ce jour-là, dans cette usine de recyclage, c’est la dernière fois que je vis Seika Ayashi, cette femme si forte et courageuse qui donna sa vie pour sauver la mienne. Celle que j’appelais « maman ».
CHAPITRE 3
Pendant l’année qui suivit la mort de mes parents, je dus voler pour survivre. J’errais sans but dans les rues de Saru, veillant à ne pas me faire attraper. Je gardais toujours la fleur d’Eyen que ma mère m’avait donnée près de mon cœur, comme elle me l’avait suggéré. Elle avait raison : cette fleur ne fane jamais. C’était le premier objet de ma collection.
J’ai appris à disparaître, à me fondre dans le décor. J’ai appris à devenir invisible. Aucune espèce animale ne s’est développée sur Hiyoku. Du moins, pas pour l’instant. Quelques micro-organismes essentiels à notre survie sont bien présents sur la planète, mais, à part ça, il n’y a que de la végétation. De ce fait, les habitants de Hiyoku ne mangent jamais de viande. Pourtant, la première fois que j’ai croqué dans un morceau de chair animale, c’était dans le Kinjo de Saru.
Cela faisait des semaines que je n’avais presque plus rien à me mettre sous la dent. Sur Hiyoku, absolument tout est recyclable et recyclé. Les détritus alimentaires servent à fabriquer de l’engrais ou sont transformés en énergie. Quand quelqu’un meurt, on veille à l’enterrer à un endroit où son cadavre sera prospère au développement de la vie. Même les excréments et l’urine sont réutilisés et servent de carburant aux centrales électriques. Le Kinjo de Saru était un peu le centre névralgique de toute cette organisation. Il y avait d’immenses usines de recyclage à tous les coins de rues. Les robots appartenant au CNK – Centre de Nettoyage des Kinjo – faisaient rapidement leur travail. Ils ramassaient les poubelles des restaurants et des commerces plusieurs fois par jour. Ils ne prenaient aucune pause. Même pas la nuit.
Deux semaines plus tôt, j’avais failli me faire prendre par un robot de sécurité dans une usine de recyclage. Je m’en étais tiré de peu. Depuis, je n’osais pas retenter ma chance. J’avais été pris en flagrant délit. Les caméras de surveillance m’avaient identifié. Des membres de la FSKS – Force de Sécurité du Kinjo de Saru – s’étaient même rendus sur place le lendemain. Ils connaissaient mon visage et ils ne me laisseraient pas m’en tirer une seconde fois. Alors, je restais en retrait. Je me faisais le plus discret possible. Je n’étais pas assez rapide. Les robots du CNK emportaient les poubelles avant que je puisse y jeter un œil. Je me contentais de manger les quelques déchets qui tombaient malencontreusement par terre et de grignoter des plantes du Kouen, le jardin public de Saru. Je ne savais pas ce qui était comestible ou non et cela me rendait parfois malade.
C’est donc par une nuit de pleine lune que je voulu me laisser mourir. Pour moi, c’en était fini d’Arkanys Ayashi. C’était ma dernière nuit sur Hiyoku.
Demain, je ne serai plus de ce monde, pensai-je.
J’étais allongé sur le sol, dans une ruelle, malade comme un chien, le ventre vide. Pensant que mon heure était venue, je fermai les yeux.
Désolé, maman.
Puis, avant de sombrer dans un sommeil sans fin, j’entendis un son.
Miaou.
J’ouvris les yeux et je vis un gros chat noir, bien grassouillet. Ses yeux brillaient dans la nuit. Comme je l’ai dit, sur Hiyoku, aucune espèce animale ne s’est développée naturellement. Cependant, au moment de la Grande Migration, certaines personnes ont eu la chance de pouvoir prendre avec eux un ou deux animaux de compagnie. Les humains avaient dû créer de nouvelles sortes de nourritures pour félins et canins, exclusivement constituées de végétaux. Et, vue la corpulence du chat qui se tenait devant moi, ils avaient réussi.
À cet instant, il me vint une idée.
- Minou, minou, appelai-je l’animal. Viens par ici.
Tout en miaulant, le gros félin se dirigea vers moi, traînant ses kilos en trop. Je mis ma main entre ses deux oreilles, sur le haut de son crâne et commençai à le caresser.
- T’aimes bien ça, les gratouilles, hein ?
Le chat ronronnait bruyamment. Tout doucement, je fis glisser ma main sous sa gorge, pendant que l’autre se plaça sur le dessus de sa nuque. Cela ne dérangea pas le matou obèse.
- Regarde comme tu es gras, constatai-je en me léchant les babines. Tu feras sûrement un très bon repas.
Sur ces mots, je me mis à serrer la gorge du minet qui tenta de se débattre. Il me griffa la main, mais cela ne me découragea pas. Plus je raffermissais mon emprise, plus je le sentais gesticuler sous mes doigts, tentant, tant bien que mal, de s’accrocher à la vie. Mais c’était trop tard pour lui. Il était déjà mort, mais il ne s’en était pas encore rendu compte. J’entendis un rire. Le mien. Je me surpris à aimer cela. Aimer est un faible mot pour décrire ce que je ressentis à ce moment précis. Ce fût une sensation enivrante. Je ne répondais plus de moi, comme si mon corps ne m’appartenait plus. Le chat continua de se débattre. D’un geste vif, je fis pivoter mes mains, sans relâcher mon emprise. Je sentis la nuque du matou se briser sous mes phalanges et ce fût l’exaltation.
Une fois l’adrénaline redescendue, je mordis dans le cadavre encore chaud avec toute la force de ma mâchoire. Je ne pris même pas le temps de dépecer l’animal. Je ne me souviens plus du goût, je sais seulement que j’avais trop faim pour m’en soucier. Ce gros chat noir me sauva probablement la vie, ce jour-là.
Plus tard, je me mis en quête de faire payer la Ligue de Saru pour ce qu’elle avait fait subir à mes parents. J’étais jeune, mais je savais que je n’y arriverais pas en un claquement de doigts. Je devais la jouer fine. Y aller par étape. La première consistait à observer la Ligue, de loin. Bien entendu, je savais où se situait leur quartier général. Pendant plusieurs jours, je surveillai donc les entrées et les sorties de chaque individu. Il y avait toutes sortes de gens. Du plus honnête commerçant, forcé de travailler pour les criminels, au malfrat le plus perfide, voulant secrètement escroquer une des organisations les plus puissantes de la planète.
Puis, un jour où il pleuvait à verse, je reconnu un visage. Celui d’une femme faisant partie du petit groupe qui était rentré chez moi par effraction le jour où le double-jeu de mon père avait été découvert. Sous la pluie, je la suivis donc. Je savais qu’elle pouvait m’en apprendre plus sur La Ligue de Saru. Peut-être même qu’elle pouvait me mener directement à son patron. Elle alla jusqu’au port. Je compris, en observant la situation, qu’elle venait racketter les pêcheurs d’algues, venant à peine de rentrer de leur excursion en mer. L’un d’entre eux s’éloigna pour aller chercher le paiement.
C’est ma chance, me dis-je.
J’aperçus un imperméable, à quelques mètres de moi. Je le mis sur mon dos et rabattis la capuche sur ma tête. Je vis un coupe-algues et je m’en emparai.
- Eh ! interpellai-je la femme en fonçant vers elle.
Elle se retourna.
- Tu te souviens de moi ? lui lançai-je.
Je la revis pointer son arme sur ma mère et, sans réussir à me contrôler, je lui enfonçai l’outil dans le ventre. Je réitérai l’action plusieurs fois, avant de balancer le corps par-dessus bord. Je savais qu’elle m’aurait été utile, mais c’était plus fort que moi. Je devais la tuer. Je devais mettre fin à sa misérable existence. Elle faisait partie de ceux qui avaient ruiné la mienne. Je ne pouvais pas la laisser vivre.
Avant de quitter le bateau, je me servis en algues dans le filet. Je refusai de partir en laissant toute cette nourriture.
- Eh ! hurla une voix, derrière moi. Qu’est-ce que tu fais ?
Quand je me retournai, il était déjà trop tard. Je reçus un violent coup sur la tempe, avant de m’écrouler.
- Voleur ! fulmina le pêcheur. Je ne vais pas te laisser t’en tirer comme ça.
Il me ficela avec un filet de pêche.
- Je vais t’emmener voir la Ligue. Tu verras ce qu’ils font aux voleurs comme toi.
Il semblait avoir complétement oublié la femme qui était venue chercher l’argent. Il me mit sur son dos et me porta jusqu’au quartier général de la Ligue de Saru. Et, c’est comme ça, aveuglé par la vengeance, que je me fis attraper, après avoir passé plus d’une année à survivre seul dans la rue.
Après que le pêcheur ait expliqué la situation aux membres de la Ligue, il retourna à ses occupations. Personne ne me reconnut. Il faut dire que le petit Arkanys avait bien changé depuis la mort d’Obana et Seika.
- Que va-t-on faire de toi ? lança un des criminels. Tu as volé ce pêcheur. Or, ce pêcheur travaille pour nous. Donc tu as volé la Ligue. Personne ne vole la Ligue de Saru et s’en sort impunément.
- On pourrait attendre que le patron revienne, intervint une jeune femme. Lui, il saura quoi faire.
Un jeune homme prit la parole à son tour.
- Allons, les gars. Vous êtes sérieux ? C’est qu’un gosse. Le patron a des problèmes plus importants à régler.
- On ne peut pas le laisser partir comme ça, rétorqua le premier. Il nous a volés.
Le jeune homme sembla réfléchir.
- Très bien, alors on le confie à la FSK. Ils s’en occuperont.
Le premier se gratta le menton.
- Ça me va. Tu t’en charges ?
- Pas de soucis.
Il me lança un regard.
- Suis-moi.
Le jeune homme m’emmena avec lui jusqu’au garage. Puis, il me fit monter dans sa voiture, avant de prendre la route.
Pendant que nous arpentions la ligne automobile en direction du poste de la FSKS le plus proche, le membre de la Ligue se confia à moi.
- Je suis vraiment désolé, petit. Je sais qui tu es. Tu es le fils d’Obana Ayashi. Obana était comme un père pour moi. Il m’a sorti de nombreuses galères. J’aurais aimé t’aider davantage.
- Laisse-moi partir, alors.
- Non, je ne peux pas. Désolé. La Ligue l’apprendra et me tuera. Ils t’auraient tué aussi, sans moi. Je ne peux rien faire de plus pour toi.
- Qu’est-ce qui va m’arriver ?
- Eh bien, tu seras transféré au Grand Tribunal de Ryu et ce sont les juges qui décideront s’ils t’envoient sur Terre ou s’ils te laissent ta liberté.
Effectivement, après mon arrestation officieuse, je fus transféré dans le Kinjo de Ryu. Toutefois, je n’eus pas le droit de passer par la case jugement. Je fus directement amené sur une plateforme de lancement, afin d’emprunter une navette me permettant d’atteindre le Rougoku. Le Rougoku est un immense vaisseau-prison. C’est dans ce bâtiment que les criminels attendent d’être cryogénisés, puis envoyés sur Terre.
Et, étant moi-même un criminel, c’était le sort qui m’attendait.
CHAPITRE 4
Je n’ai jamais su le nom de ce jeune homme. Et je ne le connaîtrai jamais. Le nom de mon sauveur. Car c’est ce qu’il est. Même si je ne le compris pas sur le moment, ce jour-là, il me sauva la vie. La Ligue de Saru m’aurait étripé et aurait jeté mon cadavre à la mer. Ou alors, elle aurait vu un potentiel en moi et l’aurait exploité. Je ne sais pas ce qui aurait été le pire. C’est peut-être aussi à cause de cette crainte que Seika s’est sacrifiée.
Je passai quelques jours sur le Rougoku, croisant toutes sortes de personnes. La seule chose dont je suis sûr concernant ces soi-disant criminels, c’est que la plupart d’entre eux étaient innocents. Victimes, même. Ils avaient tous été abusés par un système corrompu. Tout comme moi. Nous nous retrouvions entre martyrs, attendant notre sentence.
Et elle arriva. Plus tôt que je ne l’aurais voulu. Une nuit, alors que je tentais de trouver le sommeil, un garde de la Sécurité Pénitentiaire entra dans ma cellule en trombes.
- C’est l’heure, dit-il simplement.
Je le suivis sans protester jusqu’à une porte renforcée sur laquelle je pus lire « Salle de cryostase ».
C’est l’heure, en effet, pensai-je.
On m’ordonna d’enfiler une combinaison d’hibernation. Une fois cela fait, on m’escorta jusqu’à une cabine cryogénique. Je n’en avais jamais vue auparavant. J’en avais déjà entendu parler, bien sûr, mais je ne pensais pas en avoir une en face de moi, un jour. Être son passager, encore moins. Et pourtant…
Je pris place dans la capsule et la porte se ferma. Puis, un souffle glacé me gela tout le corps et je perdis connaissance.
Je ne sais pas ce qui se passa ensuite. Je sais juste que deux années s’écoulèrent entre mon départ du Rougoku et mon arrivée sur Terre. Deux années durant lesquelles je voyageai dans l’espace, seul. Perdu au milieu des étoiles. Mes parents me furent enlevés trop tôt. Ma liberté également. Quand je compris qu’on allait m’expulser et m’envoyer sur la planète la plus chaotique de l’univers, je pensai que rien n’aurait pu être pire. Cependant, si j’avais su la vie qui m’attendait sur Terre, je me serais réjoui.
Mon atterrissage ne fut pas de toute beauté, d’après les dires de Solus. L’impact contre la montagne fut violent. Heureusement, la neige amortit ma chute. Il y eut sûrement une erreur de calcul car les exilés n’échouent jamais Par-Delà les Montagnes.
Quand je revins à moi, des lumières rouges clignotaient de tous côtés, sans que je comprenne pourquoi. La capsule s’ouvrit. Quand j’étais petit, on m’avait expliqué que la température ambiante de la Terre était nettement supérieure à celle de Hiyoku, à cause du réchauffement climatique engendré par l’Homme et sa pollution, entre autres. Toutefois, quand l’air s’engouffra dans la cabine, j’eus l’impression de plonger la tête la première dans l’eau glacée de la Mer Reisui.
J’eus du mal à respirer, au début. Puis, je pris la décision de sortir de mon minuscule véhicule spatial afin de ne pas geler sur place. Je m’extirpai tant bien que mal de la cabine, et essayai de me mettre debout. J’eus l’impression que mes jambes se brisèrent sous mon poids. Je m’étalai dans la neige d’un blanc éclatant. Je dirigeai mes yeux vers le ciel et j’aperçus le soleil briller à travers les épais nuages orangés s’étalant à perte de vue. Grâce à ma combinaison cryogénique, je n’eus pas réellement froid. En revanche, la faim et la soif ne m’épargnèrent pas. Et, malgré tous mes efforts pour essayer de réveiller mes jambes, je ne parvins pas à me lever. Ou pouvais-je aller, de toute manière ? Il n’y avait que la neige, les nuages et le vide autour de moi. Je m’allongeai sur le sol blanc et fermai les yeux.
Puis, j’entendis la neige crisser. Des pas. M’aidant de la cabine pour me redresser, je réussis à me mettre sur mes jambes. Je tombai nez-à-nez avec un homme, faisant plus que son âge, vêtu chaudement. Ses vêtements, ses cheveux et sa longue barbe ondulaient sous le vent. Mon regard se baissa et je vis avec surprise que l’homme possédait une monture. Mais, pas n’importe laquelle. Solus m’expliqua plus tard qu’il s’agissait d’un animal appelé bouquetin, très à l’aise en montagnes. Celui-ci était immense et il lui manquait une corne.
- Qui êtes-vous ? balbutiai-je, méfiant.
La voix de l’homme résonna dans la montagne.
- C’est à toi que je devrais demander ça, étranger.
- Je… Je ne viens pas d’ici.
- Ça, j’avais remarqué. Les exilés n’atterrissent plus dans le Pulveris Crater, maintenant ?
Je ne compris pas un traître mot de ce qu’il racontait.
- Que me voulez-vous ? demandai-je simplement.
- Qu’on me laisse tranquille. J’étais curieux de voir ce qui s’était écrasé sur ma montagne, c’est tout.
- Votre montagne ?
- Je l’appelle comme ça car il n’y a que moi et Corne D’Acier qui vivons ici. Mais le Pic Enneigé appartient au Brasier Somnolant.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis l’Ermite des Montagnes, mon petit. Et là, tu es chez moi.
- Et vous avez un vrai nom ?
- Oui… Mais je ne l’utilise plus depuis longtemps.
- Et quel est-il ?
Il hésita avant de répondre.
- Solus Mitae.
Puis, il ordonna à sa monture de faire demi-tour d’un léger coup de talon.
- Adieu, petit. Et bonne chance.
- Attendez…
Avant de réussir à lui demander de l’aide, ma tête tourna et je m’effondrai une nouvelle fois sur la neige.
Quelques heures ou minutes plus tard, la langue de Corne D’Acier se baladant sur mon visage me réveilla.
- Eh ! retentit la voix de Solus Mitae. Ce n’est pas de la nourriture ! Pas pour toi, en tout cas. Laisse-le tranquille, tu veux ?
Reprenant mes esprits, je sentis l’odeur du repas que l’Ermite des Montagnes préparait. Je regardai les murs de la grotte qui m’entouraient.
- Où sommes-nous ? voulus-je savoir.
- Chez moi.
Le bouquetin émit un bruissement.
- Oui, et chez toi aussi, Corne D’Acier.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Ça, mon cher, c’est un bouquetin.
- Une de ses cornes est cassée ?
- Oui, en effet. Je l’ai trouvé comme ça. Il était blessé. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais sa corne gisait juste à côté de lui. Je l’ai soigné comme j’ai pu, mais je n’ai pas réussi à recoller la corne.
- Je n’ai jamais vu un tel animal.
- Tu n’es pas le seul, petit. La plus grande partie de la faune et de la flore sur cette planète a évolué dans un seul but : tuer. Mais pas ici. Tout, ou presque, est resté comme avant.
Il me tendit un morceau de viande cuit.
- Comme cette marmotte. Mange, il faut que tu reprennes des forces.
Je pris la nourriture et la dévorai sans plus attendre.
- Merci. C’est très bon.
- Comme tout ce qu’on trouve ici.
- Où sommes-nous ?
- Nous sommes sur le Brasier Somnolant. C’est un ancien volcan, endormi depuis des siècles, voire des millénaires. Ce qui est étonnant c’est que la seule neige que j’ai pu voir dans ma vie se trouve à son sommet et ne disparaît jamais. C’est pour cela que je l’appelle le Pic Enneigé. Tout autour de nous, il y a une chaîne de montagnes qui délimite la frontière des Territoires Sauvages. Les habitants des Territoires Civilisés disent « Par-Delà les Montagnes ».
- Comment se fait-il que vous parliez la même langue que moi ?
Mitae rit.
- On ne vous apprend pas grand-chose sur Hiyoku, n’est-ce pas ? Un peu avant la Grande Migration, les humains ont compris qu’ils allaient devoir travailler ensemble s’ils voulaient conquérir une nouvelle planète et rebâtir une civilisation. Les gouvernements des différentes nations se sont donc mis d’accord pour qu’une seule langue soit utilisée, au sein de l’humanité. Ce langage s’appelle l’oraversalis. Après la Grande Migration, les frontières que l’on connaissait se sont peu à peu effacées et de nouvelles se sont mises en place. Toujours est-il que sur Terre comme sur Hiyoku, aujourd’hui, tout le monde parle la même langue. Et, de la même manière, il y a un gouvernement unique pour diriger la planète entière sur les deux mondes. En théorie, du moins.
- Qui est à la tête du Gouvernement Planétaire, ici ?
- On l’appelle le Benefactori. Certains le surnomment Aegrotus. Je ne connais pas son vrai nom et je m’en fiche. Tout ceci ne me concerne plus.
- Pourquoi vous êtes-vous retiré de la civilisation ?
- Tu en as des questions, petit ! Tiens, prends un autre morceau de marmotte.
Il me tendit un second bout de viande, que j’engloutis aussitôt.
- Vous n’avez pas répondu à ma question, dis-je, la bouche pleine.
- Qui te dit que j’ai eu le choix ?
- Vous êtes un ermite, vous l’avez dit vous-même.
- Tu marques un point.
Il soupira.
- J’habitais dans une petite ville, entre le Pulveris Crater et Patrona Urbs, la capitale. Un marché y était organisé chaque semaine, quand j’étais petit. Je n’aimais pas ce jour car il signifiait que j’allais devoir supporter le spectacle des ventes d’êtres humains, adultes comme enfants. À défaut de posséder une arène dans notre ville, des combats étaient organisés entre esclaves, dans la rue, de temps en temps. Puis, le jour du marché est devenu plus fréquent. Deux fois par semaine. Quatre fois par semaine. Cela avait tellement de succès que la ville entière s’est transformée en un marché géant et a pris le nom « Magnus Forum », accueillant, chaque jour, de plus en plus de clients. Les habitants ont été chassés de chez eux. Mes amis, ma famille ont été capturés et vendus comme de vulgaires objets. J’ai été séparé de mes parents alors que je n’avais que dix ans. J’ai été vendu comme esclave. J’ai travaillé pour un propriétaire d’arène pendant des années. Je nettoyais le sang et ramassais les corps des Titans morts, après les combats. Et, un beau jour, j’ai été affranchi et libéré. Dégoûté de l’humanité, j’ai alors entrepris un long périple qui m’a mené jusqu’ici. Depuis, je m’adapte pour survivre. Je mange ce que je chasse, pêche et cueille et ma vie n’a jamais été aussi heureuse.
Un léger silence suivit son récit, pendant lequel je tentais d’assimiler et de comprendre tout ce que je venais d’entendre.
- J’ai perdu mes parents à cause de la corruption des Hommes, moi aussi, finis-je par avouer. Tout comme vous, j’ai dû m’adapter pour rester en vie.
Il me sourit.
- Nous ne sommes peut-être pas aussi différents que nous en avons l’air, finalement.
Il posa sur moi un regard paternel.
- Allez, repose-toi. Tu en as besoin.
CHAPITRE 5
Des semaines, puis des mois passèrent. Au début, ma combinaison d’hibernation me tint chaud, mais, rapidement, elle devint particulièrement inconfortable. Solus me fabriqua donc des vêtements avec des fourrures d’animaux et, par la même occasion, il m’apprit à faire de même. Je m’instruis grandement auprès de l’Ermite des Montagnes. J’appris à chasser, pêcher, reconnaître les fruits et les plantes toxiques, escalader les montagnes. Il me laissait même monter sur le dos de Corne D’Acier, parfois. Ce qui n’était pas toujours le cas de ce dernier.
Je vécus au jour le jour. Comme sur Hiyoku. La différence étant que, sur Terre, en compagnie de Solus Mitae, je n’eus pas besoin de me cacher des autres. À aucun moment, je ne craignis pour ma vie. À ses côtés, je me sentais en sécurité.
Mitae m’appris énormément de choses sur le fonctionnement du système terrien. Je compris que les Combats de Titans étaient la clé pour garder le peu de stabilité qu’il restait sur cette planète. Il m’expliqua comment fonctionnait l’économie et le principe des rations.
De la nourriture plutôt que de l’argent, pas bête, pensai-je.
J’écoutais très attentivement toutes les informations qu’il me donnait. Je ne saisissais pas tout, mais je notais ce que j’entendais dans un coin de ma tête. Je savais que je ne vivrais pas toute ma vie sur le Brasier Somnolant avec l’Ermite des Montagnes. Il y avait tout un monde autour et je comptais bien le découvrir. Et si je voulais m’adapter dans ce monde, chaque information, chaque point de vue pouvait m’être utile.
Ainsi, j’appris que les montagnes étaient entourées par les Territoires Sauvages d’un côté et par le Pulveris Crater de l’autre. Il m’expliqua que les Territoires Sauvages étaient une mer, autrefois. Désormais, cette mer était complétement asséchée. « Un désert de sable sans fin », voilà les mots que Solus utilisa. Cependant, des rumeurs racontaient que des tribus de nomades y vivaient. Les autres histoires dont me fît part Mitae concernant cet endroit furent plus absurdes les unes que les autres.
- La vérité, conclut-il, c’est qu’on ne sait rien sur ces terres. Excepté que le danger y rôde. La plupart des habitants des Territoires Civilisés ne se sont jamais aventurés Par-Delà les Montagnes. Ils ont déjà peur de mettre un pied dans le Pulveris Crater, alors escalader le Brasier Somnolant jusqu’au Pic Enneigé comme nous le faisons, ils en seraient tout bonnement incapables !
Le Pulveris Crater est également un désert. Solus me l’avait expliqué plus tôt. Mais celui-ci est plus aride. Constitué uniquement de graviers, de poussière et d’un brouillard quasiment irrespirable. Des animaux et des plantes avaient élu domicile dans le désert de poussière. Des êtres vivants ayant évolué dans le seul but d’anéantir toute autre forme de vie qui croisait leur chemin.
- Cependant, petit, le Pulveris Crater abrite une petite lueur d’espoir. Une étoile scintillante dans le vide infini de l’espace. Les Terres d’Hogosha. Un paradis en plein cœur de l’enfer. Hogosha était le Premier Exilé. Il a bâti une oasis pour toutes les âmes égarées. Aujourd’hui, son descendant dirige cette communauté. La vie y est paisible. Les gens sont simples, joyeux. Isolés de la misère s’étant emparée de notre monde. Ils m’ont sauvé la vie pendant mon voyage jusqu’ici. J’ai été attaqué par un shredder, près de leurs terres. Les shredders sont d’horribles créatures carnivores et féroces. Mais, avant que le monstre m’achève, un habitant des Terres d’Hogosha m’est venu en aide et m’a amené à son village. Ils m’ont soigné, sans rien attendre en retour. Ils m’ont offert une place au sein de leur communauté, mais je ne pouvais pas rester. Ou plutôt, je ne voulais pas. Après tout ce que les humains m’avaient fait subir, je ne me sentais pas prêt à revivre en groupe. J’ai donc préféré la solitude. Je les ai remerciés et j’ai repris ma route jusqu’aux montagnes.
L’Ermite me raconta bien d’autres histoires incroyables. Sa vie avait été pleine d’aventures plus extraordinaires les unes que les autres. Au fil des mois, je pris plaisir à l’écouter me conter ses péripéties.
Puis, un soir, nous nous assîmes sur le sol de la grotte, près du feu de camp, afin de préparer notre dîner. Tandis que ce dernier mijotait, Solus posa une fois de plus son habituel regard paternel sur moi.
- J’ai quelque chose pour toi, petit, annonça-t-il.
- Pour moi ?
- Oui. Tu vois quelqu’un d’autre ici ?
Corne D’Acier était en boule, en train de dormir, un peu plus loin.
- Tu sais, continua-t-il, la première fois que je t’ai vu, sur le Pic Enneigé, je voulais vraiment te laisser là, livré à toi-même. Je n’avais que faire de savoir si tu t’en sortirais ou non. Je ne suis pas venu ici pour me faire des amis.
- Mais tu t’en es fait un, commentai-je avec un sourire malicieux.
Il me renvoya mon rictus.
- Oui. C’est quand je t’ai vu t’évanouir que j’ai pris conscience de ma lâcheté et de mon égoïsme. J’ai fui les humains car je les trouvais cruels. En quoi aurais-je été différent, si je t’avais laissé mourir ? Alors je t’ai ramené chez moi et j’ai pris soin de toi. Puis, avec le temps, j’ai appris à refaire confiance. À te faire confiance. Je me suis souvenu de ce qu’était l’amitié. Tu m’as rappelé ce que ça faisait de rire de bon cœur et de se raconter des histoires au coin du feu.
Il sortit quelque chose de sa sacoche en fourrure.
- C’est pourquoi, en signe de confiance et d’affection, je tenais à t’offrir ceci.
Il me tendit la corne manquante du bouquetin.
- C’est la chose la plus précieuse que je possède.
Quelque peu surpris mais fier, je la pris. Cela me rappela la fleur d’Eyen que ma mère m’avait offerte dans cette usine de recyclage. Cet unique souvenir qui m’avait été arraché à mon arrivée sur le Rougoku.
- Merci… C’est… C’est un honneur.
Nous passâmes un instant à nous regarder, sourire aux lèvres. Puis, Solus rompit le silence en riant.
- Allez, range ça avant que Corne D’Acier ne la voie.
Comme s’il avait compris que nous parlions de lui, le bouquetin se réveilla en grognant. Tout tremblotant, il se mit sur ses jambes d’un air paniqué. Mitae saisit que quelque chose n’allait pas.
- Qu’y a-t-il, Corne D’Acier ?
Comme pour répondre à sa question, le sol se mit à trembler, lui aussi.
- Que se passe-t-il ? demandai-je.
- Je n’en sais rien.
Toute la grotte vrombit et, en un éclair, Solus comprit.
- Oh, non…
- Quoi ?
Il se leva.
- Pourquoi faut-il que ça arrive maintenant ? Prends tes affaires, petit. Il faut s’en aller et vite !
- Solus, explique-moi.
Il plongea un regard effrayé dans le mien.
- Le Brasier se réveille.
Durant des centaines, peut-être même des milliers d’années, ce volcan dormait paisiblement. Pourquoi a-t-il fallu qu’il entre en éruption à ce moment précis ?
- Dépêche-toi, petit ! On n’a plus le temps !
Tandis que je fourrais le cadeau de l’Ermite dans mon sac, j’entendis la pierre craqueler. Je levai les yeux et vis, en effet, des fissures grandir partout dans la grotte.
- J’arrive !
Corne D’Acier sauta partout, complétement paniqué.
- Du calme, mon beau, tenta de le calmer Mitae.
Un bruit de craquement, plus fort que les précédents se fit entendre. Un énorme bloc de pierres se décrocha du plafond et s’effondra à quelques mètres de moi.
- On y va ! hurla Solus.
Sans perdre de temps, je mis mon sac en bandoulière, et rejoignis l’Ermite des Montagnes.
- Allez !
Nous partîmes en hâte en direction de la sortie de la grotte. Arrivés à l’ouverture, je sortis le premier, Solus sur mes talons. Nous remarquâmes alors que Corne D’Acier ne nous suivait plus. L’animal resta planté à l’entrée de la grotte à bégueter.
- N’aies pas peur ! Allez, viens, tas de fourrure ! lui ordonna son maître.
Mais le bouquetin ne broncha pas.
- Espèce de lâche, tu vas bouger tes grosses fesses, oui ?!
- Il n’a pas peur, constatai-je. Il ne veut pas quitter la grotte. Il y est attaché.
Un vrombissement assourdissant retentit et d’immenses rochers déboulèrent de tous côtés.
- On trouvera une autre grotte, ce n’est pas ce qui manque ici ! Allez, bouge-toi !
- La grotte va s’effondrer ! observai-je avec horreur.
- Je vais le chercher !
- Solus, attend !
L’Ermite des Montagnes n’allait pas abandonner son animal. C’était un fait.
Il fonça vers Corne D’Acier, tout en évitant les rochers. Je tentai de l’arrêter en courant derrière lui. Arrivé au niveau du bouquetin, Solus tira sur sa corne.
- Mais tu vas avancer, bon sang !
Mon pied glissa dans une crevasse et je m’étalai sur le sol rocailleux. En relevant la tête, je vis le haut de la grotte trembler de plus en plus et je compris ce qui était sur le point de se passer.
- Solus ! Attention !
Comme Corne D’Acier, Mitae n’en fit qu’à sa tête. Il n’écouta pas mon avertissement et, quelques secondes plus tard, le haut de la grotte s’effrita et d’énormes morceaux de pierres s’abattirent sur l’animal et son maître.
- Non ! criai-je, impuissant.
Je me relevai d’un bond et me précipitai vers mon ami.
Le bouquetin était déjà mort. Solus n’en était pas loin.
- Solus ! Tu peux bouger ? Il faut te sortir de là.
- Ça ne sert à rien, balbutia-t-il. C’est trop tard pour moi.
- Non ! Ne dis pas ça !
- C’est la vérité et tu le sais.
Il gémit de douleur sous les rochers qui l’écrasaient.
- Je pensais mourir seul, tu sais… Mais grâce à toi, ce ne sera pas le cas. Je suis si heureux que tu aies atterri sur le Pic Enneigé. Je suis si heureux d’avoir pu te connaitre, petit.
Un geyser de lave jaillit au sommet du volcan.
- Va-t’en, petit. Ne meurs pas bêtement, comme moi. Tu as tant de choses à vivre. Merci pour tout ce que tu m’as apporté, Arkanys.
Les yeux de Solus Mitae se fermèrent. La vie quitta son corps.
Retenant mes larmes, je tournai les talons et m’enfuis le plus vite et le plus loin possible, laissant le volcan engloutir mon ami.
CHAPITRE 6
À cause du réveil du Brasier, je n’eus d’autres choix que de quitter le volcan. Ce fut un voyage de plusieurs jours. Heureusement, avant que le Brasier entre en éruption, j’avais eu le temps de m’emparer de mon sac dans lequel les provisions ne faisaient pas défaut. Solus et moi gardions toujours des vivres de côté, au cas où la chasse n’aurait pas été fructueuse. Grâce à l’Ermite des Montagnes, je savais chasser et pêcher, mais je n’en avais pas le temps. Au-dessus de moi, le manteau blanc du Pic Enneigé fondit entièrement en l’espace de quelques heures seulement. La lave gagnait un peu plus de terrain, chaque minute. Si je voulais rester en vie, je devais être rapide.
Trois ou quatre jours après mon départ – je ne sais même plus car je ne dormis pas une seule nuit –, je posai enfin le pied sur le sol des Territoires Sauvages. Lors de ma descente, alors que la lave coulait le long du volcan, plus j’approchai du sol, plus il fit chaud. Dans le désert régnait une chaleur étouffante. Suffocante, même.
Enfin, me dis-je.
Je jetai un œil dans mon sac et m’aperçus qu’il ne me restait plus grand-chose, si ce n’était ma veste de fourrure et la corne que Mitae m’avait offerte.