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Oubliez tout ce que vous croyez savoir... Le monde qui vous entoure n'est qu'une dimension parmi tant d'autres. L'Univers est, en réalité, composé de Treize Dimensions, chacune dirigée par un Être Céleste, tous créés par Iwav, le Tout-Puissant. Le maléfique Dyhaso est le seul d'entre eux à avoir réussi l'exploit de trahir son concepteur. Depuis, il cherche un moyen de prendre le contrôle de l'Univers. Lowylyk Lypa, un puissant mage, a déjoué ses plans, il y a bien des siècles, en l'emprisonnant, lui et son armée. Mais, aujourd'hui, les Ténèbres sont de retour, bien plus puissantes qu'à l'époque, et le seul espoir de la Lumière est la descendante de Lowylyk, Janna, une jeune humaine qui n'a aucune idée des pouvoirs qu'elle possède... Ce livre est le premier tome d'une trilogie fantastique d'aventure, mettant en scène des humains dotés de pouvoirs incroyables, des mages, des créatures extraordinaires et des entités divines. Se déroulant dans un univers aussi vaste que riche, cette première partie se concentre sur Janna Lypa, une humaine de notre monde qui se retrouve embarquée dans une épopée la dépassant complètement. Alternant entre conflits intérieurs et guerre d'ampleur cosmique, elle et son nouveau mentor, Jay Lokwur, devront tout faire pour empêcher l'Univers de sombrer dans les Ténèbres.
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Seitenzahl: 525
Veröffentlichungsjahr: 2022
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CHAPITRE 1 : Origines
CHAPITRE 2 : Le Triomphe du Bien
CHAPITRE 3 : Les Cendres du Mal
CHAPITRE 4 : Prodigieux Héritage
CHAPITRE 5 : Destinée
CHAPITRE 6 : Une Traque Sans Fin
CHAPITRE 7 : L’Art de la Tromperie
CHAPITRE 8 : Mise à l’Épreuve
CHAPITRE 9 : Le Visage de l’Omniscience
CHAPITRE 10 : Sage Conseil
CHAPITRE 11 : Pouvoir Insoupçonné
CHAPITRE 12 : Macabres Confessions
CHAPITRE 13 : Horizon Funeste
CHAPITRE 14 : Renforts Impérieux
CHAPITRE 15 : Ampleur Cosmique
CHAPITRE 16 : Immortel Survivant
CHAPITRE 17 : Un Autre Chemin
CHAPITRE 18 : Apparition du Passé
CHAPITRE 19 : Infernale Résurrection
CHAPITRE 20 : Coalition de la Nuit
CHAPITRE 21 : Éternelle Animosité
CHAPITRE 22 : Secrets Enfouis
CHAPITRE 23 : Lointaine Excursion
CHAPITRE 24 : Hargneux Imprévu
CHAPITRE 25 : Clairvoyance Révélatrice
CHAPITRE 26 : Maîtres de la Fourberie
CHAPITRE 27 : Achèvement Imminent
CHAPITRE 28 : Épreuve de Foi
CHAPITRE 29 : Destin Incertain
CHAPITRE 30 : Délivrance Maléfique
CHAPITRE 31 : Alliance Divine
CHAPITRE 32 : La Main des Dieux
CHAPITRE 33 : L’Ère des Ténèbres
À l’aube des temps, au commencement de toute-chose, il n’y avait rien. Rien d’autre que le Vide Universel. Dans un coin de cette toile vierge, une lueur naquit. Peu à peu, cette étincelle grandit, se transformant en une étoile scintillante dans une obscurité infinie. Elle crût jusqu’à faire du vide absolu son foyer. En quelques éternités, cet être de lumière, né du Néant, apprit à maîtriser en partie les forces qui l’entouraient et créa la Première Dimension, qu’il baptisa Ozyxill, le Royaume Étincelant.
Le Rejeton du Néant, l’Enfant de l’Univers, put alors enfin prendre forme physique. Cette enveloppe corporelle ne pouvait rester anonyme, c’est pourquoi elle prit le nom d’Iwav, le Tout-Puissant.
Cependant, malgré sa puissance, il était seul et Ozyxill ne pouvait être le Royaume Étincelant sans sujets à gouverner. C’est alors qu’Iwav utilisa ses inimaginables pouvoirs pour mettre au monde douze de ses semblables, les fils et les filles du Monarque Éternel : les Êtres Célestes.
Chacun d’entre eux fut associé à un caractère divin ou mortel. Il y avait Moann pour l’Omniscience, Stala pour l’Équilibre, Stepïas pour la Rigueur, Ioa pour l’Ignorance, Eavol pour le Pouvoir, Pristis pour l’Esprit, Naëtian pour la Sagesse, Raebus pour l’Orgueil, Bariael pour la Liberté, Fridor pour le Courage, Drania pour la Colère et enfin Dyhaso pour la Cupidité.
Iwav, le Tout-Puissant, confia la tâche aux Êtres Célestes de régner sur les autres Dimensions, extension de son royaume. Ainsi, Moann fut assignée à Jyolark, Stala à Orvokast, Stepïas à Begalux, Ioa à Avva, Eavol à Teviakort, Pristis à Hyzromiak, Naëtian à Aztu, Raebus à Nüv, Bariael à Proya, Fridor à Fleor et Drania à Widerma.
Il n’en restait qu’un : Dyhaso. Le seul à qui Iwav ne trouva aucun rôle, comme si la Cupidité n’avait pas sa place dans un univers parfait. Dyhaso fut l’unique être à avoir réussi l’exploit de faire douter Iwav, le Tout-Puissant. Si la vision du Rejeton du Néant était si peu claire, c’était à cause de la puissance dont faisait preuve Dyhaso. Depuis sa conception, il possédait un pouvoir inné, supérieur à celui de tous les autres Êtres Célestes, égalant quasiment celui de son créateur.
Iwav décida alors de le prendre sous son aile, de manière à éclaircir son jugement. Il lui confia son savoir, la clé de ses mystères. Il lui apprit tout ce qu’il devait connaître pour canaliser cette puissance brûlant au fond de lui. Il partagea ses connaissances, espérant former un potentiel héritier digne de le succéder. Dyhaso était un excellent élève, à tel point qu’il atteignit très rapidement un niveau proche de celui de l’Enfant de l’Univers.
Seulement, il incarnait la Cupidité et en voulait toujours davantage. Un beau jour, après une éternité passée au service du Monarque Éternel, il décida que le temps était venu pour l’élève de dépasser le maître. Il tenta donc d’éliminer Iwav et de s’emparer d’Ozyxill, le Royaume Étincelant. Hélas pour lui, Iwav, le Tout-Puissant, ne portait pas ce nom par hasard. Certes, il lui avait dévoilé bon nombre de ses connaissances, mais il gardait tout de même quelques secrets pour lui. Dyhaso échoua, pour le plus grand bien de l’Univers, et fut envoyé dans la Troisième Dimension, Orvokast, le Monde des Damnés, afin d’être jugé par Stala.
L’incarnation de l’Équilibre le condamna à passer le restant de son existence dans la Quatrième Dimension, Begalux, la Prison des Âmes, dirigée par Stepïas. Là-bas, sa destinée serait de dépérir durant des millions de siècles, coupé de toute force interdimensionnelle, jusqu’à l’épuisement total de son énergie vitale.
Toutefois, Dyhaso n’arriva jamais à Begalux. Grâce au savoir transmis par son maître, il jeta un sort à l’incarnation de la Rigueur, Stepïas, la Gardienne, qui allait lentement avoir raison d’elle. Puis, il parvint à s’échapper et se réfugia dans le Néant, l’espace englobant les Dimensions, grâce à Nylahys, la Porte Entre les Mondes. Puisant dans tout son pouvoir, il réussit ce qu’un seul être avait réussi avant lui : il créa son propre univers, la Treizième Dimension, qu’il nomma Yzott, le Royaume Ténébreux.
Protégé de ses frères et sœurs dans ce nouveau monde et rongé par la haine de son échec, il conçut des milliers de créatures maléfiques, semblables à des spectres : les Tudzyu. Il en constitua une armée entière, qu’il appela Eleco-Yralok, l’Armée des Ombres.
À partir de cet instant, il consacra chaque moment de sa vie à chercher un moyen de venir à bout de son ancien mentor et de s’emparer de l’objet de sa convoitise. Il allait tout faire pour que son désir de vengeance et sa soif de pouvoir soient assouvis.
Bientôt, Dyhaso en était persuadé, il détrônerait Iwav et deviendrait le maître incontesté des Treize Dimensions.
1327 après Jésus Christ. Prison française. Cinquième Dimension : Avva.
Un cafard sortit d’un trou dans un mur, passa son chemin et disparut aussitôt. Lowylyk Lypa l’ajouta à la liste. Depuis qu’il était là, son unique occupation était de compter les insectes qu’il voyait se faufiler devant lui.
La nuit était tombée, il le savait, même si aucune fenêtre aux alentours ne pouvait le lui confirmer. Enfermé dans cette cellule miteuse depuis plusieurs heures, il commença à s’impatienter. De quoi était-il accusé ? De sorcellerie et de magie noire. Ce n’était pas la première fois. Il faut dire que ses longs cheveux couleur argent et ses yeux blancs ne l’avaient jamais aidé à prouver son innocence. Et, de toute façon, il était coupable.
Lors de son arrestation, il aurait pu se défendre facilement. Mais, d’un côté, il ne voulait pas donner raison à ses persécuteurs. Personne ne devait savoir que la magie existait dans cette Dimension, ce n’était pas pour rien qu’elle était dirigée par Ioa, l’incarnation de l’Ignorance. Et, d’un autre côté, il ne voulait pas risquer de blesser ou de tuer les pauvres maladroits pensant assurer la protection des leurs en jetant un sorcier aux oubliettes. Qui plus est, il était probablement davantage en sécurité ici que n’importe où ailleurs.
Le sol trembla et le ciel gronda.
Ça commence, pensa Lowylyk. Il m’a retrouvé.
Comment en était-il arrivé là ? Quels éléments l’avaient amené dans cette cellule ? C’était une longue histoire.
Tout commença il y avait bien longtemps, lorsque Stepïas, Gardienne de Begalux, s’accoupla avec un mortel du nom de Lypa. Un habitant de la Terre, un monde de la Dimension Avva. De leur union naquit un Être Demi-céleste.
À sa mort prématurée, engendrée par Dyhaso, le Maléfique, Stepïas chargea ses descendants de veiller sur Begalux et de chasser les Tudzyu, ces créatures maudites créées par Dyhaso, qui s’aventureraient hors d’Yzott. Depuis ce temps, les membres de la famille Lypa étaient devenus à la fois Gardiens et Chasseurs de Spectres. Et cela perdurerait, même après Lowylyk, si l’Univers le voulait bien.
Stepïas offrit un rôle à jouer aux Lypa. Mais ce ne fut pas la seule chose qui leur fut confiée. Stala, Maîtresse d’Orvokast, remit entre leurs mains le destin des Treize Dimensions. De peur que Dyhaso s’en empare, elle leur donna secrètement le Médaillon Divin, l’unique objet, de tous les univers, capable de détruire Iwav lui-même. L’artefact le plus puissant ayant jamais existé. Afin de maintenir l’Équilibre Interdimensionnel, Stala ordonna aux Semi-célestes de le dissimuler sur Terre, parmi les mortels d’Avva. C’était là que Dyhaso, le Déchu, avait le moins de chance de le retrouver.
Tout se déroula bien pendant des générations, les Gardiens alternant entre la protection d’Avva et de Begalux, aidés par les Cerbères. Jusqu’au jour où une étrange chose se produisit. Une naissance pour le moins insolite eut lieu, au sein des mortels de la Terre.
Alors qu’elle était encore vierge, le ventre d’une femme se mit à grossir. On pensa d’abord à un miracle, une immaculée conception. Toutefois, la jeune femme fut bien déçue lorsqu’elle comprit qu’elle n’enfanterait pas un ange, mais bel et bien un démon. Elle n’eut pas vraiment le temps de s’attarder sur cette réflexion car, quelques semaines seulement après qu’elle tombât enceinte, la créature qu’elle portait décida subitement de sortir de sa coquille. Le monstre déchira le ventre de sa mère de l’intérieur pour en sortir, ce qui la tua presque instantanément. L’enfant était une femelle. À première vue, elle ressemblait à toutes les autres petites filles, mis à part ses yeux verts perçants, ses ongles semblables à de petites griffes, sa langue fourchue et sa capacité apparemment innée à cracher du feu. On chercha à tuer cette abomination, mais personne n’y parvint. Elle resta plusieurs jours dans cette pièce humide et froide où elle avait vu le jour, se nourrissant du cadavre de sa propre mère.
Cette anomalie attira l’attention de Dyhaso. Un être comme celui-ci n’avait rien à faire dans une Dimension comme celle-là. Quelque chose perturbait l’Équilibre Interdimensionnel sans alerter Stala, qui restait bien au chaud à Orvokast.
Dyhaso se rendit donc à Avva. Il recueillit cette créature abandonnée de tous et la nomma Ekinoka. Elle devint sa disciple et ils se lancèrent ensemble à la recherche de la perturbation.
En quelques années seulement, ils comprirent quelle en était l’origine : le Médaillon Divin. Le seul artefact capable d’éliminer Iwav pour de bon et prendre sa place. Le Médaillon en sa possession, Dyhaso serait inarrêtable. Avec son apprentie, il partit alors en quête de cet objet surpuissant.
De son côté, Lowylyk trouva lui aussi un disciple. Les turbulences mystiques générées par la présence du Médaillon Divin à Avva créèrent effectivement plusieurs êtres sensibles aux Arts Ésotériques et aux pouvoirs dimensionnels. Ce fut de ces perturbations que naquit Jay Lokwur. Lowylyk sentit sa présence et le prit sous son aile avant que Dyhaso ne puisse lui mettre la main dessus. Jay ignorait tout des pouvoirs qu’il possédait, mais il apprit très vite.
Lowylyk et son élève pouvaient sentir la présence maléfique de Dyhaso et d’Ekinoka. Ils savaient qu’ils étaient à leur recherche. Une course-poursuite à travers le monde commença alors. Cependant, Lypa et Lokwur étaient conscients qu’ils ne pourraient pas courir éternellement. Ils devaient trouver un moyen de se débarrasser du Médaillon Divin, afin que leurs ennemis ne puissent continuer à suivre leur trace. Lowylyk eut donc une idée.
La puissance ne provenait pas du Médaillon en lui-même, mais du rubis qu’il contenait. On l’appelait « la Pierre de l’Éternité ». Grâce à un procédé magique, le maître et le disciple réussirent non sans mal à extirper la Pierre du Médaillon. La Pierre de l’Éternité à présent libre, ils devaient lui trouver une cachette que nul ne pourrait dénicher. Le descendant de Stepïas fabriqua alors une arme dans laquelle il dissimula la gemme. Une épée magique capable de se métamorphoser en n’importe quel objet. Cette épée fut baptisée Karagixu E’Rok, la Mangeuse d’Âmes.
Quelques semaines plus tard, tandis qu’il se préparait à l’arrivée prochaine d’Eleco-Yralok, l’armée de Dyhaso, à Avva, avec Jay, Lowylyk fut arrêté et jeté aux cachots. Et voilà que maintenant, il comptait les cafards se faufilant devant lui.
Le ciel grondait et le sol tremblait. Cela n’annonçait rien de bon. L’affrontement qu’il avait tant cherché à éviter était en réalité inéluctable. Le grondement se fit plus fort et le tremblement plus intense. Ce fut à ce moment-là que des gardes arrivèrent du bout du couloir, torches à la main.
— Qu’est-ce donc, sorcier ?! lui demanda un des deux. Est-ce toi qui fait trembler la terre et rugir le ciel ?
— Non, ce n’est pas moi, répondit calmement Lowylyk, depuis le fond de sa cellule. Quelque chose arrive.
— Quelle est cette chose ? chercha à savoir le deuxième garde.
— Le Mal. J’ai essayé de vous prévenir, mais vous avez préféré m’entraver.
Un nouveau grondement retentit, comme si un éclair s’était abattu juste au-dessus de leur tête.
— On croirait subir la colère de Dieu ! paniqua un garde.
Lowylyk ricana.
— Pas de Dieu, non, rectifia-t-il. C’est le Diable en personne qui est en chemin. Et il ne vient pas seul.
— Le Diable ?
— Ah oui, ce livre soi-disant sacré que vous appréciez tant s’est inspiré de celui que nous appelons Dyhaso, le Maléfique, pour créer Satan.
Les gardes étaient dubitatifs et dévisageaient Lowylyk sans savoir quoi répondre. Il continua.
— Écoutez. D’ici quelques minutes, Eleco-Yralok débarquera sur Terre. Des milliers de Tudzyu vont s’abattre sur nous et je suis le seul à pouvoir les arrêter, alors libérez-moi.
Les gardes restèrent silencieux un instant de plus. Puis, une secousse bien plus violente que les précédentes se fit ressentir. Des morceaux de roche se détachèrent des murs et du plafond. L’un d’entre eux sortit aussitôt ses clés pour ouvrir la porte du cachot.
Lowylyk sourit chaleureusement.
— Merci, messieurs.
Il s’élança dans le couloir.
— À présent, allons combattre le Mal, lança-t-il avec hardiesse.
— Tu as besoin d’une arme, sorcier ? héla l’autre garde en le regardant s’éloigner.
— Ne vous en faites pas…
Sur ces mots, Lypa détacha une magnifique broche, représentant la tête d’un dragon, de ses cheveux argentés, qui se transforma aussitôt en une grande épée somptueuse, sertie d’une pierre précieuse au niveau de la garde.
— J’ai ce qu’il faut.
Le Gardien de Begalux retrouva l’air libre et contempla le spectacle. L’apocalypse se déroulait sous ses yeux.
À travers la nuit, les éclairs et le tonnerre déchiraient le ciel, juste au-dessus de sa tête. Des rugissements macabres envahirent l’atmosphère. À la lueur des torches et des feux de camps, Lypa aperçut les Spectres se diriger droit sur lui, grâce à sa vue perçante.
Jay n’est pas loin, je le sens, se dit Lowylyk.
Les Tudzyu étaient quasiment invisibles la nuit. Ils se déplaçaient comme des ombres, ils n’avaient aucune forme. Ils ressemblaient à un nuage de fumée noire poussant des cris horribles, annonciateurs de mort.
Eleco-Yralok se dessina à l’horizon, en face de Lowylyk Lypa. Bientôt, elle allait s’abattre sur l’Humanité telle une pluie assassine. Il se prépara, se mit en garde, tenant Karagixu E’Rok bien fermement entre ses doigts de mage.
Les Spectres se rapprochaient de plus en plus quand le regard du Semi-céleste fut attiré par une flamme horizontale provenant d’une petite colline, à quelques dizaines de mètres. La flamme s’éteignit aussitôt. Il sourit.
Puis, il retourna son épée, planta la lame dans le sol et s’agenouilla devant, comme pour faire une prière.
Au même moment, sur la colline, le combat faisait rage entre Jay Lokwur et Ekinoka, les deux apprentis. La flamme qu’avait pu distinguer Lowylyk provenait de la gorge de la femme à langue de serpent. Jay tentait de faire gagner du temps à son maître.
— C’est de la folie ! hurla-t-il à son ennemie. Pourquoi servir Dyhaso ? Il est le Mal incarné !
Les yeux verts d’Ekinoka plongèrent dans ceux de Jay.
— Vous êtes le Mal pour moi ! répliqua-t-elle avec rage.
— Tu es prête à le laisser tout raser sur son passage juste pour obtenir une pierre ?
— S’il le faut, oui !
Une nouvelle fois, du feu sortit de sa bouche pour se diriger tout droit sur Lokwur. Jay plaça ses avant-bras en croix devant lui et le bouclier mystique qu’il créa autour de son corps le protégea.
— Vous n’arriverez jamais à vos fins ! reprit-il, quand Ekinoka fut à bout de souffle. Mon maître va terrasser votre armée et mettre fin à vos plans machiavéliques !
— Ça, j’en doute.
Sortant son sabre de l’étui dans son dos, la femme à langue fourchue et aux cheveux aussi verts que ses yeux fonça sur son adversaire. Jay extirpa également son arme de son fourreau et contra l’attaque, tandis que des milliers de Tudzyu passèrent au-dessus de leur tête.
— Que fait-il ?! Il prie ?
— Ce n’est pas le moment !
— Pourtant, c’est peut-être le dernier.
Autour de Lowylyk, toujours agenouillé devant Karagixu, les gens, prisonniers comme gardes, s’inquiétèrent. Leur soi-disant sauveur ne faisait absolument rien pour les aider. Il restait passif devant la situation devenant plus que jamais critique.
— Fuyons ! suggéra une voix apeurée.
Eleco-Yralok n’était plus qu’à quelques mètres et se déplaçait rapidement. Pour tout le monde, c’était la fin. Les Spectres allaient mettre un terme à leur misérable vie en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Puis, tout à coup, Lowylyk Lypa se décida enfin à bouger.
D’une rapidité incroyable, il retira l’épée du sol, se mit debout, dirigea la pointe vers le ciel et tendit les bras le plus haut possible. À cet instant, un rayon de lumière aveuglant fut libéré de la lame et vint frapper les nuages rugissants. Un gigantesque cercle lumineux se forma dans le ciel, éclairant le sol tel un soleil brillant.
Grâce à son pouvoir combiné à celui de la Pierre de l’Éternité, Lowylyk avait réussi à invoquer Nylahys, la Porte Entre les Mondes. Aussitôt, les Tudzyu furent tous, sans exception, aspirés par le portail interdimensionnel qui venait de s’ouvrir en plein milieu des cieux. Nylahys se referma, emprisonnant Eleco-Yralok pour toujours.
Lowylyk posa, malgré lui, un genou à terre quand le portail disparut. Puiser dans autant de forces n’était pas de tout repos, en particulier pour un semi-mortel. Derrière lui, les gens applaudirent et sifflèrent, heureux d’avoir échappé à la fin du monde.
Sur la colline, Ekinoka enragea de voir un tel spectacle.
— Non !!!
— Je te l’avais dit, lui rappela Jay. Tu as choisi le mauvais camp. Mais il n’est pas trop tard.
Il tendit une main à son adversaire, en signe de générosité. Ekinoka observa cette main humaine avec interrogation et mépris. Et, dans un geste rapide, elle la taillada violemment avec ses immondes griffes, ce qui fit pousser un cri à Lokwur.
— Jamais je ne me rallierai à vous ! riposta-t-elle. La puissance de notre armée n’était rien comparée à celle de mon maître ! Il vous anéantira !
Sur ces mots prononcés avec une haine féroce, elle envoya valser son adversaire à plusieurs mètres du sol sans même le toucher. Jay se réceptionna en limitant la casse comme il put.
Accroupi sur le gazon, il leva les yeux vers Ekinoka. Son regard avait changé. Il était en colère et déterminé.
— Très bien, perdit-il patience. Tu veux la jouer comme ça, vipère ? Alors, allons-y !
Dans un saut périlleux, il se jeta sur elle, arme en main, et un nouveau combat éclata.
Lowylyk se releva, essoufflé, et scruta l’horizon. Toute menace semblait écartée. Mais il sentit une présence derrière lui et un frisson glacial lui parcourut la colonne vertébrale. Avant qu’il n’ait eu le temps de se retourner, il fut propulsé en avant et roula sur le sol sur plusieurs mètres.
— Tu as vaincu mon armée, résonna la voix de celui qui l’avait attaqué. Et pour cela, je te félicite.
Dyhaso avait pris forme humaine. Il ressemblait à un splendide jeune homme, très bien bâti, sans aucune impureté sur la peau, des cheveux courts, bouclés, noirs comme le charbon et des yeux aussi sombres que l’Enfer.
— Tu es très puissant, Lowylyk Lypa. Tu ne fais pas tache à la réputation de ta famille. Réussir à invoquer Nylahys, pour un Semi-céleste comme toi, est un exploit incroyable. Tu m’as fait courir à travers ce monde, tu as cherché à me berner comme si je n’étais qu’un simple sorcier. Mais je suis un Être Céleste. Le plus puissant de tous. Et j’ai fini par te retrouver.
Lowylyk se releva difficilement et se mit en garde, paré à attaquer.
— Donne-moi la Pierre, Lypa.
— Tu ne l’auras jamais.
— Regarde-toi. L’invocation t’a épuisé. Épargne-toi ça et pars dignement.
— Jamais je ne céderai.
— Si tu me donnes la Pierre de l’Éternité, je pourrais éventuellement envisager de laisser tes enfants en vie. Ça te va ?
— Tes menaces sont futiles.
— Il ne s’agit pas là de vaines paroles. Anéantir ton héritage ne me serait que bénéfique, pourtant, je veux bien consentir à faire un geste si tu en fais un aussi. Allons, tu ne veux pas qu’il arrive malheur à ta famille, n’est-ce pas ? Ta chère épouse, Leanora, ne mérite pas un tel sort. Et tes enfants, Chléria, Holskar et… comment s’appelle le dernier ?
— Inutile de marchander. Je te combattrai jusqu’à la mort.
Dyhaso ricana.
— Rassure-toi, elle arrivera rapidement.
Puis, son expression changea du tout au tout et ses traits devinrent durs comme la roche. Une rage bouillonnait en lui.
— Car je commence à perdre patience.
Dans un geste ambitieux, Lowylyk envoya un sort à son ennemi. Mais Dyhaso, le Maléfique, le para sans broncher. Rassemblant toute l’énergie qu’il lui restait, Lypa se jeta sur le Seigneur Ténébreux, bien décidé à l’embrocher. Hélas, aucun être sur Avva ne pouvait gagner contre la créature la plus malfaisante de l’Univers. Dyhaso leva simplement un index et paralysa Lowylyk, à la verticale.
— Ça suffit ! rugit-il d’une voix semblant tout droit sortie d’une tombe. Il est temps d’en finir.
L’index toujours levé, il fit léviter Karagixu E’Rok jusqu’à son autre main.
— Enfin, se réjouit-il. Depuis tout ce temps, je cherche une arme capable de détruire Iwav et de prendre le contrôle des Treize Dimensions. Et tu me l’offres sur un plateau. Et si je testais cette arme sur toi, qu’en dis-tu ?
Dyhaso pointa l’épée magique en direction du mage et s’imprégna de toute la puissance de la Pierre. Il bascula légèrement la tête en arrière et ferma les yeux.
— Je sens son pouvoir couler à travers les veines de cette enveloppe corporelle. Quelle satisfaction !
Il rouvrit les paupières et ses yeux étaient entièrement noirs, comme deux puits sans fond aspirant les âmes damnées.
— Et maintenant, mortel, tu vas mourir.
De toute sa puissance, il jeta un sort à Lowylyk, espérant le désintégrer instantanément. Seulement, ce ne fut pas exactement ce qui se passa. La Pierre de l’Éternité se retourna contre son nouveau propriétaire. Une lumière aveuglante envahit l’air une nouvelle fois et Dyhaso hurla de douleur. Un cri si perçant qu’il retentit à travers chacune des Treize Dimensions. Jamais, depuis la création d’Ozyxill, mortels et immortels n’avaient entendu un tel hurlement.
Puis, il fut aspiré à l’intérieur de Karagixu E’Rok, la Mangeuse d’Âmes. Dyhaso, le Maléfique, l’incarnation de la Cupidité, l’Être Céleste le plus puissant, l’élève déchu d’Iwav, fut vaincu.
Lowylyk s’écroula sur le sol, exténué.
— Maître ! appela Ekinoka dans un cri déchirant.
Depuis le haut de la colline, Jay Lokwur et elle avaient assisté à toute la scène.
— C’est terminé ! Dyhaso n’est plus ! Vous avez perdu ! Le Bien a une fois de plus triomphé !
— Non ! refusa-t-elle d’y croire. Ce n’est pas terminé ! Je reviendrai !
La femme à langue fourchue propulsa Jay en arrière, mais il parvint à se protéger et atténua le choc. Ekinoka, quant à elle, tourna sur elle-même jusqu’à ce qu’une vipère prenne sa place. Lokwur se précipita pour la rattraper, mais le serpent fuit dans les hautes herbes et il perdit sa trace en quelques secondes.
Plutôt que de traquer inutilement une proie irrattrapable, il préféra aller prendre des nouvelles de son mentor.
Il le rejoignit rapidement et voulut le féliciter, mais il remarqua que Lowylyk n’était pas en forme. Il se précipita vers lui.
— Maître !
Lypa était allongé sur le dos. Lokwur releva légèrement sa tête.
— Maître, qu’avez-vous ?
— J’ai trop puisé dans mes ressources, articula le Semi-céleste. J’ai utilisé la Pierre de l’Éternité. J’ai joué avec un pouvoir me dépassant. Bientôt, je serai totalement vidé de mon énergie vitale.
— Non, il doit forcément y avoir une solution. Comme toujours. Une potion curative ou un sort de résurrection…
— Non, pas cette fois. Ce n’est pas grave, Jay. J’ai fait ce qu’il fallait. Nous avons vaincu le Mal.
Un sourire fendit les lèvres de Lowylyk.
— J’ai envoyé Eleco-Yralok à Begalux. Elle n’en sortira pas de sitôt, mais la Prison des Âmes aura besoin d’un Gardien.
— Je remplirai cette tâche, Maître. Ce sera un honneur de perpétuer l’héritage des Lypa.
— Prends garde, mon Apprenti. Les Ténèbres se sont éteintes mais elles n’ont pas été entièrement anéanties. Un jour, elles renaîtront de leurs cendres.
— Quand le moment viendra, je serai prêt.
— Prends soin de Karagixu. Je l’ai ensorcelée. Quand Dyhaso l’a imprégnée de son énergie, son esprit a été enfermé dans la gemme incrustée en son centre. En aucun cas, il ne doit être libéré.
— J’y veillerai.
La respiration de Lowylyk se fit plus lourde et plus lente. Les mots avaient de plus en plus de mal à sortir de sa bouche.
— Une dernière chose, Jay.
— Je vous écoute.
— Veille sur ma famille. Garde un œil sur mes enfants et leurs enfants après eux. Maintenant que ce monde n’est plus menacé et que tu es le Gardien de Begalux, ils n’ont pas besoin de savoir d’où nous venons. Ils n’ont pas besoin de connaître leurs pouvoirs. Ils ont droit à une vie normale, différente de la mienne.
— Ne vous en faites pas pour eux, je serai leur ange-gardien.
— Merci, Jay.
Tandis que Lypa luttait pour rester éveillé, une larme coula le long du visage de Lokwur. Lowylyk posa une main sur sa joue pour essuyer la goutte salée.
— Tu as toujours été comme un fils pour moi, avoua-t-il dans un ultime effort.
Puis, la main retomba et les yeux de Lowylyk Lypa se fermèrent paisiblement quand il rejoignit le Néant.
Sept siècles plus tard.
Cela commençait comme une journée ordinaire à Begalux. Bien qu’ici, on ne pouvait pas réellement parler des jours qui passaient. Dans la Quatrième Dimension, plus communément appelée la Prison des Âmes, le temps n’existait pas. En tout cas, pas tel que les humains le percevaient à Avva. Il défilait différemment.
En apparence, Begalux ressemblait à une gigantesque ruche souterraine. Dans la Prison des Âmes, il était impossible d’apercevoir un quelconque ciel. Pourtant, une lumière sombre et naturelle y était constamment présente. La Quatrième Dimension était semblable à un puits infini, creusé à même la terre par des géants. On disait que si, par malheur, il vous arrivait de tomber dans ce trou, votre chute continuerait pour l’éternité. Sur les parois de ce puits, d’innombrables geôles étaient incrustées, renfermant chacune les êtres les plus maléfiques et dangereux des Treize Dimensions. Leurs horribles cris sanglants, qui rendraient fou n’importe quel mortel, se répercutaient contre les murs, donnant une ambiance atrocement horrifique à ce lieu unique.
Depuis la mort de son maître, c’était ici que vivait Jay Lokwur, dorénavant devenu le Gardien de Begalux. Succéder à un mage aussi puissant que Lowylyk Lypa, ayant lui-même succédé à toute une généalogie descendant d’un Être Céleste comme Stepïas, n’était pas toujours une tâche aisée. Cependant, Jay avait de la chance. Grâce au sacrifice de Lowylyk, ayant mené à la capture d’Eleco-Yralok et à la défaite de Dyhaso, l’Univers était en paix. Du moins, il l’avait été pendant ces sept derniers siècles mortels.
Car, si cette journée avait commencé comme une autre, elle se terminerait bien autrement. Quelque chose d’inédit était sur le point de se produire : une évasion de la Prison des Âmes. Et pas n’importe laquelle.
Heureusement, Lokwur n’était pas seul pour gérer toutes ces âmes damnées. Il pouvait compter sur l’aide des Cerbères, les gardes de la prison la plus titanesque de l’Univers. Les Cerbères étaient des créatures humanoïdes, marchant comme des humains mais ayant l’apparence de molosses. La couleur de leur fourrure pouvait varier du marron au noir – bien que l’une d’entre elles, Nabolis, était blanche – ; leurs oreilles étaient presque aussi pointues que leurs griffes, elles-mêmes quasiment aussi aiguisées que les crocs ornant leur puissante mâchoire ; et leur museau pouvait reconnaître une odeur à des dizaines de mètres de distance. Leurs yeux rouges leur donnaient un aspect furieux et intimidant, comme l’avait souhaité Stepïas lors de leur conception.
Comme à son habitude, Jay Lokwur les salua avant de faire son inspection. Mais, en arrivant sur une des nombreuses passerelles surplombant les cellules, l’ancien apprenti de Lowylyk sentit que quelque chose n’allait pas. Les hurlements des Tudzyu étaient plus intenses qu’à l’accoutumée et ils étaient si excités dans leurs geôles qu’ils en faisaient trembler le sol et les murs.
— Que se passe-t-il, Kerberos ? demanda le Gardien au chef des humanoïdes à l’aspect canin.
« Kerberos » était le titre et le nom que l’on donnait au Cerbère le plus haut gradé.
— Nous l’ignorons, répondit honnêtement celui-ci. Les Spectres se comportent ainsi depuis tout à l’heure. Nous avons tout essayé pour les calmer, mais rien ne fonctionne. Nous ne savons pas ce qui les met dans cet état.
— Nous n’allons pas tarder à en avoir le cœur net.
Jay se jeta alors de la passerelle, comme un oiseau prenant son envol, et chut pendant un moment, avant d’atterrir avec la grâce d’un aigle devant une geôle renfermant une ombre, autrefois membre de l’armée de Dyhaso. Ses pieds se collèrent à la paroi et il tint debout à l’horizontal, sans aucun effort. Ici, la gravité et l’espace n’avaient pas non plus les mêmes propriétés que dans les autres Dimensions.
— Tudzyu ! Dis-moi ce qui vous met dans un état pareil et je promets d’être clément envers toi.
Évidemment, le Spectre ne répondit pas, se contentant de siffler tel un serpent et d’onduler sous la faible lumière de sa cellule.
— Très bien, tu l’auras voulu.
Jay tendit une main vers lui et serra le poing. Le Tudzyu se rétracta sur lui-même, pris d’une douleur soudaine. Lokwur plia le bras, ce qui l’attira vers lui. Il sortit Karagixu E’Rok, la Mangeuse d’Âmes, et le menaça.
— C’est ta dernière chance, monstre. Si tu ne veux pas que j’aspire ce qu’il reste de ton âme, tu vas me répondre sans délai.
Se tortillant de souffrance, l’ombre lui susurra quelque chose en Jyborik, un langage ancien que peu d’individus pouvaient comprendre.
— Qui vient pour vous libérer ? interrogea le tortionnaire, cherchant à extirper davantage de détails à sa victime.
Devant l’absence de réponse claire du Tudzyu, Jay resserra son emprise. La créature malfaisante couina de plus belle.
— Réponds !
— Tu perds ton temps, Gardien, intervint une voix rauque depuis la geôle voisine.
Lokwur libéra le Spectre pour décaler son attention sur le prisonnier ayant prononcé ces mots. Il s’agissait d’un homme à l’allure mystérieuse, tout de noir vêtu, du couvre-chef jusqu’aux bottes. Son chapeau cachait d’ailleurs ses yeux et une partie de son visage, ne laissant entrevoir que sa bouche entourée d’une courte barbe sombre mal entretenue.
— Tu as quelque chose à dire, Iqwy ? le sollicita-t-il.
— Toi et tes soldats, vous feriez mieux de vous préparer pour ce qui arrive.
— Et qu’est-ce qui arrive, exactement ?
— Tu ne tarderas pas à le savoir.
Sur ces mots, un halo de lumière jaillit du fond du puits infini pour inonder tout Begalux, en même temps qu’un son particulièrement aigu. Lokwur se retourna pour examiner l’éblouissante lueur qui venait de faire irruption dans la Quatrième Dimension. Mais la lumière était si puissante qu’il ne parvint pas à apercevoir grand-chose.
À cet instant, il discerna un cri qui lui perça les tympans dans son dos. Le Tudzyu qu’il venait de torturer s’était échappé et il ne perdit pas une seconde pour le pousser dans le vide.
Les deux êtres chutèrent vers l’auréole de lumière blanche et ce fut à ce moment-là que le Gardien comprit ce qui était en train de se passer. Tous les Spectres enfermés ici depuis sept siècles sortaient de leurs geôles sans difficulté pour se diriger à toute vitesse vers le cercle lumineux. Cela pouvait ne signifier qu’une chose : Eleco-Yralok était sur le point d’être libérée. Le moment que Lowylyk craignait était arrivé.
Grâce à sa magie, Jay attira à lui Karagixu, qu’il avait lâché durant sa chute, et enfonça la lame dans le Tudzyu qui l’avait poussé. L’ombre fut immédiatement aspirée par l’épée mystique. Nombre de monstres composant l’Armée des Ombres tentèrent de l’attaquer, mais il se défendit et parvint à occire certaines de ces abominations. Puis, il s’accrocha à une paroi, reprit son équilibre grâce à la pesanteur particulière et essaya d’analyser la situation.
En dessous, les Tudzyu fonçaient par centaines à travers le trou luminescent. Au-dessus, les Cerbères combattaient les créatures tentant de rejoindre leurs congénères. À la vitesse à laquelle les choses se déroulaient, le portail allait bientôt se refermer et Begalux allait pouvoir dire adieu à ses précieux locataires. Le monde se trouvant de l’autre côté, en revanche, allait dire bonjour aux êtres les plus malfaisants de l’Univers. Mais Jay Lokwur ne le permettrait pas.
Presque tous les Spectres avaient passé le portail et ce dernier allait se refermer d’un instant à l’autre. Jay décida alors de se jeter dans le vide, même s’il savait que les Cerbères ne pourraient pas le suivre. Il devait faire son devoir. Il devait tenir la promesse qu’il avait faite à Lowylyk Lypa avant qu’il meure. Il devait empêcher le Mal de renaître de ses cendres.
Depuis la passerelle, Kerberos vit le Gardien plonger et disparaître dans un abîme éblouissant, au milieu d’Eleco-Yralok.
Quelques minutes plus tôt. À Avva.
Voilà presque sept-cents ans qu’elle attendait ce moment. Le début de la fin de la solitude pour elle. Le moment où les Ténèbres renaîtraient au grand jour.
Depuis que Dyhaso avait été vaincu, Ekinoka n’avait eu de cesse de chercher un moyen de le ramener. Au début, elle avait dû vivre comme une fugitive interdimensionnelle. Elle regardait sans arrêt derrière son épaule, de peur que Jay Lokwur ou qu’un autre Chasseur de Spectres soit à sa poursuite. Elle se réfugia d’ailleurs plus d’une fois à Yzott, le Royaume Ténébreux, généralement pour étudier les Arts Ésotériques dans les Cryptes de la Forteresse Funèbre. Elle se mit en quête de trouver le maximum d’informations sur la Magie Défendue et se donna pour mission de devenir la meilleure dans ce domaine. Ainsi, elle parvint à percer le secret de la longévité sans fin et passa des siècles à parfaire son apprentissage dans l’ombre.
Aujourd’hui, elle était enfin prête. Elle allait enfin pouvoir mettre son plan à exécution.
Durant son interminable quête, elle créa un culte sur Terre et recruta de nombreux adeptes humains sensibles à la Force Interdimensionnelle. Une secte vénérant Dyhaso et servant Ekinoka vit alors le jour dans le plus grand des secrets. Elle se nomma « les Serviteurs Obscurs ». C’était grâce à elle qu’elle allait pouvoir accomplir son dessein, à présent.
Assis en tailleur autour de leur maîtresse, les Serviteurs Obscurs entonnèrent une incantation à l’attention de Nylahys, la Porte Entre les Mondes. Si le plan se déroulait comme prévu, ils pourraient libérer Eleco-Yralok de Begalux et l’attirer à Avva. En puisant leur énergie dans la sombre puissance d’Yzott, ce fut exactement ce qu’ils parvinrent à faire. Nylahys s’ouvrit au milieu du ciel, comme durant cette nuit de 1327 où le Bien avait soi-disant triomphé.
Seulement, cette fois, les Tudzyu n’étaient pas exilés de force dans une Dimension leur voulant du mal, au contraire. Après des années d’absence, l’Armée des Ombres était finalement de retour sur Terre pour semer le chaos et la destruction.
En contemplant le spectacle qui se dessinait sous ses yeux, Ekinoka sourit de toutes ses dents, laissant échapper sa langue fourchue de temps à autre. L’armée que Dyhaso avait créée il y avait si longtemps était enfin libre et sous ses ordres.
Toutefois, son sourire s’effaça lorsqu’elle vit un être qui n’avait rien à faire là surgir lui aussi du portail, une fraction de seconde avant sa disparition. Un être qu’elle connaissait bien mais qu’elle n’avait pas croisé depuis longtemps. Et qu’elle aurait préféré ne jamais revoir.
Jay Lokwur, le Gardien de Begalux, toucha terre en position accroupie, Karagixu E’Rok dans la main droite.
— Toi ! s’égosilla la femme à langue de serpent, la haine suintant de ses yeux verts.
— Toi ! rétorqua l’ancien disciple de Lowylyk Lypa.
Jay regarda autour de lui. Après tant de temps passé dans la Quatrième Dimension, la lumière du jour de la Cinquième lui fit mal aux yeux, bien que le soleil se levait à peine. Il avait atterri dehors, sur le sol sablonneux d’un chantier visiblement abandonné.
— Je te croyais morte depuis le temps, poursuivit-il.
— Tuez-le ! ordonna Ekinoka aux Serviteurs Obscurs tandis qu’elle mettait les Tudzyu en sécurité.
Les créatures étaient complètement désorientées dans cette autre Dimension. L’aube pointait le bout de son nez et, en voyant la lumière du soleil, les Spectres prirent peur. Leur nouvelle maîtresse se chargea de les apaiser.
Pendant ce temps, les Serviteurs Obscurs attaquèrent Jay. Ils n’étaient que des amateurs et les quelques sorts qu’ils tentèrent d’envoyer à leur ennemi furent contrés avec une aisance déconcertante. Se jetant sur lui comme des illuminés, les adeptes se firent tuer chacun leur tour par la lame de Lokwur. Au moment où Karagixu traversait un de ces cinglés, son corps se flétrissait jusqu’à ne ressembler plus qu’à un cadavre en décomposition, l’âme de la victime enfermée à jamais dans l’épée magique.
Constatant que ces mortels n’arriveraient à rien sans aide, Ekinoka prit part au combat.
— Écartez-vous ! hurla-t-elle à ses hommes.
Ils s’exécutèrent aussitôt. Puis, du fond de sa gorge, une immense flamme jaillit, tel un volcan entrant en éruption. Dans un réflexe de survie, Jay créa une bulle mystique autour de lui, le protégeant du feu. Malgré tout, il fut énormément surpris par la puissance de l’attaque. Si son adversaire n’avait pas dû s’arrêter pour reprendre son souffle, il n’aurait probablement pas résisté bien longtemps.
— Je vois que tes pouvoirs ont augmenté depuis notre dernière rencontre, constata-t-il.
Tandis que les deux anciens disciples devenus maîtres se confrontèrent dans un duel acharné, les Serviteurs Obscurs formèrent un cercle autour d’eux, afin de bloquer toute retraite ou échappatoire à Lokwur.
— Et tu n’as encore rien vu !
À ces mots, la langue fourchue d’Ekinoka sortit de sa bouche et s’étira sur plusieurs mètres pour aller s’enrouler autour du cou de son ennemi. La respiration de Jay se coupa pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il sectionne la langue avec Karagixu d’un coup net et précis. L’appendice rentra dans la bouche d’Ekinoka et repoussa presque aussitôt. Maintenant que sa gorge était libérée, le Gardien de Begalux pouvait à nouveau parler.
— J’allais dire « impressionnant », mais j’opterai plutôt pour « répugnant », en fin de compte.
— Je vais te tuer !
— Tu penses pouvoir me vaincre, seulement tu n’es pas la seule à t’être améliorée.
Jay tendit alors la main gauche vers la vipère et se concentra, persuadé de l’anéantir d’un seul coup. Pourtant, elle ne broncha pas. Elle se contenta d’un sourire machiavélique, puis inclina légèrement la tête. Ce fut à ce moment-là que Lokwur perdit ses repères.
Sa tête se mit à tourner et son esprit s’embrouilla. Il comprit alors qu’Ekinoka avait retourné son propre sort contre lui. De violentes nausées prirent possession de son corps, il perdit l’équilibre et s’écroula, un genou à terre. Tout autour de lui, les Serviteurs Obscurs s’esclaffaient sadiquement. Des rires horribles qui envahirent son crâne. Bientôt, il n’entendit plus que cela. Mais il reporta ensuite son attention sur la femme aux cheveux verts. Elle avança vers lui, apparemment prête à en finir.
Cependant, Jay Lokwur n’avait pas dit son dernier mot. Dans un cri guttural, il rassembla ses forces et puisa dans l’énergie qu’il lui restait. D’un geste ample, il leva Karagixu au-dessus de sa tête pour la planter dans le sol avec force. Et, à l’instant même où la pointe de l’épée toucha le sable, un puissant flash éblouit Ekinoka et les Serviteurs Obscurs. Quand ils recouvrèrent la vue, une seconde plus tard, Jay Lokwur avait disparu.
Ekinoka avait fait fuir l’élève de l’homme qui avait vaincu son maître. Mais, plus important encore, elle avait libéré Eleco-Yralok et s’apprêtait à répandre le chaos sur les Treize Dimensions.
Bientôt, elle allait retrouver Dyhaso et, ensemble, ils régneraient sur l’Univers. Même Iwav, le Tout-Puissant, ne pouvait empêcher leur destin de s’accomplir.
Aujourd’hui, pour la première fois depuis bien longtemps, les Forces du Mal avaient mis les Forces du Bien en déroute. Cette fois, les Ténèbres avaient triomphé. Et la Lumière commençait peu à peu à s’éteindre.
Il avait perdu. Pour la première fois depuis longtemps, Jay Lokwur avait échoué. À quoi pensait-il en traversant Nylahys ? Croyait-il qu’il serait en mesure de combattre Eleco-Yralok et Ekinoka seul ? Et qu’il les vaincrait, surtout ? À vrai dire, oui, il s’en croyait capable. Et son arrogance allait peut-être coûter la vie à des milliards de personnes et de créatures, à travers chacune des Treize Dimensions.
Le Gardien s’en voulait affreusement d’avoir fui devant ses ennemis, comme un lâche. Mais il n’avait pas eu le choix. Il s’agissait plutôt là d’un repli stratégique. Maintenant, il le savait, il ne réussirait jamais cette mission par lui-même. Toutefois, il se trouvait dans l’impossibilité d’aller chercher les Cerbères pour le moment, la Porte Entre les Mondes étant aux mains d’Ekinoka et de son armée. C’était problématique, mais ce n’était pas non plus une catastrophe. Il lui fallait du renfort et il savait où en trouver sur Terre.
Avva était son lieu de naissance. Il avait grandi dans la Cinquième Dimension, y avait perdu ses parents, y avait rencontré Lowylyk, y s’était entraîné sous sa tutelle, y avait participé au combat contre le Mal et y avait vu périr son maître. Excepté Begalux, il ne connaissait aucune Dimension mieux que celle-ci. Du moins, c’était le cas à l’époque, car aujourd’hui, tout avait changé.
Les humains d’Avva étaient peut-être les êtres évoluant le plus rapidement. Capables de s’adapter à leur environnement jusqu’à en devenir les maîtres, ils trouvaient toujours un moyen de plier la nature à leur volonté, même sans pouvoir spécial. Pourtant, quand celle-ci frappait violemment, ils étaient cruellement impuissants, comme tous les mortels. Cette capacité à évoluer constamment était probablement due au fait qu’ils ignoraient tout des mondes qui les entouraient.
Des Treize Dimensions, Avva avait toujours été la seule à être plongée dans l’ignorance la plus totale. À la création des douze univers originaux, Iwav, le Tout-Puissant, avait fait le choix de placer Ioa à la tête de la Cinquième Dimension, pour pouvoir observer l’évolution de celle-ci, alors coupée des autres. Le résultat fut particulièrement mitigé. Les humains pouvaient faire preuve d’une grande intelligence comme d’une profonde stupidité. Ils pouvaient être généreux ou égoïstes, courageux ou lâches, grands ou petits, beaux ou laids, riches ou pauvres… L’Humanité était sans aucun doute l’espèce la plus hétéroclite jamais conçue.
C’était d’ailleurs sûrement la raison de sa survie. Livrée à elle- même sur cette planète pitoyable, ignorant tout des forces mystiques l’entourant, elle aurait logiquement dû s’éteindre rapidement, comme les espèces l’ayant précédée sur Terre. Pourtant, elle survécut, bâtit des civilisations et prit le contrôle du monde. Bien qu’elle fût encore trop jeune pour tirer des conclusions définitives, les résultats étaient, jusqu’ici, plutôt intéressants. C’était sûrement en voyant les qualités de ce peuple pour le moins complexe que Stepïas s’éprit de l’un d’entre eux pour donner naissance à la branche des Lypa.
D’ailleurs, aujourd’hui encore, l’héritage de cette prodigieuse famille continuait. Depuis la mort de Lowylyk, Jay avait obéi à ses dernières volontés et gardait un œil sur ses descendants. Il était au courant de tous les faits et gestes de n’importe quel Lypa, dans n’importe quelle Dimension depuis sept-cents ans.
Après l’échec qu’il venait de subir, il cherchait du renfort et il savait exactement où en trouver. Il était temps pour l’angegardien de se dévoiler au grand jour.
Non loin de là, dans un des nombreux établissements d’une célèbre chaîne de cafés internationalement connue.
— Votre prénom, s’il vous plaît ?
— Charles.
Derrière le comptoir, se sentant un peu à l’étroit dans sa nouvelle tenue de travail, la jeune serveuse déboucha le marqueur et inscrivit le prénom du client sur le gobelet avant de lui tendre en souriant.
— Faites attention, c’est très chaud.
— Merci.
— Bonne dégustation.
Le client tourna les talons et le sourire de la jeune femme s’effaça. Ses épaules s’affaissèrent et elle souffla sur une mèche argentée, s’étant glissée hors de son chignon, lui chatouillant le visage.
— Janna ! l’interpella une de ses collègues. Tu peux t’occuper de madame, s’il te plait ?
— Bien sûr.
Tandis qu’elle se décala vers la cliente, le sourire commerçant de Janna reprit forme sur son visage et sa main replaça la mèche derrière son oreille.
— Bonjour, Madame ! Qu’est-ce qu’il vous faut ?
La cliente passa commande, mais Janna fut distraite par un individu à l’allure suspecte bousculant tout le monde, s’attirant les foudres des clients mécontents.
— Excusez-moi, c’est de la plus haute importance, ne cessait-il de radoter.
L’homme semblait tendu. De la sueur perlait sur son front, sous ses courts cheveux blonds. Janna était pratiquement certaine qu’il ne s’agissait pas de leur couleur naturelle. Son long manteau noir lui donnait un aspect mystérieux. Ses yeux avaient l’air entourés d’un maquillage noir qui intensifiait son regard. Même si elle n’avait pas été embauchée il y avait bien longtemps, la jeune serveuse avait déjà croisé pas mal de tordus dans le coin, mais celui-ci était différent. Elle n’aurait su l’expliquer, mais il avait quelque chose d’intriguant.
Il arriva à son niveau et se jeta quasiment sur le comptoir. La femme qui passait commande rumina.
— Janna !
D’un air détendu, la serveuse tapota le badge accroché à sa poitrine du bout de son ongle manucuré recouvert d’un vernis de la même couleur que ses cheveux.
— C’est bien moi, c’est écrit ici.
— J’ai besoin de vous !
Le mystérieux individu essayait de chuchoter, mais il était bien trop agité pour passer inaperçu.
— Si vous voulez un café, vous devez faire la queue, comme tout le monde.
Janna se tourna vers la cliente, afin de ne pas la faire patienter trop longtemps.
— Où en étions-nous ?
— Un café ? répéta l’homme, perplexe. Quoi ? Non, je ne veux pas de… Écoutez-moi, je vous en prie, c’est très important.
Il lança de vifs coups d’œil autour de lui.
— C’est une question de vie ou de mort.
La situation commença à devenir gênante et Janna chercha à éviter les problèmes.
— Monsieur, s’il vous plaît, allez faire la queue où je vais devoir demander à quelqu’un de vous faire sortir.
De manière tout à fait professionnelle, Janna prit enfin la commande de la femme de l’autre côté du comptoir.
— Vous serez servie par ma collègue, là-bas, quand votre boisson sera prête. Merci. Suivant !
L’individu se plaça en tête de file.
— Vous ne comprenez pas.
Janna soupira en tentant de garder son calme.
— Je ne viens pas pour un café, mais pour vous. Je vous connais, je sais tout de vous. Je vous observe depuis très longtemps. Depuis toujours, en réalité. Du jour de votre naissance jusqu’à aujourd’hui, je ne vous ai pas quittée des yeux une seule seconde.
— Voilà qui est rassurant.
— Vous vous appelez Lypa. Janna Lypa. Mon nom à moi est Jay Lokwur, Gardien de la Prison des Âmes, et j’ai bien connu Lowylyk.
— Je suis censée savoir qui c’est ?
— Votre ancêtre.
— Si vous voulez parler de mon père, je reconnais que son prénom est tout aussi original, mais ce n’est pas…
— Non, je parle de son ancêtre à lui. Nous nous sommes rencontrés il y a environ sept siècles.
— Vous ne faites pas votre âge, en tout cas, rétorqua sarcastiquement Janna.
— C’est parce que j’étais dans une autre Dimension, durant ces sept-cents dernières années, dans laquelle le temps s’écoule différemment.
— Bien sûr, ça paraît tout à fait logique.
— Exactement !
— J’ai toujours eu beaucoup de chance en ce qui concerne les rencontres, ajouta Janna à voix basse, embarrassée.
— Vous ne me croyez pas, c’est ça ?
— Que vous êtes un alien envoyé par mon ancêtre de plusieurs siècles dans le passé ? Non, en effet, je ne vous crois pas. Bravo, vous êtes très perspicace.
— Pas un alien, non. Un mage venu d’une autre Dimension.
— Quelle différence ?
— Je ne viens pas d’une autre planète, mais d’un autre plan astral. Même si, en réalité, je suis tout aussi humain que vous… À peu de choses près.
— D’accord. Faites la queue ou sortez, maintenant. Je vous en serais très reconnaissante.
— Eleco-Yralok est ici. Ekinoka l’a libérée de Begalux. Le temps nous est compté.
— Je ne comprends pas un traître mot qui sort de votre bouche.
— L’Armée des Ombres de Dyhaso va bientôt frapper. Si nous ne faisons rien pour l’arrêter, ce pourrait bien être la fin du monde tel que nous le connaissons.
— Visiblement, vous avez une piètre connaissance de ce monde.
— Je sais que vous n’en avez pas conscience car j’y ai veillé, mais vous possédez des pouvoirs inimaginables. Les Lypa sont une famille de mages très puissante, descendant d’un Être Céleste du nom de Stepïas, l’incarnation de la Rigueur. Vous avez les mêmes capacités que votre ancêtre, Lowylyk. Vous êtes celle que les Wyzorg, les oracles, nomment Ikaxa E’Tudzyu, ce qui signifie « la Chasseuse de Spectres » en Jyborik.
Espérant pouvoir piéger ce Jay Lokwur, Janna joua à son jeu tandis que les clients attendant leur tour râlaient de plus en plus fort.
— Chasseuse de Spectres, hein ? C’est un joli nom. Mais, dites-moi, à quoi ressemblent ces « Spectres » que je suis supposée chasser, exactement ?
Comme si l’Univers cherchait à lui envoyer un signe, ce fut à cet instant précis qu’un cri strident et insupportable pour une oreille mortelle brisa les vitres du café.
Jay sortit un magnifique stylo plume de la poche intérieure de son long manteau noir.
— Je crains que vous ne tardiez pas à le savoir.
Puis, il se tourna face au danger.
— Fuyez ! ordonna-t-il aux clients un peu sonnés. Sauvez vos vies tant qu’il est encore temps ! Évacuez le bâtiment !
Les gens suivirent ces conseils avisés et, en un rien de temps, le café fut désert. Les employés, quant à eux, prirent la fuite par la porte de service. Seule Janna resta coincée avec Lokwur.
Ce dernier fit un geste élégant et son stylo plume se transforma en une somptueuse épée ornée d’un rubis en son centre. Janna n’en crut pas ses yeux.
— Vous vouliez savoir à quoi ressemble un Tudzyu, Ikaxa ? Eh bien, en voilà un !
Jay s’élança quand une créature semblable à une ombre surgit dans le café. Janna mit du temps à comprendre que la chose qui ondulait devant elle était vivante. Lancé dans son élan, Lokwur monta sur une table et embrocha une de ces ombres, qui poussa un cri horrible avant d’être aspirée par l’épée. Janna fut stupéfaite.
— Celui-ci était en avance, expliqua le Gardien. D’autres ne vont pas tarder à arriver. Je vous suggère de vous mettre à l’abri.
En effet, au moment où Janna s’accroupit derrière le comptoir, une dizaine de Spectres jaillit de nulle part pour se ruer sur Jay. Craignant pour sa vie, mais curieuse d’assister à ce qui allait suivre, Janna Lypa observa discrètement la scène, tout en restant à couvert.
Un affrontement brutal éclata au milieu de l’établissement vide. Les ombres et le mage s’envoyèrent des traits de lumière de différentes couleurs, provenant elle ne savait d’où. Certaines de ces lignes d’énergie firent de violents dégâts, autant aux créatures qu’au mobilier du café.
Ce qui était sûr, c’était que Jay Lokwur savait y faire. Malgré la supériorité numérique de ses ennemis, il s’en sortait plutôt bien. Peu importait l’attaque qu’il utilisait, que sa lame tranchait d’un bout à l’autre les silhouettes informes ou qu’elle les perforait de sa pointe, les monstres disparaissaient, comme avalés par l’arme majestueuse.
Dans un moment d’inattention, le mage fut projeté en arrière par une sorte d’éclair provenant d’une créature ténébreuse et, après avoir traversé la pièce sans toucher le sol, son dos alla s’écraser sur le comptoir, au-dessus de la tête de Janna. Le choc lui fit lâcher son épée.
— Rien de cassé ?! s’enquit-elle, abasourdie.
— Ne restez pas là !
L’abomination vivante qui l’avait propulsé se jeta sur lui. Jay se protégea en croisant ses bras au niveau des poignets et Janna devina d’affreuses mains griffues se détacher de l’ombre malfaisante. Elle ne put bouger tant elle était à la fois pétrifiée et fascinée par ce qui se déroulait devant ses yeux grands ouverts. Les abominables mains s’agitèrent dans tous les sens et l’une des deux griffa Janna au niveau de la poitrine, arrachant son badge au passage.
— Attention ! la mit en garde Lokwur, une fraction de seconde trop tard.
Janna tomba à la renverse en posant la main sur sa blessure.
— Ça suffit ! s’énerva Jay.
Il tendit la main droite et son arme médiévale vola comme par magie jusqu’à sa main. Il transperça le Spectre en son centre et celui-ci disparut instantanément en hurlant de douleur.
Le Gardien se releva et se remit en garde, prêt à continuer le combat contre les quelques obscures silhouettes restantes. Toutefois, ces dernières prirent peur et se contentèrent de siffler en prenant la fuite.
D’une simple pression de doigt, l’arme de Jay Lokwur redevint un stylo et, un peu essoufflé, il se tourna vers celle qu’il avait appelée Ikaxa E’Tudzyu.
Précipitamment, il passa par-dessus le comptoir abîmé par la bataille et accourut à son chevet.
— Êtes-vous blessée ?
— Non, ça va, je crois que cette chose m’a à peine touchée.
— Laissez-moi voir.
Elle enleva sa main et découvrit une légère griffure située une dizaine de centimètres en-dessous de l’épaule.
— Si je ne soigne pas cela maintenant, le sort pourrait se propager dans l’ensemble de votre corps.
Il ferma les yeux et posa délicatement sa main sur la blessure. Quand il l’enleva, la blessure avait disparu.
— C’est… gentil, remercia maladroitement Janna, troublée.
Il l’aida à se remettre debout.
— Comment m’ont-ils trouvé ? commença-t-il à réfléchir à voix basse. J’ai pris toutes les précautions nécessaires.
Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il comprit. Il se retourna dos à Janna et abaissa le col de son long manteau.
— Ai-je quelque chose d’étrange sur la nuque ? demanda-t-il à Ikaxa. Ressemblant à un tatouage, par exemple ?
En effet, la jeune femme aperçut un chose étrange. Comme si quelqu’un avait gravé un symbole qu’elle n’avait jamais vu auparavant directement dans la peau de son sauveur.
— Euh… Oui, il y a bien un truc dans ce genre-là. Qu’est-ce que c’est ?
— C’est comme ça qu’ils ont pu suivre ma trace. C’est la Marque, un sort qui permet de tracer la signature mystique d’un mage. Ekinoka a dû me l’implanter sans que je m’en rende compte pendant notre affrontement. Je dois m’en débarrasser.
Jay joignit les poings et leva quatre doigts : les index et les majeurs de chaque main. Il se concentra, murmura quelque chose dans une langue incompréhensible pour Janna, puis la Marque disparut.
— C’est incroyable ! s’émerveilla la jeune serveuse qui ne comprenait pas bien ce qui se passait.
— Nous ne devons pas rester là, enchaîna Lokwur sans y prêter attention. Si des Tudzyu étaient ici, d’autres ne vont pas tarder. Et, pire encore, Ekinoka sera sûrement avec eux. Nous devons nous replier et prendre du recul sur la situation.
— Non merci, je n’irai nulle part avec vous, déclina-t-elle. Je ne vous connais pas.
— Je vous ai dit tout ce que vous deviez savoir.
— Ce que je sais sur vous, c’est que vous m’observez depuis toujours sans que je m’en rende compte, que vous ne venez définitivement pas d’ici, que vous trimballez une arme à priori carrément dangereuse dans votre poche, que vous savez vous battre et que vous n’êtes pas celui que vous semblez être. Tout ceci me paraît plutôt louche, vous ne trouvez pas ?
— Non. En vérité, ça me paraît plutôt sensé.
— Ne croyez pas que je vais vous faire confiance aussi facilement.
— Eh bien, j’ai le regret de vous informer que vous n’avez pas vraiment le choix.
— En plus de ça, je dois rentrer voir ma mère.
— Mauvaise idée. Elle ne doit pas être impliquée là-dedans. Ce n’est pas une Lypa de sang.
— Moi non plus, je n’ai aucune envie d’être impliquée dans… quoiqu’il se passe ici.
— Je viens de vous sauver la vie, Ikaxa, et si vous voulez que ça continue, je vous conseille de rester près de moi.
Janna Lypa observa Jay Lokwur pendant un moment, réticente à l’idée de le suivre.
— Nous n’avons pas le temps pour ça, la pressa le mage. Nous devons y aller.
Il la prit par le bras d’une main et sembla la sonder avec l’autre.
— Eh ! protesta Janna. Lâchez-moi !
Sans prendre en compte ses gémissements, il prit ses deux mains dans les siennes, ferma les yeux et baissa la tête. L’instant d’après, ils s’étaient tous les deux volatilisés.
Jay eut raison de les téléporter autre part à Avva car, quelques courtes minutes plus tard, alors que les forces de l’ordre n’allaient pas tarder à arriver sur les lieux, un serpent se fraya un chemin parmi les débris occasionnés par la bataille entre les Tudzyu et le Gardien de Begalux.
Se repérant en sortant de temps en temps son effroyable langue de sa monstrueuse mâchoire, le reptile sentit l’odeur pestilentielle d’une forme de Magie Pure, celle qu’utilisent les fidèles d’Iwav, le Tout-Puissant. Suivant son flair, la bête rampante contourna le comptoir jusqu’à heurter une petite plaque métallique. Le serpent s’arrêta devant, observa le reflet de son hideuse tête verte et plate sur le métal froid en sifflant, puis remarqua que quelque chose y était gravé.
Ekinoka ramassa la plaque aux reflets dorés en reprenant forme humaine. Elle examina l’inscription de plus près et comprit qu’il s’agissait d’un nom : « JANNA ».
Janna poussa un cri puis, après un moment de latence, elle fut prise de nausées et mit sa tête entre ses jambes, persuadée qu’elle était sur le point de régurgiter son dernier repas.
— C’est un des effets défavorables de la téléportation intradimensionnelle, lui expliqua Jay Lokwur. Ça va passer, ne vous en faites pas.
— Qu’est-ce que vous m’avez fait ?
— Je nous ai emmenés dans un endroit sûr.
Se redressant, Janna Lypa leva la tête pour inspecter les alentours.
— Où sommes-nous ?
À première vue, ils n’avaient pas quitté la ville, mais Janna n’était pas certaine qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle. En effet, le lieu qui les entourait était sinistre à souhait. Ils se trouvaient dans un bâtiment visiblement délabré. Les murs étaient recouverts d’humidité et de champignons. Le plafond et le sol étaient craquelés de partout, à deux doigts de s’effondrer. Un matelas recouvert de moisissure pourrissait dans un coin de la pièce et Janna put apercevoir une seringue trainer par terre.
— Je vous l’ai dit, dans un endroit sûr.
— C’est un squat pour toxicos ! s’offusqua-t-elle. C’est ça, pour vous, un endroit sûr ?