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Des années ont passé depuis la Révolte de l'Exilée. Okina s'est retirée de la politique et, après avoir mis la main sur Calista, est devenue une entrepreneuse philanthrope à la tête d'une industrie mondiale, mais également une mère de famille aimante. Alors que la jeune République Benefactorienne se débat entre l'épidémie et le terrorisme qui bousculent depuis peu la fragile paix durement acquise, des dizaines de capsules cryogéniques s'écrasent sur Terre. Contre toute attente, les exilés sont des hauts dignitaires de Hiyoku qui ont dû quitter leur planète lorsque le Cercle des Égarés, un groupe d'humains vivant sur une autre planète depuis la Grande Migration, leur a déclaré la guerre. Dans un premier temps, malgré les demandes des Hiyokans, les Terriens refusent de leur venir en aide. Mais quand un évènement tragique survient, la Terre est contrainte de prendre part à la Première Guerre Interplanétaire.
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Seitenzahl: 978
Veröffentlichungsjahr: 2023
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CHAPITRE 1 : La Légende Oubliée
CHAPITRE 2 : Quand Sonne l’Heure
CHAPITRE 3 : Le Nouveau Monde
CHAPITRE 4 : La Violence du Cœur
CHAPITRE 5 : La Fièvre Sifflante
CHAPITRE 6 : Prison Dorée
CHAPITRE 7 : Revers Inattendu
CHAPITRE 8 : Reconnaissance
CHAPITRE 9 : Proie Facile
CHAPITRE 10 : Mauvais Choix
CHAPITRE 11 : Ligue
CHAPITRE 12 : Légendes Retrouvées
CHAPITRE 13 : Dans les Pas des Héros
CHAPITRE 14 : L’Héritage du Tueur de Mythe
CHAPITRE 15 : Honorable Fin
CHAPITRE 16 : Les Héros N’Existent Pas
CHAPITRE 17: La Loi du Cœur
CHAPITRE 18 : Entre les Griffes du Charognard
CHAPITRE 19 : La Création Maudite
CHAPITRE 20 : Négociations Musclées
CHAPITRE 21 : Exode
CHAPITRE 22 : La Guerre n’est Jamais Loin
CHAPITRE 23 : Les Forces Unies de la Terre
CHAPITRE 24 : Aux Portes de l’Enfer
CHAPITRE 25 : Premier Échec
CHAPITRE 26 : Divisions
CHAPITRE 27 : En Territoires Hostiles
CHAPITRE 28 : Retrouvailles
CHAPITRE 29 : Présage
CHAPITRE 30 : Embuscade
CHAPITRE 31 : Rassemblement
CHAPITRE 32 : Faux-Semblants
CHAPITRE 33 : Quand Tombent les Masques
CHAPITRE 34 : Terrible Secret
CHAPITRE 35 : Appel de Détresse
CHAPITRE 36 : Progression
CHAPITRE 37 : Homo Homini Lupus Est
CHAPITRE 38 : Retournement de Situation
CHAPITRE 39 : À Huis Clos
CHAPITRE 40 : Annihilation
CHAPITRE 41 : La Fin d’un Mal
CHAPITRE 42 : Discordes
CHAPITRE 43 : Lutte de Stratèges
CHAPITRE 44 : La Bataille de Jangbanna
CHAPITRE 45 : Porte de Sortie
CHAPITRE 46 : Effroyable Vérité
CHAPITRE 47 : Loyauté Déchirée
CHAPITRE 48 : Sempiternelle Perfidie
CHAPITRE 49 : Opportunités
CHAPITRE 50 : Miracles et Prophéties
CHAPITRE 51 : Le Duel des Trois Armées
CHAPITRE 52 : Un Avenir Commun
Il y a plus de cent-soixante ans, un astronaute du nom de Mirakuru découvrait la fertile planète de Hiyoku, nouvel éden des futures générations humaines. La clé de la survie de l’espèce tout entière. Une quinzaine d’années plus tard, ce qu’on nomma la Grande Migration commença. Un nombre incalculable de vaisseaux spatiaux, ayant la capacité d’accueillir des milliers de passagers chacun, furent construits sur Terre en un temps record, afin de coloniser cette jeune planète sur laquelle la vie n’en était qu’à ses balbutiements. Encore une quinzaine d’années plus tard, la civilisation humaine put enfin renaître et un nouveau calendrier put commencer, le Renouveau s’inscrivant à la date symbolique de l’an 0. Depuis, les Hiyokans – les habitants de Hiyoku – vivent en paix, ayant banni les erreurs de leurs ancêtres terriens de leur mode de vie, s’efforçant de créer un système fonctionnel et intelligent, qui ne s’effondrera pas comme le premier. Hiyoku est la seconde chance de l’Humanité et rien ne pourra ni ne devra la gâcher.
Bien qu’elle soit plus méconnue sur Terre, tout le monde connait cette histoire sur Hiyoku. Elle est même enseignée dans toutes les écoles du monde dès le plus jeune âge. Le Hiyokan ou la Hiyokanne n’ayant jamais entendu parler de la légende de Mirakuru n’existe tout simplement pas. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’une simple histoire, mais de l’Histoire avec un grand « H ». Mirakuru, la Grande Migration, le Renouveau… Les grandes lignes de ces évènements sont connues de tous. Toutefois, entre les interlignes les plus fins et illisibles, se cachent d’autres légendes bien moins populaires.
En effet, même si la propagande mise en place par le Gouvernement Planétaire aux toutes premières heures du Renouveau dépeint les colons comme d’héroïques sauveurs de l’Humanité, la vérité est toute autre. Premièrement, les trois milliards de Terriens ayant quitté leur planète natale, dans l’objectif de coloniser ce qu’ils considéraient comme leur nouveau fief, l’ont fait au détriment de douze milliards de leurs congénères, condamnés à dépérir sur un astre mourant. Ensuite, pour maintenir l’ordre et éviter l’autodestruction de la nouvelle civilisation, le Gouvernement Planétaire de Hiyoku a parfois tu certains évènements ou a dû faire quelques compromis avec des personnes qui ne le méritaient pas, comme avec la Ligue de Saru, par exemple. Ainsi, la véritable version de la Grande Migration a, pour certains passages, été grandement modifiée par l’État car ceux-ci ne montraient pas un visage très glorieux des soi-disant rédempteurs de l’Humanité.
Dans les faits, tout ne s’est pas exactement déroulé comme prévu. Surtout durant l’interminable voyage qu’ont effectué les Terriens pour devenir des Hiyokans. En réalité, même avec la technologie que possédait la Terre avant le Renouveau, concevoir une flotte capable de transporter des milliards d’êtres en une quinzaine d’années seulement était un pari osé et risqué. En théorie, tout a parfaitement fonctionné. En pratique, ce fut plus compliqué.
Devant l’indescriptible masse de production ayant été confiée aux ingénieurs et aux ouvriers, il y eut forcément quelques failles dans le système en apparence si bien rôdé. La construction de certains véhicules spatiaux fut donc, parfois, négligée, volontairement ou non. Ce fut le cas de l’Arx, une immense arche en forme de cercle.
L’Arx et ses milliers de passagers parvinrent tout de même à effectuer une bonne partie du périple sans encombre. Hélas, par la faute des avaries causées par la négligence de ses concepteurs, l’Arx n’arriva jamais à destination. L’impressionnant vaisseau s’écrasa sur une planète que ses occupants nommèrent plus tard « Acropolyx ».
Au début, les naufragés pensaient que les leurs viendraient les secourir après avoir remarqué leur disparition. Ils n’étaient pas inquiets pour leur survie, l’Arx, comme tous les autres bâtiments interstellaires, avait été conçue pour des voyages galactiques pouvant durer des années, voire des décennies, et même des siècles, si on le voulait. Bien avant de s’installer sur Hiyoku, les humains maîtrisaient l’art du recyclage. Les ingénieurs avaient créé un système durable complexe, capable, s’il était parfaitement bien utilisé, de tenir pour l’éternité s’il le fallait. Des cultures avaient été aménagées dans les navires et les arches, permettant aux passagers de ne jamais manquer d’eau ou de nourriture, à condition de se rationner, bien sûr. C’est grâce à cela que les naufragés purent survivre.
Cependant, après de longues années à attendre d’être secourus en vain, ils comprirent que personne ne viendrait les chercher, qu’ils étaient livrés à eux-mêmes et qu’ils devaient se débrouiller seuls. C’est alors qu’ils virent le véritable visage de leurs dirigeants. Prêts à abandonner leur peuple à son sort pour garantir leur propre survie.
La famille Ushita, qui avait pris le pouvoir dans cette communauté de sinistrés, décida alors que celle-ci prendrait le nom de « Cercle des Égarés », en référence à l’aspect cyclique de l’Arx, dans laquelle ils étaient désormais prisonniers. Après cela, ils élaborèrent un plan pour assouvir leur vengeance sur ceux qui les avaient laissés pour compte.
Grâce aux quelques pièces encore fonctionnelles de l’épave, ils parvinrent à améliorer les embarcations spatiales résidant dans la cale de l’arche. Ainsi, les Ushita envoyèrent leurs meilleurs éléments jusqu’à Hiyoku. Malheureusement, seulement quelques centaines d’Égarés, sur les milliers existants, purent quitter Acropolyx. Néanmoins, ils emportèrent avec eux une promesse : tôt ou tard, ils reviendraient les chercher. Et, ce jour-là, Hiyoku serait à eux. De toute façon, ils resteraient en contact permanent avec le Cercle, tel était le plan.
Quand ils arrivèrent dans le Système de Kin, celui de la fameuse planète fertile, ils furent immédiatement repérés par les forces de Hiyoku. Ils furent aussitôt arrêtés et, après avoir raconté leur histoire, conviés à rencontrer le Président Armyn Sho – père de l’actuelle Présidente Hanara Sho – à bord du Bankaa, ce vaisseau-bunker secret en orbite de Hiyoku.
Nous étions à la fin des années 40 et Armyn Sho n’en était qu’à son premier mandat. Armyn n’avait qu’une trentaine d’années et il n’était pas très expérimenté. Il était encore loin du Président charismatique que les Hiyokans ont réélu six fois consécutives ensuite, de 80 à 110. Si une telle chose était arrivée durant ces années-là, il aurait probablement remonté la source des Égarés pour tuer le problème dans l’œuf en détruisant le Cercle, conscient que l’existence d’une telle civilisation ne pouvait lui apporter que des ennuis. Cependant, à cette époque, il était naïf et il fut pris de court. Même s’il n’était né qu’en 18 après le Renouveau, il savait, bien entendu, que nombre de vaisseaux n’avaient jamais terminé leur course durant la Grande Migration, mais il était loin de se douter que les passagers de l’un d’entre eux avaient survécu pour ensuite réussir à se frayer un chemin jusqu’à chez lui.
Pour le bon déroulement de leur plan, les Égarés lui firent évidemment croire qu’ils étaient les derniers survivants de l’Arx et qu’ils n’avaient nulle part où aller. La décision du Président Armyn Sho fut alors d’étouffer l’affaire. Il proposa un marché aux malheureux naufragés : les introduire petit à petit et en toute discrétion dans la société hiyokanne et, en échange, ils devaient garder le secret sur leur origine, adopter de nouvelles identités.
La République de Hiyoku était jeune et fragile. Ses prédécesseurs avaient déjà dû faire des sacrifices pour maintenir un équilibre au sein de la population. Il était impératif que le peuple croie aux mensonges du Gouvernement, dépeignant un portrait bienveillant et juste de lui-même.
Sa stratégie fonctionna remarquablement bien. Les Égarés se fondirent dans le décor, sans que personne les remarque, et, bientôt, ils s’enfoncèrent dans l’ombre et l’oubli. Même les successeurs d’Armyn Sho oublièrent cette parenthèse de l’histoire secrète du Gouvernement Planétaire de Hiyoku. Tout rentra dans l’ordre.
Mais ce qu’Armyn Sho n’avait pas prévu, c’était que tout ceci était exactement ce que cherchait le Cercle. Car les Égarés, eux, n’oublièrent jamais leur mission. Ils la transmirent à leurs enfants, qui la transmirent à leurs enfants après eux. Puis, au fil des décennies, ils s’immiscèrent silencieusement un peu partout dans la nouvelle société humaine, tels des parasites tentant de se frayer un chemin à travers les défenses d’un système immunitaire déjà corrompu. Il n’attendait qu’une chose : le bon moment pour frapper.
La légende les avait oubliés, mais ils avaient bien l’intention de réécrire leur histoire.
An 137 après le Renouveau.
Depuis le Putsch ayant visé Okuno Shissu, l’ancien Préfet du Kinjo de Tora, et ses partisans, il y a dix ans de cela, Hiyoku est plutôt calme. Quand Seigi Tomodachi, le père de Nakama Tomodachi – tuée par Shitto Shissu dans la chambre d’Okina Unmei –, a monté une petite armée pour destituer le Préfet de Tora, beaucoup ont cru à un soulèvement. D’après Seigi, la présumée coupable n’était pas responsable de l’assassinat de sa fille. Et, bien qu’il fût trop tard pour elle, Tomodachi se fit un devoir de se battre pour la mémoire de Nakama ainsi que pour éviter à d’autres parents de subir une telle chose.
Il opta, dans un premier temps, pour la voie pacifique. Il manifesta devant le Grand Tribunal de Ryu jour et nuit, il alla même souvent devant la Préfecture de Tora et quelquefois devant le Siège du Gouvernement Planétaire pour faire entendre ses désaccords et honorer le souvenir de son enfant défunte.
Au début, l’État ne s’en préoccupa pas, ce n’était qu’un pauvre père éploré tentant désespérément de changer le passé. Mais, en réalité, Seigi Tomodachi œuvrait pour l’avenir. Et, très vite, il fut rejoint par des dizaines, puis des centaines de sympathisants. Bien qu’Okuno Shissu rabroua son fils pour être à l’origine de tout cela, il n’y prêtait pas grande attention, sous-estimant fortement son adversaire.
La Présidente Hanara Sho – fille du célèbre Armyn Sho – regretta de ne pas avoir stoppé tout cela quand Seigi était encore seul. Maintenant que l’affaire s’était ébruitée et était devenue médiatique, elle ne pouvait pas la balayer sous le tapis d’un revers de la main. Même si, en secret, la vérité était toute autre, la société de Hiyoku restait officiellement une démocratie, dans laquelle le peuple avait le droit de faire entendre sa voix. Bien qu’elle essayât d’apaiser la situation, Sho était relativement impuissante. Petit à petit, dans l’ombre, Seigi Tomodachi et ses alliés fomentèrent un coup d’état. Ils formèrent les Kobun, un mouvement de résistance pour punir l’impassibilité du Gouvernement face aux injustices et son système juridique bien trop expéditif. Ils frappèrent les dirigeants sans qu’ils le voient venir.
Conscients que les Shissu étaient responsables du mauvais déroulement de l’enquête sur le meurtre de Nakama et qu’ils constituaient la deuxième famille la plus puissante de la planète – après celle des Sho –, ce furent eux que les insurgés ciblèrent. Ils parvinrent à pénétrer dans la Préfecture de Tora et à renverser ses résidents. C’est ainsi qu’Okuno, Shitto et Suma Shissu, ainsi que le conseiller du Préfet, Sanji Kan, furent expulsés sur Terre. Le reste de leur histoire appartient à la Légende de l’Exilée et d’Unoculus.
À ce moment-là, tout le monde pensait qu’il en était fini du Gouvernement Planétaire et que Tomodachi allait détrôner la Présidente pour mettre en place un nouveau régime politique plus juste pour tous. Cependant, ce ne fut pas ce qui arriva.
En effet, Hanara Sho n’allait pas se laisser faire aussi facilement. Elle avait tout appris auprès du meilleur, son père. Elle savait se dépêtrer des situations les plus complexes tout en gardant son pouvoir intact. En perdant Shissu, elle avait perdu une bataille, mais pas la guerre. Pour que son peuple se remette à avoir confiance en elle, elle eut la brillante idée de nommer Seigi Tomodachi, figure de proue de la résistance, Juge Suprême du Grand Tribunal de Ryu. Ainsi, le leader de la lutte contre les inégalités devint le décisionnaire du jugement des condamnés. De cette manière, plus aucune injustice ne serait tolérée. C’était un compromis intelligent, qui valut d’ailleurs à Sho d’être réélue en 130 puis en 135.
La politique zéro criminalité, qui avait toujours été celle de Hiyoku, en prit un coup et les procès furent désormais noyés sous des monticules administratifs sans fin, mais s’il s’agissait du prix à payer pour garder sa couronne en place, Hanara l’acceptait sans difficulté. Après s’être excusée auprès de la population, elle désigna un remplaçant d’Okuno à la tête du Kinjo de Tora, le Préfet Munaji, et tout rentra dans l’ordre.
Depuis cette période mouvementée, le nouvel eldorado des humains a retrouvé sa sérénité habituelle. Tout est redevenu paisible sur Hiyoku. Jusqu’à aujourd’hui. Car, aujourd’hui, les choses vont changer. Aujourd’hui est le jour où tout va basculer.
Dans les rues des différents Kinjo, d’un bout à l’autre de la planète, d’Inoshishi jusqu’à Hitsuji, de rares individus lèvent régulièrement les yeux au ciel, semblant attendre discrètement quelque chose. Les autres, eux, ne se rendent compte de rien. Ils continuent à vivre comme si de rien n’était, sans savoir que cette journée sera peut-être leur dernière dans le monde des vivants. Car l’heure que leurs ennemis inconnus attendaient depuis toutes ces années est enfin arrivée. Pour ces derniers, il ne fait aucun doute que ce jour marquera le commencement de la fin de Hiyoku.
Non loin de là, dans l’espace, la lumière de Kin – le soleil de Hiyoku – éclaire l’obscurité froide et infinie de la galaxie. Draka le contemple silencieusement à travers la baie d’observation de l’Arx.
Depuis le sol d’une planète possédant une atmosphère comme celle de Hiyoku ou de la Terre, le soleil parait être une tache d’une luminescence éblouissante de couleur jaune sur une magnifique toile entièrement bleue. Mais, en réalité, il s’agit plutôt d’une gigantesque boule blanche au milieu d’une noirceur sans vie. Pour Draka, Kin a toujours été de couleur verte, à cause de l’atmosphère particulière d’Acropolyx, totalement mortel aux humains. Elle sait, grâce à ses ancêtres, que, sur Terre, le Soleil n’est plus visible depuis bien longtemps à cause du brouillard aussi épais qu’irrespirable qui recouvre l’ensemble du monde. Vues de l’espace, ces deux étoiles se ressemblent apparemment en tout point, comme des milliards de leurs semblables, pourtant, vues du sol, elles peuvent être complètement différentes d’un astre à l’autre. Dans tous les cas, que ce soit sur terre ou dans les cieux, Draka Ushita n’a jamais eu l’occasion d’observer quoi que ce soit autrement qu’à travers les vitres ultra-résistantes de l’Arx, dont elle est prisonnière depuis sa naissance. Toutefois, cela va bientôt changer. Enfin, si elle reste concentrée. Elle a passé sa vie à se préparer à ce jour et voilà qu’au moment fatidique, elle se fait des réflexions sur les soleils.
— Impératrice ?
La voix d’un timonier la sort de ses songes. Le regard jusque-là fixe, la femme à la peau sombre et aux cheveux aussi noirs que ses yeux pivotent légèrement la tête, sans pour autant quitter sa posture militaire, le buste droit et les mains dans le dos.
— Qu’y a-t-il ?
— Nous arrivons dans le périmètre de défense aérospatiale de Hiyoku. Que faisons-nous ?
— Nous n’avons rien à faire. À part prier que ceux d’en bas mèneront leur travail à bien.
Dans le Kinjo de Hebi, au Centre International de Surveillance Aérospatiale – CISA –, tout le monde s’affole. Un évènement sans précédent est en train de se dérouler au-dessus de la tête des Hiyokans.
Deux ingénieurs entrent en trombe dans le bureau du Directeur.
— Monsieur le Directeur, commence le premier, complètement paniqué. Nous devons vous communiquer une information de la plus haute importance.
Assis sur son fauteuil, le Directeur ne bronche pas, ne semblant absolument pas alarmé.
— J’écoute, dit-il sur un ton calme, presque dérangeant.
— Le Bankaa vient de nous transmettre un rapport, s’écrie le second ingénieur. Ils sont formels : un colossal vaisseau spatial en forme de cercle vient de pénétrer dans notre système de défense. Ce vaisseau n’est pas l’un des nôtres. D’après le rapport, il ressemblerait à une arche de la Grande Migration.
— Qu’a fait le Bankaa après cela ?
— Il a… reprend le premier, cherchant visiblement ses mots. Il a disparu des radars, Monsieur le Directeur. Nous n’avons aucune idée de ce qui s’est passé là-haut.
— Nous devons impérativement contacter la Préfète Gakusha, fait l’autre.
Le Directeur s’avance sur son siège.
— Elle sera informée de tout cela. En temps voulu.
— Je ne saisis pas. Comment savoir si ce vaisseau est hostile ou non ? Et que faire après avoir déterminé cela ? Nous devons en référer à…
Avant de laisser le temps aux deux ingénieurs de réagir, le Directeur du Centre International de Surveillance Aérospatiale dégaine une arme de poing cachée sous son bureau et leur tire proprement une balle dans la tête chacun, avec un indescriptible sang-froid. Puis, il s’adresse aux cadavres encore chauds :
— Rassurez-vous, c’est un cadeau que je vous fais. Au moins, vous n’aurez pas à assister à ce qui va suivre.
Il se lève enfin de son siège et quitte son bureau. Il traverse ensuite toute l’aile administrative du bâtiment pour se diriger vers l’aile de contrôle du ciel. Empruntant un ascenseur vertical, il fuse dans les couloirs à une vitesse folle.
Arrivé à la salle de contrôle, il remarque que c’est la panique chez les scientifiques. Des alarmes retentissent, des lumières clignotent, les hommes et les femmes en blouses blanches hurlent de tout côté, tentant d’en savoir plus. Le Directeur jette un œil autour de lui. D’un simple regard, il repère une demi-douzaine de complices, attendant silencieusement l’instant fatal.
— Monsieur le Directeur, l’interpelle une savante. Nous ne savons pas qui est aux commandes de cet appareil ni ce que veulent ses occupants. Pour le moment, ils restent immobiles et silencieux. Ils n’ont même pas tenté de nous contacter et toutes nos tentatives pour établir une communication ont échoué. Nous avons perdu le Bankaa et nous suivons le protocole à la lettre. Mais c’est un évènement sans précédent. Quelles mesures devons-nous prendre ? Quels sont les ordres de la Préfète Gakusha ?
— Elle n’est pas encore au courant. Mais elle le sera très bientôt.
Sur ces mots, il sort une nouvelle fois son arme et exécute la femme. Il est aussitôt suivi de ses six alliés, qui ouvrent également le feu sur leurs collègues. En moins d’une minute, il ne reste plus que des cadavres et des corps agonisant au milieu du CISA.
Le Directeur adresse un simple hochement de tête aux tueurs et se dirige vers un tableau de contrôle. Après avoir entré un code bien spécifique, il parvient à établir un contact radio avec l’Arx.
— Impératrice Ushita, nous avons désactivé les défenses. La voie est libre. Bonne chance.
Pour être absolument certains que les défenses aérospatiales ne puissent être réparées de sitôt, les agents infiltrés enclenchent l’autodestruction du CISA. Bien sûr, ils n’auront pas le temps d’évacuer et ils en sont conscients. Ils se sont préparés à cela depuis leur naissance. Leurs parents étaient des Égarés et, aujourd’hui, ils leur font honneur.
Le compte à rebours s’approche dangereusement de « 0 ». Les espions se regroupent au milieu de la pièce, bombent le torse, lèvent le menton et posent une main sur le cœur.
— Pour le Cercle ! entonnent-ils tous en chœur, une seconde avant d’être réduits en poussière.
Tranquillement installée à son bureau, à la Préfecture de Hebi, Gakusha s’occupe de la paperasse. Cette femme à la mythique coupe au carré violette, se mariant à la perfection avec ses yeux de la même couleur, fait bien son travail et aime se dire qu’elle est une politicienne intègre, contrairement à beaucoup d’autres.
Tout à coup, l’écran de sa tablette numérique se met à trembler, au même titre que les vitres de la pièce. Puis, c’est tout le bâtiment qui est ébranlé. Inquiète, elle se dirige immédiatement vers sa fenêtre, légèrement fissurée à cause de l’onde de choc. Elle se rend alors compte avec horreur que tout ce vacarme est dû à une explosion qui vient d’avoir lieu dans le Centre International de Surveillance Aérospatiale, situé à quelques kilomètres seulement de la Préfecture.
Elle arrache l’oreillette de son holowatch et appelle instantanément le Directeur du CISA. Aucune réponse.
Sa conseillère, accompagnée de quelques scientifiques et politiciens hauts placés, entrent en trombe dans le bureau.
— Que se passe-t-il, bon sang ?!
L’un d’entre eux plonge un regard angoissé dans celui de la Préfète.
— Nous avons un problème.
— Ça, je le vois bien ! Mais de quel ordre est-il ?
Avant que quelqu’un ne puisse répondre, une autre détonation se fait sentir, suivie de deux, puis de dizaines d’autres.
Sortant à la hâte pour voir de quoi il s’agit, Gakusha remarque avec effroi que le Kinjo est en train de subir un bombardement.
— Que se passe-t-il ?! Donnez-moi des informations ! hurle-t-elle sur ses subordonnés.
Mais personne ne semble être en mesure de fournir une quelconque réponse. Gakusha reçoit alors un appel.
— Présidente Sho, je…
— C’est quoi, ce bordel ?! surgit la voix de la femme la plus puissante de ce monde.
— Nous travaillons dessus, Madame.
— Ça s’étend au monde entier ! Hiyoku est en train de subir une frappe orbitale, pourquoi nos systèmes de défense ne fonctionnent pas ?!
— Le CISA a été détruit, Madame ! Je… Je ne suis au courant de rien. On vient de m’informer que le Bankaa ne répond plus non plus.
— Stoppez-moi ça immédiatement ! Notre planète est attaquée, nous devons riposter !
— Je m’en occupe.
Dans le Kinjo de Tora, au Siège du Gouvernement Planétaire, la Présidente Hanara Sho cherche des explications.
— Je veux comprendre ce qui se passe ! hurle-t-elle sur les militaires et les politiciens qui s’agitent autour d’elle.
— Nous sommes frappés par un bombardement orbital, s’élève une voix tremblante.
— Dites-moi quelque chose que je ne sais pas déjà.
Sans perdre plus de temps, elle lance un message général aux Préfets des douze Kinjo existants.
— Nous subissons une attaque aérienne ! Mettez tous les habitants à l’abri ! Que les FSK se tiennent prêtes à intervenir ! Je répète : Hiyoku est attaquée !
Hanara arrête la communication et frappe du poing sur une table.
— Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ?! Nous avons travaillé des décennies justement pour que ça n’arrive pas ! Notre système de défense est infaillible ! Personne ne peut supplanter notre technologie ! Bon sang, mais qui sont nos ennemis ?!
Un scientifique scrutant les radars scannant la surface de Hiyoku s’approche de la Présidente.
— Madame, ce ne sont plus des obus qu’ils envoient.
— Quoi, alors ?
— Des capsules.
— Transportant quoi ?
— Visiblement des gens.
— Où ?
— Sur toute la planète.
Un autre les coupe.
— C’est la merde partout ! Des citoyens viennent en aide aux types tombés du ciel dans tous les Kinjo ! C’est à n’y rien comprendre ! Pourquoi aider ceux qui nous attaquent ?!
— Madame la Présidente, intervient un conseiller de Sho. J’ai bien l’impression que nous avons affaire à une attaque coordonnée et organisée depuis longtemps.
— Je le crains également, lance-t-elle avec effarement. Contactez le Préfet Reikan.
— Comme je le disais, reprend le premier scientifique, la concentration de capsules est plus importante dans le Kinjo d’Usagi.
D’un coup, Hanara comprend l’objectif, ou du moins l’un des objectifs, de ses assaillants. Elle se tourne vers son conseiller.
— Dites à Reikan d’envoyer les Forces de Sécurité d’Inu en renfort à Usagi.
Le conseiller s’exécute, tandis que la Présidente contacte la Préfète Noroji d’Usagi, le Kinjo consacré à la technologie avancée.
— Que se passe-t-il, Madame la Présidente ? s’enquiert cette dernière.
— Je ne sais pas qui ils sont, mais ils viennent pour le générateur. Ne les laissez pas l’atteindre. En aucun cas. C’est bien compris ?
— Je mobilise les FSKUSA pour le protéger.
— Je vous ai envoyé les FSKIN en renfort. Noroji, protégez notre technologie au péril de votre vie, s’il le faut.
— À vos ordres.
La communication se termine. Le conseiller reprend la parole.
— Présidente Sho, le Préfet Munaji cherche à vous contacter.
— Passez-le-moi.
Après une rapide manipulation, la voix du Préfet de Tora retentit dans l’oreillette de Hanara.
— Déployez les FSKT, Munaji, ordonne-t-elle. Elles sont parmi les plus compétentes du monde.
— C’est déjà fait. Mais… Madame la Présidente, nous devrions éviter de nous éparpiller. Nous ne savons pas qui nous attaque, ni d’où ils frappent. L’ennemi a l’effet de surprise de son côté, il s’attend à ce que nous agissions impulsivement, sans réfléchir. Il compte dessus, même.
— Que voulez-vous qu’on fasse d’autre ?! Nos options sont assez limitées.
— Nous devrions anticiper. Prendre nos ennemis, qui qu’ils soient, de court. Je vous rappelle que nous avons mis un protocole en place précisément pour ce genre de cas.
— Nous ne sommes pas encore aussi désespérés.
— Si, nous le sommes. Regardez autour de vous ! C’est la guerre ! On se fait bombarder, assassiner. Des civils se retrouvent pris au piège dehors. Il y a des massacres dans nos rues. Nous sommes acculés. La situation nous a complètement échappé. Si nous ne faisons rien, nous allons perdre le contrôle pour de bon. Je suggère donc l’activation du Plan Hakubo.
Sho se tait un instant, plongée dans ses réflexions. C’est un plan très risqué, une équation avec beaucoup d’inconnues. Un protocole à utiliser en dernier recours. Elle a mis cela en place avec Munaji en pensant ne jamais avoir à s’y résoudre. Et pourtant, en une minute, tout a basculé et le jour est peut-être venu de prendre des mesures drastiques pour sauver Hiyoku.
— Hanara… insiste-t-il. Vous savez que nous n’avons pas le choix.
Elle fait danser ses doigts sur son holowatch pour ouvrir un canal s’adressant à toutes les personnalités importantes de Hiyoku.
— Aux Préfets des douze Kinjo, le Plan Hakubo est lancé. Vous connaissez tous les règles. Veuillez suivre à la lettre les indications de ce protocole. Pour les personnes concernées, dirigez-vous immédiatement vers la navette la plus proche et embarquez dans le Rougoku. À tout le personnel du Rougoku, préparez-vous à cryogéniser et à envoyer sur Terre tous les membres de niveau d’habilité 6 et plus qui se présentent à vous, aussi vite que possible. Sortez des détenus de cryostase s’il le faut. N’hésitez pas à faire des sacrifices. À partir de maintenant, nous sommes en guerre.
Derrière la baie d’observation de l’Arx, l’Impératrice Draka Ushita ne contemple plus Kin. Son intérêt pour l’étoile incandescente s’est estompé, portant plutôt son dévolu sur le merveilleux spectacle qu’offre les capsules quittant la forteresse volante des Égarés pour venir s’écraser sur cette planète peuplée d’hypocrites et de lâches. D’ailleurs, elle voit certains d’entre eux évacuent la planète à bord de navettes personnelles, espérant échapper à son courroux. Elle n’a pas le temps de les en empêcher. Qu’ils fuient, cela lui est bien égal.
La sensation qu’elle éprouve actuellement est tout bonnement indescriptible. Après toutes ces années à ravaler sa haine sans pouvoir assouvir sa vengeance sur ceux qu’ils l’ont abandonné, le Cercle va finalement avoir son mot à dire. Enfin, après tout ce temps, le rêve devient réalité. Enfin, le Cercle des Égarés peut se dévoiler au grand jour. Enfin, la guerre contre Hiyoku a été déclarée. Et ceci n’est que son commencement.
Bien loin des affres du combat déchirant Hiyoku, dans un autre système solaire, le monde originel de l’Humanité vit des jours prospères et pleins d’espoir. Contrairement à autrefois, l’avenir de la Terre n’est plus voué à une fatalité mortelle. L’extinction de toute vie sur la planète, qui semblait, jusque-là, inéluctable, a une fois de plus été repoussée. Finalement, la Terre aura droit à un peu de sursis.
Durant ces dernières années, beaucoup de choses ont eu lieu. La société terrienne a énormément évolué. Le point de départ de tout ceci fut, évidemment, la Révolte de l’Exilée, survenue huit ans plus tôt. La mort d’Arkanys Ayashi, le Tyran Balafré, et la prise de pouvoir de l’Exilée ont changé énormément de choses pour le peuple terrien.
Okina Unmei ne régna que quelques mois sur le monde, mais elle fut la plus grande source d’inspiration de toute l’histoire des Benefactori. À tel point que la population, aidée par Yusha Ochiru, son compagnon alors, se souleva contre elle, comme elle l’avait fait contre Ayashi. Yusha prit ensuite sa place, avant que le pouvoir lui monte à la tête et qu’il perde l’esprit, troquant l’attentionné Protecteur d’Exilés qu’il était contre le despotique Unoculus qu’il devint. Le règne d’Unoculus, le Borgne, fut le plus court de l’Histoire. Et heureusement. Car, si l’Exilée ne l’avait pas poussé du haut du Tectum, le toit du Colossus, Hiyoku aurait été en proie à la guerre bien avant que le Cercle des Égarés ne s’en prenne à elle.
Après cela, Okina déclara que la dictature régissant ce monde depuis le Renouveau devait être remplacée par une démocratie. Elle instaura donc une République, sous un tonnerre d’applaudissements approbateurs. Ensuite, fatiguée de la politique et de tous ces sacrifices, elle se retira et partit sur les traces du mystérieux Benefactori qu’elle et Yusha avaient détrôné, continuant plus tard ses investigations en se renseignant activement sur la Grande Guerre de Dannaviscia.
Pendant ce temps, à Capitis et dans le monde entier, la République Benefactorienne se mit en place. Des élections furent bien sûr organisées, dont Pontifex Ier sortit vainqueur. Hélas, le premier Benefactori élu démocratiquement n’exécuta qu’un seul mandat, emporté juste après par la maladie et la vieillesse. Ce fut son fils, Pontifex II, qui fut élu ensuite. Il se présenta pour faire honneur à son père, espérant, en revanche, que leur lien de parenté n’affecterait en aucun cas le vote des citoyens. Ce qui est sûr, c’est que, depuis, il dirige le Gouvernement Planétaire d’une main de maître, écoutant attentivement les doléances du peuple. C’est un homme bon qui croit dur comme fer en les valeurs de cette nouvelle République.
De son côté, en enquêtant sur la Grande Guerre de Dannaviscia, l’Exilée avait mis la main sur la clé de la survie de l’Humanité, en 131 après le Renouveau. Cette chose avait autrefois déclenché une guerre, car Krigs Maskin, le Conquérant Fou, savait le pouvoir qu’elle renfermait et voulait s’en servir pour anéantir le monde afin de le remodeler à son image. L’objectif d’Okina n’était pas l’annihilation mais, au contraire, la renaissance. Cette chose était d’origine extraterrestre. Une météorite, s’étant écrasée sur Terre il y a bien longtemps. Cette gigantesque pierre de l’espace portait le nom de « Calista ».
Grâce à la puissance de Calista, l’Exilée sauva le monde. Après avoir longuement étudié les travaux d’Orak et Krigs Maskin, ainsi que ceux du génial inventeur Vyren Summ et de tant d’autres savants, elle fonda sa propre entreprise de technologie et pharmacologie de pointe : Meliora-Labs. Elle devint une entrepreneuse philanthrope, plaçant son savoir-faire au service des Terriens.
En quelques courtes années, la surface de la planète changea du tout au tout. Une technologie quasiment semblable à celle de Hiyoku envahit les villes, une société plus durable et écologique fut mise en place. Il est évident que le chemin sera encore long pour que la Terre redevienne ce qu’elle était jadis, il y a même de fortes chances qu’elle ne puisse jamais revenir en arrière. Mais, au moins, Meliora-Labs a réussi à lui faire gagner un temps précieux. Aujourd’hui, Okina ne reconnait plus le monde sur lequel elle a atterri il y a huit ans et tant mieux. Jamais elle n’aurait pu élever un enfant dans un endroit comme celui-ci.
En faisant ses recherches sur la guerre ayant opposé les Intrépides aux Douze Valeureux de Gorne et ayant dévasté la Trinité Nordique entre 114 et 118, l’Exilée fut amenée à rencontrer de nombreuses personnes afin de récolter leurs témoignages. C’est davantage grâce à eux que grâce aux archives du Tabularium ou des Palais Souverains qu’elle a pu en apprendre plus.
Beaucoup de choses furent cachées au grand public et même aux dirigeants les plus importants. Les Douze Valeureux de Gorne ne mentionnèrent jamais Calista, Deletrix ou Octodamas devant le Tyran Balafré, à qui ils avaient pourtant prêté allégeance jusque dans la mort. Arkanys Ayashi, tout comme le reste du monde, ne fut donc jamais au courant des véritables objectifs du Conquérant Fou et des enjeux monumentaux de ce conflit, même si c’était sous son autorité qu’il avait pris fin. Au même titre que Menerm Tenttur, le Leader Masqué, qui avait pourtant fondé lui-même les Douze Valeureux et combattu au front à Dannaviscia, en tant que Prince de Gorne.
Pour découvrir quelque chose que même le Benefactori ignore, il ne faut pas se contenter des sources officielles, mais creuser plus profondément. Un travail de terrain est nécessaire. Et ça, Okina Unmei l’avait bien compris.
Elle s’intéressa donc aux personnages pour mieux comprendre l’histoire. C’est ainsi qu’elle rencontra des héros oubliés, comme l’ex-Amirale Stak et l’ex-Général Myr, anciens dirigeants de la Flotte Rocheuse et de la Chevalerie de Gerevis, ou encore Opsi, Dwes et Énée.
Ce fut ce dernier qui captiva le plus son attention. Rendu orphelin par le Siège d’Arkplatz, ce garçon, alors âgé de seulement huit ans à l’époque, devint un espion pour le compte des Légions de Gorne. Grâce à sa petite taille, il se faufilait entre les lignes ennemies pour apporter les messages d’Opsi, qui avait été enrôlée de force dans l’armée de Maskin, à Dwes, sa petite-amie, forgeronne à Gorne. Leur petit réseau d’espionnage était efficace et servit grandement les Douze Valeureux et leurs alliés. En voyageant d’un Palais Souverain à l’autre sans se faire remarquer, le jeune Énée put enregistrer des informations auxquelles personne n’avait accès. Des informations qu’il garda pour lui jusqu’au jour où Okina vint l’interroger. C’est en grande partie lui qui a comblé les trous de l’histoire qu’elle cherchait à rafistoler.
En vieillissant, Énée devint Gouverneur de Dannaviscia, fonction qu’il occupe toujours actuellement. Mais, plus important encore, au cours de ces longues sessions de discussion, les deux héros se rapprochèrent énormément et Énée réussit même l’exploit de faire oublier Yusha à Okina. Ils devinrent si proches qu’un enfant naquit de leur union, très peu de temps après leur rencontre. Une sublime petite fille nommée Eyena.
C’est sa mère qui choisit le nom, en hommage à Seika Ayashi et à la Fleur d’Eyen qu’elle avait offerte à son propre fils dans cette usine de recyclage du Kinjo de Saru. Ce passage du Journal d’Arkanys l’avait particulièrement émue et en posant les yeux sur sa fille pour la première fois, elle avait compris qu’elle serait, elle aussi, prête à sacrifier sa vie et bien plus encore pour la sauver.
Après leur mariage, c’est Énée qui avait pris le nom de son épouse, renforçant davantage la force symbolique de l’union entre un héros de guerre et Gouverneur de la Trinité Nordique et la légendaire Exilée. Aujourd’hui, la famille Unmei coule des jours heureux, vivant à plusieurs endroits à la fois, passant de leur maison de Patrona Urbs à celle de la Ville Sans Nom, ou bien encore à celles d’Arkplatz et des campagnes avoisinantes.
Patrona Urbs et le Colossus sont restés les points culminants du pouvoir sur Terre mais, étant donné que les Combats de Titans sont prohibés depuis la mort d’Unoculus, le centre de la plus grande arène du monde a été transformé en Sénat Planétaire, lieu hautement important de la jeune et fragile République Benefactorienne.
C’est d’ailleurs là que se déroule en ce moment un débat entre les Sénateurs des différents pays d’Uporea, dont Énée fait partie.
— Passons désormais au sujet principal, celui pour lequel la plupart d’entre vous ont fait le déplacement, entonne Pontifex II.
Le jeune et charmant Benefactori, aux cheveux mi-longs et aux perçants yeux couleur noisette, se tient debout sur une plateforme volante, entouré de Dux, Hostia, Romulus, Remus et Prodix.
Chacun d’entre eux est membre du Kankou et jouit, par définition, du statut de Ministre. Ils pourraient être plus nombreux, mais Énée et Okina ont tous deux refusés. Lui, préférant rester concentré sur les Trois Pays du Nord ; elle, ne voulant pas remettre les pieds sur le terrain glissant de la politique.
— Nous sommes ici aujourd’hui pour discuter ensemble et une fois de plus d’Intercessor, poursuit Pontifex II.
À la mention de ce dernier mot, les voix des politiciens s’élèvent dans le Sénat, formant un brouhaha incompréhensible. Pontifex lève les mains en signe d’apaisement.
— S’il vous plaît, calmez-vous. Nous sommes là pour avoir un débat constructif, non pour jacasser comme des sauvages dans tous les coins.
Des hauts parleurs portent sa voix d’un bout à l’autre du Colossus, un peu plus intensément que celle des autres.
— Nous en avons déjà parlé, maintes et maintes fois, s’exclame le Gouverneur de Spinahia, visiblement mécontent. L’heure est maintenant à l’action !
— Et que suggérez-vous, Gouverneur ? lui répond la Sénatrice de Tabrinnia.
— Nous les débusquons et nous les détruisons, ce n’est pas sorcier !
— C’est déjà ce que nous essayons de faire ! Les services de renseignement de tout le continent s’activent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour tenter d’enrailler cette menace.
La Sénatrice de Harksow prend la parole :
— Alors, c’est que notre méthode n’est pas efficace. Je suis d’accord avec le Gouverneur, nous devons agir. Prenons un membre d’Intercessor que nous avons capturé et exécutons-le en faisant en sorte que tout le monde le sache. Les autres se terreront dans leur trou et plus personne n’osera nous défier.
— Nous ne procédons pas comme cela, vous le savez bien, intervient Pontifex. Nous sommes en République, nous ne pouvons pas nous permettre de simplement faire taire nos opposants en semant la terreur.
— Ce ne sont pas de simples opposants anti-démocratie, ce sont des terroristes !
Le Gouverneur d’Arkigae pointe un index vers la Sénatrice de Harksow en signe de soutien.
— Elle a raison ! L’attentat de Thenas nous l’a prouvé !
— Nous ne savons pas s’ils sont responsables, précise Prodix, le Ministre du Travail et de l’Économie.
— Ils l’ont revendiqué !
— D’après le rapport, l’explosion est due à un accident, soutient Dux, devenu Ministre des Armées et de la Justice. Nous pensons qu’Intercessor a sauté sur l’occasion pour semer la discorde chez leurs ennemis et ils sont en train d’obtenir exactement ce qu’ils veulent.
— Un attentat a été déjoué au Magnus Forum il y a deux jours, déclare le Sénateur de Capitis. Ça aussi, c’était un accident ?
— Non, il s’agissait bien d’une tentative d’attentat perpétrée par Intercessor. Et s’il a pu être déjoué, c’est justement grâce à la vigilance et à l’efficacité de nos Autorités de Maintien de la Paix.
— Alors, ne dites pas que ce ne sont pas des terroristes, je vous prie, rétorque le Gouverneur de Mynerag. La Compagnie Ardente a été mobilisée sur tout le territoire mynerain, prête à intervenir dès qu’il le faudra. Nous sommes en état d’alerte. Je sais que nous ne devons pas agir impulsivement, mais ces gens-là menacent notre juvénile République, ils ne doivent pas rester impunis. Et le déni ne nous sauvera pas.
— C’est vrai, acquiesce la Sénatrice d’Algali. Nous ne devrions pas les combattre dans l’ombre. C’est un conflit que nous devons mener au grand jour. Le public doit être conscient que nous le protégeons et que nous ne négocions pas avec les terroristes. Les gens doivent se sentir en sécurité. Après tout, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Ces actes barbares me révulsent autant que vous, cela va de soi, mais d’un autre côté, c’est peut-être notre chance de prouver aux citoyens que le Gouvernement Planétaire n’est plus ce qu’il était avant la mise en place de la République.
Hostia, à présent Ministre de la Santé et de la Culture, fait un pas en avant, à côté de Pontifex.
— Madame la Sénatrice n’a pas tort, Benefactori. L’État n’est plus du côté des puissants, mais de tout le monde. Nous sommes du côté du peuple. Et nous devons le lui montrer.
Après un instant de silence, Pontifex II se tourne vers Énée Unmei, l’homme charismatique et bien bâti en train d’observer ses collègues depuis le début du débat, sur une plateforme en contrebas.
— Nous n’avons pas encore entendu l’avis du Gouverneur de Dannaviscia. Sénateur Unmei, la parole est à vous.
Énée passe ses doigts dans sa sombre et courte chevelure bouclée, pose ses yeux verts sur le Benefactori, puis prend une grande inspiration avant de commencer son plaidoyer.
— Avant que Krigs Maskin s’en mêle, les Intrépides était un simple mouvement séparatiste réclamant l’indépendance de Mandrak. Ce qu’ils voulaient, c’était que leur pays ne soit plus soumis à aucun intermédiaire. Ils voulaient répondre directement au Gouvernement Planétaire. Ils voulaient obéir directement aux ordres du Benefactori. En aucun cas, ils ne voulaient entrer en conflit avec le pouvoir suprême. Dans le pire des cas, c’était une guerre civile qu’ils envisageaient, rien de plus. Mais Maskin les a manipulés pour servir ses propres desseins. Que se serait-il passé s’il ne s’en était pas mêlé ? La guerre aurait-elle tout de même fini par éclater ? Nous n’en saurons jamais rien. Mais le fait est que si les Intrépides ont fait le choix du séparatisme, ce n’était pas par simple désir d’indépendance. Voyez-vous, avant le Conquérant Fou, jamais ils ne mirent en doute l’autorité du Benefactori. Ce qu’ils voulaient, c’était en réalité s’approcher le plus possible de cet être suprême. Car, souvenez-vous, avant la République, les Benefactori étaient perçus comme de véritables divinités. L’avantage d’une dictature basée sur la soumission totale de la population, par la peur et le respect, est que personne n’ose remettre en question celui ou celle qui occupe le trône. Personne ne remet en cause la légitimité de celui qui porte la couronne, car personne n’en a le droit, tout simplement. De temps en temps, il y a bien quelques fous qui tentent de s’emparer du pouvoir, mais ils échouent le plus souvent dans l’ignorance la plus grande. Les Terriens ont eu de la chance de croiser la route de l’Exilée. Elle nous a prouvé que les Benefactori n’étaient pas des dieux et elle nous a libérés de leur emprise. Mais, dans un monde dirigé depuis si longtemps par la tyrannie, il était à prévoir que le changement n’allait pas plaire à tout le monde. La transition n’a pas toujours été simple, mais la société s’y est finalement accommodée et pour le mieux, je l’espère. Cependant, comme certains d’entre vous l’ont dit, notre République est encore très jeune et il est logique qu’elle ait des détracteurs. Le principe même d’une démocratie est que chacun ait son mot à dire. Le principe même d’une démocratie est de laisser les désaccords s’exprimer. Je sais que nous n’avons pas l’habitude de ce mode de fonctionnement, mais nous nous y accoutumons de plus en plus. Dans une République comme la nôtre, il est normal que des groupes comme les Intrépides se forment. C’est justement parce que nous sommes en République qu’ils ont le droit de ne pas être d’accord avec cette même République. Et rien n’est plus important que la liberté de nos concitoyens. Nous l’avons dit, nous sommes du côté du peuple. Néanmoins, les droits de chacun ne doivent en aucun cas empiéter sur ceux des autres. Et Intercessor n’est pas les Intrépides. Intercessor bafoue nos lois. Intercessor bafoue les règles que nous avons votées et inscrites dans la Nouvelle Constitution Terrienne. Et, effectivement, ils ne doivent pas rester impunis. Nous ne devons pas avoir peur de nous défendre. Peuvent-ils être qualifiés de terroristes ? Cherchent-ils réellement à semer la terreur ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’ils veulent que notre démocratie, notre République, ce pour quoi nous nous sommes battus, ce pour quoi nous avons tués et sommes morts, s’effondre pour revenir au régime politique d’antan. Nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser faire. Nous devons riposter et nous devons le faire avec force afin que notre réponse ait un véritable impact. Nous ne nous battrons jamais contre ceux qui sont en désaccords avec notre Gouvernement. Mais nous ne devons jamais cesser de nous battre contre ceux qui menacent notre République et notre liberté. Toutefois, nous devons nous battre avec intelligence et surtout, mes amis, dans le respect de nos propres valeurs. Il serait idiot de bafouer nos principes sous prétexte de les défendre. Voilà pourquoi je vous demande à tous d’être patients. C’est en travaillant ensemble que nous vaincrons nos ennemis. C’est en travaillant ensemble que la liberté triomphera. Ce matin, une cellule d’Intercessor a été arrêtée à Havenbok, capitale de Mandrak. Elle se cachait dans les Catacombes, comme les Intrépides, à l’époque. Seulement, cette fois, les Légions Réunifiées du Nord l’ont stoppée à temps. En ce moment-même, les terroristes sont en train d’être interrogés, dans le respect des règles et des droits de la Constitution, bien entendu. Soyons patients, camarades. Si nous nous soutenons les uns les autres, ce problème sera rapidement réglé. Mais jamais nous ne devons perdre de vue ce pour quoi nous nous sommes battus et nous battrons encore. Jamais nous ne devons perdre de vue les valeurs qui ont fait de cette République ce qu’elle est aujourd’hui.
Une fois le poignant laïus terminé, Pontifex est le premier à frapper dans ses mains. Il est aussitôt suivi par le Kankou, puis par le Sénat tout entier. Les murs du Colossus renvoient le son des applaudissements. Avant, dans cet édifice, les gens acclamaient les bains de sang et les meurtres. Aujourd’hui, ils acclament des discours remplis d’espoir. Tout le monde ici est fier d’avoir participé à ce changement.
Alors que les applaudissements continuent, Énée reste humble, debout sur sa plateforme. Il n’a que faire des ovations, il ne fait pas ce métier pour cela. Il ne sourit même pas, se contentant de hocher la tête en signe de remerciement. Puis, alors que les yeux de tous les politiciens sont rivés sur lui, il regarde discrètement son holowatch estampillée « Meliora-Labs ».
Encore en retard, se dit-il.
Quelques minutes seulement après la fin des acclamations, Énée a déjà quitté le Colossus et se dirige vers la voiture dans laquelle l’attend Drius, son chauffeur privé. Mais, avant qu’il ne puisse y monter, le Benefactori, qui lui courait après, l’interpelle.
— Énée ! Attends !
Le Gerevois fait la grimace, avant de se retourner vers son ami.
— Tu es parti avant tout le monde, la séance n’était pas encore terminée. Tu es pressé ?
— Non, ment-il. Qu’y a-t-il ?
— Je voulais tout d’abord te féliciter pour ton discours. Tu as réussi à apaiser une foule de Sénateurs en désaccord. C’est un exploit qui se doit d’être salué. Je ne sais pas comment je m’en serais tiré sans toi.
— Merci, mais tu n’as rien à m’envier. Je suis un bon orateur, certes, mais tu es un bon tacticien. Et, contrairement à tous ces politicards qu’ils connaissent à peine, les gens te font confiance.
— En parlant de confiance, il y a quelque chose que tu n’as pas dû entendre, vu la vitesse à laquelle tu es parti. Voilà pourquoi je t’ai rattrapé.
— Quelle chose est-ce donc ?
— Je renvoie tous les Gouverneurs dans leurs pays respectifs. En ces temps troublés, je ne veux surtout pas que les citoyens pensent que leurs dirigeants se regroupent tous au siège du pouvoir et les laissent à l’abandon.
Énée soupire de frustration et place ses mains en prière, d’un air désespéré.
— S’il te plaît, Pontifex, laisse-moi encore un peu de temps. Je n’ai pas vu Eyena et Okina depuis une éternité. Pour une fois que je pouvais passer un peu de temps en famille, laisse-moi en profiter un peu, je t’en prie.
Le Benefactori fait la moue, mais accepte finalement.
— Bon, d’accord. Après tout, tu es Gouverneur de Dannaviscia depuis des années maintenant, les Nordistes ont pleinement confiance en toi. Et puis, après ta prise de ce matin à Havenbok et ton discours de tout à l’heure, je dirais que tu as bien droit à un peu de repos. Je déteste faire du favoritisme, mais je vais faire une exception. N’en fais pas une habitude, par contre. Ça ne se reproduira pas.
— Merci beaucoup, mon ami, je te revaudrai ça.
Le problème étant réglé, Énée monte à la hâte dans la voiture. Avant de fermer la portière, il entend une dernière fois la voix de Pontifex.
— Tu embrasseras Okina de ma part !
Enfin tranquille sur la banquette arrière de sa voiture privée, il regarde une nouvelle fois son holowatch.
— Trop tard, marmonne-t-il en soupirant.
Il tapote sur l’appareil fabriqué par l’entreprise de son épouse et démarre un appel.
— Tu vas bien, mon chéri ? résonne la voix au bout du fil.
— Oui… Désolé, Okina, on est sortis trop tard du Sénat, je ne vais pas pouvoir aller chercher Eyena à la sortie de l’école… Encore… Je m’excuse, vraiment.
— Ne t’en fais pas, je m’en occupe.
— Tu es la meilleure.
— Je sais. Dis-moi ?
— Oui ?
— Ce discours ? Ça s’est passé comment ?
Un sourire se dessine dans un coin des lèvres d’Énée.
— J’ai fait un carton.
À l’autre bout de Patrona Urbs, la Ville Protectrice, au siège de Meliora-Labs, l’entreprise la plus connue du monde, la patronne vient de raccrocher avec son mari et quitte son bureau pour filer tout droit vers celui de son assistant·e·, Ady.
Ady se considère comme non-genré·e·, c’est-à-dire une personne qui ne se sent ni homme ni femme. Quand on parle d’Ady, iel préfère qu’on utilise des pronoms neutres tels que « iel » ou « ellui ».
Voilà des siècles, voire des millénaires, que les humains ont accepté l’existence des personnes non-binaires, homosexuelles, bisexuelles, transgenres ou toutes personnes non-cisgenres ou non-hétérosexuelles. À une certaine époque de l’Humanité et pendant très longtemps, ce ne fut pas le cas. Les personnes appartenant à cette communauté, comme tant d’autres, furent persécutées. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué et les gens ont enfin compris qu’il ne s’agissait pas là de déviances sexuelles, mais qu’il s’agissait simplement de la nature et qu’elle était inchangeable. Bien sûr, au même titre que le racisme, par exemple, la haine envers les minorités a persisté, même jusqu’à aujourd’hui. Mais, aujourd’hui, ce sont justement les véhiculeurs de haine qui sont en minorité, du fait de leur ignorance.
Durant les décennies de dictature, les comportements de haine étaient tolérés, notamment la misogynie, dont l’Exilée a plus d’une fois pu faire les frais, surtout après qu’Unoculus l’a détrônée. Toutefois, désormais, ce genre de comportement est puni par la Nouvelle Constitution Terrienne, Okina y a elle-même veillé. Comme sur Hiyoku, aujourd’hui, tout le monde a le droit d’être qui il est sans craindre de subir les injures du reste de la population ou les humiliations injustes de la société.
Quoi qu’il en soit, Ady n’a jamais eu à se plaindre du comportement de qui que ce soit et surtout de celle qui vient vers ellui à toute vitesse.
— Vous allez quelque part ? demande-t-iel à sa patronne.
— Ah, Ady, tu tombes bien, lui répond Okina Unmei.
La célèbre Exilée a vieilli depuis la Révolte. Quand elle a quitté Hiyoku, elle n’était qu’une brillante étudiante en médecine. Une jeune femme, à peine sortie de l’adolescence, naïve et fragile. Elle pensait tout savoir du monde qui l’entourait, mais en réalité, elle n’y connaissait rien. Depuis, beaucoup de choses sont arrivées.
Elle a mené un coup d’état et anéanti l’oppression. Elle a fondé une entreprise internationale ayant sauvé la planète tout entière. Et surtout, elle a fondé une famille.
Ses premières rides sont apparues il y a quelques années sur la peau de son visage. Il faut dire que le travail qu’elle accomplit à Meliora-Labs chaque jour depuis six ans est éreintant. Elle redoute le jour où des cheveux blancs commenceront à pousser sur le haut de son crâne. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles elle s’est rasé un côté de la tête.
Ses magnifiques cheveux châtains sont restés longs partout, sauf du côté droit de son crâne. Un nouveau style qui lui va plutôt très bien et qui renforce son aspect dur à cuire, tout en gardant une grande part de féminité.
— Énée a eu un empêchement… Encore… Il a été retenu au Sénat. Il faut que j’y aille, je dois…
— Allez-y, filez. Allez chercher Eyena. Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout ici.
— Toi, au moins, on peut dire que je sais pourquoi je t’ai embauché·e·. Je te revaudrai ça, promis.
— J’aime mon travail, ne vous en faites pas.
— Je ne sais pas comment cette société ferait pour tourner sans toi.
— Elle ne le ferait pas, répond Ady, un sourire amusé aux lèvres. Dépêchez-vous, les élèves sont déjà sortis de l’école à l’heure qu’il est.
Okina finit de rassembler ses affaires et quitte les bureaux de Meliora-Labs avec hâte.
— Merci !
Dans la voiture qu’elle a elle-même créée, avec l’aide de ses ingénieurs, Okina emprunte la ligne automobile en direction de l’école de sa fille.
Dannaviscia possédait une ligne automobile comme celle-ci des années avant la création de Meliora-Labs. À l’époque, la Trinité Nordique était sans aucun doute la région la plus évoluée d’Uporea, si ce n’est de la Terre. Aujourd’hui, la plupart des pays du globe sont au même niveau technologique, à peu de choses près, à commencer par Capitis, bien entendu.
Patrona Urbs est la capitale du monde, probablement la ville la plus peuplée de la planète. La Ville Protectrice a donc davantage besoin d’avancées techniques, comme la ligne automobile, que d’autres cités. Néanmoins, l’Exilée et son entreprise s’efforcent de satisfaire tout le monde de la même façon. La Terre est encore loin de ressembler à Hiyoku, mais grâce à Calista, elle s’en rapproche de plus en plus.
Tout ceci, il y a moins d’une décennie, n’était qu’un fantasme dont seuls les plus utopistes pouvaient rêver. Aujourd’hui, Okina en a fait une réalité. Pourtant, c’était au nom de cette utopie que Yusha et elle s’étaient faits face. Au terme de cette confrontation, c’est Yusha qui perdit la vie. Okina sait qu’elle a fait ce qu’il fallait, mais son acte la ronge toujours autant.
Elle regrette tellement que le Protecteur d’Exilés ne soit plus là pour voir ce que son monde est devenu. Mais l’heure n’est pas aux souvenirs. Dorénavant, l’Exilée a un mari qu’elle adore et une fille qu’elle aime par-dessus tout. Elle se dit souvent que si elle n’avait pas trouvé le courage de pousser Unoculus du Tectum, ce jour-là, rien de tout ceci n’aurait pu arriver et c’est ce qui lui permet de tenir.
Quand elle a rencontré Énée, l’amour qu’elle a ressenti pour lui dépassait davantage encore les sentiments qu’elle avait éprouvés pour Yusha. Quand elle tomba amoureuse du Gouverneur de Dannaviscia, elle était persuadée de ne plus jamais pouvoir aimer quelqu’un plus intensément. Mais elle se trompait lourdement et ce fut le jour de la naissance d’Eyena qu’elle en prit conscience.
Ce petit être si fragile s’étant développé au creux de son propre ventre lui faisait éprouver quelque chose qu’elle n’avait jamais pu expérimenter jusqu’à cet instant. Avant cela, il était inimaginable pour elle de ressentir autant d’amour pour un autre être vivant. La sensation qui naquit au fond de son cœur, et qui ne disparut jamais ensuite, était tout simplement indescriptible. Elle n’aura de cesse de le dire : elle serait prête à absolument tout pour sa fille.
À propos d’Eyena, la voilà qui arrive devant le portail de l’école.
Après l’instauration de la République Benefactorienne, les Combats de Titans et l’esclavage prirent fin, en bonne et due forme. Certains Maîtres de Maisons de Combats et propriétaires d’arènes tentèrent de défier la nouvelle autorité et furent arrêtés. D’autres firent faillite. Beaucoup de leurs biens immobiliers revinrent à l’État et furent transformés en bâtiments administratifs ou de la fonction publique. Ainsi, il n’est pas rare de voir une ancienne arène de combats restaurée et métamorphosée en école. Bien que ce ne soit pas le cas de celle d’Eyena.
L’École Élémentaire Acilla est un bâtiment plutôt sobre. Quelques arènes existaient à Patrona Urbs, mais, à l’époque de la dictature, peu de Maisons de Combats se risquaient à monter un business dans la ville du mythique Colossus. Toutes les arènes des environs étaient évidemment occultées par le symbole mondial du pouvoir. C’est la raison pour laquelle peu d’écoles de Patrona Urbs avaient trouvé refuge au cœur des ruines d’une arène de combats.
C’est Okina qui avait choisi l’école d’Eyena. En tout cas, celle dans laquelle elle est instruite lorsque ses parents résident à Capitis. C’est aussi Okina qui avait choisi le nom de cette école : « Acilla », en hommage à l’esclave défunte, sœur de l’Optimus Ditrix, qu’Arkanys Ayashi avait tuée d’un coup de poignard dans l’œil, aux premiers instants du coup d’état. L’Exilée s’est officiellement retirée de la politique depuis la fin de l’absolutisme, mais depuis, elle a toujours eu un rôle à jouer dans la vie et la mise en place de la nouvelle société terrienne, volontaire ou non.
Devant le portail, les derniers camarades d’Eyena rentrent chez eux. La fillette, sa pédagogue lui tenant les épaules, attend patiemment. Ce n’est pas la première fois qu’Eyena est la dernière élève de l’école que ses parents viennent chercher. Tout le monde sait que sa situation familiale est un peu particulière, mais ce n’est pas une raison. Pour Okina, rien ne doit passer avant son enfant. Et, sur ce point, Énée n’est pas toujours d’accord. Pour lui, la sécurité des citoyens et de la République peut passer avant le confort de sa propre famille. En tout cas, même si tout le monde sait que l’Exilée et le Gouverneur de Dannaviscia sont deux héros de la nation terrienne, les pédagogues doivent penser qu’ils sont de terribles parents.
Okina descend de la voiture et se précipite vers sa fille pour l’embrasser.
— Coucou, ma fleur, chuchote-t-elle en déposant un baiser sur sa joue légèrement potelée. Tu as passé une bonne journée ?
Mais Eyena ne répond pas, se contentant de garder une mine boudeuse et frustrée.
— Qu’y a-t-il, ma fleur ?
La fillette a les mêmes magnifiques cheveux châtains que sa mère. Ceux-ci sont coiffés en deux nattes lui donnant l’air d’une élève parfaite. Pour ce qui est des yeux et du nez, c’est de son paternel qu’elle tient.
Devant l’absence de réponse, Okina lève la tête vers la pédagogue.